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Rapport | Doc. 13 | 05 mai 1951

Nature, caractéristiques et structures des Autorités Spécialisées et leurs liaisons avec le Conseil de l'Europe

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteuse : Mlle Margaretha Albertina Maria KLOMPE, Pays-Bas

A. Projet de Résolution

(open)

Projet de déclaration générale sur les Autorités Spécialisées

La commission des Affaires Générales soumet à l'Assemblée le projet de résolution suivant :

« L'Assemblée,

« A la suite des études entreprises par elle depuis sa session de 1950,

« Formule les observations générales suivantes sur la naturelles caractéristiques et la structure des Autorités Spécialisées européennes dont elle a recommandé la création.

1. « Une Autorité Spécialisée est une institution dont les États participants confèrent soit à elle, soit à certains de ses organes, des pouvoirs propres, afin de permettre dans un domaine défini la solution de problèmes communs ou la réalisation de tâches d'intérêt commun.
2. « La délégation de ces pouvoirs peut se faire suivant des modalités diverses et notamment les suivantes :
a. Le transfert à l'Autorité, par chaque pays participant, de la totalité des pouvoirs de l'État, dans le domaine de la compétence de l'Autorité.
b. Un simple transfert à l'Autorité des pouvoirs d'exécution de décisions prises par accord unanime entre les États participants. La mise en oeuvre de ces décisions correspond alors à un exercice en commun par les États participants de leurs pouvoirs en la matière.
3. « Toute Autorité Spécialisée a la responsabilité de tâches executives. L'efficacité de son action nécessite ' la présence d'un Organisme Exécutif, doté de moyens d'action réels et soumis à un contrôle démocratique.
4. « Dans le cas d'une Autorité Supranationale (cf. § 2, i), l'Exécutif a la responsabilité de réaliser les objectifs de l'Autorité. Il prend les décisions nécessaires pour la mise en oeuvre du Traité instaurant l'Autorité et assure ou contrôle l'exécution de ses décisions. « Si l'Autorité n'a reçu délégation que de pouvoirs d'exécution (cf. § 2, ii), il est désirable que l'Exécutif qui les assume dispose, dans sa sphère de compétence, de larges possibilités d'initiative et d'interprétation.
5. « L'Exécutif est, en général, de structure collégiale. Dans ce cas, des personnalités appartenant aux milieux professionnels intéressés et des hommes d'Etat peuvent y participer et ses conclusions sont prises par des votes à la majorité.
6. « Le contrôle démocratique de l'Exécutif est exercé par un Organe Gouvernemental et un Organe Parlementaire.
7. « Dans les conditions fixées par le Traité, l'Organe Gouvernemental nomme l'Exécutif et peut le renvoyer. L'Organe Gouvernemental assure la liaison entre l'Exécutif et les gouvernements nationaux, guide et oriente son action par des consultations réciproques.« Dans le cas d'une Autorité Supranationale, les décisions de l'Organe Gouvernemental sont prises en général par des votes à la majorité. Si le Traité le prévoit, ces votes pourront ôtre affectés de coefficients différents.
8. « L'Organe Parlementaire (Assemblée) est composé de représentants élus par les Parlements des Etats participants. Les sièges sont répartis en tenant compte de la population et des données économiques ou autres concernant le champ d'activité intéressé.
9. « Dans une Autorité Supranationale, l'Assemblée transmet des avis et des recommandations à l'Exécutif, assure le contrôle parlementaire de l'Exécutif et a le droit de le censurer. « Si la responsabilité de la politique de l'Autorité appartient à l'Organe Gouvernemental (§ 2, ii) l'Assemblée a un droit de regard sur cette politique, et peut transmettre des avis et recommandations à l'Organe Gouvernemental.
10. « Au début du fonctionnement d'une Autorité Supranationale, il peut ôtre opportun que le Traité instaurant l'Autorité prévoie que certains des pouvoirs qui lui sont conférés sont exercés en commun par l'Exécutif et les Organes Parlementaire et Gouvernemental de l'Autorité.
11. « Le droit de procéder à certains amendements au Traité instituant une Autorité Supranationale peut être conféré aux Organes Parlementaire et Gouvernemental, dans les conditions fixées par le Traité.
12. « Une Cour Européenne sera instituée. Le Traité instaurant une Autorité Supranationale reconnaîtra la juridiction de cette Cour pour garantir le respect du droit dans l'interprétation du Traité.
13. « L'Assemblée estime que l'aboutissement de la politique d'Autorités Spécialisées est la création d'une Autorité politique Européenne. « Un tel objectif nécessite notamment :
a. « que les Autorités à créer soient de préférence des Autorités Supranationales auxquelles les États participants transfèrent la totalité de leurs pouvoirs dans le domaine de compétence de l'Autorité;
b. « qu'il soit établi des liaisons convenables entre les organes correspondants des Autorités Spécialisées, et
c. « que soient maintenus des liens étroits entre chaque Autorité et le Conseil de l'Europe conformément aux Recommandations 1, 4 et 52, 1950, déjà adoptées par l'Assemblée. »

B. Exposé des Motifs

(open)

1. Introduction

1. L'Assemblée Consultative a adopté au mois d'août 1950 un premier rapport sur les Autorités Spécialisées, qui devait fixer une voie nouvelle au Conseil de l'Europe. Quelques mois plus tard, le Comité des Ministres a fait sienne cette orientation. La politique des Autorités Spécialisées est apparue comme le seul moyen de permettre aux Etats qui désirent établir « des liens organiques plus étroits », de les créer entre eux tout en sauvegardant l'unité nécessaire du Conseil de l'Europe et les possibilités de progrès vers une union de l'ensemble de l'Europe. Les travaux du mois de novembre de la commission des Affaires Générales ont précisé ces premières indications. En même temps, sur l'initiative de notre collègue, M. Mackay, des Commissions spéciales ont été créées pour étudier deux problèmes précis : le statut d'une Autorité pour l'Agriculture et celui d'une Autorité pour les Transports.
2. Au cours de ces débats, la nécessité d'analyser le concept d'Autorités Spécialisées a été souligné. Sur proposition de son Bureau, la commission des Affaires Générales s'est particulièrement consacrée à cette étude. Un important effort de préparation a été fourni. En réponse à un « Plan de Travail » soumis par le Rapporteur Général, des rapports préliminaires ont été communiqués par MM. Bardoux, Maccas, Mackay, Guy Mollet et Von Rechenberg, et ont permis l'établissement d'unRap-port préparatoire. La discussion de ces rapports a occupé la plus grande partie d'une session tenue du 13 au l6 mars 1951. Les questions abordées au chapitre III de ce rapport ont été, en outre, reprises à la huitième réunion de la commission (23, 24 avril 1951).
3. Au cours de sa session de mars, la Commission a d'abord siégé sous la présidence de M. le Président Bidault. Celui-ci, ainsi que M. Guy Mollet, Vice-Président, ont été, par la suite, retenus par leurs hautes fonctions dans le Gouvernement français. En raison de l'absence de M. Ohlin, Vice-Président, la commission a été alors présidée par M. van der Goes van Naters. Elle a bénéficié du concours des représentants suivants : MM. Georges BIPAU.LT (France), Président (et SCHERER, suppléant), Guy MOLLET (France), Vice-Président (et MOUTET, suppléant), MM. BASTIANETTO (Italie, suppléant de M. CAPPI), BOHY (Belgique), BARDOUX (France, suppléant dp M. BONNEFOUS), CROSBIE (Irlande, suppléant de M. NORTON), VON FIUESEN (Suède, suppléant de M. OHLIN), GERSTENMAIER (Rép. Féd. d'Allemagne), KAPANI (Turquie), JAKOBSEN (Danemark), MACKAY (Royaume-Uni), MANDALINCI (Turquie), MARCONCINI (Italie, suppléant de M. CINGOLANI), VON RECHENBERG (Rép. Féd, d'Allemagne), SANDYS (Royaume-Uni), STRAUS (Sarre, suppléant de M, MULLER), TREVES (Italie), TSALDARIS (Grèce), VALEN (Norvège), DE LA VALLÉE-POUSSIN (Belgique, suppléant de M. STRUYE), WISTRAND (Suède), et MLLE KLOMPÉ Rapporteur. M. MOMMER (Rép. Féd. d'Allemagne) a participé à la réunion d'avril 1951.
4. Il faut tout d'abord répondre à l'objection qu'une étude purement théorique comme celle-ci serait sans utilité. Votre Commission a été pleinement avertie de l'importance considérable des travaux entrepris par les commissions spéciales de l'Agriculture et des Transports. Des membres éminents de ces commissions ont bien voulu venir lui en faire part. L'ampleur môme de ces études rend plus nécessaire une recherche générale : le risque existe de voir la notion d'« Autorité Spécialisée » vidée de tout contenu. Aussi convient-il d'arrêter une définition sans équivoque des Autorités Spécialisées, de fixer leurs caractéristiques essentielles, de dire les exigences minimum auxquelles doit satisfaire une organisation pour mériter le nom d'Autorité Spécialisée (nature des attributions, organes indispensables, etc.). Tel est l'objectif limité de la « Déclaration Générale » qu'a unanimement adoptée la Commission,
5. Je voudrais signaler dès maintenant certaines des préoccupations qui se sont fait jour pendant la discussion :
a. Diversité des structures possibles. Il n'est pas question d'imposer un schéma uniforme, sur lequel calquer le statut de toute Autorité Spécialisée. Tout en attirant l'attention sur deux possibilités extrêmes, la Commission a marqué qu'en pratique, on aurait à s'arrêter sur l'une des multiples formules intermédiaires possibles. Le caractère même du travail entrepris par la Commission fait qu'elle n'a pu entrer dans des détails de structure : le but de ce rapport est d'esquisser un schéma très largo, susceptible d'être ajusté a chaque situation particulière.
b. Objectif final à atteindre. La politique d'Autorités Spécialisées tend à la création d'une Autorité Politique Européenne — en fait d'une Fédération Européenne. La structure, les attributions de chaque Autorité Spécialisée doivent être telles qu'elles hâtent la réalisation de cet objectif.
c. Rôle du Conseil de l'Europe. Une double tâche appartient au Conseil de l'Europe :
a. être l'organisme de coordination entre toutes les Autorités et garantir ainsi la possibilité d'union de l'ensemble de l'Europe ;
b. prendre l'initiative de nouvelles Autorités Spécialisées, dont la création aurait à être étudiée dans le cadre du Conseil.
6. Des opinions diverses s'étaient manifestées dans les rapports préliminaires. Un vote unanime a été finalement obtenu, qui ne résulte pas d'un simple compromis mais d'un accord profond sur quelques principes communs. Je souhaite sincèrement que cette entente se retrouve dans l'Assemblée et contribue à fonder solidement la politique d'Autorités Spécialisées.
7. Diverses résolutions ont été adoptées par la commission au cours de ses sessions successives :
7.1. La commission a d'abord élaboré la « Déclaration Générale » sur les Autorités Spécialisées, évoquée ci-dessus (§ 4). La Commission souhaite que cette Déclaration, si l'Assemblée veut bien l'adopter, soit largement diffusée auprès des Gouvernements et dans les Parlements. Elle pourrait également servir de guide pour la préparation d'une Convention Générale sur les Autorités Spécialisées, dont il est question d'autre part;
7.2. La Commission a élaboré, au mois do mars, une recommandation relative aux liaisons entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (plan Schuman) et le Conseil de l'Europe. Le Bureau de l'Assemblée a accepté de communiquer, dès le 17 mars, le Projet de Protocole préparé par la commission aux gouvernements participant à la Conférence de Paris. Le texte de la commission a été pris en considération par la Conférence, et l'Assemblée pourra constater (cf chap. Ill, ci-dessous) que la quasi-totalité des dispositions demandées par la commission des Affaires Générales ont été retenues.
7.3. La commission, à sa réunion d'avril, a procédé à un échange de vues sur les conséquences politiques de la signature du Plan Schuman, et de la Déclaration Commune des six Gouvernements. Elle a décidé d'en entreprendre, au cours de ses prochains travaux, une étude approfondie.
8. Les textes adoptés constituent la deuxième partie de ce rapport. Votre Commission a bien voulu confier à son Rapporteur la responsabilité de rédiger 1' « Exposé des Motifs » et de vous le présenter en son nom. Ce travail a été fait sur la base du rapport préparatoire soumis à la Commission par le Rapporteur, et en tenant compte des observations présentées pendant les discussions. Qu'il me soit permis ici de dire à M. le Président Bidault combien j'ai apprécié l'aide et les conseils dont il a bien voulu me faire constamment bénéficier, et qui m'ont été d'un précieux secours — de dire à tous mes collègues mes bien sincères remerciements pour la confiance et l'amitié qu'ils m'ont témoignées et qui a rendu si agréables les fonctions de leur rapporteur — de dire également mes remerciements au Secrétariat Général, et notamment au Secrétariat de la Commission, pour son aide efficace qui a sensiblement allégé ma tâche.

2. CHAPITRE I

2.1. Caractéristiques et Structure des Autorités Spécialisées

2.1.1. Caractéristiques d'une Autorité Spécialisée

2.1.1.1. Des pouvoirs réels.

9. Dans la plupart des Organisations actuelles (0. E. C. E., Conseil de l'Europe, Organisation du Traité de Bruxelles, etc.) il y a seulement exercice parallèle des pouvoirs des États. L'accord de tous les États participants est nécessaire pour aboutir à une décision (0. E. C. E., U. P. E.) et les États en assurent l'exécution chacun pour ce qui le concerne. Dans certains cas, la conclusion obtenue n'est môme qu'une « recommandation » : l'accord de son représentant au sein de l'Organisation n''engage pas absolument le gouvernement d'un État. Le simple fait d'étudier des questions importantes pour chacun des États dans le cadre d'un organisme international et non isolément, constitue une atténuation à la souveraineté absolue de l'État. Cependant, la bonne marche de l'Organisation dépend alors, soit d'un jeu classique d'influences ou de pressions politiques ou économiques, soit uniquement de la bonne volonté de chaque État participant, dans la mesure où il n'y a pas atteinte grave à ses intérêts nationaux immédiats. Il est clair que de telles institutions ne correspondent en rien à notre conception des Autorités Spécialisées. Leur utilité ne peut être niée, mais c'est contre leurs faiblesses et leurs insuffisances évidentes qu'a réagi l'Assemblée, lorsqu'elle a fixé sa politique d'Autorités Spécialisées.
10. Votre Commission estime que la première caractéristique essentielle d'une Autorité Spécialisée est que lui soient conférés par les États participants des pouvoirs réels dans son domaine de compétence. Ces pouvoirs seront plus ou moins étendus selon les types d'Autorités. La Commission a estimé utile de dégager deux cas extrêmes :
10.1. Celui où l'Autorité bénéficie de l'abandon par chaque pays participant, de la totalité des pouvoirs de l'Etat, dans les matières de la compétence de l'Autorité. Pratiquement, le Traité instituant l'Autorité pourra être assimilé dans ce cas à une véritable « Loi Européenne » dans le cadre de laquelle les États confèrent à l'Autorité le pouvoir de prendre certaines décisions politiques (pouvoir « réglementaire », en somme) et le pouvoir exécutif. On peut considérer que seules les institutions de ce type correspondent à des Autorités réellement supranationales.
10.2. Celui où l'Autorité ne bénéficie que d'un simple transfert de pouvoirs d'exécution. Toutes les décisions politiques sont prises par accord unanime entre les États participants au sein d'un organe gouvernemental approprié, mais, pour leur mise en application, chaque État délègue à un organe approprié les pouvoirs d'exécution nécessaires; on peut dire que se réalise alors un exercice en commun des pouvoirs des États. On peut citer l'exemple de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (O. T. A. N.) : le Conseil Atlantique ayant pris à l'unanimité la décision politique de créer une force atlantique unifiée, le Commandant Suprême a été chargé de sa mise en exécution.
11. Ce dernier type d'institution correspond-il vraiment à une Autorité Spécialisée? Le maintien de la règle d'unanimité, la haute direction laissée à l'Organe gouvernemental, seul habilité à prendre des décisions, semble ramener aux formules classiques déjà écartées (§ 9). Cependant, des avantages existent, qui permettent d'espérer une solution plus aisée ou plus souple de certains problèmes : par exemple, les attributions de l'Autorité peuvent dans ce cas n'être délimitées qu'à grands traits dans le Traité, le soin étant laissé à son Organe gouvernemental de définir ultérieurement des fonctions spécifiques ou des missions précises. Si, de plus, l'Exécutif d'une telle Autorité reçoit une assez grande liberté de mouvements et des possibilités assez larges d'initiatives et d'interprétation clans le cadre des directives ou décisions de l'Organe gouvernemental, cela reviendra à lui donner un certain pouvoir, très limité, de décision politique, comme dans le cas d'une Autorité « supranationale » du premier type (cf. aussi ci-dessous paragr. 14 à 16). Il n'y a donc pas opposition formelle entre les deux types d'Autorités envisagés.
12. Votre commission, en mettant ces deux types en évidence, ne prétend évidemment pas qu'ils sont les seuls possibles. Son intention est, au contraire, de marquer ainsi la grande diversité d'institutions concevables dans le développement de la politique d'Autorités Spécialisées. Le hasard des négociations et des compromis amènera sans cloute à de multiples formules intermédiaires : le Plan Schuman prévoit, par exemple, que certaines mesures importantes ne peuvent être décidées que par le « Conseil de Ministres » unanime... Il faut cependant souligner que, clans l'un et l'autre des cas cités ci-dessus, il y a transfert de pouvoirs (ce transfert étant, dans le premier cas envisagé, d'une étendue bien plus grande que clans le deuxième cas). De toutes manières, l'Autorité Spécialisée reçoit des pouvoirs propres, des pouvoirs réels; il lui est attribué une part — plus ou moins importante — des droits souverains des Etats participants. Cette considération a conduit votre Commission à formuler la définition d'une Autorité Spécialisée, qui figure au paragraphe 1 de la Déclaration Générale sur les Autorités Spécialisées (cf. Deuxième Partie). Ce paragraphe, ainsi que le paragraphe 2, ont été adoptés à l'unanimité.

2.1.1.2. Un exécutif.

Nécessité d'un exécutif. — Ses prérogatives.

13. Votre Commission a été unanime à estimer indispensable la présence d'un Exécutif, doté de moyens d'action réels. L'Exécutif est l'organe essentiel qui caractérise toute Autorité Spécialisée et garantit l'efficacité de son action. Par contre, la question des prérogatives de l'Exécutif a fait l'objet de longs débats.
14. Dans le cas d'une « Autorité Supranationale » (cf. § 10, i), la majorité de la Commission a estimé que l'Exécutif était l'organe primordial, et qu'il ne pouvait être subordonné à l'organe gouvernemental. Suivant la terminologie anglaise, il doit être un « Executive », et non un simple « Implementing Body ». Une minorité considérait, au contraire, que l'exécutif devait être entièrement « dans les mains » de l'organe gouvernemental qui, par les directives ou décisions appropriées (prises éventuellement à la majorité) dirigerait son action. Cette position a été écartée par 14 voix contre 2, à l'occasion d'un amendement sur le paragraphe 7 de la Déclaration Générale.
15. Pour mieux expliquer la conception que la majorité de la Commission se fait des attributions de l'Exécutif d'une Autorité Spécialisée, j'utiliserai une comparaison avec la procédure constitutionnelle du régime parlementaire. Comme plus haut (§ 9, i), on assimilera le Traité instituant une Autorité à une Loi Européenne organisant le domaine de compétence de cette Autorité. Le « pouvoir législatif européen » reste donc aux États procédant par voie d'accords internationaux. L'Exécutif a la charge de mettre cette « Loi Européenne » en application, en prenant les décisions administratives appropriées — nous dirions les « décrets » ou « arrêtés » d'applications. Il est soumis dans cette fonction au contrôle démocratique exercé par les représentants des Gouvernements et des Parlements des pays membres, qui ont le droit de censure. Il est évident que dans son action l'Exécutif tiendra un large compte des désirs ou des avis de ces organes de contrôle. Par contre, il ne serait pas souhaitable que ceux-ci empiètent sur les responsabilités de l'Exécutif, c'est-à-dire sur son pouvoir réglementaire. C'est à l'Exécutif qu'incombe la responsabilité d'atteindre les objectifs de l'Autorité : c'est lui qui est censuré s'ils ne sont pas réalisés de façon satisfaisante. C'est donc lui qui doit disposer des moyens d'action attribués à l'Autorité. Autrement dit, c'est à l'Exécutif d'exercer les pouvoirs supranationaux transférés à l'Autorité.
16. Par contre, lorsque l'Autorité a simplement délégation de pouvoirs d'exécution (§ 10, ii), l'Exécutif dépend étroitement de l'organe gouvernemental de décision. Cependant, si une suffisante liberté de mouvement lui est accordée, comme c'est souhaitable, la situation peut devenir analogue : la décision de l'organe gouvernemental qui fixe une mission précise à l'Autorité devient (après approbation, si nécessaire, des autorités constitutionnelles de chaque État), analogue à une « Loi Européenne » crue l'Exécutif a tâche d'appliquer.

Y a-t-il risque de technocratie?

17. La principale objection faite contre une telle conception de l'Exécutif est le risque de technocratie. Votre Commission a estimé que l'on pare à ce risque en assurant le strict contrôle de l'Exécutif, contrôle parlementaire et gouvernemental, sanctionné par le droit de censure. Il y aurait technocratie seulement si ce contrôle — au sens d'un contrôle parlementaire direct — n'était pas garanti ou ne pouvait s'exercer qu'imparfaitement (ce qui est le cas dans la plupart des Organisations gouvernementales actuelles). Il nous appartiendra d'insister auprès des Gouvernements sur cet aspect particulier dans le Statut des Autorités actuellement envisagées. Faudrait-il ajouter — mais cela peut sembler une boutade — que si l'Assemblée parlementaire d'une Autorité Spécialisée peut facilement censurer l'Exécutif, on ne voit pas quel recours elle aurait contre un organe gouverne-mental (« Conseil dé Ministres »), si ce dernier était le principal responsable de l'action de l'Autorité? Sous la réserve faite au paragraphe 14 ci-dessus, les paragraphes 3 et 4 du projet dé Déclaration Générale (cf. Deuxième partie), qui résument les considérations ci-dessus, ont été adoptés à l'unanimité.

Composition de l'Exécutif

18. La Commission s'est partagée à peu près également sur l'opportunité de donner des indications générales sur la composition de l'Exécutif. Une majorité de la Commission a estimé qu'il était prématuré de demander qu'une Autorité Spécialisée fût dirigée par un « Ministre » ou un « Haut Commissaire ». Une telle formule ne serait acceptable que si les Exécutifs des diverses Autorités étaient déjà regroupés en un « Gouvernement Européen » (cf. § 29 ci-dessous). Pour le présent, il est préférable que l'Exécutif soit de forme collégiale : ses décisions seraient prises à la majorité. Ses membres ne devraient pas être seulement de hauts fonctionnaires, mais aussi des hommes d'État, des personnalités des milieux professionnels intéressés, etc., choisis de manière à garantir l'autorité et la compétence de l'institution. La désignation de l'Exécutif se fera d'un commun accord entre les États participants. Bien que la formule présentée (§ 5 du projet de Déclaration) fût très large, une autre partie de la Commission s'est ralliée à la rédaction suivante, moins détaillée et n'impliquant aucun choix : « Si l'Exécutif est de structure collégiale, ses décisions sont prises par des votes à la majorité. » Le paragraphe 5 de la Déclaration a été finalement adopté, dans sa forme présente, par 9 voix contre 7.

2.1.2. Les organes de contrôle

19. Dans le cas d'une Autorité Supranationale (§ 10, i), votre Commission a estimé que l'importance des prérogatives qu'il était demandé d'accorder à l'Exécutif rendait absolument nécessaire l'existence d'un triple contrôle : gouvernemental, parlementaire et juridictionnel. L'organe gouvernemental et l'organe parlementaire de contrôle auront des droits importants, et notamment le droit de censure à l'égard de l'Exécutif. La nécessité d'un organe parlementaire de contrôle a été mise en question. Certains représentants ont estimé que, dans le cas d'une Autorité sur la Défense, par exemple, il pourrait ôtre inopportun de prévoir une Assemblée parlementaire. La majorité de la Commission, au contraire, a estimé indispensable que soient développées les institutions permettant un contrôle parlementaire européen direct. Cela paraît encore plus nécessaire si l'on tient compte des objectifs à long terme de la politique d'Autorités Spécialisées (cf. ci-dessous, § 29 à 31). Aussi, après avoir écarté, par 14 voix contre 2, la formule optionnelle qui était défendue : « Le contrôle démocratique de l'Exécutif peut être exercé par un Organe gouvernemental et (ou) un Organe parlementaire », la Commission s'est ralliée à la rédaction suivante (cf. § 6 de la Déclaration Générale, Deuxième partie) : « Le contrôle démocratique de l'Exécutif est exercé par un Organe gouvernemental et un Organe parlementaire. »
20. Si l'Autorité a seulement délégation de pouvoirs d'exécution (§ 10, ii), l'Organe gouvernemental a, en dehors de son droit de contrôle, d'autres prérogatives très considérables qui ont déjà été indiquées. Môme alors, la Commission a estimé nécessaire la présence d'une Assemblée parlementaire, dont les droits seront relativement moins importants. Cependant, un organe de contrôle juridictionnel serait alors moins nécessaire.

2.1.2.1. Le contrôle gouvernemental.

21. L'Organe gouvernemental (« Conseil de Ministres ») nomme l'Exécutif. Il assure la liaison entre l'Exécutif et les gouvernements nationaux. Il oriente l'action de l'Exécutif par des consultations réciproques. celles de l'Exécutif. La majorité de la Commission a jugé que de telles dispositions enlèveraient à l'Exécutif son véritable caractère, et auraient pour effet de faire perdre toute substance à la notion d'Autorité Spécialisée. La Commission les a écartées par 14 voix contre 2 (à l'occasion d'amendements présentés au paragraphe 7 de la Déclaration Générale). Il semble que la Commission ait estimé qu'un Exécutif formé de personnalités « européennes » serait plus facilement enclin à agir dans le seul intérêt de la communauté européenne, qu'un « Conseil de Ministres », même concluant à la majorité, où s'affronteront les intérêts nationaux de chaque pays. Dans la période actuelle, un arbitre est nécessaire : c'est à l'Exécutif de jouer ce rôle. Ultérieurement, dans une phase fédérale, les rapports entre un « Parlement Fédéral » et un « Gouvernement Fédéral » pourront être tout autres.
22. Les consultations constantes entre l'Exécutif et l'Organe gouvernemental permettent un contrôle quasi-permanent, sanctionné par le droit de censure. Le contrôle s'exerce également à l'occasion de l'établissement du budget de l'Autorité et de la fixation de ses ressources. Les conclusions de l'Organe gouvernemental, dans le cas d'une Autorité Supranationale, se prennent en général par des votes à la majorité. Le Traité peut prévoir que le vote sera pondéré et fixer le nombre de voix attribuées à chaque État participant. Certains membres de la Commission ont considéré que la pondération des votes était la condition même de l'acceptation par eux du principe majoritaire, étant donné l'importance très différente des divers États européens. D'autres membres étaient plus réservés à cet égard. L'article 7 de la Déclaration Générale (cf. Deuxième Partie) résume les considérations ci-dessus. Il a été adopté à l'unanimité.

2.1.2.2. Le contrôle parlementaire

23. Le contrôle parlementaire de l'Exécutif (contrôle financier, examen de ses rapports d'activité, etc.) est assuré par une Assemblée dont les membres sont élus par les Parlements de chaque pays participant (en attendant que des progrès nouveaux justifient des élections au suffrage universel). Il est vraisemblable que les sièges seront répartis en fonction de la population, et aussi du potentiel économique de chaque pays dans le secteur d'activité de l'Autorité. Dans le cas d'une Autorité Supranationale, le contrôle s'exerce sur l'Exécutif, et votre Commission a estimé indispensable que l'Organe parlementaire ait droit de censure, ce droit s'exerçant toutefois dans des conditions telles que la stabilité de l'industrie ne soit pas compromise. L'organe parlementaire (Assemblée) est également associé à l'action de l'Exécutif grâce à la tenue périodique de sessions, la réunion de ses commissions pendant les inter-sessions, le droit d'enquête ou de question de ses membres, et toutes autres formes habituelles de l'action parlementaire. L'Assemblée peut adresser des avis et des recommandations (non contraignantes) à l'Exécutif.
24. Si l'Autorité a seulement délégation de pouvoirs d'exécution (§ 10, ii), la responsabilité de l'action de l'Autorité revient alors à l'Organe gouvernemental, et non à l'Exécutif. Il ne saurait être alors question de censure, et c'est avec l'Organe gouvernemental que l'Assemblée sera en liaison. On peut seulement concevoir alors un « droit de regard » de l'Assemblée sur l'action de l'Exécutif et la politique de l'Organe gouvernemental, auquel l'Assemblée enverrait avis ou recommandations.

Formulation de directives.

25. Il a été souligné ci-dessus (§§ 14 et 15) que, dans une Autorité Supranationale, les Organes de contrôle ne devaient pas empiéter sur les prérogatives qu'a l'Exécutif de prendre des décisions politiques. Cependant, clans les débuts, il peut être souhaitable de se contenter de formules intermédiaires. Le Traité instituant une Autorité Supranationale prévoirait, par exemple, que dans certains cas, l'Organe gouvernemental et l'Assemblée de l'Autorité seraient habilités à for-muler des directives obligatoires pour l'Exécutif, ou encore que l'Exécutif aurait à demander l'approbation préalable de ces organes avant d'appliquer certaines décisions.
26. De toute manière, cet accord préalable est indispensable toutes les fois que l'Exécutif sort du domaine de sa stricte compétence : par exemple, s'il prend des mesures qui ont une répercussion très sérieuse sur d'autres secteurs de l'économie des pays participants ou s'il demande une modification du Traité, c'est-à-dire de la « Loi Européenne », créant l'Autorité. Ce dernier cas a fait l'objet d'une discussion particulière. Donner aux Organes parlementaire et gouvernemental le droit, dans certaines conditions, de modifier le Traité, c'est dans une certaine mesure leur accorder un véritable pouvoir législatif sur le plan européen : c'est passer d'une simple Autorité Spécialisée à un Organe fédéral. La Commission a simplement voulu évoquer cette possibilité (§ 11 de la Déclaration Générale) qui pourrait être initialement limitée aux clauses secondaires du Traité. Les articles 8 à 11 de la Déclaration Générale (cf. Deuxième Partie), qui résument ces considérations, ont été adoptés à l'unanimité.

2.1.2.3. Le contrôle juridictionnel.

27. La présence d'un organe de contrôle juridictionnel n'est apparue utile à la Commission que dans le cas d'une Autorité Supranationale (§ 10, i). Encore a-t-elle considéré qu'il fallait instituer une Cour Européenne unique (comportant des Chambres spéciales pour chaque Autorité) et non une Cour par Autorité. La compétence de la Cour sera strictement limitée à assurer le respect du droit dans l'interprétation du Traité. Si la possibilité de recours est toujours ouverte ;dans le cas d'une Autorité Supranationale, elle ne peut être que facultative dans l'autre cas (§ 10, ii), les risques de contestation étant moindres, par suite du maintien de la règle d'unanimité. La question a été soulevée que cette Cour soit celle prévue dans la Convention des Droits de l'Homme. Cependant, il a été noté que la Cour des Droits de l'homme ne fonctionne pas encore et qu'il serait sans doute nécessaire de la remanier assez profondément pour l'adapter à ces nouvelles tâches. Le paragraphe 12 de la Déclaration Générale (c/. Deuxième partie), qui résume les considérations ci-dessus, a été adopté à l'unanimité.
28. La question a été soulevée que cette Cour soit celle prévue dans la Convention des Droits de l'Homme. Cependant, il a été noté que la Cour des Droits de l'homme ne fonctionne pas encore et qu'il serait sans doute nécessaire de la remanier assez profondément pour l'adapter à ces nouvelles tâches.

2.1.2.4. Liaisons entre les Autorités Spécialisées

29. Votre Commission a estimé profondément désirable l'établissement de liaisons directes entre les Autorités Spécialisées. Sans de telles liaisons, le développement de la politique d'Autorités Spécialisées ferait courir le risque de favoriser la désintégration de l'Europe plutôt que son « intégration » : on ne pourrait par exemple éviter des chevauchements, des doubles emplois, voire même des oppositions entre Autorités Spécialisées, bien que chacune d'elles ait un domaine de compétence bien défini. Il est, par contre, difficile de fixer aujourd'hui la forme des liaisons à établir entre Autorités Spécialisées. Parmi les suggestions faites, nous avons déjà mentionné celle tendant à ce que toutes les Autorités reconnaissent la compétence d'une Cour de Justice unique. On peut également suggérer que soient organisées des réunions régulières des Présidents des Exécutifs, et estimer désirable qu'un Parlement unique exerce le contrôle parlementaire de toutes les Autorités. Cette dernière suggestion soulèverait des difficultés, du fait que les mêmes pays ne participeront pas à toutes les Autorités, mais ses avantages considérables justifieraient son étude approfondie. Le Parlement unique des Autorités Spécialisées serait lié à l'Assemblée de Strasbourg. Il pourrait même être considéré comme une « Commission Spéciale » de notre Assemblée (cf. Recommandation 4, Doc. 123, 1950). Celle-ci constitue en effet, comme de précédentes résolutions l'ont souligné, le meilleur moyen de liaisons des Organes parlementaires des Autorités Spécialisées entre eux et avec les milieux parlementaires des autres pays d'Europe. Il a été déjà recommandé que les délégués des Parlements clans chaque Autorité Spécialisée soient pris parmi les représentants à l'Assemblée Consultative. Si, pour un motif quelconque, certains délégués d'un Parlement à l'Assemblée spéciale d'une Autorité ne sont pas représentants à Strasbourg (par expar suite du nombre insuffisant de représentants de ce pays à Strasbourg), il conviendrait ultérieurement d'aménager le règlement de notre Assemblée pour que ces délégués puissent participer à ses débats, mais sans droit de vote.

2.1.3. Objectifs de la politique d'Autorités Spécialisées

30. L'objectif final, pour l'Assemblée, de la politique d'Autorités Spécialisées est la réalisation d'une Autorité politique européenne — autrement dit l'instauration d'une Fédération Européenne ouverte au plus grand nombre d'États possible. Ces considérations n'ont pas été longuement développées jusqu'ici et les propositions précédentes n'ont été basées que sur de simples données pratiques. Cependant, lorsque nous aurons des cas concrets à étudier (tels que l'Autorité de l'Agriculture ou des Transports), il nous faudra garder présent à l'esprit que nous sommes actuellement dans une période « pré-fédérale » et qu'il nous faut chercher à donner aux Autorités Spécialisées une structure telle qu'elle permette ultérieurement leur regroupement en un « Gouvernement Européen »
31. Ces considérations confirment une position que les observations formulées au début de ce rapport (§ 11) auraient déjà justifiée : c'est de préférence au développement d'Autorités Supranationales authentiques que nous devons nous attacher. Des membres de la Commission ont cependant estimé qu'il n'était pas souhaitable de marquer une option aussi ferme, qui pourrait détourner certains pays de la politique d'Autorités Spécialisées. Dans cette perspective, il a été proposé d'écarter l'alinéa 13 (i) de la Déclaration Générale. Par 12 voix contre 3, un membre s'étant abstenu, la Commission a maintenu l'alinéa, marquant ainsi son choix politique, tout en soulignant qu'il ne s'agissait pas d'une formule exclusive.
32. Comment envisager cette instauration future d'un Gouvernement fédéral? Les organes de contrôle (parlementaire et gouvernemental) ne sont en somme que les premiers éléments d'un « Parlement fédéral »... Aux organes gouvernementaux de chaque Autorité se substituera une « Chambre Haute » (Chambre des États) bénéficiant de certaines prérogatives spéciales. Les organes parlementaires deviendront les sections spéciales d'une « Chambre Basse » (Chambre des Représentants). Le « Parlement fédéral » assurera le contrôle de l'Exécutif, mais il sera aussi qualifié pour élaborer la « législation européenne » complémentaire qui s'avérera utile : le « pouvoir législatif », dans certains secteurs, au lieu de s'exercer, comme maintenant, par la conclusion de traités entre États, sera transféré au Parlement fédéral. Les Exécutifs de chaque Autorité deviendront les « Ministères Européens » de la Fédération. Ceci vient appuyer nos précédentes suggestions sur la nature et l'étendue des prérogatives à leur confier. La « Cour de Justice » commune des Autorités jouera le rôle de « Cour Suprême » dans la future Fédération européenne. L'Assemblée excusera cette anticipation, basée sur des données bien incertaines. Ne l'oublions pas, aucune Autorité Spécialisée ne fonctionne encore à l'heure actuelle ! Concluons seulement de cette évocation qu'elle confirme l'importance des liaisons à établir entre les Autorités Spécialisées, et avec l'ensemble de la communauté européenne que représente le Conseil de l'Europe.
33. Le paragraphe 13 de la Déclaration Générale (cf. Deuxième Partie) qui résume les considérations ci-dessus a été adopté à l'unanimité.
34. L'ensemble de la Déclaration Générale que la Commission soumet à l'Assemblée, a été adopté à l'unanimité.

3. CHAPITRE II

3.1. Liaisons avec le Conseil de l'Europe

35. Je voudrais rappeler l'importance très considérable qui s'attache à l'établissement de liens étroits entre les Autorités Spécialisées et le Conseil de l'Europe. La politique d'Autorités Spécialisées présente certains risques : le principal étant une fragmentation des efforts de coopération dans des institutions étroitement spécialisées et sans liaisons sérieuses entre elles ni avec les Organisations Européennes (Conseil de l'Europe, 0. E. C. E.). On ne saurait mésestimer ce danger de désin-tégration. L'Assemblée s'est, dès les premiers jours, efforcée d'y parer en étudiant les modalités possibles de rattachement des Autorités au Conseil de l'Europe (Recommandations 1, 4 et 52, Doc. 121, 123 et 154, 1950).
36. Les principes suivants se dégagent de ces textes :
36.1. Le rôle exprès du Conseil de l'Europe est de provoquer la création d'Autorités Spécialisées;
36.2. Si des Autorités Spécialisées sont créées en dehors du Conseil de l'Europe, à l'initiative de certains États membres, ceux-ci doivent s'engager à les rattacher au Conseil de l'Europe.
36.3. Le Conseil de l'Europe exerce une double mission :
a. il fait valoir vis-à-vis des Autorités Spécialisées les intérêts de la communauté européenne;
b. il facilite la. coordination entre les différentes Autorités. Ceci nécessite que le Conseil dispose de certains moyens d'information et d'action.
36.4. Des formes d'intégration sont à rechercher entre certains des organismes du Conseil de l'Europe et des Autorités Spécialisées. Le rattachement des. Autorités Spécialisées au Conseil de l'Europe ne saurait toutefois être une source de gêne ou de retard dans le travail quotidien des Autorités. Une grande souplesse est nécessaire dans la mise en application des principes énoncés ci-dessus.
37. Votre Commission a examiné s'il fallait fixer dès maintenant, dans des textes de traité, les liaisons à établir entre les Autorités Spécialisées et le Conseil de l'Europe. Elle se trouvait, à ce point de vue, devant une initiative du Comité d'Étude pour la révision du Statut du Conseil de l'Europe, comité désigné par le Comité des Ministres. Le Comité d'Étude a étudié diverses dispositions additionnelles au Statut, relatives aux Autorités Spécialisées (cf. Doc. 10, titre E, et Annexe, § 6) et votre Commission en a été saisie. Elle a estimé que ces dispositions nouvelles, que le Comité des Ministres a peu modifiées, contenaient des réserves telles qu'elles nesemblaient pas justifier la conclusion d'un Protocole d'amendement au Statut et la mise en oeuvre d'une procédure de ratification. La commission a jugé préférable que soit élaborée ultérieurement une Convention (ou un Protocole spécial), fixant le cadre général, très souple évidemment, dans lequel se développeraient les Autorités Spécialisées en liaison avec le Conseil de l'Europe. Cette Convention serait à rapprocher des chapitres de la Charte des Nations Unies relatifs aux Institutions Spécialisées.
38. La signature du Traité instituant la Communauté du Charbon et de l'Acier (et du Protocole sur les liaisons avec le Conseil de l'Europe), les prochaines négociations sur l'Autorité de l'Agriculture, les prochains débats à l'Assemblée sur les Autorités Spécialisées constituent — ou constitueront — les éléments d'appréciation indispensables pour commencer l'étude d'une telle Convention. Il faut éviter toute prise de position précipitée qui risquerait de freiner le développement de la politique d'Autorités Spécialisées. Votre Commission demande à l'Assemblée d'être autorisée à entreprendre, au moment opportun, les premiers travaux en vue de la préparation d'un avant-projet de Convention sur les Autorités Spécialisées.

4. CHAPITRE III

4.1. Liaisons entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe

39. A sa session de mars, la Commission des Affaires Générales se trouvait devant un problème précis et nécessitant une solution immédiate : La conférence sur le Plan Schuman, saisie par le Comité des Ministres de la recommandation 6 (Doc. 132,1950), se préoccupait des dispositions à inscrire dans le Traité et ses annexes en vue de prévoir une liaison entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe. La proche conclusion des négociations a incité la Commission à entreprendre une action rapide sur ce sujet, de manière que les gouvernements des pays participant à la Conférence aient les suggestions, sinon de l'Assemblée, du moins de l'un de ses organes. Un projet de recommandation a été établi (adopté à l'unanimité, un membre s'étant abstenu). Il comportait un projet de Protocole annexe au Traité instituant la Communauté du Charbon et de l'Acier (cf. Annexe II au présent chapitre).
40. La Conférence des Ministres du Plan Schuman a pris en considération le texte préparé par votre Commission et a signé le 18 avril un Protocole sur les liaisons avec le Conseil de l'Europe dont le texte (cf. Annexe I au présent chapitre) est à peu près identique à celui élaboré par la commission des Affaires Générales. Les modifications apportées par la Conférence sont d'ordre purement rédactionnel et tendent seulement à améliorer la forme du document. Ce n'est qu'à l'article 3 qu'un changement de quelque importance a été apporté : la première phrase (« La Haute Autorité tient le Conseil de l'Europe régulièrement informé de l'activité de la Communauté ») a été écartée, mais elle se retrouve à peu près textuellement dans le corps même du Traité.
41. La commission des Affaires Générales s'est félicitée d'un accord aussi complet sur une question dont l'importance n'échappe pas. Les dispositions acceptées par les gouvernements signataires du Plan Schuman auront une répercussion considérable sur le développement de la politique d'Autorités Spécialisées dans le cadre du Conseil de l'Europe. Les propositions de votre Commission n'avaient pas encore été ratifiées par l'Assemblée. La Commission croit cependant qu'elles correspondaient réellement aux préoccupations de tous les représentants. Il est particulièrement heureux et significatif qu'elles aient été retenues. Peut-on ajouter que ce fait témoigne, une fois de plus, du réalisme des propositions mises à l'étude dans l'Assemblée.
42. La Commission a, d'autre part, examiné l'importante Déclaration commune des six gouvernements signataires du Traité. Elle a estimé qu'elle devait être spécialement étudiée dans l'Assemblée et en commission, afin de définir des mesures pratiques par lesquelles le Conseil de l'Europe pourrait aider à la réalisation des objectifs politiques fixés dans la Déclaration. La Commission a adopté deux résolutions après cet échange de vues, qu'elle communique à l'Assemblée. Ces résolutions ont été adoptées par 14 voix contre 1 (cf. Deuxième partie, Titre II). Un représentant a voté contre les résolutions, motivant son vote par le fait que lui-même et ses amis n'étaient pas èn accord avec le Traité instituant la Communauté. La première résolution sur le protocole relatif aux liaisons entre la Communauté du charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe est ainsi conçue : « La commission des Affaires Générales, « Après avoir pris connaissance du Protocole sur les liaisons entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe, signé le 18 avril 1951, « Se félicite que les Gouvernements signataires du Traité aient pris en considération le projet que la commission avait établi, et en aient retenu les principales considérations, « Constate qu'une collaboration étroite pourra ainsi s'établir entre le Conseil de l'Europe et la Communauté dès que le traité instituant celle-ci aura été ratifié. » La seconde résolution sur la Déclaration commune faite le 18 avril par les gouvernements signataires est la suivante : « La commission, « Après avoir pris connaissance de la Déclaration commune des six Gouvernements signataires du Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, « Propose à l'Assemblée d'étudier, au cours de sa prochaine session, cette Déclaration et les objectifs qui y sont formulés, « Estime que les prochains travaux de la commission devraient notamment porter sur les conditions dans lesquelles l'Assemblée pourrait contribuer à la réalisation de ces objectifs politiques européens. »

Commentaires sur le Protocole relatif aux liaisons entre le Plan Schuman et le Conseil de l'Europe

43. La Commission, en adoptant son projet de protocole, a souligné avec insistance que son objectif final était une réelle intégration de la Communauté du Charbon et de l'Acier dans le Conseil de l'Europe. Pour certains membres de la commission, le Protocole aurait pu servir ultérieurement de base pour l'élaboration d'un protocole-type entre des Autorités Spécialisées et le Conseil de l'Europe. Votre Commission a estimé qu'il fallait distinguer nettement entre deux catégories d'Autorités : celles créées à l'intérieur du Conseil de l'Europe et celles instituées en dehors du Conseil, à l'initiative de certains États membres. L'Assemblée a déjà marqué nettement, sa préférence que les Autorités se développent au sein même du Conseil, ce qui implique des liaisons bien plus étroites avec le Conseil. Aussi le Protocole présenté ci-dessous ne pourrait être étendu qu'aux seules Autorités instaurées en dehors du Conseil.
44. Sur les articles mêmes du Protocole (cf. Annexes I et II), on peut faire les quelques remarques suivantes : Les articles let 2 sont directement inspirés par la Recommandation 6 (Doc. 132, 1950), qui a été transmise officiellement par le Comité des Ministres aux gouvernements participant au Plan Schuman. L'article 3 répond à la préoccupation des deux Organes du Conseil de l'Europe de recevoir des rapports périodiques des Autorités Spécialisées. Il appartient ici à la Haute Autorité, Exécutif de la Communauté du Charbon et de l'Acier, de fournir de tels rapports. L'Assemblée de la Communauté présente, d'autre part, dans un rapport spécial, ses propres observations sur l'activité de la Communauté, ainsi qu'une information s
45. ur ses propres travaux (art. 2). L'article 4 établit la valeur juridique des recommandations adressées par le Conseil de l'Europe à la Communauté. Ces recommandations ne sont évidemment pas contraignantes; la Haute Autorité s'engage seulement à les prendre en considération et, par suite, à faire connaître si elles ont pu avoir une suite. L'article 5 a une valeur symbolique. L'article 6 est une clause réservatoire qui autorise par avance des négociations ultérieures, si des formes plus étroites de liaison apparaissaient possibles et désirables — ce qui serait notamment le cas si une Convention sur les Autorités Spécialisées (cf. § 35) renforçait les attributions du Conseil dans ce domaine.

Annexe 1 PROTOCOLE - sur les liaisons entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe signé le 18 avril 1951

(open)

LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES :

PLEINEMENT CONSCIENTES de la nécessité d'établir des liens aussi étroits que possible entre la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier et le Conseil de l'Europe, notamment entre les deux Assemblées;

PRENANT ACTE des recommandations de l'Assemblée du Conseil de l'Europe;

ARTICLE 1

l'Assemblée du Conseil de l'Europe; SONT CONVENUES des dispositions suivantes:

Les gouvernements des États membres sont invités à recommander à leurs Parlements respectifs que les membres de l'Assemblée, qu'ils sont appelés à désigner, soient choisis de préférence parmi les représentants à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 2

L'Assemblée Commune de la Communauté présente chaque année à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe un rapport sur son activité.

ARTICLE 3

La Haute Autorité communique chaque année au Comité des Ministres et à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe le Rapport général prévu à l'article 17 du Traité.

ARTICLE 4

Le Haute Autorité fait savoir au Conseil de l'Europe la suite qu'elle a pu donner aux recommandations qui lui auraient été adressées par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, en vertu de l'article 15 (b) du Statut du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 5

Le présent Traité et ses annexes seront enregistrés auprès du Secrétariat Général du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 6

Des accords entre la Communauté et le Conseil de l'Europe pourront entre autres prévoir toute autre forme d'assistance mutuelle et de collaboration entre les deux organisations, et, éventuellement des formes appropriées de l'une ou de l'autre.

Annexe 2 PROJET DE PROTOCOLE - sur les liaisons entre le Plan Schuman et le Conseil de l'Europe préparé le 16 mars 1951 par la commission des Affaires Générales

(open)

LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES :

CONSIDÉRANT nécessaire de permettre un rattachement de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier au Conseil de l'Europe,

SONT CONVENUES des dispositions suivantes :

ARTICLE 1

Les Hautes Parties Contractantes recommanderont à leurs Parlements respectifs que les membres de l'Assemblée Commune de la Communauté qu'ils sont appelés à désigner, soient choisis parmi les représentants à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 2

L'Assemblée Commune de la Communauté présente chaque année à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe un rapport sur l'activité de la Communauté.

ARTICLE 3

La Haute Autorité tient le Conseil de l'Europe régulièrement informé de l'activité de la Communauté. Elle communique chaque année au Comité des Ministres et à l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe le Rapport général prévu à l'article... du Traité.

ARTICLE 4

La Haute Autorité fait savoir au Conseil de l'Europe la suite qu'elle a pu donner aux recommandations (au sens du Statut du Conseil de l'Europe) qui lui auraient été adressées par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 4

Le présent Traité et ses annexes seront enregistrés auprès du Secrétariat Général du Conseil de l'Europe.

ARTICLE 6

Des accords entre la Communauté et le Conseil de l'Europe pourront notamment prévoir toute autre forme d'assistance mutuelle et de collaboration entre les deux organisations, et, éventuellement, des formes appropriées d'intégration entre les organismes qui dépendent de l'une ou de l'autre.

Note : Le projet de Protocole était assorti des considérants suivants :

La Commission des Affaires Générales présente à l'Assemblée la recommandation suivante :

« L'Assemblée,

« Soucieuse que dans l'intérêt même de l'union européenne, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, dont certains Membres ont pris l'initiative, devienne ultérieurement partie intégrante du Conseil de l'Europe,

« Considérant que des liaisons étroites entre le Conseil de l'Europe et la Communauté du Charbon et de l'Acier devraient ôtre, dès maintenant, établies,

« Tenant compte des recommandations déjà approuvées par l'Assemblée Consultative, tant sur le Plan Schuman que sur les Autorités Spécialisées (Rec. 1,4,6 et 52, 1950),

« Estime qu'il y aurait lieu de prévoir l'insertion dans le Traité sur le Plan Schuman (ou ses annexes) de dispositions telles que les suivantes :

a. « Projet d'article à insérer dans le Traité : - « La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier est rattachée au Conseil de l'Europe dans les conditions prévues dans un protocole spécial. »
b. « Projet de protocole annexe « »