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Résolution 2174 (2017)

Répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux migrations de transit en Méditerranée

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 juin 2017 (23e séance) (voir Doc. 14341, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: M. Miltiadis Varvitsiotis; et Doc. 14359, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteure: Mme Tineke Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 28 juin 2017 (24e séance).

1. Plus d’un an après l’adoption de l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, l’Assemblée parlementaire reconnaît que les mesures déployées ont produit des effets tangibles sur les défis engendrés par la crise des réfugiés et des migrations. Si, dans les semaines précédant la mise en œuvre de l’accord, près de 2 000 personnes en moyenne arrivaient chaque jour sur les îles grecques, ce nombre est tombé à moins de 100 par jour depuis lors. Quant au nombre de morts, qui atteignait 376 de début janvier au 20 mars 2016, il a diminué de façon significative durant la période 2017 correspondante – 13 personnes ont perdu la vie.
2. Depuis que l’Assemblée a examiné la question, il y a un an, la situation en Grèce a connu une certaine amélioration bien que cet État soit devenu un pays de destination où la quasi-totalité des réfugiés et des migrants récemment arrivés demandent l’asile. À l’heure actuelle, 63 000 demandeurs d’asile attendent en Grèce le résultat de la procédure de détermination de leur statut. 14 000 d’entre eux sont confinés sur les îles. Grâce à la création de «hotspots», l’accueil, l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile ont énormément gagné en efficacité et, grâce aux efforts constants déployés par les autorités grecques et d’autres acteurs pour améliorer ces procédures, ces démarches suscitent moins de préoccupations qu’auparavant. Toutefois, dans l’ensemble, les conditions d’accueil restent médiocres et la situation des mineurs non accompagnés est extrêmement inquiétante. Sur 2 000 mineurs enregistrés en Grèce, seuls 1 352 vivent dans des foyers adaptés à leurs besoins spécifiques.
3. L’Assemblée note que les craintes concernant les éventuels renvois de réfugiés syriens en Turquie en tant que «premier pays d’asile» ou «pays tiers sûr» dans le cadre de l’accord UE-Turquie ne se sont pas concrétisées: à ce jour, aucun demandeur d’asile syrien (ou d’une autre nationalité) n’a été renvoyé en Turquie sans un examen de sa demande sur le fond. Jusqu’en avril 2017, le nombre total de personnes renvoyées depuis l’accord UE-Turquie s’élève à 1 487.
4. En outre, l’Assemblée note que les craintes concernant la rétention systématique des demandeurs d’asile dans les centres de crise sont restées vaines. La pratique qui a suivi a montré que, une fois enregistrés, les demandeurs d’asile peuvent désormais entrer et sortir librement des centres. Cependant l’absence d’autres possibilités d’hébergement signifie que, hormis certaines personnes appartenant à des groupes vulnérables, la plupart n’ont d’autre choix que d’y résider même si les conditions de vie sont loin d’être satisfaisantes.
5. Il subsiste de graves préoccupations dans un grand nombre de domaines importants dont des retards d’enregistrement et de traitement des demandes d’asile, en dépit des efforts significatifs consentis par le Service grec de l’asile; la «rétention de protection» des mineurs non accompagnés dans les commissariats de police, même pour de brefs laps de temps; les procédures inappropriées d’évaluation de l’âge; l’absence de système de tutelle efficace pour les mineurs non accompagnés; la violence de nature sexuelle et fondée sur le genre dans les centres d’accueil; l’accès insuffisant à l’éducation et à la santé; et le caractère peu satisfaisant des mesures d’intégration en dépit d’un plan d’action pour l’intégration mis en œuvre par les autorités grecques. L’Assemblée prend également note tant des lacunes persistantes du cadre législatif et administratif grec que de l’absence de coordination de l’action en ce qui concerne la satisfaction des besoins fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment l’incapacité d’absorber et d’utiliser à bon escient les financements internationaux disponibles.
6. La mise en application de l’accord UE-Turquie et de la fermeture des frontières a directement entraîné une baisse de 83 % du nombre des nouvelles arrivées dans les pays des Balkans occidentaux et en Hongrie. S’agissant des migrants bloqués dans ces pays à la fin de 2016, presque tous le sont en Serbie (5 633) et en Bulgarie (5 560).
7. La mise en œuvre de l’accord UE-Turquie et la fermeture des frontières sur la route des Balkans occidentaux n’ont eu vraisemblablement aucun impact sur le nombre de personnes utilisant la route de la Méditerranée centrale entre l’Afrique du Nord et l’Italie. Certes, le nombre des arrivées en Italie a augmenté de plus de 30 % au cours des cinq premiers mois de 2017, mais ce phénomène est lié à la situation instable en Libye et à l’afflux grandissant de migrants venus de différents pays africains.
8. En Italie, même si les conditions d’accueil et les procédures d’asile s’améliorent aussi, elles requièrent une action urgente. À l’instar de la Grèce, l’Italie est devenue un pays de destination et le flux ininterrompu des arrivées massives risque de saturer les capacités d’accueil du pays. Les nouveaux arrivants, notamment les mineurs non accompagnés, restent souvent pendant une durée excessive dans les centres de crise, qui ne sont ni destinés, ni adaptés à cette fin, et la plupart d’entre eux sont alors hébergés dans des centres de premier accueil provisoires, qui sont dépourvus des installations et des services indispensables. On constate aussi des lacunes en matière de réglementation juridique des centres de crise, y compris la base de la rétention dans ces centres et le recours à la force pour contraindre les nouveaux arrivants à donner leurs empreintes digitales. Il y a aussi les graves retards dans l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile, les préoccupations au sujet de l’efficacité de la voie de recours contre le rejet des demandes d’asile et les insuffisances du système de tutelle applicable aux mineurs non accompagnés. La question du renvoi des demandeurs d’asile déboutés doit être immédiatement prise en compte; le grand nombre de migrants en situation irrégulière constitue une menace pour tout le système d’asile et pour la stabilité sociale.
9. Dans une large mesure, l’arrivée de migrants en Italie résulte d’une incapacité des autorités libyennes à contrôler leurs frontières. Tout en maintenant le niveau des opérations de recherche et de sauvetage, il faudrait que l’Union européenne multiplie ses efforts pour lutter efficacement contre les réseaux de passeurs en Méditerranée et pour renforcer la coopération avec les garde-côtes libyens. Toute coopération avec les autorités libyennes doit être fondée sur le respect effectif par les deux parties des dispositions essentielles du droit international lié aux droits de l’homme, y compris le droit de quitter un pays, le droit de demander l’asile et d’en bénéficier, et l’interdiction du refoulement.
10. L’Assemblée souligne que l’absence de voies accessibles et sûres oblige les réfugiés et les migrants à prendre des risques énormes en tentant de traverser la mer. L’utilisation des moyens légaux existants pour entrer en Europe – regroupement familial ou réinstallation, par exemple – contribuerait considérablement à réduire les migrations irrégulières en Méditerranée.
11. Par ailleurs, l’Assemblée fait référence à ses récentes résolutions concernant divers aspects des arrivées massives de réfugiés et de migrants par la Méditerranée, notamment la Résolution 2109 (2016) sur la situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, la Résolution 2147 (2017) sur la nécessité de réformer les politiques migratoires européennes, la Résolution 2118 (2016) «Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne», la Résolution 2107 (2016) sur une réponse renforcée de l’Europe à la crise des réfugiés syriens, la Résolution 2108 (2016) «Les droits de l’homme des réfugiés et des migrants – la situation dans les Balkans occidentaux», la Résolution 2088 (2016) «La Méditerranée: une porte d’entrée pour les migrations irrégulières», la Résolution 2072 (2015) «Après Dublin: le besoin urgent d’un véritable système européen d’asile», la Résolution 2089 (2016) sur le crime organisé et les migrants, et la Résolution 2136 (2016) «Harmoniser la protection des mineurs non accompagnés en Europe».
12. L’Assemblée appelle l’Union européenne:
12.1. pour ce qui est de réduire le nombre des traversées en mer et de sauver des vies:
12.1.1. à maintenir au moins le niveau actuel d’opérations de recherche et de sauvetage;
12.1.2. à renforcer la lutte contre les passeurs et les trafiquants;
12.1.3. à intensifier sa coopération avec les garde-côtes libyens et, en particulier, à assurer le financement de programmes de formation, à aider à mettre en place un centre de coordination du sauvetage maritime, à favoriser la fourniture de navires patrouilleurs supplémentaires et à assurer leur maintenance, à condition qu’il soit possible de vérifier que les garde-côtes libyens s’attachent à respecter les droits fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment en s’abstenant de les exposer à des situations où ils risquent de subir de mauvais traitements sévères;
12.1.4. à s’entendre avec les autorités libyennes pour assurer la cessation des violations extrêmement graves et étendues des droits des réfugiés et des migrants, et l’amélioration des conditions d’accueil dans les centres pour migrants, en portant une attention particulière aux personnes vulnérables et aux mineurs; à intensifier la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à cet égard; à aider les autorités libyennes à renforcer leurs capacités en matière de gestion migratoire; et à lancer des programmes de coopération avec les autorités d’accueil libyennes;
12.1.5. à mobiliser des financements pour des projets liés aux migrations en Afrique du Nord dans le cadre du Fonds d’affectation spéciale de l’Union européenne pour l’Afrique;
12.1.6. à entamer un processus de réflexion approfondie sur la possibilité d’établir des hotspots hors d’Europe dans le plein respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme;
12.2. en ce qui concerne les conditions d’accueil et de vie dans les pays de première arrivée et de transit:
12.2.1. à accroître l’assistance financière, humaine et administrative en vue d’améliorer les conditions d’accueil et de vie;
12.2.2. à assurer la transparence, le suivi et le caractère responsable des procédures de financement, et, à cette fin, à privilégier les autorités publiques comme premiers bénéficiaires lorsqu’elles ont prouvé leur aptitude à faire un usage plus efficient et efficace de ces financements que d’autres acteurs;
12.3. en ce qui concerne les procédures d’asile:
12.3.1. à ne pas renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce et en Italie en vertu du Règlement de Dublin, tant que ces pays sont confrontés à un nombre disproportionné de demandeurs d’asile;
12.3.2. à continuer de fournir l’aide nécessaire, par le biais des agences de l’Union européenne concernées, aux services d’asile nationaux des États membres en première ligne et, en particulier, à pallier l’actuel manque d’experts du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) en appelant d’autres États membres à s’engager et en prolongeant la durée du mandat des experts indépendants;
12.3.3. à revoir, et à redéfinir, s’il y a lieu, les mandats des agences en question fournissant aux services d’asile grecs et italiens des ressources et des conseils d’experts en matière financière et technique, ainsi que des moyens de coordination, et ce en vue d’éliminer les lacunes existantes et d’accroître l’efficacité de leurs actions;
12.3.4. à s’attaquer d’urgence à la question de l’hébergement et du traitement des demandes des mineurs non accompagnés;
12.3.5. à désigner un agent responsable de la protection des enfants dans chaque hotspot et dans chaque camp de réfugiés;
12.3.6. à veiller à ce que les États membres de l’Union européenne se conforment immédiatement à leurs engagements en matière de relocalisation émanant de décisions du Conseil européen et du Conseil de l'Europe, et à prendre toutes les mesures nécessaires à l’encontre des États membres qui ne respecteraient pas leurs engagements;
12.3.7. à envisager de prolonger le mécanisme de relocalisation au-delà de septembre 2017 et à redéfinir les critères d’éligibilité, notamment pour inclure les Irakiens et les Afghans;
12.3.8. à intensifier le rythme de réinstallation en provenance de Turquie;
12.3.9. à accélérer les travaux portant sur la réforme du régime d’asile européen commun, notamment en révisant le Règlement de Dublin et, dans l’avenir, les modalités d’application des principes de responsabilité et de solidarité;
12.3.10. à veiller à une pleine mise en œuvre du regroupement familial à partir de la Grèce et de l’Italie dans le respect du droit communautaire et international, dont le Règlement de Dublin et la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial;
12.3.11. à veiller à ce que les personnes ne nécessitant pas de protection internationale soient renvoyées dans leur pays d’origine en toute dignité pour autant que cela soit possible;
12.3.12. à faciliter les retours de Grèce et d’Italie par le moyen d’accords bilatéraux avec les pays d’origine des migrants;
12.3.13. à augmenter le financement des retours volontaires, notamment pour pouvoir créer des centres spéciaux à l’intention des personnes en attente de retour.
13. L’Assemblée appelle les autorités grecques:
13.1. en ce qui concerne les conditions d’accueil:
13.1.1. à continuer d’accroître les capacités d’accueil sur les îles et sur le continent, et à veiller à la fermeture immédiate de tous les sites inadaptés;
13.1.2. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que toutes les formes d’exploitation dans les centres de réfugiés;
13.1.3. à porter davantage d’attention aux besoins spécifiques des enfants séparés et non accompagnés, notamment en assurant une aide et des soins spécialisés, et des conditions de vie adéquates, et en ouvrant la voie à la normalité et à l’intégration au sein de la société d’accueil;
13.1.4. à mettre fin à la détention systématique des demandeurs d’asile déboutés et à vérifier la proportionnalité pour chaque cas individuel, conformément aux principes de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et à améliorer considérablement les conditions de détention et, dans cette perspective, à abolir la pratique consistant à détenir des migrants dans des commissariats;
13.2. en ce qui concerne les procédures d’asile:
13.2.1. à accélérer le traitement des demandes d’asile – depuis l’enregistrement jusqu’à l’appel – conformément aux normes du droit international et communautaire, et à renoncer à leur politique consistant à dénier l’accès aux programmes d’aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR) de l’OIM à ceux qui contestent les décisions négatives;
13.2.2. à adopter sans attendre des procédures opérationnelles standard, élément essentiel pour clarifier les responsabilités et pour harmoniser les procédures dans les hotspots et autres lieux de débarquement;
13.2.3. à désigner des coordinateurs permanents dans les hotspots en vue d’améliorer la coordination, d’assurer une communication et un partage d’informations efficaces entre les différents acteurs, et d’assumer la pleine responsabilité de la gestion globale de ces centres;
13.2.4. à adopter la législation en matière de tutelle conformément aux bonnes pratiques européennes, et à la mettre en œuvre dans les plus brefs délais dès son entrée en vigueur;
13.2.5. à veiller à ce que toutes les organisations non gouvernementales (ONG) impliquées dans le processus d’accueil et d’aide soient en conformité avec la réglementation comunautaire et nationale;
13.3. en ce qui concerne l’utilisation du financement de l’Union européenne:
13.3.1. à accélérer la procédure de l’utilisation du financement à long terme de l’Union européenne pour l’accueil et les structures d’hébergement;
13.3.2. à activer les programmes destinés au suivi de la situation en mer Égée en utilisant le financement à long terme de l’Union européenne;
13.3.3. à mettre en œuvre une politique d’intégration effective des personnes auxquelles le statut de réfugié est reconnu et à envisager d’englober dans son champ d’application les demandeurs d’asile dont la nationalité laisse penser que le statut de réfugié leur sera très probablement accordé.
14. L’Assemblée appelle les autorités italiennes:
14.1. en ce qui concerne les conditions d’accueil:
14.1.1. à augmenter le nombre des structures offrant des conditions adéquates d’hébergement et de traitement des demandes pour les mineurs non accompagnés et les autres demandeurs d’asile vulnérables;
14.1.2. à veiller à ce que les demandeurs d’asile ne soient pas retenus dans les hotspots au-delà de la durée légale autorisée, à augmenter le nombre de places disponibles dans les centres d’accueil permanents et à éviter l’utilisation d’installations provisoires pour l’hébergement de longue durée;
14.1.3. à établir des normes nationales applicables aux camps et centres de réfugiés, et à en renforcer le suivi et la responsabilité;
14.1.4. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que toutes les formes d’exploitation dans les centres de réfugiés;
14.2. en ce qui concerne les procédures d’asile:
14.2.1. à revoir les procédures d’asile afin d’en renforcer l’efficacité, compte tenu du nombre considérablement accru des demandes d’asile, et à veiller à ce que les voies de recours respectent les exigences procédurales d’un recours effectif;
14.2.2. à s’attaquer d’urgence à la question du traitement des demandes émanant de mineurs non accompagnés et, en particulier, à clarifier les procédures permettant la relocalisation de ces jeunes;
14.2.3. à assurer la pleine et rapide mise en application de la Loi no 47 sur les mineurs non accompagnés (dite «Legge Zampa»).
15. L’Assemblée réitère ses demandes adressées de longue date aux autorités turques:
15.1. à lever ses restrictions géographiques à l’application de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés;
15.2. à veiller à ce que tous les migrants renvoyés en Turquie dans le cadre de l’accord UE-Turquie soient traités dans le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment en matière de rétention, d’accès à l’asile et d’interdiction du refoulement;
15.3. à s’abstenir de menacer de renoncer au respect des obligations stipulées dans l’accord UE-Turquie.