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Résolution 2087 (2016)
Les sanctions prises à l’encontre de parlementaires
1. Au cours des dernières décennies,
l’action internationale a pris une place croissante au sein des activités
des parlements nationaux, avec la multiplication des organisations
de coopération interparlementaire et des forums parlementaires internationaux,
le développement des relations parlementaires internationales bilatérales
et multilatérales – groupes d’amitié, réseaux interparlementaires
spécialisés –, des groupes d’études ou des missions d’information.
A cela s’ajoute l’accroissement de la demande de coopération interparlementaire,
notamment dans l’accompagnement du processus de transition démocratique
dans de nombreux Etats.
2. L’Assemblée parlementaire, institution emblématique de la
coopération interparlementaire en Europe, rappelle sa Résolution 1773 (2010) «Promouvoir
la diplomatie parlementaire» dans laquelle elle saluait le rôle positif
de celle-ci dans la prévention des conflits, la réduction des tensions
entre les pays, la facilitation du dialogue et la médiation.
3. L’Assemblée est vivement préoccupée par le contexte politique
actuel en Europe, où l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération
de Russie et son intervention ayant entraîné un conflit militaire
dans l’est de l’Ukraine, à la suite de la guerre entre la Russie
et la Géorgie et de l’occupation et la reconnaissance illégale de
l’indépendance des territoires géorgiens de l’Abkhazie et de l’Ossétie
du Sud, par la Fédération de Russie, ont généré un climat de méfiance
mutuelle et relancé les considérations sécuritaires au sein des
Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi que de l’Union européenne,
sur fond de «guerre des sanctions». Les sanctions directes réciproques
ainsi que les restrictions aux déplacements des parlementaires qui
en ont découlé sont particulièrement préjudiciables à la diplomatie
parlementaire.
4. L’Assemblée réaffirme le principe de l’intégrité territoriale,
de la souveraineté et de l’inviolabilité des frontières internationalement
reconnues de tous les Etats membres. A cet égard, l’Assemblée a systématiquement
condamné la violation du droit international et du Statut du Conseil
de l'Europe (STE no 1) par la Fédération
de Russie à l’égard de la Géorgie et de l’Ukraine. Elle a notamment
déploré l’action des différents membres de la Douma et du Conseil
de la Fédération de la Fédération de Russie, qui se sont prononcés
à l’unanimité en faveur de l’agression militaire, de l’occupation,
de la reconnaissance de l’indépendance et de l’annexion de portions
du territoire d’Etats membres du Conseil de l’Europe et elle a infligé les
sanctions prévues par le Statut du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée juge que les mesures restrictives dont les parlementaires
sont la cible ne sont pas compatibles avec la nature même du parlementarisme,
qui présuppose l’entretien de relations par le dialogue. Elle craint
que, avec la banalisation des sanctions individuelles, qui induit
un partage de responsabilité entre l’Etat et l’individu qui soutient
les objectifs de l’Etat, on assiste à une dérive moralisatrice du
droit international et du système de la responsabilité internationale,
faisant des sanctions individuelles, en l’absence de toute responsabilité
pénale, un complément aux sanctions classiques visant les Etats.
6. Par ailleurs, l’Assemblée constate l’existence de «listes
noires» nationales, sur lesquelles figurent des parlementaires auxquels
les Etats qui les ont établies peuvent opposer un refus de visa
ou d’entrée. Les poursuites pénales ou administratives pour violation
des lois nationales relatives à l’entrée sur le territoire doivent
respecter pleinement le droit international. L’Assemblée rappelle
que, pour légitime que soit l’affirmation par certains Etats de
leur souveraineté ou de l’intégrité de leur territoire face à des
menaces réelles ou présumées, toutes les mesures restrictives doivent
nécessairement être conformes au droit international et aux principes
de la bonne gouvernance et du respect du droit.
7. L’Assemblée souligne toutefois que les mesures qu’elle est
susceptible de prendre à l’encontre de ses délégations ou de ses
membres, à titre individuel, en vertu de son Règlement, ne relèvent
pas d’un régime de sanctions régi par le droit international. Ces
mesures devraient être envisagées comme un mécanisme pour prévenir
les violations graves des principes fondamentaux définis par le
Statut du Conseil de l'Europe et le non-respect persistant par les
Etats membres du Conseil de l'Europe de leurs obligations et engagements.
8. L’Assemblée considère que, bien que, en principe, le droit
international confère aux Etats la pleine souveraineté sur leur
territoire, l’interdiction d’entrée sur le territoire par un Etat
membre à l’encontre de parlementaires constitue une ingérence dans
l'exercice de leur droit à la liberté d'expression garantie par
la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5).
Rappelant sa Résolution
1894 (2012) sur l’inacceptabilité des restrictions à
la liberté de circulation à titre de sanction pour prises de positions
politiques, l’Assemblée réaffirme que la liberté de circulation,
corollaire de la liberté d’expression, ne saurait faire l’objet de
restrictions ou être utilisée pour sanctionner l’expression d’opinions
politiques exprimées de manière pacifique. La liberté d’expression
politique, qui fait l’objet d’une protection renforcée, ne saurait
être restreinte sans raisons impérieuses.
9. L’Assemblée se félicite du fait que, depuis l’adoption de
sa Résolution 1597 (2008) sur
les listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de
l’Union européenne, les garanties entourant le mécanisme de sanctions
ou de mesures restrictives tant au niveau des Nations Unies qu’au
niveau de l’Union européenne, notamment la procédure de contestation
ainsi que l’étendue et l’intensité du contrôle juridictionnel de
ces mesures, ont été dûment améliorées. Elle se félicite à cet égard
du contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice de l’Union
européenne sur des décisions prévoyant des mesures restrictives
à l'encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil
de l’Union européenne, et attend de la Cour de justice qu’elle clarifie
par sa jurisprudence l’étendue et la portée des garanties concernant
des personnes physiques.
10. L’Assemblée considère que toute sanction touchant une personne
physique doit répondre aux exigences de sécurité juridique et s’accompagner
des garanties procédurales appropriées. Toutefois, s’agissant de
parlementaires, même si un contrôle juridictionnel sur les mesures
d’interdiction ou de restriction imposées par des Etats tiers joue
un rôle important dans leur protection contre les décisions arbitraires,
des garanties supplémentaires doivent leur être fournies, afin de
pallier les effets préjudiciables que la restriction de déplacement
peut avoir pour l’accomplissement de leurs missions. L’Assemblée
appelle les Etats membres du Conseil de l'Europe à garantir aux
parlementaires étrangers visés par des mesures restrictives, telles
que l’inscription sur une liste d’interdiction d’entrée ou de visa,
une procédure transparente d’inscription et de recours.
11. Dans ce contexte, l’Assemblée invite les Etats membres ayant
adopté des mesures restrictives ou susceptibles de le faire:
11.1. à identifier de manière exhaustive
les dispositions régissant les mesures restrictives, les listes d’interdiction
du territoire ou les régimes spécifiques de circulation pouvant
restreindre la liberté de circulation de parlementaires étrangers;
11.2. à s’assurer qu’il existe un lien étroit entre une mesure
restrictive imposée à un parlementaire étranger et le but visé.
En particulier, les motifs de sécurité nationale ne doivent pas
être utilisés pour restreindre l’accès d’un parlementaire qui exprime
certaines positions politiques de manière pacifique;
11.3. à informer les parlementaires étrangers qui ont fait l'objet
de mesures d’interdiction ou de restriction de la mise en place
de celles-ci, ainsi que des raisons qui les ont motivées;
11.4. à garantir que les parlementaires étrangers peuvent soumettre,
dans un bref délai, leurs observations auprès de l’organe qui a
imposé ou menace d’imposer une restriction;
11.5. à suspendre l’exécution d’une mesure d’interdiction ou
de restriction tant que la procédure de contestation dirigée contre
celle-ci n’a pas abouti.
12. L’Assemblée est vivement préoccupée par les restrictions ou
interdictions de déplacement que certains Etats membres du Conseil
de l’Europe ont imposées à des membres de l’Assemblée dans l’exercice
de leur mandat, en particulier dans le cadre de missions d’observation
des élections, ou de missions de rapporteurs dûment missionnés par
elle, qu’il s’agisse du refus de délivrer un visa ou de menaces
d’arrestation ou de poursuites en application d’une législation
nationale. L’Assemblée condamne sans réserve ces restrictions qui constituent
une violation flagrante de l’Accord général sur les privilèges et
immunités du Conseil de l’Europe (STE no 2)
et son protocole additionnel (STE no 10),
et un manquement à l’engagement de coopération avec l’Assemblée.
13. Elle rappelle que, en vertu du Statut du Conseil de l'Europe
et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil
de l’Europe et de son Protocole additionnel, auxquels tous sont
parties, les Etats membres du Conseil de l'Europe se sont engagés
à reconnaître et à garantir le libre déplacement et l’immunité des
membres de l’Assemblée, et leur protection contre toutes mesures
de détention et poursuites judiciaires, prohibant ainsi à la fois
l’interdiction d’entrée ou de visas et les poursuites pour le non-respect
des règles d’entrée ou de circulation, comme la législation sur
les territoires occupés.
14. L’Assemblée rappelle fermement que, en vertu des principes
du droit international, aucun Etat ne peut se soustraire aux obligations
que lui imposent le droit international ou les traités qu’il a signés,
en invoquant les dispositions de son droit interne, quelle qu’en
soit la nature, y compris sa propre Constitution. Elle réaffirme dès
lors qu’aucun Etat membre du Conseil de l'Europe ne saurait déroger
aux obligations auxquelles il a souscrit au titre de l’Accord général
sur les privilèges et immunités et son Protocole additionnel, en
se prévalant de dispositions de son droit interne pour en justifier
la non-exécution.
15. Par conséquent, l’Assemblée demande formellement aux Etats
membres de respecter leur engagement:
15.1. de garantir le libre déplacement des membres de l’Assemblée.
Dès lors qu’un Etat membre accueille une réunion, une mission ou
une manifestation officielle organisée par l’Assemblée, celui-ci doit
faciliter la participation des membres de l’Assemblée et délivrer
les visas nécessaires à leur entrée sur son territoire, sauf disposition
contraire dans les principes du droit international;
15.2. de garantir l’immunité des membres de l’Assemblée contre
toute poursuite judiciaire ou mesure d’arrestation ou de détention,
hors cas de flagrant délit.
16. Réaffirmant avec vigueur la position qu’elle a prise dans
la Résolution 2078 (2015) sur
l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée, la Résolution 2063 (2015) sur
l’examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation
de la Fédération de Russie, et la Résolution 2034 (2015) sur la contestation,
pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés
de la délégation de la Fédération de Russie, l’Assemblée condamne
la violation par la Fédération de Russie de l’Accord général sur
les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et demande aux
autorités la remise en liberté immédiate de Nadiia Savchenko, membre
de l’Assemblée.
17. L’Assemblée considère qu’il est désormais capital que les
parlements nationaux instaurent une bonne gouvernance dans le domaine
de leurs activités internationales, s’ils souhaitent continuer à
œuvrer de manière légitime par la diplomatie parlementaire. Elle
invite les parlements nationaux des Etats membres:
17.1. à élaborer des lignes directrices
sur la conduite des relations interparlementaires multilatérales ou
bilatérales, énonçant les objectifs, les instruments et les modalités
de la coopération interparlementaire, ainsi que le cadre institutionnel
et juridique, les aspects procéduraux ou organisationnels, ou encore
des principes généraux de déontologie, les règles applicables à
la conduite des missions des parlementaires hors du cadre national
et, le cas échéant, les droits spécifiques attachés aux parlementaires
en mission;
17.2. à prévoir des formations appropriées pour les parlementaires
et le personnel concerné du Secrétariat portant sur la préparation
et la conduite des missions parlementaires à l’étranger et à procéder
à la mise à jour des principes et dispositions spécifiques définis
par la législation nationale des Etats membres du Conseil de l’Europe
et la pratique parlementaire;
17.3. à appuyer les initiatives visant à promouvoir au niveau
international la reconnaissance d’un statut international des parlementaires
et des droits et obligations susceptibles d’y être attachés, indispensable au
développement de la diplomatie parlementaire.
18. L’Assemblée invite en outre les Etats membres:
18.1. à signer et ratifier la Convention
sur les missions spéciales des Nations Unies de 1969;
18.2. à examiner sans attendre la question des droits et obligations
des parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe
en déplacement sur leur territoire, afin de leur accorder des garanties
suffisantes leur permettant d’exercer librement et efficacement
leurs fonctions en dehors du cadre national, y compris leur liberté
de circulation et liberté d’expression, ainsi que l’inviolabilité
de leur personne;
18.3. dans ce cadre, à examiner la possibilité d’accorder aux
parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe,
lorsqu’ils se trouvent sur leurs territoires en mission pour le
compte de leur parlement, les immunités reconnues aux parlementaires
de leur pays.
19. Dans ce contexte global de l’internationalisation des activités
parlementaires nationales, et alors que pèse désormais une responsabilité
accrue sur les parlementaires du fait de leurs actions et décisions,
avec la mise en cause éventuelle de leur responsabilité individuelle
en droit international, l’absence de statut et de protection spécifique
des parlementaires en droit international entretient la précarité
de leurs droits et privilèges hors du cadre national. Il convient
donc de prendre en compte la spécificité de l’action parlementaire
dans le contexte international et de renforcer la protection de
ceux qui l’exercent, notamment vis-à-vis des Etats tiers. En conséquence,
l’Assemblée invite:
19.1. l’Union
interparlementaire (UIP) à développer et à promouvoir un corpus
de règles applicables aux parlementaires qui se rendent à l’étranger
dans l’exercice de leur mandat, afin d’encadrer au niveau international
la coopération interparlementaire;
19.2. la Commission du droit international des Nations Unies
à promouvoir, dans ses travaux en cours, un cadre juridique international
global afin qu’un parlementaire visé par des mesures restrictives bénéficie
d’un véritable statut à cet égard, compte tenu de l’hétérogénéité
des garanties octroyées aux personnes visées par des sanctions,
qui sont actuellement fonction du régime juridique de l’organisation internationale
ou de l’Etat qui les a prises.