Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14282 | 05 avril 2017

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : Mme Ingebjørg GODSKESEN, Norvège, CE

Corapporteur : Mme Marianne MIKKO, Estonie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 4274 du 27 janvier 2017. 2017 - Deuxième partie de session

Résumé:

Tout en reconnaissant le traumatisme causé par le coup d'État avorté du 15 juillet 2016 et les multiples menaces terroristes actuelles, la commission de suivi est préoccupée par la mise en œuvre de l'état d'urgence, les effets importants et disproportionnés des décrets-lois – y compris la révocation massive de fonctionnaires, juges, procureurs, universitaires et la fermeture des médias et des ONG – ainsi que l'accès limité à des recours judiciaires.

La commission de suivi s'inquiète également de la détention de parlementaires et de journalistes, des violations répétées de la liberté d'expression et des médias, et de la situation dans le sud-est de la Turquie, qui entraînent une grave détérioration du fonctionnement des institutions démocratiques. La commission a par ailleurs exprimé ses craintes à propos des amendements constitutionnels (en particulier le respect de la séparation des pouvoirs, de poids et de contrepoids, et de l’indépendance de la justice) pour établir un système présidentiel, et les conditions d'organisation du référendum du 16 avril 2017.

À la lumière de ces développements, la commission de suivi demande instamment que la Turquie prenne des mesures d’urgence (y compris la levée de l'état d'urgence et la libération des députés et des journalistes) et elle propose à l'Assemblée de rouvrir la procédure de suivi afin d'intensifier sa coopération avec les autorités turques et toutes les forces vives du pays.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 8 mars 2017.

(open)
1. Le 15 juillet 2016, la Turquie a subi un coup d’État avorté organisé par un groupe issu de ses propres forces armées, lequel a fait 248 morts et 2 000 blessés. L’Assemblée parlementaire a fermement condamné cette tentative de renversement des institutions démocratiquement élues du pays – notamment la Grande Assemblée nationale turque qui a été bombardée cette nuit-là – et a pleinement conscience que ces événements ont été traumatisants pour la société turque. Elle a exprimé son soutien au peuple turc en le félicitant de s’être uni pour rejeter cette tentative de coup d’État militaire, apportant ainsi la preuve de sa maturité démocratique. Les autorités turques ont désigné les membres du mouvement güleniste comme étant derrière la tentative de coup d’État, une accusation dont elles se sont saisies pour lancer une vaste purge de l’appareil d’État qui avait été infiltré par le mouvement – une opinion qui semble largement partagée au sein de la société turque.
2. Cette nuit-là, la Turquie a été confrontée à une dangereuse conspiration armée, ce qui a permis au Président de la République de déclarer légitimement un état d’urgence et de conférer des pouvoirs extraordinaires au gouvernement. Conformément à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), la Turquie a dérogé à certains droits individuels. L’état d’urgence initial de trois mois a été prolongé depuis à deux reprises, en octobre 2016 et en janvier 2017, avec l’accord du parlement.
3. Rappelant que le régime d’état d’urgence vise à rétablir l’ordre public, l’Assemblée souligne que cette situation devrait rester dans les limitées posées par la Constitution, et par les obligations nationales et internationales de l’État. L’état d’urgence devrait par conséquent être strictement limité dans le temps et dans ses effets et être levé le plus rapidement possible.
4. L’Assemblée est parfaitement consciente des multiples menaces et défis auxquels la Turquie est confrontée en raison de sa situation géopolitique défavorable: le conflit en cours en Syrie a provoqué l’exode de 3 millions de réfugiés sur son territoire et il convient, une fois de plus, de louer les efforts déployés par les autorités turques pour héberger cette population et en prendre soin.
5. La Turquie est confrontée à des attaques terroristes massives et répétées perpétrées par ce qu’il est convenu d’appeler «État islamique d’Irak et du Levant» (EIIL/Daech), le «Parti des travailleurs du Kurdistan» (PKK) et un mouvement affilié au PKK du nom de «Faucons de la liberté du Kurdistan» (TAK). Ces attaques ont provoqué des centaines de victimes à Ankara, Suruç, Istanbul, Bursa, Diyarbakır, Kayseri et d’autres villes de Turquie. De plus, la ville frontalière de Kilis a fait l’objet de tirs d’artillerie en provenance du territoire syrien. L’Assemblée condamne catégoriquement ces attaques et tous les actes terroristes et de violence perpétrés par le PKK, Daech ou toute autre organisation, lesquels ne sauraient en aucun cas être tolérés.
6. L’Assemblée souligne que la Turquie a le droit et le devoir de lutter contre le terrorisme et de résoudre les problèmes de sécurité afin de protéger ses citoyens et ses institutions démocratiques. Elle rappelle cependant que la lutte contre le terrorisme au niveau national, ainsi que les opérations de sécurité menées dans le sud-est de la Turquie, doivent respecter les principes de l’État de droit et les normes de protection des droits de l’homme, lesquels exigent que toute ingérence dans l’exercice d’un droit individuel fondamental soit prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et strictement proportionnée au but poursuivi, conformément aux obligations internationales pesant sur la juridiction concernée.
7. Malheureusement, huit mois après la tentative de coup d’État, la situation s’est détériorée et les mesures dépassent largement le cadre de ce qui est nécessaire et proportionné. Les autorités gouvernent à coups de décrets-lois ayant une portée dépassant de beaucoup les exigences de la situation d’urgence et empiétant sur la compétence législative du parlement. L’Assemblée est également préoccupée par le fait que la plupart des décrets-lois promulgués jusqu’à présent n’ont été ni approuvés (une exigence posée par la Constitution) ni contrôlés par le parlement, ce qui constitue à ses yeux une grave entorse à la démocratie.
8. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2121 (2016) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie, adoptée en juin 2016, soit avant le coup d’État avorté, selon laquelle l’évolution de la situation sous l’angle de la liberté des médias et la liberté d’expression, de l’érosion de l’État de droit et des violations alléguées des droits de l’homme liées aux opérations de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie constituait une menace pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour le respect par ce pays de ses obligations à l’égard du Conseil de l’Europe. L’Assemblée déplore qu’aucun des problèmes identifiés n’ait été traité à ce jour. Au contraire, l’Assemblée constate que la situation s’est détériorée depuis juin 2016 et que cette aggravation s’est accélérée depuis le coup d’État avorté.
9. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la levée de l’immunité de 154 parlementaires en mai 2016: une décision qualifiée par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) en octobre de la même année de mesure ad hoc, ponctuelle et ad hominem violant la procédure d’amendement de la Constitution et, par conséquent, contraire aux normes du Conseil de l’Europe. Elle condamne en outre le fait que 12 parlementaires arrêtés en novembre 2016 soient toujours placés en détention et elle est consternée par les réquisitions du procureur réclamant des peines de 142 et 83 années d’emprisonnement respectivement, pour les deux coprésidents du Parti démocratique des Peuples (HDP), Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdag.
10. L’Assemblée conclut avec une vive inquiétude qu’une telle levée de l’immunité porte un sérieux coup au fonctionnement démocratique et à la position du parlement. De plus, cette décision a affecté de manière disproportionnée les partis d’opposition et plus particulièrement le HDP dont 55 des 59 députés (soit 93 %) se sont vus retirer leur immunité. Cette mesure a eu un effet dissuasif et a conduit à des restrictions sensibles du débat démocratique pendant la campagne en vue du référendum constitutionnel du 16 avril 2017 qui vise à établir un régime présidentiel. Elle a également ouvert la voie à l’arrestation et à la détention actuelles de 12 députés du HDP, dont les deux vice-présidents de ce parti, ainsi que l’arrestation de plusieurs centaines de responsables du HDP, ce qui a rendu ce parti inopérant. L’Assemblée regrette profondément que ses délégations se soient vues refuser à plusieurs reprises l’accès aux parlementaires détenus.
11. Parallèlement, l’Assemblée est préoccupée par la situation des collectivités locales dans le sud-est de la Turquie; elle déplore que des administrateurs nommés par le gouvernement gèrent désormais deux tiers des municipalités dirigées antérieurement par des partis politiques pro-kurdes. Des dizaines de leurs maires sont actuellement en prison.
12. L’Assemblée considère que ces évolutions constituent une grave détérioration du fonctionnement des institutions démocratiques dans le pays, notamment en affaiblissant le rôle des représentants élus et en rognant sur les fonctions législatives et de contrôle du parlement. Rappelant sa Résolution 2127 (2016) sur l’immunité parlementaire et l’Avis de 2016 de la Commission de Venise, l’Assemblée appelle par conséquent les autorités turques:
12.1. à libérer les parlementaires arrêtés, à moins qu’ils n’aient été condamnés à l’issue d’un procès équitable organisé avec les garanties d’une procédure régulière;
12.2. à restaurer l’inviolabilité des députés privés de leur immunité, sur la base des conclusions de la Commission de Venise;
12.3. à autoriser les délégations de l’Assemblée parlementaire et d’autres assemblées parlementaires internationales à rendre visite aux députés détenus.
13. L’Assemblée exprime sa vive préoccupation concernant l’échelle et la portée des purges effectuées dans l’administration centrale, le système judiciaire et de nombreuses autres institutions publiques, visant des membres supposés du mouvement güleniste. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2121 (2016) et note que le mouvement güleniste, qui a été un ancien allié du parti au pouvoir et a opéré légalement jusqu’en 2014, a été ensuite désigné sous l’appellation «Organisation terroriste fethullahiste/Structure d’État parallèle» et qualifié d’organisation terroriste. Selon la Commission de Venise, alors que les fonctionnaires ont l’obligation d’être loyaux vis-à-vis de l'État et de ne pas recevoir d'instructions de sources extérieures, il est du devoir de l'État de clarifier à tous les fonctionnaires le moment à partir duquel une organisation bien établie jusque-là est considérée comme une «menace pour la sécurité nationale» – et devient ainsi incompatible avec le service public – de sorte à éviter le manque d'information et de clarté qui pourrait conduire à des «licenciements injustes pouvant être considérés comme une punition rétroactive».
14. Ces mesures ont eu de profondes répercussions sur le fonctionnement des institutions étatiques: un quart des juges et procureurs, un dixième des policiers et 30 % du personnel du ministère des Affaires étrangères ont été révoqués, sans mentionner la révocation, depuis juillet 2016, de quelque 5 000 membres de l’enseignement supérieur qui a eu de graves répercussions sur le fonctionnement des universités.
15. L’Assemblée est extrêmement préoccupée par le nombre élevé de personnes arrêtées et placées en détention en attendant d’être inculpées, sans possibilité d’accéder à leur dossier. L’Assemblée attend des autorités turques qu’elles n’aient recours à la détention préventive qu’en dernier recours et pour des motifs valables.
16. L’Assemblée est également consternée par les conséquences sociales des mesures appliquées dans le cadre de l’état d’urgence: les personnes révoquées ont vu leurs passeports annulés; elles sont sous l’interdiction définitive de retrouver un poste dans l’administration publique ou dans des institutions ayant des liens avec elle; elles n’ont pas accès à un régime de sécurité sociale et leurs avoirs ont été confisqués (ce qui pose des questions concernant la protection des droits de propriété). Leurs familles sont également touchées par ces mesures. L’Assemblée craint que lesdites mesures s’analysent en fait en «une mort civile» pour les personnes concernées: une situation qui ne manquera pas d’avoir des effets dramatiques et préjudiciables à long terme sur la société turque qui devra alors inventer des moyens et des mécanismes lui permettant de surmonter ce traumatisme.
17. L’Assemblée se félicite de la décision prise le 23 janvier 2017 pour établir une commission administrative nationale (dénommée «Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence») afin de garantir un recours judiciaire national aux personnes physiques ou morales (associations, fondations, institutions privées, médias, etc.) désirant contester une mesure prise dans le cadre d’un décret-loi. L’Assemblée estime important que les décisions rendues par cette commission puissent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par les tribunaux administratifs compétents dont les décisions peuvent à leur tour être contestées devant la Cour constitutionnelle et, en dernier ressort, devant la Cour européenne des droits de l’homme, à charge pour cette dernière de déterminer si le recours est effectif. L’Assemblée suivra de près le travail de cette commission et l’accès effectif, dans un délai raisonnable, aux recours judiciaires des personnes affectées par les décrets-lois.
18. L’Assemblée note également que la Cour constitutionnelle n’a pas encore rendu de décision concernant la question de savoir si elle doit ou non examiner les quelque 50 000 requêtes individuelles pendantes relatives à la publication des décrets-lois d’urgence. L’Assemblée rappelle à ce propos que le droit de requête individuelle introduit en 2010 devant cette juridiction s’est avéré ces dernières années un moyen efficace pour la Cour constitutionnelle de remédier à des violations des droits de l’homme. Elle invite par conséquent la Cour constitutionnelle à maintenir cette pratique.
19. L’Assemblée reste préoccupée du respect des droits fondamentaux sous état d’urgence. Compte tenu de l’ampleur des opérations menées, l’Assemblée s’inquiète du fait que l’état d’urgence serve non seulement à exclure des institutions étatiques les personnes impliquées dans le coup d’État, mais également à faire taire toutes les voix critiques et à générer un climat de crainte parmi les citoyens ordinaires, au sein des organisations non gouvernementales (ONG) et des médias indépendants, au risque d’ébranler les fondations d’une société démocratique.
20. À cet égard, l’Assemblée se félicite de la volonté exprimée par les autorités turques de poursuivre le dialogue avec le Conseil de l’Europe et apprécie les efforts du groupe de travail conjoint établi par le ministre turc de la Justice et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. L’adoption le 23 janvier 2017 de trois décrets-lois autorisant de nouveau l’accès à un avocat depuis le premier jour de détention et limitant la durée de la garde à vue à sept jours (renouvelable une seule fois à la demande du procureur dans certains cas) est l’un des résultats positifs de cette coopération. L’Assemblée espère désormais que ces premières étapes seront suivies par d’autres en vue de corriger les lacunes provoquées par les décrets-lois et d'améliorer la situation sous l’angle des droits de l’homme et des mécanismes nationaux de réparation. Dans le cas contraire, la Cour européenne des droits de l’homme sera très certainement saisie au cours des années à venir de plusieurs dizaines de milliers de requêtes émanant de citoyens turcs.
21. Compte tenu des graves préoccupations en la matière et des violations des droits de l’homme constatées pendant l’état d’urgence, telles qu’elles sont soulignées par la Commission de Venise et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’Assemblée exhorte également les autorités turques:
21.1. à lever l’état d’urgence aussitôt que possible;
21.2. à mettre un terme aux révocations collectives de fonctionnaires sur la base de décrets-lois, une pratique qui remet en cause la règle d’une procédure au cas par cas et le principe de la présomption d’innocence;
21.3. à prendre toutes les mesures requises pour s’assurer que la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence nouvellement créée puisse rapidement entamer son travail en bénéficiant de ressources financières et humaines adéquates ; veiller à ce que ses décisions soient rendues avec célérité, en toute indépendance et en toute transparence de manière à pouvoir déclencher une procédure de contrôle judiciaire et à redresser correctement les torts avec la diligence requise ;
21.4. à combler les lacunes procédurales associées à l’état d’urgence, notamment en ce qui concerne la durée de la détention et l’accès effectif à un avocat;
21.5. à abolir la disposition prévoyant la déchéance de nationalité en cas de procès par contumace: une pratique contraire aux instruments juridiques internationaux et susceptible de provoquer des cas d’apatridie;
21.6. à modifier les décrets-lois pour s’assurer que tous les transferts de biens à l’État revêtent un caractère temporaire, dépendent d’une approbation finale à la fin de l’état d’urgence et soient parfaitement conformes à l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme;
21.7. à veiller à ce que le droit à l’éducation, tel qu’il est énoncé à l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9), soit intégralement protégé.
22. L’Assemblée rappelle ses profondes préoccupations concernant la situation dans le sud-est de la Turquie qui est le théâtre d’opérations de sécurité depuis août 2015. Elle partage les craintes du Commissaire aux droits de l’homme relatives aux violations de droits fondamentaux dans cette zone, y compris les droits de propriété, l’accès à l’éducation et l’absence d’enquête efficace en cas d’allégation de violation des droits de l’homme. L’Assemblée est également choquée d’apprendre l’ouverture d’enquêtes contre des organisations de défense des droits de l’homme qui avaient signalé des allégations de violations des droits de l’homme – considérées comme crédibles – commises à Cizre.
23. Dans ce contexte, l’Assemblée est consternée d’apprendre l’adoption de la loi de 2016 sur la protection juridique des forces de sécurité participant à la lutte contre les organisations terroristes, laquelle pourrait encourager l’impunité. Elle note néanmoins que les autorités tentent de suivre une politique «de tolérance zéro» en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements. Elle exhorte par conséquent les autorités turques:
23.1. à abroger la loi de 2016 sur la protection juridique des forces de sécurité participant à la lutte contre les organisations terroristes; à veiller à ce que les allégations d’actes illicites fassent l’objet d’enquêtes efficaces de manière à garantir la reddition de comptes des responsables desdits actes, et notamment de mauvais traitements, d’un recours excessif à la force ou de tout autre abus de pouvoir;
23.2. à établir un mécanisme efficace et indépendant de traitement des plaintes en vue de lutter contre l’impunité, tel que suggéré par le Commissaire aux droits de l’homme;
23.3. à autoriser, dans les meilleurs délais, la publication des derniers rapports rédigés par le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et appliquer les recommandations qu’ils contiennent.
24. En ce qui concerne la liberté des médias et la liberté d’expression, l’Assemblée s’alarme des violations répétées de la première, du nombre de journalistes actuellement en détention et des pressions exercées sur les journalistes adoptant un point de vue critique, des pratiques inacceptables dans une société démocratique. Les États membres du Conseil de l’Europe assument l’obligation positive de garantir la liberté d’expression, la protection des journalistes et l’accès à l’information, ainsi que de créer des conditions permettant aux médias de remplir le rôle de sentinelle de la société et de tenir le public informé des questions touchant à l’intérêt général.
25. L’Assemblée rappelle en particulier sa Résolution 2121 (2016) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie, et sa Résolution 2141 (2017) sur les attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe. Elle demeure préoccupée par la situation des médias en Turquie, l’interprétation large de la loi antiterroriste qui va à l’encontre des normes du Conseil de l’Europe, qui ébranle sérieusement les fondations démocratiques du pays et permet de poursuivre au pénal les défenseurs des droits de l’homme et les avocats. Elle réitère son appel aux autorités turques d’abroger, amender ou assurer une interprétation strictes des articles 216 (Criminalisation de l’incitation publique à la haine ou à l’hostilité et dénigrement de certains groupes de population), 299 (Insulte au Président de la République), 301 (Dénigrement de la nation et de la République turques ou des organes et institutions de l’État) et 314 (Appartenance à une organisation armée) du Code pénal, ainsi que de la loi sur internet no 5651, conformément aux avis de 2015 de la Commission de Venise.
26. L’Assemblée appelle de ce fait les autorités turques:
26.1. à libérer les journalistes (plus de 150) et les défenseurs des droits de l’homme en détention, à moins qu’ils aient été accusés de participation active dans des actes terroristes;
26.2. à mettre un terme à la politique inacceptable de criminalisation des personnes exprimant leurs dissensions et protéger la liberté des médias conformément à la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; revoir l’attitude et les pratiques du système judiciaire et notamment des procureurs et des juges de paix de manière à abandonner «le harcèlement judiciaire systématique qui génère clairement un effet dissuasif étouffant la critique» (pour reprendre les termes du Commissaire aux droits de l’homme) et arriver à une interprétation du droit turc plus conforme à la Convention;
26.3. modifier la loi sur la lutte contre le terrorisme de manière à garantir une mise en œuvre et une interprétation de ses dispositions conforme à la Convention européenne des droits de l’homme ;
26.4. s’abstenir de prendre des mesures radicales, notamment à l’encontre des médias et des ONG, sur la base de vagues critères de «lien» allégué avec une organisation terroriste sans preuve et en l’absence de décision judiciaire ;
26.5. créer un environnement propice à la liberté et au pluralisme des médias, notamment en renforçant l’indépendance éditoriale de la radiotélévision turque et en mettant en œuvre un mécanisme efficace de contrôle du respect par les médias de la réglementation, conformément aux normes du Conseil de l’Europe.
27. Compte tenu de la régression observée ces dernières années en matière de respect de la liberté d’expression et de la presse – une tendance qui s’est accentuée pendant l’état d’urgence –, l’Assemblée estime que la Turquie manque à ses obligations et appelle instamment les autorités de ce pays à prendre d’urgence des mesures visant à restaurer la liberté d’expression et la liberté des médias sur la base des conclusions publiées en février 2017 par le Commissaire aux droits de l’homme et des avis pertinents rendus par la Commission de Venise en 2016 et 2017.
28. L’Assemblée prend note de l’adoption d’un ensemble d’amendements constitutionnels le 21 janvier 2017 et de l’organisation d’un référendum constitutionnel le 16 avril 2017. À supposer qu’elle soit approuvée par le peuple par référendum, cette révision de la Constitution entraînerait une profonde modification et le passage d’un système parlementaire à un système présidentiel, conférant au Président de la République des pouvoirs étendus tout en réduisant de manière drastique le rôle de superviseur du parlement. L’Assemblée souligne qu’il appartient uniquement aux citoyens turcs de décider du système politique dont ils entendent se doter, à condition que les électeurs se voient communiquer des informations suffisantes et qu’un laps de temps raisonnable soit accordé au débat public.
29. Dans ce contexte, l’Assemblée note avec préoccupation que les amendements constitutionnels ont été adoptés à l’issue d’une procédure parlementaire accélérée (six semaines au total), marquée par d’intenses débats, une violation du secret du vote, une retransmission partielle des débats parlementaires à la télévision et l’absence de consultation publique sur les changements proposés. Elle est également préoccupée par le système envisagé de poids et contrepoids, de séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. L’opportunité de l’organisation d’un référendum dans le cadre d’un état d’urgence, alors que 500 000 personnes ont été déplacées suite aux couvre-feux et aux opérations de sécurité dans le sud-est de la Turquie depuis août 2015, soulève également de sérieuses interrogations.
30. L’Assemblée s’inquiète aussi des modifications récentes apportées à la législation électorale par des décrets-lois privant la Commission électorale suprême de son pouvoir de sanctionner tout média se livrant à une propagande politique tendancieuse et autorisant l’achat illimité de publicités politiques sur les chaînes de télévision et les stations de radio privées. Il s’agit là d’un retour en arrière qui ne manquera pas de porter atteinte à l’accès équitable aux médias et à une couverture médiatique équilibrée pendant les élections ou les référendums. L’Assemblée rappelle que les citoyens ont le droit d’être dûment informés des questions en jeu et de prendre connaissance de manière complète et détaillée des différentes opinions exprimées, y compris celles contenant des critiques, en temps utile. Elle appelle donc instamment les autorités turques à modifier en conséquence la législation électorale et à combler les lacunes restantes identifiées par l’Assemblée dans ses rapports d’observation consacrés aux élections précédentes.
31. L’Assemblée appelle les autorités turques à prendre toutes les mesures requises pour maintenir le droit de n’importe quel citoyen de voter librement et en toute sécurité. Elle réaffirme son appel en faveur de l’accréditation d’organisations de la société civile comme observatrices des élections au niveau national, une mesure de nature à renforcer la transparence du processus électoral.
32. L’Assemblée a rappelé à de nombreuses reprises que la Turquie est un partenaire stratégique pour le Conseil de l’Europe et a appelé maintes fois à un dialogue constructif avec ce pays qui est l’un des plus anciens membres de l’Organisation et l’un des premiers signataires de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950. Elle se félicite par conséquent du dialogue continu et constructif avec l’Organisation, qui devrait continuer à être basé sur une confiance mutuelle et conduire à d’autres résultats.
33. L’Assemblée est résolue à poursuivre le dialogue et la coopération avec la Turquie et à lui proposer son soutien dans la période difficile qu’elle traverse. Le coup d’État avorté a révélé de sérieux dysfonctionnements au sein des institutions démocratiques turques, mais l’Assemblée soutient aussi que l’évolution de la situation après cet événement – y compris l’application de l’état d’urgence – a eu des effets importants, disproportionnés et durables sur la protection des libertés fondamentales, le fonctionnement des institutions démocratiques et toutes les composantes de la société. Elle relève que les mesures disproportionnées adoptées (révocation de 150 000 fonctionnaires, officiers de l’armée, magistrats, enseignants et universitaires; engagement de poursuites contre 100 000 personnes, dont 40 000 placées en détention), l’incertitude juridique qui prévaut malgré les mesures récemment prises par les autorités, ainsi que les conséquences des décrets-lois d’urgence sur les individus et leurs familles, ont généré un climat de suspicion et de peur préjudiciable à la cohésion sociale et à la stabilité.
34. L’Assemblée désire renforcer et intensifier son suivi de l’évolution en Turquie et son dialogue à ce propos avec toutes les forces vives du pays afin de s’assurer de la prise en considération des profondes préoccupations qu’elle a exprimées concernant le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. L’Assemblée décide par conséquent de rouvrir la procédure de suivi à l’égard de la Turquie jusqu’à ce que lesdites préoccupations soient traitées de manière satisfaisante. Elle attend notamment des autorités turques qu’elles prennent d’urgence les mesures suivantes:
34.1. lever l’état d’urgence aussitôt que possible;
34.2. dans l’intervalle, arrêter de promulguer des décrets-lois d’urgence contournant la procédure parlementaire sauf si cette pratique s’avère strictement nécessaire en vertu de la Loi sur l’état d’urgence et mettre fin à la révocation collective de fonctionnaires sur la base de décrets-lois d’urgence;
34.3. libérer tous les parlementaires placés en détention en l’attente de leur procès;
34.4. libérer tous les journalistes placés en détention dans l’attente de leur procès;
34.5. établir la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence et veiller à ce qu’elle commence à assumer sa tâche consistant à offrir un recours judiciaire effectif au niveau national aux personnes révoquées sur la base d’un décret-loi d’urgence;
34.6. veiller à ce que les procès se tiennent dans le respect des garanties d’une procédure régulière;
34.7. prendre d’urgence des mesures visant à restaurer la liberté d’expression et de la presse, conformément aux Résolutions 2121 (2016) et 2141 (2017) de l’Assemblée, ainsi qu’aux recommandations du Commissaire aux droits de l’homme et de la Commission de Venise;
34.8. organiser le référendum constitutionnel d’avril 2017 conformément aux normes du Conseil de l’Europe et au Code de bonne pratique en matière référendaire de la Commission de Venise, afin de garantir la libre formation de la volonté de l’électeur;
34.9. mettre en œuvre aussi rapidement que possible les recommandations de la Commission de Venise relatives aux modifications de la Constitution.
35. L’Assemblée décide, dans le cadre de la procédure de suivi à l’égard de la Turquie, d’évaluer les progrès réalisés dans un rapport à présenter au cours de la session de l’Assemblée en 2018.

B. Exposé des motifs par Mme Ingebjørg Godskesen et Mme Marianne Mikko, corapporteures

(open)

1. Introduction

1. Le 15 juillet 2016, la Turquie a subi un coup d’État avorté, après qu’un groupe au sein des forces armées a essayé de renverser les institutions démocratiques et d’abolir l’ordre constitutionnel en faisant usage de la force et de la violence. Ces événements ont fait 248 morts et plus de 2  000 blessés. Les autorités ont immédiatement affirmé que les membres du mouvement dirigé par Fethullah Gülen 
			(2) 
			Fethullah
Gülen est un prêcheur musulman qui a créé, dans le monde entier,
un réseau éducatif dont les étudiants sont devenus des personnalités
influentes dans les institutions étatiques, comme les précédents
rapports de l’Assemblée l’ont montré. Après 2013, une mésentente
a ouvertement séparé M. Recep Tayyip Erdoğan de son ancien allié
Gülen qui s’est exilé volontairement aux États-Unis. et considéré comme une organisation terroriste depuis 2014 (ce qui lui a valu l’appellation de «FETÖ/PDY», un acronyme signifiant: «Organisation terroriste fethullahiste/Structure d’État parallèle») était derrière le coup d’État avorté et avait ainsi tenté de s’emparer des institutions démocratiques et de détruire l’ordre constitutionnel en Turquie – ce qu’a contesté Fethullah Gülen. Il existait cependant un large consensus sur le fait que le mouvement avait notamment infiltré le système judiciaire et la police, ainsi que d’autres institutions étatiques et ce, depuis plus de quarante ans. L’influence du mouvement güleniste dans lesdites institutions avait déjà été mentionnée dans le rapport de postsuivi de 2013 présenté par la rapporteure de l’Assemblée parlementaire, Mme Josette Durrieu (France, SOC), mais niée à l’époque par les autorités 
			(3) 
			Voir l’opinion dissidente
au rapport de Mme Durrieu présentée par
le président de la délégation turque (Doc. 13160).. Dans l’intervalle, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a communiqué des informations factuelles sur le mouvement et la participation de certains de ses membres à des actes illégaux en vue d’accroître leur influence, lesdits actes consistant prétendument en «triche aux examens d’entrée dans diverses institutions étatiques, collecte d’un «impôt» de fait obligatoire sous prétexte de dons volontaires à des projets caritatifs du réseau, fabrication de preuves à charge contre des opposants politiques», comme dans ce qu’il est convenu d’appeler les procès Ergenekon et Balyoz «qui ont abouti à la condamnation de nombreuses personnes sur la base de preuves dont une partie au moins a été fabriquée» 
			(4) 
			Avis sur les décrets
lois d’urgence no 667-676 adopté à la
suite du coup avorté du 15 juillet 2016, adopté par la Commission
de Venise lors de sa 109e Session plénière,
9-10 décembre 2016 (<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)037-e'>CDL-AD(2016)037</a>), paragraphe 17 (traduction non-officielle)..
2. Le Conseil de l’Europe a été l’une des premières organisations à condamner cette tentative de renversement d’un gouvernement élu: le président de l’Assemblée parlementaire, Pedro Agramunt, son Secrétaire Général, Thorbjørn Jagland, et le ministre estonien des Affaires étrangères, Marina Kaljurand, en sa qualité de présidente du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, ont condamné le coup d’État au nom de l’Organisation et effectué une visite dans le pays dans les semaines ayant suivi cette tentative ratée 
			(5) 
			Le Secrétaire Général
a été la première personnalité internationale à visiter la Turquie
après le coup d’État avorté (le 4 août 2016), suivi par la présidente
du Comité des Ministres (24 août) et le président de notre Assemblée
(1 et 2 septembre). Le Comité européen pour la prévention de la
torture (CPT) a visité la Turquie au début du mois de septembre,
le Commissaire aux droits de l’homme fin septembre et la Commission
de Venise en octobre. (AS/Pol (2016) 18 rev)., témoignant ainsi de la solidarité des peuples européens avec la Turquie. Depuis, des délégations de l’Assemblée parlementaire, du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et de la Commission de Venise, ainsi que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, se sont également rendus dans le pays et continuent à suivre de près la situation en Turquie, ainsi que la compatibilité des mesures prises après le coup d’État avec les normes du Conseil de l’Europe.
3. Le coup d’État avorté a incité les autorités à déclarer l’état d’urgence et à lancer un vaste processus de «purge» des institutions étatiques afin d’en chasser les agents considérés comme loyaux envers le mouvement güleniste.
4. Même si, selon la Commission de Venise, il est incontestable que les autorités turques ont été confrontées «à une dangereuse conspiration armée» et «avaient de bonnes raisons de proclamer l’état d’urgence et de conférer au gouvernement des pouvoirs extraordinaires» 
			(6) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)037-e'>CDL-AD(2016)037</a>, paragraphe 225, les incidences de l’état d’urgence sur la protection des droits de l’homme et l’ampleur de la purge soulèvent de graves questions. Même si la Turquie peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) (voir l’article 15 de cet instrument), le régime de l’état d’urgence ne saurait donner carte blanche aux autorités et devrait «respecter les limites fixées par la Constitution, ainsi que les obligations imposées à l’État par son droit interne et par le droit international» 
			(7) 
			Ibid..
5. La commission de suivi s’est intéressée à l’évolution de la situation après le coup d’État, dans le cadre du dialogue postsuivi en place depuis 2004. Elle a procédé, à chacune de ses réunions, à des échanges de vues afin de suivre la situation en Turquie et notamment les conséquences de l’état d’urgence et des décrets-lois promulgués dans le cadre de ce régime. Le 9 novembre 2016, la commission a adopté une déclaration faisant part de sa profonde préoccupation après l’arrestation de 12 membres du parlement et l’application de l’état d’urgence, «notamment sur les révocations massives et continues de fonctionnaires et de membres de l'appareil judiciaire, ainsi que sur les conséquences des mesures contenues dans les décrets lois en matière de libertés fondamentales et de procès équitables, qui entraîneront l’introduction de nombreuses requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme si la Turquie ne remédie pas à ces défaillances et ne garantit pas des recours effectifs», ainsi que les arrestations des principaux journalistes de Cumhuriyet – pour leur soutien allégué au PKK et au mouvement güleniste –, la fermeture récente de médias kurdes et les restrictions à l’autonomie des universités; la commission a également fait part de sa consternation après la reprise de discussions concernant la réintroduction de la peine de mort en Turquie et souligné que cette mesure est incompatible avec l’appartenance au Conseil de l’Europe 
			(8) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6402&lang=1&cat=135'>Déclaration</a> adoptée par la commission de suivi le 9 novembre 2016..
6. Lors de sa réunion du 14 décembre 2016, la commission de suivi a fait part de ses inquiétudes croissantes concernant les conséquences du coup d’État avorté et décidé de demander la tenue d’un débat selon la procédure d’urgence sur le fonctionnement des institutions démocratiques. Elle nous a également demandé, en notre qualité de corapporteures sur la Turquie, d’effectuer une visite dans ce pays.
7. Notre visite d’information s’est déroulée du 9 au 13 janvier 2017 à Istanbul et à Ankara. Nous avons rencontré le vice-président de la Grande Assemblée nationale de Turquie, le ministre de l’Éducation, les vice-ministres des Affaires étrangères et de la Justice, des représentants du ministère de l’Intérieur, la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire, des membres des formations politiques représentées au parlement, le président de la Commission de la justice du Parlement, l’Ombudsman, des représentants des syndicats, la communauté diplomatique, des représentants des médias et des organisations non gouvernementales (ONG), des universitaires et des responsables de collectivités locales. Nous aimerions remercier la délégation et les autorités turques pour l’organisation de la visite qui s’est déroulée en plein vote des modifications à la Constitution. Nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer le Président de la République, le Premier ministre, le président de la Commission de la Constitution du Parlement et le vice-président du Haut conseil des juges et des procureurs.
8. Dans sa lettre en date du 23 févier 2017, le Président de la délégation turque, M. Talip Küçükcan, nous a apporté des informations additionnelles et mises à jour, dont nous avons tenu compte dans la préparation de ce rapport. Nous souhaitons le remercier pour ces informations.
9. Il convient de signaler, en plus des activités de la commission de suivi, la visite effectuée par une sous-commission ad hoc – composée de représentants de plusieurs partis 
			(9) 
			La sous-commission
ad hoc sur les développements récents en Turquie était composée
de M. Mogens Jensen (Danemark, SOC), président de la commission
des questions politiques et de la démocratie; Mme Deborah
Bergamini (Italie, PPE/DC); Mme Josette
Durrieu (France, SOC); Mme Kelly Tolhurst
(Royaume-Uni, CE); Mme Anne Brasseur (Luxembourg,
ADLE) et M. George Loucaides (Chypre, GUE).  – de la commission des questions politiques et de la démocratie, présidée par Mogens Jensen (Danemark, SOC), à l’invitation des autorités turques. Ladite sous-commission a soumis une note d’information après sa visite des 21 et 22 novembre 2016, laquelle expose très bien la situation et formule des recommandations valables dont nous nous sommes inspirées 
			(10) 
			<a href='https://pace.coe.int/documents/18848/2197130/20161215-Apdoc18.pdf/35656836-5385-4f88-86bd-17dd5b8b9d8f'>AS/Pol
(2016) 18 rev.</a>. Selon les conclusions de la sous-commission ad hoc, telles qu’elles ont été avalisées par la commission des questions politiques le 15 décembre 2016, «il est nécessaire que l’Assemblée décide de rouvrir la procédure de suivi à l’égard de la Turquie, qui ne fait actuellement l’objet que d’un dialogue postsuivi» (paragraphe 115). Nous avons également repris à notre compte l’opinion de la sous-commission selon laquelle «une contestation des pouvoirs de la délégation parlementaire turque serait non seulement une erreur, mais également une initiative contre-productive. Elle ciblerait à la fois les membres de la majorité et de l’opposition du Parlement turc, nuirait au dialogue qui s’est instauré et pourrait pousser ce pays à prendre ses distances avec l’Organisation» (paragraphe 115). Par conséquent, la commission des questions politiques a également demandé l’organisation d’un débat d’urgence sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie pendant la partie des session de janvier 2017.
10. Le 23 janvier 2017, la demande d’un débat d’urgence sur la situation en Turquie, déposée à la fois par les commissions des questions politiques et de suivi, a été rejetée par le Bureau de l’Assemblée et n’est pas parvenue à réunir la majorité des deux tiers dans l’hémicycle, malgré le soutien de près de 60 % des membres ayant voté. Le jour suivant, la commission des questions politiques a adopté une déclaration relative à la situation en Turquie et à son évolution récente 
			(11) 
			Voir
la <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6492&lang=1&cat=137'>Déclaration</a> adoptée par la commission des questions politiques le
24 janvier 2017.. Pour sa part, la commission de suivi a déploré, dans une déclaration du 26 janvier 2017, la décision de l’Assemblée de ne pas organiser un débat d’urgence et a demandé qu’un débat sur «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie» se tienne au cours de la partie de session d’avril 2017 en vue de permettre à l’Assemblée d’«examiner l’évolution récente du pays, de poursuivre le dialogue et d’inciter la Turquie, l’un des plus anciens États membres du Conseil de l'Europe et parmi les premiers signataires de la Convention européenne des droits de l’homme, à respecter ses obligations à l’égard du Conseil de l'Europe et à renforcer sa stabilité démocratique et sa sécurité». 
			(12) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6507&lang=1&cat=3'>Déclaration</a> sur la proposition de réforme constitutionnelle en Turquie
adoptée par la commission de suivi de l’Assemblée parlementaire,
26 janvier 2017.

2. Contexte politique

2.1. Considérations générales

11. La Turquie reste confrontée à des conditions géopolitiques défavorables. Elle mène des opérations militaires sur le terrain dans le nord de la Syrie pour combattre Daech et contenir les organisations kurdes en Syrie perçues comme une menace pour sa sécurité nationale. Elle participe aujourd’hui aux opérations militaires visant à libérer la ville irakienne de Mossoul occupée par Daech. La Turquie parraine, de concert avec la Fédération de Russie et l’Iran, un cycle de pourparlers de paix à Astana. En raison du conflit sévissant en Syrie depuis 2011, la Turquie héberge près de trois millions de réfugiés. L’Assemblée n’a cessé de louer les efforts et les ressources consacrés à l’hébergement des réfugiés, une question qui est au centre d’un accord conclu avec l’Union européenne et de négociations en cours visant à faire bénéficier les citoyens turcs d’un régime d’exemption de visa.
12. La Turquie est confrontée à de multiples menaces et attaques terroristes perpétrées par «l’État islamique d’Irak et du Levant» (EIIL/Daech), le «Parti des travailleurs du Kurdistan» (PKK) 
			(13) 
			Le PKK est notamment
reconnu comme une organisation terroriste par l’Union européenne,
les États-Unis et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
(OTAN). Selon les chiffres des autorités, entre juillet 2015 et
le 13 février 2016, 872 membres des forces de sécurité et 338 civils
ont été tués; 2 118 civils ont été blessés et 231 civils ont été kidnappés
par le PKK (in: lettre de M. Küçükcan, Président de la délégation
turque, 23 février 2017). et un mouvement affilié au PKK du nom de «Faucons de la liberté du Kurdistan» (TAK), qui ont encore récemment perpétré des actes terroristes. La liste qui suit répertorie une partie seulement des attaques les plus récentes:
  • un attentat à la bombe perpétré le 10 décembre 2016 à l’extérieur du stade Vodafone Arena du Beşiktaş a fait 46 morts, dont 37 policiers, et 150 blessés. Il a été revendiqué par les TAK;
  • le 17 décembre 2016, une attaque à la voiture piégée menée par le PKK a fait au moins 13 morts et 56 blessés parmi les membres des forces armées, lorsque le véhicule a explosé à proximité d’un autobus transportant des soldats en permission dans la ville de Kayseri au centre du pays;
  • la discothèque Reina à Istanbul a été attaquée le 1er janvier 2017 par l’EILL (39 victimes);
  • une attaque à la voiture piégée, revendiquée plus tard par les TAK, ciblant le tribunal d’Izmir, a tué deux personnes le 5 janvier 2017.
13. À cet égard, pendant notre visite dans le pays, nous avons reconnu l’étendue des menaces terroristes et des attaques auxquelles est confrontée la Turquie 
			(14) 
			Selon
les médias, les actes terroristes ont tué plus de 580 personnes
ces deux dernières années en Turquie. et nous avons mesuré le prix payé par les citoyens turcs qui se sont opposés aux comploteurs à Istanbul, à Ankara et dans d’autres villes. Malheureusement, la menace terroriste, combinée à un environnement politique incertain, a eu un impact négatif sur l’activité économique –et plus particulièrement sur le tourisme – et cette situation commence à peser de manière dramatique sur l’économie domestique, avec la chute du cours de la livre turque.
14. Nous avons souligné que l’État turc a le droit et le devoir de lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes. Parallèlement, cette lutte antiterroriste ne peut être efficace que si elle est menée dans le cadre de l’État de droit et du respect des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe.
15. Au vu de l’évolution de la situation en 2015/2016 et plus particulièrement depuis la rupture des discussions sur la résolution du problème kurde et les mesures de répression contre les médias et le système judiciaire, l’Assemblée a décidé d’organiser un débat sur le fonctionnement des institutions démocratiques. Dans sa Résolution 2121 (2016) adoptée le 22 juin 2016, c’est-à-dire trois semaines avant le coup d’État avorté, l’Assemblée avait conclu que l’érosion de l’État de droit, les violations de la liberté de la presse et de la liberté d’expression et les violations des droits de l’homme liées aux opérations de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie «[menaçaient] le fonctionnement des institutions démocratiques de ce pays et le respect de ses obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe».
16. Parallèlement, l’Assemblée a rappelé à plusieurs reprises que la Turquie est un partenaire stratégique pour le Conseil de l’Europe et réitéré ses appels à un dialogue constructif avec ce pays. Nous sommes convaincus qu’en ces temps difficiles, une coopération renforcée avec la Turquie s’impose pour préserver les libertés fondamentales, l’État de droit et la démocratie. À l’heure actuelle, le Conseil de l’Europe et en particulier notre Assemblée doit et désire s’engager davantage avec la Turquie.

2.2. Le coup d’État avorté du 15 juillet 2016

17. Le 15 juillet 2016, un groupe organisé composé de membres des forces armées turques a tenté de renverser les institutions démocratiques et d’abolir l’ordre constitutionnel en faisant usage de la force et de la violence. Selon l’état-major des armées, 8  651 militaires y ont participé et 35 avions, dont des chasseurs à réaction des forces armées turques, 37 hélicoptères, 246 véhicules blindés, dont 74 tanks, et quelque 4 000 armes légères ont été utilisés 
			(15) 
			Voir <a href='http://constitutionalcourt.gov.tr/inlinepages/press/PressReleases/detail/31.html'>http://constitutionalcourt.gov.tr/inlinepages/press/PressReleases/detail/31.html</a>, paragraphe 2.. Ce groupe a fait une déclaration à la Radio-télévision de Turquie (TRT) au nom du «Conseil de la paix dans le pays». Pendant le putsch, plusieurs institutions nationales ont été ciblées par des avions et des bombes (dont le Parlement turc, le Palais présidentiel, la Direction de la sécurité à Ankara, les forces d’opérations spéciales de la police de la Direction générale de la sécurité et le Service national de renseignement).
18. Le Président Erdoğan a échappé à une tentative d’assassinat à son hôtel de Marmaris. Il s’est adressé au peuple turc par visiophone sur la chaîne privée CNN Türk la nuit même et a exhorté les citoyens à descendre dans la rue pour s’opposer au putsch. Des milliers de personnes ont manifesté et affronté les comploteurs. Le coup d’État s’est soldé par un échec au petit matin du 16 juillet 2016; il a causé la mort de 248 personnes et fait 2 200 blessés, provoquant un grand traumatisme dans la société. Ce putsch a été unanimement condamné par l’ensemble des partis politiques et organisations civiles, ainsi que par la communauté internationale 
			(16) 
			Voir le recueil des
déclarations publiées par M. Agramunt, Président de l’Assemblée,
M. Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mme Kaljurand,
Présidente du Comité des Ministres et ministre des Affaires étrangères
de l’Estonie, et M. Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme
(voir AS/Mon/Inf (2016) 13). . Le 7 août 2016, le Président Erdoğan a organisé une réunion à Yenikapi avec le Premier ministre M. Binali Yildirim, président du Parti de la Justice et du Développement (AKP), M. Kemal Kiliçdaroğlu, chef du Parti républicain du Peuple (CHP), et M. Devlet Bahceli, chef du Parti du Mouvement nationaliste (MHP). Le chef du Parti démocratique des Peuples (HDP), M. Selahattin Demirtas, n’a pas été invité à cette réunion. Le 9 août 2016, des millions de Turcs ont manifesté pour exprimer leur attachement à la démocratie.
19. Les autorités ont depuis lors demandé l’extradition de M. Fethullah Gülen 
			(17) 
			Le 11 juillet 2016,
la Turquie a ratifié le Protocole additionnel à la Convention européenne
d’extradition (<a href='http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/086'>STE
n° 86</a>), ainsi que les troisième (<a href='http://www.coe.int/en/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/209'>STCE
n° 209</a>) et quatrième (<a href='http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/212'>STCE
n° 212</a>) Protocoles additionnels à la même convention. des États-Unis. Le Gouvernement américain a exigé des preuves de l’implication directe de l’intéressé dans la tentative de coup d’État. Le 13 septembre 2016, la Turquie a envoyé une première demande d’arrestation provisoire de Fethullah Gülen 
			(18) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/turkish-justice-ministry-demands-us-arrest-gulen-over-coup-attempt.aspx?pageID=238&nID=103844&NewsCatID=510'>www.hurriyetdailynews.com/turkish-justice-ministry-demands-us-arrest-gulen-over-coup-attempt.aspx?pageID=238&nID=103844&NewsCatID=510.</a>.
20. À la suite du coup d’État avorté, le débat sur la réintroduction de la peine de mort a refait surface. Le Président de la République a signalé qu’il n’hésiterait pas à promulguer une mesure en ce sens, à condition que le parlement adopte une loi adéquate. Pour l’instant, aucun projet de loi n’a été introduit ou débattu, mais la commission de suivi – et plus tard la sous-commission de la commission des questions politiques – ont déjà pris clairement position sur la question: la peine de mort est tout simplement incompatible avec l’appartenance au Conseil de l’Europe 
			(19) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6402&lang=1&cat=135'>Déclaration</a> adoptée par la commission de suivi le 9 novembre 2016..
21. Cette tentative de coup d’État, qualifiée par le Président de la République de «cadeau de Dieu», a été suivie d’une purge massive à la fois dans l’administration publique et dans le secteur privé. Pendant notre séjour en Turquie, nous avons été également interpellés par la rhétorique insistante des déclarations officielles mentionnant «un pays sous occupation» qui devrait être «libéré» au prix d’une «deuxième guerre d’indépendance». Ces propos confirment l’atmosphère générale propre à un pays en proie à une phase de transition profonde, qui remet en cause son passé et aspire à refaçonner son avenir dans la perspective de la naissance d’une nouvelle République à l’horizon 2023.
22. Pendant notre visite, nous avons été à même de mesurer le profond traumatisme provoqué par le coup d’État chez les citoyens turcs. Toutes les personnes que nous avons rencontrées ont condamné le coup d’État et approuvé l’ensemble des mesures visant à traduire en justice les auteurs et les personnes directement et activement impliquées dans ce crime. Toutefois, une partie de nos interlocuteurs n’était pas moins traumatisée par les mesures prises en réaction au coup d’État, lesquelles ont généré une insécurité juridique et créé une atmosphère de peur. En particulier, les représentants des ONG et des médias – qui sont en première ligne s’agissant de protéger les droits fondamentaux des citoyens et des personnes vulnérables – ont été affectés par ce climat.

3. Application de l’état d’urgence

3.1. Conséquences de l’état d’urgence et des décrets-lois postérieurs

23. Le 20 juillet 2016, le Président Erdoğan a annoncé que la Turquie proclamerait l’état d’urgence pour une durée de trois mois en vertu de l’article 120 de la Constitution 
			(20) 
			L’article 120 de la
Constitution se lit comme suit: « En cas d’apparition d’indices
sérieux d’extension d’actions violentes visant à renverser l’ordre
démocratique libre instauré par la Constitution ou à supprimer les
droits et libertés fondamentaux ou en cas de perturbation sérieuse
de l’ordre public en raison d’actes de violence, le Conseil des
ministres réuni sous la présidence du Président de la République
peut, après avoir consulté le Conseil de sécurité nationale, proclamer
l’état d’urgence dans une ou plusieurs régions ou sur l’ensemble
du territoire du pays, pour une durée ne dépassant pas six mois »,
voir <a href='http://codices.coe.int/NXT/gateway.dll?f=templates&fn=default.htm'>http://codices.coe.int/NXT/gateway.dll?f=templates&fn=default.htm.</a>. Le 21 juillet 2016, les autorités turques ont notifié au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe une dérogation à la Convention européenne des droits de l’homme en application de l’article 15 de cet instrument 
			(21) 
			Voir <a href='http://www.coe.int/fr/web/secretary-general/news/-/asset_publisher/EYlBJNjXtA5U/content/secretary-general-receives-notification-from-turkey-of-its-intention-to-temporarily-suspend-the-european-convention-on-human-rights/16695?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Fen%2Fweb%2Fsecretary-general%2Fnews%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_EYlBJNjXtA5U%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_count%3D1'>les
actualités</a> diffusées par le Secrétaire général le 21 juillet 2016.
Dans ce document, il est rappelé que les articles suivants ne sauraient
faire l’objet d’une dérogation: article 2 (droit à la vie), article 3
(interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants), article 4.1 (interdiction de l’esclavage) et article 7
(pas de peine sans loi). La Convention européenne des droits de
l’homme continuera à s’appliquer en Turquie. Chaque fois que le Gouvernement
turc cherchera à invoquer l’article 15 pour déroger à la Convention,
la Cour européenne des droits de l’homme décidera, au cas par cas,
si sa demande satisfait aux critères énoncés dans cet instrument,
notamment ceux de la proportionnalité de la mesure prise.. Depuis lors, elles ont régulièrement fourni des informations sur l’application de l’état d’urgence et prolongé celui-ci, les 11 octobre 2016 et 19 janvier 2017, de 90 jours.
24. Dans le cadre de l’état d’urgence, 21 «décrets ayant force de loi» («Kanun Hükmünde Kararname» ou KHK, ci-après «décrets-lois») ont été promulgués. La Constitution stipule que les décrets-lois doivent être approuvés par le parlement dans les trente jours suivant leur publication. À ce jour, seuls cinq décrets-lois (nos 667, 668, 669, 671 et 674) ont été approuvés par le parlement. Deux d’entre eux (nos 686 et 687) sont à l’ordre du jour de la commission compétente et les 14 autres décrets-lois restant sont à l’ordre du jour de la séance plénière du parlement, ce qui soulève de sérieuses préoccupations quant à la conformité des décrets-lois avec la Constitution, d’une part, et le rôle effectif du parlement dans la discussion des décréts-lois de l’état d’urgence et leur approbation, d’autre part.
25. Ces décrets-lois ont notamment réglementé 
			(22) 
			Informations non exhaustives,
se basant sur les traductions disponibles.:
  • les révocations de fonctionnaires, de membres du corps judiciaire 
			(23) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680697324'>Décret-loi
n° 669</a> du 31 juillet 2016 et <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168069f40e'>décret-loi
n° 670</a> du 17 août 2016., de membres de la fonction publique, des forces armées turques 
			(24) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168069661d'>Décret-loi
n° 667</a> du 23 juillet 2016., de l’unité des garde-côtes et de la police nationale turque 
			(25) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168069f40e'>Décret-loi
n° 670</a> du 17 août 2016<a href=''>. </a>. Les intéressés sont nommément désignés sur des listes annexées aux décrets-lois, comme étant rattachés à la catégorie des personnes «considérées comme appartenant, affiliées ou liées à des organisations ou structures terroristes, des organisations ou des groupes pour lesquels le Conseil de sécurité nationale a établi qu’ils se livrent à des activités préjudiciables à la sécurité nationale de l’État». Les personnes révoquées ne seront pas réembauchées. Elles ne seront pas non plus – ni directement ni indirectement – affectées à un service public. Leur licence de port d’armes a été retirée et leur passeport annulé;
  • la fermeture d’établissements et de structures de santé privés, d’établissements et de structures d’éducation privés, ainsi que de foyers et logements privés pour étudiants, de fondations et associations et de leurs entreprises commerciales, d’établissements d’enseignement supérieur gérés par une fondation, la dissolution des syndicats, fédérations et confédérations au motif «qu’ils appartiennent à, sont liés à ou en communication avec l’organisation terroriste de Fethullah (FETÖ/Structure étatique parallèle)» 
			(26) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168069661d'>Décret-loi
n° 667</a> du 23 juillet 2016 et <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806a2e37'>Décret-loi
n° 673</a> du 1er septembre 2016.. Tous les biens mobiliers ou immobiliers, sommes et droits à percevoir, et tous les documents et papiers des fondations fermées ont été saisis et transférés à la Direction générale des fondations;
  • la fermeture de stations de radio et de chaînes de télévision, de quotidiens et de périodiques 
			(27) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168069788a'>Décret-loi
n° 668</a> du 27 juillet 2016.;
  • la nomination de recteurs par le Président de la République pour un maximum de deux mandats dans la même université, parmi trois candidat/es suggérés par le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) de la Turquie. Le Président pourra également nommer un recteur directement si, au bout d’un mois, il ne retient aucun des candidats présentés par le YÖK et que cet organe ne présente pas de nouveaux candidats 
			(28) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/bogazici-univesity-academics-rally-against-turkeys-new-decree-law-on-rector-appointments.aspx?PageID=238&NID=105650&NewsCatID=339'>www.hurriyetdailynews.com/bogazici-univesity-academics-rally-against-turkeys-new-decree-law-on-rector-appointments.aspx?PageID=238&NID=105650&NewsCatID=339</a>..
26. Parmi les développements récents, on trouve la publication de quatre décrets-lois promulgués le 6 janvier 2017, qui ont conduit à la révocation de 8 398 agents publics et 649 professeurs d’université et l’interdiction de 83 autres organisations de la société civile. Ces décrets-lois prévoient également que les citoyens résidant à l’étranger, faisant l’objet d’une action judiciaire ou de poursuites et s’abstenant de rentrer en Turquie dans un délai de trois mois après la publication de leur nom au Journal officiel par le ministre de la Justice, à la demande du procureur, pourraient être déchus de leur nationalité, ce qui en ferait des apatrides, en violation flagrante des traités internationaux.
27. Le 7 février 2017, le décret-loi no 686 a prononcé la révocation de quelque 4 500 fonctionnaires, dont 330 universitaires sur la base d’une liste établie par le YÖK et 2 600 membres du ministère de l’Éducation nationale 
			(29) 
			Pour
plus de détails, voir: <a href='http://bianet.org/english/politics/183418-4-464-public-officials-discharged-by-statutory-decree-no-686'>http://bianet.org/english/politics/183418-4-464-public-officials-discharged-by-statutory-decree-no-686</a>. Face à la montée des protestations (y compris parmi
les membres de l’AKP) provoquée par cette nouvelle vague de révocations,
le Vice-Premier ministre s’est engagé à réévaluer cette liste de
330 universitaires.<a href=''></a>.
28. Le 8 février 2017, le décret-loi no 687 a retiré à la Commission électorale suprême (YSK/SBE) le droit d’infliger des sanctions ou des interdictions aux radiodiffuseurs ayant failli à leur obligation de couvrir les campagnes électorales de manière impartiale ou n’ayant pas respecté la réglementation concernant l’interdiction de publication de sondages dix jours avant la date du référendum. Le même décret-loi a également modifié la loi relative aux élections afin d’autoriser l’achat illimité de publicités politiques sur les chaînes de télévision et les stations de radio privées pendant les campagnes électorales et référendaires. Cette initiative marque un recul évident par rapport aux règles en vigueur jusque-là, lesquelles avaient déjà été décrites elles-mêmes comme problématiques dans des rapports d’observation d’élections antérieurs. 
			(30) 
			Voir le Doc. 13611, « Observation de l'élection présidentielle en Turquie 
(10 août 2014)»; le Doc. 13822, « Observation des élections législatives en Turquie 
(7 juin 2015)»; et le Doc. 13922, « Observation des élections législatives en Turquie
(1er novembre 2015)», dans lequel la
commission ad hoc [du Bureau de l’Assemblée parlementaire] s'est
déclarée «d’autant plus préoccupée que les sanctions basées sur
des rapports de suivi des médias du Conseil supérieur de la radio
et de la télévision (CSRT), et imposées par la CES aux diffuseurs,
ne prévoient pas de recours effectif en cas de violation de la réglementation
(…). L’absence de lignes directrices et de définitions générales sur
la mise en œuvre de ces principes en période électorale, et la composition
politique de ce Conseil, ne permettent toutefois pas au CSRT de
réglementer la scène médiatique de manière à garantir un accès équitable
des candidats politiques aux médias en période électorale, ce qui
permettrait aux électeurs de faire un choix bien informé» (paragraphe 29). Il conviendrait par conséquent d’examiner la question de l’accès équilibré des partisans et des opposants du régime aux radiodiffuseurs publics, dans la mesure où celui-ci constitue une condition préalable garantissant la libre formation de la volonté de l’électeur.

3.2. Problèmes posés par les décrets-lois pris dans le cadre de l’état d’urgence sous l’angle des obligations de la Turquie à l’égard du Conseil de l’Europe

29. Alors que les autorités turques avaient des raisons légitimes de déclarer l’état d’urgence et de déroger à la Convention européenne des droits de l’homme en juillet 2016, force est de constater que ledit état d’urgence a eu de profondes répercussions sur bon nombre de segments de la société, lesquelles vont largement au-delà des conséquences attendues sur les membres supposés de «FETÖ/PDY». Les autorités turques affirment que le champ des décrets-lois publiés a été «limité aux organisations terroristes afin de ne pas interférer avec les droits et libertés d’autrui» 
			(31) 
			Lettre de M. Küçükcan,
Président de la délégation turque, 23 février 2017.. Cela est toutefois contredit par la Commission de Venise 
			(32) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)037-e'>CDL-AD(2016)037</a>., et par nos observations lors de notre visite en Turquie: les divers représentants de la société civile ou des médias que nous avons rencontrés ont confirmé que l’utilisation concrète de l’état d’urgence «va bien au-delà de ce qui est permis par la Constitution turque et le droit international» 
			(33) 
			Ibid. , comme la Commission de Venise l’a rappelé dans un de ses avis.
30. Nous avons tenté de résumer les principaux problèmes posés par les décrets-lois sous l’angle des obligations de la Turquie à l’égard du Conseil de l’Europe. Il importe également de rappeler que, même dans le cadre de l’état d’urgence, la Convention européenne des droits de l’homme continue à s’appliquer en Turquie et que toute mesure prise dans le cadre de ce régime doit être compatible avec cet instrument. Même dans le cadre d’une dérogation en vertu de l’article 15 de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme demeure compétente pour déterminer si le critère de proportionnalité des mesures adoptées a été respecté dans le cadre de l’examen des requêtes individuelles contre la Turquie dont elle sera saisie.

3.2.1. Ampleur des mesures prises, manque de proportionnalité

31. En raison des mesures entreprises après le coup d’État, de la proclamation de l’état d’urgence et de la promulgation ultérieure de plusieurs décrets-lois, les licenciements massifs, les enquêtes, les arrestations et la fermeture de médias et d’institutions ont atteint une ampleur inégalée. Les chiffres mentionnés par les autorités officielles et nos interlocuteurs parlent d’eux-mêmes quant à la portée des mesures adoptées:
  • 150 000 personnes révoquées, 
			(34) 
			Ces chiffres nous ont
été donnés par l’ombudsman, M. Şeref Malkoç, lors de notre visite
en Turquie. dont environ 96 000 comme conséquence directe de la publication de leur nom sur une annexe à un décret-loi;
  • 100 000 personnes faisant l’objet d’une enquête dont 44 000 ont été placées en détention provisoire 
			(35) 
			<a href='http://www.dailysabah.com/legislation/2017/01/09/new-system-will-truly-strengthen-separation-of-power-says-constitution-committee-head'>www.dailysabah.com/legislation/2017/01/09/new-system-will-truly-strengthen-separation-of-power-says-constitution-committee-head.</a>;
  • 3 994 membres du système judiciaire suspendus, tandis que 3 659 – dont 173 juges des juridictions supérieures et cinq membres du Haut conseil des juges et des procureurs (HSYK) – ont été révoqués en vertu d’un décret-loi d’urgence 
			(36) 
			Ces chiffres relatifs
à la situation au 4 janvier 2017 ont été communiqués par le HSYK
dans une réponse écrite à la commission parlementaire établie pour
enquêter sur la tentative de coup d’État du 15 juillet.;
  • 177 organes de presse ont été fermés, y compris un bon nombre de publications favorables aux Kurdes, mais aussi des médias kémalistes ou de gauche. L’accès à internet est de plus en plus restreint;
  • plus de 150 journalistes ont été placés en détention 
			(37) 
			Chiffres données par
la Platform 24 dans <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&Ref=CommDH-PR005(2017)&Language=lanFrench&Ver=original&Site=DC&BackColorInternet=F5CA75&BackColorIntranet=F5CA75&BackColorLogged=A9BACE&direct=true'>CommDH005(2017)</a>, paragraphe 20., dont le rédacteur-en-chef du journal d’opposition Cumhuriyet, Murat Sabuncu, ainsi que le président et les membres exécutifs de la Fondation Cumhuriyet, tous accusés «de commettre des crimes au nom de ‘FETÖ’ et du PKK interdit sans être membres de ces organisations» dans le but de «cacher la vérité en procédant à des manipulations et de publier des articles visant à rendre la Turquie ingouvernable»;
  • 2 500 journalistes ont perdu leur emploi depuis le 15 juillet 2016 et beaucoup d’autres pratiquent l’autocensure pour se protéger;
  • environ 2 100 écoles, foyers d’étudiants et universités ont été fermés.
  • environ 1 800 associations et fondations ont été dissoutes, y compris 370 organisations de la société civile (dont 199 représentant la société civile kurde) accusées de lien allégué avec le «terrorisme» le 11 novembre 2016. Tous les biens mobiliers ou immobiliers, sommes et droits à percevoir, et tous les documents et papiers des fondations fermées ont été saisis et transférés à la Direction générale des fondations;
  • YARSAV, l’Association turque des juges et procureurs – qui fonctionnait comme une ONG et qui est membre de l’Union internationale des magistrats (EIM) et de l’Association européenne des magistrats (AEM) – a été dissoute et bon nombre de ses dirigeants, dont son président Murat Arslan, ont été arrêtés.
32. Dans une communication récente, les autorités turques avancent qu’avec les mécanismes de réparation nationaux, à ce jour, plus de 300 institutions ont été rouvertes (y compris 182 associations, 18 fondations, 92 institutions éducatives privées, cinq chaines de radio et de télévision 17 journaux et un organisme privé de santé), et plus de 31 000 employés du secteur public réintégrés 
			(38) 
			Observations des autorités
turques relatives au mémorandum du Commissaire sur la liberté d’expression
et des médias en Turquie, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&Ref=CommDH/GovRep(2017)2&Language=lanEnglish&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864&direct=true'>CommDH/GovRep(2017)2</a>, 15 février 2017, et lettre de M. Küçükcan, Président
de la délégation turque, 23 février 2017..
33. Nous avons été choquées d’apprendre les conséquences concrètes de ces décrets-lois. Nous avons examiné la situation dans le secteur de l’éducation, qui a été le théâtre de révocations massives. Nous avons rencontré des représentants de divers syndicats – couvrant un large spectre politique – et le ministre de l’Éducation. Nous avons appris que 30 000 enseignants (ils seront 33 065 un mois plus tard 
			(39) 
			Chiffres
indiqués par le Ministre de l’Education. <a href='http://bianet.org/english/human-rights/183523-minister-of-national-education-33-065-people-have-been-expelled-from-the-ministry'>http://bianet.org/english/human-rights/183523-minister-of-national-education-33-065-people-have-been-expelled-from-the-ministry</a>.) ont été révoqués, de même que 6 000 professeurs ou autres personnes travaillant pour les universités. De plus, 50 000 enseignants et autres membres du personnel ont été suspendus, la plupart pour une période d’au moins trois mois. 20 000 permis de travail indispensables pour exercer la profession d’enseignant dans un service d’éducation spécialisée privé ont été annulés par le ministère de l’Éducation.
34. Il a également été noté que plusieurs professeurs de l’enseignement supérieur n’avaient de toute évidence rien à faire avec le coup d’État avorté, mais avaient signé la Déclaration de paix 
			(40) 
			Un certain nombre de
professeurs d’université qui avaient signé en 2015 une déclaration
de paix (« Nous ne tremperons pas dans ce crime! ») – appelant à
mettre fin à la campagne militaire dans le sud-est de la Turquie
et accusant le gouvernement de violer le droit international – ont
fait l’objet de poursuites judiciaires, comme cela a été souligné
dans la Résolution 2121
(2016) et le Doc. 14078, paragraphe 56. en 2015 ce qui a été considéré comme suffisant pour établir leur culpabilité. En février 2017,184 des 330 universitaires révoqués avaient signé la Déclaration de paix. Au total, au 15 février 2017, 312 professeurs de l’enseignement supérieur qui avaient signé la Déclaration ont été révoqués en vertu de décrets-lois 
			(41) 
			<a href='http://bianet.org/english/human-rights/183659-discharges-of-academics-by-statutory-decrees'>http://bianet.org/english/human-rights/183659-discharges-of-academics-by-statutory-decrees</a>.. Certains enseignants ont également été contraints de quitter leur travail; c’est le cas notamment de 140 d’entre eux qui travaillaient dans la ville de Batman et ont été poussés à la démission après la nomination d’office d’un administrateur municipal.
35. Les représentants des syndicats approuvent en général les mesures prises pour arrêter les comploteurs et lancer contre eux des poursuites, s’agissant spécialement des membres de la police et des forces armées. Toutefois, tous ont beaucoup de mal à croire que des centaines de milliers de personnes, dont des milliers d’enseignants et de médecins, auraient participé au coup.
36. L’état d’urgence a également eu un impact sur les activités syndicales déjà sérieusement entravées avant le coup d’État. Le syndicat KESK a rappelé avoir perdu 28 de ses membres pendant l’attaque à la bombe perpétrée à Ankara le 10 octobre 2015, ce qui ne l’a pas empêché de faire par la suite l’objet de poursuites au titre de ses manifestations. Ses représentants estiment que l’état d’urgence n’a fait qu’accroître la pression exercée sur les syndicats, tandis que les révocations et les suspensions de membres de ces organisations se fondent sur «des listes biaisées et arbitraires dépourvues de tout fondement juridique»: après le coup d’État avorté, 11 807 membres et dirigeants des organisations syndicales dont nous avons rencontré des représentants ont été suspendus de leur poste et 2 179 autres révoqués sur la base d’un décret-loi ou d’une procédure disciplinaire. D’aucuns soupçonnent fortement l’absence de lien entre lesdites révocations ou suspensions et le coup d’État, ces mesures visant uniquement à gêner l’activité syndicale. Nos interlocuteurs estiment que les décrets-lois ont servi à supprimer la sécurité de l’emploi dans le secteur public. Le gouvernement n’a cessé de restreindre les libertés fondamentales indispensables à l’exercice d’activités syndicales. Les représentants des syndicats étaient tous en faveur d’enquêtes plus poussées visant à identifier les personnes impliquées dans le coup d’État, mais appellent de leurs vœux la levée de l’état d’urgence de manière à renforcer la sécurité de l’emploi.
37. Compte tenu de la forte proportion de femmes travaillant dans le secteur de l’éducation ou de la santé, on peut supposer que l’état d’urgence a eu un impact disproportionné sur elles. On nous a également expliqué que bon nombre d’associations et de fondations s’occupant des questions de genre (lutte contre la violence à l’encontre des femmes, médecine reproductive, etc.), mais aussi des services municipaux dans des communes HDP placées désormais sous l’administration directe de l’État, ont été fermés, de sorte que les femmes n’ont plus accès aux services dont elles bénéficiaient auparavant. Notre attention a également été attirée sur le fait que le coup d’État avorté a contribué à renforcer une mentalité sexiste qui règne désormais sans entraves. Selon les associations de femmes, cette évolution se serait soldée par une recrudescence des violences contre les femmes, en particulier dans l’espace public (par exemple dans les autobus) et par une augmentation des agressions physiques voire des viols au cours des derniers mois.
38. Des préoccupations concernant l’échelle et la portée des purges – effectuées dans l’administration centrale, le système judiciaire et d’autres institutions publiques – visant des membres supposés du mouvement güleniste ont été reflétées dans l’avis de décembre 2016 de la Commission de Venise. L’Assemblée avait, dans sa Résolution 2121 (2016), noté que le mouvement güleniste, un ancien allié du parti qui a opéré légalement – et pendant plus de 40 ans – jusqu’en 2014, a été ensuite qualifié d’organisation terroriste. Alors que les fonctionnaires ont l’obligation d’être loyaux vis-à-vis de l'État et de ne pas recevoir d'instructions de sources extérieures, il est du devoir de l'État de clarifier à tous les fonctionnaires le moment à partir duquel une organisation bien établie jusque-là est considérée comme une «menace pour la sécurité nationale» – et devient ainsi incompatible avec le service public – de sorte à éviter le manque d'information et de clarté qui pourrait conduire à des «licenciements injustes pouvant être considérés comme une punition rétroactive», selon la Commission de Venise 
			(42) 
			CDL-AD(2016)037,
paragraphe 127..
39. Enfin et surtout, nous avons été préoccupées par l’impact de cette purge massive sur les systèmes scolaire et universitaire et plus particulièrement sur les élèves et les étudiants, dont le droit à l’éducation est protégé par le Protocole additionnel (article 2) à la Convention européenne des droits de l’homme. La suspension et la révocation de milliers de professeurs du secondaire et du supérieur, la fermeture d’établissement d’éducation en Turquie et à l’étranger, ainsi que la perturbation du travail des facultés, pourraient poser de graves défis allant du transfert d’étudiants à la reconnaissance de leurs études antérieures et à la validité des diplômes obtenus dans des institutions fermées depuis. Nous attendons des autorités turques qu’elles accordent toute l’attention voulue à ces questions, afin d’éviter de stigmatiser ou de gêner l’avenir de cette génération d’étudiants. De même, nous sommes préoccupées par les démarches entreprises par les autorités turques, avec l’assistance de la Fondation Maarif 
			(43) 
			<a href='https://www.dailysabah.com/politics/2017/02/13/maarif-foundation-head-we-aim-to-offer-an-education-that-reflects-turkish-vision-promote-turkish-language'>https://www.dailysabah.com/politics/2017/02/13/maarif-foundation-head-we-aim-to-offer-an-education-that-reflects-turkish-vision-promote-turkish-language</a>. nouvellement établie, pour inciter les pays étrangers à fermer les écoles et institutions liées à Gülen, et par les affaires rapportées concernant certaines autorités religieuses qui auraient espionné la communauté turque vivant à l’étranger et incité les ressortissants turcs à dénoncer les membres supposés du mouvement güleniste.

3.2.2. Absence de garanties procédurales: accès à un avocat, détention

40. Les décrets-lois ont introduit un certain nombre de mesures et de pratiques soulevant de nombreuses préoccupations du point de vue de leur compatibilité avec les normes du Conseil de l’Europe.
41. Les révocations n’ont été précédées d’aucun préavis. Au cours de nos discussions, nos interlocuteurs ont systématiquement fait remarquer que les personnes révoquées sur la base d’un décret-loi n’avaient reçu aucune notification préalable et avaient juste découvert leur nom sur une liste. De plus, les intéressés ignoraient les motifs de leur révocation et les preuves retenues contre eux et n’ont pas pu avoir accès à leur dossier. Comme l’a fait remarquer la Commission de Venise, «les fonctionnaires concernés auraient dû être en mesure, au moins, de connaître les preuves retenues contre eux et être autorisés à les commenter avant que la moindre décision soit prise à leur sujet» 
			(44) 
			CDL-AD(2016)037,
p. 143.	.
42. Comme l’avait déjà relevé le Commissaire aux droits de l’homme, la Commission de Venise et la sous-commission ad hoc de la commission des questions politiques, la notion de «lien» avec le mouvement güleniste a été «définie d’une manière trop large, sans exiger l’existence d’un lien sérieux avec ces organisations» qui permettrait raisonnablement de douter de la loyauté des fonctionnaires. Concrètement, lorsque nous avons essayé de déterminer les preuves requises pour identifier un «güleniste», nos interlocuteurs ont expliqué que deux critères au moins devaient être remplis. Nous ne sommes pas parvenues à obtenir la liste desdits critères, mais parmi ceux fréquemment mentionnés, on trouve le recours à la messagerie cryptée Bylock 
			(45) 
			Selon les chiffres
indiqués par un procureur, il y aurait 225 000 utilisateurs de la
messagerie Bylock., les transactions financières opérées par le biais de la banque Asya depuis 2014, la fréquentation d’écoles privées appartenant au mouvement güleniste ou les aveux passés par des membres de cette organisation. D’autres ont mentionné le vol des questions d’examen et une solidarité commerciale entre les membres du mouvement.
43. Les décrets-lois ont également réduit les droits de la défense: jusqu’au 23 janvier 2017, les personnes placées en garde à vue pouvaient ne pas voir un juge avant 30 jours; l’accès des détenus à un avocat pouvait être restreint pendant une période pouvant atteindre cinq jours et des restrictions pesaient également sur le droit de choisir un avocat ou de s’entretenir de manière confidentielle avec lui. Nous avons été informées que les avocats doivent affronter, en plus de ces obstacles juridiques, une série de difficultés pratiques lorsqu’ils rendent visite à leurs clients: restrictions des heures de visite ou obligation d’obtenir un rendez-vous avec leur client. Même s’il est évident que l’échelle des arrestations et des détentions a généré un surcroît de travail pour la police et le système judiciaire dont la capacité logistique est limitée, ces mesures ne devraient pas être appliquées au prix d’une violation des droits les plus élémentaires de la défense tel que l’accès à un avocat. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme signalent également que le prolongement des gardes à vue sans accès à un juge ou un avocat accroît le risque de torture et de mauvais traitements 
			(46) 
			<a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/07/turkey-independent-monitors-must-be-allowed-to-access-detainees-amid-torture-allegations/?utm_source=rss&utm_medium=rss'>Amnesty
International,</a> Turquie: « Independent monitors must be allowed to access
detainees amid torture allegations », 24 juillet 2016.. Des préoccupations détaillées, en lien avec l’accès restreint aux avocats en Turquie dans le cadre de l’état d’urgence, ont été listées dans l’excellent rapport de l’Assemblée intitulé «Garantir l’accès des détenus à un avocat» 
			(47) 
			Voir
le Doc. 14267 (rapporteure: Mme Marietta
Karamanli, France, SOC), et plus particulièrement ses paragraphes 37 à
47..
44. Il ne fait aucun doute que ces restrictions aux droits de la défense seront contestées devant les tribunaux nationaux (sans que l’on sache à ce stade quelles seront les juridictions saisies), ou devant la Cour européenne des droits de l’homme. Fin 2016, quelque 50 000 requêtes individuelles étaient pendantes devant la Cour constitutionnelle.
45. Les autorités turques ont promulgué le 23 janvier 2017, c’est-à-dire le premier jour de la partie de session de l’Assemblée, quatre nouveaux décrets-lois contenant deux dispositions importantes relatives aux garanties procédurales: le droit d’un suspect en garde à vue d’avoir accès à un avocat ne peut plus être restreint pendant une durée allant jusqu’à cinq jours, et la durée maximum de la garde à vue a été ramenée de 30 à 7 jours, même si le procureur peut la prolonger de sept jours supplémentaires dans certaines circonstances spécifiques 
			(48) 
			C’est-à-dire par une
décision du procureur public lorsqu’il existe des difficultés à
recueillir des preuves, ou lorsqu’il y a un grand nombre de suspects,
selon les informations fournies par les autorités. In: lettre de
M. Küçükcan, Président de la délégation turque, 23 février 2017. .
46. Ces dispositions constituent indubitablement un pas dans la bonne direction. Reste maintenant à la Cour européenne des droits de l’homme, au cas où elle serait saisie d’affaires portant sur cette question, de décider si le délai de sept jours est nécessaire et proportionné dans le cadre de l’état d’urgence actuel.

3.2.3. Absence de recours effectifs: création d’une commission administrative en 2017

47. Nous avons entendu le témoignage de nombreuses personnes qui, après avoir été révoquées, ont éprouvé un sentiment d’impuissance faute de pouvoir s’adresser à la justice. En effet, les décisions prises sur la base d’un décret-loi ne peuvent pas être contestées devant un tribunal et, de plus, la Cour européenne des droits de l’homme estime pour l’instant ces requêtes irrecevables dans la mesure où «[l]e fait que la Cour constitutionnelle ait rejeté une révision des décrets-lois relatifs à l’état d’urgence in abstracto (…) n’a pas exclu la compétence de cette Cour de statuer sur des recours individuels soumis par des personnes visées par ces décrets-lois» 
			(49) 
			AS/Pol (2016) 18 rev,
p. 9. Voir, par exemple, la décision rendue dans l’affaire <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng'>Mercan c.
Turquie</a> (Requête no 56511/16).. En définitive aussi bien les individus révoqués sur la base d’un décret-loi que les personnes morales liquidées par un tel décret sont pris au piège d’un vide juridique.
48. Un groupe de travail, composé de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et d’agents du Conseil de l’Europe, a été établi en septembre 2016 pour examiner les problèmes qui pourraient éventuellement s’analyser en une violation des dispositions de la Convention. Nous nous félicitons de cette initiative et du dialogue en cours entre les autorités turques et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, et attendons que cette initiative débouche sur des résultats concrets. La question de l’absence de contrôle judiciaire a été soulevée dans ce contexte et le Secrétaire Général a suggéré d’établir un organe ad hoc chargé de trouver une solution juridique.
49. La Commission de Venise a également exprimé ses craintes sur le sujet et recommandé que «si, pour des raisons pratiques, la réintroduction d’un accès total à la justice pour les fonctionnaires s’avère impossible dans les conditions actuelles, les autorités turques devraient envisager d’autres mécanismes judiciaires garantissant le traitement individuel des différentes affaires et permettant en définitive à tous les intéressés «de se faire entendre par un tribunal», reprenant ainsi à son compte la proposition formulée par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe concernant la création d’un organe indépendant ad hoc chargé d’examiner les cas individuels de révocation et dont les décisions pourraient être ensuite soumises à un contrôle juridictionnel» 
			(50) 
			CDL-AD(2016)037, paragraphe 228..
50. L’accès à des recours effectifs revêt une importance capitale: il s’avère que les révocations de fonctionnaires n’étaient pas motivées individuellement 
			(51) 
			Ibid., paragraphe 140.. Nous avons également été informées que les critères appliqués demeurent imprécis et soumis à l’évaluation subjective des personnes compétentes. Dans certains cas, le processus a été perçu comme une manière de se débarrasser de collègues indésirables. Nous avons posé des questions précises à toutes les personnes chargées d’identifier les gülenistes dans leur service, de soumettre les noms à une commission et, ultérieurement, de transmettre une liste à leurs ministères respectifs. Nous avons attiré leur attention sur le fait que leur décision aurait des répercussions dramatiques sur la vie des gens. Les personnes prenant part à ce «processus de sélection» étaient toutes convaincues de l’existence de recours pouvant être intentés en cas d’erreur. Nous avons compris que, en pratique, le pourcentage des personnes réintégrées était faible: depuis août 2016, leur chiffre n’atteignait même pas 400 alors que 96 000 fonctionnaires ont été révoqués.
51. Nous aurions aimé en apprendre davantage sur les recours effectifs disponibles dans le cadre du système judiciaire turc. Malheureusement, aucun progrès n’a été réalisé depuis la visite de la sous-commission présidée par M. Jensen; nul ne sait encore avec certitude si «la Cour constitutionnelle a le pouvoir de contrôler de manière approfondie la constitutionnalité des décrets-lois pris dans le cadre de l’état d’urgence, notamment sur la base de requêtes individuelles». Comme l’explique M. Jensen, «le fait que la Cour constitutionnelle ait rejeté une révision des décrets-lois relatifs à l’état d’urgence in abstracto, suite aux requêtes déposées par des députés de l’opposition (avant leur approbation par le parlement), n’a pas exclu la compétence de cette Cour de statuer sur des recours individuels soumis par des personnes visées par ces décrets-lois in concreto (avant ou après leur approbation par le parlement), une compétence que la Commission de Venise a reconnue à la Cour constitutionnelle». Il est superflu de rappeler ici le rôle important joué par la Cour constitutionnelle dans la sauvegarde des droits de l’homme en Turquie depuis que le droit de requête individuelle devant cette juridiction au titre de violation d’un droit individuel a été introduit.
52. Le 23 janvier 2017, les autorités turques ont promulgué le décret-loi no 685 établissant une nouvelle instance administrative («la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence») chargée de proposer un recours judiciaire effectif au niveau national aux personnes contestant des mesures adoptées en vertu d’un décret-loi. La commission sera compétente notamment pour examiner les cas de révocation d’un fonctionnaire ou d’annulation d’une bourse d’études; de fermeture d’un/d’une association, fondation, syndicat, fédération, confédération, établissement de santé privé, établissement d’enseignement privé, fondation d’enseignement supérieur, station de radio ou chaîne de télévision privée, maison d’édition ou société de distribution; ainsi que la rétrogradation de fonctionnaires à la retraite.
53. En conséquence de quoi, les individus qui ont été démis en vertu d’une décision administrative basée sur un décret-loi peuvent former un recours auprès d’une juridiction ordinaire. Les individus démis en vertu d’une annexe à un décret-loi peuvent s’adresser à la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel, et peuvent être contestées devant les juridictions compétentes 
			(52) 
			Lettre de M. Küçükcan,
Président de la délégation turque, 23 février 2017..
54. Nous avons été informées que la commission serait composée de sept membres (fonctionnaires, juges et procureurs). Trois d’entre eux seront nommés par le Premier ministre, un par le ministre de la Justice, un par le ministre de l’Intérieur et deux par le Haut conseil des juges et des procureurs. Elle pourra rendre des décisions contraignantes telles que la réintégration d’un fonctionnaire révoqué. À supposer qu’elle adopte une décision en faveur d’une institution ayant été fermée, tous les effets de la fermeture seront considérés comme nuls et non avenus.
55. Les décisions de la commission nationale feront l’objet d’un contrôle judiciaire par les tribunaux administratifs compétents et les décisions de ces derniers pourront elles-mêmes être contestées devant la Cour constitutionnelle et, en dernier ressort, devant la Cour européenne des droits de l’homme, à charge pour celle-ci de déterminer si le recours proposé était effectif ou pas.
56. Les membres devaient être désignés dans un délai d’un mois et entamer leur travail dans un délai de six mois. La commission sera établie pour un mandat de deux ans, lequel pourra être prolongé si nécessaire d’un an autant de fois que nécessaire. À ce jour cependant, la commission n’a pas encore été établie.
57. L’établissement de  la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence  est une initiative dont il convient de se féliciter: elle ouvre la voie à un contrôle judiciaire et met fin au vide juridictionnel auquel étaient confrontées jusque-là les personnes révoquées. Nous avons entendu des critiques émanant des partis d’opposition relatives aux modalités de désignation des membres de la commission et d’aucuns ont formulé de sérieux doutes quant à la capacité de cette instance de traiter des milliers d’affaires dans un délai raisonnable. À cet égard, nous partageons l’opinion exprimée par la commission des questions politiques le 24 janvier 2017, à savoir que «ces mesures semblent conformes aux recommandations du Secrétaire Général de l'Organisation, qui ont été appuyées par la Sous-commission ad hoc, et qu'elles pourraient être considérées comme des pas dans la bonne direction, sous réserve que les décisions de la nouvelle commission administrative soient prises rapidement, et de façon indépendante et transparente» 
			(53) 
			Situation en Turquie: <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6492&lang=1&cat=137'>déclaration
de la commission des questions politiques de l’Assemblée</a>, 24 janvier 2017. (les italiques sont de nous). Nous notons également – à l’instar de la vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme et juge turque Işıl Karakaş – que cette commission est un organe administratif et non judiciaire 
			(54) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/echr-vice-president-welcomes-new-state-of-emergency-commission-in-turkey.aspx?pageID=238&nID=108997&NewsCatID=339'>www.hurriyetdailynews.com/echr-vice-president-welcomes-new-state-of-emergency-commission-in-turkey.aspx?pageID=238&nID=108997&NewsCatID=339.</a>.
58. L’efficacité de la commission administrative nationale sera cependant évaluée de près et nous ne doutons pas que le renforcement de la coopération avec le Conseil de l’Europe sur les questions contentieuses résiduelles permettra de corriger les conséquences négatives de mesures manifestement incompatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Faute d’être corrigées à temps, ces irrégularités pourraient entraîner le dépôt de dizaines de milliers de requêtes devant la Cour, qui a déjà enregistré une augmentation considérable des requêtes provenant de la Turquie en 2016 
			(55) 
			Le nombre des requêtes
déposées par des citoyens turcs devant la Cour européenne des droits
de l’homme est passé de 8  400 en 2015 à 15  800 en 2016.: 16 000 requêtes ont déjà été enregistrées par la Cour qui, pour l’instant, en a rejeté une partie en appelant leurs auteurs à épuiser les voies de recours internes.

3.2.4. Allégations de torture

59. Après le coup d’État avorté, des allégations de torture et de mauvais traitements ont été formulées par des organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Association Turkey 
			(56) 
			 <a href='http://www.hurriyetdailynews.com/former-torture-methods-reemerge-in-turkish-prisons-human-rights-association.aspx?pageID=238&nID=103887&NewsCatID=339'>www.hurriyetdailynews.com/former-torture-methods-reemerge-in-turkish-prisons-human-rights-association.aspx?pageID=238&nID=103887&NewsCatID=339.</a> et Amnesty International 
			(57) 
			Voir le rapport d’Amnesty
International Turkey: « Independent monitors must be allowed to
access detainees amid torture allegations», <a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/07/turkey-independent-monitors-must-be-allowed-to-access-detainees-amid-torture-allegations/'>Amnesty
International</a>, 24 juillet 2016, ainsi que le mémorandum de cette organisation
daté du 6 septembre 2016 et intitulé « A summary of AI concerns
regarding the failed coup attemp in Turkey and its aftermath».. Le parti d’opposition CHP 
			(58) 
			Le
CHP a reçu des plaintes de 3 304 personnes dénonçant le fait que
leurs allégations de tortures subies pendant la détention n'avaient
fait l'objet d’aucune enquête et qu'elles avaient été faussement
accusées « d'être membres de FETÖ » dans le cadre de règlements
de comptes personnels. Voir <a href='http://www.hurriyetdailynews.com/chp-receives-more-than-3000-complaints-over-gulen-probes-state-of-emergency.aspx?pageID=238&nID=103713&NewsCatID=338'>www.hurriyetdailynews.com/chp-receives-more-than-3000-complaints-over-gulen-probes-state-of-emergency.aspx?pageID=238&nID=103713&NewsCatID=338.</a> a recueilli 37 000 plaintes pour mauvais traitements 
			(59) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/chp-urges-fair-trial-cites-1-million-sufferers-in-post-coup-process.aspx?pageID=238&nid=104053'>www.hurriyetdailynews.com/chp-urges-fair-trial-cites-1-million-sufferers-in-post-coup-process.aspx?pageID=238&nid=104053</a>. Le 13 septembre 2016, le Vice-Premier ministre Canikli
a signalé que 53 écoles, fermées en raison de leur lien présumé
avec la communauté güleniste, avaient été rouvertes « lorsqu’il
s'était avéré qu’elles n’avaient en fait aucun lien avec cette communauté ».
Voir <a href='http://bianet.org/english/politics/178682-vice-pm-there-are-some-wrongful-civil-service-dismissals'>http://bianet.org/english/politics/178682-vice-pm-there-are-some-wrongful-civil-service-dismissals</a>.. Il est pour le moins surprenant, voire choquant, que Mehmet Metiner, député de l’AKP et président de la sous-commission parlementaire des prisons, ait déclaré le 13 octobre 2016 que la sous-commission ne rendrait pas visite aux personnes arrêtées pour appartenance à l’organisation FETÖ et s’abstiendrait d’ouvrir la moindre enquête en cas de plainte pour torture et mauvais traitements 
			(60) 
			<a href='http://bianet.org/english/human-rights/179597-rights-organizations-protest-akp-mp-rejecting-to-investigate-torture-of-feto-arrestees'>http://bianet.org/english/human-rights/179597-rights-organizations-protest-akp-mp-rejecting-to-investigate-torture-of-feto-arrestees.</a>.
60. Sur la base de ces allégations, le CPT a effectué une visite ad hoc en Turquie du 29 août au 6 septembre 2016 afin d’examiner le traitement et les conditions de détention des personnes détenues en relation avec la tentative récente de coup d’État. Le rapport a été soumis aux autorités en novembre 2016. Nous espérons et nous attendons des autorités turques qu’elles autorisent la publication rapide du rapport du CPT, conformément à une pratique largement suivie jusqu’à là. Nous notons cependant que les trois derniers rapports du Comité rédigés en 2015 et 2016 – n’ont pas encore été publiés.
61. La Commission de Venise a également attiré l’attention «sur le fait évident que les mesures adoptées à la suite du coup d’État (…) suppriment des garanties essentielles en matière de protection des détenus contre les abus et, partant, accroissent le risque de mauvais traitements et de torture». Elle a souligné à ce propos que l’interdiction des traitements et des peines cruels, inhumains ou dégradants constitue un droit individuel non susceptible de dérogation en vertu à la fois de la CEDH et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Dans son avis, elle conclut qu’«aucune situation d’urgence ne saurait justifier de tels abus» 
			(61) 
			CDL-AD(2016)037, p. 38..
62. Nous avons soulevé cette question devant les autorités, qui ont cependant réfuté toute allégation de torture. Selon elles, chaque allégation fait l’objet d’une enquête. Nous avons pris note de la confirmation par les autorités de l’application d’une approche «tolérance zéro» et qu’elles avaient pris récemment de nouvelles initiatives 
			(62) 
			Les autorités ont mentionné
qu’en octobre 2016, une unité a été créée au sein du ministère de
la Justice pour recueillir, enquêter sur et répondre aux allégations
de mauvais traitement dans les prisons et les maisons d’arrêt. De
plus, un portail a été publié pour recevoir les plaintes des citoyens
relatives à des allégations de mauvais traitement. Selon les autorités,
les plaintes recueillies sur ce portail sont prises en compte et
dûment examinées par les autorités. In: Lettre de M. Küçükcan, Président
de la délégation turque, 23 février 2017.. Pourtant, les rapports crédibles produits par des ONG et l’accès restreint des détenus à leur avocat, leur famille ou des délégations internationales constituent une autre source de préoccupation. L’adoption de la loi de 2016 sur la protection juridique des forces de sécurité participant à la lutte contre les organisations terroristes – critiquée par l’Assemblée dans sa Résolution 2121 (2016) – est également une source d’inquiétude et pourrait encourager le sentiment d’impunité des agents des autorités répressives menant des opérations de sécurité. En effet, en cas d’allégations d’actes répréhensibles, seul le ministre de la Justice pourra ordonner des poursuites.

3.2.5. Confiscation d’avoirs

63. Selon les décrets-lois, les avoirs des personnes révoquées ou des entités liquidées sont saisis et transférés au Fonds d’assurance et de garantie des dépôts (TMSF), qui nomme des gérants et des administrateurs chargés de faire fonctionner l’entreprise ou l’organisation. Au moment de notre visite, les avoirs de 800 entreprises avaient été transférés au TMSF pour une valeur comptable brute de 30 milliards de livres turques (TRY) (soit environ 8 milliards d’euros selon le cours en vigueur pendant notre visite) et un passif de 5 milliards de TRY. Les entreprises saisies (et gérées) par le TMSF emploient 20 000 personnes, dont 14 000 appartiennent à un seul et même holding. Le président du TMSF a souligné que toutes les mesures sont prises dans le strict respect de l’État de droit et en tenant dûment compte des droits de propriété qui demeurent intacts après le transfert. Lorsqu’une décision judiciaire est rendue dans une affaire criminelle, les biens sont confisqués. Selon l’intéressé, les entreprises ne sont pas vendues, à moins que leur passif excède leur actif; dans ce cas précis, l’entreprise est liquidée et l’argent transféré sur un compte bancaire en attendant le procès, de manière à pouvoir être restitué in fine au propriétaire de l’entreprise [à supposer que celui-ci soit reconnu innocent]. Nos interlocuteurs ont beaucoup insisté sur le respect de l’État de droit et ont tenu à préciser que la vente des biens d’une entreprise requiert l’autorisation de son propriétaire.
64. Le Fonds d’assurance et de garantie de dépôts avait également été chargé de vendre ou de liquider la banque Asya – qui fait l’objet de controverses parce qu’elle aurait pu avoir financé les activités terroristes du mouvement güleniste – dans un délai d’un an. Deux appels d’offres ont été organisés et se sont avérés infructueux, ce qui a conduit le TMSF à liquider la banque. Les représentants du Fonds ont souligné que l’argent serait restitué aux propriétaires.
65. Compte tenu du processus global de révocation, de l’absence de recours effectif et des déficiences de la procédure juridique actuelle, nombre de questions demeurent ouvertes en ce qui concerne la gestion, la confiscation ou la liquidation des biens saisis, ce qui a déjà donné lieu à des allégations de vente de biens à des individus favorables au gouvernement. Ce contexte dominé par l’insécurité juridique et la concurrence déloyale pourrait également avoir des effets négatifs sur l’économie et les plans d’investissement.
66. Il convient également de garder à l’esprit les conclusions de la Commission de Venise qui déplore «la permanentisation» des mesures prises, y compris la confiscation des avoirs, en mentionnant l’article 2.2 du décret-loi no 667 en vertu duquel «aucune plainte ou revendication liée à une dette quelconque autre que celles mentionnées au paragraphe 1 ne saurait, quelles que soient les circonstances, être formulée contre le Trésor». Pour la Commission de Venise, «cette formule pourrait indiquer que l’État, lorsqu’il confisque les biens d’une entité liquidée, n’accepte pas son passif. Une telle disposition pourrait injustement pénaliser d’autres acteurs économiques qui entretenaient des relations contractuelles, de travail ou autre avec l’entité liquidée sans pourtant participer à ces prétendues activités illégales» 
			(63) 
			CDL-AD(2016)037, paragraphe
180.. Nous encourageons par conséquent les autorités turques à clarifier la question et à veiller à modifier les décrets-lois afin que tous les transferts de biens à l’État revêtent un caractère temporaire ; seuls les transferts confirmés après la fin de l’état d’urgence conformément à l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme pourront être considérés comme définitifs.

3.2.6. Impact des purges massives sur les individus (« mort civile »)

67. L’application des décrets-lois a eu de graves répercussions sur les individus soupçonnés, mais également sur les membres de leur famille: l’annulation des passeports, la confiscation de biens, l’expulsion des fonctionnaires de leur logement relevant du domaine public sont autant de mesures allant dans ce sens. Nous avons ressenti, à l’instar de la sous-commission de la commission des questions politiques, que «ces décrets imposent des sanctions ou des mesures affectant la vie de centaines de milliers de personnes directement concernées, mais aussi de leurs familles, d’une manière permanente, non limitée dans le temps à l’urgence de la situation».
68. Pendant nos discussions, nos interlocuteurs ont expliqué qu’une révocation équivaut à une interdiction permanente d’occuper un emploi dans l’administration publique, mais également un emploi lié à la fourniture de services publics ou un marché public. Des représentants des syndicats d’enseignants ont expliqué que leurs collègues révoqués ne peuvent plus travailler dans un établissement d’éducation même privé. Trois mois après la révocation, les intéressés cessent de bénéficier des prestations d’assurance maladie.
69. Nos interlocuteurs nous ont donné maints exemples d’enseignants ayant été révoqués pour la seule raison qu’ils exerçaient des activités syndicales ou bien pratiquaient la citoyenneté active. Cela était considéré comme inacceptable, même aux yeux d’institutions réputées proches du gouvernement.
70. En conséquence, des mesures censées cibler les conspirateurs et les fonctionnaires ayant prétendument participé au coup d’État ont automatiquement un impact sur les membres de leur famille, au mépris du principe de la présomption d’innocence. Cela équivaut à une punition collective et à une ingérence flagrante dans le droit à la vie privée, au respect du domicile et à la liberté de mouvement des personnes proches desdits fonctionnaires: une attitude qui, selon la Commission de Venise, ne peut apparaître légitime qu’en présence de motifs particulièrement impérieux 
			(64) 
			CDL-AD(2016)037..
71. Nous sommes également préoccupées par l’effet à long terme des mesures adoptées en réaction au coup d’État, lesquelles selon les estimations du parti d’opposition CHP pourraient affecter jusqu’à un million de personnes en comptant les familles des personnes révoquées, poursuivies en justice et arrêtées. Certains de nos interlocuteurs ont dénoncé la stigmatisation d’une partie importante de la société ou son exclusion de la communauté nationale (en cas de déchéance de nationalité): un contexte qui pourrait faire naître de nouveaux cercles d’opposants extérieurs au système et favorables à une ingérence étrangère.
72. Par conséquent, nous sommes fermement convaincues, comme le Commissaire aux droits de l’homme que «les écarts par rapport aux principes de l’État de droit et de respect des droits de l’homme pourraient accélérer la punition du coupable. (…) Pourtant, une telle approche laisserait des séquelles indélébiles et serait extrêmement néfaste à long terme. Le meilleur antidote contre le terrorisme est le respect des droits de l’homme et de l’État de droit, y compris l’application d’une procédure régulière et l’adoption de décisions judiciaires motivées et rationnelles. Dans le même esprit, la transparence est la meilleure arme contre une organisation secrète généralement prompte à exacerber et à exploiter le moindre sentiment d’injustice ou de victimisation généré par des mesures hâtives» 
			(65) 
			CommDH(2016)35, paragraphe 49
(disponible uniquement en anglais).. Une telle perspective mérite réflexion et nous craignons que ces mesures, équivalant à «une mort civile» pour les personnes concernées, aient un effet dramatique et préjudiciable à long terme sur la société turque qui devra trouver les moyens et les mécanismes adéquats pour surmonter ce traumatisme et reconstruire une société inclusive.

3.2.7. Impact des purges massives sur le fonctionnement des institutions démocratiques (justice, forces de sécurité)

73. Nous avons eu l’occasion, pendant notre visite, de discuter avec de nombreux agents publics dont les institutions ont fait l’objet de révocations en masse. Par exemple, 12 des 400 employés du Fonds d’assurance et de garantie de dépôts avaient été révoqués; dans l’administration municipale métropolitaine d’Istanbul, 800 employés sur 7 000 (dont 100 ont été ultérieurement réintégrés) avaient été révoqués, ainsi que 7 employés sur 57 dans l’agence de développement régional d’Istanbul. L’impression s’est imposée à nous que chaque administration publique était tenue de «fournir» son quota de gülenistes infiltrés pour prouver sa loyauté à l’État: une pratique qui soulève de nombreuses questions quant au processus dans son ensemble.
74. Nous avons également conclu sur la base d’informations reçues qu’un quart des juges et des procureurs, un dixième des policiers et 30 % du personnel du ministère des Affaires étrangères avaient été révoqués. Ces chiffres sont extrêmement élevés et, malgré les assurances données par les responsables que le fonctionnement des institutions est revenu à la normale grâce à l’introduction de procédures accélérées de recrutement, d’aucuns se posent des questions légitimes sur la capacité des institutions étatiques particulièrement touchées par les purges à travailler normalement. Ce problème affecte notamment les forces armées et de sécurité à un moment où la Turquie est confrontée à de multiples menaces terroristes et mène des opérations militaires à la fois sur le territoire national et à l’étranger.
75. Dans le secteur de l’éducation, par exemple, les syndicats signalent que les révocations et suspensions en masse d’enseignants se sont traduites pendant un certain temps par un accès restreint des élèves aux écoles. De nouveaux enseignants ont effectivement été recrutés par l’administration sur une base contractuelle, mais leurs compétences posent problème, de sorte que les élèves et les étudiants ont du mal à préparer et à réussir leurs examens. La méfiance croissante à l’égard des enseignants a en outre des effets négatifs sur l’éducation dispensée.
76. Depuis la publication du décret-loi no 686 le 7 février 2017, 4 811 enseignants de 112 universités ont été révoqués dans le cadre de l’état d’urgence 
			(66) 
			<a href='http://bianet.org/english/human-rights/183432-4-811-academics-from-112-universities-discharged-by-5-statutory-decress'>http://bianet.org/english/human-rights/183432-4-811-academics-from-112-universities-discharged-by-5-statutory-decress</a>.. Par ailleurs, plus de 33 000 fonctionnaires du ministère de l’Éducation ont été également licenciés en vertu d’un décret-loi selon les chiffres communiqués par le ministre de l’Éducation, M. Yılmaz 
			(67) 
			<a href='http://bianet.org/english/human-rights/183523-minister-of-national-education-33-065-people-have-been-expelled-from-the-ministry'>http://bianet.org/english/human-rights/183523-minister-of-national-education-33-065-people-have-been-expelled-from-the-ministry</a>..
77. L’Assemblée et l’ensemble du Conseil de l’Europe accordent une attention particulière à la révocation des juges et des procureurs 
			(68) 
			Voir la Résolution 2121 (2016).. L’appareil judiciaire aurait été l’une des institutions les plus «infiltrées» par le mouvement güleniste. En vertu du décret-loi no 667, cette tâche a été confiée aux juridictions suprêmes (Cour constitutionnelle, Cour de cassation, Cour administrative suprême et Cour des comptes). Les juges des juridictions inférieures quant à eux sont révoqués sur décision du Haut conseil des juges et des procureurs (HSYK) 
			(69) 
			CDL-AD(2016)037, paragraphe 149.. Il est de notoriété publique que des milliers de juges et de procureurs ont été révoqués par cet organisme le lendemain du coup d’État avorté, sur la base de listes préparées à l’avance.
78. Ces révocations collectives ont également eu des répercussions sur le fonctionnement du système judiciaire et son indépendance. La Commission de Venise a fait remarquer que «les juges représentent une catégorie spéciale de fonctionnaires dont l’indépendance est garantie aux niveaux constitutionnel et international (…) Par conséquent, toute révocation au sein du système judiciaire ou des organes de régulation de celui-ci comme le HCJP devrait faire l’objet d’un examen particulièrement rigoureux, même en période de grave danger public. Ces révocations non seulement affectent les droits individuels des juges concernés, mais peuvent également affaiblir le système judiciaire dans son ensemble. Enfin, elles risquent de provoquer un “effet dissuasif” chez les autres juges qui pourraient alors se montrer réticents à l’idée d’abroger des mesures adoptées en vertu des décrets-lois d’urgence, de crainte de faire eux-mêmes l’objet de mesures semblables. Par conséquent, ces mesures pourraient avoir un effet néfaste sur l’indépendance du système judiciaire et sur l’effectivité de la séparation des pouvoirs au sein de l’État. Cette “dimension institutionnelle” des mesures frappant les juges mérite donc une attention particulière 
			(70) 
			Ibid.,
paragraphe 148».
79. En conclusion, nous estimons que l’état d’urgence devrait demeurer un régime d’exception. Huit mois après le coup d’État avorté, alors que les procès des comploteurs sont en cours, l’état d’urgence est toujours invoqué pour procéder à des purges massives qui, selon nous, dépassent largement l’objectif raisonnable de punition des personnes ayant tenté de renverser les institutions démocratiques. Plus le temps passe, plus la nécessité du maintien d’un régime exceptionnel de ce type soulève des questions. Comme la Commission de Venise l’a fait remarquer à juste titre, «plus le régime se prolonge, plus il est difficile de justifier le recours à un traitement exceptionnel de la situation rendant impossible l’application des outils juridiques ordinaires» 
			(71) 
			CDL-AD(2016)037,
paragraphe 41.. Nous appelons par conséquent les autorités turques à lever l’état d’urgence aussi rapidement que possible afin de revenir à la normale et d’éviter les abus.

4. Liberté des médias et liberté d’expression

80. L’Assemblée a traité la question de la liberté des médias et de la liberté d’expression en Turquie dans sa Résolution 2121 (2016). À la lumière de l’Avis rendu en mars 2016 par la Commission de Venise, elle a exhorté les autorités turques à réexaminer plusieurs articles du Code pénal et de la loi sur la lutte contre le terrorisme de façon à garantir que leur mise en œuvre et leur interprétation soient compatibles avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(72) 
			Voir Résolution 2121 (2016).. Malheureusement, aucune de ces demandes n’a été suivie d’effet.
81. En juin 2016, les corapporteures de l’Assemblée avaient souligné les nombreuses circonstances qui entravent la liberté des médias, telles que la propriété des médias, l’effet dissuasif des mesures prises, les enquêtes menées contre un groupe de médias critiques, les saisies en cours de médias proches du mouvement güleniste, le blocage de sites internet et de réseaux sociaux, etc. À l’époque, d’éminents journalistes d’investigation tels que Can Dundar et Erdem Gül faisaient déjà l’objet de poursuites pour divulgation de secrets d’État après avoir diffusé des informations sur des armes envoyées en Syrie par les services secrets turcs.
82. Dans ce contexte, les décrets-lois sur l’état d’urgence promulgués depuis août 2016 ont accru la pression sur les médias, avec de nouvelles vagues d’arrestations lancées au nom de la lutte contre le mouvement «FETÖ/PYD» ou le PKK. Un nombre plus élevé que jamais de journalistes et de professionnels des médias ont été placés en détention dans le cadre de cette répression. Selon les chiffres dont nous disposons, en l’absence d’informations officielles de la part des autorités, plus de 150 journalistes et professionnels des médias ont été arrêtés ou placés en détention; étant donné la diversité des milieux visés et des motifs invoqués lors des arrestations, on peut penser qu’aujourd’hui, tout journaliste, mais aussi tout chroniqueur, écrivain ou universitaire faisant preuve d’un esprit indépendant, critique et insoumis court le risque d’être arrêté. De nombreuses personnes ont ainsi été détenues plus de cinq mois sans acte d’accusation. Nous mentionnerons ici quelques exemples:
  • Cumhuriyet, journal à grand tirage et l’un des plus anciens quotidiens de Turquie (fondé en 1924), a été visé le 31 octobre 2016: 13 journalistes dont le rédacteur en chef Murat Sabuncu et des membres du conseil de direction de la Fondation Cumhuriyet ont été arrêtés et accusés de «commettre des crimes pour le compte de FETÖ et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sans en être membres», et de «chercher à dissimuler la vérité par des manipulations et publier des articles dans le but de rendre la Turquie ingouvernable». Neuf d’entre eux ont été placés en détention provisoire le 3 novembre 2016; quatre ont été libérés sous caution, avec interdiction de quitter le pays 
			(73) 
			<a href='http://aa.com.tr/en/todays-headlines/turkish-newspaper-staff-sent-to-prison-pending-trial/679124'>http://aa.com.tr/en/todays-headlines/turkish-newspaper-staff-sent-to-prison-pending-trial/679124.</a>. Un mandat d’arrêt a été délivré à l’encontre de l’ancien rédacteur-en-chef de Cumhuriyet, Can Dündar, qui séjourne actuellement à l’étranger;
  • la répression contre Cumhuriyet se poursuit avec l’arrestation, fin décembre 2016, de l’éminent journaliste d’investigation Ahmet Sik pour «soutien à FETÖ et au PKK»; cette arrestation soulève de graves questions car, en 2011, Ahmet Sik a passé 13 mois en détention provisoire (avec Nedim Sener) – suite à la décision de juges réputés proches du mouvement güleniste, pour avoir mené une enquête sur l’infiltration de l’État par le mouvement güleniste. Ahmet Sik étant l’un des journalistes les mieux informés sur le mouvement güleniste, et l’un des plus fermement critiques à son égard, certains interlocuteurs voient dans son arrestation pour «propagande en faveur de FETÖ» un tournant orwellien;
  • 25 des 56 journalistes 
			(74) 
			Tous les détails sont
disponibles à: <a href='http://bianet.org/english/media/183624-prosecutor-demands-penalty-for-journalists-mater-yildirim-turker-in-ozgur-gundem-case'>http://bianet.org/english/media/183624-prosecutor-demands-penalty-for-journalists-mater-yildirim-turker-in-ozgur-gundem-case.</a> qui avaient exercé à tour de rôle la fonction de rédacteur en chef du journal kurde Özgür Gündem dans le cadre de la campagne «les rédacteurs en chef montent la garde», lancée pour remplacer les rédacteurs qui avaient été arrêtés, font eux-mêmes l’objet de poursuites. C’est notamment le cas d’Erol Önderoglu, correspondant de Reporters sans frontières, qui a passé 10 jours en détention provisoire en juin 2016; il risquait 11 ans de prison. Le 14 février 2017, en l’absence de leurs avocats, trois des rédacteurs en chef – Cengiz Baysoy, İmam Canpolat et Çilem Küçükkeleş – ont été condamnés à un an et trois mois d’emprisonnement pour «apologie d’un groupe terroriste». M. Küçükkeleş s’est vu en plus infliger une amende de 6 000 livres turques (TRY) pour avoir été l’auteur de «publications promouvant le terrorisme».
83. Malheureusement, cette liste est loin d’être exhaustive et nous pourrions multiplier les exemples de journalistes poursuivis, arrêtés et condamnés. Les journalistes que nous avons rencontrés en Turquie ont en outre le sentiment que la justice n’est pas impartiale: les journalistes et les chroniqueurs qui travaillent pour les médias favorables au gouvernement peuvent s’exprimer librement, sans craindre aucune poursuite, tandis que les journalistes critiques subissent des attaques et sont traités comme des criminels. Ils sont de plus en plus nombreux à craindre que, pour un tweet ou un simple article, ils soient privés de leur carte de presse, de leur passeport ou de leur citoyenneté, et jetés en prison.
84. De plus, des pressions économiques sont exercées sur les associations de journalistes (l’une d’entre elles a récemment vu le loyer de ses locaux multiplié par 10). La publicité est également utilisée comme moyen de pression: le 6 octobre 2016, les médias ont indiqué que «l’Institution de publicité pour la presse de Turquie, autorité chargée de distribuer les publicités officielles aux journaux, a annoncé qu’elle n’entretiendrait plus de rapports avec les publications dont les propriétaires, les partenaires ou les responsables sont visés par des accusations liées au terrorisme, ce qui a suscité des critiques de l’opposition et d’une organisation du secteur. Les journaux qui ne licencient pas dans les cinq jours les journalistes visés par de telles accusations ne bénéficieront pas non plus des publicités officielles, selon la réglementation publiée au Journal officiel le 5 octobre 2016» 
			(75) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/turkey-to-cut-official-ads-on-newspapers-of-journalists-charged-with-terror-links-.aspx?pageID=238&nID=104691&NewsCatID=509'>www.hurriyetdailynews.com/turkey-to-cut-official-ads-on-newspapers-of-journalists-charged-with-terror-links-.aspx?pageID=238&nID=104691&NewsCatID=509.</a>.
85. La situation des médias en Turquie a également été analysée en détail par M. Volodymyr Ariev (Ukraine, PPE/DC) dans son rapport intitulé «Attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe» 
			(76) 
			Doc. 14229. Voir également la Résolution
2141 (2017) et la Recommandation
2097 (2017)., qui a été débattu lors de la session de janvier 2017. Une grande partie de ce rapport est consacrée à la situation en Turquie, qui ne s’est pas améliorée depuis le rapport antérieur, bien au contraire. Dans sa Résolution 2141 (2017), l’Assemblée s’est dit «préoccupée par la situation dramatique des médias et des journalistes en Turquie du fait des décrets adoptés durant l’état d’urgence, en particulier la dissolution et la saisie d’actifs de sociétés de médias, les arrestations d’écrivains, de journalistes, de rédacteurs et de dirigeants d’entreprises de médias, ainsi que des cas de dérives par rapport au Code de procédure pénale, notamment l’accès à un avocat et le droit d’être informé dans le plus court délai de la nature et des motifs d’inculpation»; elle a appelé les autorités turques «à remettre en liberté tous les journalistes détenus qui n’ont pas été inculpés pour participation active à des actes de terrorisme», à améliorer la législation et à réexaminer les dispositions des décrets-lois sur l’état d’urgence relatifs à l’arrestation d’écrivains et de membres du personnel des médias ainsi qu’à la saisie publique de sociétés de médias et de leurs biens.
86. Tout porte à croire que nous assistons aujourd’hui à l’arrestation systématique de journalistes, de chroniqueurs réputés et d’universitaires perçus comme représentant une menace pour l’État. Parallèlement s’installe un climat hostile: les représentants gouvernementaux dénoncent de façon répétée les «prétendus» journalistes agissant «sous couvert de journalisme», et une «campagne médiatique orchestrée par l’Occident» afin de justifier l’arrestation de journalistes basés, selon eux, sur des motifs sans rapport avec leur activité journalistique ou avec les opinions qu’ils ont exprimées. Nous ne pouvons partager cette façon de voir qui est contraire à notre analyse, et contraire aux principes fondamentaux du journalisme et de la liberté des médias tels qu’ils sont définis par le Conseil de l’Europe.
87. Le cas d’Aslı Erdoğan est tout à fait symptomatique. Cette romancière, qui a effectué des recherches sur les Arméniens et les Kurdes, était membre du conseil éditorial du journal kurde Özgür Gündem. N’étant ni journaliste ni propriétaire du journal, Aslı Erdoğan n’a aucun lien organique avec lui, mais elle fait néanmoins partie des personnes arrêtées le 19 août 2016, quelques jours après la fermeture «temporaire» du journal par décision judiciaire du 16 août 2016 accusant Özgür Gündem de publier de la «propagande terroriste» et de soutenir le PKK. Son inculpation au titre de l’article 302 du Code pénal (Atteinte à l’unité et à l’intégrité de l’État) a été pour elle un choc immense; elle encourt une peine de réclusion à perpétuité. Elle a passé quatre mois et demi en prison avant d’être remise en liberté sous contrôle judiciaire le 29 décembre 2016. Alors que sa santé est fragile et qu’elle doit prendre des médicaments, elle a été privée d’eau pendant 48 heures (ce qui a été démenti par le ministère de la Justice), placée à l’isolement dans une cellule froide, avec un accès limité au monde extérieur (un appel téléphonique toutes les deux semaines). Grâce aux pressions exercées par la communauté internationale, elle a pu voir un avocat après deux jours (au lieu de cinq comme le réclamait le procureur), a été emmenée à l’hôpital lorsque cela était nécessaire, et n’a pas subi de torture en tant que telle. Néanmoins, nous voyons dans l’arrestation d’Aslı Erdoğan, une «Turque blanche» qui mène des recherches sur les Kurdes et d’autres minorités mais n’est en aucun cas une militante politique, un signal clair à l’effet dissuasif: aujourd’hui, personne n’est à l’abri d’une arrestation et d’un emprisonnement.
88. Nous avons également observé que la répression exercée contre les médias touche aussi de nombreuses voix critiques, mettant gravement en péril la liberté d’expression. Nous avons rencontré plusieurs représentants d’ONG de défense des droits de l’homme, de médias et de syndicats, qui disent subir une très forte pression et être épuisés de se battre quotidiennement pour exercer leurs libertés fondamentales. Les attaques contre la liberté de la presse ont également été recensées par plusieurs organisations internationales renommées de protection des droits de l’homme 
			(77) 
			Voir,
par exemple, le <a href='https://www.hrw.org/report/2016/12/15/silencing-turkeys-media/governments-deepening-assault-critical-journalism'>rapport</a> récent de Human Rights Watch intitulé «Silencing Turkey’s
Media», 15 décembre 2016, le rapport 2016/2017 d’<a href='https://www.amnesty.org/en/countries/europe-and-central-asia/turkey/report-turkey/'>Amnesty
International</a> (p.367-371) ou le rapport intitulé “Turkey: Massive
crackdown on media in Turkey” (<a href='https://www.amnesty.org/en/documents/eur44/5112/2016/en/'>EUR
44/5112/2016</a>).. Malheureusement, la situation continue de s’aggraver: les défenseurs des droits de l’homme éprouvent un sentiment croissant d’insécurité, d’incertitude juridique et d’arbitraire, et craignent de pouvoir être à tout moment poursuivis, arrêtés et placés en détention.
89. Nos conclusions et nos préoccupations ont été confirmées par le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muižnieks, dans son mémorandum de visite intitulé «Des mesures urgentes sont nécessaires pour rétablir la liberté d’expression en Turquie» tel qu’il a été publié le 15 février 2017 
			(78) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/urgent-measures-are-needed-to-restore-freedom-of-expression-in-turkey'>CommDH005(2017)</a>. La version intégrale de ce document n’est disponible
qu’en anglais et en turc.. Le Commissaire a consacré beaucoup de travail à la situation en Turquie pendant son mandat et décrit une description alarmante marquée par l’aggravation de la situation de la presse tant sous l’angle du pluralisme et de l’indépendance des organes que de la sûreté et de la sécurité des journalistes. Il a noté que la détérioration de la liberté d’expression et de la presse – encore plus sensible depuis la déclaration de l’état d’urgence – «s’accompagne d’une érosion de l’indépendance et de l’impartialité du système judiciaire turc» qui débouche sur des pratiques «de harcèlement judiciaire pour faire taire l’opposition et les critiques légitimes». Le commissaire dénonce le rôle des procureurs et des juges de paix statuant en matière pénale dans ce processus. La commission de suivi a déjà fait part de ses préoccupations concernant cette institution nouvellement créée et demandé son avis sur la question à la Commission de Venise, lequel a été adopté en mars 2017 
			(79) 
			Voir «<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)004-e'>CDL-AD(2017)004</a>, Turkey – Opinion on the duties, competences and functioning
of the criminal peace judgeships» (anglais uniquement), adopté par
la Commission de Venise lors de sa 110e Session
Plénière (Venise, 10-11 mars 2017)..
90. Dans ses remarques finales, le Commissaire souligne que «la Turquie s’est engagée dans une voie très dangereuse. La contestation légitime et la critique de la politique gouvernementale sont vilipendées et réprimées, ce qui réduit l’espace du débat public et démocratique (y compris au sein du parlement) et polarise la société. L’expérience a révélé à de nombreuses reprises que c’est précisément dans ces situations que la haine et la violence, de même que les organisations terroristes, prospèrent» (traduction non officielle) 
			(80) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&Ref=CommDH-PR005(2017)&Language=lanFrench&Ver=original&Site=DC&BackColorInternet=F5CA75&BackColorIntranet=F5CA75&BackColorLogged=A9BACE&direct=true'>CommDH005(2017)</a>, paragraphe 95..
91. Pour le Commissaire Muižnieks, «le prolongement de l’état d’urgence confère des pouvoirs discrétionnaires pratiquement illimités à l’exécutif turc et lui permet d’appliquer des mesures radicales, y compris à l’encontre des médias et des ONG, sans avoir à produire de preuves ni à attendre de décision judiciaire, sur la seule base d’allégations d’accointances avec une organisation terroriste» 
			(81) 
			Ibid.,
paragraphe 135.. Le Commissaire a par conséquent appelé instamment les autorités turques à prendre des mesures urgentes pour restaurer la liberté d’expression en Turquie: une position que nous partageons pleinement.
92. Nous attendons que la Commission de Venise rende un avis sur les effets des mesures d’urgence sur la liberté des médias. À ce stade, M. Jensen a noté que les récents décrets comportent également des mesures concernant l’utilisation des réseaux sociaux (ces mesures obligent les fournisseurs d’accès à internet à communiquer à la police des informations personnelles sur leurs abonnés, sans décision de justice). Compte tenu des milliers de poursuites judiciaires et d’arrestations pour insulte et propagande sur les réseaux sociaux, cette mesure vise clairement à accentuer la persécution et la répression contre toutes les voix critiques et d’opposition sur les réseaux. Nous craignons que la Turquie ne remplisse plus ses obligations à l’égard du Conseil de l’Europe en matière de liberté des médias et de liberté d’expression, et nous regrettons que les demandes répétées de l’Assemblée, du Commissaire aux droits de l’homme ou de la Commission de Venise aux autorités turques en vue d’améliorer la législation soient demeurées, dans la plupart des cas, sans effet.

5. Réforme constitutionnelle

5.1. Fonctionnement des institutions démocratiques depuis juin 2016: situation actuelle

93. En juin 2016, dans sa Résolution 2121 (2016), l’Assemblée a fait part de sa préoccupation après la levée de l’immunité de 154 parlementaires en mai 2016. Au total, 810 actions pénales ont été intentées contre des parlementaires de tous les partis politiques. Cependant, si ces affaires ne concernent que 9 % des députés de l’AKP, 23 % de ceux du MHP et 38 % de ceux du CHP, elles touchent 93 % des députés du HDP (55 membres sur 59), y compris les quatre membres du HDP de la délégation turque auprès de notre Assemblée. Dans son avis des 14 et 15 octobre 2016, la Commission de Venise a décrit la levée de l’immunité (l’inviolabilité) desdits parlementaires comme une mesure ad hoc, ponctuelle et ad hominem violant la procédure d’amendement de la Constitution et, par conséquent, contraire aux normes du Conseil de l’Europe et ajouté que «l’inviolabilité des membres du parlement concernés devrait être restituée» 
			(82) 
			Avis sur la suspension
du deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution (inviolabilité
parlementaire), adopté par la Commission de Venise lors de sa 108e session
plénière (Venise, 14-15 octobre 2016) (<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)027-f'>CDL-AD(2016)027-f</a>)..
94. Depuis lors, 12 parlementaires du HDP, y compris ses co-présidents, M. Demirtaş et Mme Yüksekdağ, sont en détention provisoire pour des dizaines d’accusations, dont certaines liées au terrorisme. Les 4 et 7 novembre 2016, 13 parlementaires du HDP, dont ses deux co-présidents, ont été arrêtés pour avoir refusé de se présenter à des convocations de procureurs en vue d’être interrogés dans le cadre de procédures pénales engagées à leur encontre. Trois d’entre eux ont été libérés par la suite. Deux autres parlementaires du parti HDP ont été arrêtés le 12 décembre à la suite de l’attentat terroriste d’Istanbul du 10 décembre, y compris le vice‑président du HDP. La parlementaire Leyla Birlik a été remise en liberté le 4 janvier 2017. Les députés Idris Baluken et Ferhat Encü ont été relâchés respectivement le 30 janvier et le 16 février 2017, tandis que le député Meral Danış Beştaş et le porte-parole du HDP (le député Ayhan Bilgen) ont été arrêtés le 31 janvier. Plusieurs autres députés du HDP, y compris Leyla Zana, ont été arrêtés en vue de déposer comme témoins avant d’être relâchés sous contrôle judiciaire. Des centaines de membres du parti ont également été arrêtés.
95. Pour la commission de suivi, les arrestations de parlementaires «compromet[tent] la liberté d’expression des députés garantie par la Convention européenne des droits de l’homme. La commission renvoie également au dernier avis adopté par la Commission de Venise, qui a critiqué le calendrier et les rationae de cette procédure» 
			(83) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6402&lang=1&cat=31'>Déclaration</a> adoptée par la commission de suivi le 9 novembre 2016..
96. Nous avons appris avec consternation que le parquet général avait requis respectivement 142 années et 83 années d’emprisonnement pour les coprésidents du HDP, Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdag. Parallèlement, la parlementaire du HDP Nursel Aydoğan a été condamnée à 4 ans, 8 mois et 7 jours d’emprisonnement pour «crimes commis au nom d’une organisation terroriste et diffusion de propagande» et «violation de la loi 2911» (qui régit les mouvements de protestation et les manifestations) 
			(84) 
			Cette
affaire concerne ses actes en 2011: assister à un enterrement, participer
à des manifestations, se tenir lors d'une manifestation derrière
une banderole sur laquelle était écrit «ça suffit, on ne veut plus
de morts, que la liberté progresse», et prononcer des discours lors
de conférences de presse.. En outre, la coprésidente du HDP, Mme Yuksedag, a perdu son mandat parlementaire le 21 février 2017, soit trois mois après la confirmation, en novembre 2016, par la Cour suprême de cassation, de sa condamnation en 2013. C'est une autre source de préoccupation.
97. Le 20 janvier 2017, M. Demirtas a obtenu son premier acquittement dans une affaire de terrorisme. Cependant, 102 procédures de référé à son encontre étaient encore pendantes, y compris pour des accusations de «gestion d’une organisation terroriste», «incitation à la violence et à la haine» et «éloge de la criminalité et des criminels».
98. Les développements concernant le parti HDP, qui a recueilli 5 millions de voix en 2015 et franchi le seuil de 10% en juin et novembre 2015, ostraciseront encore plus le parti; après avoir été évincés des débats concernant la future Constitution, les membres du parti HDP sont ouvertement et collectivement assimilés à des «membres du PKK» ou à des «membres du TAK». Avec un cinquième de ses membres en prison – dont ses deux coprésidents sans aucun accès aux membres de leur parti – et des centaines de collaborateurs et de représentants de collectivités locales en état d’arrestation, le parti est, en pratique, rendu inopérant.
99. Le 20 février 2017, le HDP a soumis une requête à la Cour européenne des droits de l’homme pour protester contre la violation de la liberté d’expression et de la sécurité de ses parlementaires en détention.
100. Au niveau local, la situation concernant les élus s’est également dégradée: au 31 janvier 2017, 81 co‑maires 
			(85) 
			«L’appellation de “co-maire”
ne figure pas dans la législation turque. La pratique a été introduite
dans la partie kurde du pays à la suite des dernières élections
locales pour promouvoir la parité hommes-femmes, chaque municipalité
étant ainsi dirigée par un tandem «mixte» élu. Selon le vice-ministre
de l’Intérieur, cette pratique avait été tolérée par les autorités
d’Ankara en marge de la législation dans un souci de conciliation.
Ces “co-maires” se sont montrés particulièrement actifs dans leur
volonté de changer les modes de gestion et d’encourager une plus
grande décentralisation.» CG/MON05(2017)16REV, paragraphe 31, Mission
d’enquête sur la situation des élus locaux en Turquie (Rapporteurs:
Anders Knape, (L, EPP/CCE) et Leendert Verbeek (R, SOC)), adopté
par la commission de suivi du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
le 13 février 2017. du parti de la paix et de la démocratie (BDP, parti frère du HDP) étaient en état d’arrestation (Ahmet Türk, co-maire de Mardin, a été relâché par la suite le 3 février 2017). Des «administrateurs» ont été nommés pour 65 des 103 municipalités remportées par le BDP aux dernières élections locales, le 30 mars 2014. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe suit la situation: le 13 février 2017, sa commission de suivi a souligné que «l’arrestation et la révocation d’un grand nombre d’élus locaux qui risquent de porter gravement atteinte à la démocratie pluraliste au niveau local en Turquie, et affaiblissent considérablement les partis politiques et la société civile» et que «les détentions de maires élus et leur remplacement par des “maires nommés par les autorités centrales” dans plus de cinquante villes du sud-est de la Turquie ont eu pour effet d’interrompre l’exercice pratique de la démocratie locale dans cette région: la plupart des conseils municipaux de ces villes ont cessé leurs activités et près de six millions de citoyens turcs sont privés de représentation politique au niveau local. Cette situation constitue une violation de l’article 7, paragraphe 1, de la Charte (libre exercice du mandat d’élu local)» 
			(86) 
			CG/MON05(2017)16REV,
paragraphe 7.. Le Congrès a adopté une résolution et une recommandation 
			(87) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680703ea0'>Résolution
416 (2017)</a>, <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680703a31'>Recommandation
397 (2017)</a> et <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806fbf0d'>document
CG32(2017)13</a> sur la Mission d’enquête sur la situation des élus locaux
en Turquie, adoptés par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
le 29 mars 2017. sur cette question le 29 mars 2017, sur lesquelles nous reviendrons dans l’addendum à notre rapport 
			(88) 
			Doc. 14282 Addendum..
101. Malheureusement, ni la sous-commission ad hoc de la commission des questions politiques ni le Comité des Présidents de l’Assemblée n’ont pu avoir accès aux parlementaires emprisonnés. Même la délégation des corapporteures de la commission de suivi de l’Assemblée qui, dans le passé, avait eu accès à des détenus, s’est vu refuser une visite. Nous ne voyons absolument pas pourquoi, malgré les explications fournies par les autorités selon lesquelles il s’agissait de nous protéger contre des événements imprévisibles qui pourraient se produire en prison. Par conséquent, nous maintenons notre demande visant à ce que les rapporteures, et d’autres délégations de l’Assemblée, puissent aller rendre visite aux parlementaires détenus. Nous espérons ainsi en effet que les autorités veilleront effectivement à ce que «tous les lieux où des personnes sont privées de liberté [soient] ouverts aux visites périodiques et aux mécanismes nationaux et internationaux ad hoc autorisés par la loi» 
			(89) 
			Lettre
de M. Küçükcan, Président de la délégation turque, 23 février 2017..

5.2. Adoption d’amendements constitutionnels par le parlement

102. La révision de la Constitution, qui constitue l’un des 12 points du dialogue postsuivi, est en discussion depuis de nombreuses années. Il y avait déjà eu une tentative de rédaction d’une nouvelle constitution, civile, en 2011-2013, lorsqu’une commission de conciliation multipartite était parvenue à un accord concernant 60 articles, au terme d’une large consultation publique organisée dans le pays. Ces travaux ont toutefois pris fin quand le parti AKP n’avait pas réussi à faire inscrire à l’ordre du jour sa proposition d’instauration d’un régime présidentiel, en raison de l’opposition des trois autres formations politiques.
103. La tentative de coup d’État, qui a permis un moment d’unité nationale entre les partis politiques (à l’exception du HDP, qui n’a pas été invité au rassemblement de Yenikapi), a fourni l’occasion de relancer les discussions concernant la révision de la Constitution. À la suite d’un accord conclu par le parti AKP et le parti nationaliste MHP, un ensemble de 21 amendements constitutionnels instaurant un passage à un système présidentiel a été soumis au Parlement turc le 10 décembre 2016. Ce paquet n’incluait toutefois pas les articles qui avaient recueilli l’accord de la Commission de conciliation, et n’a pas été soumis à consultation publique. Les projets d’amendements constitutionnels étaient soutenus par le parti AKP (316 sièges) et les dirigeants du MHP (39 sièges), mais il se heurtait à une vive opposition du CHP (133 sièges) et du HDP (59 sièges, dont ceux de 11 parlementaires en détention). Or il fallait, pour mémoire, au moins 330 voix pour adopter le projet de réforme constitutionnelle à soumettre à référendum, ou 367 voix pour adopter la Constitution directement.
104. À titre de déclaration préliminaire, nous tenons à souligner que la position des corapporteures est très claire en ce qui concerne la réforme constitutionnelle: c’est au peuple turc qu’il appartient de décider de son système politique. Cependant, eu égard à notre mandat de rapporteures, il nous incombe de nous assurer que le projet de Constitution soit conforme aux normes et aux principes du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi la commission de suivi a demandé le 14 décembre 2016 à la Commission de Venise d’élaborer un avis sur les amendements constitutionnels. L’avis adopté par la Commission de Venise les 10-11 mars 2017 est reflété dans l’addendum à ce rapport 
			(90) 
			Doc. 14282 Addendum..
105. Dans l’attente de cet avis, nous avons eu la possibilité d’examiner le projet d’amendements constitutionnels qui, de notre point de vue, suscite de graves préoccupations concernant la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Par exemple, il est frappant de voir que les membres du Haut conseil des juges et des procureurs (HSYK) vont maintenant être nommés par le parlement (9 membres) et par le Président (4 membres), tandis que le ministre de la Justice et le secrétaire d’État à la Justice en resteront membres. Cela constitue un net recul par rapport à la réforme instaurée par référendum en 2010, qui avait permis à la majorité des membres du HSYK d’être nommés par leurs pairs, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe. Nous n’arrivons donc pas à comprendre comment les nouveaux amendements constitutionnels «renforceraient véritablement la séparation des pouvoirs», «empêcheraient des crises politiques potentielles», permettraient de «prendre des décisions rapidement et efficacement» ou «protégeraient la structure pluraliste du Haut conseil des juges et des procureurs (HSYK)» 
			(91) 
			Voir <a href='http://www.dailysabah.com/legislation/2017/01/09/new-system-will-truly-strengthen-separation-of-power-says-constitution-committee-head'>www.dailysabah.com/legislation/2017/01/09/new-system-will-truly-strengthen-separation-of-power-says-constitution-committee-head; </a><a href='http://www.dailysabah.com/legislation/2017/01/04/presidential-system-to-foster-stability-prompt-effective-decision-making-ak-party-asserts'>www.dailysabah.com/legislation/2017/01/04/presidential-system-to-foster-stability-prompt-effective-decision-making-ak-party-asserts</a> et <a href='http://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-warns-judges-over-gulenist-informants-.aspx?pageID=238&nID=108687&NewsCatID=338'>www.hurriyetdailynews.com/erdogan-warns-judges-over-gulenist-informants-.aspx?pageID=238&nID=108687&NewsCatID=338.</a>, ainsi que l’ont déclaré de hauts responsables politiques ces dernières semaines.
106. Nous étions présentes à Ankara lors du premier tour de scrutin, et nous avons rencontré la délégation de la Turquie auprès de l’Assemblée ainsi que les groupes politiques de l’AKP, du CHP et du HDP (le MHP avait décliné notre invitation à nous rencontrer). Les discussions au parlement étaient tendues et polarisées. Deux bagarres ont éclaté pendant l’adoption des amendements. L’opposition contestait les procédures de vote, dénonçant l’absence de vote à bulletin secret. Nous avons pourtant insisté auprès du vice-président du parlement sur la nécessité de garantir le secret du vote, conformément à la Constitution turque, surtout dans un contexte où les parlementaires sont sous pression (de leurs pairs) et où chaque voix est cruciale pour l’issue du débat.
107. Nous avons aussi fait part de notre préoccupation concernant, d’une part, l’absence de concertation pour l’élaboration de ce train de réformes constitutionnelles cette fois-ci et, d’autre part, les informations limitées communiquées à la population lors de ces débats. On nous a expliqué que le Parlement turc avait accès à des créneaux sur les chaînes publiques le mardi, le mercredi et le jeudi, tandis que les débats sont diffusés sur la chaîne de télévision par internet du parlement. Cela a incité de nombreux parlementaires à créer leurs propres canaux de diffusion (à l’aide de leurs téléphones portables).
108. On nous a dit que les parlementaires qui enfreignaient ouvertement les règles avaient été «mis en garde» mais que l’objectif était d’adopter les amendements «le plus tôt possible». Il nous a paru regrettable que ces amendements, qui visent à transformer le système politique de la Turquie pour passer d’un système actuellement parlementaire à un système présidentiel, aient été adoptés selon des procédures marquées par la précipitation.
109. Le 15 janvier 2017, le parlement a adopté en première lecture à une large majorité (plus de 340 voix, alors que 330 seulement étaient nécessaires) tous les 18 amendements constitutionnels qui lui avaient été soumis. Le 21 janvier 2016, il les a adoptés en seconde lecture, avec 339 voix, permettant ainsi l’organisation d’un référendum constitutionnel le 16 avril 2017.
110. Le vote au parlement a polarisé davantage encore les partis politiques. Une manifestation organisée devant le parlement par l’Ordre des avocats turcs s’est achevée par l’utilisation de pulvérisateurs de gaz au poivre et de canons à eau par les forces de police. Plus tard le même jour, le gouverneur d’Ankara a adopté un arrêté interdisant pendant 30 jours les manifestations à Ankara.

5.3. Préparation du référendum constitutionnel du 16 avril 2017

111. Durant notre visite en janvier 2017, nous avons fait part de nos doutes concernant la tenue d’un référendum constitutionnel pendant l’état d’urgence car cela posera de graves problèmes: la situation de la liberté des médias est alarmante et des droits fondamentaux, tels que la liberté de réunion, risquent fort d’être restreints. On peut sérieusement se demander si les partis politiques seront en mesure de faire campagne pendant l’état d’urgence en bénéficiant de l’égalité des chances. Cela ne peut pas être propice à une participation sur un pied d’égalité et à une campagne électorale équitable.
112. Le 21 janvier 2017, la Grande Assemblée nationale de Turquie a adopté par 339 voix les 18 modifications à la Constitution, préparant ainsi la voie à un référendum constitutionnel. À supposer qu’elles soient approuvées dans le cadre de cette consultation, ces modifications provoqueraient un profond changement dans le système politique turc qui s’éloignerait du modèle parlementaire pour se rapprocher du modèle présidentiel.
113. Dans sa déclaration du 26 janvier 2017, la commission de suivi a souligné que le peuple turc est souverain pour décider de son avenir politique et que son choix méritera d’être intégralement respecté. Elle a cependant émis également de sérieux doutes quant à l’opportunité d’organiser un référendum dans le cadre de l’état d’urgence alors que des opérations de sécurité sont en cours dans le sud-est et noté avec préoccupation que la procédure d’adoption au parlement a été rapide (six semaines au total) et marquée par d’intenses débats, une violation du secret du vote, une retransmission partielle des débats parlementaires à la télévision et l’absence de consultation publique sur les changements proposés.
114. La commission a également fait part de ses vives préoccupations concernant la question de savoir si la Constitution révisée – qui conférera de vastes pouvoirs au Président de la République – garantira la séparation des pouvoirs, l’existence de garde-fous et l’indépendance de l’appareil judiciaire, qui sont des préalables indispensables dans les sociétés démocratiques. Elle a relevé que cette division constitutionnelle priverait également le parlement de la majeure partie de son rôle fondamental dans l’élaboration des lois et la supervision de l’exécutif.
115. La commission a aussi exposé ses craintes concernant l’accès à des informations complètes et l’accès équitable aux médias par toutes les forces politiques pendant la campagne référendaire, dans un climat de suspicion et de crainte inhérent à la mise en œuvre de l’état d’urgence, à l’absence de liberté de la presse, à la détention de journalistes et à l’affaiblissement du Parti démocratique des Peuples (HDP) consécutive à l’incarcération de 12 de ses députés et à des centaines de ses permanents. Ces mesures ont eu un effet dissuasif et ont considérablement restreint le débat démocratique dans le contexte du référendum constitutionnel.
116. Compte tenu de ces circonstances, la commission de suivi a instamment prié les autorités turques de veiller à ce que l’organisation et le déroulement du référendum se conforment aux lignes directrices pertinentes du Conseil de l’Europe et de la Commission de Venise 
			(92) 
			Voir le Code de bonne
conduite en matière référendaire de la Commission de Venise, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2007)008-f'>CDL-AD(2007)008.</a>, ainsi qu’aux principes énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme. Elle craignait que la légitimité globale du processus – et de la nouvelle Constitution elle-même – soit remise en question au cas où les autorités ne seraient pas capables de résoudre les problèmes susmentionnés.
117. En ce qui concerne le contenu des modifications de la Constitution soumise au référendum, la commission de suivi a demandé à la Commission de Venise de préparer un avis de manière à répondre à ces questions fondamentales. Les conclusions énoncées dans ledit avis, adopté les 10 et 11 mars 2017, ont été résumées dans un addendum au présent rapport 
			(93) 
			Voir Doc.
14282 Addendum.	.
118. La commission de suivi espère également que l’Assemblée parlementaire et d’autres partenaires internationaux seront invités à observer le référendum et que des ONG nationales seront accréditées comme observateurs, conformément à une demande déjà émise en ce sens par l’Assemblée. Le 26 janvier 2017, le Bureau de l’Assemblée a décidé d’établir une commission ad hoc de 30 membres chargée d’observer le déroulement du référendum.
119. Le 10 février 2017, le président Erdoğan a signé les modifications à la Constitution, préparant ainsi la voie à l’organisation d’un référendum. La Commission électorale suprême a annoncé le 13 février que le référendum se tiendrait le 16 avril 2017 pour les 55 millions d’électeurs votant dans le pays et les 3 millions votant à l’étranger, lesquels pourront exercer leur droit de vote depuis 57 pays.
120. Le décret-loi no 687 avait été promulgué un jour plus tôt. Il prive la Commission électorale suprême du pouvoir de sanctionner les stations de radio et les chaînes de télévision privées diffusant des émissions partisanes ou de la propagande partiale en période électorale. Ceci soulève des doutes quant à la capacité des autorités à se conformer à leur obligation de garantie d’un accès libre aux médias à la fois pour les partisans du «oui» et du «non», conformément aux lignes directrices de la Commission de Venise. La teneur de cet instrument renforce nos craintes concernant la possibilité pour toutes les parties de se faire entendre sur un pied d’égalité. Nous estimons également inacceptable le recours par les autorités à une rhétorique simplifiée et polarisée consistant à qualifier les personnes hostiles à l’organisation du référendum de «terroristes» ou de «traîtres». Un tel comportement n’est pas digne d’une démocratie et la Turquie devrait s’inspirer des bonnes pratiques en matière référendaire, telles qu’elles ont été appliquées lors de la consultation relative à l’indépendance de l’Écosse.

6. Situation dans le sud-est de la Turquie

121. Dans le prolongement du rapport précédent sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie, nous suivons la situation dans le sud-est de la Turquie, où des couvre-feux temporaires continuent d’être imposés pour la conduite d’opérations de sécurité.
122. Le 7 décembre 2016, le Commissaire aux droits de l’homme a rendu public un mémorandum détaillé sur les conséquences pour les droits de l’homme des opérations antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie 
			(94) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806db68f'>CommDH(2016)39</a>, «Memorandum on the Human 0ights Implications of Anti-Terrorism
Operations in South-Eastern Turkey», 2 décembre 2016 (en anglais
et en turc uniquement).. Selon lui, ces mesures ne sont ni légales, dans la mesure où elles ne sont pas suffisamment prévisibles et encadrées par la loi, ni proportionnées au but légitime poursuivi par la Turquie. La réponse apportée par les autorités turques depuis août 2015, qui se traduit par la déclaration de couvre-feux de durée indéterminée en vigueur 24 heures sur 24, a entraîné un certain nombre de violations très graves des droits de l’homme, par le simple fait d’avoir été imposée aux populations locales concernées. Le Commissaire a donc exhorté les autorités turques, avec la plus grande fermeté, à mettre immédiatement fin à cette pratique. À l’avenir, il s’agira de trouver un meilleur compromis, dans toutes les mesures mises en œuvre dans la région, entre l’obligation de lutter contre le terrorisme et les droits de l’homme de la population civile, en conférant bien davantage de poids à ces derniers.
123. En juin 2016, l’Assemblée avait souligné la nécessité de permettre les rapports sur les violations des droits de l’homme dans le sud-est de la Turquie. Nous avons été choquées d’apprendre que quatre organisations de défense des droits de l’homme de premier plan, qui avaient publié un rapport sur la situation à Cizre à la suite des opérations de sécurité menées en août 2015, faisaient l’objet de poursuites et étaient accusées en vertu de l’article 301 du Code pénal. Nous notons que le Commissaire lui-même évoque de «nombreuses» allégations de violations des droits de l’homme commises par des membres des forces de sécurité – allégations qui lui semblent extrêmement graves et régulières, et crédibles pour bon nombre d’entre elles.
124. Malgré l’appel lancé par l’Assemblée en juin 2016 
			(95) 
			Voir Résolution 2121 (2016)., le parlement turc a adopté, le 23 juin 2016, la loi sur la protection juridique des forces de sécurité (y compris les gardes de village et les gardes volontaires) participant aux opérations de lutte contre des organisations terroristes, ce qui, selon nous, pourrait renforcer l’impunité des forces de sécurité impliquées dans des «activités anti-terroristes». Voilà qui soulève d’importantes questions en cette période où le pays est soumis à l’état d’urgence, et prompt à engager des poursuites pour acte de terrorisme. Le Commissaire aux droits de l’homme regrette, à cet égard, que l’une des premières mesures prises en lien avec la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 ait été l’octroi de l’immunité administrative, juridique et pénale à des agents publics appliquant des décrets d’urgence, rappelant que l’impunité a eu une influence néfaste au cours de l’histoire récente de la Turquie 
			(96) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806db68f'>CommDH(2016)39</a>..
125. Ces mesures ne font que renforcer notre préoccupation concernant la lutte contre la torture et les mauvais traitements. Le Commissaire a ajouté que tout indique que les autorités n’ont pas pris suffisamment au sérieux les allégations de violations des droits de l'homme, ni ouvert d’office des enquêtes judiciaires effectives sur les décès qui se sont produits lors des opérations antiterroristes d’une manière qui aurait pu permettre de faire la lumière sur les événements. Ainsi, la Turquie est loin d’avoir respecté ses obligations internationales dans ce domaine. «Vu le temps écoulé depuis certaines opérations, (…) il semble très improbable que de futures investigations puissent satisfaire pleinement aux critères d’une enquête effective.» Malheureusement, les autorités turques devront donc composer avec le fait que la Turquie sera présumée avoir commis de nombreuses violations graves des droits de l’homme, notamment le droit à la vie, au cours de la période concernée.
126. Par ailleurs, la question de l’indemnisation n’a pas été traitée de manière satisfaisante. Le Commissaire est d’avis que le cadre d’indemnisation existant est clairement insuffisant à bien des égards et que l’expropriation de la population locale dans certaines villes touchées par les opérations s’apparenterait à une double peine pour les personnes concernées; cette mesure ne saurait être considérée comme une forme de réparation.
127. Récemment, des inquiétudes se sont fait jour à propos de la situation du village de Kuruköy (Nusaybin), après que le couvre-feu a été déclaré dans neuf villages des districts de Mardin le 11 février 2017. Des allégations ont fait état de trois personnes tuées et 39 autres détenues et torturées à Kuruköy. Ces allégations n'ont pu être confirmées ni examinées, une délégation du parti HDP n'ayant pas été autorisée à pénétrer dans le village, resté au secret pendant 10 jours 
			(97) 
			<a href='http://bianet.org/english/society/183806-call-from-hdp-to-international-institutions-for-blockaded-kurukoy-village'>http://bianet.org/english/society/183806-call-from-hdp-to-international-institutions-for-blockaded-kurukoy-village</a>..
128. Par ailleurs, nous notons également que la Cour européenne des droits de l’homme a décidé, le 15 décembre 2016, de communiquer au Gouvernement turc divers griefs ayant été formulés dans les 34 requêtes relatives aux mesures de couvre-feu prises en Turquie depuis août 2015, lui demandant de présenter ses observations à ce sujet. Ces affaires font l’objet d’un traitement prioritaire 
			(98) 
			Communiqué de presse,
«La Cour européenne des droits de l’homme examine des griefs relatifs
aux mesures de couvre-feu en Turquie», CEDH 420 (2016), 15 décembre
2016.. Nous continuerons de suivre la situation dans le sud-est.

7. Conclusions

129. Nous déduisons des conclusions récentes formulées par les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, de l’évaluation par la sous-commission ad hoc de la commission des questions politiques et de nos propres constatations que les purges massives opérées après le coup d’État avorté constituaient la continuation et l’accentuation d’un processus déjà en cours. Même s’il est parfaitement légitime de déclarer l’état d’urgence après un coup d’État militaire avorté ayant fait 248 morts et 2 000 blessés, le gouvernement a interprété ses pouvoirs extraordinaires de manière trop large et adopté des mesures allant au-delà de ce que permet la Constitution turque et le droit international, ce qui a eu pour effet de réduire encore plus au silence les voix critiques et d’écarter non seulement les fonctionnaires «indésirables», mais également les membres de leur famille, ainsi que de générer un climat de crainte, de suspicion et de polarisation de la société. Ce constat soulève la question du respect des principes de proportionnalité et de nécessité. Comme n’a pas manqué de le souligner le Commissaire aux droits de l’homme, conformément aux principes de l’État de droit et du respect des droits individuels, «toute ingérence dans l’exercice de droits individuels fondamentaux doit être prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et strictement proportionnée au but poursuivi».
130. Dans ce contexte, nous sommes vivement préoccupées par l’état de la liberté de la presse et les violations systématiques de la liberté d’expression, deux circonstances constitutives d’un grave manquement aux obligations pesant sur les membres du Conseil de l’Europe.
131. Nous sommes également préoccupées par l’échelle des purges et leurs effets à long terme sur la société turque: le pays devra trouver des moyens et des mécanismes susceptibles de surmonter les révocations massives et de reconstruire une nation inclusive.
132. L’Assemblée prend note de l’adoption d’un paquet d’amendements constitutionnels le 21 janvier 2017. À condition d’être approuvée par le peuple dans le cadre d’un référendum, cette révision de la Constitution aboutirait à un profond changement de système politique – le passage d’un système parlementaire à un système présidentiel. L’Assemblée souligne qu’il appartient uniquement aux citoyens turcs de décider du régime politique dont ils entendent se doter, à condition que les électeurs se voient communiquer des informations suffisantes et qu’un laps de temps raisonnable soit accordé au débat public. Toutefois, à la lumière des amendements constitutionnels, adoptés à l’issue d’une procédure parlementaire accélérée marquée par des débats extrêmement polarisés, et dans l’attente de l’avis de la Commission de Venise, l’Assemblée exprime ses profondes préoccupations concernant les poids et contrepoids envisagés, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et les compétences laissées au parlement qui ne sera plus en mesure de superviser l’action de l’exécutif.
133. L’Assemblée a rappelé à de nombreuses reprises que la Turquie est un partenaire stratégique pour le Conseil de l’Europe et a appelé maintes fois à un dialogue constructif avec ce pays qui est l’un des plus anciens membres de l’Organisation et l’un des premiers signataires de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950.
134. C’est la raison pour laquelle nous réitérons notre désir et notre volonté de poursuivre le dialogue avec les autorités turques et d’intensifier la coopération. Cela inclut notre soutien réitéré à la lutte qu’elle mène contre le terrorisme, dans le respect des libertés fondamentales. Nous réitérons également notre volonté de soutenir le pays dans son processus de transformation démocratique en nous assurant de la conformité des politiques menées par la Turquie aux normes du Conseil de l’Europe. Nous nous félicitons du dialogue continu entre les autorités turques et le Conseil de l’Europe, lequel devrait être mutuellement bénéfique et nous espérons qu’il continuera à déboucher sur des résultats.
135. Toutefois, le coup d’État avorté a révélé de sérieux dysfonctionnements au sein des institutions démocratiques, lesquels méritent toute l’attention de l’Assemblée parlementaire, sur la base des trois piliers du Conseil de l’Europe qui englobent un large éventail de questions. Compte tenu des circonstances qui prévalent actuellement, l’examen des 12 points définis comme relevant du dialogue postsuivi pourrait être perçu comme hors de propos. Nous regrettons également que la Résolution 2121 (2016) de juin 2016 sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie – qui met en lumière plusieurs manquements graves de la Turquie à ses obligations à l’égard du Conseil de l’Europe – n’a toujours pas été prise en compte.
136. L’Assemblée est résolue à poursuivre le dialogue et la coopération avec la Turquie et à lui proposer son soutien dans la période difficile qu’elle traverse. Le coup d’État avorté a révélé de sérieux dysfonctionnements au sein des institutions démocratiques turques, mais l’Assemblée pense aussi que l’évolution de la situation après cet événement – y compris l’instauration de l’état d’urgence – a eu des effets importants, disproportionnés et durables sur la protection des libertés fondamentales, le fonctionnement des institutions démocratiques et toutes les composantes de la société. Elle relève que les mesures disproportionnées adoptées (révocation de 150 000 fonctionnaires, officiers de l’armée, magistrats, enseignants et universitaires; engagement de poursuites contre 100 000 personnes, dont 40 000 placées en détention), l’incertitude juridique qui prévaut malgré les mesures récemment prises par les autorités, ainsi que les conséquences des décrets-lois sur les individus et leurs familles, ont généré un climat de suspicion et de peur préjudiciable à la cohésion sociale et la stabilité.
137. Dans le même temps, nous soulignons une fois de plus, suivant la position adoptée par la commission des questions politiques et de la démocratie en décembre 2016, notre détermination à poursuivre un dialogue constructif avec la Turquie qui doit continuer à tenir son rôle au sein de l’Assemblée parlementaire et du Conseil de l’Europe. À nos yeux, le suivi de l’évolution de la situation en Turquie doit être renforcé et élargi, de même que le dialogue avec le peuple turc sur ladite évolution, en tenant compte des préoccupations de l’Assemblée dans ce domaine. Cette dernière a approuvé un mécanisme ayant largement fait ses preuves pour répondre à ce besoin, à savoir la procédure complète de suivi.
138. L’Assemblée doit renforcer et intensifier son suivi de l’évolution en Turquie et son dialogue à ce propos avec toutes les forces vives du pays afin de s’assurer de la prise en considération des profondes préoccupations qu’elle a exprimées concernant le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. L’Assemblée devrait par conséquent décider de rouvrir la procédure de suivi à l’égard de la Turquie jusqu’à ce que lesdites préoccupations soient traitées de manière satisfaisante. Les autorités turques devraient notamment prendre d’urgence les mesures suivantes:
  • lever l’état d’urgence aussitôt que possible;
  • dans l’intervalle, arrêter de promulguer des décrets-lois contournant la procédure parlementaire sauf si cette pratique s’avère strictement nécessaire en vertu de la Loi sur l’état d’urgence, et mettre fin à la révocation collective de fonctionnaires sur la base de décrets-lois;
  • libérer tous les parlementaires placés en détention en l’attente de leur procès;
  • libérer tous les journalistes placés en détention dans l’attente de leur procès;
  • établir la Commission d’enquête sur les mesures de l’état d’urgence et veiller à ce qu’elle commence à assumer sa tâche consistant à offrir un recours judiciaire effectif au niveau national aux personnes révoquées sur la base d’un décret-loi d’urgence;
  • veiller à ce que les procès se tiennent dans le respect des garanties d’une procédure régulière;
  • prendre d’urgence des mesures visant à restaurer la liberté d’expression et de la presse, conformément aux Résolutions 2121 (2016) et 2141 (2017) de l’Assemblée, ainsi qu’aux recommandations du Commissaire aux droits de l’homme et de la Commission de Venise;
  • organiser le référendum constitutionnel d’avril 2017 conformément aux normes du Conseil de l’Europe et au Code de bonne pratique en matière référendaire de la Commission de Venise, afin de garantir la libre formation de la volonté de l’électeur;
  • mettre en œuvre aussi rapidement que possible les recommandations de la Commission de Venise relatives aux modifications de la Constitution.
139. Nous continuerons à suivre de près l’évolution de la situation en Turquie et recommandons que la commission de suivi envisage de rendre compte à l’Assemblée des progrès réalisés dans la prise en compte de ses préoccupations, laquelle décidera éventuellement des mesures à prendre, lors d’une partie de session de l’Assemblée en 2018.

Annexe – Avis divergent de M. Talip Küçükcan (Turquie, CE), Président de la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 
			(99) 
			En application de l’article
50.4 du Règlement de l’Assemblée («En outre, le rapport d’une commission
comporte un exposé des motifs établi par le rapporteur. La commission
en prend acte. Les avis divergents qui se sont manifestés au sein
de la commission y sont inclus à la demande de leurs auteurs, de
préférence dans le corps même de l’exposé des motifs, sinon en annexe
ou dans une note en bas de page»).

(open)

Ce rapport comporte malheureusement plusieurs erreurs factuelles, affirmations infondées et évaluations subjectives malgré les efforts que nous avons faits pour communiquer des informations actualisées pendant la phase d’élaboration.

Il faut tout d’abord savoir que l’État de droit, la démocratie et les droits de l'homme sont les principes fondamentaux de la République de Turquie. Le gouvernement turc entretient un dialogue continu avec le Conseil de l’Europe, le CPT, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, le Président de l’APCE, la Commission de Venise, le Commissaire aux droits de l'homme et des visites réciproques ont été effectuées, en vue de renforcer davantage la coopération. Toutes les dispositions réglementaires prises pour lutter contre la tentative de coup d’État et les attentats terroristes ont été conformes aux recommandations du Conseil de l’Europe; des mesures obligatoires, urgentes et proportionnées ont été prises dans le cadre des obligations positives de l’État face aux risques existentiels auxquels l’État turc et sa démocratie ont été confrontés. Les décrets-lois adoptés face à la crise actuelle en Turquie ont joué un rôle important dans la stabilisation de la situation et la lutte contre les organisations terroristes.

La Turquie se bat actuellement contre l’organisation terroriste de Fetullah Gülen/structure d’État parallèle (FETÖ/PDY). Il ne faut pas oublier que cette organisation terroriste a infiltré les services de l’État en vue de renverser le gouvernement élu démocratiquement. Par ailleurs, le PKK et Daech ont multiplié les attentats terroristes en Turquie, qui ont coûté la vie à des centaines de victimes innocentes. La portée des mesures adoptées a été limitée aux organisations terroristes pour ne pas porter atteinte aux droits et aux libertés des citoyens ordinaires.

En second lieu, il convient de préciser, contrairement à l’affirmation infondée selon laquelle FETÖ a été un allié du parti au pouvoir et à la qualification de «mouvement» de l’organisation terroriste que l’on trouve dans le rapport, que les autorités turques combattent FETÖ qui a fomenté un coup d’État et est reconnue comme une organisation terroriste par des juridictions indépendantes depuis 2014. Les procès en cours montrent que les militants de FETÖ présents dans les services de répression et dans l’appareil judiciaire ont utilisé leur pouvoir pour dissimuler les crimes d’autres membres.

En troisième lieu, la liberté d’expression et la liberté des médias sont l’un des fondements de la démocratie turque. La Constitution garantit le droit d’exprimer et de diffuser sa pensée sans aucune ingérence. Cela étant, les personnes mentionnées dans le rapport, qui travaillent comme journalistes, sont actuellement accusées d’infractions graves en tant que membres ou partisans d’une organisation terroriste illégale ou armée. Il a aussi été mis fin aux activités de certains organes de presse en raison de leurs liens avec des organisations terroristes. Le rapport devrait défendre ces enquêtes pénales dans l’intérêt du journalisme et de la liberté d’expression en Turquie.

Il serait injuste, inéquitable et tout à fait partial, de décider de rouvrir la procédure de suivi à l’égard de la Turquie, et ce serait en nette contradiction avec les valeurs du Conseil de l’Europe. Ce rapport, qui risque d’avoir un effet contraire sur les relations entre la Turquie et le Conseil de l'Europe, non seulement entamera profondément la crédibilité de l’APCE aux yeux du public turc, mais constitue aussi une approche discriminatoire envers la Turquie.