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Résolution 2133 (2016)

Recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 12 octobre 2016 (33e séance) (voir Doc. 14139, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteure: Mme Marieluise Beck). Texte adopté par l’Assemblée le 12 octobre 2016 (33e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par la situation des droits de l’homme en Crimée et dans les «républiques populaires» autoproclamées de Donetsk et Lougansk («RPD» et «RPL»).
2. Elle réaffirme la position qu’elle a exprimée dans les Résolution 2112 (2016), Résolution 2063 (2015), Résolution 1990 (2014) et Résolution 1988 (2014) de l’Assemblée, selon laquelle l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et l’intervention militaire des forces russes dans l’est de l’Ukraine constituent des violations du droit international et des principes défendus par le Conseil de l’Europe.
3. La «RPD» et la «RPL», instaurées, soutenues et contrôlées de manière effective par la Fédération de Russie, n’ont aucune légitimité au regard du droit ukrainien ou du droit international. Cela vaut pour toutes leurs «institutions», y compris les «tribunaux» mis en place par les autorités de fait.
4. En vertu du droit international, la Fédération de Russie, qui exerce le contrôle de fait de ces territoires, est responsable de la protection de leur population. Elle doit par conséquent garantir les droits de l’homme de tous les habitants de Crimée, de la «RPD» et de la «RPL».
5. Dans le cas de la Crimée, la présence militaire russe et le contrôle effectif exercé par la Fédération de Russie ont été reconnus officiellement par les autorités de ce pays. En ce qui concerne la «RPD» et la «RPL», le contrôle effectif découle du rôle essentiel, établi de sources sûres, joué par les militaires russes dans la prise de ces régions et dans le maintien du contrôle sur leur territoire face à la résistance déterminée des autorités ukrainiennes légitimes, ainsi que de la dépendance totale de la «RPD» et de la «RPL» vis-à-vis de la Russie sur les plans logistique, financier et administratif.
6. En Crimée et dans la zone de conflit de la région du Donbass, de graves violations des droits de l’homme ont eu lieu et continuent d’avoir lieu, comme en attestent de nombreux rapports émanant, entre autres, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, de la Mission des Nations Unies de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, de la Mission spéciale d’observation en Ukraine du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et de grandes organisations non gouvernementales ukrainiennes ou internationales de défense des droits de l’homme. Ces violations incluent des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants, des détentions illégales et des restrictions disproportionnées de la liberté d’expression et de la liberté d’information.
7. Les victimes de violations des droits de l’homme ne disposent pas de voies de recours internes effectives:
7.1. en ce qui concerne les habitants de la «RPD» et de la «RPL», les «tribunaux» locaux manquent de légitimité, d’indépendance et de professionnalisme; les juridictions ukrainiennes situées dans les zones voisines contrôlées par le gouvernement, auxquelles l’Ukraine a transféré la compétence pour les zones non contrôlées, sont difficiles d’accès, ne peuvent obtenir les dossiers restés en «RPD» et/ou en «RPL», et ne sont pas en mesure d’assurer la mise en œuvre de leurs décisions dans ces territoires;
7.2. en ce qui concerne les personnes vivant en Crimée, le climat d’intimidation pèse également sur l’indépendance des tribunaux et, en particulier, sur la détermination de la police et du parquet à amener les responsables des infractions commises contre les loyalistes ukrainiens – réels ou supposés – à répondre de leurs actes.
8. En Crimée, les Ukrainiens en général, et les Tatars de Crimée en particulier, vivent dans un fort climat d’intimidation en raison des violations des droits de l’homme susmentionnées, qui demeurent par ailleurs en grande partie impunies. Un grand nombre de personnes ont été contraintes de quitter la Crimée. Parallèlement, tous les habitants de Crimée sont en butte à des pressions considérables visant à les faire se procurer un passeport russe et à renoncer à leur nationalité ukrainienne pour avoir accès aux soins de santé, à un logement et à d’autres services de première nécessité. A la suite de la décision récente de la Cour suprême de la Fédération de Russie sur l’interdiction du Mejlis et de ses instances locales, les Tatars de Crimée ont perdu leur représentation démocratique traditionnelle. Les médias tatars, ainsi que la pratique de la religion musulmane par les Tatars, ont également été pris pour cible. L’effet cumulatif de ces mesures répressives constitue une menace pour l’existence même de la communauté tatare en tant que groupe ethnique, culturel et religieux spécifique.
9. De plus, les rapports d’organisations internationales et non gouvernementales réputées (en particulier Freedom House, Amnesty International, Human Rights Watch et plusieurs autres organisations) signalent des violations des dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale par la Fédération de Russie en Crimée occupée à l’encontre des Tatars de Crimée.
10. Dans la zone de conflit de la région du Donbass, la population civile ainsi qu’un grand nombre de combattants ont subi des violations de leur droit à la vie et à l’intégrité physique, et de leur droit au respect de leurs biens à la suite de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, notamment de bombardements aveugles ou même intentionnels de zones civiles, parfois déclenchés en raison du stockage d’armes à proximité.
11. De nombreux habitants de la zone de conflit du Donbass, des deux côtés de la ligne de contact, continuent de souffrir au quotidien de multiples violations du cessez-le-feu conclu à Minsk. Ces violations sont recensées chaque jour par la Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, malgré les restrictions d’accès imposées essentiellement par les autorités de fait de la «RPD» et de la «RPL». Les habitants sont également en butte au climat d’impunité et à la situation de non-droit qui règnent du fait de l’absence d’institutions étatiques légitimes et opérationnelles, en particulier d’un accès à la justice tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Ils font face également à de graves difficultés sociales, aggravées par les mesures restrictives imposées par les autorités ukrainiennes sur le versement des pensions et des prestations sociales. Le statut juridique et la situation humanitaire des prisonniers de droit commun condamnés à une peine d’incarcération avant le conflit (environ 5 000 personnes dans la seule «RPL») sont inacceptables: les décisions de libération anticipée (liberté conditionnelle, amnistie) prononcées par les autorités judiciaires ukrainiennes sont systématiquement ignorées par les autorités de fait, qui soumettent les détenus au travail forcé et à différentes formes de traitements inhumains ou dégradants. Enfin, les personnes déplacées des territoires de la «RPD» et de la «RPL» risquent d’être expropriées des biens qu’elles ont laissés derrière elles à la suite de l’obligation de réenregistrement imposée illégalement par les autorités de fait.
12. Les autorités ukrainiennes ont commencé à engager des poursuites contre les auteurs présumés de crimes de guerre et d’autres violations des droits de l’homme dans les rangs des forces progouvernementales. L’Assemblée prend note de la coopération constructive de l’Ukraine avec les mécanismes internationaux de suivi compétents, comme le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et le Sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture (SPT), en particulier dans le contexte de la récente visite du SPT en Ukraine, et appelle toutes les parties impliquées à laisser les observateurs extérieurs accéder régulièrement et sans entraves à tous les lieux de privation de liberté, conformément à leurs mandats.
13. Les Accords de Minsk comprennent des clauses d’amnistie pour les personnes ayant pris part au conflit armé dans la région du Donbass. L’Assemblée rappelle que, en vertu du droit international, ces clauses ne sauraient justifier que les auteurs de violations graves des droits de l’homme restent impunis.
14. S’agissant des élections prévues dans les Accords de Minsk, l’Assemblée considère que des élections libres et équitables (telles que garanties par l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9)) ne sont pas possibles en «RPD» et en «RDL» tant que prévaut dans ces régions la situation actuelle, marquée par un climat d’insécurité, d’intimidation et d’impunité, mais aussi par une absence de liberté d’expression et d’information.
15. L’Assemblée regrette que ni la Fédération de Russie ni l’Ukraine n’aient ratifié le Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI); elle relève néanmoins que l’Ukraine, par ses déclarations au titre de l’article 12.3 du Statut de Rome déposées le 17 avril 2014 et le 8 septembre 2015, a accepté la compétence de la CPI. L’Assemblée se félicite des modifications apportées à la Constitution ukrainienne, qui ont finalement été adoptées par le Parlement ukrainien et permettent la ratification du Statut de Rome. Cela dit, l’Assemblée est préoccupée par le fait que ces modifications n’entreront en vigueur que dans trois ans, et non dès que possible, comme elle l’avait recommandé.
16. L’Assemblée se félicite des activités de l’équipe commune d’enquête (ECE) et de son rapport préliminaire du 28 septembre 2016 sur l’enquête pénale relative au vol MH17 abattu au-dessus du Donbass. L’Assemblée prend note des conclusions de l’ECE indiquant que le vol MH17 a été abattu par un système de missiles Buk depuis les territoires contrôlés par des milices pro-russes, système envoyé depuis le territoire de la Fédération de Russie qui, après le lancement, a été ramené en Fédération de Russie. L’Assemblée appelle toutes les parties impliquées à coopérer pleinement à l’enquête pénale afin de traduire les responsables en justice.
17. En conséquence, l’Assemblée demande instamment:
17.1. aux autorités compétentes de l’Ukraine et de la Fédération de Russie:
17.1.1. de mener une enquête effective sur tous les cas de violations graves des droits de l’homme qui auraient été commises dans toutes les zones se trouvant sous leur contrôle effectif;
17.1.2. d’engager des poursuites contre les auteurs de ces actes, ce qui contribuerait également à prévenir de telles violations dans le futur;
17.1.3. d’accorder une indemnisation à leurs victimes, dans toute la mesure du possible;
17.1.4. d’adhérer au Statut de Rome de la CPI;
17.1.5. de mettre pleinement en œuvre les Accords de Minsk;
17.2. aux autorités russes:
17.2.1. de mettre un terme aux mesures répressives à l’égard des personnes fidèles aux autorités ukrainiennes dans toutes les régions sur lesquelles elles exercent un contrôle effectif, notamment la Crimée; en particulier, de rétablir les droits historiques du peuple tatar de Crimée et de permettre la restauration de l’Etat de droit dans tout l’est de l’Ukraine;
17.2.2. en parallèle, d’assurer la protection des droits fondamentaux de tous les habitants de la «RPD» et de la «RPL» et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, et d’exercer leur influence en ce sens auprès des autorités de fait;
17.2.3. de faciliter le suivi indépendant de la situation des droits de l’homme dans tous les territoires de l’Ukraine se trouvant sous leur contrôle effectif, y compris la Crimée;
17.2.4. de mettre en œuvre tous les moyens légaux disponibles pour faire annuler la décision de la Cour suprême de la Fédération de Russie déclarant hors la loi le Mejlis et d’autoriser le peuple tatar de Crimée à choisir ses propres institutions autonomes;
17.2.5. de garantir un accès sans restriction par les représentants d’organisations internationales et par les services consulaires de l’Ukraine aux personnes condamnées, déplacées de territoires temporairement soustraits au contrôle de l’Ukraine vers des établissements pénitentiaires situés sur le territoire de la Fédération de Russie;
17.2.6. de transférer en Ukraine tous les citoyens ukrainiens condamnés qui en exprimeraient le souhait afin qu’ils puissent purger le reste de leur peine sur les territoires contrôlés par les autorités ukrainiennes;
17.2.7. de faire cesser le déplacement, du territoire de la Crimée vers celui de la Fédération de Russie, de personnes – y compris condamnées à des peines d’emprisonnement – qui se sont trouvées, quelles qu’en soient les circonstances, sous le contrôle de la Fédération de Russie en Crimée et qui n’ont pas la citoyenneté russe;
17.3. aux autorités ukrainiennes, de simplifier, autant qu’il est en leur pouvoir de le faire, la vie quotidienne des habitants des territoires se trouvant hors de leur contrôle et des personnes déplacées venues de ces régions, en allégeant les formalités administratives à effectuer pour bénéficier des pensions et des prestations sociales, et en facilitant l’accès des habitants à la justice grâce à des moyens matériels et humains adéquats fournis aux tribunaux des zones contrôlées par le gouvernement auxquels a été transférée la compétence pour les zones non contrôlées;
17.4. aux autorités ukrainiennes, de réexaminer et de reconsidérer régulièrement les dérogations de l’Ukraine aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qui concerne la nécessité, la proportionnalité et la non-discrimination;
17.5. à la communauté internationale, de continuer à porter son attention sur la situation humanitaire et des droits de l’homme des personnes vivant dans les territoires de l’Ukraine se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes, et de ne pas imposer à l’Ukraine des exigences dont le respect viendrait renforcer le statu quo illégal;
17.6. à la CPI, d’exercer sa compétence dans toute la mesure autorisée par le droit après les déclarations déposées par l’Ukraine.
18. L’Assemblée décide de continuer à suivre, de façon prioritaire, la situation des droits de l’homme dans la zone de conflit de la région du Donbass et en Crimée.