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Résolution 2145 (2017)
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine
1. L’Assemblée parlementaire salue
l’ambitieux programme de réformes mis en place par les autorités ukrainiennes
pour répondre aux demandes exprimées par la population ukrainienne
lors de la «Révolution de la dignité». Elle est consciente que ces
réformes interviennent dans un contexte difficile, en raison de l’agression
russe dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée.
Tout en reconnaissant qu’un certain nombre de réformes sont liées
au processus de Minsk, l’Assemblée souligne que l’absence de progrès dans
l’application des Accords de Minsk ne devrait pas servir d’excuse
au ralentissement des réformes essentielles à la consolidation de
la démocratie dans le pays, ni à une mobilisation moindre. D’importants progrès
ont été accomplis dans la modification du cadre juridique nécessaire
à ces réformes. Il importe maintenant de mettre en œuvre ces modifications
législatives pour qu’elles se traduisent par des changements de
comportement et de pratique.
2. Compte tenu du rôle joué par le Conseil de l'Europe en tant
que principale organisation de défense des droits de l’homme, qui
élabore des normes juridiques européennes de haut niveau et accumule
des bonnes pratiques pour leur mise en œuvre, l’Assemblée se félicite
de l’étroite coopération de l’Ukraine avec les organes compétents
de l’Organisation. Cette interaction englobe le soutien à la mise
en œuvre des axes de réforme interne revêtant une importance stratégique,
notamment la décentralisation, la législation sur la justice et
les élections, la lutte contre la corruption et la protection effective
des droits de l'homme. Une grande partie de ce soutien provient
des plans d’action du Conseil de l'Europe pour l’Ukraine, et l’Assemblée
salue les progrès considérables accomplis durant la mise en œuvre
du plan d’action actuel couvrant la période 2015-2017.
3. L’Assemblée s’inquiète du durcissement du discours politique
consécutif aux événements de l’Euromaïdan et à la guerre dans l’est
de l’Ukraine, marqué par les accusations réciproques de traîtrise
ou d’extrémisme lancées par les forces politiques ukrainiennes antagonistes.
Une réponse doit certes être apportée aux problèmes du passé, mais
l’Assemblée engage toutes les forces politiques à surmonter les divisions
et les inimitiés et à œuvrer de concert pour instaurer la stabilité
et consolider la démocratie dans le pays. L’Assemblée exhorte les
autorités à prendre toutes les mesures pour garantir un environnement
politique pluraliste dans lequel l’opposition politique peut pleinement
remplir son rôle démocratique.
4. De même que le monde politique, le paysage médiatique est
affecté par un climat de clivages et de tensions qui a conduit à
plusieurs attaques contre des journalistes et des organes de presse,
ce qui est inacceptable. Se félicitant de la condamnation de ces
attaques par les autorités, l’Assemblée invite instamment ces dernières
à mener des enquêtes exhaustives et transparentes sur ces actes,
et à faire en sorte que les auteurs soient déférés à la justice.
Elle relève que plusieurs journalistes et représentants des médias
russes ont été interdits d’entrée en Ukraine au motif qu’ils représentaient
une menace pour la sécurité nationale et l’ordre constitutionnel.
Si les préoccupations des autorités ukrainiennes concernant la propagande
de la Russie et la guerre de l’information que livre ce pays sont
légitimes et compréhensibles, l’interdiction faite aux journalistes
d’entrer en Ukraine est une mesure qui ne devrait être appliquée
qu’en dernier ressort, conformément aux articles 16 et 17 de la
Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5),
et à l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. L’Assemblée est préoccupée par la publication des
noms et adresses d’un grand nombre de journalistes accrédités dans
la région du Donbass, qui, de ce fait, ont été accusés de collaborer
avec les rebelles, mettant ainsi en péril leur intégrité personnelle.
5. L’Assemblée rappelle l’importance d’une révision constitutionnelle
complète pour la bonne mise en œuvre de la réforme globale du pays.
Elle se réjouit à cet égard que les autorités et la Verkhovna Rada
aient fait du processus de réforme constitutionnelle une de leurs
priorités, et salue les résultats obtenus jusqu’à présent. En particulier,
l’Assemblée:
5.1. salue la collaboration
étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) et le Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux du Conseil de l’Europe pour la rédaction du volet décentralisation,
sur la base de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122)
et des autres normes applicables du Conseil de l’Europe. Elle reconnaît
que l’adoption de ce volet est étroitement liée à l’avancée de la
mise en œuvre des Protocoles de Minsk. L’Assemblée espère par conséquent
que des progrès dans la mise en œuvre des Protocoles de Minsk de
la part de tous les signataires, en particulier de la Fédération
de Russie, permettront l’adoption prochaine en dernière lecture
des amendements. Elle souligne ici que le processus de décentralisation
est important pour la stabilité et la consolidation de la démocratie
dans l’ensemble du pays, en tenant également compte de la composition
ethnique des régions;
5.2. salue l’adoption en dernière lecture des modifications
constitutionnelles relatives au pouvoir et au système judiciaires,
qui suppriment d’importants obstacles à la réforme de l’appareil
judiciaire, en conformité avec les normes et les règles du Conseil
de l’Europe. Elle appelle les autorités, en particulier la Verkhovna
Rada, à adopter sans attendre toutes les dispositions législatives
nécessaires, et, au besoin, à modifier la législation en vigueur,
afin de mettre en œuvre ces modifications de la Constitution;
5.3. se félicite en particulier de la suppression de la fonction
générale de supervision auparavant exercée par le procureur général,
qui était contraire aux normes européennes. Elle souligne que, en supprimant
cette fonction de supervision, l’Ukraine met en œuvre l’un des engagements
souscrits lors de son adhésion au Conseil de l’Europe qui lui restait
à honorer.
6. L’Assemblée s’attend à ce que l’adoption des modifications
de la Constitution donne un nouvel élan à la réforme du pouvoir
judiciaire, l’objectif étant de garantir la réelle indépendance
de celui-ci vis-à-vis des ingérences et des influences externes
et internes. Par conséquent, l’Assemblée:
6.1. salue l’adoption d’une nouvelle loi sur le système judiciaire
et le statut des juges en lien avec les amendements à la Constitution;
6.2. prend note des propositions de modifications de la loi
sur la Cour constitutionnelle, qui, de l’avis de la Commission de
Venise, améliorent la situation par rapport à la législation actuelle;
elle invite les autorités à donner suite aux autres recommandations
de la Commission de Venise, en particulier en ce qui concerne les
recours individuels devant la Cour constitutionnelle;
6.3. relève le fait que le projet de loi sur le Conseil supérieur
de la justice a été rédigé en collaboration étroite avec le Conseil
de l’Europe et se félicite de l’adoption par la Verkhovna Rada de
cette loi, qui reprend les recommandations du Conseil de l'Europe
et se conforme à ses normes dans ce domaine. L’Assemblée demande
aux autorités de solliciter l’avis de la Commission de Venise sur
cette loi et de mettre en œuvre toutes les recommandations contenues
dans cet avis.
7. L’Assemblée se félicite des progrès accomplis dans l’enquête
et réitère son appel lancé aux autorités à enquêter pleinement sur
les violences et les décès survenus pendant les manifestations de
l’Euromaïdan ainsi que dans et autour de la Maison des syndicats
d’Odessa, conformément aux recommandations du Comité consultatif
international du Conseil de l’Europe.
8. De l’avis de l’Assemblée, le processus de réforme constitutionnelle
ne devrait pas se limiter aux volets sur la décentralisation et
la justice, mais porter aussi sur d’autres domaines dans lesquels
des insuffisances ont été recensées, en particulier en ce qui concerne
la répartition des pouvoirs.
9. L’Assemblée s’inquiète des problèmes de droits de l’homme
liés à la loi de lustration. Par conséquent, elle engage vivement
la Verkhovna Rada à adopter sans attendre les modifications à cette
loi préparées en collaboration avec la Commission de Venise pour
régler ces problèmes, et à trouver des mesures complémentaires permettant
de garantir que toutes les recommandations du dernier avis de la
Commission de Venise seront reprises dans la loi et que sa mise
en œuvre sera en pleine conformité avec les normes européennes.
10. De l’avis de l’Assemblée, la corruption généralisée en Ukraine
reste un point de préoccupation majeur. L’absence prolongée de progrès
notables et concrets dans ce domaine, notamment en ce qui concerne
les poursuites et les condamnations, pourrait réduire les effets
de l’ambitieux programme de réformes élaboré par les autorités et,
à long terme, ébranler la confiance des citoyens dans le système
politique et judiciaire dans son ensemble. Dans ce contexte, l’Assemblée
s’inquiète de la lenteur des progrès de la lutte contre la corruption,
et du peu de résultats concrets. Elle réitère en outre sa préoccupation
face à l’existence de liens trop étroits entre les intérêts politiques
et les intérêts économiques dans la sphère politique nationale,
ce qui influence la perception de la population et peut entraver
la lutte contre la corruption. L’Assemblée se félicite par conséquent
du cadre institutionnel général mis en place pour lutter contre
la corruption dans le pays, dont elle attend maintenant des résultats
tangibles et concrets, notamment en ce qui concerne les poursuites
et les condamnations. En particulier, l’Assemblée:
10.1. salue la mise en œuvre du système
de déclaration en ligne et appelle les autorités à s’assurer que
l’Agence nationale sur la prévention de la corruption dispose des
ressources nécessaires pour procéder à l’examen des déclarations
des avoirs;
10.2. demande aux autorités de garantir que le procureur spécialisé
dans la lutte contre la corruption dispose des moyens suffisants
pour s’acquitter de sa mission, notamment pour ouvrir des bureaux
dans toutes les régions du pays;
10.3. invite les autorités à créer un tribunal spécialisé dans
la lutte contre la corruption et à combattre la corruption généralisée
au sein du pouvoir judiciaire, ce qui est essentiel pour le succès
de la lutte contre la corruption en général;
10.4. salue l’adoption de la loi sur la fonction publique et
demande aux autorités de veiller à l’adoption rapide de toutes les
lois d’application de ce texte.
11. L’Assemblée réitère son appel en faveur de l’adoption d’un
code électoral consolidé, instituant un système d’élection à la
proportionnelle et pleinement conforme aux normes européennes. Elle
s’inquiète de ce que l’article 81 de la Constitution ukrainienne
permet de retirer son mandat à un parlementaire qui aurait quitté le
parti ou le groupe pour lequel il a été élu au profit d’une autre
formation. Cela est contraire aux normes européennes, et cet article
de la Constitution devrait être modifié dans le cadre de la révision
constitutionnelle en cours. Pour les mêmes raisons, l’Assemblée
demande instamment à la Verkhovna Rada d’abroger les récentes modifications
de la loi sur l’élection des députés du peuple, qui permettent aux
partis politiques de modifier a posteriori les listes de candidats
présentées pour les élections de 2016.
12. L’Assemblée relève que la Verkhovna Rada a ajourné la ratification
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»).
Elle l’invite à inscrire de nouveau ce point à son ordre du jour
et à ratifier sans attendre cet important instrument.
13. L’Assemblée note que des membres de la Verkhovna Rada ont
déposé devant la Cour constitutionnelle un recours contre la loi
sur les principes de la politique relative aux langues officielles,
contestant la constitutionnalité de certaines dispositions ainsi
que la façon dont le texte a été adopté. L’Assemblée s’inquiète de
ce que certains projets visent à restreindre les droits actuels
des minorités nationales. Il est extrêmement important que les minorités
nationales, en vertu des dispositions juridiques à modifier, puissent
conserver leur droit actuel d’employer leur langue minoritaire,
énoncé dans la Constitution et dans tous les engagements internationaux
du pays. Soulignant qu’il est essentiel pour la stabilité du pays
de poursuivre une politique inclusive à l’égard des langues minoritaires,
l’Assemblée appelle les autorités à s’assurer que, si la loi sur
les langues officielles venait à être abrogée par la Cour, le seuil
peu élevé pour l’utilisation des langues minoritaires prévu dans
ce texte serait maintenu.
14. À cet égard, l’Assemblée encourage tous les organes compétents
du Conseil de l'Europe à continuer d’apporter à l’Ukraine l’expertise
nécessaire pour consolider les institutions démocratiques, à continuer
de suivre la situation dans le pays et aux alentours, et à prendre
toutes les mesures possibles pour amener la Fédération de Russie
à se conformer à ses obligations au titre du droit international
et à ses engagements internationaux, de manière à garantir le respect
des droits de l'homme dans la Crimée annexée et la libération de
tous les prisonniers politiques ukrainiens et de toutes les personnes
détenues illégalement.