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Résolution 2103 (2016)

Prévenir la radicalisation d’enfants et de jeunes en s’attaquant à ses causes profondes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 19 avril 2016 (13e séance) (voir Doc. 14010 et addendum, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Sevinj Fataliyeva; Doc. 14025, avis de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: Sir Roger Gale; et Doc. 14024, avis de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Gabriela Heinrich). Texte adopté par l’Assemblée le 19 avril 2016 (13e séance).

1. La radicalisation des jeunes n'est pas un phénomène nouveau: les enfants et les jeunes, dans leur construction identitaire et leur quête d'un sentiment d'utilité, sont plus enclins à être attirés par les idées et mouvements radicaux de différents types (politiques, idéologiques ou religieux) que des personnes d'autres tranches d'âge. Parmi ceux qui se sont radicalisés, certains se tournent vers la violence, avec des conséquences néfastes, comme l'Histoire l'a montré.
2. Le phénomène de la radicalisation endogène s’est considérablement développé ces dernières années. Des jeunes, dont de nombreux mineurs, sensibles au discours idéologique émanant des organisations radicales et à l’apparent «sentiment d’utilité sociale» qu’elles leur procurent, sont entraînés dans des mouvements extrémistes engagés dans des conflits violents – en Syrie et en Irak, par exemple – et commettent des actes terroristes, y compris en Europe.
3. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par cette évolution. Elle considère que la prévention est la solution clé. Il faut empêcher les enfants et les jeunes de se tourner vers des mouvements extrémistes dès leur plus jeune âge, au moment où se forgent les valeurs et les convictions. Les stratégies de prévention, de déradicalisation et de réinsertion doivent cibler la personne dans son contexte particulier, être globales et fondées sur des partenariats locaux entre de multiples institutions.
4. Le discours de haine, l’islamophobie et la discrimination à l’égard de jeunes d’origine musulmane ou de communautés musulmanes en tant que telles (y compris des réfugiés arrivant en Europe) contribuent à l’exclusion et peuvent encore renforcer la radicalisation religieuse des enfants et des jeunes. Alors que la réponse européenne aux activités terroristes doit être assurée d’une manière extrêmement ciblée par des agences spécialisées, notamment les services de renseignement et les institutions judiciaires et policières, les causes profondes endogènes doivent être traitées aux niveaux national et, en particulier, local, dans le cadre de vie quotidien des enfants et des jeunes. Un des défis principaux sera de prévenir dès le départ leur exclusion sociale pour s’assurer qu’ils ont pleinement accès, en toute égalité, à un niveau de vie décent et aux droits sociaux, y compris l’éducation et la formation. Les stratégies pertinentes doivent respecter les droits humains et les libertés fondamentales afin d’éviter d’exacerber le ressentiment.
5. L’Assemblée reconnaît que la croyance religieuse et la foi jouent un rôle extrêmement important dans la vie d’innombrables citoyens des divers Etats membres, et qu’elles contribuent au pluralisme et à la diversité dans notre société; à cet égard, elle rappelle les droits consacrés par l’article 9 et l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 9). L’Assemblée réaffirme que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est inhérent à toute véritable société démocratique, et que, dans toute mesure prise pour contrer les tendances à la radicalisation, les autorités des Etats membres doivent veiller à respecter ces droits tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
6. Au vu de ces considérations, l’Assemblée parlementaire appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. s’agissant de l’intégration sociale par l’éducation et la formation:
6.1.1. à offrir à tous les enfants et les jeunes les mêmes chances et des perspectives d’avenir, à leur donner un sentiment d’utilité sociale ainsi que des perspectives de mobilité sociale;
6.1.2. à dispenser aux enfants et aux jeunes une éducation à la citoyenneté démocratique et à favoriser leur adhésion à des valeurs européennes, y compris en encourageant leur participation dans toutes les décisions qui les concernent et à leur donner les outils pour adopter une approche critique de l’information et pour réfléchir attentivement à ce qu’ils lisent et à ce qu’on leur dit;
6.1.3. à mettre en œuvre des mesures spécifiques pour assurer la sécurité dans les écoles d’où il faut bannir tout type de harcèlement et autres manifestations de préjugés, de discrimination, de ségrégation ainsi que toutes les formes de violence;
6.1.4. à développer l’enseignement de l’histoire du fait religieux en insistant sur la dimension pacifique des religions, tout en sensibilisant les enseignants et en développant les programmes scolaires dans ce domaine;
6.2. s’agissant des stratégies ciblées:
6.2.1. à soutenir les familles de jeunes radicalisés ainsi que les institutions spécialisées et organisations de la société civile, à désigner des personnes de référence au niveau local et à mettre en place des programmes ciblés de prévention, de déradicalisation et de réinsertion, en suivant des approches différenciées selon le genre afin de prendre en compte le nombre croissant de jeunes filles et de femmes radicalisées;
6.2.2. à développer des contre-discours en s’appuyant sur les témoignages de personnes ayant quitté les mouvements extrémistes ou terroristes, sans exclure la responsabilité de chaque membre de la société de lutter contre le terrorisme;
6.2.3. à offrir une formation spécifique à toutes les parties concernées (services de répression, travailleurs sociaux, organisations non gouvernementales, familles) afin de leur donner les outils nécessaires pour prévenir une radicalisation (accrue) des enfants à risque;
6.2.4. à lancer des campagnes de sensibilisation du public et à élaborer à l’intention des fonctionnaires des programmes spécifiques de lutte contre l’islamophobie;
6.2.5. à encourager les communautés religieuses à adopter une approche plus axée sur la prévention, mettant en valeur la dimension pacifique des religions, et à développer davantage leurs activités en matière de prévention, en particulier à l’égard des jeunes et en ce qui concerne les représentations religieuses sur internet;
6.2.6. à soutenir activement la déradicalisation des jeunes qui quittent les mouvements extrémistes en facilitant leur réinsertion afin d’éviter qu’ils ne servent les causes terroristes en tant qu’«agents multiplicateurs»;
6.2.7. à mettre en œuvre des programmes spécifiques pour les jeunes incarcérés;
6.2.8. à promouvoir des partenariats multiples fondés sur la confiance mutuelle, en instaurant une cloison étanche entre les services de signalement et les services de soutien;
6.2.9. à enregistrer, à suivre et à conserver des informations et des statistiques fiables sur les crimes motivés par l’islamophobie commis sur leur territoire, et à veiller à ce que ces rapports soient accessibles au public;
6.3. s’agissant des politiques urbaines, à investir dans l’amélioration des quartiers défavorisés et de leur infrastructure sociale, et à assurer en particulier la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2015)3 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’accès des jeunes des quartiers défavorisés aux droits sociaux;
6.4. s’agissant plus généralement de l’action sociale et du dialogue:
6.4.1. à faciliter le dialogue entre les communautés religieuses et les familles afin de repérer les enfants et les jeunes à risque, et de favoriser la compréhension et le respect mutuels entre et au sein des religions;
6.4.2. à mener des campagnes de sensibilisation et de prévention, et à mettre en œuvre des mesures ciblées contre l’islamophobie et d’autres formes de discours de haine susceptibles de renforcer encore les cercles vicieux de la discrimination et de la défiance entre les systèmes politiques et religieux qui alimentent l’extrémisme;
6.4.3. à soutenir les actions menées par les associations de victimes du terrorisme et d’autres organisations de la société civile en vue de sensibiliser les enfants et les jeunes aux dangers de la radicalisation;
6.5. s’agissant des politiques visant à rendre les médias et internet plus sûrs:
6.5.1. à encourager les familles et l’école à apprendre aux enfants à faire un bon usage d’internet afin qu’ils prennent conscience des contenus extrémistes et se montrent critiques vis‑à‑vis des méthodes manipulatrices employées par les organisations radicales;
6.5.2. à prendre des mesures législatives pour lutter contre les crimes islamophobes et autres crimes de haine, qui peuvent être attisés par le discours de haine sur les réseaux sociaux;
6.5.3. à lutter contre la diffusion de la propagande radicale et du discours de haine par le biais d’internet, des réseaux sociaux et d’autres moyens de communication en renforçant les mécanismes d’alerte;
6.5.4. à interdire par la loi toute incitation à la violence, en particulier celle véhiculée par les médias, conformément à l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
6.6. s’agissant des services de répression et de renseignement: à créer des systèmes destinés à identifier les personnes radicalisées et les délinquants condamnés, et à faciliter l’échange d’informations à leur sujet afin de suivre leurs déplacements transfrontaliers en Europe et d’éviter d’autres actes criminels, tout en respectant leurs droits humains et leurs libertés fondamentales.
7. L’Assemblée invite en outre les Etats membres:
7.1. à signer, à ratifier et à appliquer, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel (STCE no 217);
7.2. à soutenir et à mettre en œuvre le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur «La lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme (2015-2017)», les Lignes directrices à l’intention des services pénitentiaires et de probation concernant la radicalisation et l’extrémisme violent, adoptées par le Comité des Ministres en mars 2016, ainsi que la Stratégie du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant (2016-2021) qui sera lancée en avril 2016 et qui vise aussi à prévenir la radicalisation des enfants;
7.3. à échanger des informations et des bonnes pratiques concernant les meilleurs stratégies et outils destinés à éviter la radicalisation, à déradicaliser les jeunes concernés et à réinsérer les personnes qui regagnent leur pays après avoir combattu à l’étranger et appartenu à des organisations extrémistes.
8. L’Assemblée demande instamment aux chefs religieux d’intensifier leurs efforts pour empêcher les jeunes de devenir un instrument de violence et de terreur.