Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2112 (2016)

Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 21 avril 2016 (17e séance) (voir Doc. 14015 et addendum, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Nellija Kleinberga). Texte adopté par l’Assemblée le 21 avril 2016 (17e séance).Voir également la Recommandation 2090 (2016).

1. Des centaines de militaires et de civils ukrainiens auraient été capturés ou enlevés depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie et le début des agressions militaires dans les régions de Lougansk et de Donetsk, dans la partie orientale de l’Ukraine.
2. D’après le Service de sécurité de l’Ukraine, 3 015 personnes capturées ont été libérées depuis avril 2014, mais 123 sont toujours détenues par les séparatistes et 693 sont toujours portées disparues. Cependant, ces chiffres n’incluent pas toutes les personnes qui ont été capturées par les séparatistes dans les territoires occupés, leur famille ayant souvent peur de déclarer leur captivité aux autorités ukrainiennes.
3. L’Assemblée parlementaire est gravement préoccupée par les nombreux rapports de traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes capturées qui sont victimes de tortures, de mauvais traitements et de violences sexuelles. En outre, il est également prouvé que des personnes capturées par les séparatistes ont été exécutées par la suite.
4. L’Assemblée est également très préoccupée par la situation en Crimée où, depuis l’annexion illégale de la péninsule par la Fédération de Russie, les autorités de fait invoquent la législation russe réprimant l’extrémisme, le séparatisme et le terrorisme pour placer en détention des militants tatars de Crimée et ukrainiens. L’Assemblée condamne la récente interdiction du Mejlis en tant qu’organisation extrémiste, ce qui est contraire aux normes internationales et prouve la violation systématique des droits des Tatars de Crimée.
5. L’Assemblée est, en outre, alarmée par les rapports de défenseurs des droits de l’homme concernant 11 prisonniers ukrainiens qui seraient détenus par les autorités russes en violation du droit international sur la base de chefs d’inculpation fabriqués de toutes pièces. Par ailleurs, 10 ressortissants ukrainiens au moins sont détenus en Crimée sur la base d’accusations à caractère politique.
6. L’exemple le plus flagrant est celui de Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, qui a été emmenée de force en Fédération de Russie où elle est maintenue illégalement en détention depuis juin 2014 malgré, entre autres, l’immunité dont elle bénéficie en vertu de l’article 40.a du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et son Protocole additionnel (STE nos 2 et 10) auxquels la Fédération de Russie est partie. A la suite d’un procès inéquitable, la justice russe a condamné Mme Savchenko, accusée du meurtre de deux journalistes russes, à une peine d’emprisonnement de vingt-deux ans. En protestation contre ce verdict, Mme Savchenko a entamé une nouvelle grève de la faim. L’Assemblée condamne fermement l’arrestation, la détention et le procès illégaux de Mme Savchenko dans la Fédération de Russie, et appelle à sa libération immédiate.
7. L’Assemblée appelle tous les Etats membres du Conseil de l'Europe à adopter des sanctions ciblées (notamment l’interdiction de visa et le gel de comptes bancaires) contre les personnes impliquées dans l’enlèvement, la détention illicite, le procès inéquitable et la condamnation de Mme Savchenko, tout en respectant les principes énoncés par l’Assemblée dans sa Résolution 1966 (2014) «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski» (permettre, notamment, aux personnes concernées de présenter des arguments appropriés pour leur défense) à moins que Mme Savchenko ne soit libérée sans délai. Elle se félicite, à cet égard, de l’adoption récente, par la Lituanie, d’une «liste noire Savchenko» sur laquelle figurent les noms de 46 personnes qui ont joué un rôle dans son procès. Des mesures similaires devraient être envisagées concernant le cas de 10 autres prisonniers ukrainiens qui seraient détenus par les autorités russes sur la base de chefs d’inculpation fabriqués de toutes pièces.
8. L’Assemblée relève, en outre, avec une grande inquiétude des allégations de violations du droit à la liberté et du droit à un procès équitable dont devraient bénéficier les personnes détenues par les services secrets ukrainiens ou par différents bataillons militaires ukrainiens, y compris des bataillons de volontaires. Elle demande aux autorités ukrainiennes d’enquêter sur chacune de ces affaires et de punir les auteurs conformément à la législation ukrainienne pertinente.
9. L’Assemblée est convaincue que, si toutes les parties concernées ne sont pas déterminées à mettre un terme à cette guerre, il ne sera pas possible de trouver une solution au problème des personnes capturées pendant l’agression militaire russe en Ukraine. C’est pourquoi elle invite instamment l’Ukraine, la Fédération de Russie et les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
9.1. à arrêter toutes les opérations militaires dans l’est de l’Ukraine, à retirer toutes les armes et à restaurer un climat de paix dans la région;
9.2. à mettre en œuvre sans plus tarder l’Accord de Minsk, et en priorité le paragraphe sur la libération de toutes les personnes capturées; leur libération ne doit pas dépendre du respect d’autres points de l’Accord de Minsk;
9.3. à respecter le droit humanitaire international, et les droits et obligations des parties concernant les prisonniers de guerre et la protection des civils, tels que consacrés par la troisième et la quatrième Conventions de Genève de 1949 et les deux protocoles additionnels de 1977 (sur les conflits armés internationaux et non internationaux);
9.4. à accorder aux organisations humanitaires internationales l’accès sans condition à tous les détenus.
10. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les autorités de la Fédération de Russie:
10.1. à libérer tous les prisonniers ukrainiens capturés et emprisonnés en Fédération de Russie et en Crimée illégalement annexée, sur la base d’accusations à caractère politique, y compris, mais pas seulement, M. Ahtem Çiygöz;
10.2. à mener des enquêtes en bonne et due forme et à engager des poursuites à l’encontre des auteurs d’actes d’enlèvement, de disparition forcée, de torture et d’assassinat à caractère politique de militants ukrainiens et de militants tatars de Crimée;
10.3. à user de leur influence sur les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés dans les régions de Donetsk et de Lougansk pour les inciter à libérer tous les prisonniers ukrainiens;
10.4. à accorder immédiatement un accès illimité au territoire de la Crimée aux mécanismes conventionnels et de suivi des organisations internationales de défense des droits de l’homme;
10.5. à remettre immédiatement en liberté Mme Savchenko, qui bénéficie de l’immunité parlementaire européenne aux termes de l’Accord général sur les privilèges et les immunités du Conseil de l’Europe, ainsi que d’autres prisonniers ukrainiens détenus illégalement, et à les autoriser à rentrer en Ukraine.
11. L’Assemblée invite instamment les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
11.1. à libérer toutes les personnes capturées, qu’elles soient prisonnières ou otages;
11.2. à cesser toute violation des droits de l’homme, et notamment l’enlèvement, la torture et l’assassinat à motivation politique de citoyens ukrainiens;
11.3. à coopérer avec la partie ukrainienne pour coordonner les listes et les catégories de personnes capturées en vue de procéder à l’échange de prisonniers dans le cadre de l’Accord de Minsk, en vertu du principe «tous contre tous»;
11.4. à permettre aux missions humanitaires internationales d’accéder à tous les lieux de détention des personnes capturées.
12. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les autorités ukrainiennes:
12.1. s’agissant des mesures juridiques:
12.1.1. à ratifier dans les meilleurs délais possibles le Statut de Rome afin de permettre à la Cour pénale internationale de mener des enquêtes effectives sur des cas concrets de violation du droit international humanitaire pendant la guerre en Ukraine;
12.1.2. à mener des enquêtes en bonne et due forme et à engager des poursuites à l’encontre des auteurs présumés de cas d’enlèvement et de séquestration ainsi que de corruption en rapport avec la libération de personnes capturées;
12.1.3. à mettre leur législation nationale, y compris le Code pénal et le Code de procédure pénale, en conformité avec les dispositions du droit pénal international, et en particulier à prévoir un statut de personne capturée et à déclarer que la torture est un crime grave;
12.1.4. à modifier la loi «sur la prévention de la persécution et du châtiment des personnes impliquées dans les évènements qui ont eu lieu sur le territoire des régions de Donetsk et Lougansk», à garantir que l’amnistie n’est pas accordée aux personnes ayant commis des crimes de guerre; et à s’assurer que l’amnistie n’est utilisée qu’à l’issue d’une enquête en bonne et due forme et d’un procès équitable;
12.1.5. à élaborer une nouvelle loi sur la réadaptation psychologique, en étroite concertation avec des organisations non gouvernementales et des spécialistes internationaux qui interviennent dans ce domaine, en particulier en tenant compte des besoins des victimes des opérations militaires;
12.2. s’agissant de l’assistance aux personnes capturées et à leur famille:
12.2.1. à élaborer un mécanisme d’indemnisation publique et de soutien des familles des personnes capturées, et à veiller à ce que les familles concernées soient informées de l’existence d’un tel mécanisme;
12.2.2. à garantir que, une fois libérées, les personnes capturées bénéficient d’une aide au retour et d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique;
12.2.3. à mettre en place une procédure spéciale pour faciliter la délivrance de nouveaux documents aux personnes libérées;
12.2.4. à proposer aux psychologues et au personnel médical des formations spéciales sur la manière d’assurer une réadaptation psychologique répondant aux besoins spécifiques des personnes capturées et de leur famille.
13. L’Assemblée appelle la communauté internationale à s’impliquer davantage dans le processus de libération des personnes en captivité, elle appelle notamment:
13.1. l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à faciliter les négociations et la résolution du problème des personnes capturées dans le cadre du groupe de travail sur les questions humanitaires créé dans le cadre de l’Accord de Minsk;
13.2. le Comité international de la Croix-Rouge à poursuivre ses efforts pour obtenir un accès illimité à toutes les personnes détenues en lien avec la guerre, à contrôler leurs conditions de détention et le traitement qui leur est réservé, et à faciliter les opérations de libération simultanée, en sa qualité d’intermédiaire neutre.
14. L'Assemblée encourage le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants à mettre en place une mission spéciale de contrôle pour vérifier les conditions de détention des prisonniers ukrainiens détenus pour des motifs politiques en Fédération de Russie ainsi qu’en Crimée, et de ceux détenus illégalement dans les territoires contrôlés par ce que l’on appelle la «République populaire de Donetsk» et la «République populaire de Lougansk». La mission devrait également vérifier la situation des personnes qui sont détenues par les autorités ukrainiennes sur la base d’allégations selon lesquelles elles auraient été impliquées dans des activités séparatistes et terroristes pendant le conflit en Ukraine.