1. L’une des trois propositions
de résolution qui ont débouché sur le rapport de la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable a été présentée
par moi-même le 27 avril 2016 et s’intitule «Panama Papers: quels
enseignements pour l’état de la démocratie dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe?».
2. Au début d’avril 2016, le monde a été confronté au scandale
des Panama Papers, qui font référence à la fuite de 11,5 millions
de documents confidentiels tirés de la base de données du cabinet
juridique panaméen Mossack Fonseca, fournisseur de services aux
entreprises, qui contenaient des informations détaillées sur plus
de 214 000 sociétés offshore, notamment
l’identité des actionnaires et des administrateurs de ces sociétés.
Les documents montrent comment de riches particuliers, y compris
des responsables publics, ont dissimulé leurs avoirs pour échapper
au contrôle public.
3. Au moment de la publication, les documents désignaient cinq
chefs d’Etat ou de gouvernement (Argentine, Islande, Arabie saoudite,
Ukraine et Emirats arabes unis), mais aussi des responsables publics ainsi
que des proches parents et proches collaborateurs de différents
chefs de gouvernement de plus d’une quarantaine d’autres pays. Des
manifestants ont forcé le Premier ministre islandais à démissionner
en raison de son implication dans cette affaire.
4. L’Assemblée parlementaire a tenu un débat d’actualité sur
les «Panama Papers» le 18 avril 2016. Il est clair que l’Assemblée
doit continuer à suivre les conséquences politiques de cette affaire,
en particulier ses répercussions sur le fonctionnement des institutions
démocratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Nous
devons tirer des enseignements de ce scandale et proposer des mesures
telles que la transparence de la propriété des sociétés, des sanctions
pour les paradis fiscaux non coopératifs ainsi que des sanctions
pour les intermédiaires dans le secteur des services financiers,
notamment les banques, les avocats et les comptables.
5. Il y a quatre ans, en avril 2012, j’ai présenté à l’Assemblée
un rapport intitulé «Promouvoir une politique appropriée en matière
de paradis fiscaux». Dans sa
Résolution
1881 (2012), l’Assemblée s’était déclarée préoccupée «par l’ampleur
du système financier offshore, notamment les paradis fiscaux, et
par son impact sur les finances publiques, la stabilité des marchés
financiers et la société tout entière».
6. Un an plus tard, dans mon rapport intitulé «Les activités
de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) en 2012-2013», j’ai indiqué que la fraude fiscale et l’évasion
fiscale agressive pratiquées par des multinationales constituaient
une menace pour les institutions démocratiques. Dans sa
Résolution 1951 (2013), l’Assemblée présentait des mesures concrètes pour garantir
l’équité fiscale en s’attaquant à l’évasion fiscale agressive.
7. Elle saluait «les travaux de l’OCDE sur l’érosion de la base
d’imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit
Shifting – BEPS)», invitait instamment «l’OCDE à continuer de mener
résolument l’action visant à réformer les règles internationales
pour la taxation des multinationales afin qu’elles reflètent convenablement
les pratiques de production et de commerce dans l’économie mondiale
contemporaine» et reconnaissait «l’importance de la collaboration
entre Etats pour coordonner les systèmes fiscaux et garantir ainsi
la confiance des contribuables dans ces systèmes».
8. Il reste beaucoup à faire, cependant, pour s’attaquer à la
fraude fiscale et promouvoir des réformes profondes des systèmes
fiscaux afin de lutter contre l’évasion fiscale agressive. Les gouvernements
ont le devoir de veiller à ce que les impôts soient prélevés équitablement
et efficacement. Une grande partie de la législation fiscale actuelle
repose sur une vision dépassée de l’activité économique, axée principalement
sur des actifs immobilisés et des échanges transfrontaliers limités.
L’économie numérique, caractérisée par des immobilisations incorporelles
et des transferts transfrontaliers rapides, impose l’adoption d’approches radicalement
nouvelles en matière d’imposition. L’OCDE, compte tenu de sa mission,
qui est d’élaborer des règles assurant un fonctionnement efficient
des marchés mondiaux, est une instance appropriée pour l’élaboration
de ces nouvelles approches. Il est désormais impératif d’aborder
le problème d’une manière résolument nouvelle et de montrer que
nous sommes déterminés à agir.
9. Il s’agit selon moi d’une question d’extrême urgence. En Europe,
la divulgation de documents et de messages électroniques concernant
des fonds qui auraient été cachés dans des comptes secrets dans
des paradis fiscaux par des responsables politiques, des hommes/femmes
d’affaires et d’autres particuliers fortunés ont sapé la confiance
placée dans les institutions démocratiques. Selon la Commission
européenne, l’évasion et la fraude fiscales privent les gouvernements
de l’Union européenne de quelque 1 000 milliards d’euros de recettes
annuelles, une somme qui dépasse le montant total que les Etats
membres de l’Union européenne dépensent pour les soins de santé
et qui est quatre fois supérieure au budget consacré à l’éducation.
10. La question ne concerne pas uniquement la fraude fiscale,
mais aussi les pratiques tout à fait légales qui sont utilisées
par des multinationales pour réduire leur imposition. En Grande-Bretagne,
des sociétés comme Amazon, Google et Starbucks ont essuyé de nombreuses
critiques parce qu’elles utilisent des montages comptables qui leur
permettent de réduire légitimement le montant de l’impôt qu’elles
paient au Trésor du Royaume-Uni, malgré des ventes florissantes
sur le sol britannique.
11. En août dernier, l’Union européenne a ordonné à l’Irlande
de récupérer 13 milliards d’euros d’impôts impayés par Apple, une
pénalité record. Aux Etats-Unis, Apple a été critiquée au Congrès
pour ne pas avoir payé d’impôts sur plusieurs dizaines de milliards
de dollars de recettes provenant de ses opérations internationales,
sommes qui ont été transférées par l’intermédiaire d’entités offshore.
D’autres pays sont de plus en plus préoccupés par le fait que des
sociétés multinationales exploitent injustement les possibilités offertes
par les opérations comptables transfrontières afin de maximiser
leurs profits en réduisant le montant des impôts qu’elles paient.
12. Il convient de noter cependant que l’évasion fiscale ne peut
pas être réduite aux stratégies agressives des sociétés puisqu’elle
résulte également des politiques fiscales des gouvernements nationaux,
notamment celles qui visent à attirer les investissements des sociétés
étrangères.
13. Par ailleurs, je crois que nous devrions intensifier la lutte
contre la fraude fiscale généralisée qui continue d’être encouragée
par les paradis fiscaux. En particulier, nous devrions aider l’OCDE
à continuer de faire pression sur la communauté internationale pour
mettre en place les modalités d’échange automatique de renseignements
à des fins fiscales afin de lutter contre ce fléau.
14. A cet égard, l’OCDE travaille sur les normes d’échange automatique
de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale,
qui constituent une étape essentielle pour lutter efficacement contre
la fraude. L’échange automatique de renseignements peut aider à
combattre la fraude offshore de plusieurs façons. Il permet de fournir
rapidement des renseignements dans le cas d’une fraude fiscale concernant
un rendement du capital ou le montant du capital sous-jacent, et
peut également servir à détecter des cas de fraude que les administrations
fiscales n’avaient pas soupçonnés auparavant. Enfin, l’échange automatique de
renseignements a un effet dissuasif, favorise le respect volontaire
de la loi et encourage les contribuables à communiquer toutes les
informations pertinentes.
15. Le projet de résolution indique que «[l’] Assemblée considère
que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ne requiert pas
nécessairement de nouvelles normes juridiques ou techniques.» Si
l’Assemblée déclare à juste titre que «c’est plutôt la mise en œuvre
effective des normes existantes qui fait défaut», elle ne devrait pas
cependant laisser entendre qu’il n’est pas nécessaire ou souhaitable
d’élaborer de nouvelles normes juridiques ou techniques pour améliorer
la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale.
16. Depuis 2009, la transparence fiscale s’est grandement améliorée.
Cette évolution s’est produite par étapes, et après chaque étape,
il est apparu clairement qu’une autre étape était nécessaire. En
2009, le secret bancaire a été abandonné en activant l’échange,
sur demande, de renseignements financiers à des fins fiscales. A
cette époque, la norme internationale convenue était l’«échange
d’informations sur demande».
17. Jusqu’en 2012, voire 2013, l’échange automatique d’informations
(EAI) était jugé indésirable. Depuis lors, le consensus a changé,
l’échange automatique de renseignements est devenu la nouvelle norme internationale
et les pays se sont engagés à adopter la norme commune de déclaration
de l’OCDE. De même, les normes de lutte contre le blanchiment d’argent
ont changé au fil du temps et continueront de s’améliorer dans les
années à venir.
18. Je tiens donc à souligner que le changement permanent est
un facteur important et je propose dans l’amendement A que le paragraphe
5 du projet de résolution se lise comme suit: «L’Assemblée considère
que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale requiert de nouvelles
normes juridiques ou techniques; cependant, le plus urgent est la
mise en œuvre effective des normes existantes. …»
19. Concernant l’échange automatique de renseignements, les Etats
membres devraient non seulement être invités à rejoindre, s’ils
ne l’ont pas encore fait, le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence
et l’échange de renseignements à des fins fiscales afin d’assurer
rapidement une mise en œuvre globale et effective de la norme d’échange
automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en
matière fiscale, mais ils devraient également être incités à l’appliquer
sur une base multilatérale et par le biais d’accords multilatéraux
(Accord multilatéral entre autorités compétentes ou en anglais, Mutual Competent Authority Agreement, MCAA)
plutôt que bilatéraux, d’où ma proposition d’amendement B.
20. De nombreux pays sont susceptibles de se retirer du cadre
multilatéral (MCAA) et ont montré qu’ils étaient prêts, à la place,
à signer (ou à modifier) des traités bilatéraux pour mettre en œuvre
l’EAI. L’approche multilatérale permet à tous les pays d’économiser
du temps et des ressources et garantit une mise en œuvre rapide
dans le monde entier ainsi que des conditions équitables pour tous.
Enfin, le projet EAI manque de sanctions pour les juridictions récalcitrantes.
21. Comme de nombreux pays en développement ne seront pas en mesure
d’adopter la norme commune de déclaration (NCD) dans un proche avenir,
l’Assemblée parlementaire devrait proposer que des centres financiers
publient des statistiques EAI agrégées. Au moins, chacun saurait
où son argent se cache, sans porter atteinte à la confidentialité.
En attendant que les pays en développement participent activement
au projet EAI, tous les pays participants devraient commencer à
échanger des informations spontanément avec ces pays, au moins en
ce qui concerne les gros comptes.
22. La NCD ne prévoit pas de mesures pour lutter contre les certificats
de résidence fictive, ce qui est une lacune importante. La NCD vise
à déterminer la résidence de chaque titulaire de compte afin que
les renseignements relatifs aux comptes soient envoyés dans les
pays correspondants. Cependant, n’importe quel titulaire de compte
peut éviter de faire une déclaration (à son véritable pays de résidence)
en prétendant être un résident d’un paradis fiscal qui vend des
certificats de résidence. Certaines juridictions émettent déjà un
certificat de résidence en échange d’argent. L’Assemblée devrait
recommander que les Etats membres veillent à ce que l’OCDE crée
une liste noire des juridictions qui proposent des «résidences à
vendre».
23. En ce qui concerne la recommandation sur les systèmes fiscaux,
l’Assemblée devrait recommander non seulement des systèmes fiscaux
nationaux solides, transparents et stables, mais également une fiscalité équitable,
d’où ma proposition d’amendement C.
24. Pour ce qui est de la recommandation sur la mise en place
d’un registre central des bénéficiaires effectifs (Ultimate beneficial owners, UBO),
l’Assemblée devrait souligner qu’il est important que ces registres soient
accessibles au public, d’où ma proposition d’amendement D.
25. Pour compléter les recommandations mentionnées dans le projet
de résolution, je suis convaincu que les recommandations suivantes
devraient être ajoutées (comme proposé dans les amendements E, F
et G):
- prévoir des sanctions
plus sévères pour les banques et les entités juridiques qui facilitent
la fraude fiscale, notamment la suspension ou le retrait temporaire
des licences d’exploitation, ainsi que le gel des comptes et des
avoirs;
- faire en sorte que les lignes directrices de l’OCDE relatives
à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices
(BEPS), qui ont déjà été approuvées par les pays de l’OCDE et du
G20, deviennent la nouvelle norme mondiale;
- encourager l’OCDE à réexaminer, avec le Conseil de l’Europe,
leur Convention conjointe concernant l’assistance administrative
mutuelle en matière fiscale, dans le but de faciliter la création
d’un organisme international de coordination fiscale sous les auspices
de l’OCDE, qui serait en mesure d’imposer des sanctions. A cet égard,
je tiens à saluer la récente ratification de cette convention par
la Suisse.