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Avis de commission | Doc. 14487 | 24 janvier 2018

Immunité de juridiction des organisations internationales et droits des personnels

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 4185 du 29 janvier 2016. Commission chargée du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, voir Doc. 14443. 2018 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)

La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable se félicite du rapport préparé par M. Volker Ullrich (Allemagne, PPE/DC) pour la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et l’assure de son soutien concernant sa recommandation selon laquelle les États membres du Conseil de l’Europe devraient assurer une meilleure transparence des travaux des organisations internationales et veiller à ce que ces organisations mettent en place des mécanismes de protection des droits de leurs personnels, ainsi que des procédures d’appel.

Le rapport soumis à l’Assemblée parlementaire par la commission des questions juridiques met toutefois l’accent sur le droit d’accès à un tribunal plutôt que sur les droits sociaux qui font partie intégrante des droits humains – comme cela a été reconnu à maintes reprises par le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire – et dont le non-respect semble constituer le problème actuel pour les agents des organisations internationales.

Ainsi, tout en approuvant pleinement l’objectif de la commission des questions juridiques, à savoir encourager le Comité des Ministres et les États membres à examiner de plus près la protection des droits humains et de l’État de droit au sein des organisations internationales, la commission des questions sociales souhaite proposer plusieurs amendements visant à garantir que les droits sociaux soient pris en compte dans la mesure du possible et à garantir, de façon prioritaire, la protection effective des droits des personnels des organisations internationales.

B. Amendements

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 4, ajouter les mots suivants à la fin de la première phrase:

«et par la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163)»

Amendement B (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 6.1, insérer les mots suivants:

«(en reconnaissant le cas échéant, tout particulièrement pour les organisations les plus petites, la compétence de tribunaux établis au sein d’autres organisations internationales)»

Amendement C (au projet de résolution)

Au paragraphe 6.2, après les mots «autres groupes», insérer les mots suivants:

«(comme les comités du personnel et les associations du personnel)»

Amendement D (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 6.3, insérer les mots suivants:

«idéalement en créant des tribunaux d’appel – là où il n’en existe pas encore – pour les juridictions internes bien établies (comme le Tribunal administratif de l’OIT et le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe), dont la compétence serait aussi reconnue par des organisations plus petites;»

Amendement E (au projet de résolution)

Après le p aragraphe 6.3, ajouter le paragraphe suivant:

«d’assurer que les voies de recours internes, à tous les niveaux, soient indépendantes et impartiales, respectent le principe de l’égalité des armes et rendent des décisions motivées, et que ces mécanismes soient dotés de moyens pour fonctionner efficacement et sans ingérence indue, afin que les décisions soient équitables et prononcées dans un délai raisonnable;»

Amendement F (au projet de recommandation)

Remplacer le paragraphe 1.3 par le paragraphe suivant:

«à entamer une réflexion:
1.3.1. sur les moyens de garantir que le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe soit également accessible aux syndicats;
1.3.2. sur la question de savoir si le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe devrait être complété par un organe d’appel judiciaire mis en place au sein de l’Organisation elle-même ou constitué en partageant les ressources avec d’autres organisations internationales pour créer une juridiction d’appel commune à plusieurs tribunaux administratifs;»

Amendement G (au projet de recommandation)

À la fin du paragraphe 1.4, ajouter les mots suivants:

«et avec d’autres droits fondamentaux pertinents (dont les droits sociaux), et, le cas échéant, formuler des recommandations sur les moyens d’améliorer ces mécanismes en vue de parvenir à un plus haut degré de protection de ces droits.»

C. Exposé des motifs, par M. Stefan Schennach, rapporteur pour avis

(open)
1. En ma qualité de rapporteur pour le présent avis et de membre de longue date de la commission des questions sociales, j’apprécie grandement le souci du détail dont a fait preuve mon collègue M. Volker Ullrich dans son rapport sur l’immunité de juridiction des organisations internationales et les droits de leurs personnels. Son rapport définit et explique les droits des agents des organisations internationales et leur immunité juridictionnelle respective, et cite en exemple les organes compétents pour trancher les litiges du travail au sein des organisations internationales ainsi que la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme. Je ne peux que soutenir pleinement sa recommandation selon laquelle les États membres du Conseil de l’Europe devraient assurer une meilleure transparence des travaux des organisations internationales et veiller à ce que ces organisations mettent en place des mécanismes de protection des droits de leurs personnels, ainsi que des procédures d’appel.
2. Cependant, M. Ullrich s’est spécifiquement concentré sur le droit d’accès à un tribunal et non pas sur les droits sociaux des employés des organisations internationales, tout en admettant qu’ils «mériteraient un examen plus détaillé» 
			(1) 
			Doc. 14443, paragraphe 3 de l’exposé des motifs, p. 5.; il a néanmoins considéré que cela dépassait le cadre de son rapport. En tant que rapporteur pour avis de la commission des questions sociales, dont les travaux sont fortement orientés sur les droits sociaux, je vais m’efforcer de fournir cet examen plus détaillé dans le présent avis.
3. Tout d’abord, il me semble important de souligner ici que les droits sociaux sont des droits fondamentaux à part entière. Cela a toujours été reconnu par le Conseil de l’Europe et l’Assemblée parlementaire, en dernier lieu dans la Résolution 2180 (2017) «Le “Processus de Turin”: renforcer les droits sociaux en Europe» 
			(2) 
			Paragraphe
1: «Les droits sociaux constituent des droits fondamentaux de l’être
humain».. Le fait que les droits sociaux, au niveau du Conseil de l’Europe, ne soient pas aussi aisément justiciables que les droits dits de première génération ne les rend pas moins importants; les faire respecter est simplement plus difficile – tout particulièrement si une organisation internationale qui bénéficie d’une immunité de juridiction fonctionnelle refuse de lever cette immunité.
4. Nul n’ignore que les signataires de la proposition de résolution initiale avaient à l’esprit la situation à l’Office européen des brevets (OEB) lors du dépôt de cette proposition. L’OEB – comme d’autres organisations internationales – n’est pas précisément un modèle de transparence s’agissant de son fonctionnement interne, mais les choses se sont dégradées à un tel point ces dernières années qu’il est même devenu le point de mire de certains médias 
			(3) 
			Des articles ont notamment
été publiés par le journal satirique français Le
Canard enchaîné, le portail français «Novethic» et le
journal britannique The Register.. Cette couverture médiatique laisse supposer que le Président de l’OEB, qui a pris ses fonctions en 2010, a lancé une campagne contre les membres du personnel qui s’opposent à ses efforts de réforme (laquelle vise au premier chef les représentants du personnel membres du syndicat SUEPO 
			(4) 
			L’OEB
ne reconnaît pas cette organisation syndicale, qui regroupe plus
de la moitié des salariés.): en 2016, trois délégués du personnel avaient été licenciés et d’autres rétrogradés ou avaient subi des réductions de salaire ou de leur pension. Les agents dénoncent une campagne d’intimidation, de harcèlement et de discrimination qui a généré des cas de burn-out et autres maladies, et même des suicides: sur les quatre dernières années, cinq agents de l’OEB se sont suicidés, dont deux sur leur lieu de travail.
5. Comme indiqué au paragraphe 44 de l’exposé des motifs de M. Ullrich, le SUEPO (avec d’autres syndicats) s’est vu dans l’obligation de porter l’affaire devant les tribunaux néerlandais, étant donné qu’il n’avait pas qualité pour former un recours devant les instances internes de l’OEB ou celles de l’Organisation internationale du travail (OIT) – affaire qu’il a finalement perdue, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(5) 
			Il est intéressant
de noter que la Cour, estimant que la demande ne révélait aucune
apparence de violation des droits garantis par la Convention ou
ses Protocoles additionnels, a rejeté la requête pour «défaut manifeste
de fondement», sans examiner la question de la qualité pour agir
du requérant ou de l’immunité juridictionnelle de l’OEB. . Le Tribunal administratif de l’OIT (TAOIT), en tant que juridiction d’appel du système de recours interne de l’OEB (les Chambres de recours), est cependant submergé de requêtes individuelles mettant en cause cette organisation (qui représentent près des trois quarts des affaires dont il est saisi). La Direction générale de l’OIT s’est même vue dans l’obligation d’alerter l’organe directeur de l’OIT à ce sujet, étant donné que le volume des requêtes émanant de fonctionnaires de l’OEB «obère les capacités de traitement du Tribunal» 
			(6) 
			Voir
l’article de Kieren McCarthy, The Register,
7 mars 2017..
6. Par deux jugements rendus à la fin 2016, le TAOIT a effectivement annulé plus d’un an de décisions de la Chambre de recours de l’OEB, estimant, entre autres, qu’elle n’avait pas été constituée de façon réglementaire 
			(7) 
			La majorité de ses
membres avaient été désignés par la Direction au mépris des règles
applicables.. Ceci montre que la direction de l’OEB ne peut pas, en définitive, agir en toute impunité, mais révèle aussi les limites du système actuel de recours interne: les agents bénéficient certes d’un droit de recours individuel, mais l’organe à saisir en première instance (la Chambre de recours de l’OEB) n’ayant pas été constitué de façon réglementaire, ne pouvait donc pas rendre de décisions valables; et l’instance d’appel (le TAOIT) est tellement submergée de requêtes que ses capacités de traitement en sont affectées – d’où une lenteur excessive des procédures. Il n’existe pas de tribunal d’appel contre les décisions du TAOIT.
7. Bien que certaines de ces requêtes individuelles pourraient finir par être portées devant la Cour européenne des droits de l’homme et pourraient même être déclarées recevables si la Cour considère que la Chambre de recours de l’OEB et le TAOIT ne constituent pas des «voies raisonnables» de protection des droits individuels des agents, il est néanmoins manifeste qu’il est beaucoup plus difficile de faire respecter des droits collectifs, comme l’a tenté le syndicat SUEPO. Se pose alors la question de savoir si la procédure de réclamations (collectives) prévue par le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne (STE no 158) pourrait constituer une meilleure voie de recours pour le SUEPO, étant donné qu’elle est en vigueur aux Pays-Bas 
			(8) 
			Bien
évidemment, la question de l’immunité juridictionnelle se pose aussi
sous l’angle de la Charte sociale européenne..
8. Par lettre datée du 21 octobre 2017 et adressée à M. Ullrich, lettre qui m’a été transmise, le Président de l’Union Syndicale Fédérale (USF) 
			(9) 
			L’USF
est la plus grande fédération de syndicats des services publics
européens., M. Bernd Loescher, a demandé à l’Assemblée parlementaire d’aborder la question de la discrimination des agents des organisations internationales par rapport à l’ensemble des citoyens et salariés dans les États membres du Conseil de l’Europe ayant ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et la Charte sociale européenne. Son syndicat soutient que les droits consacrés par ces instruments devraient aussi s’appliquer aux personnels des organisations internationales, en l’absence d’intention déclarée des États membres de ces organisations internationales ou des organisations elles-mêmes d’exclure les organisations internationales et leurs personnels du champ d’application des conventions 
			(10) 
			Le syndicat se réfère
également à l’article 11 du règlement du TAOIT à ce propos.. Le syndicat propose, par conséquent, la désignation d’un organe quasi-judiciaire chargé de coopérer avec les organes juridictionnels des organisations internationales en vue d’assurer un meilleur respect de ces droits, ou un élargissement du mandat du Comité européen des Droits sociaux afin qu’il puisse agir comme tel (par exemple, en émettant des avis juridiques pour le TAOIT). Le syndicat est également favorable à une limitation de l’étendue de l’immunité dont jouissent les organisations internationales devant les juridictions nationales, à une amélioration des normes encadrant les systèmes de recours interne de ces organisations à la lumière des prescriptions de l’article 6 de la Convention, et à la création d’une juridiction d’appel centrale pour les systèmes de recours internes déjà en place dans les organisations internationales.
9. Pour conclure, j’estime pour ma part, que les organisations internationales devraient avant tout respecter les droits de leurs personnels – ce qui englobe tous les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris les droits sociaux consacrés par la Charte sociale européenne, d’où l’amendement A. Très franchement, si la «réussite» d’une organisation internationale comme l’OEB est construite sur des campagnes de harcèlement et d’intimidation qui poussent des membres du personnel au suicide, le prix de cette réussite est trop élevé. Ceci devrait être évident pour les instances dirigeantes de l’organisation concernée et par conséquent, dans l’absolu, dans l’hypothèse où de tels agissements seraient constatés, ces instances devraient veiller à ce que la Direction mette fin aux abus et respecte les droits des agents. Dans le cas contraire, le système de recours interne des organisations internationales devrait permettre de régler le problème. C’est pourquoi je souscris pleinement aux propositions de M. Ullrich et de la commission des questions juridiques visant à assurer que toutes les organisations internationales mettent en place les mécanismes appropriés ainsi que de procédures d’appel afin de protéger les droits de leurs personnels.
10. Nous devons cependant veiller à ce que cela soit fait efficacement. Certaines organisations internationales ont une dimension vraiment restreinte 
			(11) 
			Voir
le paragraphe 5 de l’exposé de motifs de M. Ullrich, Doc. 14443. et que chacune établisse son propre tribunal, par exemple, n’aurait aucun sens. Par conséquent, je propose à l’amendement B, que les organisations les plus petites satisfassent à ces exigences en reconnaissant la compétence de tribunaux créés au sein d’autres organisations internationales 
			(12) 
			À
l’instar de ce qui s’est produit récemment pour le Tribunal administratif
du Conseil de l’Europe, dont la compétence a été reconnue par deux
organisations internationales fin 2017.. Il est également très important que les syndicats ou autres groupes œuvrant pour la protection des droits des agents aient accès à ces voies de recours – l’amendement C que je propose vise à énoncer clairement que ces «groupes» englobent les comités du personnel ainsi que les associations du personnel.
11. La commission des questions juridiques a également proposé, à juste titre, d’introduire des procédures d’appel contre les décisions des juridictions internes des organisations internationales dans les litiges employeur/employé. Cependant, comme pour l’amendement B, il importe de rester efficace, idéalement en créant des tribunaux d’appel – là où il n’en existe pas encore – pour les juridictions internes plus grandes et bien établies (comme le Tribunal administratif de l’OIT et le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe), dont la compétence serait aussi reconnue par des organisations plus petites (amendement D). Je pense qu’une telle formule serait plus efficace que la création d’une juridiction d’appel centrale pour toutes les organisations internationales, qui serait probablement rapidement débordée par la charge de travail.
12. Il importe par ailleurs, non seulement d’assurer l’accès aux mécanismes de recours interne, conformément à la première ligne de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 6), mais aussi d’assurer le respect des autres droits garantis par cette disposition, c’est-à-dire de garantir que les voies de recours internes, à tous niveaux, soient indépendantes et impartiales, respectent le principe de l’égalité des armes et rendent des décisions motivées, et que ces mécanismes soient dotés de moyens pour fonctionner efficacement et sans ingérence indue, afin que les décisions soient équitables et prononcées dans un délai raisonnable (amendement E).
13. L’amendement F reprend la proposition de l’amendement D, spécifiquement pour le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe, à savoir entamer une réflexion sur la question de savoir si le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe devrait être complété par un organe d’appel judiciaire mis en place au sein de l’Organisation elle-même ou constitué en partageant les ressources avec d’autres organisations internationales pour créer une juridiction d’appel commune à plusieurs tribunaux administratifs. L’amendement propose également au Comité des Ministres de veiller à ce que les syndicats aient accès au Tribunal Administratif.
14. Pour finir, le but de l’amendement G est d’élargir le mandat de l’étude comparative proposée au-delà de l’article 6 de la Convention de façon à ce qu’elle couvre d’autres droits fondamentaux pertinents (dont les droits sociaux). Il invite aussi, le cas échéant, à formuler des recommandations sur les moyens d’améliorer les systèmes de recours interne des organisations internationales en vue de parvenir à un plus haut degré de protection de ces droits.