Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2109 (2016)

La situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l'Accord UE-Turquie du 18 mars 2016

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance) (voir Doc. 14028, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Tineke Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance).

1. L’Assemblée parlementaire prend note de l’accord du 18 mars 2016 conclu entre l’Union européenne et la Turquie (accord UE-Turquie) avec, en toile de fond, l’arrivée en 2015 d’un nombre sans précédent de réfugiés et de migrants en Europe occidentale par la route de la Méditerranée orientale et des Balkans occidentaux, qui avait provoqué des tensions politiques dans de nombreux Etats et une crise institutionnelle au sein de l’Union européenne. Elle rappelle que la Turquie accueille actuellement plus de 2,7 millions de réfugiés syriens et aurait, selon ses estimations, dépensé plus de 7 milliards d’euros en leur faveur.
2. L’Assemblée considère que l’accord UE-Turquie soulève plusieurs questions importantes en matière de droits de l’homme, tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immédiate et ultérieure. En particulier:
2.1. le système d’asile grec n’est pas en mesure d’assurer l’enregistrement des demandes d’asile ni de rendre les décisions en première instance ou les décisions définitives en appel dans des délais raisonnables; la nouvelle loi grecque no 4375/2016 pourrait contribuer à remédier aux lacunes constatées, mais ne garantira pas pour autant des capacités suffisantes;
2.2. la rétention des demandeurs d’asile dans les centres de crise («hotspots») des îles de la mer Egée pourrait être incompatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), notamment en raison de vices de procédure qui entachent le fondement juridique de la rétention et de conditions de rétention inadéquates;
2.3. les mineurs et les personnes vulnérables placés en rétention ne sont pas systématiquement dirigés vers des structures d’accueil appropriées;
2.4. le renvoi des réfugiés syriens en Turquie en tant que «premier pays d’asile» pourrait être contraire au droit de l’Union européenne et/ou au droit international, étant donné que, de l’avis du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la protection assurée par la Turquie pourrait ne pas être «suffisante»; des cas de refoulement indirect de Syriens ont également été signalés;
2.5. le renvoi de demandeurs d’asile, syriens ou non, vers la Turquie en tant que «pays tiers sûr» est contraire au droit de l’Union européenne et/ou au droit international: la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection prévue par la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, les non-Syriens ne bénéficient pas d’un accès réel à la procédure d’asile, et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont été signalés;
2.6. les recours formés contre les décisions de renvoi des demandeurs d’asile vers la Turquie n’ont pas toujours l’effet suspensif automatique prévu par la Convention européenne des droits de l'homme;
2.7. la réinstallation de réfugiés syriens présents en Turquie est subordonnée au nombre de Syriens renvoyés en Turquie depuis la Grèce et dépendra par la suite du «Programme d’admission humanitaire volontaire»; dans la pratique, de telles dispositions risquent de se traduire par des taux de réinstallation très faibles, ce qui est inadmissible;
2.8. des retards excessifs ont été enregistrés dans le versement par l’Union européenne de l’aide financière promise à la Turquie pour l’aider à fournir une assistance aux réfugiés syriens présents sur son territoire, qui ne devrait pas dépendre de l’évolution de la situation dans la mer Egée.
3. L’Assemblée est également préoccupée par certaines initiatives parallèles dans des domaines étroitement liés à l’accord UE-Turquie. En particulier:
3.1. la fermeture de la frontière méridionale de «l’ex-République yougoslave de Macédoine», combinée à l’accord UE-Turquie, a encore accru la pression pesant sur la Grèce, un pays déjà aux prises avec les effets de l’austérité budgétaire et financière;
3.2. la plupart des Etats membres de l’Union européenne n’ont pas honoré leurs engagements en matière de relocalisation des réfugiés depuis la Grèce, malgré la pression croissante subie par ce pays;
3.3. il est prématuré d’envisager la reprise des transferts vers la Grèce au titre du Règlement de Dublin, étant donné les défaillances persistantes du régime d’asile grec, les pressions supplémentaires engendrées par la situation actuelle du pays et le fait que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe n’a pas encore clos sa surveillance de l’exécution par la Grèce de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce.
4. En conséquence, l’Assemblée recommande à la Grèce, en tant que partie exécutante de l’accord UE-Turquie, et à l’Union européenne, dans la mesure où celle-ci fournit une assistance opérationnelle aux autorités grecques:
4.1. de s’abstenir de placer systématiquement en rétention les demandeurs d’asile et de garantir le respect rigoureux des exigences prévues par le droit interne, la Convention européenne des droits de l’homme et le droit de l’Union européenne concernant les motifs et les conditions de rétention, en prévoyant des solutions de remplacement satisfaisantes lorsque la rétention n’est pas justifiée ou qu’elle serait inappropriée, notamment à l’expiration du délai légal;
4.2. de veiller systématiquement à ce qu’il soit mis fin sans délai à la rétention des mineurs et des personnes vulnérables, et à ce qu’ils soient orientés vers des structures d’accueil adaptées;
4.3. de veiller à ce que les droits et dispositions prévus par la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale soient pleinement respectés pour tous les réfugiés et migrants arrivant en Grèce;
4.4. de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question de l’interprétation de la notion de «protection suffisante» qui figure à l’article 35 de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale et, dans l’attente de l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, de s’abstenir de procéder au retour non volontaire de réfugiés syriens vers la Turquie en application de cette disposition;
4.5. de s’abstenir de procéder au retour non volontaire de demandeurs d’asile vers la Turquie en s’appuyant sur l’article 38 de la directive relative aux procédures d’asile précitée;
4.6. de faire en sorte que des moyens suffisants mis à disposition par l’administration grecque ou par d’autres Etats membres de l’Union européenne soient rapidement disponibles afin de permettre l’accès effectif à une procédure d’asile satisfaisante et à des décisions rapides en première instance et en appel, conformément au droit de l’Union européenne, notamment pour les demandeurs placés en rétention;
4.7. de réviser la législation pour garantir que tous les recours formés contre une décision de renvoi en Turquie ont un effet suspensif automatique;
4.8. de veiller à ce que tous les migrants et demandeurs d’asile dont la demande est rejetée soient traités avec dignité et en pleine conformité avec la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive «retour»).
5. L’Assemblée recommande en outre à l’Union européenne, à ses Etats membres et aux Etats participant aux programmes de réinstallation de l’Union européenne, selon le cas:
5.1. de faire en sorte que les engagements pris en matière de réinstallation dans le cadre de l’accord de l’Union européenne du 20 juillet 2015 sur la réinstallation soient honorés rapidement et pleinement, indépendamment de la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie; et qu’en outre un nombre important de réfugiés syriens soient réinstallés depuis la Turquie;
5.2. d’autoriser sans tarder et sans procédure complexe le regroupement familial des réfugiés, afin d’éviter que les membres de leur famille ne soient contraints d’emprunter des voies irrégulières pour les rejoindre;
5.3. de verser sans plus attendre l’aide financière promise à la Turquie en novembre 2015 pour l’aider à fournir une assistance aux réfugiés syriens;
5.4. d’honorer rapidement les engagements pris en matière de réinstallation de réfugiés depuis la Grèce;
5.5. de ne pas envisager une reprise des transferts vers la Grèce au titre du Règlement de Dublin avant que le Comité des Ministres ait clos sa surveillance de l’exécution par la Grèce de l’arrêt M.S.S c. Belgique et Grèce.
6. Enfin, l’Assemblée recommande à la Turquie:
6.1. de retirer sa réserve géographique à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que de reconnaître le statut des réfugiés sous l’égide de cette convention et de respecter pleinement les droits qui en découlent;
6.2. de s’abstenir de procéder à tout refoulement indirect des demandeurs d’asile renvoyés de Grèce, en garantissant l’accès au système d’asile et à un recours effectif avec effet suspensif contre le renvoi, comme l’exige la Convention européenne des droits de l’homme;
6.3. de veiller à ce que tous les migrants et demandeurs d’asile renvoyés de Grèce soient traités dans le respect scrupuleux des normes internationales, y compris en matière de détention.