1. Introduction
1. La région de la mer Baltique
occupe une position stratégique à la frontière de l’Europe nord-orientale qui,
de tout temps, a nourri les rêves impériaux des puissances régionales.
L’histoire de l’Estonie, le plus septentrional des États baltes,
est ainsi marquée par les conquêtes et les menaces constantes de
domination par des puissances étrangères, notamment la Suède, le
Danemark, l’Empire russe, l’Allemagne et l’Union soviétique. Après
avoir gagné son indépendance en 1918, l’Estonie va connaître cinquante
ans d’occupation soviétique suite à la seconde guerre mondiale et
devra attendre 1991 pour recouvrer son indépendance. Depuis que
les dernières troupes russes ont quitté le pays en 1994, l’Estonie
a renforcé ses liens économiques et politiques avec l’Europe occidentale;
elle est devenue membre de l’Union européenne en mai 2004 et membre
de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en avril
2004, et a adopté l’euro comme monnaie.
2. Dans la dernière étude «Indicateurs de gouvernance durable»
,
l’Estonie s’impose comme l’ancienne république soviétique la plus
performante, mais également parmi les mieux classés de tous les
pays. Du point de vue de
l’indicateur
de performance des politiques menées (Indicateurs de gouvernance durable, performance des
politiques menées), qui mesure la qualité des politiques économiques,
sociales et environnementales, l’Estonie se place en septième position
et n’est devancée que par la Suède, la Norvège, la Finlande, le
Danemark, la Suisse et l’Allemagne. Ce classement témoigne de la
transformation réussie de l’Estonie d’une autocratie à économie
centralisée en une démocratie basée sur le marché.
3. L’Estonie est un petit pays avec une superficie de 45 228
km2, une population de 1 317 800 habitants
et
une densité de population de 29 habitants/km2.
Compte tenu de sa faible population, le pays a pris la décision
politique d’investir massivement dans les nouvelles technologies
de l’information pour promouvoir l’efficience et l’innovation. L’Estonie
(«e-Estonie») est une nation à la pointe du numérique
.
4. En décembre 2014, l’Estonie a lancé un programme d’«e-résidence»,
sous la forme d’une identité numérique sécurisée permettant aux
non-résidents d’accéder aux services électroniques estoniens depuis n’importe
quel pays du monde, et notamment en matière de création d’entreprises,
d’opérations bancaires, de traitement des paiements et de fiscalité.
La résidence électronique offre la possibilité à quiconque dans
le monde d’obtenir une identité numérique délivrée par le gouvernement
et de gérer une entreprise digne de confiance en ligne. Ce statut
d’«e-résident», sans rapport avec le statut de citoyenneté, ne donne
pas le droit d’entrer ou de résider en Estonie.
5. L’Estonie est devenue le 27e État
membre du Conseil de l’Europe le 14 mai 1993. Au moment de son adhésion,
elle s’est engagée à respecter les obligations qui incombent à tout
État membre au titre de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe
(STE no 1) concernant la démocratie pluraliste,
la prééminence du droit et les droits de l’homme. Une procédure
de suivi la concernant a été engagée en vertu de la
Directive 488 (1993), puis de la
Directive
508 (1995). L’Estonie a été le premier pays d’Europe centrale et
orientale pour lequel l’Assemblée parlementaire a clos la procédure
de suivi sur le respect des obligations et engagements au moyen
de la
Résolution 1117
(1997). La procédure de suivi a été remplacée par un dialogue
postsuivi axé sur les domaines suivants: le traitement des réfugiés
et des demandeurs d’asile, la minorité russophone «non historique»,
ainsi que les conditions de garde à vue ou de détention et l’abolition
de la peine de mort. Le dialogue postsuivi concernant l’Estonie
a pris fin en décembre 2000.
6. Au 23 octobre 2017, l’Estonie avait ratifié 101 traités du
Conseil de l’Europe et signé 12 traités additionnels sans ratification.
Elle a ratifié le Protocole no 16 à la
Convention européenne des droits de l'homme (STCE no 214)
le 31 août 2017, la Convention sur la lutte contre la traite des
êtres humains (STCE no 197) le 5 février
2015 et la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (STCE no 201) le
22 novembre 2016. Elle a signé la Convention sur la prévention et
la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE no 210) le 2 décembre
2014 et le Protocole additionnel à la Convention pour la prévention
du terrorisme (STCE no 217) le 22 octobre
2015.
7. Ce rapport périodique a été élaboré en application de la
Résolution 2018 (2014) et de la note explicative approuvée par la commission
le 17 mars 2015. Il repose, entre autres, sur les plus récentes
conclusions des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, les
rapports de l’Assemblée parlementaire et du Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l’Europe et, le cas échéant, sur les rapports
établis par d’autres organisations internationales et la société
civile.
8. Ce rapport périodique ne se conçoit pas comme une étude exhaustive,
mais comme une analyse des développements intervenus en Estonie
eu égard aux normes du Conseil de l’Europe. Il porte plus spécifiquement
sur des points essentiels identifiés par le rapporteur sur la base
des évolutions géopolitiques, politiques et sociales et des rapports
des mécanismes de suivi. Après avoir examiné l’évolution des institutions politiques
dans le pays ces dernières années, le rapporteur s’est consacré
à l’étude des relations entre l’Estonie et la Fédération de Russie,
par laquelle passe la compréhension de bien des problématiques dans ce
pays. Le rapporteur a accordé une attention toute particulière aux
questions de citoyenneté et d’apatridie, ainsi qu’à la situation
de la minorité russe dans le pays. En tant que pays ultra-connecté,
l’Estonie est un exemple de démocratie électronique avec ses mécanismes,
ses défis et ses menaces propres. Doté d’un système judiciaire efficace
et indépendant qui a la confiance des citoyens, c’est un pays où
prévaut globalement le principe de la prééminence du droit. Bien
que l’Estonie soit habituellement considérée comme l’un des pays
les moins corrompus d’Europe centrale et orientale, elle n’a pas
été épargnée par la corruption politique ces dernières années. Dans
le domaine des droits de l’homme, le rapporteur n’a pas identifié
de problème systémique inquiétant, comme en témoigne le nombre limité
de violations de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) constatées concernant l’Estonie.
Plusieurs questions spécifiques en matière de droits de l’homme
sont ici examinées.
9. Je tiens à remercier la délégation estonienne auprès de l'Assemblée
parlementaire et les autorités estoniennes pour leur coopération
active et constructive, et à saluer les commentaires approfondis
fournis par un certain nombre d'institutions en Estonie. Alors que
l’avant-projet de rapport saluait déjà les évolutions positives
observées dans le pays concernant la mise en œuvre des normes du
Conseil de l'Europe, des développements positifs sont intervenus
depuis l’examen préliminaire par la commission de suivi en mai 2017. Ces
faits nouveaux sont reflétés dans le présent rapport.
2. Contexte
10. Selon l’étude Eurobaromètre
Standard 85 de 2016 de la Commission européenne
, les Estoniens sont plus nombreux
que la moyenne des Européens à avoir confiance dans leurs principales
institutions. Leur confiance dans les grandes institutions publiques
reste forte, et notamment dans leur système juridique et leur gouvernement,
où elle est plus élevée que la moyenne de l’Union européenne. Respectivement
80 % et 78 % des citoyens estoniens ont confiance dans la police
et les forces armées; ce chiffre est de 62 % pour le système juridique,
53 % pour les autorités municipales et 53 % pour l’administration
publique. Les pourcentages de confiance dans le gouvernement (43 %),
le parlement (33 %) et les partis politiques (14 %) sont aussi plus
forts que la moyenne de l’Union européenne
. Par rapport à l’Eurobaromètre Standard
84 de 2015
, si la confiance dans le Parlement
(le Riigikogu) et les partis politiques s’est quelque peu effritée,
elle a augmenté en 2016 concernant les autorités municipales et
l’Union européenne (de respectivement 8 % et 4 %).
11. L’Estonie est une démocratie parlementaire avec un parlement
monocaméral. Le Parlement estonien (le Riigikogu), qui compte 101
membres, est élu au scrutin de liste par circonscription à la représentation proportionnelle.
Le chef du gouvernement est le Premier ministre, et généralement
le chef du parti qui a obtenu le plus de sièges au parlement ou
un nombre suffisant pour former une coalition majoritaire. Le Président,
qui n’est qu’une figure symbolique sans pouvoir exécutif, est élu
par le Riigikogu ou un collège électoral spécial pour un mandat
de cinq ans. Le collège électoral est convoqué si aucun des candidats
n’a obtenu la majorité des deux tiers au Riigikogu à l’issue de
trois tours de scrutin. Formé de l’ensemble des membres du Riigikogu et
de représentants élus des collectivités locales, il élit le Président
en choisissant entre les deux candidats ayant obtenu le plus fort
pourcentage de suffrages aux premiers tours de scrutin.
12. Mme Kersti Kaljulaid, ancienne
fonctionnaire de l’État qui a représenté l’Estonie à la Cour des
comptes européenne de 2004 à 2016, a été élue Présidente de l’Estonie
en octobre 2016. Les trois tours de scrutin au parlement n’ayant
permis à aucun candidat d’obtenir la majorité requise, deux tours
de scrutin ont été organisés au collège électoral, qui n’est pas
non plus parvenu à désigner un président parmi les cinq candidats en
lice. Les six partis siégeant au parlement se sont alors mis d’accord
pour proposer un unique candidat.
13. L’Estonie a été durement touchée par la crise financière internationale
de 2008-2009. Le gouvernement de coalition de droite composé du
Parti de la réforme et de l’Union Pro Patria et Res Publica a adopté
des politiques d’austérité rigoureuses. De 2005 à 2014, le Premier
ministre M. Andrus Ansip, chef du Parti libéral de la réforme, a
été à la tête de trois coalitions gouvernementales. À l’approche
des élections nationales de 2015, la cote du gouvernement de coalition
était en baisse du fait notamment des mesures d’austérité qui se prolongeaient
et du scandale entourant le financement des partis. Et, en février
2014, M. Andrus Ansip a démissionné de ses fonctions de Premier
ministre pour permettre au Parti de la réforme de choisir un nouveau chef
avant les élections nationales de 2015.
14. Les élections législatives (au Riigikogu) de 2015, qui se
sont tenues le 1er mars 2015
,
ont été éclipsées par les inquiétudes sécuritaires suscitées par
l’annexion de la Crimée par la Russie. Elles ont aussi été marquées
par une vague de populisme autour de problématiques sociales et
par la politisation de la question des réfugiés et de ses répercussions
socioculturelles.
15. Le Parti de la réforme au pouvoir, nouvellement dirigé par
M. Taavi Rõivas, a obtenu 30 des 101 sièges au parlement. Le Parti
centriste, dirigé par le maire de Tallinn, M. Edgar Savisaar, populaire
parmi l’importante minorité russe, est arrivé en deuxième position
avec 27 sièges. Le Parti social-démocrate est arrivé troisième avec
15 sièges. À droite, l’Union Pro Patria et Res Publica a perdu 6,8 %
de ses voix en ne conservant que 14 sièges. Le Parti de la liberté
(nationaliste, conservateur et contestataire), avec 8 sièges, et
le Parti populaire conservateur d’Estonie (extrême droite populiste
et contestataire) avec 7 sièges, ont fait leur entrée au parlement.
16. De longues négociations ont abouti à la formation d’une coalition
composée du Parti de la réforme, du Parti social-démocrate et de
l’Union Pro Patria et Res Publica Union (IRL). Le Parti de la réforme
avait déjà formé des coalitions avec le Parti social-démocrate et
l’IRL, qui ont successivement gouverné à ses côtés.
17. Le 9 novembre 2016, le Gouvernement de l’Estonie est tombé
après que deux partis minoritaires de la coalition ont réclamé le
départ du Premier ministre, M. Taavi Rõivas, et que l’opposition
a déposé une motion de censure au parlement qui a entraîné sa démission.
Les travaux du gouvernement avaient été entravés par de profonds
différends politiques entre le Parti de la réforme et ses partenaires
de coalition, le Parti social-démocrate orienté à gauche et l’IRL
conservateur. Des visions conflictuelles au sujet de la fiscalité
et de l’amélioration de l’état de l’économie du pays, jugée stagnante
par les deux partenaires minoritaires de la coalition, on fait partie
des causes de l’éclatement. La Présidente estonienne, Mme Kersti
Kaljulaid, a appelé les chefs des six partis siégeant au parlement
à former un nouveau gouvernement.
18. Le remplacement de M. Edgar Savisaar par M. Jüri Ratas à la
tête du Parti centriste en novembre 2016 a amené des factions politiques
qui avaient déclaré ne pas vouloir travailler avec son parti à entrer
dans le débat sur la formation du nouveau gouvernement. M. Jüri
Ratas a pris ses distances par rapport à la politique et l’image
pro-russes et anti-OTAN de M. Edgar Savisaar.
19. Le 23 novembre 2016, le Parlement estonien a fait prêter serment
au nouveau gouvernement formé du Parti centriste, du Parti social-démocratie
et de l’Union Pro Patria et Res Publica (avec 56 sièges sur 101).
Le candidat du Parti centriste, M. Jüri Ratas, a été nommé Premier
ministre, et à chacun des trois partis ont été confiés cinq portefeuilles
ministériels. Les partenaires de la nouvelle coalition ont insisté
sur la nécessité de poursuivre la politique actuelle du pays en
matière de défense et de politique étrangère, sur la base de l’alliance
avec les pays de l’OTAN, et l’activité de l’Estonie au sein de l’Union
européenne (qui a exercé la présidence du Conseil de l’Union européenne
du 1er juillet au 31 décembre 2017).
3. Relations
entre l’Estonie et la Fédération de Russie
20. Le réalignement de l’Estonie
sur l’Occident au niveau international suite à la reconquête de
son indépendance en 1991 s’est traduit par des relations tendues
avec la Fédération de Russie. Des différends sont apparus au sujet
de traités de délimitation des frontières et d’accords de transit,
et des divergences de vues officielles se sont manifestées à propos
de la période d’occupation soviétique, des prix du gaz, de la sécurité
énergétique et du statut de la minorité russe.
21. L’un des héritages de l’annexion soviétique est l’importante
minorité russe. La période 1944-1991, en particulier, a été caractérisée
par une immigration massive en provenance de diverses régions de
l'Union soviétique vers l'Estonie, dont l'une des particularités
est qu'une population relativement nombreuse, dont la langue maternelle
n'est pas l'estonien, s'est formée en très peu de temps. Le statut
de cette minorité russe (25 % de la population selon le recensement
de 2011) est sujet à controverse. D’un côté, la politique officielle de
la Russie, qui accuse l’Estonie de discrimination, consiste à assumer
sa responsabilité vis-à-vis de ces minorités contraintes de vivre
hors de leur État-nation depuis la chute de l’Union soviétique.
D’un autre côté, l’Estonie dénonce la politique étrangère de la
Russie et sa conception «d'étranger proche» visant à intégrer dans
sa «sphère d’influence» des pays d’importance stratégique. Les autorités
estoniennes ont accusé la Russie d’instrumentaliser la minorité
russe à des fins politiques et de l’utiliser comme prétexte et comme justification
pour exercer davantage d’influence sur les affaires intérieures
du pays
. Selon le Service de la sécurité
intérieure estonienne
: «La principale inquiétude réside
dans les tentatives déployées par des organes russes, y compris
les services spéciaux, pour influer sur la politique intérieure
de l’Estonie. À différentes époques, divers organes de la Russie
ont tenté une approche active de l’Estonie, qui s’est avérée être
menée essentiellement au prétexte politique de ses compatriotes
qui y vivent.» D’après le Service de la sécurité intérieure estonienne,
les activités d’influence de la Russie ont lieu par le biais d’outils
de politique étrangère en matière d’espionnage et dans les domaines
politique, militaire et économique.
22. Les relations entre l’Estonie et la Russie ont effectivement
été un peu plus fragilisées par la crise ukrainienne et les craintes
des autorités estoniennes au sujet de la sécurité de leur propre
frontière avec la Russie. L’Estonie et d’autres pays baltes se sont
alarmés de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et
de son soutien militaire dans d’autres territoires orientaux de
l’Ukraine, craignant pour leur propre sécurité nationale. Il y a
eu plusieurs cas d’intrusion aux frontières et d’arrestation de
citoyens baltes par la Russie. En septembre 2014, les forces russes
ont enlevé un agent estonien du Service de la sécurité intérieure,
M. Eston Kohver, qui a été remis aux autorités estoniennes le 26
septembre 2015 après qu’un accord d’échange a été conclu avec les
Russes. Les autorités estoniennes estiment que l’annexion de la Crimée
par la Russie et le recours à de nouvelles formes de guerre «hybrides»
dans l’est de l’Ukraine soulèvent des questions délicates concernant
la sécurité intérieure de l’Estonie. Guerre de propagande, désinformation,
attaques contre les systèmes d’information et de communication et
pression psychologique seraient autant d’outils non militaires utilisés
par la Russie pour exercer des pressions et influer sur l’attitude du
pays.
23. En réponse aux demandes des États baltes et de la Pologne,
l’OTAN a renforcé ses défenses en déployant par rotation des bataillons
multinationaux dans ces pays et en intensifiant la fourniture d’équipements
de défense militaire. La Russie dénonce la présence accrue de l’OTAN
dans les États baltes
.
24. Après plus de 20 ans de désaccord depuis la chute de l’Union
soviétique et l’indépendance des États baltes en 1991, la Fédération
de Russie et l’Estonie ont signé le 18 février 2014 des traités
de délimitation des frontières nationales et des espaces maritimes
.
Lors de la signature des traités, il a été convenu que leur ratification
par les parlements s’effectuerait en parallèle. Le Riigikogu a achevé
le 25 novembre 2015 la première lecture du projet de loi sur la
ratification du traité sur la frontière d’État entre la République
d’Estonie et la Fédération de Russie et du traité sur la délimitation
des espaces maritimes de la baie de Narva et du golfe de Finlande.
Du côté russe, la Duma n’a pas encore entamé le processus de ratification.
25. Comme l'ont souligné les autorités estoniennes
, une coopération culturelle entre
l'Estonie et la Russie a eu lieu par le biais de projets dans les
domaines de l'éducation, des sciences, de la jeunesse et des langues. La
coopération transfrontalière entre l'Estonie et la Russie s'est
développée, notamment dans le cadre de programmes de coopération,
financés en grande partie par l'Union européenne, visant à soutenir
le développement et la compétitivité des régions frontalières.
4. Démocratie
4.1. Démocratie
électronique
26. En investissant dans les possibilités
offertes par l’internet et dans la valeur ajoutée de l’innovation, l’Estonie
est devenue l’une des nations les plus avancées au monde sur le
plan numérique. Elle a inscrit l’accès à l’internet parmi les droits
de l’homme et numérisé un nombre extraordinaire de services publics.
L’État estonien propose aujourd’hui 600 services électroniques à
ses résidents et tient 2 400 services électroniques à la disposition
des entreprises. L’Estonie est reconnue pour sa politique de gouvernance
électronique et ses réalisations significatives en matière de transparence
et d’accessibilité du gouvernement. Les élections se déroulent en
ligne; c’est aussi le premier pays au monde à s’être doté d’un «e-gouvernement»
(zéro papier)
. L’Estonie dispose d’un système
d’identité électronique, avec une carte électronique qui permet
d’établir la preuve de l’identité des résidents estoniens, en ligne
comme hors ligne.
27. En Estonie, le rapide développement des technologies de l’information
se fait au prix d’une intensification des cybermenaces qui pèsent
sur la sécurité nationale. Compte tenu de sa forte dépendance vis-à-vis
des ordinateurs, le pays est fortement vulnérable aux cyberattaques.
Selon le Service de renseignement étranger de l’Estonie
, la capacité renforcée de la Russie
à conduire des attaques informatiques constitue une menace majeure
pour le cyberespace estonien (voir aussi la section 3 ci-dessus et
le chapitre 6.5 ci-dessous).
4.2. Vote
par internet
28. L’Estonie a été le premier
pays à utiliser le vote par internet
, pour les élections municipales
de 2005, puis pour les élections générales en 2007. Le vote par
internet (i-vote ou vote en ligne) vient s’ajouter aux méthodes
de vote classiques. Jusqu’à présent, le vote par internet avec des
résultats juridiquement contraignants a été mis en œuvre huit fois
en Estonie
.
29. En mai 2014, après avoir procédé à une évaluation de la sécurité
du système estonien de vote par internet, les chercheurs ont soulevé
la question de ses vulnérabilités
. De cette évaluation, il est ressorti
que le système estonien de vote par internet pouvait être une cible
attrayante pour certains États
,
comme la Russie. De l’avis des chercheurs, il subsiste des défaillances
dans la sécurité du point de vue des procédures et du fonctionnement
du système qui, du fait de son architecture, reste vulnérable aux
cyberattaques de puissances étrangères. Ces attaques pourraient
potentiellement modifier les votes ou générer des contestations
concernant les résultats des élections. La Commission électorale
nationale de l’Estonie aurait publié une réponse indiquant que ces
affirmations ne justifiaient pas de suspendre le vote par internet
tandis que, selon l’organe estonien de contrôle du système d’information
, ces critiques auraient une visée
plus politique que technique. Selon les autorités
, l'étude de 2014 ne correspond plus
au système actuel de vote par internet en Estonie. Elles renvoient
à une autre étude de l'université d'Oxford de 2016
, qui souligne l'état impressionnant
des contrôles des procédures et du fonctionnement, ainsi que les
mesures de transparence du système. Parallèlement, des problèmes
demeurent, notamment du point de vue du potentiel croissant d'attaques
nettement plus sophistiquées et de la nécessité pour le système
de s'adapter afin de prendre en compte cette évolution.
30. Lors des élections générales du 1er mars
2015, le vote par internet a représenté 30,5 % de l’ensemble des
suffrages. Selon le rapport du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH)
, les citoyens ont une grande confiance
dans la fiabilité et la sécurité du vote électronique et estiment
qu’il est administré de façon efficace et conformément au cadre
juridique, bien qu’il soit possible d’envisager des mesures supplémentaires
pour renforcer la transparence et la responsabilité du processus.
31. Depuis les élections législatives, plusieurs modifications
ont été adoptées concernant le vote par internet afin de satisfaire
à plusieurs recommandations de l’OSCE/BIDDH. Une des avancées majeures
a été la création en 2012 d’une Commission de vote électronique,
sous l’égide de la Commission électorale nationale, chargée d’organiser
le vote par internet et d’en contrôler les résultats. La Commission
électorale nationale a mis en place un processus de vérification
qui permet aux électeurs de confirmer que leur vote en ligne a été exprimé
comme ils le souhaitaient et enregistré sur le serveur de stockage
des votes, ce qui répond en partie à une recommandation antérieure
de l’OSCE/BIDDH. La loi sur les élections n’exige pas de certification formelle
du système de vote électronique par une organisation indépendante,
ce qui limite quelque peu la transparence et la responsabilité du
système. Aux élections de 2015, la Commission électorale nationale
a engagé un auditeur pour qu’il évalue la conformité du système
de vote électronique aux exigences procédurales et a publié un résumé
de ses rapports de vérification.
32. Parmi ses recommandations prioritaires
, l’OSCE/BIDDH a invité les autorités
à poursuivre leurs efforts visant à inclure dans leur système de
vote électronique une possibilité de vérification «de bout en bout»,
afin de renforcer la responsabilité du système en vérifiant que
les votes sont comptabilisés tels qu’ils ont été enregistrés. Selon
le «Cadre général du vote électronique et de sa mise en œuvre lors
des élections nationales en Estonie» publié en juin 2017 par le
Bureau central des élections de l'Estonie
, le système de vote électronique
permet une vérification «de bout en bout» dans la mesure où les
données d'entrée et de sortie de chaque processus peuvent être vérifiées
mathématiquement. Selon une autre recommandation de l’OSCE/BIDDH,
les autorités devraient envisager d’instaurer un processus formel
pour la certification «de bout en bout» du système de vote électronique
par un organe indépendant, conformément aux lignes directrices du Conseil
de l’Europe, qui ne semblent pas encore avoir été mises en œuvre.
4.3. Démocratie
locale
33. D’une manière générale, la
situation de la démocratie locale en Estonie est satisfaisante,
même si le pays est actuellement confronté à des défis spécifiques.
Le 29 mars 2017, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du
Conseil de l’Europe a adopté la
Recommandation
401 (2017) sur la démocratie locale en Estonie saluant les initiatives
des institutions estoniennes pour engager un processus de réforme
de la structure territoriale du pays aux niveaux local et national,
ainsi que la révision de la loi sur le budget de l’État afin de renforcer
l’interaction entre l’État et les collectivités locales au sujet
des postes budgétaires. Toutefois, le Congrès recommande notamment
aux autorités estoniennes de clarifier leur législation concernant
la répartition des fonctions entre les collectivités locales et
l’État et de modifier la législation interne afin d’accorder une
plus grande autonomie financière aux collectivités locales.
5. Droits
de l’homme
5.1. Citoyenneté,
apatridie, protection des minorités
34. L’un des héritages de l’histoire
de l’Estonie est l’importante minorité russe (environ un quart de
la population, selon le recensement de 2011), dont le statut est
sujet à controverse. Certains, dont le Gouvernement russe, critiquent
les exigences requises pour l’obtention de la citoyenneté estonienne, notamment
la nécessité de prouver que l’on maîtrise la langue estonienne,
qui ont placé la plupart des Russes dans une situation d’apatridie
suite à l’indépendance. En Estonie, les apatrides sont officiellement
qualifiés de «personnes de nationalité indéterminée»
. Selon les
autorités, les résidents de longue durée réputés avoir une nationalité
indéterminée peuvent exercer tous les droits sociaux, économiques
et culturels sur un pied d'égalité avec les citoyens estoniens.
Ils ont des documents de voyage, des permis de séjour, le droit
à l'égalité de traitement, l'accès aux services sociaux. Ils ont
le statut de ressortissants de pays tiers résidents de longue durée
dans l'Union européenne, ce qui garantit également des droits étendus
de circulation et d'accès à l'emploi dans toute l'Union européenne.
Les personnes de nationalité indéterminée peuvent voyager sans visa dans
l'Union européenne et en Russie. Les «personnes de nationalité indéterminée»
ont le droit de vote aux élections locales, mais pas le droit de
voter ou de se présenter en tant que candidat aux élections législatives. Alors
que ces personnes peuvent participer aux activités des partis politiques
et faire des dons aux partis ou à leurs candidats, elles n’ont pas
le droit d’adhérer aux partis, en dépit d’une recommandation contraire
de l’OSCE/BIDDH
.
35. Dans leurs commentaires
,
les autorités rappellent que les membres des différentes nationalités
en Estonie ne se sont toujours pas totalement remis de la disparition
de l'Union soviétique, bien que plus de vingt ans se soient écoulés
depuis, et que, dans ce contexte, il a fallu trouver un compromis
concernant le statut de la minorité russe: tous les résidents estoniens
qui avaient la nationalité soviétique peuvent s'enregistrer en tant que
citoyens de la Fédération de Russie, l'État successeur de l'URSS,
ou en tant que citoyens d’une ancienne république socialiste soviétique.
Les «personnes de nationalité indéterminée» qui vivent en Estonie
sur la base d'un permis de séjour de résident de longue durée peuvent
demander la nationalité estonienne. Les autorités estoniennes
soutiennent
que le fait de ne pas avoir de nationalité ne les empêchant pas
de vivre en Estonie, les «personnes de nationalité indéterminée»
ne demandent pas la nationalité estonienne. Le nombre de «personnes
de nationalité indéterminée» baisse régulièrement; il est passé
d'environ 500 000 en 1992 (soit 32 % de la population estonienne)
à 78 107 (presque 6 % de la population) au 1er août
2017
, dont la majorité est russe.
36. Les conditions régissant la naturalisation ordinaire
sont les suivantes:
le demandeur a un permis ou un droit de séjour et réside dans le
pays depuis huit ans, dont les cinq dernières années de façon permanente (à
la suite d’une modification apportée en janvier 2016 à la loi sur
la citoyenneté, ces cinq années de résidence permanente peuvent
ne pas être consécutives); il a un revenu légal permanent; il connaît
la langue et la Constitution et la loi sur la citoyenneté de l'Estonie
(test de citoyenneté); il promet fidélité au pays; et il renonce à
la citoyenneté de tout autre pays.
37. Ces dernières années, les autorités estoniennes ont effectivement
pris des mesures significatives pour réduire l’apatridie. Le 21
janvier 2015, la loi sur la citoyenneté a été modifiée afin de simplifier
les modalités de naturalisation pour plusieurs catégories de personnes,
y compris les enfants. Les modifications, entrées en vigueur le
1er janvier 2016, ont notamment aboli
(concernant les nouveau-nés) le principe du
jus
sanguinis et accordé rétroactivement la citoyenneté aux
enfants apatrides de moins de quinze ans nés en Estonie; elles ont supprimé
l’épreuve écrite de l’examen de langue pour les personnes âgées
de plus de 65 ans; et autorisé la double nationalité pour les mineurs,
qui seront par conséquent obligés de choisir un pays de citoyenneté
dans les trois ans suivant la date de leur dix-huitième anniversaire.
Les modifications ne concernent pas les adolescents entre 16 et
18 ans, et les enfants nés de parents non ressortissants hors du
territoire estonien ne peuvent toujours pas prétendre à l’acquisition
automatique de la citoyenneté estonienne. Selon les autorités
, les mineurs âgés de 15 à 18
ans ne peuvent pas obtenir automatiquement la citoyenneté estonienne,
mais ils peuvent en faire la demande s'ils le souhaitent.
38. Dans son dernier
avis sur la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (STE no 157)
,
le Comité consultatif note que, en dépit des efforts déployés par
les autorités pour faciliter l’acquisition de la nationalité par
les apatrides, et notant que ces personnes disposent généralement
des mêmes droits que les citoyens hormis ceux de se porter candidat
aux élections et de voter aux élections législatives, de créer ou
d’adhérer à un parti politique et de travailler dans la fonction
publique, plus de 6 % de la population d’Estonie n’est toujours
pas en mesure de participer pleinement à la vie démocratique du
pays parce qu’elle n’en a pas la nationalité. Dans sa dernière résolution
sur
la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales par l’Estonie, le Comité des Ministres recommande de continuer
à réduire le nombre de personnes sans citoyenneté en facilitant
l’accès à la citoyenneté aux résidents de longue durée.
39. Selon Human Rights Watch
, les implications pour les enfants
qui ne sont pas couverts par les récentes modifications peuvent
être énormes (notamment pour les adolescents entre 16 et 18 ans,
et les enfants nés de parents non ressortissants hors du territoire
estonien, qui ne peuvent toujours pas prétendre à l’acquisition automatique
de la citoyenneté estonienne). Tout en reconnaissant que les apatrides,
en Estonie jouissent d’un statut juridique spécial et que les enfants
peuvent accéder à l’éducation et aux soins de santé quasiment sur un
pied d’égalité, Human Rights Watch renvoie à un rapport du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui indique qu’un défaut
de citoyenneté et d’identité peut exposer les enfants à la discrimination et
les affecter psychologiquement. Il est écrit dans ce rapport que
«[l]es enfants apatrides à travers le monde partagent les mêmes
sentiments de discrimination, de frustration et de désespoir. (…)
Les problèmes subis par les enfants apatrides peuvent demeurer durant
toute leur vie d’adulte
».
40. En janvier 2017, le Premier ministre de l’Estonie et chef
de file du Parti centriste a déclaré que l’octroi de la citoyenneté
à toute personne vivant en Estonie depuis au moins 25 ans, ou depuis
1991, serait l’un des points forts de la campagne de son parti aux
prochaines élections, car cette mesure renforcerait la cohésion de
la société estonienne. Cette proposition a suscité des critiques
concernant notamment son positionnement pro-Kremlin.
41. Le rapporteur comprend bien le contexte historique spécifique
dans lequel s’inscrit la question de la naturalisation en Estonie
et les préoccupations exprimées par les autorités à cet égard. Il
encourage néanmoins les autorités à étudier toutes les possibilités
pour mettre un terme à la situation préoccupante des apatrides.
42. L’Estonie a ratifié la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (CCPMN) en 1997, mais n’a ni signé ni ratifié
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
no 148).
43. Dans son dernier avis sur la CCPMN, le Comité consultatif
note que des politiques et dispositions législatives fortes sont
destinées à protéger la langue estonienne et à garantir sa prédominance
dans tous les domaines de la vie publique. L’Inspection linguistique
est dotée de vastes compétences dont celle de contrôler le niveau
de maîtrise de la langue des employés, d’imposer aux personnes concernées
de passer l’examen de compétence en langue estonienne, de recommander
la résiliation du contrat de travail d’employés ou de fonctionnaires
dont la maîtrise de la langue estonienne ne correspond pas au niveau
requis et d’infliger des amendes pour manquement à la loi sur les
langues. Au cours des sept dernières années, l’estonien est devenu la
principale langue d’enseignement dans les lycées russophones (deuxième
cycle du secondaire), où 60 % des cours sont dispensés dans cette
langue. En conséquence, certains établissements ont dû sacrifier
leur identité spécifique et adapter leur programme aux possibilités
d’embauche d’enseignants qualifiés aptes à enseigner en estonien
.
44. Dans sa dernière résolution
sur
la mise en œuvre de la CCPMN par l’Estonie, le Comité des Ministres recommande
de contrôler la mise en œuvre effective de l’obligation de 60 %
de l’enseignement en estonien dans les écoles en langue russe du
secondaire. Il recommande également d’accroître les efforts afin
d’assurer la mise en œuvre souple de la loi sur les langues et une
politique de mesures d’incitation positives.
45. Les autorités affirment
que l'Estonie
offre un enseignement gratuit dans des langues autres que la langue
officielle de l’État. En particulier, un enseignement en russe est
proposé à tous les niveaux – préscolaire, élémentaire et secondaire
– dans les écoles publiques et privées, ainsi que dans les écoles professionnelles
et dans certains établissements de l’enseignement supérieur.
46. Les autorités devraient envisager de signer et de ratifier
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
47. De l’avis du Comité consultatif, les conditions requises pour
l’affichage des indications topographiques destinées au public dans
les langues minoritaires, parallèlement à l’estonien, devraient
être réexaminées. Malgré les dispositions législatives sur l'affichage
des noms locaux traditionnels, des noms de rues et d'autres indications
topographiques mentionnées par les autorités
, les villages qui auraient
pourtant le droit de le faire n’utilisent aucune inscription en
langue russe dans la pratique (alors que des inscriptions en suédois
sont utilisées dans certaines régions) et le cadre juridique limite
la possibilité d'afficher des indications dans les langues des minorités
nationales aux petites communes ou villages.
48. Dans les régions où elles résident traditionnellement ou en
grand nombre, les personnes appartenant à des minorités nationales
devraient avoir la possibilité effective d’utiliser leur langue
minoritaire dans leurs relations avec les autorités locales. Le
rapporteur prend note de l'explication avancée par les autorités concernant
le droit d'utiliser une langue minoritaire nationale dans les relations
avec l'administration publique locale. Pour le Comité consultatif
de la CCPMN, le seuil de 50 % de résidents requis est prohibitif,
n'est pas compatible avec la CCPMN et devrait être abaissé. L’utilisation
de «langues étrangères», y compris les langues des minorités nationales,
est possible dans les échanges oraux si les deux parties sont d’accord,
ce qu’il convient de saluer. Ainsi, comme l'a noté le Comité consultatif,
dans les communes du comté d'Ida-Virumaa où vit un grand nombre
de membres de la minorité russe, les employés et fonctionnaires
municipaux, qui souvent sont eux-mêmes russophones, communiquent
en russe avec les personnes appartenant aux minorités nationales.
Les autorités affirment que des plaintes ont même été déposées auprès
de l'Inspection linguistique au sujet des difficultés à communiquer
en estonien dans cette région.
49. Là encore, le rapporteur comprend le contexte spécifique du
pays et les préoccupations exprimées à cet égard par les autorités,
qu’il encourage à faire le maximum pour mettre en œuvre les recommandations mentionnées
ci-dessus.
50. Concernant les élections, le rapport de l’OSCE/BIDDH sur les
élections de mars 2015
notait une tendance positive, de
la part des partis de l’ensemble de l’échiquier politique, à inscrire
sur leurs listes des candidats appartenant aux minorités nationales,
parfois même en bonne place, ainsi que les efforts accrus des partis
et des candidats pour toucher les électeurs russes, y compris au
moyen de campagnes d’information en russe. Le site web de la Commission
électorale nationale n’a donné de précisions sur les élections qu’en estonien,
et seules quelques informations générales étaient également accessibles
en anglais. Les instructions de vote envoyées aux électeurs et les
informations figurant dans les bureaux de vote et sur les bulletins
n’étaient rédigées qu’en estonien. Quelques informations sur le
vote par internet étaient consultables en russe et en anglais. Les
autorités font valoir que seuls les ressortissants nationaux (qui,
par définition, parlent estonien) pouvaient voter aux élections
législatives et que les informations sur les élections étaient publiées
dans les médias locaux russophones. Le rapporteur se félicite de
cette évolution positive concernant la participation des minorités
nationales au processus électoral. Il considère que si les informations
sur les élections étaient disponibles en russe cela permettrait
de renforcer la confiance dans les élections d'une manière plus
inclusive.
5.2. Lutte
contre la discrimination
51. L’Estonie a signé le Protocole
no 12 à la Convention européenne des
droits de l’homme (ETS No. 177), mais ne l’a pas ratifié.
52. Ainsi que cela est mentionné dans le dernier rapport de la
Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI)
sur l’Estonie
,
concernant l’évaluation de sa politique d’intégration 2008-2013,
le pays reconnaît les difficultés quant à la transition vers 60 %
de matières enseignées en estonien dans les établissements scolaires
du secondaire supérieur; les écarts de salaire entre Estoniens et
les autres groupes ethniques
;
le ralentissement du processus d’acquisition de la nationalité estonienne;
et la nécessité de prendre en compte les spécificités de différents
groupes cibles. En conséquence, en décembre 2014, l’Estonie a adopté
une nouvelle politique d’intégration, courant jusqu’en 2020, afin
de combler les principales lacunes susmentionnées.
53. De la même façon, dans son dernier rapport, le Commissaire
aux droits de l’homme
déplore l'écart socioéconomique accru
entre les minorités ethniques et la population majoritaire, qui
se perpétue chez les jeunes. De son point de vue, il faudrait prendre
des mesures concrètes pour réduire le chômage de longue durée et
l’exclusion sociale des minorités dans le pays, et l’intégration
dans le marché du travail de jeunes issus des minorités devrait
faire partie des priorités. Human Rights Watch, dans sa dernière
soumission
au Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies concernant l’Estonie, considère que la langue
est une préoccupation essentielle en matière de droits de l’homme
pour la minorité russe dont les enfants sont victimes de discrimination
sur la base de la langue, en particulier en ce qui concerne l’accès
à l’éducation.
54. Selon l’ECRI, malgré les efforts des autorités pour intégrer
la minorité russe, il subsiste des préoccupations, et notamment
le chômage élevé dans des régions à majorité russe. Dans son dernier
avis, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales notait en effet que, bien que le taux de
chômage ait presque diminué de moitié durant la période 2010-2013
en Estonie en général, dans les régions où vit un nombre important
de personnes appartenant à des minorités nationales, comme le comté
d’Ida-Viru, il demeure significativement plus élevé que la moyenne
du pays. Les obligations de maîtrise linguistique demeurent un obstacle
à l’emploi pour un nombre encore considérable, mais en diminution,
de personnes dont l’estonien n’est pas la première langue. Selon
les autorités, les minorités ethniques sont de plus en plus conscientes
de la nécessité d'apprendre l'estonien pour être plus compétitives
sur le marché du travail. Elles indiquent qu'en 2016, le taux de
chômage était de 6,8 % au niveau national, alors qu'il atteignait 13,5 %
dans le comté d'Ida-Viru en raison des changements dans l'industrie
du schiste bitumineux, et elles rappellent que ce comté fait l’objet
d'une attention particulière de la part du gouvernement afin de
créer de nouveaux emplois.
55. Le rapporteur se félicite des mesures prises par les autorités
dans le cadre de la politique d'intégration et il les encourage
à intensifier leurs efforts. Il prend note en particulier des informations
fournies par les autorités
concernant:
les mesures engagées pour préparer les jeunes à la vie active et
au marché du travail; le Fonds d'assurance chômage (
Eesti Töötukassa); les mesures régionales
spéciales (temporaires) mises en œuvre dans le comté d'Ida-Viru;
le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) qui prévoit
des mesures actives pour le nord-est de l'Estonie.
56. En Europe, les Roms continuent d’être stigmatisés malgré les
efforts déployés pour changer cette situation, et l’Estonie n’est
pas épargnée par la question de la discrimination des Roms. Dans
son dernier avis, le Comité consultatif de la CCPMN se référait
à l’évaluation 2014 de la Commission européenne
du Plan national d’action de l’Estonie
pour l’inclusion des Roms. En dépit de quelques améliorations dans
les quatre domaines clés que sont l’éducation, l’emploi, la santé
et le logement, ainsi que dans la lutte contre la discrimination,
la Commission a souligné la nécessité de renforcer selon une approche
systématique les mesures prises dans chacun des domaines. Selon
le rapport 2016/2017 d’Amnesty International
, les Roms souffrent de discrimination
dans divers domaines, notamment en ce qui concerne leurs droits
économiques et sociaux, y compris l’accès égal à l’éducation, à
un logement adéquat et aux soins de santé
. Alors qu'Amnesty International
déplore que le gouvernement n'ait pas réussi à collecter des données
socioéconomiques ventilées sur les Roms et à les contrôler, se privant
ainsi de la possibilité de remédier efficacement à leur situation,
les autorités soutiennent que les gouvernements locaux ont fait
beaucoup d'efforts pour que les Roms aient accès à l'éducation primaire
et secondaire et pour que les services de santé soient accessibles
à tous.
57. L’Estonie n’est pas épargnée par la montée du discours raciste
en Europe, même si le problème y reste marginal. L’ECRI a noté avec
préoccupation la prévalence des propos racistes sur les portails
web d’actualité et le manque de réaction quant au discours homo/transphobe
au sein de la classe politique. L’incitation à la haine et à la
violence racistes et à la discrimination raciale ne sont punissables
que dans les cas où la santé, la vie ou les biens de la victime
entrent en jeu. La discrimination au motif de la citoyenneté, de
la langue et de l’identité de genre n’est pas interdite explicitement
dans toutes les dispositions législatives pertinentes. Malgré l’existence
de deux instances nationales en charge de la lutte contre le sexisme,
le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, l’intolérance et la
discrimination raciale, seule la Chancellerie du droit peut être
considérée comme une institution indépendante.
58. Le 1er janvier 2016, la loi sur
les partenariats enregistrés
est entrée en vigueur, permettant
aux couples non mariés, y compris de même sexe, d’enregistrer leur
cohabitation et d’avoir accès aux aides publiques. La mise en œuvre
de cette loi rencontre quelques problèmes, le Parlement estonien
n'ayant toujours pas adopté les dispositions relatives à son application
. La Cour suprême
d’Estonie a explicitement reconnu les droits constitutionnels des
couples homosexuels en tant que famille.
5.3. Violence
domestique, traite des êtres humains, droits des enfants
59. L’Estonie a signé la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») en décembre 2014. Le rapporteur se félicite
de la ratification de la Convention d'Istanbul le 26 octobre 2017.
60. L’étude menée en 2014 par l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, intitulée «La violence à l’égard des femmes:
une enquête à l’échelle de l’UE»
, a montré qu’en Estonie, depuis
l’âge de 15 ans, 33 % des femmes avaient été victimes de violences
sexuelles et/ou physiques, et qu’environ 44 % des femmes avaient
vécu des situations menaçantes de harcèlement sexuel.
61. Une stratégie globale pour réduire la violence, couvrant la
période 2015-2020, énonce des activités concrètes pour la réduction
et la prévention de la violence sous ses différentes formes, y compris
la violence domestique, la violence sexuelle, la violence à l’encontre
des mineurs et la traite des êtres humains, dont la prostitution
.
62. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la
traite des êtres humains (STCE no 197)
a été ratifiée le 5 février 2015. Le Groupe d'experts sur la lutte
contre la traite des êtres humains (GRETA) a effectué sa première
visite d’évaluation en Estonie en mai 2017 mais n’a pas encore publié
son rapport.
63. Le rapporteur salue la ratification par l’Estonie en 2016
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201,
«Convention de Lanzarote»). Il se déclare toutefois préoccupé par
les observations finales du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies
, qui notait que les violences sexuelles
sur enfants sont fréquentes en Estonie, mais que le niveau de détection
est faible et que les services d’appui sont insuffisants et peu
accessibles. Parallèlement, il se félicite de l’ouverture de la
première Maison des enfants pluridisciplinaire et interinstitutionnelle,
sur le modèle du Barnahus, en janvier 2017; l'État a financé le
matériel de sensibilisation aux abus publié récemment, ainsi que les
mesures prises conjointement par le Conseil des assurances sociales
et la Maison des enfants concernant notamment la collecte de données
et la coordination avec la police, ce qui permet à un plus grand
nombre de victimes mineures d'abus sexuels de recevoir une aide
financée par l'État
.
5.4. Liberté
d’expression en ligne
64. En Estonie, l’importante liberté
en ligne a continué de progresser grâce à un meilleur accès à internet
et à une plus forte participation des citoyens en ligne
. En tant que pays avancé sur le
plan numérique, l’Estonie a été confrontée à des défis sans précédent
faisant intervenir de nouveaux aspects d’internet, qui ont amené la
Cour européenne des droits de l’homme à se positionner sur ces nouvelles
problématiques. Les références à des arrêts rendus dans des affaires
estoniennes se sont imposées comme des principes généraux dans la jurisprudence
constante de la Cour.
65. Eu égard à la liberté d’expression en ligne, l’affaire
Delfi AS c. Estonie portée devant
la Grande Chambre est la première affaire dans laquelle la Cour
européenne des droits de l’homme a été invitée à examiner une requête
sur la responsabilité encourue pour des observations rédigées par
des utilisateurs sur un portail d’information internet
.
La Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10
(liberté d’expression) de la Convention, estimant que la conclusion
de responsabilité opposée à Delfi par les juridictions estoniennes
était une restriction justifiée et proportionnée de la liberté d’expression
du portail, en particulier parce que les commentaires en question
étaient de nature extrémiste et qu’ils avaient été publiés en réaction
à un article publié par Delfi sur son portail d’information géré
professionnellement sur une base commerciale
.
66. Bien que ce jugement s’applique strictement aux portails d’information
gérés professionnellement sur une base commerciale (et non aux plateformes
de médias sociaux ou aux forums de discussion), il pourrait avoir
des implications dans les cas de discours de haine en ligne eu égard
à la responsabilité encourue par des sites web spécifiques pour
des contenus générés par leurs utilisateurs.
67. Depuis que cet arrêt a été rendu, plusieurs grandes entreprises
de médias ont supprimé de leurs portails en ligne les fonctions
permettant de publier des commentaires anonymes
.
68. Dans l’affaire Kalda c. Estonie,
qui fait toujours l’objet d’une procédure d’exécution devant le
Comité des Ministres, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation
du droit à recevoir des informations en raison du refus des autorités
d’accorder au requérant l’accès aux sites web de la Chancellerie
du droit, du Parlement estonien et du Bureau d’information du Conseil
de l'Europe à Tallinn (article 10). La Cour a estimé que, dans les circonstances
de l’espèce, l’ingérence dans le droit du requérant ne pouvait être
considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Dans
l’intervalle, le ministère de la Justice aurait commencé à modifier
le paragraphe 31 de la loi sur l’emprisonnement pour permettre au
moins l’accès des détenus aux sites web en question.
6. État
de droit
69. En 2016, la Cour européenne
des droits de l’homme a traité 215 requêtes concernant l’Estonie,
dont 210 ont été déclarées irrecevables ou rayées du rôle. Elle
a prononcé cinq arrêts, dont trois ont conclu à au moins une violation
de la Convention européenne des droits de l’homme
. Quelques arrêts sont encore en attente
de la procédure d’exécution devant le Comité des Ministres, mais
aucun n’est sous surveillance soutenue. Il n’y a d’une manière générale
pas de problème particulier concernant l'exécution des arrêts de
la Cour au regard de l'article 46.1 de la Convention. Ces chiffres
témoignent clairement du plein respect par le pays des principes
de prééminence du droit.
6.1. Système
judiciaire
70. L’efficience, l’efficacité
et l’indépendance du système judiciaire estonien sont globalement
évaluées positivement. Concernant l’indépendance de son système
de justice, l’Estonie se classe 21e sur
140 pays
.
71. Dans son rapport de 2013
, le Commissaire aux droits de l’homme
a salué les mesures prises pour améliorer l’accès à la justice,
en particulier la réduction des frais de justice, les possibilités
de recours en cas de prolongation excessive de la procédure et la
réforme du système d’aide juridique. Une autre mesure restant à
prendre est l’adoption de la nouvelle loi sur la responsabilité
de l’État pour pouvoir indemniser les personnes dont l’affaire traîne
indûment depuis des années. La loi d’indemnisation des dommages
causés dans le cadre de poursuites d’infractions, entrée en vigueur
en 2015, prévoit un recours juridique lorsque la loi sur la responsabilité
de l'État s’avère insuffisante. En vertu de l’article 5, paragraphes
1 et 2 de cette loi, une personne, qu’elle soit acquittée ou condamnée,
peut demander réparation en cas de durée déraisonnable de la procédure
pénale. La loi d’indemnisation des dommages causés dans le cadre
de poursuites d’infractions vient compléter la loi sur la responsabilité
de l'État en prévoyant un recours juridique si la durée de la procédure pénale
est excessive. Le ministère de la Justice élabore actuellement une
loi pour les procédures judiciaires civiles et administratives.
Le rapporteur se félicite de ces développements législatifs positifs
décrits par les autorités
.
6.2. Établissements
pénitentiaires
72. Globalement, les conditions
se sont améliorées dans les prisons estoniennes et le système de responsabilité
de l’État fonctionne correctement. Une nouvelle prison est en construction
à Tallinn et devrait être achevée à la fin de 2018
. Le dernier rapport du Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) sur le pays porte sur une visite effectuée en
2012. Le CPT a effectué sa sixième visite en Estonie du 27 septembre
au 5 octobre 2017 et s'est concentré essentiellement sur le traitement
et les garanties dont bénéficient les personnes privées de leur
liberté par la police, ainsi que sur les conditions de détention
dans un certain nombre d'établissements de police. Le rapport sur
la visite n'a pas encore été publié.
6.3. Lutte
contre la corruption
73. En Estonie, le niveau de corruption
est réputé pour être faible. Selon l’indice de perception de la corruption
2016 de Transparency International, l’Estonie est fort bien placée
puisqu’elle occupe le 22e rang sur 176
pays, avec un score de 70 sur 100. L’Estonie a progressivement amélioré
son score avec les années, qui était de 64 en 2012, de 68 en 2013,
de 69 en 2014, pour atteindre 70 en 2015.
74. Selon l'enquête périodique 2016 organisée par le ministère
de la Justice
, si la corruption n’arrive pas en
tête des préoccupations sociales du pays, elle est perçue comme
un phénomène généralisé et préoccupant par 57 % de la population
(contre 61 % en 2010). Les pots-de-vin sont considérés comme une
pratique assez courante (alors qu’elle aurait reculé ces six dernières
années), principalement pour accélérer les procédures et échapper
aux sanctions, notamment en relation avec la législation et les
appels d'offres.
75. En 2015 et 2016, plusieurs rapports ont fait état de corruption
politique. Ainsi qu’il est mentionné dans le rapport établi par
le Département d’État américain sur les pratiques des droits de
l’homme pour 2016
, en octobre 2015, le tribunal du
comté de Viru a jugé le maire de Kohtla-Jarve (ville située dans
le nord-est de l’Estonie) coupable de corruption, au motif notamment
qu’il aurait commis des actes de détournement de fonds et des infractions
en relation avec la concurrence, la contrefaçon et l’abus de confiance.
Le tribunal l’a condamné à une peine avec sursis de cinq ans et
à une période de probation de cinq ans. Sa condamnation pour corruption
a été confirmée le 1er septembre 2016
par la Cour suprême. De récentes enquêtes conduites par le Service
de sécurité intérieure ont aussi mis en lumière deux affaires majeures
de corruption concernant d’une part le conseil de direction du Port
de Tallinn appartenant à l’État, accusé de recevoir des pots-de-vin, et
d’autre part M. Edgar Savisaar, l’ex-dirigeant du Parti centriste
suspendu de ses fonctions de maire de Tallinn sur la base d’allégations
de corruption. Ces affaires très médiatisées sont encore en cours
d’examen.
76. En ce qui concerne la transparence du financement politique,
le GRECO
a estimé que l’Estonie avait fait
des progrès remarquables sur le plan de son vaste processus de réforme,
avec l’introduction de modifications significatives à la loi sur
les partis politiques qui ont répondu positivement à presque toutes
les recommandations publiées dans le rapport d’évaluation. Le GRECO
a reconnu qu’un cadre juridique solide avait ainsi été mis en place
à la fois pour le financement régulier des partis et le financement
des campagnes électorales, et que des progrès avaient été accomplis
concernant les règles de transparence, l’établissement d’un nouveau
mécanisme de suivi et le renforcement du régime de sanctions. La
seule recommandation qui n’a pas encore été mise en œuvre de façon
satisfaisante concernait la divulgation des dons consentis aux candidats
indépendants aux élections; le GRECO a noté qu’une initiative était
en cours pour traiter cette question.
77. De la même façon, dans son rapport de 2015 sur les élections
générales, l’OSCE/BIDDH
a reconnu qu’un cadre juridique globalement
solide avait été mis en place pour réglementer le financement des
partis et des campagnes politiques. Il faisait toutefois état d’allégations
d’utilisation abusive des ressources publiques, notamment par les
autorités des collectivités locales pour financer leur campagne.
78. Selon le GRECO
, l’Estonie a lancé en 2015 un ambitieux
processus de réforme concernant le nombre de recommandations en
suspens. Eu égard aux membres du parlement, plusieurs développements
importants ont déjà été notés dans le premier rapport de conformité,
notamment une série de réformes et de nouvelles normes d’intégrité,
comme l’adoption en décembre 2014 d’un code de conduite pour les
parlementaires et d’un document d’orientation, ainsi que de règles
régissant les relations entre les parlementaires, les lobbyistes
et d’autres tierces parties, et de règles relatives aux cadeaux
et autres avantages. Dans son deuxième rapport de conformité
publié en juin 2017
, le GRECO se félicite
d’autres progrès accomplis, en particulier du renforcement du contrôle
des déclarations de patrimoine et d’intérêts par la Commission spéciale
de lutte contre la corruption du parlement et de l’adoption de mesures
appropriées de sensibilisation à l’intention des parlementaires.
Cela étant, le GRECO déplore que d’autres mesures annoncées dans
le Rapport de conformité n’aient toujours pas été mises en œuvre,
notamment pour clarifier les règles relatives aux cadeaux et autres
avantages et pour fournir des directives en la matière. Il est nécessaire
d’agir avec une plus grande détermination pour améliorer le contrôle
de l’application du Code de conduite par les parlementaires. Enfin, l'élaboration
par la Commission spéciale de recommandations sur les relations
des députés avec les lobbyistes est une évolution très positive,
mais le parlement n’a toujours pas adopté ces recommandations dans
leur ensemble.
79. L’Estonie a pris des mesures afin de faire mieux connaître
aux juges et aux procureurs les normes en matière d’intégrité et
afin d’accroître l’objectivité des décisions concernant la promotion
des procureurs et l’objectivité des critères applicables à la promotion
des juges (concernant les nominations aux cours d’appel). Elle a
adopté un nouveau code de déontologie et mis en place un conseil
d’éthique à l’intention des procureurs, et instauré des systèmes
d’évaluation pour les juges et les procureurs. Enfin, l’Estonie
a pris des mesures pour promouvoir le contrôle des déclarations
de patrimoine et d’intérêts des juges et a modifié les dispositifs
de contrôle applicables aux procureurs. Dans son deuxième rapport
de conformité, le GRECO se félicite des dispositions prises pour
promouvoir le contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts
des juges et dispenser aux procureurs des formations à la déontologie.
En ce qui concerne l’adoption de critères objectifs de promotion
des juges en revanche, les critères indiqués sont encore limités
aux nominations à la cour d’appel et le GRECO a invité l’Estonie
à poursuivre la réforme également en ce qui concerne les autres
promotions au sein de l’appareil judiciaire.
80. Le rapporteur salue les récentes réformes engagées par les
autorités estoniennes en vue de renforcer l’intégrité et la transparence
et invite les autorités à mettre en œuvre les recommandations du
GRECO qui n’ont pas encore été suivies d’effet.
6.4. Lutte
contre le blanchiment de capitaux
81. Dans son dernier rapport
, le Comité d’experts sur l’évaluation
des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL) a appelé l’Estonie à renforcer le cadre permettant
de sanctionner les violations aux obligations en matière de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
(LBC/FT) et à appliquer un éventail plus large de sanctions effectives
et dissuasives.
82. Sur la base d’une analyse de la mise en œuvre des normes internationales
et européennes en matière de LBC/FT, MONEYVAL note que les mesures
de confiscation, si elles sont dans une certaine mesure effectivement
appliquées aux infractions de blanchiment de capitaux et de trafic
de drogue, ne sont pas utilisées à la manière d’un outil essentiel
dans le cas d’autres infractions graves génératrices de produits.
Bien que l’infraction de blanchiment de capitaux soit globalement
conforme aux normes internationales et que plusieurs condamnations
pour blanchiment aient été prononcées, il subsiste un certain nombre
de problèmes concernant la charge de la preuve requise par les tribunaux
pour établir l’origine criminelle des biens lorsque l’infraction
sous-jacente n’a pas été identifiée. Par ailleurs, l’infraction
de financement du terrorisme ne couvre pas tous les éléments importants
requis en vertu des normes internationales. La Cellule de renseignement financier
remplit son rôle analytique de façon efficace. La législation qui
prévoit des mesures préventives concernant le devoir de vigilance
relatif à la clientèle, la conservation des données et le signalement
de transactions suspectes est adéquate, tout comme sa mise en œuvre.
Si la surveillance des établissements de crédit, des entreprises
d’assurance et des sociétés d’investissement à des fins de LBC/FT
est dans une large mesure conduite de façon efficace, des efforts
supplémentaires sont nécessaires pour la surveillance d’autres institutions
financières. Bien que le secteur non financier ait manifesté un
niveau satisfaisant de compréhension et de conscience des exigences
de prévention, des améliorations s’imposent encore en matière de
mise en œuvre. La surveillance du secteur non financier est faible
compte tenu de l’insuffisance des ressources humaines. Pour l’instant,
il n’existe aucun système permettant d’assurer que les informations sur
la propriété et le contrôle soumises par des personnes morales sont
à jour.
6.5. Lutte
contre la cybercriminalité
83. Le Gouvernement de l’Estonie
est l’un des gouvernements au monde les plus sensibilisés en matière de
cybersécurité. L’Estonie figure parmi les pays à l’origine du développement
de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité
(STCE no 185) et son Protocole additionnel
(STCE no 189). En 2008, l’OTAN a mis
en place le Centre coopératif d’excellence pour la cyberdéfense
en Estonie afin d’améliorer l’interopérabilité de la cyberdéfense
et d’apporter un soutien en la matière à tous les membres de l’OTAN.
Ce pôle multinational et interdisciplinaire d’expertise en matière
de cyberdéfense est axé sur la technologie, la stratégie, les opérations
et la législation.
84. La conscience de l’importance de la sécurité des technologies
de l’information et de la communication, concernant leur utilisation
dans la sphère privée comme dans les entreprises, s’est accrue significativement
à la suite d’une série de cyberattaques perpétrées en avril 2007
contre des sites web et des organismes gouvernementaux estoniens,
y compris le parlement, des banques, des ministères, des journaux
et des diffuseurs. Les autorités estoniennes ont accusé le Kremlin
d’être directement impliqué dans ces cyberattaques. En 2015, plusieurs
agences publiques estoniennes ont à nouveau été les cibles d’attaques
de rançongiciels (ransomware).
85. Trois agences de surveillance civile et de renseignement responsables
de la cybersécurité – l’Autorité estonienne en charge du système
d’information
, le Service de la sécurité intérieure
et le Bureau d’information
– considèrent que, dans le cyberespace,
la Russie représente la principale menace pour l’Estonie, l’Union
européenne et l’OTAN. Le rapport du Bureau d’information estonien
fait référence à l’exploitation que
font les États étrangers de l’environnement numérique pour des activités
de cyberintelligence et affirme que, dans la région de la Baltique,
le cybersabotage et des opérations d’influence par le biais de cyberattaques
font partie des menaces potentielles. Le rapport de l’Autorité estonienne
en charge du système d’information
note également que l’Estonie est
exposée à des cybermenaces spécifiques du fait de sa proximité avec
la Russie, qui «use d’un discours agressif et ne cesse de développer
ses capacités de cyberattaque, et dont les activités dirigées contre
les autres États dans le cyberespace ne sont qu’un instrument pour
asseoir son influence et atteindre ses objectifs».
86. La stratégie 2014-2017 en matière de cybersécurité a été adoptée
dans le cadre de la stratégie de sécurité plus vaste élaborée par
l’Estonie
. Les principaux risques que court
l’Estonie en matière de cybersécurité découlent de la dépendance
massive et croissante de l’État, de son économie et de sa population
vis-à-vis des technologies de l’information et de la communication
et des services électroniques.
6.6. Lutte
contre le terrorisme
87. Les autorités
ont fourni des informations détaillées
sur la lutte contre le terrorisme et en particulier sur son cadre
juridique et institutionnel, qui est une priorité absolue pour le
pays. Selon le service de la sécurité intérieure estonienne, la
menace terroriste en Estonie est jugée faible. La politique de lutte
contre le terrorisme porte principalement sur la prévention.
88. L'Estonie a ratifié la Convention du Conseil de l'Europe pour
la prévention du terrorisme (STCE no 196). Elle
a signé mais n'a pas ratifié la Convention du Conseil de l'Europe
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation
des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198)
et le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe
pour la prévention du terrorisme (STCE no 217).
7. Conclusions
et recommandations
89. Dans l'ensemble, le fonctionnement
des institutions démocratiques en Estonie est conforme aux normes du
Conseil de l'Europe. L'Estonie respecte globalement ses obligations
de membre découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe.
90. L'Estonie est une démocratie qui fonctionne bien, les Estoniens
font confiance aux institutions publiques et aux processus électoraux
et les principes de la démocratie locale y sont globalement respectés.
Le rapporteur encourage les autorités à mettre en œuvre l’ensemble
des recommandations restantes du Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux, en particulier celles relatives à l'autonomie financière
des collectivités locales. Les recommandations de l'OSCE/BIDDH en
suspens concernant la transparence et la responsabilité du système
de vote électronique devraient être mises en œuvre, notamment en
ce qui concerne la certification formelle du système de vote électronique
par une organisation indépendante.
91. L’Estonie est devenue l’une des nations les plus avancées
au monde sur le plan numérique depuis qu’elle a numérisé un nombre
extraordinaire de services publics. À cet égard, le pays a accompli
des progrès considérables en matière de transparence et d'accessibilité
au sein du gouvernement. Le rapide développement des technologies
de l’information se fait au prix d’une intensification des cybermenaces
qui pèsent sur la sécurité nationale. L'Estonie est devenue le pôle
multinational et interdisciplinaire d’expertise en matière de cyberdéfense.
92. La liberté d'expression est généralement garantie en Estonie,
dans la législation comme dans la pratique, et le pays jouit d'une
importante liberté en ligne qui amène les autorités à relever de
nouveaux défis.
93. Le présent rapport montre clairement que l'Estonie adhère
aux principes de l'État de droit. Les Estoniens font généralement
confiance à leur système juridique et l'efficacité et l'indépendance
du pouvoir judiciaire estonien sont jugées positives.
94. Bien que le niveau de corruption soit jugé faible en Estonie,
le pays a connu plusieurs cas de corruption politique ces dernières
années. Tout en se félicitant des progrès réalisés s’agissant des
réformes portant sur la transparence du financement politique et
les nouvelles normes d'intégrité pour les parlementaires, les juges et
les procureurs, le rapporteur appelle les autorités à mettre en
œuvre les recommandations du GRECO en suspens.
95. Les relations entre l'Estonie et la Fédération de Russie ont
un fort impact sur un certain nombre de problèmes dans le pays.
Le rapporteur a accordé une attention toute particulière aux questions
de citoyenneté et d’apatridie, ainsi qu’à la situation de la minorité
russe dans le pays, en gardant à l'esprit le contexte spécifique
des héritages du passé de l'Estonie. Il se félicite des mesures
importantes prises par les autorités estoniennes en ce qui concerne
la situation des «personnes de nationalité indéterminée» et recommande
de réduire encore leur nombre en facilitant davantage l'accès à
la citoyenneté pour les résidents de longue durée.
96. Tout en comprenant la spécificité du pays et tout en tenant
compte des difficultés qu’il rencontre en relation avec le traitement
de la question des droits des minorités, sujette à controverse,
le rapporteur recommande aux autorités de faire le maximum pour
que:
- dans les régions où elles
résident traditionnellement ou en grand nombre, les personnes appartenant
à des minorités nationales aient la possibilité effective d’utiliser
leur langue minoritaire dans leurs relations avec les autorités
locales;
- les possibilités d'utiliser des noms de lieux en langues
minoritaires soient élargies et que l'utilisation d'indications
topographiques dans les langues minoritaires soit autorisée, parallèlement
à l'estonien;
- des mesures soient prises en vue de la signature et de
la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires.
97. Tout en saluant les efforts déployés par les autorités pour
intégrer la minorité russe, le rapporteur demeure préoccupé par
l'écart socioéconomique entre les minorités ethniques et la population
majoritaire, ainsi que par les difficultés d'intégration rencontrées
par les jeunes, notamment en relation avec les compétences linguistiques
requises. D'autres mesures devraient être prises pour réduire le
chômage et l'exclusion sociale des minorités ethniques dans le pays.
98. L'Estonie devrait ratifier le Protocole no 12
à la Convention européenne des droits de l'homme. Le pays n'a pas
été épargné par la montée du discours raciste en Europe, même si
le problème reste marginal. Les Roms continuent d’être stigmatisés
malgré les efforts déployés pour changer cette situation. Les autorités devraient
mettre en œuvre les recommandations de l'ECRI en suspens à cet égard.
99. La commission évaluera la mise en œuvre de ces recommandations
à l’occasion de son prochain cycle d’examen périodique des États
membres ne faisant pas l’objet d’une procédure de suivi stricto sensu, ni engagés dans un
dialogue postsuivi.