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Résolution 2071 (2015)
La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique: comment garantir la primauté des intérêts de santé publique?
1. Au cours du XXe siècle,
l’humanité a témoigné des avancées médicales les plus spectaculaires
de son histoire. Grâce aux progrès de la science, on a réussi à
identifier l’origine de nombreuses maladies et à développer des
traitements qui ont amélioré remarquablement l’état de santé de
la population. L’industrie pharmaceutique y a joué un rôle indéniable
en investissant massivement dans la recherche et le développement
de nouveaux médicaments. Elle continue de le faire et est, ainsi,
un des acteurs clés de la santé en même temps qu’un secteur d’activité
très important dans de nombreux pays.
2. Depuis longtemps, les interactions entre l’industrie pharmaceutique
et les acteurs du secteur de la santé soulèvent des questions quant
à leurs éventuels effets négatifs. Ces interactions sont susceptibles
de créer des conflits d’intérêts, d’influencer les connaissances
et le comportement des acteurs en question, et de donner lieu à
des décisions biaisées. Dans sa Résolution 1749 (2010) «Gestion
de la pandémie H1N1: nécessité de plus de transparence», l’Assemblée
parlementaire avait fait part de ses préoccupations relatives au
risque de conflits d’intérêts des experts impliqués dans des décisions
sensibles en matière de santé.
3. Malgré d’importants progrès accomplis dans la prévention et
la gestion des conflits d’intérêts, celles-ci relèvent, aujourd’hui
encore, de l’approximatif. A travers une politique d’autorégulation,
l’industrie pharmaceutique s’engage désormais dans la voie d’une
éthique accrue et les législations établissent des règles en la
matière. Toutefois, l’autorégulation n’est pas contraignante et
la mise en œuvre des législations laisse à désirer.
4. La recherche et le développement de nouvelles molécules thérapeutiques
sont des activités onéreuses et de longue haleine. En échange de
cet investissement, les entreprises pharmaceutiques bénéficient
d’un droit de propriété intellectuelle sur les molécules qu’elles
développent, protégées par un brevet. Ce modèle d’innovation a permis
la découverte de milliers de médicaments. Toutefois, désormais,
de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que cette approche n’est
pas optimale en matière de santé publique.
5. Ces dernières années, malgré l’augmentation du nombre de nouveaux
médicaments mis sur le marché, il n’y en a que très peu qui présentent
un avantage thérapeutique réel et qui répondent à des besoins de
santé réels. Par ailleurs, on observe une envolée des prix des médicaments
que l’on voudrait justifier par le coût de la recherche et du développement,
qui pourtant demeure opaque et largement contesté. Le prix exorbitant
des médicaments anticancéreux et contre l’hépatite C est particulièrement
préoccupant. Les systèmes de santé publique sont confrontés à des
augmentations constantes des coûts dans ce domaine, ce qui met en
péril leur capacité à remplir leur rôle.
6. Au vu de ces éléments, l’Assemblée invite les Etats membres
du Conseil de l’Europe:
6.1. en
ce qui concerne les interactions entre l’industrie pharmaceutique
et les acteurs du secteur de la santé:
6.1.1. à intégrer
dans le curriculum des professionnels de santé une formation spécifique
et obligatoire visant à faire réfléchir à l’influence de la promotion
pharmaceutique et à y répondre;
6.1.2. à instaurer une contribution obligatoire sur les activités
de promotion de l’industrie pharmaceutique et à l’utiliser, entre
autres, pour financer un fonds public qui sera affecté à la formation
indépendante des professionnels de santé;
6.1.3. à instaurer une obligation pour les entreprises pharmaceutiques
de déclarer leurs liens d’intérêts avec tous les acteurs du secteur
de la santé et à rendre ces déclarations accessibles au public,
ainsi qu’à mettre en place une autorité indépendante chargée d’en
assurer le suivi;
6.1.4. à assurer une transparence absolue concernant les liens
d’intérêts des experts collaborant avec les autorités de santé et
à exclure des prises de décisions sensibles les personnes ayant
des conflits d’intérêts;
6.1.5. à assurer que les décisions dans le domaine de la santé,
y compris les décisions relatives aux critères définissant les maladies
et aux seuils justifiant un traitement, sont prises sur la base
de considérations de santé individuelle et publique, et ne sont
pas motivées par la recherche de profits;
6.1.6. à réglementer strictement le passage de la fonction publique
au secteur privé (et vice versa), entre les autorités sanitaires
et l’industrie pharmaceutique;
6.1.7. à augmenter le financement des associations de patients
par des fonds publics, pour éviter qu’elles ne dépendent trop de
financements privés;
6.2. en ce qui concerne la recherche et le développement de
nouvelles molécules thérapeutiques:
6.2.1. à imposer aux
entreprises pharmaceutiques une transparence absolue concernant
les coûts réels de la recherche et du développement, notamment par
rapport à la part de la recherche publique;
6.2.2. à adopter une politique plus stricte d’autorisation de
mise sur le marché:
6.2.2.1. en introduisant des critères
tels que la valeur thérapeutique ajoutée (par rapport aux traitements
existants) ou une «clause du besoin», impliquant qu’un médicament
soit également évalué en fonction du besoin médical;
6.2.2.2. en rendant obligatoire la publication des résultats de
tous les tests cliniques relatifs au médicament pour lequel l’autorisation
est demandée;
6.2.2.3. le cas échéant, en envisageant que seuls les médicaments
qui répondent à de tels critères et exigences soient remboursés
par le système de sécurité sociale;
6.2.3. à assurer que les médicaments dont l’efficacité a été
établie restent sur le marché, en recourant, le cas échéant, à une
licence obligatoire, moyennant le paiement de royalties;
6.2.4. à établir un fonds public pour financer une recherche
indépendante, orientée vers les besoins de santé non couverts, y
compris dans le domaine des maladies rares et des maladies pédiatriques.
7. L’Assemblée invite les Etats membres à interdire tout accord
entre les entreprises pharmaceutiques dont le but serait de retarder,
sans justification médicale, la mise sur le marché de médicaments
génériques.
8. L’Assemblée invite les Etats membres à imposer des sanctions
dissuasives pour toute illégalité commise par une entreprise pharmaceutique,
le cas échéant en lui imposant une amende à concurrence d’un certain
pourcentage de son chiffre d’affaires.
9. Afin d’assurer la viabilité des systèmes de santé et l’accessibilité
de médicaments abordables et innovateurs dans le long terme, l’Assemblée
en appelle à l’Organisation mondiale de la santé pour qu’elle propose
des alternatives au modèle actuel d’innovation pharmaceutique fondé
sur les brevets.
10. Enfin, l’Assemblée invite l’industrie pharmaceutique, sociétés
et associations comprises, à intensifier ses efforts pour accroître
la transparence ainsi que sa coopération avec les autorités publiques
dans le domaine de la santé.