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Addendum au rapport | Doc. 13824 Add. | 28 janvier 2016
La corruption judiciaire: nécessité de mettre en œuvre d’urgence les propositions de l’Assemblée
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
1. Introduction
1. Ce document est un addendum
au rapport consacré à «La corruption judiciaire: nécessité de mettre
en œuvre d’urgence les propositions de l’Assemblée» (rapporteur:
M. Kimmo Sasi, Finlande, PPE/DC), qui a été approuvé par la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme lors de sa réunion
d’Erevan (Arménie) le 19 mai 2015, à l’occasion de laquelle la commission
a également adopté un projet de résolution et un projet de recommandation
sur ce sujet. Le présent addendum vise à mettre à jour les informations contenues
dans le rapport précité, en évoquant les récents travaux du Conseil
de l’Europe et de la Commission européenne depuis mai 2015 et, dans
la mesure du possible, les récentes affaires de corruption judiciaire survenues
dans des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les faits nouveaux
mentionnés ici ne sont pas exhaustifs, mais illustrent la corruption
judiciaire telle qu’elle se présente dans certains pays. Ils mettent
en évidence l’urgence et la pertinence de la poursuite des travaux
sur la corruption judiciaire, en vue de lutter contre la corruption
dans d’autres domaines. Il semble que les problèmes les plus récurrents
soient ceux de la corruption des fonctionnaires de la justice et
la politisation des systèmes judiciaires, où une influence politique excessive
s’exerce sur les nominations des juges et les décisions de justice.
2. Après l’adoption par la commission du projet de résolution
et du projet de recommandation qui figurent dans le rapport de M.
Sasi, le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) a présenté
son rapport annuel et l’a adopté le 16 juin 2015. Le GRECO a souligné
qu’il était indispensable de garantir l’indépendance du ministère
public vis-à-vis du pouvoir exécutif et de disposer d’un code de
conduite uniforme des procureurs . Il a également publié des
rapports supplémentaires (sur la Grèce, le Monténégro et la Serbie)
établis dans le cadre de son Quatrième Cycle d’évaluation, «Prévention
de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs».
3. La Cour européenne des droits de l’homme n’a rendu aucun arrêt
portant sur une affaire de corruption judiciaire depuis l’adoption
par la commission du rapport de M. Sasi.
4. La Conférence des Etats Parties à la Convention des Nations
Unies contre la corruption a adopté, lors de sa sixième session
en novembre 2015, une résolution qui appelle les Etats Parties à:
«renforcer l’intégrité de l’ensemble du système de justice pénale, conformément à l’appel lancé dans le paragraphe 5 (d) de la Déclaration de Doha sur l’intégration de la prévention de la criminalité et de la justice pénale dans le programme d’action plus large de l’Organisation des Nations Unies visant à faire face aux problèmes sociaux et économiques et à promouvoir l’Etat de droit aux niveaux national et international et la participation du public, tout en gardant à l’esprit l’indépendance du pouvoir judiciaire .»
5. L’Office des Nations Unies
contre la drogue et le crime (ONUDC) a déjà élaboré, en mars 2015,
le «Guide de mise en œuvre et cadre d’évaluation de l’article 11»,
qui donne un certain nombre de conseils en vue de renforcer l’intégrité
de la justice .
2. Vue d’ensemble par pays
2.1. Albanie
6. L’Assemblée a fait part de
ses préoccupations au sujet de la corruption généralisée de la justice
dans sa Résolution 2078
(2015) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(octobre 2014-août 2015) et a observé «la persistance d’une corruption
endémique à plusieurs niveaux de la société albanaise, la politisation
constante de la fonction publique, et le manque d’indépendance et
d’impartialité du système judiciaire». Elle a par conséquent appelé
les autorités albanaises à «mettre en œuvre une réforme complète du
système judiciaire, y compris du ministère public».
7. S’agissant de l’Union européenne, la Commission européenne
a publié le 10 novembre 2015 un rapport qui présente son évaluation
des avancées réalisées par l’Albanie l’année passée en vue de son
adhésion à l’Union européenne et fixe un certain nombre de lignes
directrices pour les réformes. La corruption de la justice est qualifiée
dans le rapport de «problème extrêmement préoccupant» et la réforme
de la justice représente l’une des cinq conditions auxquelles l’Albanie
est soumise pour obtenir le statut d’Etat candidat. La Commission
européenne indique que:
«La prise de mesures substantielles s’impose pour renforcer la transparence et l’obligation de rendre des comptes et pour mettre en œuvre les recommandations pertinentes formulées par le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) dans son rapport d’évaluation du quatrième cycle sur la prévention de la corruption des juges et des procureurs .»
8. Le rapport constate également
l’insuffisance de l’obligation faite aux juges et aux procureurs
de rendre des comptes .
Il souligne par ailleurs que:
«En 2015 ont été prononcées pour la première fois une condamnation dans une affaire de corruption dans laquelle un maire était impliqué et une condamnation en appel d’un juge pour des faits de corruption. Les services du procureur général ont révoqué un procureur pour une infraction de corruption .»
9. En octobre 2015, un juge et
un avocat du tribunal d’instance de Lezha ont été condamnés à une
peine de quatre ans d’emprisonnement pour complicité de «corruption
passive de juges et de fonctionnaires de la justice» et «corruption
active de juges et de fonctionnaires de la justice» dans une affaire
traitée par le tribunal d’instance de Lezha. Les deux intéressés
ont été reconnus coupables d’avoir demandé à un prévenu de leur verser
200 000 LEK pour éviter d’être condamné à une peine d’emprisonnement.
2.2. Azerbaïdjan
10. Dans sa Résolution 2062 (2015) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Azerbaïdjan, adoptée le 23 juin 2015, l’Assemblée a rappelé que
«l’indépendance de l’appareil judiciaire est l’une des conditions
fondamentales de la séparation des pouvoirs et de l’équilibre entre
ceux-ci» et a fait part de sa préoccupation au sujet du fait que
«le pouvoir exécutif continuerait à exercer une influence indue»
sur l’appareil judiciaire. Elle a également appelé les autorités
azerbaïdjanaises à «garantir l’indépendance de la justice et des
juges, et à empêcher et s’abstenir d’exercer sur eux de quelconques
pressions», ainsi qu’à mettre un terme aux «poursuites à motivation
politique».
11. Tout en reconnaissant les «modifications législatives récentes
réduisant de cinq à trois ans la période probatoire pour les juges»,
l’Assemblée rappelle que «la Commission de Venise s’est toujours
opposée à l’existence de périodes probatoires pour les juges et
ne les tolère que sous certaines conditions rigoureuses». Elle a
également recommandé de renforcer encore le rôle joué par le Conseil
supérieur de la magistrature dans la nomination de toutes les catégories
de juges et de présidents de tribunal. L’Assemblée s’inquiète de l’ouverture
de poursuites pénales sur la base d’arguments juridiques douteux
et l’imposition de peines disproportionnées, ainsi que du recours
à la détention provisoire pour punir les personnes qui critiquent
le gouvernement, comme le précise la Cour européenne des droits
de l’homme dans son arrêt rendu dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan, où
elle a conclu à la violation de l’article 18 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention»).
2.3. Bosnie-Herzégovine
12. La Commission européenne a
publié le 10 novembre 2015 un rapport dans lequel elle évalue les avancées
réalisées par la Bosnie-Herzégovine l’année passée en vue de son
adhésion à l’Union européenne. Elle y recommande d’améliorer le
cadre légal de la protection des donneurs d’alerte . Elle invite par ailleurs instamment
la Bosnie-Herzégovine à renforcer l’indépendance et l’efficacité
des tribunaux. Elle fait en effet remarquer que:
«Bien que l’indépendance et l’autonomie externes et internes soient prévues par la législation, il n’existe aucune surveillance effective de leur mise en œuvre. Aucune procédure officielle n’est engagée pour sanctionner l’influence excessive ou les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la justice .»
2.4. Chypre
13. En octobre 2015, le procureur
général adjoint a été démis de ses fonctions pour conduite inappropriée et
conflit d’intérêts, par une décision présidentielle prise en exécution
d’une décision du Conseil supérieur de la magistrature . Son procès pour corruption et pots-de-vin
est toujours en cours. Cela dit, le fait même qu’une telle affaire
ait occupé le devant de la scène et n’ait pas été étouffée montre
que Chypre prend la lutte contre la corruption judiciaire très au
sérieux.
2.5. Géorgie
14. Dans sa Résolution 2078 (2015), l’Assemblée a fait part de ses préoccupations à l’égard
des «lacunes structurelles dans les procédures judiciaires qui,
dans certains cas, notamment concernant des personnalités de l’opposition,
nuisent au respect des garanties d’un procès équitable» en Géorgie;
elle appelle «les autorités géorgiennes à poursuivre la réforme
du système judiciaire, notamment du ministère public, en vue de
mettre en place un appareil judiciaire réellement indépendant».
Dans sa Résolution 2077
(2015) sur l'abus de la détention provisoire dans les
Etats parties à la Convention européenne des droits de l'homme,
l’Assemblée fait également état des motifs abusifs du recours à
la détention provisoire en Géorgie, qui vise par exemple à neutraliser
des concurrents politiques.
15. La Commission de Venise, le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et le Conseil consultatif de procureurs
européens (CCPE) ont publié un avis conjoint sur le projet de modification
de la loi relative au ministère public de Géorgie. La Commission
de Venise estime notamment que le projet de loi «doit impérativement
contenir des garanties suffisantes de l’indépendance du Conseil»
des procureurs et que «les critères de nomination du Procureur général
devraient être clairs et fondés sur des qualifications et une expérience
spécifiées dans le projet de loi» .
La Commission de Venise ajoute également que «la loi devrait en
particulier inclure des dispositions relatives à la nomination,
à la promotion et à la révocation des procureurs, ainsi qu’aux mesures
disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet» .
2.6. Grèce
16. Le GRECO a publié en octobre
2015 son rapport d’évaluation sur la Grèce, dans le cadre de son Quatrième
Cycle d’évaluation. Il a invité instamment les autorités grecques
à revoir la procédure de sélection et la durée de la plupart des
fonctions supérieures des juges et procureurs, afin de renforcer
leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Il recommande la mise
en place d’un «corpus de normes claires en matière de conduite et
d’intégrité professionnelle (…) pour les juges et procureurs» et
le développement de la formation aux questions relatives à l’intégrité
pour les juges et les procureurs» .
Il s’inquiète également du retard accumulé dans les affaires, qui
génère un risque supplémentaire d’ingérence excessive, par exemple
pour accélérer la procédure .
2.7. Hongrie
17. Le GRECO a publié en juillet
2015 son rapport d’évaluation sur la Hongrie, dans le cadre de son Quatrième
Cycle d’évaluation. Il recommande, au sujet du ministère public,
de prendre davantage de mesures pour veiller à l’existence de freins
et contrepoids destinés à prévenir les risques de pratiques répréhensibles et
de corruption. Il a également soulevé la question de l’obligation
de rendre des comptes faite aux procureurs ordinaires, en proposant
que les procédures disciplinaires engagées à leur encontre soient
plus transparentes et liées à une obligation plus étendue de rendre
des comptes. Le GRECO salue l’adoption récente d’un code d’éthique
des juges et propose de le revoir pour y renforcer «les orientations
sur les conflits d'intérêts et autres questions liées à l'intégrité,
telles que les cadeaux, la récusation, les contacts avec des tiers,
etc.». Il s’inquiète également de l’absence de formation des juges
aux questions d’éthique .
2.8. «L'ex-République yougoslave de Macédoine»
18. Le 10 novembre 2015, la Commission
européenne a publié un rapport dans lequel elle évalue les mesures
prises par «l'ex-République yougoslave de Macédoine» au cours l’année
passée en vue de son adhésion à l’Union européenne. Elle fait ainsi
remarquer que:
«Il convient de donner suite aux allégations généralisées de politisation et d’ingérence politique de l’exécutif et des partis politiques au pouvoir dans l’activité des services répressifs et de la justice. Les communications interceptées ont révélé la participation de membres du Gouvernement et de hauts fonctionnaires à des abus de pouvoir et des actes de corruption dans les marchés publics, l’urbanisme, le financement des partis politiques et la fonction publique, ainsi qu’à des actes d’ingérence dans l’indépendance de la justice, les médias et les élections. La réticence des services répressifs, y compris des services du ministère public, à donner suite à ces révélations avec diligence et détermination est préoccupante .»
19. Le Parlement de «l'ex-République
yougoslave de Macédoine» prévoit d’adopter une loi relative à la protection
des donneurs d’alerte à la suite d’une affaire d’écoutes, qui a
révélé la probable considérable étendue de l’ingérence et de la
corruption des milieux politiques. Ces révélations ont entraîné
d’énormes manifestations dans le pays . A l’issue de négociations engagées
entre l’opposition et le gouvernement sous l’égide de l’Union européenne,
une procureure spéciale a été nommée pour vérifier ces allégations
de surveillance illégale. Afin de garantir son indépendance, elle
sera soumise à la hiérarchie classique du ministère public .
2.9. Italie
20. Le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels des Nations Unies a invité instamment l’Italie «notamment
à garantir la transparence et l’indépendance de ses institutions
en charge de la lutte contre la corruption, à enquêter sur toutes
les allégations de corruption et à veiller à la mise en œuvre effective
de la législation relative à la lutte contre la corruption» .
Une affaire permet d’illustrer ce propos: Silvana Saguto, juge à
Palerme, fait actuellement l’objet d’une enquête pour corruption
et abus de fonction. Elle aurait «octroyé des postes et des salaires
à des administrateurs de la justice “en échange d’emplois et d’activités
de conseil au profit de proches parents”» .
21. La Chambre des députés italienne examine en ce moment un projet
de loi visant à protéger les donneurs d’alerte .
2.10. Kosovo*
22. Le 10 novembre 2015, la Commission
européenne a publié un rapport dans lequel elle évalue les mesures
prises par le Kosovo au cours l’année passée en vue de son adhésion
à l’Union européenne. Elle observe que «des mesures supplémentaires
doivent être prises pour garantir l’indépendance de la justice en droit
et en fait, prévenir et réprimer la corruption qui y sévit, ainsi
que pour recruter et former davantage de personnel qualifié» .
2.11. Malte
23. Dans un rapport d’évaluation
établi dans le cadre de son Quatrième Cycle d’évaluation et publié
en juin 2015, le GRECO fait observer qu’à Malte:
«des scandales récents impliquant des juges ont quelque peu flétri la bonne réputation qui lui était reconnue depuis toujours, et déclenché un débat sur les questions d’intégrité et de contrôle en son sein .»
Le GRECO a par ailleurs critiqué l’absence de procédure officielle de nomination, d’avis de candidature et d’entretien d’embauche, ce qui génère un sentiment de corruption ou d’influence politique excessive.
2.12. République de Moldova
24. L’Assemblée a appelé le Parlement
moldave à adopter les modifications de la Constitution qui s’imposent
à propos de «la désignation du procureur général» et d’adopter «la
loi sur le ministère public» . Le procureur
général est actuellement nommé par le parlement. Afin de limiter
la politisation de la procédure de nomination, «le ministère moldave
de la Justice a récemment proposé un nouveau projet de loi qui imposerait
la nomination du procureur général par le Président, parmi une liste
de candidats proposés par le Conseil supérieur des procureurs (instance
professionnelle)» .
Ce projet de loi a été examiné pendant l’été 2015, mais n’a pas
été adopté. La réforme du système judiciaire a été reportée, tandis
qu’un groupe de travail nouvellement constitué a été chargé de proposer
une réforme de l’ensemble du système de lutte contre la corruption
avant fin novembre 2015 .
25. L’Assemblée a également observé avec préoccupation «l’impunité
qui prévaut en matière de corruption, comme en témoigne le peu de
condamnations prononcées à ce titre en République de Moldova» .
2.13. Monténégro
26. L’Assemblée estime que le Monténégro
a réalisé des progrès considérables en matière d’indépendance de
la justice et de lutte contre la corruption. Elle a en particulier
fait remarquer que:
«La mise en œuvre des lois sur les tribunaux, les droits et devoirs des juges, le Conseil de la magistrature (…) et le ministère public, qui (…) ont ensuite été adoptées en 2015, est essentielle pour garantir un système judiciaire et une magistrature efficaces et réellement indépendants .»
27. Le GRECO a publié en août 2015
un rapport d’évaluation sur le Monténégro dans le cadre de son Quatrième
Cycle d’évaluation. Il reconnaît les mesures prises pour lutter
contre la corruption, mais observe que cette dernière reste très
préoccupante au Monténégro. Parmi les problèmes mis en avant dans
le rapport figurent:
- les conflits d’intérêts: la loi relative à la prévention des conflits d’intérêts est applicable aux juges et aux procureurs, mais elle n’est pas mise en œuvre de manière effective par la Commission de prévention des conflits d’intérêts. Au 1er janvier 2016, cette mise en œuvre relèvera de la compétence de l’Agence de prévention de la corruption;
- l’influence politique exercée sur le Conseil supérieur de la magistrature: le GRECO recommande que le Monténégro prenne des mesures supplémentaires pour renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, sur le plan aussi bien de son indépendance réelle que de la manière dont cette indépendance est ressentie par les justiciables;
- le manque de transparence des activités du ministère public: le GRECO recommande de renforcer sa transparence en adoptant une stratégie de communication publique et en développant une formation pertinente .
2.14. Serbie
28. Dans son rapport d’évaluation
sur la Serbie établi dans le cadre de son Quatrième Cycle d’évaluation, le
GRECO recommande à ce pays de modifier «la composition du Haut Conseil
judiciaire, notamment en excluant l'Assemblée nationale du processus
d'élection de ses membres [et de] prendre des mesures pertinentes
pour développer le rôle du Haut Conseil judiciaire en tant que véritable
organe autonome agissant de manière proactive et transparente» .
29. Le 10 novembre 2015, la Commission européenne a formulé des
recommandations similaires en publiant un rapport qui évalue les
mesures prises par la Serbie en vue de satisfaire aux exigences
de l’Union européenne. Elle observe que, bien que des «codes d’éthique
soient en place pour les juges, les procureurs et les avocats»,
«aucun programme d’intégrité n’est prévu pour la magistrature» et
«l’intégrité ne représente pas un critère habituel de la procédure
de sélection et de nomination» . Ces lacunes permettent par conséquent
aux milieux politiques d’exercer une influence sur la nomination
des magistrats.
30. La Commission européenne recommande par conséquent à la Serbie
de «coordonner le processus de réforme de la justice, en comblant
les lacunes qui existent sur le plan de l’indépendance, de l’obligation
de rendre des comptes et de l’efficacité du système judiciaire,
ainsi que de veiller à sa mise en œuvre effective» .
2.15. Turquie
31. Dans sa Résolution 2078 (2015), l’Assemblée appelle les autorités turques à «respecter
et à renforcer l’indépendance du système judiciaire et du ministère
public».
32. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
dans un rapport présenté à l’Assemblée et intitulé «L'abus de la
détention provisoire dans les Etats Parties à la Convention européenne des
droits de l'homme», a mis en avant un fait nouveau inquiétant, à
savoir la révocation, le 12 mai 2015 par le Conseil supérieur de
la magistrature (HSYK), de juges et procureurs qui avaient pris
part en décembre 2013 à une enquête anticorruption dans laquelle
des personnes proches des membres du gouvernement étaient impliquées.
Elle a souligné que:
«Cette décision survient peu de temps après la suspension par le HSYK et l’arrestation de deux juges qui avaient refusé de prolonger la détention provisoire d’un journaliste et d’un certain nombre de fonctionnaires de police, le premier ayant couvert les enquêtes de lutte contre la corruption et les seconds y ayant pris part. De nombreux professionnels du droit, ainsi qu’un ancien ministre de la Justice, auraient vivement critiqué ces décisions, considérées comme des sanctions infligées à des juges et à des procureurs pour leurs décisions judiciaires et comme l’expression de l’influence du pouvoir politique sur le HSYK .»
33. Le 10 novembre 2015, la Commission
européenne a publié un rapport qui évalue les mesures prises par
la Turquie pour satisfaire aux exigences de l’Union européenne.
Elle a également souligné que «l’influence excessive exercée par
l’exécutif sur l’enquête et les poursuites engagées dans des affaires
de corruption qui ont un grand retentissement reste une source de
vives préoccupations» . Elle a recommandé à la Turquie
de «renforcer l’indépendance du ministère public et des services
répressifs dans les affaires de corruption à haut niveau» .
2.16. Ukraine
34. La Commission de Venise a rendu
un avis sur un projet de modification de la Constitution ukrainienne, qui
visait notamment à lutter contre la corruption au sein de la magistrature.
Elle s’est félicitée de la suppression du pouvoir de nomination
des juges autrefois conféré à la Verkhovna Rada, «de la réforme
du ministère public, des garanties de son indépendance (…) et de
la suppression de ses compétences de supervision non pénales» .
35. L’Assemblée a fait part en octobre 2015 de ses préoccupations
au sujet du «report de la mise en œuvre de la loi sur le procureur
général» et a appelé les autorités ukrainiennes à «poursuivre les
réformes de la justice et anticorruption» .
3. Conclusion: travaux thématiques pertinents réalisés ces derniers temps et en ce moment
36. La mise à jour à laquelle nous
venons de procéder pour les différents pays montre que le problème
de la corruption judiciaire demeure extrêmement important dans de
nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Le fait que les affaires
de corruption judiciaire occupent le devant de la scène et conduisent
à l’engagement de poursuites et au prononcé de condamnations représente
bel et bien un signe positif pour les pays concernés, car il indique
que les pratiques de corruption au sein des tribunaux ne sont pas,
ou ne sont plus, tolérées ni étouffées.
37. Outre cette présentation de l’évolution propre à chaque pays,
l’Assemblée a récemment adopté deux rapports thématiques qui sont
tout aussi pertinents pour le respect de la lutte contre la corruption
judiciaire.
38. Premièrement, le rapport sur «L'abus de la détention provisoire
dans les Etats parties à la Convention européenne des droits de
l'homme» souligne à quel point la corruption de la magistrature
représente une menace pour la démocratie et l’Etat du droit et observe
que «la détention provisoire sans contrôle efficace génère des occasions
de corruption et, plus généralement, nuit à la confiance de l’opinion
publique dans le bon fonctionnement du système judiciaire pénal» .
39. Deuxièmement, le rapport «Améliorer la protection des donneurs
d’alerte» (rapporteur: Pieter Omtzigt, Pays-Bas, PPE/DC) rappelle
que la protection efficace des donneurs d’alerte est essentielle
à la transparence et la bonne gouvernance; elle est aussi un outil
précieux de lutte contre la corruption, y compris au sein de la justice.
La législation et les initiatives relatives à la protection des
donneurs d’alerte ne se limitent pas à la corruption judiciaire,
mais la plupart d’entre elles visent également les membres de la
magistrature, en leur qualité d’agents du secteur public. L’Assemblée
a adopté le 23 juin 2015 la Résolution
2060 (2015) «Améliorer la protection des donneurs d’alerte»,
qui appelle à l’élaboration et à l’adoption d’un instrument juridique contraignant
consacré à la protection des donneurs d’alerte.
40. L’Initiative régionale contre la corruption (RAI) a publié
en juin 2015, en partenariat avec Blueprint for Free Speech, une
vue d’ensemble de la législation, de la pratique et des initiatives
récentes relatives à la protection des donneurs d’alerte en Europe
du Sud-Est . Un certain nombre d’initiatives
ont été prises en République tchèque, en Italie et en France pour
élaborer et adopter une législation en matière de protection des
donneurs d’alerte. En Serbie, une nouvelle loi relative à la protection
des donneurs d’alerte est entrée en vigueur en juin 2015 .
41. Enfin et surtout, la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme prépare actuellement un rapport intitulé «Renforcer
l’Etat de droit dans les pays d’Europe du Sud-Est grâce à des réformes
ciblées du système judiciaire» (rapporteur: M. Bernd Fabritius,
Allemagne, PPE/DC), qui devrait traiter des questions de l’indépendance
de la justice et de la corruption, comme cela a été annoncé à l’occasion
d’une audition d’experts lors de la réunion de la commission à Erevan,
en mai dernier.