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Résolution 2071 (2015)

La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique: comment garantir la primauté des intérêts de santé publique?

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (30e séance) (voir Doc. 13869, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Liliane Maury Pasquier). Texte adopté par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (30e séance).

1. Au cours du XXe siècle, l’humanité a témoigné des avancées médicales les plus spectaculaires de son histoire. Grâce aux progrès de la science, on a réussi à identifier l’origine de nombreuses maladies et à développer des traitements qui ont amélioré remarquablement l’état de santé de la population. L’industrie pharmaceutique y a joué un rôle indéniable en investissant massivement dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments. Elle continue de le faire et est, ainsi, un des acteurs clés de la santé en même temps qu’un secteur d’activité très important dans de nombreux pays.
2. Depuis longtemps, les interactions entre l’industrie pharmaceutique et les acteurs du secteur de la santé soulèvent des questions quant à leurs éventuels effets négatifs. Ces interactions sont susceptibles de créer des conflits d’intérêts, d’influencer les connaissances et le comportement des acteurs en question, et de donner lieu à des décisions biaisées. Dans sa Résolution 1749 (2010) «Gestion de la pandémie H1N1: nécessité de plus de transparence», l’Assemblée parlementaire avait fait part de ses préoccupations relatives au risque de conflits d’intérêts des experts impliqués dans des décisions sensibles en matière de santé.
3. Malgré d’importants progrès accomplis dans la prévention et la gestion des conflits d’intérêts, celles-ci relèvent, aujourd’hui encore, de l’approximatif. A travers une politique d’autorégulation, l’industrie pharmaceutique s’engage désormais dans la voie d’une éthique accrue et les législations établissent des règles en la matière. Toutefois, l’autorégulation n’est pas contraignante et la mise en œuvre des législations laisse à désirer.
4. La recherche et le développement de nouvelles molécules thérapeutiques sont des activités onéreuses et de longue haleine. En échange de cet investissement, les entreprises pharmaceutiques bénéficient d’un droit de propriété intellectuelle sur les molécules qu’elles développent, protégées par un brevet. Ce modèle d’innovation a permis la découverte de milliers de médicaments. Toutefois, désormais, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que cette approche n’est pas optimale en matière de santé publique.
5. Ces dernières années, malgré l’augmentation du nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché, il n’y en a que très peu qui présentent un avantage thérapeutique réel et qui répondent à des besoins de santé réels. Par ailleurs, on observe une envolée des prix des médicaments que l’on voudrait justifier par le coût de la recherche et du développement, qui pourtant demeure opaque et largement contesté. Le prix exorbitant des médicaments anticancéreux et contre l’hépatite C est particulièrement préoccupant. Les systèmes de santé publique sont confrontés à des augmentations constantes des coûts dans ce domaine, ce qui met en péril leur capacité à remplir leur rôle.
6. Au vu de ces éléments, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. en ce qui concerne les interactions entre l’industrie pharmaceutique et les acteurs du secteur de la santé:
6.1.1. à intégrer dans le curriculum des professionnels de santé une formation spécifique et obligatoire visant à faire réfléchir à l’influence de la promotion pharmaceutique et à y répondre;
6.1.2. à instaurer une contribution obligatoire sur les activités de promotion de l’industrie pharmaceutique et à l’utiliser, entre autres, pour financer un fonds public qui sera affecté à la formation indépendante des professionnels de santé;
6.1.3. à instaurer une obligation pour les entreprises pharmaceutiques de déclarer leurs liens d’intérêts avec tous les acteurs du secteur de la santé et à rendre ces déclarations accessibles au public, ainsi qu’à mettre en place une autorité indépendante chargée d’en assurer le suivi;
6.1.4. à assurer une transparence absolue concernant les liens d’intérêts des experts collaborant avec les autorités de santé et à exclure des prises de décisions sensibles les personnes ayant des conflits d’intérêts;
6.1.5. à assurer que les décisions dans le domaine de la santé, y compris les décisions relatives aux critères définissant les maladies et aux seuils justifiant un traitement, sont prises sur la base de considérations de santé individuelle et publique, et ne sont pas motivées par la recherche de profits;
6.1.6. à réglementer strictement le passage de la fonction publique au secteur privé (et vice versa), entre les autorités sanitaires et l’industrie pharmaceutique;
6.1.7. à augmenter le financement des associations de patients par des fonds publics, pour éviter qu’elles ne dépendent trop de financements privés;
6.2. en ce qui concerne la recherche et le développement de nouvelles molécules thérapeutiques:
6.2.1. à imposer aux entreprises pharmaceutiques une transparence absolue concernant les coûts réels de la recherche et du développement, notamment par rapport à la part de la recherche publique;
6.2.2. à adopter une politique plus stricte d’autorisation de mise sur le marché:
6.2.2.1. en introduisant des critères tels que la valeur thérapeutique ajoutée (par rapport aux traitements existants) ou une «clause du besoin», impliquant qu’un médicament soit également évalué en fonction du besoin médical;
6.2.2.2. en rendant obligatoire la publication des résultats de tous les tests cliniques relatifs au médicament pour lequel l’autorisation est demandée;
6.2.2.3. le cas échéant, en envisageant que seuls les médicaments qui répondent à de tels critères et exigences soient remboursés par le système de sécurité sociale;
6.2.3. à assurer que les médicaments dont l’efficacité a été établie restent sur le marché, en recourant, le cas échéant, à une licence obligatoire, moyennant le paiement de royalties;
6.2.4. à établir un fonds public pour financer une recherche indépendante, orientée vers les besoins de santé non couverts, y compris dans le domaine des maladies rares et des maladies pédiatriques.
7. L’Assemblée invite les Etats membres à interdire tout accord entre les entreprises pharmaceutiques dont le but serait de retarder, sans justification médicale, la mise sur le marché de médicaments génériques.
8. L’Assemblée invite les Etats membres à imposer des sanctions dissuasives pour toute illégalité commise par une entreprise pharmaceutique, le cas échéant en lui imposant une amende à concurrence d’un certain pourcentage de son chiffre d’affaires.
9. Afin d’assurer la viabilité des systèmes de santé et l’accessibilité de médicaments abordables et innovateurs dans le long terme, l’Assemblée en appelle à l’Organisation mondiale de la santé pour qu’elle propose des alternatives au modèle actuel d’innovation pharmaceutique fondé sur les brevets.
10. Enfin, l’Assemblée invite l’industrie pharmaceutique, sociétés et associations comprises, à intensifier ses efforts pour accroître la transparence ainsi que sa coopération avec les autorités publiques dans le domaine de la santé.