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Résolution 2103 (2016)
Prévenir la radicalisation d’enfants et de jeunes en s’attaquant à ses causes profondes
1. La radicalisation des jeunes n'est
pas un phénomène nouveau: les enfants et les jeunes, dans leur construction
identitaire et leur quête d'un sentiment d'utilité, sont plus enclins
à être attirés par les idées et mouvements radicaux de différents
types (politiques, idéologiques ou religieux) que des personnes
d'autres tranches d'âge. Parmi ceux qui se sont radicalisés, certains
se tournent vers la violence, avec des conséquences néfastes, comme
l'Histoire l'a montré.
2. Le phénomène de la radicalisation endogène s’est considérablement
développé ces dernières années. Des jeunes, dont de nombreux mineurs,
sensibles au discours idéologique émanant des organisations radicales
et à l’apparent «sentiment d’utilité sociale» qu’elles leur procurent,
sont entraînés dans des mouvements extrémistes engagés dans des
conflits violents – en Syrie et en Irak, par exemple – et commettent des
actes terroristes, y compris en Europe.
3. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par cette évolution.
Elle considère que la prévention est la solution clé. Il faut empêcher
les enfants et les jeunes de se tourner vers des mouvements extrémistes
dès leur plus jeune âge, au moment où se forgent les valeurs et
les convictions. Les stratégies de prévention, de déradicalisation
et de réinsertion doivent cibler la personne dans son contexte particulier,
être globales et fondées sur des partenariats locaux entre de multiples
institutions.
4. Le discours de haine, l’islamophobie et la discrimination
à l’égard de jeunes d’origine musulmane ou de communautés musulmanes
en tant que telles (y compris des réfugiés arrivant en Europe) contribuent
à l’exclusion et peuvent encore renforcer la radicalisation religieuse
des enfants et des jeunes. Alors que la réponse européenne aux activités
terroristes doit être assurée d’une manière extrêmement ciblée par
des agences spécialisées, notamment les services de renseignement
et les institutions judiciaires et policières, les causes profondes
endogènes doivent être traitées aux niveaux national et, en particulier,
local, dans le cadre de vie quotidien des enfants et des jeunes.
Un des défis principaux sera de prévenir dès le départ leur exclusion
sociale pour s’assurer qu’ils ont pleinement accès, en toute égalité,
à un niveau de vie décent et aux droits sociaux, y compris l’éducation
et la formation. Les stratégies pertinentes doivent respecter les
droits humains et les libertés fondamentales afin d’éviter d’exacerber
le ressentiment.
5. L’Assemblée reconnaît que la croyance religieuse et la foi
jouent un rôle extrêmement important dans la vie d’innombrables
citoyens des divers Etats membres, et qu’elles contribuent au pluralisme
et à la diversité dans notre société; à cet égard, elle rappelle
les droits consacrés par l’article 9 et l’article 2 du Protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 9).
L’Assemblée réaffirme que le droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion est inhérent à toute véritable société démocratique,
et que, dans toute mesure prise pour contrer les tendances à la
radicalisation, les autorités des Etats membres doivent veiller
à respecter ces droits tels qu’ils sont garantis par la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5).
6. Au vu de ces considérations, l’Assemblée parlementaire appelle
les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. s’agissant de l’intégration sociale par l’éducation et
la formation:
6.1.1. à offrir à tous les enfants et les
jeunes les mêmes chances et des perspectives d’avenir, à leur donner
un sentiment d’utilité sociale ainsi que des perspectives de mobilité
sociale;
6.1.2. à dispenser aux enfants et aux jeunes une éducation à
la citoyenneté démocratique et à favoriser leur adhésion à des valeurs
européennes, y compris en encourageant leur participation dans toutes
les décisions qui les concernent et à leur donner les outils pour
adopter une approche critique de l’information et pour réfléchir
attentivement à ce qu’ils lisent et à ce qu’on leur dit;
6.1.3. à mettre en œuvre des mesures spécifiques pour assurer
la sécurité dans les écoles d’où il faut bannir tout type de harcèlement
et autres manifestations de préjugés, de discrimination, de ségrégation
ainsi que toutes les formes de violence;
6.1.4. à développer l’enseignement de l’histoire du fait religieux
en insistant sur la dimension pacifique des religions, tout en sensibilisant
les enseignants et en développant les programmes scolaires dans
ce domaine;
6.2. s’agissant des stratégies ciblées:
6.2.1. à soutenir
les familles de jeunes radicalisés ainsi que les institutions spécialisées
et organisations de la société civile, à désigner des personnes
de référence au niveau local et à mettre en place des programmes
ciblés de prévention, de déradicalisation et de réinsertion, en suivant
des approches différenciées selon le genre afin de prendre en compte
le nombre croissant de jeunes filles et de femmes radicalisées;
6.2.2. à développer des contre-discours en s’appuyant sur les
témoignages de personnes ayant quitté les mouvements extrémistes
ou terroristes, sans exclure la responsabilité de chaque membre
de la société de lutter contre le terrorisme;
6.2.3. à offrir une formation spécifique à toutes les parties
concernées (services de répression, travailleurs sociaux, organisations
non gouvernementales, familles) afin de leur donner les outils nécessaires
pour prévenir une radicalisation (accrue) des enfants à risque;
6.2.4. à lancer des campagnes de sensibilisation du public et
à élaborer à l’intention des fonctionnaires des programmes spécifiques
de lutte contre l’islamophobie;
6.2.5. à encourager les communautés religieuses à adopter une
approche plus axée sur la prévention, mettant en valeur la dimension
pacifique des religions, et à développer davantage leurs activités
en matière de prévention, en particulier à l’égard des jeunes et
en ce qui concerne les représentations religieuses sur internet;
6.2.6. à soutenir activement la déradicalisation des jeunes qui
quittent les mouvements extrémistes en facilitant leur réinsertion
afin d’éviter qu’ils ne servent les causes terroristes en tant qu’«agents
multiplicateurs»;
6.2.7. à mettre en œuvre des programmes spécifiques pour les
jeunes incarcérés;
6.2.8. à promouvoir des partenariats multiples fondés sur la
confiance mutuelle, en instaurant une cloison étanche entre les
services de signalement et les services de soutien;
6.2.9. à enregistrer, à suivre et à conserver des informations
et des statistiques fiables sur les crimes motivés par l’islamophobie
commis sur leur territoire, et à veiller à ce que ces rapports soient
accessibles au public;
6.3. s’agissant des politiques urbaines, à investir dans l’amélioration
des quartiers défavorisés et de leur infrastructure sociale, et
à assurer en particulier la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2015)3
du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’accès des jeunes
des quartiers défavorisés aux droits sociaux;
6.4. s’agissant plus généralement de l’action sociale et du
dialogue:
6.4.1. à faciliter le dialogue entre les communautés
religieuses et les familles afin de repérer les enfants et les jeunes
à risque, et de favoriser la compréhension et le respect mutuels
entre et au sein des religions;
6.4.2. à mener des campagnes de sensibilisation et de prévention,
et à mettre en œuvre des mesures ciblées contre l’islamophobie et
d’autres formes de discours de haine susceptibles de renforcer encore
les cercles vicieux de la discrimination et de la défiance entre
les systèmes politiques et religieux qui alimentent l’extrémisme;
6.4.3. à soutenir les actions menées par les associations de
victimes du terrorisme et d’autres organisations de la société civile
en vue de sensibiliser les enfants et les jeunes aux dangers de la
radicalisation;
6.5. s’agissant des politiques visant à rendre les médias et
internet plus sûrs:
6.5.1. à encourager les familles et
l’école à apprendre aux enfants à faire un bon usage d’internet
afin qu’ils prennent conscience des contenus extrémistes et se montrent
critiques vis‑à‑vis des méthodes manipulatrices employées par les
organisations radicales;
6.5.2. à prendre des mesures législatives pour lutter contre
les crimes islamophobes et autres crimes de haine, qui peuvent être
attisés par le discours de haine sur les réseaux sociaux;
6.5.3. à lutter contre la diffusion de la propagande radicale
et du discours de haine par le biais d’internet, des réseaux sociaux
et d’autres moyens de communication en renforçant les mécanismes
d’alerte;
6.5.4. à interdire par la loi toute incitation à la violence,
en particulier celle véhiculée par les médias, conformément à l’article
20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
6.6. s’agissant des services de répression et de renseignement:
à créer des systèmes destinés à identifier les personnes radicalisées
et les délinquants condamnés, et à faciliter l’échange d’informations à
leur sujet afin de suivre leurs déplacements transfrontaliers en
Europe et d’éviter d’autres actes criminels, tout en respectant
leurs droits humains et leurs libertés fondamentales.
7. L’Assemblée invite en outre les Etats membres:
7.1. à signer, à ratifier et à appliquer,
s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention du terrorisme (STCE no 196)
et son Protocole additionnel (STCE no 217);
7.2. à soutenir et à mettre en œuvre le Plan d’action du Conseil
de l’Europe sur «La lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation
conduisant au terrorisme (2015-2017)», les Lignes directrices à l’intention
des services pénitentiaires et de probation concernant la radicalisation
et l’extrémisme violent, adoptées par le Comité des Ministres en
mars 2016, ainsi que la Stratégie du Conseil de l’Europe sur les
droits de l’enfant (2016-2021) qui sera lancée en avril 2016 et
qui vise aussi à prévenir la radicalisation des enfants;
7.3. à échanger des informations et des bonnes pratiques concernant
les meilleurs stratégies et outils destinés à éviter la radicalisation,
à déradicaliser les jeunes concernés et à réinsérer les personnes
qui regagnent leur pays après avoir combattu à l’étranger et appartenu
à des organisations extrémistes.
8. L’Assemblée demande instamment aux chefs religieux d’intensifier
leurs efforts pour empêcher les jeunes de devenir un instrument
de violence et de terreur.