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Résolution 2109 (2016)
La situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l'Accord UE-Turquie du 18 mars 2016
1. L’Assemblée parlementaire prend
note de l’accord du 18 mars 2016 conclu entre l’Union européenne
et la Turquie (accord UE-Turquie) avec, en toile de fond, l’arrivée
en 2015 d’un nombre sans précédent de réfugiés et de migrants en
Europe occidentale par la route de la Méditerranée orientale et
des Balkans occidentaux, qui avait provoqué des tensions politiques
dans de nombreux Etats et une crise institutionnelle au sein de
l’Union européenne. Elle rappelle que la Turquie accueille actuellement
plus de 2,7 millions de réfugiés syriens et aurait, selon ses estimations,
dépensé plus de 7 milliards d’euros en leur faveur.
2. L’Assemblée considère que l’accord UE-Turquie soulève plusieurs
questions importantes en matière de droits de l’homme, tant sur
le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immédiate et ultérieure.
En particulier:
2.1. le système
d’asile grec n’est pas en mesure d’assurer l’enregistrement des
demandes d’asile ni de rendre les décisions en première instance
ou les décisions définitives en appel dans des délais raisonnables;
la nouvelle loi grecque no 4375/2016
pourrait contribuer à remédier aux lacunes constatées, mais ne garantira
pas pour autant des capacités suffisantes;
2.2. la rétention des demandeurs d’asile dans les centres de
crise («hotspots») des îles de la mer Egée pourrait être incompatible
avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5), notamment en raison de vices de
procédure qui entachent le fondement juridique de la rétention et
de conditions de rétention inadéquates;
2.3. les mineurs et les personnes vulnérables placés en rétention
ne sont pas systématiquement dirigés vers des structures d’accueil
appropriées;
2.4. le renvoi des réfugiés syriens en Turquie en tant que
«premier pays d’asile» pourrait être contraire au droit de l’Union
européenne et/ou au droit international, étant donné que, de l’avis
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
la protection assurée par la Turquie pourrait ne pas être «suffisante»;
des cas de refoulement indirect de Syriens ont également été signalés;
2.5. le renvoi de demandeurs d’asile, syriens ou non, vers
la Turquie en tant que «pays tiers sûr» est contraire au droit de
l’Union européenne et/ou au droit international: la Turquie ne leur
fournit en effet pas la protection prévue par la Convention des
Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, les non-Syriens
ne bénéficient pas d’un accès réel à la procédure d’asile, et des
cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont été
signalés;
2.6. les recours formés contre les décisions de renvoi des
demandeurs d’asile vers la Turquie n’ont pas toujours l’effet suspensif
automatique prévu par la Convention européenne des droits de l'homme;
2.7. la réinstallation de réfugiés syriens présents en Turquie
est subordonnée au nombre de Syriens renvoyés en Turquie depuis
la Grèce et dépendra par la suite du «Programme d’admission humanitaire volontaire»;
dans la pratique, de telles dispositions risquent de se traduire
par des taux de réinstallation très faibles, ce qui est inadmissible;
2.8. des retards excessifs ont été enregistrés dans le versement
par l’Union européenne de l’aide financière promise à la Turquie
pour l’aider à fournir une assistance aux réfugiés syriens présents
sur son territoire, qui ne devrait pas dépendre de l’évolution de
la situation dans la mer Egée.
3. L’Assemblée est également préoccupée par certaines initiatives
parallèles dans des domaines étroitement liés à l’accord UE-Turquie.
En particulier:
3.1. la fermeture
de la frontière méridionale de «l’ex-République yougoslave de Macédoine», combinée
à l’accord UE-Turquie, a encore accru la pression pesant sur la
Grèce, un pays déjà aux prises avec les effets de l’austérité budgétaire
et financière;
3.2. la plupart des Etats membres de l’Union européenne n’ont
pas honoré leurs engagements en matière de relocalisation des réfugiés
depuis la Grèce, malgré la pression croissante subie par ce pays;
3.3. il est prématuré d’envisager la reprise des transferts
vers la Grèce au titre du Règlement de Dublin, étant donné les défaillances
persistantes du régime d’asile grec, les pressions supplémentaires engendrées
par la situation actuelle du pays et le fait que le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe n’a pas encore clos sa surveillance de l’exécution
par la Grèce de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits
de l’homme dans l’affaire M.S.S. c. Belgique
et Grèce.
4. En conséquence, l’Assemblée recommande à la Grèce, en tant
que partie exécutante de l’accord UE-Turquie, et à l’Union européenne,
dans la mesure où celle-ci fournit une assistance opérationnelle
aux autorités grecques:
4.1. de
s’abstenir de placer systématiquement en rétention les demandeurs
d’asile et de garantir le respect rigoureux des exigences prévues
par le droit interne, la Convention européenne des droits de l’homme
et le droit de l’Union européenne concernant les motifs et les conditions
de rétention, en prévoyant des solutions de remplacement satisfaisantes
lorsque la rétention n’est pas justifiée ou qu’elle serait inappropriée,
notamment à l’expiration du délai légal;
4.2. de veiller systématiquement à ce qu’il soit mis fin sans
délai à la rétention des mineurs et des personnes vulnérables, et
à ce qu’ils soient orientés vers des structures d’accueil adaptées;
4.3. de veiller à ce que les droits et dispositions prévus
par la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil
établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la
protection internationale soient pleinement respectés pour tous
les réfugiés et migrants arrivant en Grèce;
4.4. de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne
la question de l’interprétation de la notion de «protection suffisante»
qui figure à l’article 35 de la Directive 2013/32/UE du Parlement
européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l’octroi
et le retrait de la protection internationale et, dans l’attente
de l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne,
de s’abstenir de procéder au retour non volontaire de réfugiés syriens
vers la Turquie en application de cette disposition;
4.5. de s’abstenir de procéder au retour non volontaire de
demandeurs d’asile vers la Turquie en s’appuyant sur l’article 38
de la directive relative aux procédures d’asile précitée;
4.6. de faire en sorte que des moyens suffisants mis à disposition
par l’administration grecque ou par d’autres Etats membres de l’Union
européenne soient rapidement disponibles afin de permettre l’accès effectif
à une procédure d’asile satisfaisante et à des décisions rapides
en première instance et en appel, conformément au droit de l’Union
européenne, notamment pour les demandeurs placés en rétention;
4.7. de réviser la législation pour garantir que tous les recours
formés contre une décision de renvoi en Turquie ont un effet suspensif
automatique;
4.8. de veiller à ce que tous les migrants et demandeurs d’asile
dont la demande est rejetée soient traités avec dignité et en pleine
conformité avec la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et
du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables
dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers
en séjour irrégulier (directive «retour»).
5. L’Assemblée recommande en outre à l’Union européenne, à ses
Etats membres et aux Etats participant aux programmes de réinstallation
de l’Union européenne, selon le cas:
5.1. de faire en sorte que les engagements pris en matière
de réinstallation dans le cadre de l’accord de l’Union européenne
du 20 juillet 2015 sur la réinstallation soient honorés rapidement
et pleinement, indépendamment de la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie;
et qu’en outre un nombre important de réfugiés syriens soient réinstallés
depuis la Turquie;
5.2. d’autoriser sans tarder et sans procédure complexe le
regroupement familial des réfugiés, afin d’éviter que les membres
de leur famille ne soient contraints d’emprunter des voies irrégulières
pour les rejoindre;
5.3. de verser sans plus attendre l’aide financière promise
à la Turquie en novembre 2015 pour l’aider à fournir une assistance
aux réfugiés syriens;
5.4. d’honorer rapidement les engagements pris en matière de
réinstallation de réfugiés depuis la Grèce;
5.5. de ne pas envisager une reprise des transferts vers la
Grèce au titre du Règlement de Dublin avant que le Comité des Ministres
ait clos sa surveillance de l’exécution par la Grèce de l’arrêt M.S.S c. Belgique et Grèce.
6. Enfin, l’Assemblée recommande à la Turquie:
6.1. de retirer sa réserve géographique
à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que
de reconnaître le statut des réfugiés sous l’égide de cette convention
et de respecter pleinement les droits qui en découlent;
6.2. de s’abstenir de procéder à tout refoulement indirect
des demandeurs d’asile renvoyés de Grèce, en garantissant l’accès
au système d’asile et à un recours effectif avec effet suspensif
contre le renvoi, comme l’exige la Convention européenne des droits
de l’homme;
6.3. de veiller à ce que tous les migrants et demandeurs d’asile
renvoyés de Grèce soient traités dans le respect scrupuleux des
normes internationales, y compris en matière de détention.