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Addendum au rapport | Doc. 14282 Add. | 24 avril 2017
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
1. Introduction
1. Lors de sa réunion du 8 mars
2017, la commission de suivi a approuvé un rapport et adopté un
projet de résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Turquie en vue de leur présentation à la
partie de session d’avril 2017. Lors de cette réunion, nous avons
annoncé que nous élaborerions un addendum au rapport afin de tenir
compte des dernières évolutions dans le pays, des avis de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) adoptés les
10 et 11 mars 2017 , de la résolution
et de la recommandation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe adoptées le 29 mars 2017 et des premières
constatations de la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire
présidée par M. Cezar Florin Preda (Roumanie, PPE/DC), qui a observé
le référendum du 16 avril 2017 sur les modifications de la Constitution.
2. Depuis la publication de notre rapport, une série de 18 modifications
constitutionnelles a été adoptée par une majorité d’électeurs (51,4 %)
favorables à un régime présidentiel (avec une participation de 85,32 %), après
une procédure parlementaire expéditive. Alors que les purges se
poursuivent , le 18 avril 2017, l’état d’urgence
a été prolongé pour la troisième fois, pour une nouvelle durée de
trois mois. Suite à l’arrestation de la députée HDP Çelik Özkan
le 19 avril 2017 et à la remise en liberté des députées HDP Nursel
Aydoğan et Meral Danış Beştaş le 21 avril, il y a encore 12membres
du parlement en détention.
2. Référendum constitutionnel du 16 avril 2017: constatations préliminaires de la commission d’observation ad hoc de l’Assemblée parlementaire
3. Nous avons participé, en qualité
de corapporteures, à l’observation du référendum du 16 avril 2017
en Turquie, au sein d’une commission ad hoc de 20 membres. Si les
aspects techniques ont, de manière générale, été correctement administrés
le jour du scrutin, les conclusions de la mission d’observation
conjointe de l’Assemblée parlementaire et du Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) ont confirmé les inquiétudes exprimées
par la commission de suivi depuis janvier 2017 quant au contexte
dans lequel s’est tenu ce référendum (état d’urgence, des députés
et des journalistes en prison, libertés fondamentales restreintes
et populations déplacées dans le sud-est du pays). Nous avons également
relevé plusieurs insuffisances pendant la campagne du référendum,
notamment la couverture médiatique déséquilibrée, le détournement
de ressources administratives, la restriction des libertés fondamentales,
un cadre juridique inadapté au déroulement d’un processus véritablement
démocratique, etc.
4. De plus, la Commission électorale suprême (CES) a diffusé
en fin de journée des consignes qui «ont sensiblement modifié les
critères de validité des bulletins», levant ainsi «une garantie
importante» et en contradiction avec la loi électorale telle que
modifiée en 2010, comme l’a noté la mission d’observation de l’Assemblée
parlementaire et du BIDDH . Les recours en annulation du référendum
pour irrégularités présumées déposés auprès de la CES par les partis
d’opposition CHP et HDP ainsi que par des centaines de particuliers
ont été rejetés par cette dernière le 19 avril 2017. Pour mémoire,
les décisions de la CES sont définitives et sans appel, ce qui a
fait l’objet de critiques répétées de la part de précédentes missions d’observation
électorale de l’Assemblée.
5. Notre commission ad hoc a conclu que «le référendum n’a pas
satisfait aux normes du Conseil de l'Europe». Son rapport sera présenté
à la Commission permanente en mai 2017. Au vu des conditions inéquitables
dans lesquelles s’est déroulée la campagne et de la décision prise
par la CES le jour du scrutin, de sérieuses questions peuvent se
poser quant à la légitimité du résultat du référendum.
6. Au vu du «résultat serré du référendum», le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a invité les dirigeants
turcs à «réfléchir mûrement aux prochaines mesures», ajoutant qu’il
est «capital de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, conformément
au principe de l’État de droit consacré par la Convention européenne
des droits de l’homme» .
7. Pour notre part, nous prenons note du résultat du référendum.
Dans le même temps, nous réaffirmons que les modifications à la
Constitution qui viennent d’être adoptées soulèvent plusieurs problèmes,
corroborés par les experts constitutionnels de la Commission de
Venise, comme exposé en détail dans la troisième partie du présent
addendum pour ce qui est des modifications de la Constitution et
de la liberté de la presse alors que le pays est en état d’urgence.
8. Trois dispositions constitutionnelles prendront effet immédiatement:
le droit du Président de la République d’être membre d’un parti
politique; la restructuration du Conseil supérieur des juges et
des procureurs (la totalité des 13 membres étant désormais nommés
par le parlement et par le Président) et son remplacement par un
«Conseil des juges et des procureurs», ainsi que l’abolition des
tribunaux militaires, saluée par la Commission de Venise (voir ci-dessous).
9. Nous restons déterminées à travailler avec les autorités turques,
y compris avec le parlement, et avec nos partenaires du Conseil
de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, pour garantir
la conformité du cadre constitutionnel et de sa mise en œuvre aux
normes du Conseil de l’Europe, en travaillant, si nécessaire, à
l’élaboration d’amendements constitutionnels. Au vu des défaillances
constatées sur le plan électoral lors de l’observation d’élections
récentes, il conviendrait aussi de porter toute l’attention voulue
au cadre électoral. La procédure de suivi devrait nous fournir le
cadre nécessaire à la poursuite de la coopération attendue sur les questions
constitutionnelles et électorales.
3. Modifications de la Constitution en vue d’un système présidentiel soumises au référendum le 16 avril 2017
3.1. Avis de la Commission de Venise sur les modifications de la Constitution
10. L’avis de la Commission de
Venise sur les modifications
de la Constitution a trait à la mise en place de ce que les autorités
turques ont qualifié de «régime présidentiel à la turque». Cet avis
confirme les préoccupations que nous avons exprimées à la fin de
notre visite en Turquie (9-13 janvier 2017) et qu’a partagé par
la suite la commission de suivi dans sa déclaration du 26 janvier 2017
et dans le rapport adopté le 8 mars 2017. Ces préoccupations concernent:
0.1. La
procédure d’adoption de la révision de la Constitution: la
Commission de Venise souligne que «le non-respect du secret du vote
laisse planer des doutes sur l’authenticité du soutien à la réforme
et la sincérité personnelle du vote des députés. Il est regrettable
que la procédure parlementaire n’ait pas donné lieu à un authentique
débat ouvert à toutes les forces politiques représentées au Parlement» (paragraphe 131).
0.2. Le caractère judicieux d’un
référendum pendant l’état d’urgence: la Commission de
Venise considère que la «révision à caractère permanent d’une constitution
ne serait alors possible pendant l’état d’urgence que si la situation
garantit le respect des principes démocratiques» (paragraphe 36). Rappelant
que «la réforme constitutionnelle est un processus qui exige un
débat public ouvert et libre, et un temps suffisant pour que l’opinion
publique puisse examiner la question et peser sur le résultat» ,elle
estime «extrêmement douteux que le référendum constitutionnel prévu
pour le 16 avril 2017 puisse satisfaire aux principes démocratiques
de la tradition démocratique européenne. Et même si ces normes sont
respectées, la crédibilité des résultats d’un référendum organisé
pendant un état d’urgence visant à renforcer les pouvoirs du gouvernement
en serait compromise» (paragraphe 41).
0.3. La Commission de Venise a souligné que ce processus avait
entièrement lieu pendant un état d’urgence «alors que la liberté
d’expression et la liberté de réunion sont considérablement restreintes. Les
journalistes travaillent dans des conditions rendues extrêmement
difficiles, et le débat public est dans l’ensemble de plus en plus
appauvri et partisan, ce qui met particulièrement en doute la possibilité même
d’une véritable campagne référendaire inclusive et démocratique
sur l’opportunité de la révision» (paragraphe 132). Dans un autre
avis, la Commission de Venise a rappelé le rôle essentiel d’un environnement
médiatique libre pour discuter ouvertement de questions politiques
lorsqu’une réforme constitutionnelle majeure est lancée .
0.4. La conformité des modifications
de la Constitution, au fond, avec les normes européennes pour ce
qui est de:
0.4.1. La séparation des pouvoirs et les freins et
contrepoids: la Commission de Venise a relevé qu’«[u]n
régime présidentiel doit comporter de puissants freins et contrepoids.
Il est essentiel, en particulier, que la justice y soit forte et
indépendante», car les différends entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif «doivent souvent être tranchés par les tribunaux»
dans un régime présidentiel (paragraphe 44). Conformément à la nouvelle
Constitution, le Président de la République a la double fonction
de chef d’État et de chef de gouvernement. La Commission de Venise
a montré que la révision ne garantit pas dans la pratique la séparation
des pouvoirs:
0.4.1.1. au vu de l’«influence
envahissante» du Président de la République, qui aurait des liens
avec son parti politique, sur le parlement dans un système dans
lequel les élections présidentielles et législatives ont lieu en
même temps, avec le phénomène d’envahissement des élections législatives
par l’élection présidentielle. «[L]e Président pourra nommer et
révoquer des ministres. Il pourra en choisir certains parmi les députés,
ce qui lui donnera un moyen efficace de “parrainer” le pouvoir législatif» (paragraphe 62)
et «suscitera le risque de voir le Président décider des travaux
du Parlement» (paragraphe 52). Il pourra aussi prendre des décrets
présidentiels (sauf si le pays n’est pas en état d’urgence, sur
certaines questions relatives aux droits de l’homme) même si en
théorie la loi l’emporte sur le décret présidentiel en cas de conflit;
0.4.1.2. du pouvoir du Président de nommer et de révoquer les hauts
fonctionnaires de l’Etat selon des procédures qu’il définit lui‑même
ainsi que les ministres et les vice-ministres (sans que le Parlement
exerce un contrôle sur ces nominations) (paragraphe 68). Bien que
non élus, les vice‑présidents et les ministres jouissent de l’immunité
parlementaire (paragraphe 63) et au cas où le Président n’est pas
en mesure d’exercer un mandat, un vice-président pourrait diriger
le pays sans légitimité démocratique sans qu’aucune durée maximale
ne soit fixée (à part celle du mandat lui‑même) (paragraphe 66).
0.4.2. L’affaiblissement de l’indépendance
du pouvoir judiciaire: la Commission de Venise a précisé
que la composition du «Conseil des juges et des procureurs» qui
remplacerait le «Conseil supérieur des juges et des procureurs»
posera problème, car les 13 membres seront nommés soit par le Président
(4+2 membres ex officio, c’est-à-dire
le ministre de la Justice et son sous-secrétaire, nommés par le
Président), soit par le Parlement (7), ce qui est contraire aux
positions de la Commission de Venise et à la Recommandation CM/Rec(2010)12
du Comité des Ministres sur les juges: indépendance, efficacité
et responsabilités .
De plus, étant donné que le Président appartiendra à une mouvance
politique, son choix des membres du Conseil des juges et des procureurs
«n’aura pas à être politiquement neutre» (paragraphe 119). En outre,
la procédure de nomination des membres de la Cour de cassation et
du Conseil d’Etat par le Conseil des juges et des procureurs influence
aussi la composition de la Cour constitutionnelle .
11. La Commission de Venise a aussi expliqué longuement le système
de renouvellement «bilatéral» des élections: le Président peut dissoudre
le parlement pour quelque raison que ce soit et ce dernier peut
aussi se dissoudre lui-même pour quelque raison que ce soit (à la
majorité des trois cinquièmes). Dans les deux cas, les élections
présidentielles et législatives se tiendront simultanément. Le Président
ne peut exercer que deux mandats, sauf si le parlement se dissout
pendant son deuxième mandat, ce qui ouvre alors la voie à un troisième
mandat. La Commission de Venise a aussi estimé que la tenue simultanée
d’élections signifie que «le Président contrôlera d’habitude la
majorité parlementaire (...) Il est peu probable qu’il y ait effectivement séparation
des pouvoirs (…) Le projet (…) vise à l’unicité du pouvoir, qui
caractérise des systèmes moins démocratiques ».
12. La Commission de Venise a conclu que les modifications de
la Constitution conduisent à une «concentration excessive des pouvoirs
exécutifs sur la fonction présidentielle et à l’affaiblissement
du contrôle exercé sur cette dernière par le Parlement. (…) Le Président
n’a pratiquement plus aucun compte à rendre à la nation pendant
son mandat; il n’a à le faire que s’il se présente pour un second
mandat. (…) La Grande Assemblée nationale turque ne peut pas voter
de motion de censure contre le Président, et il n’y a pas de possibilité
d’interpellation: seules sont possibles les questions écrites qui
doivent être soumises aux vice‑présidents et ministres (paragraphe
5 de l’article 98 modifié). De plus, le Président jouit d’une immunité générale
en ce qui concerne toute infraction pénale, sauf celles qu’il commettrait
dans l’exercice de ses fonctions présidentielles; il peut alors
faire l’objet d’une procédure de destitution très complexe, dans
laquelle la décision revient en dernier ressort à la Cour constitutionnelle,
dont il nomme directement ou indirectement les membres (paragraphe 47).
La révision renforce aussi le pouvoir de veto du Président qui peut
refuser de promulguer une loi et la renvoyer devant le parlement,
qui peut passer outre au veto si la majorité absolue des députés
vote pour.
13. Tout en se félicitant de la suppression des tribunaux militaires
et de la nullité automatique des décrets d’urgence présidentiels
non confirmés par la Grande Assemblée nationale dans les trois mois,
la Commission de Venise a estimé que «la révision proposée de la
Constitution introduirait en Turquie un régime présidentiel dépourvu
des freins et contrepoids nécessaires à la prévention d’une dérive
autoritaire» (paragraphe 130). Elle a conclu que «la teneur des
modifications proposées constitue un périlleux pas en arrière dans
la tradition constitutionnelle démocratique de la Turquie», soulignant
que «le système proposé recèle un danger de dérive autoritaire et
monocratique. De plus, le moment de la réforme est mal choisi et
inquiétant en soi: l’état d’urgence actuel ne réunit pas les conditions
de démocratie qu’exige un référendum constitutionnel».
3.2. Avis de la Commission de Venise sur les mesures adoptées en vertu des décrets-lois promulgués récemment dans le cadre de l’état d’urgence, sous l’angle du respect de la liberté de la presse
14. À la demande de la commission
des questions politiques et de la démocratie, la Commission de Venise a
aussi analysé les mesures adoptées en vertu des décrets-lois promulgués
récemment dans le cadre de l’état d’urgence, sous l’angle du respect
de la liberté de la presse, en particulier la liquidation des médias,
la confiscation des biens, le recours à la justice pénale contre
les journalistes à la lumière des normes européennes et de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme .
15. La Commission de Venise conclut que les médias ne sont pas
en mesure d’exercer leur rôle de «chien de garde» public dans un
contexte caractérisé par des atteintes graves à la liberté d’expression
et aux médias en raison des décrets-lois promulgués dans le cadre
de l’état d’urgence , alors que «la capacité
de discuter ouvertement de questions politiques dans les médias
devient encore plus déterminante lorsque l’état d’urgence se prolonge» .
16. La Commission de Venise souligne aussi, conformément aux constats
précédents des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, que la
détention préventive de journalistes au prétexte [vague] d’«appartenance» à
des organisations terroristes (et assimilées) pose problème, qu’il
faudrait donner des raisons «pertinentes et suffisantes» pour expliquer
leur placement en détention au titre de leurs écrits et s’assurer
que ces détentions «demeurent l’exception ».
17. Nous partageons pleinement les préoccupations exprimées par
la Commission de Venise et tenons à proposer un amendement pour
préciser ce que nous attendons de la commission d’enquête sur les
mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sous l’angle du
respect de la liberté des médias, pierre angulaire de la démocratie
qui devrait être rétablie de toute urgence en Turquie (voir la proposition
d’amendement 3).
4. À propos de la réintroduction de la peine de mort
18. Nous avons déploré le fait
qu’il ait de nouveau été question du rétablissement de la peine
de mort pendant la campagne de M. Erdoğan, qui a réaffirmé qu’il
était prêt à promulguer toute loi en ce sens adoptée par le parlement.
Comme nous l’avons déjà indiqué dans notre rapport et comme l’Assemblée
l’a souligné dans sa Résolution 2149 (2017) ,
la réintroduction de la peine de mort n’est pas compatible avec
l’appartenance au Conseil de l’Europe.
19. Le lendemain du référendum, le Président Erdoğan a de nouveau
indiqué qu’il approuverait une proposition de loi visant à réintroduire
la peine de mort ou qu’il organiserait un référendum sur le sujet
si les députés de l’opposition refusaient de soutenir cette proposition .
20. Nous rappelons que la Turquie a aboli la peine de mort en
2004, dans le cadre de son processus de réforme. Elle a ratifié
le Protocole no 6 (STE
n° 114 concernant l’abolition de la peine de mort) en 2003
et le Protocole no 13 à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE
n° 187 concernant l’abolition de la peine de mort en toutes
circonstances) en 2006. Pour réintroduire la peine de mort, la Turquie
devrait dénoncer ces deux protocoles et, donc, la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) en tant
que telle. Comme l’a indiqué Yves Cruchten (Luxembourg, SOC), Rapporteur
général de l’Assemblée parlementaire sur l’abolition de la peine
de mort, la réintroduction de la peine de mort «serait purement
et simplement incompatible avec le maintien de la Turquie au sein
du Conseil de l'Europe» et l’Assemblée «n’acceptera aucun recul»
en ce qui concerne la suppression de la peine de mort sur tout le
continent .
21. Nous jugeons nécessaire de souligner une fois encore la position
de l’Assemblée sur cette question et proposons de réaffirmer notre
attachement à cet acquis du Conseil de l’Europe par voie d’amendement
et d’insister sur la responsabilité particulière qui incombe au
parlement de s’abstenir de toute initiative qui pourrait remettre
en cause l’adhésion de la Turquie au Conseil de l’Europe (voir proposition
d’amendement no 1). L’Assemblée reste
à l’entière disposition de la Grande Assemblée nationale de Turquie
pour dialoguer avec les parlementaires et les autorités turques
sur ce sujet.
5. Fonctionnement des institutions démocratiques au niveau local: position du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe
22. Que ce soit dans la Résolution 2121 (2016) de
l’Assemblée de juin 2016 ou dans notre rapport du 8 mars 2017, nous
avons signalé les problèmes graves auquel le sud-est de la Turquie
est confronté à la suite des opérations de sécurité qui y sont menées
depuis août 2015.
23. Dans son rapport du 10 mars 2017 , le Haut-Commissaire
des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein,
met en évidence des violations des droits de l’homme et relève de
nombreux cas de recours excessif à la force, des exécutions, des
disparitions forcées, des actes de torture, la destruction de bâtiments
d’habitation et du patrimoine culturel, l’incitation à la haine,
les entraves à l’accès aux soins médicaux d’urgence, à la nourriture,
à l’eau et aux moyens de subsistance, les violences à l’encontre
des femmes et la restriction sévère du droit à la liberté d’opinion
et d’expression ainsi qu’à la participation politique.
24. Le rapport décrit aussi les conséquences des mesures prises
dans le cadre de l’état d’urgence qui semblent avoir largement visé
l’opposition en général et les partis politiques d’opposition en
particulier, touchant de manière disproportionnée les citoyens d’origine
kurde. Le renvoi massif de fonctionnaires, en particulier d’enseignants,
les très nombreuses arrestations de députés appartenant au Parti
démocratique du peuple (HDP) et de maires dans les régions à majorité
kurde et la fermeture de la quasi-totalité des médias locaux et
nationaux en langue kurde ainsi que l’arrestation de leurs journalistes
sont particulièrement préoccupants .
25. Le 29 mars 2017, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
a examiné le rapport intitulé «mission d’enquête sur la situation
des élus locaux en Turquie» soumis par Anders Knape, Suède (L, PPE/CCE)
et Leendert Verbeek, Pays-Bas (R, SOC). Il a déploré le maintien
en détention d’un membre de la délégation turque, Nurhayat Altun,
co-maire (HDP) de Tunceli, dans la prison de type F de Kocaeli depuis
le 17 novembre 2016 alors qu’un autre membre, Serra Bucak (DBP),
a aussi été empêché de prendre part à la session de printemps de
2017 du Congrès à Strasbourg.
26. Le Congrès a adopté la Résolution 416 (2017), ainsi que la
Recommandation 397 (2017) qui demande notamment au Comité des Ministres
d’inviter les autorités turques à:
- «annuler les mesures législatives relatives aux “maires nommés par les autorités centrales” et rétablir la capacité des conseils municipaux concernés à choisir, le cas échéant, leurs maires s’ils sont empêchés d’exercer;
- veiller à ce que l’arrestation d’un élu local soit une mesure dûment fondée en droit interne, prise en conformité avec les standards du Conseil de l’Europe;
- examiner, en vue de leur libération, la situation des élus locaux actuellement en détention préventive, de manière à s’assurer qu’elle soit conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et, le cas échéant, procéder à leur libération immédiate;
- réviser les instructions ministérielles du 11 novembre 2016 en vue de dépénaliser la désignation de co-maires;
- réviser la législation turque afin d’aligner sa définition du terrorisme sur les normes européennes, notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme» .
27. Le Congrès a aussi demandé un avis de la Commission de Venise
sur la constitutionnalité des mesures du décret-loi no 674
concernant l’exercice de la démocratie locale en Turquie.
28. De même que le Congrès, nous encourageons les mécanismes de
suivi du Conseil de l’Europe, en particulier le Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) et le Groupe d’Experts sur la lutte contre la
violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO),
à demeurer très attentifs à l’évolution démocratique au niveau local.
Nous tenons à reprendre à notre compte les recommandations tout
à fait pertinentes du Congrès sur le fonctionnement des institutions
démocratiques en Turquie dans notre résolution à venir (voir la
proposition d’amendement 2).
6. Conclusions
29. La commission de suivi pourrait
décider, sur la base des informations figurant dans le présent addendum,
de déposer les amendements ci-après au projet de résolution sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie:
0.1. Amendement A: insérer, après le paragraphe 7,
le paragraphe suivant: «Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle que
le rétablissement de la peine de mort serait incompatible avec l’appartenance au
Conseil de l’Europe et exhorte la Grande Assemblée nationale turque
à s’abstenir de toute initiative susceptible de conduire à la réintroduction
de la peine capitale et de remettre ainsi en cause l’adhésion de
la Turquie au Conseil de l’Europe»;
0.2. Amendement B: ajouter, à la fin du paragraphe
11, ce qui suit: «L’Assemblée déplore que ces détentions aient suspendu
l’exercice pratique de la démocratie locale dans cette région et
débouché sur une supervision disproportionnée des administrations
locales par une mise sous tutelle et des services publics locaux
réduits, ce qui est contraire à la Charte européenne de l’autonomie
locale (STE no 122). L’Assemblée invite
instamment les autorités turques à libérer, le cas échéant, les
maires actuellement placés en détention provisoire et à rétablir
pleinement la démocratie locale dans le sud‑est de la Turquie, conformément
à la Résolution 416 (2017) et à la Recommandation 397 (2017) du
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.»
0.3. Amendement C: insérer, après le paragraphe
26.4, le paragraphe suivant: «s’assurer que la commission d’enquête
sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence soit pleinement opérationnelle
dans les meilleurs délais, et compétente pour rétablir le statu quo ante et/ou, au besoin, accorder
une indemnisation correcte, réserver un traitement prioritaire aux
requêtes les plus urgentes, y compris celles introduites par les
médias, et prendre des décisions raisonnées et individualisées, conformément
aux avis récents de la Commission de Venise».
0.4. Amendement D: remplacer
le paragraphe 28 par le paragraphe suivant: «L’Assemblée prend note
de l’adoption d’un train de 18 amendement constitutionnels par le
parlement le 21 janvier 2017 et par 51,4% des votants lors du référendum
constitutionnel du 16 avril 2017, qui entraîneront une profonde modification
et le passage d’un système parlementaire à un système présidentiel,
conférant au Président de la République des pouvoirs étendus tout
en réduisant de manière drastique le rôle de superviseur du parlement.
L’Assemblée souligne qu’il appartient uniquement aux citoyens turcs
de décider du système politique dont ils entendent se doter, à condition
que les électeurs se voient communiquer des informations suffisantes
et qu’un laps de temps raisonnable soit accordé au débat public.
0.5. Amendement E: insérer, après le paragraphe
30, le paragraphe suivant: «Au vu des conclusions provisoires de
la mission internationale d’observation du référendum conduite par
l’Assemblée parlementaire et le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme (BIDDH), l’Assemblée déplore vivement que
le référendum se soit tenu dans des conditions inéquitables, ce
qui a empêché que les deux camps en présence bénéficient des mêmes
chances pendant la campagne. De plus, la décision prise par la Commission
électorale suprême le jour du scrutin – autorisant la validation
de bulletins non tamponnés, contrairement aux dispositions de la
loi électorale de 2010 – fait peser de sérieux doutes sur la légitimité
du résultat du référendum. L’Assemblée attend en outre de la Commission
électorale suprême qu’elle examine sérieusement toutes les allégations
d’irrégularités électorales.»
0.6. Amendement F: insérer, après le paragraphe
31, le paragraphe suivant: «À
la lumière des recommandations de la Commission de Venise de mars
2017 relatives à la révision constitutionnelle, l’Assemblée décide
de suivre les développements institutionnels et de travailler avec
les autorités turques à l’élaboration éventuelle d’amendements constitutionnels
pour garantir la conformité du cadre constitutionnel et de sa mise
en œuvre aux normes du Conseil de l’Europe.»
0.7. Amendement G: supprimer le paragraphe 34.8
[concernant l’organisation du référendum constitutionnel].