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Résolution 2087 (2016)

Les sanctions prises à l’encontre de parlementaires

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 janvier 2016 (4e séance) (voir Doc. 13944, rapport de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, rapporteur: M. Díaz Tejera). Texte adopté par l’Assemblée le 26 janvier 2016 (4e séance).Voir également la Recommandation 2083 (2016).

1. Au cours des dernières décennies, l’action internationale a pris une place croissante au sein des activités des parlements nationaux, avec la multiplication des organisations de coopération interparlementaire et des forums parlementaires internationaux, le développement des relations parlementaires internationales bilatérales et multilatérales – groupes d’amitié, réseaux interparlementaires spécialisés –, des groupes d’études ou des missions d’information. A cela s’ajoute l’accroissement de la demande de coopération interparlementaire, notamment dans l’accompagnement du processus de transition démocratique dans de nombreux Etats.
2. L’Assemblée parlementaire, institution emblématique de la coopération interparlementaire en Europe, rappelle sa Résolution 1773 (2010) «Promouvoir la diplomatie parlementaire» dans laquelle elle saluait le rôle positif de celle-ci dans la prévention des conflits, la réduction des tensions entre les pays, la facilitation du dialogue et la médiation.
3. L’Assemblée est vivement préoccupée par le contexte politique actuel en Europe, où l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie et son intervention ayant entraîné un conflit militaire dans l’est de l’Ukraine, à la suite de la guerre entre la Russie et la Géorgie et de l’occupation et la reconnaissance illégale de l’indépendance des territoires géorgiens de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, par la Fédération de Russie, ont généré un climat de méfiance mutuelle et relancé les considérations sécuritaires au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi que de l’Union européenne, sur fond de «guerre des sanctions». Les sanctions directes réciproques ainsi que les restrictions aux déplacements des parlementaires qui en ont découlé sont particulièrement préjudiciables à la diplomatie parlementaire.
4. L’Assemblée réaffirme le principe de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues de tous les Etats membres. A cet égard, l’Assemblée a systématiquement condamné la violation du droit international et du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) par la Fédération de Russie à l’égard de la Géorgie et de l’Ukraine. Elle a notamment déploré l’action des différents membres de la Douma et du Conseil de la Fédération de la Fédération de Russie, qui se sont prononcés à l’unanimité en faveur de l’agression militaire, de l’occupation, de la reconnaissance de l’indépendance et de l’annexion de portions du territoire d’Etats membres du Conseil de l’Europe et elle a infligé les sanctions prévues par le Statut du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée juge que les mesures restrictives dont les parlementaires sont la cible ne sont pas compatibles avec la nature même du parlementarisme, qui présuppose l’entretien de relations par le dialogue. Elle craint que, avec la banalisation des sanctions individuelles, qui induit un partage de responsabilité entre l’Etat et l’individu qui soutient les objectifs de l’Etat, on assiste à une dérive moralisatrice du droit international et du système de la responsabilité internationale, faisant des sanctions individuelles, en l’absence de toute responsabilité pénale, un complément aux sanctions classiques visant les Etats.
6. Par ailleurs, l’Assemblée constate l’existence de «listes noires» nationales, sur lesquelles figurent des parlementaires auxquels les Etats qui les ont établies peuvent opposer un refus de visa ou d’entrée. Les poursuites pénales ou administratives pour violation des lois nationales relatives à l’entrée sur le territoire doivent respecter pleinement le droit international. L’Assemblée rappelle que, pour légitime que soit l’affirmation par certains Etats de leur souveraineté ou de l’intégrité de leur territoire face à des menaces réelles ou présumées, toutes les mesures restrictives doivent nécessairement être conformes au droit international et aux principes de la bonne gouvernance et du respect du droit.
7. L’Assemblée souligne toutefois que les mesures qu’elle est susceptible de prendre à l’encontre de ses délégations ou de ses membres, à titre individuel, en vertu de son Règlement, ne relèvent pas d’un régime de sanctions régi par le droit international. Ces mesures devraient être envisagées comme un mécanisme pour prévenir les violations graves des principes fondamentaux définis par le Statut du Conseil de l'Europe et le non-respect persistant par les Etats membres du Conseil de l'Europe de leurs obligations et engagements.
8. L’Assemblée considère que, bien que, en principe, le droit international confère aux Etats la pleine souveraineté sur leur territoire, l’interdiction d’entrée sur le territoire par un Etat membre à l’encontre de parlementaires constitue une ingérence dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5). Rappelant sa Résolution 1894 (2012) sur l’inacceptabilité des restrictions à la liberté de circulation à titre de sanction pour prises de positions politiques, l’Assemblée réaffirme que la liberté de circulation, corollaire de la liberté d’expression, ne saurait faire l’objet de restrictions ou être utilisée pour sanctionner l’expression d’opinions politiques exprimées de manière pacifique. La liberté d’expression politique, qui fait l’objet d’une protection renforcée, ne saurait être restreinte sans raisons impérieuses.
9. L’Assemblée se félicite du fait que, depuis l’adoption de sa Résolution 1597 (2008) sur les listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne, les garanties entourant le mécanisme de sanctions ou de mesures restrictives tant au niveau des Nations Unies qu’au niveau de l’Union européenne, notamment la procédure de contestation ainsi que l’étendue et l’intensité du contrôle juridictionnel de ces mesures, ont été dûment améliorées. Elle se félicite à cet égard du contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice de l’Union européenne sur des décisions prévoyant des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil de l’Union européenne, et attend de la Cour de justice qu’elle clarifie par sa jurisprudence l’étendue et la portée des garanties concernant des personnes physiques.
10. L’Assemblée considère que toute sanction touchant une personne physique doit répondre aux exigences de sécurité juridique et s’accompagner des garanties procédurales appropriées. Toutefois, s’agissant de parlementaires, même si un contrôle juridictionnel sur les mesures d’interdiction ou de restriction imposées par des Etats tiers joue un rôle important dans leur protection contre les décisions arbitraires, des garanties supplémentaires doivent leur être fournies, afin de pallier les effets préjudiciables que la restriction de déplacement peut avoir pour l’accomplissement de leurs missions. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l'Europe à garantir aux parlementaires étrangers visés par des mesures restrictives, telles que l’inscription sur une liste d’interdiction d’entrée ou de visa, une procédure transparente d’inscription et de recours.
11. Dans ce contexte, l’Assemblée invite les Etats membres ayant adopté des mesures restrictives ou susceptibles de le faire:
11.1. à identifier de manière exhaustive les dispositions régissant les mesures restrictives, les listes d’interdiction du territoire ou les régimes spécifiques de circulation pouvant restreindre la liberté de circulation de parlementaires étrangers;
11.2. à s’assurer qu’il existe un lien étroit entre une mesure restrictive imposée à un parlementaire étranger et le but visé. En particulier, les motifs de sécurité nationale ne doivent pas être utilisés pour restreindre l’accès d’un parlementaire qui exprime certaines positions politiques de manière pacifique;
11.3. à informer les parlementaires étrangers qui ont fait l'objet de mesures d’interdiction ou de restriction de la mise en place de celles-ci, ainsi que des raisons qui les ont motivées;
11.4. à garantir que les parlementaires étrangers peuvent soumettre, dans un bref délai, leurs observations auprès de l’organe qui a imposé ou menace d’imposer une restriction;
11.5. à suspendre l’exécution d’une mesure d’interdiction ou de restriction tant que la procédure de contestation dirigée contre celle-ci n’a pas abouti.
12. L’Assemblée est vivement préoccupée par les restrictions ou interdictions de déplacement que certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont imposées à des membres de l’Assemblée dans l’exercice de leur mandat, en particulier dans le cadre de missions d’observation des élections, ou de missions de rapporteurs dûment missionnés par elle, qu’il s’agisse du refus de délivrer un visa ou de menaces d’arrestation ou de poursuites en application d’une législation nationale. L’Assemblée condamne sans réserve ces restrictions qui constituent une violation flagrante de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe (STE no 2) et son protocole additionnel (STE no 10), et un manquement à l’engagement de coopération avec l’Assemblée.
13. Elle rappelle que, en vertu du Statut du Conseil de l'Europe et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et de son Protocole additionnel, auxquels tous sont parties, les Etats membres du Conseil de l'Europe se sont engagés à reconnaître et à garantir le libre déplacement et l’immunité des membres de l’Assemblée, et leur protection contre toutes mesures de détention et poursuites judiciaires, prohibant ainsi à la fois l’interdiction d’entrée ou de visas et les poursuites pour le non-respect des règles d’entrée ou de circulation, comme la législation sur les territoires occupés.
14. L’Assemblée rappelle fermement que, en vertu des principes du droit international, aucun Etat ne peut se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités qu’il a signés, en invoquant les dispositions de son droit interne, quelle qu’en soit la nature, y compris sa propre Constitution. Elle réaffirme dès lors qu’aucun Etat membre du Conseil de l'Europe ne saurait déroger aux obligations auxquelles il a souscrit au titre de l’Accord général sur les privilèges et immunités et son Protocole additionnel, en se prévalant de dispositions de son droit interne pour en justifier la non-exécution.
15. Par conséquent, l’Assemblée demande formellement aux Etats membres de respecter leur engagement:
15.1. de garantir le libre déplacement des membres de l’Assemblée. Dès lors qu’un Etat membre accueille une réunion, une mission ou une manifestation officielle organisée par l’Assemblée, celui-ci doit faciliter la participation des membres de l’Assemblée et délivrer les visas nécessaires à leur entrée sur son territoire, sauf disposition contraire dans les principes du droit international;
15.2. de garantir l’immunité des membres de l’Assemblée contre toute poursuite judiciaire ou mesure d’arrestation ou de détention, hors cas de flagrant délit.
16. Réaffirmant avec vigueur la position qu’elle a prise dans la Résolution 2078 (2015) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée, la Résolution 2063 (2015) sur l’examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie, et la Résolution 2034 (2015) sur la contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie, l’Assemblée condamne la violation par la Fédération de Russie de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et demande aux autorités la remise en liberté immédiate de Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée.
17. L’Assemblée considère qu’il est désormais capital que les parlements nationaux instaurent une bonne gouvernance dans le domaine de leurs activités internationales, s’ils souhaitent continuer à œuvrer de manière légitime par la diplomatie parlementaire. Elle invite les parlements nationaux des Etats membres:
17.1. à élaborer des lignes directrices sur la conduite des relations interparlementaires multilatérales ou bilatérales, énonçant les objectifs, les instruments et les modalités de la coopération interparlementaire, ainsi que le cadre institutionnel et juridique, les aspects procéduraux ou organisationnels, ou encore des principes généraux de déontologie, les règles applicables à la conduite des missions des parlementaires hors du cadre national et, le cas échéant, les droits spécifiques attachés aux parlementaires en mission;
17.2. à prévoir des formations appropriées pour les parlementaires et le personnel concerné du Secrétariat portant sur la préparation et la conduite des missions parlementaires à l’étranger et à procéder à la mise à jour des principes et dispositions spécifiques définis par la législation nationale des Etats membres du Conseil de l’Europe et la pratique parlementaire;
17.3. à appuyer les initiatives visant à promouvoir au niveau international la reconnaissance d’un statut international des parlementaires et des droits et obligations susceptibles d’y être attachés, indispensable au développement de la diplomatie parlementaire.
18. L’Assemblée invite en outre les Etats membres:
18.1. à signer et ratifier la Convention sur les missions spéciales des Nations Unies de 1969;
18.2. à examiner sans attendre la question des droits et obligations des parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe en déplacement sur leur territoire, afin de leur accorder des garanties suffisantes leur permettant d’exercer librement et efficacement leurs fonctions en dehors du cadre national, y compris leur liberté de circulation et liberté d’expression, ainsi que l’inviolabilité de leur personne;
18.3. dans ce cadre, à examiner la possibilité d’accorder aux parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe, lorsqu’ils se trouvent sur leurs territoires en mission pour le compte de leur parlement, les immunités reconnues aux parlementaires de leur pays.
19. Dans ce contexte global de l’internationalisation des activités parlementaires nationales, et alors que pèse désormais une responsabilité accrue sur les parlementaires du fait de leurs actions et décisions, avec la mise en cause éventuelle de leur responsabilité individuelle en droit international, l’absence de statut et de protection spécifique des parlementaires en droit international entretient la précarité de leurs droits et privilèges hors du cadre national. Il convient donc de prendre en compte la spécificité de l’action parlementaire dans le contexte international et de renforcer la protection de ceux qui l’exercent, notamment vis-à-vis des Etats tiers. En conséquence, l’Assemblée invite:
19.1. l’Union interparlementaire (UIP) à développer et à promouvoir un corpus de règles applicables aux parlementaires qui se rendent à l’étranger dans l’exercice de leur mandat, afin d’encadrer au niveau international la coopération interparlementaire;
19.2. la Commission du droit international des Nations Unies à promouvoir, dans ses travaux en cours, un cadre juridique international global afin qu’un parlementaire visé par des mesures restrictives bénéficie d’un véritable statut à cet égard, compte tenu de l’hétérogénéité des garanties octroyées aux personnes visées par des sanctions, qui sont actuellement fonction du régime juridique de l’organisation internationale ou de l’Etat qui les a prises.