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Résolution 2091 (2016)
Les combattants étrangers en Syrie et en Irak
1. Ces dernières années, le phénomène
des «combattants étrangers» – des individus qui, principalement motivés
par l’idéologie, la religion et/ou la parenté, quittent leur pays
d’origine ou de résidence habituelle pour rejoindre un groupe engagé
dans un conflit armé – s’est développé dans le monde entier ou presque,
devenant un problème mondial majeur pour la communauté internationale.
2. L’Assemblée parlementaire condamne de la manière la plus ferme
qui soit les récents attentats terroristes qui ont coûté la vie
à des centaines de citoyens de la Turquie, de la Fédération de Russie,
du Liban, de la France, de la Tunisie et de nombreux autres pays,
et réaffirme sa position de principe en faveur de la lutte contre
le terrorisme sous toutes ses formes et où qu’il se manifeste. Elle
relève avec une grande inquiétude que nombre de ces attentats terroristes
récents sont revendiqués et peuvent être attribués à des individus
agissant au nom de l’entité terroriste autoproclamée «Etat islamique»
(Daech) et qui ont commis des actes de génocide et d’autres crimes
graves réprimés par le droit international. Il importe que les Etats
agissent en vertu de la présomption que Daech commet un génocide
et qu’ils aient conscience du fait que cette situation impose d’agir
au titre de la Convention des Nations Unies pour la prévention et
la répression du crime de génocide de 1948.
3. Dans ce contexte, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par
le flux croissant de combattants étrangers – des hommes et des femmes
de toute l’Europe – qui se rendent en Syrie et en Irak pour rejoindre Daech
et d’autres groupes extrémistes violents qui rejettent et attaquent
ouvertement les valeurs fondamentales universelles, et commettent
des crimes odieux à la fois contre des citoyens européens et contre la
population locale des pays où ils vont faire le «djihad». L’Assemblée
rappelle que le droit international impose aux Etats l’obligation
positive de prévenir tout génocide et, par conséquent, de faire
tout leur possible pour empêcher leurs propres ressortissants de
prendre part à de tels actes.
4. Par conséquent, l’Assemblée estime qu’il est capital de sensibiliser
l’opinion publique au phénomène des combattants étrangers, de le
comprendre et de s’y attaquer, y compris les problèmes liés au retour
des combattants étrangers dans leur pays d’origine, qui constitue
une menace majeure et croissante pour la sécurité nationale et internationale.
Il importe de n’octroyer en aucun cas le statut de réfugié aux combattants qui
peuvent avoir perpétré des actes de génocide et/ou d’autres crimes
graves interdits par le droit international, et qui cherchent à
obtenir une protection internationale à leur retour en Europe.
5. Cette menace revêt un degré d’urgence encore plus grand au
regard des attentats sanglants de Paris en novembre 2015, ainsi
que des divers attentats terroristes antérieurs dont la plupart
des auteurs sont liés à Daech et ont combattu en Syrie ou en Irak,
selon les indications fiables dont on dispose. Cette menace doit aussi
être analysée dans le contexte de l’afflux sans précédent de réfugiés
et de migrants en Europe.
6. Outre les menaces directes à la sécurité que représentent
notamment les attentats terroristes perpétrés par les combattants
de retour dans leur pays, il y a le risque que ces combattants cherchent,
à la fois lorsqu’ils sont à l’étranger et après leur retour, à élargir
le soutien à leur cause et à étendre les réseaux de terroristes radicaux
en recrutant de nouveaux adeptes, en glorifiant les actes terroristes
ainsi qu’en partageant leur expérience avec de nouvelles recrues,
et en leur assurant une formation aux méthodes terroristes.
7. Plus largement, en exploitant abusivement les motivations
religieuses de leurs choix et de leurs actes, les combattants étrangers
portent réellement préjudice aux communautés religieuses auxquelles
ils prétendent appartenir et pour lesquelles ils disent lutter.
En conséquence, ils risquent de saper la cohésion et l’intégrité
des sociétés démocratiques en exacerbant les clivages entre les
divers groupes ethniques et religieux. L’Assemblée réaffirme, à
cet égard, que le terrorisme ne doit être associé à aucune religion,
aucune nationalité ou aucun groupe ethnique.
8. L’Assemblée est particulièrement inquiète de constater la
proportion croissante de femmes et de jeunes filles qui partent
rejoindre Daech; en effet, dans certains pays, ce pourcentage représente
plus de 40 % des départs. Tandis que, pour l’instant, il semble
que les femmes et les filles ne participent pas directement aux combats,
il est à craindre que cela se produise à l’avenir lorsque Daech
enregistrera des pertes dans les rangs de ses combattants.
9. Le problème des combattants étrangers restera probablement
au centre des préoccupations politiques au cours des années à venir
et pourrait encore s’aggraver. Il est donc essentiel de mieux comprendre
ses causes profondes et de concevoir des réponses politiques appropriées
pour s’y attaquer. Face à la tendance à prendre rapidement et ostensiblement
des mesures à court terme axées sur la protection et la répression
en réaction aux menaces immédiates, l’Assemblée estime qu’une approche
sécuritaire ne suffit pas et souligne la nécessité de mettre davantage
l’accent sur les facteurs sous-jacents de radicalisation, ainsi
que sur des politiques de prévention, de dissuasion et de réinsertion
qui peuvent donner des résultats à long terme.
10. Selon diverses études, la transformation d’un individu en
combattant étranger est le résultat, et peut être la phase ultime,
du processus de radicalisation, un phénomène complexe caractérisé
par des personnes qui embrassent une idéologie radicale et adoptent
des opinions et des idées intolérantes qui peuvent conduire à l’extrémisme
violent et à la perpétration d’actes terroristes.
11. Le plus souvent, la radicalisation résulte de l’interaction
d’une série de facteurs politiques, socio-économiques, idéologiques,
personnels et psychologiques. Elle peut toucher des hommes et des
femmes de toutes origines sociales, en particulier les jeunes, dont
ceux qui sont issus des classes moyennes et détenteurs de diplômes
de l’enseignement supérieur. Les individus qui se sentent marginalisés,
maltraités, socialement exclus et qui cherchent désespérément un
sens à la vie et une appartenance risquent grandement d’être radicalisés,
endoctrinés par une propagande extrémiste, y compris par l’intermédiaire
d’internet et des réseaux sociaux, et recrutés par des groupes terroristes.
12. Parmi les facteurs susceptibles de motiver la décision de
se rendre dans une zone de conflit peuvent figurer le sentiment
d’indignation suscité par ce qui est prétendu se passer dans le
pays où le conflit fait rage et l’empathie pour les personnes touchées,
l’adhésion à l’idéologie du groupe qu’un individu souhaite rejoindre et
la recherche d’une identité et d’une appartenance. Les griefs engendrés
par la politique étrangère, la politique nationale, les conflits
intergénérationnels et la pression des pairs peuvent être d’autres
motivations. En outre, les jeunes femmes et les jeunes filles peuvent,
par l’intermédiaire de recruteurs sur internet, être attirées par
des promesses d’amour et de mariage avec des combattants de Daech,
par leur supposée «vraie virilité» et par la perspective de fonder
une véritable famille islamique dans un «califat» régi par la charia
et de devenir mères de la prochaine génération de djihadistes.
13. L’Assemblée réaffirme que les réponses au terrorisme doivent
être conformes au droit international et aux principes fondamentaux
de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de l’Etat
de droit, et éviter de saper les valeurs et les normes de la démocratie
que les terroristes cherchent à détruire.
14. Le problème des combattants étrangers est étudié et traité
à titre de priorité par de nombreux gouvernements nationaux, agences
spécialisées, centres de recherche, pouvoirs locaux, ainsi que par diverses
organisations régionales et internationales. L’Assemblée souligne
la nécessité de mettre en commun les informations et les meilleures
pratiques, et d’échanger des expériences, ainsi que l’importance
de coordonner les efforts entre tous les acteurs concernés.
15. Compte tenu de l’extension constante du problème des combattants
terroristes au-delà des frontières nationales, régionales et même
continentales, l’Assemblée estime que les Nations Unies doivent
continuer de jouer un rôle moteur dans l’élaboration d’une stratégie
mondiale de lutte contre cette tendance dangereuse. Elle renvoie
notamment à la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des
Nations Unies sur les menaces contre la paix et la sécurité internationales
résultant d’actes de terrorisme, qui traite la question des combattants
terroristes étrangers.
16. Dans ce contexte, l’Assemblée se réjouit que le Conseil de
l'Europe soit devenu la première organisation internationale à avoir
élaboré un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les
dispositions de la Résolution 2178, en adoptant un Protocole additionnel
à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
(STCE no 217). Tout en regrettant que
le Comité des Ministres n’ait pas pris en compte les amendements
proposés dans son Avis
289 (2015) sur le projet de protocole additionnel, l’Assemblée
se félicite de son ouverture à la signature.
17. L’Assemblée salue, en outre, la décision du Comité des Ministres
d’apporter une forte contribution à la lutte contre l’extrémisme
violent et la radicalisation conduisant au terrorisme en adoptant
pour 2015-2017 un plan d’action qui vise à accroître la capacité
des sociétés européennes à rejeter toutes les formes d’extrémisme.
Elle souligne, en particulier, l’utilité de prendre des mesures
concrètes de prévention de la radicalisation par l’éducation, dans
les prisons et sur internet.
18. Pour sa part, l’Union européenne coordonne activement les
réponses de ses Etats membres au problème des combattants étrangers
et a élaboré, entre autres, la Stratégie visant à lutter contre
la radicalisation et le recrutement de terroristes, qui regroupe
des réponses politiques également applicables dans les pays n’appartenant
pas à l’Union européenne.
19. L’Assemblée observe qu’un certain nombre de pays prennent
des mesures pour déchoir de leur nationalité les combattants étrangers.
Cette démarche n’est admissible que pour autant que le droit international
et les procédures judiciaires adéquates soient respectés.
20. Compte tenu de leur proximité avec les citoyens, les autorités
locales et d’autres acteurs locaux ont un rôle clé à jouer dans
la détection et la prévention précoces de la radicalisation et du
départ d’Européens vers les zones de conflit, ainsi qu’en matière
de réadaptation et de déradicalisation des combattants de retour
dans leur pays. A cet égard, l’Assemblée se félicite des initiatives
du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe
visant à rassembler les représentants des autorités locales de toute
l’Europe en vue de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques
sur la prévention de la radicalisation, et à promouvoir des approches
intégrées au niveau local afin de s’assurer de la participation
de tous les acteurs: la société civile, les organisations confessionnelles,
les services sociaux et éducatifs, et les institutions policières
et judiciaires.
21. L’Assemblée appelle les Etats membres, observateurs et partenaires
pour la démocratie:
21.1. à trouver
une réponse globale au problème des combattants étrangers en établissant
un bon équilibre entre la répression des comportements criminels,
la protection des populations et des droits de l’homme, la prévention
de la radicalisation, la déradicalisation et la réinsertion des
combattants de retour dans leur communauté d’origine après, le cas
échéant, avoir purgé une peine adaptée, et à s’attaquer aux causes
profondes de la radicalisation;
21.2. à respecter leurs obligations positives nées de la Convention
des Nations Unies de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocide, en prenant toutes les mesures qui s’imposent
pour prévenir un génocide;
21.3. à établir des partenariats entre les gouvernements, les
autorités locales, le secteur privé et la société civile pour faire
face à la menace représentée par les idéologies extrémistes violentes;
21.4. à reconnaître et à renforcer le rôle des pouvoirs locaux
dans la recherche de réponses au problème des combattants étrangers
en sensibilisant l’opinion au niveau local, en renforçant les fonctions
consultatives, en rassemblant, en analysant et en mutualisant les
stratégies locales, en créant des structures multi-institutionnelles
locales ainsi qu’en concevant et en mettant en commun de nouveaux
instruments et ressources;
21.5. à revoir la situation dans les systèmes d’enseignement,
à promouvoir une éducation inclusive et à s’assurer que les établissements
scolaires jouent pleinement leur rôle dans la formation de citoyens actifs
dotés d’un sens des responsabilités et d’aptitudes à la réflexion
critique, prêts à vivre dans une société plurielle et à défendre
les valeurs de la démocratie;
21.6. à élaborer des mesures efficaces pour détecter et juguler
la diffusion de la propagande extrémiste violente sur internet,
les réseaux sociaux et les médias;
21.7. à exploiter activement l’ensemble des moyens de communication,
dont internet et les médias sociaux, et à tirer parti de l’expertise
des meilleurs spécialistes en relations publiques pour diffuser
des informations sur les crimes odieux perpétrés par Daech et des
contre-discours destinés à dénoncer les propos extrémistes et à
dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires
contrôlés par Daech et le sort de ses recrues, en particulier en
se servant des témoignages de combattants qui sont revenus dans
leur pays d’origine et ont fait l’expérience sur le terrain de la
vraie nature de Daech;
21.8. à renforcer le dialogue interculturel et interconfessionnel
avec les chefs des diverses communautés en mettant tout particulièrement
l’accent sur la prévention de la radicalisation et la nécessité
de contrer le discours de haine et la propagande extrémiste violente;
21.9. à accorder toute l’attention voulue à l’éducation et à
la formation des chefs religieux dans le plein respect des valeurs
démocratiques fondamentales, de manière à s’assurer qu’ils diffusent
un message de tolérance et s’opposent au discours de haine;
21.10. à condamner et à sanctionner fermement, si besoin est,
les chefs religieux qui prêchent la haine et la violence, et portent
atteinte aux valeurs fondamentales consacrées par la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5);
21.11. à accorder une attention particulière à la prévention
de la radicalisation et du recrutement de terroristes dans les établissements
pénitentiaires;
21.12. à prendre dûment en compte le nombre croissant de femmes
et de jeunes filles qui partent rejoindre Daech, à adopter une approche
différenciée par sexe en matière de prévention et de réinsertion,
à développer des contre-discours ciblant plus particulièrement les
femmes et les jeunes filles, et à tirer pleinement parti du rôle
social et familial des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent;
21.13. à donner la priorité aux programmes de déradicalisation
destinés aux combattants de retour dans leur pays;
21.14. à refuser d'octroyer le statut de réfugié aux personnes
qui pourraient avoir perpétré des actes de génocide ou d’autres
crimes graves interdits par le droit international, et à partager
les informations dont ils disposent sur ces personnes avec les autres
Etats membres;
21.15. à renforcer la coopération internationale entre les autorités
nationales et locales compétentes et les agences spécialisées en
vue d’assurer un échange rapide d’informations utiles, d’expériences
et de bonnes pratiques pour établir le contact avec les combattants
étrangers dans un but de prévention, de sensibilisation, de réadaptation
et de réinsertion, le cas échéant après qu’une peine appropriée
a été purgée;
21.16. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait,
la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
(STCE no 196) et son protocole additionnel,
ainsi que d’autres instruments juridiques pertinents du Conseil
de l'Europe.