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Recommandation 2123 (2018)
Renforcer la réglementation internationale interdisant le commerce des biens utilisés pour la torture et la peine de mort
1. L’interdiction absolue de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en toutes circonstances
représente une norme impérative du droit international, incorporée
dans de nombreux traités, notamment à l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
la Convention), à l’article 7 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et dans la Convention des Nations Unies contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. Cette interdiction est si rigoureuse qu’elle impose
aux États de tenir compte des conséquences que leurs actes pourraient
avoir dans d’autres pays.
2. La peine de mort est désormais illégale dans l’ensemble des
États membres du Conseil de l’Europe. Le Protocole no 6
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 114),
qui abolit la peine de mort en temps de paix, a été ratifié par
tous les États membres, à l’exception de la Fédération de Russie,
dont la Cour constitutionnelle a néanmoins institué un moratoire;
quant au Protocole no 13 à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 187),
qui abolit la peine de mort en toutes circonstances, il a été ratifié
par tous les États membres, à l’exception de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan
et de la Fédération de Russie. La Cour européenne des droits de
l’homme a reconnu et s’est appuyée sur ces progrès en 2010, en concluant
que la peine de mort s’apparentait à un traitement inhumain ou dégradant
et entrait par conséquent dans le champ d’application de l’interdiction
fixée à l’article 3 de la Convention.
3. L’Assemblée parlementaire considère que, sur la base de leurs
obligations juridiques en vigueur, les États membres du Conseil
de l’Europe sont tenus de prendre des mesures effectives pour prévenir
les activités exercées dans les limites de leur juridiction qui
pourraient faciliter ou contribuer à la peine capitale, à la torture et
aux peines ou traitements inhumains ou dégradants dans d’autres
pays, notamment en réglementant de manière effective le commerce
des biens susceptibles d’être utilisés à ces fins.
4. Le commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture
ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants peut contribuer
à l’incidence de la peine capitale et de la torture ou de mauvais
traitements graves, en fournissant les moyens d’agir à ceux qui
en sont responsables. L’interdiction, par l’Union européenne, de
la vente des produits pharmaceutiques susceptibles d’être utilisés
pour infliger la peine capitale dans des pays tiers où il est notoire
que ces produits seront utilisés à cette fin, par exemple, a sérieusement
entravé la capacité de plusieurs États des États-Unis d’Amérique
à exécuter la peine de mort.
5. L’Assemblée ne peut accepter que les entreprises ou les autres
personnes physiques ou morales des États membres du Conseil de l’Europe
prennent part au commerce des biens utilisés pour la peine de mort,
la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Elle s’inquiète de constater que le commerce de ce type de biens
se poursuit dans certains États membres.
6. L’Assemblée prend note du Règlement du Conseil de l’Union
européenne (CE) no 1236/2005 concernant
le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue
d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, modifié par le Règlement (UE) no 2016/2134.
Ce régime réglementaire est le plus avancé et le plus efficace au
monde. Il représente une approche qui peut et devrait être suivie
par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Comme l’échange
d’informations et la coopération technique, qui sont autant d’éléments
essentiels de tout mécanisme réglementaire international, dépendent
de la compatibilité des diverses normes et procédures, il importe d’harmoniser
les systèmes réglementaires de tous les États membres du Conseil
de l’Europe.
7. L’Assemblée se félicite de la création de l’Alliance mondiale
visant à mettre fin au commerce de biens utilisés pour infliger
la peine capitale et la torture (l’Alliance mondiale), à laquelle
elle souscrit pleinement et qui a été lancée par l’Union européenne,
l’Argentine et la Mongolie le 18 septembre 2017 lors de l’Assemblée générale
des Nations Unies, ainsi que de sa Déclaration politique adoptée
par 58 pays, dont 41 États membres du Conseil de l’Europe, et l’Union
européenne. La déclaration rappelle les principes fondamentaux du
droit international; condamne le commerce des biens utilisés pour
la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains
ou dégradants; engage les États à prendre des mesures réglementaires
au niveau national et à coopérer au niveau international; et institue
un cadre élémentaire pour faciliter la réalisation de cet objectif.
8. Aux fins de la présente recommandation, il convient de considérer
que l’expression «biens utilisés pour la peine de mort, la torture
ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants» prend en compte
les articles qui relèvent des catégories suivantes, définies dans
les annexes II, III et III.a du
Règlement no 1236/2005, modifié en 2014
et en 2016:
8.1. les biens qui n’ont
aucune autre utilité pratique que celle d’infliger la peine capitale,
la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants,
dont il convient d’interdire le commerce, notamment:
8.1.1. les
biens spécialement conçus pour l'exécution d'êtres humains, et certains
de leurs composants;
8.1.2. les biens conçus pour immobiliser des êtres humains, mais
qui ne sont pas adaptés à un usage par les services répressifs;
8.1.3. les dispositifs portatifs qui ne sont pas appropriés à
un usage par les services répressifs à des fins de lutte contre
les émeutes ou d'autoprotection;
8.1.4. certains types de fouets;
8.2. les biens conçus pour être légalement utilisés par les
forces de police ou de sécurité, mais susceptibles d’être détournés
à des fins de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants,
dont le commerce devrait être soumis à autorisation, notamment:
8.2.1. certains biens conçus pour immobiliser des êtres humains;
8.2.2. certaines armes conçues à des fins de lutte contre les
émeutes ou d'autoprotection;
8.2.3. certains équipements et armes de projection d'agents chimiques
incapacitants ou irritants utilisés à des fins de lutte contre les
émeutes ou d'autoprotection et certains agents chimiques associés;
8.2.4. les produits susceptibles d'être utilisés pour l'exécution
d'êtres humains par injection létale.
9. Il convient de considérer que le terme «commerce» des biens
utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements
inhumains ou dégradants englobe les activités suivantes, définies
par le Règlement no 1236/2005, modifié
en 2016:
9.1. l’importation et l’exportation
de biens réglementés;
9.2. le transit de biens réglementés sur le territoire national;
9.3. le courtage du transfert de biens réglementés entre pays
tiers;
9.4. la fourniture d’une assistance technique pour les biens
réglementés;
9.5. la formation à l’utilisation de biens réglementés;
9.6. la promotion de biens réglementés lors de foires commerciales;
9.7. l’achat ou la vente à des parties situées dans des pays
tiers de toute forme de publicité en faveur de biens réglementés.
10. L’Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres à
appeler les États membres du Conseil de l’Europe, dans la mesure
où ce n’est pas déjà fait:
10.1. à
mettre en place une législation qui règle le commerce des biens
utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements
inhumains ou dégradants, qui interdit le commerce des biens définis
au paragraphe 8.1 et soumet à autorisation le commerce des biens
définis au paragraphe 8.2, cette autorisation devant être refusée
lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que ces biens pourraient
être utilisés pour infliger la peine capitale, la torture ou des
peines ou traitements inhumains ou dégradants dans un pays tiers;
10.2. à tenir pleinement compte des informations provenant d’un
éventail de sources, notamment des rapports établis par des mécanismes
internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme
et par des organes indépendants de la société civile, sur la situation
de la peine de mort, de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants dans les pays tiers lorsqu’ils examinent
les demandes d’autorisation du commerce des biens concernés;
10.3. à publier des rapports annuels sur leurs activités réglementaires
dans ce domaine, en donnant notamment des précisions sur les décisions
prises au sujet des demandes d’autorisation du commerce de biens
spécifiques et sur les motifs de ces décisions;
10.4. sur la base de ces rapports annuels et par le biais de
contacts directs, à tenir compte des décisions prises par les autres
États membres au sujet des demandes d’autorisation du commerce de biens
spécifiques, et surtout des refus d’accorder ces autorisations;
10.5. à adhérer à l’Alliance mondiale; à faire pleinement usage
du réseau mondial de correspondants pour le partage d’informations
et à y contribuer, y compris pour les décisions prises au sujet
de l’autorisation du commerce de biens spécifiques et les bonnes
pratiques; et, si besoin est, à rechercher l’assistance technique
des autres membres de l’Alliance mondiale pour l’élaboration et
la mise en œuvre de la législation pertinente;
10.6. à ratifier les Protocoles nos 6
et 13 à la Convention européenne des droits de l’homme et à demander
au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) de rendre public tout
rapport non publié qui les concerne.
11. L’Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres à
appeler l’Union européenne et ses institutions, selon le cas:
11.1. à encourager ses États membres
qui ne l’ont pas encore fait à publier les rapports annuels que leur
impose le Règlement no 1236/2005, en
veillant à ce que le futur rapport annuel de la Commission européenne
fasse le bilan complet de la situation dans l’ensemble de l’Union
européenne;
11.2. à consulter les organes indépendants de la société civile
qui possèdent une expertise particulière dans ce domaine lors du
bilan fait par la Commission européenne de la mise en œuvre du Règlement no1236/2005,
notamment pour l’éventuelle modification du règlement et la révision
de ses annexes II et III;
11.3. à continuer de promouvoir l’Alliance mondiale sur l’ensemble
de la planète et à coopérer avec le Conseil de l’Europe à cette
fin en ce qui concerne les États membres de ce dernier.
12. Le Conseil de l’Europe, qui est un pionnier mondial de l’abolition
de la peine de mort et du respect de l’interdiction de la torture,
devrait continuer, avec ses États membres, à jouer un rôle majeur
dans ce domaine. L’Assemblée parlementaire appelle par conséquent
le Comité des Ministres:
12.1. à
encourager les États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont
pas encore fait à adhérer à l’Alliance mondiale;
12.2. à dispenser une aide technique pour la mise en œuvre du
paragraphe 10 de la présente recommandation, grâce à des activités
de coopération avec les États membres qui en font la demande;
12.3. à envisager l’adoption d’une recommandation aux États
membres, qui définisse des éléments d’orientation sur la manière
d’établir et de mettre en œuvre un régime réglementaire efficace
dont l’effet serait d’étendre la portée de l’approche adoptée par
le Règlement no 1236/2005 par une harmonisation des
systèmes nationaux des États membres qui ne font pas partie de l’Union
européenne, et qui devrait comporter un mécanisme de suivi des avancées
réalisées dans la mise en œuvre de la recommandation;
12.4. à coopérer avec l’Union européenne à cette fin.