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Résolution 2072 (2015)
Après Dublin: le besoin urgent d'un véritable système européen d'asile
1. En leur qualité de Parties à la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe ont l’obligation de protéger les réfugiés.
Pour déterminer qui doit bénéficier de cette protection et éviter
ainsi toute violation de cette obligation, il est nécessaire d’examiner individuellement
les demandes d’asile.
2. Le règlement de Dublin est un instrument juridique de l’Union
européenne qui établit un système pour identifier définitivement
le pays participant auquel il revient d’examiner une demande donnée.
Avec d’autres instruments et dispositifs, il fait partie du régime
d’asile européen commun (RAEC) de l’Union européenne. Son but premier
est de répondre aux problèmes des demandes d’asile multiples dans
différents pays («asylum shopping»)
et des «réfugiés en orbite». Il est crucial de résoudre ces problèmes
pour que le RAEC fonctionne comme il le devrait.
3. Cependant, depuis l’adoption de la version initiale de la
Convention de Dublin, en 1990, l’échelle, la nature et le point
de convergence des migrations massives vers l’Union européenne ont
considérablement changé, avec des conséquences particulièrement
dramatiques ces dernières années, et notamment au cours des dernières
semaines. De plus, la répartition des demandeurs d’asile entre les
pays participants est extrêmement inégale, dans de nombreux cas
simplement en raison de leur situation géographique. Ainsi, en 2014,
cinq pays participants ont traité 72% de l’ensemble des demandes.
4. Le système de Dublin n’a pas pour vocation ni ne peut servir
de mécanisme de «répartition de la charge» afin de contrebalancer
cette iniquité. Au contraire, l’iniquité est aggravée par les transferts
de demandeurs d’asile effectués selon le critère du «franchissement
irrégulier de la frontière» en application du règlement de Dublin.
Il s’agit là du critère le plus fréquemment invoqué et en vertu
duquel les demandeurs d’asile sont transférés dans le pays de première
entrée sur le territoire de l’Union européenne. Le système de Dublin
est ainsi devenu un symbole d’injustice et de manque de solidarité
de la politique européenne d’asile, et en particulier du RAEC, qui
est dépourvu de tout mécanisme efficace compensatoire pour redistribuer
la charge.
5. Les dysfonctionnements inhérents au système de Dublin ont
des effets préjudiciables qui dépassent les frontières de l’Union
européenne. L’élément essentiel du système, qui prévoit le transfert
des réfugiés dans le premier pays d’entrée dans l’Union européenne,
est source d’une injustice supplémentaire souvent occultée: parfois,
le premier pays d’entrée dans l’Union européenne a tendance à rejeter
artificiellement les demandes d’asile, afin de pouvoir renvoyer
les demandeurs d’asile dans le dernier pays de transit où ils se
trouvaient avant leur entrée dans l’Union européenne. Cela fait
peser, sur les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont
pas membres de l’Union et qui sont principalement situés sur les
principaux axes de transit, une charge supplémentaire injuste.
6. De plus, la mise en œuvre du système de Dublin a entraîné
dans un certain nombre de cas des violations des droits de l’homme
des demandeurs d’asile, comme le droit de ne pas être soumis à des
traitements inhumains ou dégradants, le droit de ne pas être détenu
arbitrairement, le droit au respect de la vie privée et familiale,
le droit à un recours effectif et l’interdiction des expulsions
collectives. Certaines de ces violations ont été constatées par
des décisions de justice rendues à l’échelon national ou européen.
Le système de Dublin peut aussi plonger les demandeurs d’asile dans
une longue période d’incertitude et de précarité avant que l’Etat
auquel il revient d’examiner leur demande soit identifié; cette
situation peut encore se prolonger lorsque l’intéressé est transféré
dans un pays où les procédures d’asile sont très longues.
7. Nombre de ces problèmes sont causés par des déficiences dans
l’application d’autres éléments du RAEC, en particulier le règlement
Eurodac relatif au prélèvement des empreintes digitales des demandeurs d’asile
(Règlement (UE) no 603/2013), la directive
sur les conditions d’accueil (Directive 2013/33/UE) et la directive
sur les procédures d’asile (Directive 2013/32/UE) qui peuvent faire
obstacle à la bonne application du système de Dublin. En effet,
le fait que le transfert des demandeurs d’asile vers un pays donné
constitue une charge est une incitation perverse à ne pas respecter
strictement ces autres instruments. Dans le cas des directives relatives
aux conditions d’accueil et aux procédures d’asile, cela se fait
largement au détriment de la protection accordée aux demandeurs
d’asile.
8. L’Assemblée parlementaire a déjà fait part de ses critiques
au sujet du fonctionnement du système de Dublin, notamment dans
sa Résolution 2000 (2014) sur
l’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les côtes italiennes,
sa Résolution 1918 (2013) «Migrations
et asile: montée des tensions en Méditerranée orientale», et sa Résolution 1820 (2011) «Demandeurs
d’asile et réfugiés: pour un partage des responsabilités en Europe»,
et conclut que le système de Dublin ne fonctionne pas comme il faut.
Il n’est pas efficace et certainement pas efficient dans la réalisation
de ses buts premiers; son fonctionnement concret génère un coût humain
élevé et inacceptable pour les demandeurs d’asile, et des coûts
pour les Etats participants du fait des ressources qu’ils doivent
mobiliser pour se conformer à ses procédures longues et compliquées,
alors qu’il ne fait qu’aggraver la répartition inéquitable des responsabilités.
De plus, il est difficile de voir comment le système de Dublin pourrait
fonctionner comme il est censé le faire puisqu’il repose sur la
présomption toujours non confirmée que tous les pays participants
sont capables d’assurer la protection des demandeurs d’asile et
de traiter correctement le nombre de demandes qu’ils reçoivent.
En fait, des événements récents en Allemagne, en Autriche, en Hongrie
et ailleurs montrent que le système de Dublin s’est déjà effondré
et doit être réformé de toute urgence.
9. Le système de Dublin, qui comprend le règlement lui-même et
son application concrète, doit donc être réformé d’urgence, tout
comme d’ailleurs le RAEC dans son ensemble. Sans une réforme de
grande envergure, il y a un risque que les pays participants suspendent
l’application du système de Dublin ou s’en retirent, ce qui sèmerait
le chaos et la confusion. L’Assemblée se félicite que la Commission
européenne ait décidé de procéder à une évaluation du système de
Dublin en 2016 et prend note des conclusions du Conseil européen
du 26 juin 2015. Néanmoins, de nombreuses mesures nécessaires peuvent
et doivent être prises dès à présent, tandis que se profile déjà
la nécessité d’autres mesures, plus ambitieuses. Si une réforme
du système de Dublin ne peut répondre à toutes les questions soulevées
par les flux migratoires mixtes à destination et aux alentours de
l’Europe que nous connaissons aujourd’hui, l’incapacité à le réformer
anéantira tous les autres efforts entrepris pour traiter le problème
et mettra en danger l’ensemble du RAEC. C’est la solidarité politique
de l’Europe qui est en jeu.
10. En conséquence, s’agissant de la mise en œuvre du système
de Dublin et des instruments qui y sont associés, l’Assemblée recommande
à l’Union européenne et à ses Etats membres:
10.1. d’inclure un système contraignant permanent de répartition
des demandeurs d’asile entre les Etats membres, qui utilise une
clé de répartition obligatoire équitable, tout en prenant en compte
les perspectives d’intégration, et les besoins et circonstances
spécifiques des demandeurs d’asile eux-mêmes;
10.2. d’appliquer strictement les critères de responsabilité
liés à la famille et les dispositions relatives à l’intérêt supérieur
de l’enfant, notamment celles concernant les mineurs non accompagnés,
afin de faciliter le regroupement familial au-delà de la famille
nucléaire;
10.3. d’appliquer de manière équitable, bienveillante et souple
la clause humanitaire, et celle relative aux personnes dépendantes,
en prenant davantage en compte les préférences des demandeurs d’asile;
10.4. d’appliquer avec rigueur les clauses discrétionnaires
lorsqu’un transfert serait incompatible avec des obligations découlant
du droit international;
10.5. d’éviter le recours automatique au critère de «franchissement
irrégulier de la frontière» pour renvoyer les demandeurs d’asile
dans le pays de première entrée;
10.6. d’utiliser de manière extrêmement proactive le mécanisme
d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise pour anticiper
la mise sous pression critique exercée sur le régime d’asile des
pays participants ou les problèmes pouvant affecter ce système;
10.7. d’assurer l’harmonisation des procédures et des normes
nationales en matière d’asile par la mise en œuvre complète, effective
et cohérente de la directive relative aux procédures d’asile, de
la directive relative aux conditions d’accueil et de la directive
relative aux conditions à remplir pour pouvoir bénéficier d’une
protection internationale (Directive 2011/95/UE);
10.8. de renforcer et d’utiliser davantage les ressources disponibles
de mécanismes financiers tels que le Fonds « Asile, migration et
intégration »;
10.9. de davantage partager l’expertise et l’assistance technique,
notamment par le biais du Bureau européen d’appui en matière d’asile;
10.10. d’exécuter rapidement et pleinement les arrêts pertinents
de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice
de l’Union européenne.
11. S’agissant du contexte plus large dans lequel s’inscrit le
système de Dublin et dont il dépend, l’Assemblée recommande:
11.1. que les procédures nationales
d’octroi du statut de réfugié fassent l’objet d’une supervision
plus stricte, en vue d’une reconnaissance mutuelle des décisions
nationales d’octroi du statut; ou autrement, que soit mis en place
un traitement «conjoint» des demandes d’asile, ce qui aurait l’avantage
de contribuer au partage des charges;
11.2. que les réfugiés dont le statut est reconnu soit relocalisés
par le biais de procédures automatiques appropriées, dans des proportions
permettant d’assurer un partage équitable des charges entre les
Etats participants;
11.3. que soit créé un statut de «réfugié européen» pour les
bénéficiaires de la protection internationale, ce qui permettrait
le transfert de résidence et de l’exercice d’autres droits entre
les différents Etats; ou autrement, que soit ramenée à deux ans
la période permettant aux bénéficiaires de la protection internationale
d’être couverts par la directive relative aux résidents de longue
durée (Directive 2003/109/CE).
12. L’Assemblée appelle l’Union européenne et ses Etats membres
à réviser d’urgence le règlement de Dublin. A cette fin, elle recommande,
notamment:
12.1. que la proposition
législative de la Commission européenne visant à lever l’ambiguïté
de la disposition régissant la responsabilité du traitement des
demandes d’asile déposées par des mineurs non accompagnés soit adoptée
rapidement;
12.2. qu’il soit envisagé de retirer le critère de «franchissement
irrégulier de la frontière» pour déterminer quel Etat est responsable
d’une demande d’asile;
12.3. qu’il soit envisagé de mettre en place la notion de «demandes
manifestement fondées», afin d’accélérer la procédure d’asile;
12.4. prenant en compte les recommandations précédentes, qu’une
évaluation immédiate du système de Dublin, couvrant les Etats membres
de l’Union européenne et les Etats membres du Conseil de l’Europe
qui ne sont pas membres de l’Union et sont situés sur les axes de
transit, soit effectuée, et que cette évaluation considère de manière
globale l’ensemble des effets et le contexte plus large dans lequel s’inscrit
le système de Dublin.