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Rapport | Doc. 14531 | 19 avril 2018

Les contre-discours face au terrorisme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Liam BYRNE, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14032, Renvoi 4209 du 27 novembre 2016. 2018 - Deuxième partie de session

Résumé

La lutte contre le discours terroriste est une tâche compliquée, pour laquelle il n’existe pas de solution facile et évidente.

Le rapport souligne la nécessité de mieux comprendre le processus de radicalisation, en explorant les questions de comment et pourquoi les individus deviennent des terroristes. Il étudie également les difficultés que rencontrent les stratégies de contre-discours, tel que s’adresser au public auquel ils sont destinés ou mesurer leur impact constructif. Il continue en suggérant des facteurs qu’il conviendrait de prendre en compte pour prendre des initiatives efficaces sur le plan des contre-discours. Enfin, le rapport aborde la notion de valeurs communes et l’importance que revêt le fait de recenser les principes de la Convention européenne des droits de l’homme et les enseignements fondamentaux de l’islam qui se chevauchent, pour parvenir à élaborer des alternatives positives et efficaces, fondées sur ce consensus par recoupement des points communs dans les idéaux.

Le rapport arrive à la conclusion que les contre-discours opposés aux discours terroristes ne sont pas suffisants. Il est indispensable d’élaborer des discours alternatifs positifs, préventifs et crédibles, communautaires, en promouvant des valeurs communes et en facilitant le dialogue, en encourageant la sensibilisation et en dissipant les fausses informations.

Le Comité des Ministres est invité à procéder à une étude approfondie de l’expérience concrète acquise par les États membres dans l’élaboration des contre-discours opposés au terrorisme et de leur impact. Sur la base de cette dernière, le Conseil de l’Europe devrait définir des lignes directrices sur la conception des discours et messages destinés à contrer la propagande terroriste, en tenant compte de la nécessité de fonder ce discours sur des informations factuelles.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 14 mars
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire réitère avec la plus grande fermeté sa condamnation de tous les actes de terrorisme, en rappelant ses résolutions antérieures relatives au terrorisme, en particulier la Résolution 2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe», la Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak et la Résolution 2113 (2016) «Après les attaques de Bruxelles, un besoin urgent de répondre aux défaillances de sécurité et de renforcer la coopération contre le terrorisme». Elle rappelle également sa récente Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité, voire l'éventuel génocide commis par Daech».
2. L’Assemblée observe que l’attitude adoptée jusqu’ici par la communauté internationale face au terrorisme a principalement pris la forme de mesures de lutte contre le terrorisme fondées sur la sécurité. Mais ces mesures n’ont pas suffi à prévenir le phénomène des «combattants étrangers», de la radicalisation ou de la propagation de l’extrémisme violent. L’élaboration de nouvelles mesures prises sous la forme d’un discours alternatif positif opposé à l’extrémisme est indispensable pour lutter contre cette menace en pleine évolution.
3. Le processus de radicalisation change à mesure que la menace terroriste évolue et que la technologie progresse. L’Assemblée souligne que le fait que le «monde réel» soit exposé au discours extrémiste violent continue à représenter une menace qui ne doit pas être négligée. Mais internet a transformé les moyens qui permettent aux organisations terroristes d’influencer et de radicaliser les individus, en offrant un discours terroriste – utilisé pour diffuser une idéologie, des valeurs et des justifications extrémistes violentes – facilement accessible à un large public à l’échelle mondiale grâce à l’application de stratégies étendues de communication.
4. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2091 (2016) et le Plan d’action pour 2015-2017 sur la «Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme» adopté par le Comité des Ministres en mai 2015 et rappelle la nécessité d’élaborer des discours alternatifs positifs au dévoiement de la religion, destinés à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires contrôlés par Daech et le sort de ses recrues.
5. On reproche souvent aux stratégies de contre-discours d’être trop éloignées de la vie et des préoccupations quotidiennes des personnes auxquelles elles s’adressent. L’Assemblée souligne qu’il importe d’élaborer des discours alternatifs positifs et efficaces destinés à un public spécialement ciblé, qui affrontent, contestent et contredisent le discours terroriste dans ses sujets intrinsèques en s’appuyant sur l’idéologie, la logique, les faits ou l’humour. Lorsque cela s’avère possible, il convient d’élaborer un contenu de contre-discours avec la coopération des membres du public ciblé.
6. Le simple fait de réagir au discours terroriste ne suffit pas. Il importe que les initiatives de contre-discours privilégient l’élaboration d’un discours proactif, positif et alternatif, notamment un appel concret à l’action et une présentation claire du «consensus par recoupement des points communs» et des traditions éthiques qui unissent des communautés différentes, engagées en faveur des valeurs communes de la non-violence, de la tolérance de la démocratie.
7. Comme bon nombre des attentats récemment commis dans les États membres du Conseil de l’Europe – en Belgique, France, Allemagne, Espagne, Suède, Turquie, au Royaume-Uni, mais également dans d’autres pays – ont été revendiqués ou peuvent être attribués à «l’État islamique» ou à ses adeptes, la notion de valeurs partagées, c’est-à-dire les traditions éthiques partagées et communes à la fois à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et à l’islam, devrait être étudiée et promue activement. L’Assemblée se félicite de la création, à l’échelon de l’Union européenne, de la task force sur la communication stratégique, qui collabore avec les délégations de l’Union européenne dans les pays arabes et avec la Coalition mondiale contre Daech pour recenser les valeurs communes et élaborer des mesures concrètes; et de l’adoption, par les Nations Unies, du Plan d’action des Nations Unies pour prévenir l’extrémisme violent, qui souligne combien il importe de favoriser un dialogue mondial pour unir les pays, les citoyens et les communautés sur la base de valeurs et de principes communs universels partagés.
8. L’Assemblée reconnaît qu’il n’est pas possible d’élaborer un contre-discours global unique. La création de contre-discours efficaces doit passer par la mise en place d’une multitude de formes différentes de discours véhiculés par un grand nombre de médias divers, de manière à ce que des discours locaux répondent à des problématiques locales.
9. L’Assemblée rappelle que toutes les mesures prises pour lutter contre le terrorisme doivent être conformes aux obligations faites aux États par le droit national et international et aux valeurs communes prônées par le Conseil de l’Europe que sont la démocratie, le respect des droits de l’homme et l’État de droit, en évitant l’imposition de restrictions disproportionnées aux libertés fondamentales. L’Assemblée condamne vivement tous les incidents de discours de haine causés par des chefs d’États membres ou des hauts responsables des gouvernements des États membres, susceptibles d’entraîner une radicalisation supplémentaire et de propager la haine et la violence.
10. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire:
10.1. à élaborer, s’ils ne l’ont pas encore fait, des stratégies nationales de prévention de la radicalisation;
10.2. à faire une priorité de l’élaboration de discours alternatifs positifs, flexibles et adaptés à la propagande terroriste et à l’extrémisme violent, destinés à ébranler le sommet de la hiérarchie des groupes terroristes et à nuire à leur autorité, ainsi qu’à souligner l’hypocrisie du discours extrémiste violent et ce qu’est réellement l’existence d’un terroriste;
10.3. à agir en collaboration avec les communautés et les destinataires ciblés en priorité, ainsi qu’avec la société civile, les responsables religieux et les responsables communautaires, en utilisant des vecteurs crédibles de ce message et une diversité de médias (notamment les SMS, la télévision, la radio, la presse, internet) pour écarter le discours terroriste;
10.4. à contester toute utilisation du discours de haine et condamner fermement tous ceux qui prêchent ou propagent la haine et la violence;
10.5. à prendre des mesures, y compris des mesures législatives, pour contrer l’extrémisme violent et le discours de haine diffusés sur internet et dans les médias sociaux et qui sont susceptibles d’amener les individus à une radicalisation violente;
10.6. à étudier et promouvoir la notion de «valeurs partagées», en examinant comment les valeurs qui inspirent à la fois la Convention et l’islam permettent d’offrir des discours alternatifs positifs, qui mettent l’accent sur le respect de la portée universelle des droits et de l’égalité devant la loi, du droit à la vie, du droit à la justice, du droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que des libertés fondamentales des sociétés plurielles, notamment la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), la liberté d'expression (article 10) et la liberté de réunion et d'association (article 11);
10.7. à promouvoir des discours alternatifs positifs, assortis d’activités de sensibilisation des communautés locales, en établissant des rapports directs avec les membres du public ciblé;
10.8. à mettre en place des pratiques de suivi et d’évaluation pour déterminer l’impact des stratégies de contre-discours et de discours alternatifs;
10.9. à renforcer la coopération internationale grâce à la mise en commun des bonnes pratiques et à l’échange d’informations, en évaluant les initiatives prises par les États et en coordonnant mieux les approches retenues;
10.10. à signer et ratifier la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel (STCE no 217), parallèlement aux autres instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe, s’ils ne l’ont pas encore fait.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 14 mars 2018.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2018) sur les contre-discours face au terrorisme, l’Assemblée parlementaire se félicite de l’adoption par le Comité des Ministres de la Recommandation CM/Rec(2018)6 sur les terroristes agissant seuls, ainsi que de l’élaboration actuelle d’une Stratégie du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme pour la période 2018-2022.
2. À ce propos, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres à demander au Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT) du Conseil de l’Europe:
2.1. de réaliser une étude approfondie sur l’expérience concrète acquise par les États membres dans l’élaboration de discours positifs alternatifs à l’extrémisme violent et sur leur impact et d’examiner les processus de radicalisation et de déradicalisation;
2.2. d’élaborer, sur la base de cette dernière, des lignes directrices sur la conception de discours et de messages destinés à contrer la propagande terroriste, en tenant compte de la nécessité de fonder ce discours sur des informations factuelles, comme le souligne la Recommandation CM/Rec(2018)6;
2.3. d’envisager d’initier l’étude et la présentation du «consensus par recoupement des points communs» de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et des valeurs de l’islam, et en particulier de réfléchir à l’organisation, soit à Strasbourg, soit par un État membre, d’un séminaire visant à mettre en commun l’expérience acquise ou les meilleures pratiques appliquées dans ce domaine;
2.4. d’envisager des propositions de renouveau des campagnes de lutte contre le discours de haine qui reprennent ces conclusions.

C. Exposé des motifs, par M. Liam Byrne, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. Le 25 novembre 2016, la proposition de résolution «Les contre-discours face au terrorisme» (Doc. 14032) a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport 
			(3) 
			Renvoi 4209 du 27 mai 2016,
modifié le 25 novembre 2016.. J’ai été nommé rapporteur par la commission lors de sa réunion du 23 janvier 2017 à Strasbourg. Le 14 février 2018, j’ai participé en ma qualité de rapporteur à un Symposium sur «Les valeurs religieuses et les droits de l’homme» (Birmingham, Royaume-Uni), qui a examiné les points communs entre les valeurs de l’islam et la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»).

1.2. Mandat

2. La proposition de résolution, que j’ai présentée avec plusieurs autres membres de l’Assemblée, rappelle que «l’Assemblée parlementaire a longuement discuté de la crise au Proche-Orient, de son attrait pour les combattants étrangers et de l’exode de réfugiés qu’elle a provoqué». Elle poursuit en déclarant que «[p]our combattre Daech, nous devons combattre ses idées et sa propagande qui visent à persuader que l’Islam est la cible d’attaques, qu’il s’agit d’un choc de civilisations, que “l’Occident” et l’Islam sont “en guerre” et que les musulmans ont le devoir religieux d’aller défendre l’Islam en ralliant Daech. Nous devons unir nos voix pour exposer la vérité et proclamer que nous faisons front pour défendre la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment son article 9, que Daech s’efforce de détruire».
3. De ce fait, compte tenu de ce mandat spécifique, le présent rapport n’aborde que le terrorisme inspiré par Daech et Al-Qaïda et non celui inspiré par d'autres idéologies. Cela ne devrait toutefois pas conduire à penser que, selon moi, le terrorisme dans son ensemble est motivé par ces deux groupes et que les autres actes de violence politique ne sont pas de nature terroriste.

1.3. Les questions en jeu

4. «Au cours des 20 dernières années, la communauté internationale s’est employée à lutter contre l’extrémisme violent en recourant avant tout à des mesures antiterroristes axées sur la sécurité.» Mais «elle s’accorde de plus en plus à estimer que ces mesures n’ont pas suffi à prévenir la propagation de l’extrémisme violent» 
			(4) 
			Assemblée générale
des Nations Unies, Plan d'action pour la prévention de l'extrémisme
violent, 24 décembre 2015, paragraphe 4..
5. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle important dans la lutte contre le terrorisme, en élaborant la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) en 2005 et son Protocole additionnel (STCE n° 217) en 2015. Le Plan d’action du Comité des Ministres pour 2015-2017 sur la «Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme» recense également un certain nombre de domaines de première importance, qui consistent notamment à «opposer des contre-arguments au dévoiement de la religion», afin d’opposer des contre-arguments au discours destructeur des extrémistes (CM(2015)74, partie 2.1.3). Dans sa Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, l’Assemblée parlementaire appelait à «diffuser (…) des contre-discours destinés à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires contrôlés par Daech et le sort de ses recrues, en particulier en se servant des témoignages de combattants qui sont revenus dans leur pays d’origine et ont fait l’expérience sur le terrain de la vraie nature de Daech». En outre, le Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER) du Conseil de l’Europe a approuvé en novembre 2017 un nouveau projet de recommandation sur les terroristes qui agissent isolément, qui a été adopté par le Comité des Ministres en mars 2018, dont une partie est consacrée à l’élaboration de contre-arguments et de discours différents.
6. Internet a transformé les moyens qui permettent aux organisations terroristes d’influencer et de radicaliser les individus, en offrant un discours terroriste facilement accessible à un large public à l’échelle mondiale. La quasi-totalité des groupes terroristes disposent de leur propre site internet et certains d’entre eux gèrent parfois plusieurs sites disponibles dans différentes langues, qui véhiculent des discours différents, spécialement adaptés au public auquel ils s’adressent. Cette situation conduit à s’interroger sur la manière dont les partisans d’une coexistence pacifique entre les personnes de religions ou de convictions philosophiques différentes peuvent y faire face à l’aide de leur propre stratégie médiatique et de communication.
7. Au vu des événements récents, il devient de plus en plus indispensable d’élaborer des contre-discours, c’est-à-dire des messages qui offrent une alternative positive aux discours extrémistes violents, ou qui les déconstruisent ou leur ôtent toute légitimité et contestent l’idéologie qu’ils véhiculent 
			(5) 
			H.
Tuck et T. Silverman, «The Counter-Narrative Handbook», Institute
for Strategic Dialogue (2016), p. 1.. Pour vaincre Daech et les autres groupes terroristes, il nous faudra triompher de leurs idées, notamment de l’idée que l’islam est menacé, que «l’Occident» est «en guerre» contre l’islam et que les musulmans ont l’obligation religieuse de voler au secours de l’islam en rejoignant ces groupes extrémistes violents.
8. Je soulignerai par conséquent dans le présent rapport à quel point il est indispensable de mieux comprendre le processus de radicalisation, en examinant de quelle manière et pour quelle raison les individus deviennent des terroristes. J’aborderai ensuite les difficultés que rencontrent les stratégies de contre-discours pour s’adresser au public auquel ils sont destinés et pour mesurer leur impact constructif; je proposerai un certain nombre de facteurs qu’il conviendrait de prendre en compte pour prendre des initiatives efficaces sur le plan des contre-discours. Enfin, j’examinerai la notion de valeurs communes et l’importance que revêt le fait de recenser les principes de la Convention et les enseignements fondamentaux de l’islam qui se chevauchent pour parvenir à élaborer des discours alternatifs positifs et efficaces, fondés sur ce consensus par recoupement des points communs de nos idéaux.

2. Le processus de radicalisation

2.1. Problèmes actuels

9. Avant les événements du 11 septembre 2011, les causes du terrorisme étaient analysées selon trois facteurs: celui de la motivation individuelle qui prend place dans un système de croyances; celui de la décision prise dans le cadre d’une stratégie adoptée par un mouvement terroriste; et celui d’un contexte politique et social plus général au sein duquel les mouvements terroristes interagissent 
			(6) 
			M. Crenshaw,
«The Causes of Terrorism» (1981), Comparative
Politics 13:4, p. 379-399 in A. Kundnani, A Decade Lost:
Rethinking Radicalisation and Extremism (2015), p. 14.. Mais ces dernières années, l’idée d’un lien linéaire entre la radicalisation et le terrorisme, ce qu’on appelle la théorie du «tapis roulant», s'est imposée comme un cadre politique pour repenser les stratégies de prévention de la violence. Mais cette théorie est largement contestée 
			(7) 
			Voir Faiza Patel, «Rethinking
Radicalization», Centre Brennan pour la Justice, 2011, p. 14. et a même été discréditée dans une certaine mesure 
			(8) 
			Voir C. Walker et J.
Rehman, «“Prevent” responses to jihadi extremism» in V. Ramraj et
autres (sous la direction de), Global
Anti-Terrorism Law and Policy, 2e éd.
(Cambridge, 2012), 242-268, p. 250; I. Cram, «The “war on terror”
on campus: some free speech issues around anti-radicalization law
and policy in the United Kingdom» (2012), 6, Journal
for the Study of Radicalism, 1-34, p. 14; A. Pargeter,
«North African immigrants in Europe and political violence» (2006),
29, Studies on Conflict and Terrorism 731, p. 737; J. Githens-Mazer
et R. Lambert, «Why conventional wisdom on radicalization fails:
the persistence of a failed discourse» (2010), 86, International Affairs, 889-901,
p. 894; J. Bartlett et autres, The edge of violence: a radical approach
to extremism (Londres, 2010), 7.. Certains chercheurs soutiennent que l’action violente peut également précéder la radicalisation: une personne peut adopter l’idéologie d’un groupe terroriste après s’être engagée dans la voie du terrorisme pour pouvoir justifier après-coup la violence de ses actes 
			(9) 
			Voir par exemple M. Sageman, Leaderless Jihad (Philadelphie,
PA: University of Pennsylvania Press, 2008).. Il a par ailleurs été démontré que la radicalisation ne conduisait pas nécessairement à la violence; les individus peuvent par conséquent adopter des positions extrêmes sans choisir la transgression en versant dans un extrémisme violent 
			(10) 
			J. Bartlett et C. Miller,
«The Edge of Violence: Towards Telling the Difference Between Violent
and Non-Violent Radicalization», 24, Terrorism
and Political Violence, 1 (2012); USAID, Guide to the
drivers of violent extremism (2009)..
10. Il n’existe à l’heure actuelle aucune définition internationalement admise de la «radicalisation», ni aucun consensus sur cette question complexe et controversée, car «les experts de la radicalisation s’accordent à peu près sur un seul point: la radicalisation est un processus» 
			(11) 
			M. Nasser-Edine
et autres, Countering Violent Extremism (CVE), Literature Review (Canberra: Australian Government,
Department of Defence, 2011), p. 13.. Mais il est impossible de prévenir efficacement la radicalisation sans mieux comprendre au préalable ses causes profondes.

2.2. Les facteurs à prendre en compte

11. «La voie qui mène les individus à l’extrémisme violent n’est pas unique» 
			(12) 
			Interview de J. Evans
par D. Gardham, «MI5 Chief Warns of Threat from Global Recession», Telegraph (Londres), 7 janvier 2009, <a href='http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/defence/4144460/MI5-chief-warns-of-threat-from-global-recession.html'>www.telegraph.co.uk/news/uknews/defence/4144460/MI5-chief-warns-of-threat-from-global-recession.html</a>. , chaque cas est différent et cette situation peut toucher des hommes et des femmes de toutes origines sociales. Un certain nombre de facteurs susceptibles d’y contribuer ont cependant été recensés.
12. L’une des définitions de la radicalisation présente ce processus comme la «combinaison multiple de facteurs d’attraction et de répulsion, qui suppose l’association de facteurs sociopsychologiques, de griefs politiques, de motifs et de discours religieux, de politique identitaire et de mécanismes d’actionnement qui poussent collectivement les individus vers l’extrémisme» 
			(13) 
			M. Ranstorp
(sous la direction de), Understanding Violent Radicalisation: Terrorist
and Jihadist Movements in Europe (New York: 2010), 6.. Les «facteurs de répulsion» agissent au niveau personnel. Ils peuvent inclure un milieu familial défaillant ou des maltraitances 
			(14) 
			UK House of Commons
Home Affairs Committee (commission des affaires intérieures de la
Chambre des communes du Royaume-Uni), Radicalisation: the counter-narrative
and identifying the tipping point, 8e rapport
de la Session 2016-2017, 25 août 2016, paragraphe 11., comme les brimades, des crises personnelles conjuguées à un manque d’intégration, ou des actes délictueux 
			(15) 
			Ibid.,
paragraphe 12.. Ces facteurs se traduisent par un même effet psychologique: la levée des inhibitions qui empêchent habituellement une personne de verser dans la violence. Les «facteurs d'attraction» ou les «influences radicalisantes» entrent en jeu à l’étape suivante, qui peut toutefois empiéter sur la première. Ils peuvent résulter de la confrontation d’un membre de la famille ou d’un ami à des influences extrémistes ou de la rencontre d’un partisan de la radicalisation à l’université, en prison, dans un cadre communautaire ou en ligne.
13. L’efficacité des influences en ligne tient généralement à l’absence d’obstacle et à la présence d’un «commutateur», c’est-à-dire la survenance d’un «électrochoc» ou une «ouverture idéologique» qui peut provenir d’un événement unique ou de l’exposition à une cause particulière, qui donne sa raison d’être à la radicalisation. Ainsi, il arrive que l’idéologie radicale «se nourrisse des griefs en leur donnant un sens, ce qui donne du même coup un sens à l’existence de l’intéressé» 
			(16) 
			D.
Anderson Q.C., UK Independent Reviewer of Terrorism Legislation,
A question of trust: Report of the Investigatory Powers Review,
juin 2015, p. 42-43.. Ce parcours pourrait être qualifié de «croisée des chemins» 
			(17) 
			Liam Byrne, Black Flag
Down: Counter-Extremism, Defeating ISIS and Winning the Battle of
Ideas (Biteback Book, 2016).. Une multiplicité de facteurs attise la colère et place un individu face à un choix critique; l’un des chemins le conduit à recourir à la violence pour modifier une situation, tandis que l’autre le pousse à changer cette même situation par des moyens pacifiques et civils. Beaucoup d’extrémistes violents exploitent un «islam bricolé» pour convaincre les gens de régler leurs griefs non pas au moyen de stratégies pacifiques de changement mais par la violence, en nourrissant chez les jeunes une soif de reconnaissance, de vengeance et de réaction 
			(18) 
			Voir <a href='https://www.amazon.co.uk/Louise-Richardson/e/B001IZ1G7W/ref=dp_byline_cont_book_1'>Louise
Richardson</a>, What Terrorists Want: Understanding the Terrorist Threat
(John Murray, 2006)..
14. Des études récentes ont associé l’augmentation du discours extrémiste en ligne à l’augmentation des infractions extrémistes ou identitaires commises hors-ligne. Toutefois, si «certains éléments peuvent laisser penser que des formes d’expression et de communication, comme le discours de haine, la déshumanisation d’autrui et les discours ou la propagande identitaire, peuvent créer des conditions» plus propices à l’apparition de l’extrémisme, «le lien de cause à effet n’a toujours pas été démontré» 
			(19) 
			K. Ferguson, Countering
violent extremism through media and communication strategies. A
review of the evidence, 1er mars 2016,
p. 3..
15. Il convient donc de rechercher ailleurs les raisons pour lesquelles certains discours extrémistes violents peuvent être si séduisants, ainsi que les raisons pour lesquelles des individus deviennent membres d’organisations terroristes et pour lesquelles certains décident de partir. Il importe d’analyser constamment les différences que présentent la radicalisation et la déradicalisation dans les divers pays, ainsi que la manière dont le processus de radicalisation évolue. Il faut donc procéder à une appréciation approfondie de tous les aspects de la radicalisation pour parvenir à une compréhension commune des modes de radicalisation.

3. Les stratégies de contre-discours

3.1. La définition des contre-discours

16. Bien qu’il n’existe pas de voie unique qui mène au terrorisme, l’éventail très étendu des stratégies de communication des groupes terroristes «est primordial pour favoriser l’adoption de croyances et de mentalités qui ont davantage de chance de conduire les destinataires non violents de cette communication à s’engager dans la voie du terrorisme» 
			(20) 
			K. Braddock et J. Horgan,
«Towards a Guide for Constructing and Disseminating Counternarratives
to Reduce Support for Terrorism», Studies in Conflict & Terrorism,
39:5 (2016), 381-404, p. 385.. Les stratégies les plus persuasives utilisent un discours qui vise avant tout à «véhiculer une idéologie, des valeurs, des justifications ou des préoccupations essentielles» destinées notamment à des sympathisants, à des membres en puissance ou au grand public. L'analyse révèle l’existence de ce que l’on appelle les «5P du discours extrémiste» 
			(21) 
			Liam Byrne, Black Flag
Down, op. cit. :
  • Piété. Daech et Al-Qaïda, comme tous les tenants d’une hérésie, clament haut et fort être les «vrais croyants» de l’Islam et, surtout, donnent une justification religieuse à la violence 
			(22) 
			L’un des éléments clés
de l’argumentation théologique de Daech est ce qu’il est convenu
d’appeler sa «méthodologie prophétique»: il prétend être le successeur
du prophète; il oppose la notion de tawhid, ou la croyance en un
Dieu unique, au chirk, ou
polythéisme; et s'appuie sur le takfirisme, qui permet de tuer les
«apostats».;
  • Point d’honneur. Daech se lance dans une puissante opération de séduction en faisant appel au sens de l’honneur associé au service d’une cause et au fait de se sacrifier pour elle, en ayant recours à une iconographie qui met l’accent sur la «noblesse» du djihad violent;
  • Puissance. Daech et Al-Qaïda ont l’un comme l’autre assimilé les enseignements d'Oussama Ben Laden, qui déclarait en 2001: «Quand les gens voient un cheval fort et un cheval faible, ils préfèrent tout naturellement le cheval fort 
			(23) 
			The Group
That Calls Itself a State: Understanding the Evolution and Challenges
of the Islamic State, publié par le Centre de lutte contre le terrorisme
de West Point, p. 86..» Ils encouragent ainsi tous deux les «discours de vainqueurs», qui incitent leurs partisans à repousser sans cesse leurs limites;
  • Perfectionnisme. Daech propose à ses recrues une vision utopique de l’instauration d'un nouveau califat, qui permet la reconnaissance et la résurrection des idéaux de la vie de Mahomet. Une étude a montré que près de la moitié de la propagande de «l’État islamique» dresse le tableau de l’existence heureuse de ses citoyens;
  • Provocation. Daech et Al-Qaïda cherchent à susciter un sentiment puissant de victimisation, en fournissant des preuves choquantes de pertes civiles et en présentant la lutte contre l'Occident comme un «djihad défensif».
17. Pour remédier à ce problème, le discours récent de la lutte contre le terrorisme a tendance à affronter celui sur lequel s’appuient les groupes terroristes, en élaborant des contre-discours, pour dissuader les destinataires de la rhétorique terroriste de soutenir le terrorisme qu’elle préconise. Les contre-discours qui visent à s’opposer à l’extrémisme violent se définissent comme des «initiatives prises directement dans l’intention de déconstruire, discréditer et démystifier le discours extrémiste violent, en s’appuyant sur l’idéologie, la logique, les faits ou l’humour» 
			(24) 
			R. Briggs et S. Feve,
«Review of Programs to Counter-Narratives of Violent Extremism:
What works and what are the implications for government?», Institute
for Strategic Dialogue (2013), voir le résumé général.. Les contre-discours ont pour but de contester et de contredire le discours terroriste dans ses sujets intrinsèques.
18. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il est extrêmement difficile d’identifier les personnes qui risquent de se radicaliser et d’être ensuite attirées par un comportement extrémiste; il est d’autant plus ardu et complexe de trouver le moyen de s’opposer aux idées terroristes extrémistes. De toute évidence, il n’est pas souhaitable d’élaborer un contre-discours global unique. Comme nous le verrons, il vaut mieux lui préférer la mise en place d’une multitude de formes différentes de discours véhiculés par un grand nombre de médias divers, associée à une action locale sur le terrain.

3.2. Les éléments à prendre en compte

19. Il est essentiel de savoir à quelles difficultés le contre-discours s’est heurté par le passé pour pouvoir élaborer les stratégies efficaces qui seront utilisées à l’avenir. On reproche aux stratégies de contre-discours d’être trop éloignées de la vie et des préoccupations quotidiennes des personnes auxquelles elles s’adressent, en particulier des jeunes 
			(25) 
			D. Johnston, «We don’t
need a counter-narrative, they are the counter-narrative!», International Center for Religion & Diplomacy
Monthly Update, 10 mars 2017.. En outre, certaines études estiment que les stratégies de contre-discours risquent de produire des effets plus négatifs que positifs et de se révéler contre-productives si elles ne portent pas leurs fruits, en renforçant le discours terroriste au lieu d’en prendre le contre-pied. Certains auteurs considèrent également que ce problème «est aggravé par le fait de mettre l’accent sur la condamnation du terrorisme par les musulmans européens, ce qui ne fait que renforcer l’islamisation de la question» 
			(26) 
			P.
Bell, «ISIS and violent extremism: Is the West’s counter-narrative
making the problem worse?» Influence, The Chartered Institute for
Public Relations, 25 juin 2015. Voir aussi <a href='https://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/eroding-trust-20161017_0.pdf'>https://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/eroding-trust-20161017_0.pdf.</a>.
20. Plusieurs études universitaires consacrées à la politique nationale de contre-discours menée au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et en Australie (où l’offensive de contre-discours a été la plus importante à ce jour) 
			(27) 
			Bien
que la France, la Finlande, les Pays-Bas, le Nigéria, la Norvège,
l'Espagne et la Suisse aient également élaboré des stratégies nationales
de lutte contre le terrorisme, en mettant tout particulièrement
l'accent sur la prévention de l'extrémisme violent, voir C. Nünlist,
«The Concept of Countering Violent Extremism», CSS Analyses in Security
Policy 183, décembre 2015, p. 2. ont critiqué cette politique, et ne sont pas parvenues à recenser des résultats positifs tangibles 
			(28) 
			Voir
S. Logan, «Grasping at thin air; countering terrorist narratives
online» in A. Aly et autres (sous la direction de), Violent Extremism
Online: New Perspectives on Terrorism and the Internet (2016); A.P.
Schmid, «Al-Qaeda’s “Single Narrative” and Attempts to Develop Counter-Narratives:
The State of Knowledge» (2014); R. Briggs et S. Feve, «Review of
Programs to Counter-Narratives of Violent Extremism: What works
and what are the implications for government?», op. cit.. Il reste cependant difficile de déterminer le succès que rencontrent les initiatives de contre-discours, car ce domaine n’a pour l’instant fait l’objet d’aucun suivi ni d’aucune évaluation solides sur le plan méthodologique, bien que l’on procède en ce moment à des évaluations plus rigoureuses de leur impact.

3.3. Le message à adresser

21. «On mesure encore mal ce qui assure l’efficacité d’une campagne de contre-discours 
			(29) 
			R. Briggs et S. Feve,
«Review of Programs to Counter-Narratives of Violent Extremism:
What works and what are the implications for government?», op. cit., voir le résumé général..» Mais plusieurs facteurs importants ont été recensés. Il est essentiel de commencer par définir l’objectif de la campagne. Certains considèrent que le fait de cibler «uniquement les quelques personnes qui sont sur le point d’être recrutées» est bien trop restrictif 
			(30) 
			C. Winter, «The Virtual
“Caliphate”: Understanding Islamic State’s Propaganda Strategy»,
Quilliam Foundation (2015), p. 43-44.. Ces campagnes peuvent viser un public géographiquement circonscrit (par exemple pour les projets locaux) ou mondial (par exemple sur internet, grâce aux médias sociaux) et peuvent également englober les personnes qui, pour diverses raisons, se sentent concernées par une guerre ou un conflit qui secoue un pays étranger, indépendamment de leur pays d’origine ou de leur nationalité 
			(31) 
			International Centre
for Counter-Terrorism, Developing Effective Counter-Narrative Frameworks
for Countering Violent Extremism, septembre 2014, p. 6.. Lorsque cela s’avère possible, il convient d’élaborer un contre-discours avec la coopération de membres du public ciblé, de manière à renforcer l’efficacité de son accueil. «Il faut [également] réaliser un plus grand nombre d’études qui permettront de comprendre comment un public ciblé particulier réagit à certaines idées 
			(32) 
			R. Briggs et S. Feve,
«Review of Programs to Counter-Narratives of Violent Extremism:
What works and what are the implications for government?», op. cit., p. 12.
22. À l’occasion d’une réunion d’experts organisée en juin 2014, le Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT) a recensé un certain nombre de types différents de contre-discours. Il a fait remarquer que le «contre-discours» suppose de répondre et de réagir au discours terroriste. Mais la simple réaction ne suffit pas. Il est donc recommandé que les initiatives de contre-discours privilégient l’élaboration d’un discours préventif, positif et alternatif 
			(33) 
			Ibid.; voir
également A. Reed, «IS Propaganda: Should We Counter the Narrative»,
International Centre for Counter-Terrorism, 17 mars 2017.. Parmi les autres formes de discours proposées figurent le contre-discours stratégique, qui condamne les extrémistes violents et leurs actions; le contre-discours éthique, qui souligne que l’action violente n’est pas une façon morale de réaliser ses objectifs et privilégie les valeurs communes, en soulignant les points communs de tous les êtres humains et en préconisant une meilleure coopération entre l’ensemble des pays et des peuples; le contre-discours idéologique et religieux; le contre-discours tactique, qui souligne que la violence est souvent moins efficace à long terme que des méthodes plus pacifiques (même si les intervenants ont fait remarquer que la principale difficulté résidait dans le fait d’offrir une alternative qui permette à un individu, à un groupe ou à une organisation de réaliser ses objectifs de manière non violente). Il importe également que la stratégie de contre-discours comporte d’autres éléments, comme un appel positif à l’action, une présentation claire des identités communes et un sentiment d’appartenance 
			(34) 
			Q. Aslm, «Shared Values
And Identity Can Help Us All Stand Up Against Terror», The Huffington Post, 28 mars 2017..
23. «L’un des aspects de la méthode employée consiste à ébranler le sommet de la hiérarchie des groupes terroristes et extrémistes», en élaborant des messages qui nuisent considérablement à leur autorité et à leur crédibilité 
			(35) 
			M. Jacobson,
«Learning Counter-Narrative Lessons from Cases of Terrorist Dropouts»
in «Countering Violent Extremist Narratives», National Coordinator
for Terrorism, 72-144, p. 75.. Il a également été proposé de mettre l’accent sur l’hypocrisie de l’idéologie véhiculée, en démontrant les souffrances qu’endurent les civils et les musulmans placés sous l’autorité des terroristes. De même, le fait de présenter les terroristes comme de vulgaires criminels peut également contribuer à souligner l’hypocrisie du discours terroriste. Il importe tout autant que les contre-discours présentent ce qu’est réellement l’existence d’un terroriste.
24. Il convient de lutter contre le discours de haine, non seulement au moyen de la réglementation et de la législation, mais également en favorisant le pluralisme des médias, de manière à ce qu’aucune communauté n’en soit exclue 
			(36) 
			Voir
par exemple l’initiative <a href='https://pace.coe.int/fr/web/apce/no-hate-no-fear'>#NiHaineNiPeur</a> de l’Assemblée parlementaire.. Les grandes entreprises des technologies de l’information, comme Facebook, Twitter, YouTube et Microsoft, ont pris une première mesure pour renforcer leur participation à la lutte contre la diffusion du discours de haine en ligne. En mai 2016, elles ont adhéré au Code de conduite pour la lutte contre les discours haineux illégaux en ligne de la Commission européenne, en vertu duquel elles s’engagent à examiner les signalements de discours haineux illégaux et à retirer les contenus concernés dans un délai de 24 heures. Une évaluation du Code de conduite réalisée en janvier 2018 montre que les entreprises des technologies de l'information ont supprimé en moyenne 70 % des discours haineux illégaux qui leur avaient été signalés. Alors que ce pourcentage semble plutôt positif (en comparaison surtout de celui de 28 % lors du premier cycle de suivi en 2016 et de 59 % lors du cycle suivant mené en 2017), la question de la responsabilité des médias sociaux pour les contenus qu'ils diffusent fait de plus en plus débat et ils ont été critiqués pour leur incapacité (relative) à supprimer les contenus violents et extrémistes. Le Gouvernement britannique envisagerait d’imposer une taxe aux entreprises des technologies de l’information en cas de non retrait de ces contenus 
			(37) 
			<a href='https://techcrunch.com/2018/01/02/uk-eyeing-extremism-tax-on-social-media-giants/'>https://techcrunch.com/2018/01/02/uk-eyeing-extremism-tax-on-social-media-giants/</a>.. Mais «la lutte contre le discours de haine exige une stratégie bien plus complète que le simple fait d’interdire ou de bloquer les contenus» 
			(38) 
			K.
Ferguson, Countering violent extremism through media and communication
strategies. A review of the evidence, op.
cit., p. 24.. Il est préférable de s’attaquer aux causes profondes des tensions et des divisions à l’aide de ces contre-discours, de manière à permettre à d’autres voix positives de se faire entendre sur internet.

3.4. Le vecteur du message

25. Il est indispensable que les vecteurs du message jouissent d’une confiance et d’une crédibilité aux yeux des destinataires de ce message. Il importe d’avoir conscience du fait que les gouvernements ne sont pas toujours les vecteurs les plus efficaces d’un contre-discours, car cette crédibilité leur fait souvent défaut. Mais comme les gouvernements jouissent en général d’une importante autorité sur l’ensemble de la population, les initiatives qu’ils prennent sous forme de mesures de lutte contre le terrorisme ou pour réagir face à une situation peuvent être considérées comme une autre forme de contre-discours ou comme un contre-discours en soi 
			(39) 
			International
Centre for Counter-Terrorism, Developing Effective Counter-Narrative
Frameworks for Countering Violent Extremism, septembre 2014, p.
5.. En outre, les gouvernements peuvent lever les obstacles juridiques susceptibles de dissuader les anciens terroristes ou extrémistes violents repentis de s’exprimer 
			(40) 
			UK House of Commons
Home Affairs Committee (commission des affaires intérieures de la
Chambre des communes du Royaume-Uni), Radicalisation: the counter-narrative
and identifying the tipping point, 8e rapport
de la Session 2016-2017, 25 août 2016, paragraphe 108., en s’inspirant le cas échéant des mesures visant à encourager et à protéger les collaborateurs de justice (pentiti) 
			(41) 
			Voir la Recommandation <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805da6ee'>CM/Rec(2005)9</a> du Comité des Ministres relative à la protection des
témoins et des collaborateurs de justice.. Il importe par conséquent que les gouvernements soutiennent les organisations de la société civile dirigées par des acteurs locaux, qui manquent souvent des fonds nécessaires pour élaborer des programmes efficaces de contre-discours.
26. Il est indispensable de mieux comprendre quelles sont les personnes susceptibles d’exercer une influence dans les diverses communautés. Les vecteurs locaux, par exemple les membres de la société civile ou les dignitaires religieux, peuvent faire entendre des voix crédibles sur le terrain. Les anciens terroristes et extrémistes violents peuvent également contribuer à véhiculer un discours qui aura une forte résonance auprès du public visé, en donnant un témoignage saisissant de la réalité de la vie d’un terroriste, en faisant appel à leur propre expérience et en mettant en avant leurs désillusions à l’égard de la cause qu’ils croyaient défendre, de manière à ôter tout prestige et toute légitimité au discours des extrémistes violents et à propager un message de paix 
			(42) 
			Voir par exemple la
chaîne YouTube Abdullah-X, sur laquelle une série de dessins animés
ont été réalisés par un extrémiste repenti pour prévenir l’adhésion
des jeunes Britanniques musulmans aux groupes djihadistes.. En outre, d’aucuns estiment que les messages de contre-discours véhiculés par des individus considérés en particulier par les jeunes comme l’un des leurs sont beaucoup plus efficaces. Mais il peut s’avérer difficile de trouver des personnes prêtes à s’exprimer et, bien souvent, des obstacles judiciaires empêchent d’entrer en contact avec elles, par exemple lorsqu’elles sont incarcérées. Les familles de terroristes peuvent également jouer un rôle important, tout comme les victimes d’attentats terroristes. Elles peuvent l’une et l’autre rappeler de manière émouvante les conséquences du terrorisme et de l’extrémisme violent. Enfin, il convient de garder à l’esprit à quel point il importe de protéger les vecteurs des messages alternatifs ou de campagnes contre-discours.

3.5. Les médias utilisés

27. Le recours à divers médias permet d’optimiser la portée du message véhiculé; il convient par ailleurs d’adapter les médias au contexte local. Internet est évidemment un outil efficace, mais il convient de garder à l’esprit que les SMS, la télévision, la radio et la presse demeurent parfois, dans de nombreux pays, les principales formes de communication. Le recours aux médias pour influencer les comportements ou les mentalités dans le cadre d’une série d’objectifs de développement constitue, selon certains auteurs, une stratégie crédible de contre-discours; plusieurs études ont d’ailleurs démontré que les fictions ou séries télévisées pouvaient avoir une influence sur l’évolution de la société et faire progresser la cause de la paix et du développement.
28. L’utilisation des nouvelles technologies de la communication et des médias sociaux a facilité la propagation de la désinformation au moyen de rumeurs, qui peuvent à leur tour faire naître la peur et les tensions au sein de la collectivité. Mais ces mêmes technologies offrent également la possibilité de diffuser des informations exactes et de dissiper les rumeurs dans les situations de tension. L’utilisation des SMS et des médias sociaux est ainsi préconisée pour diffuser des messages de paix en raison du très grand nombre de personnes qui peuvent ainsi être contactées. Le fait d’opposer à des images d’autres images, par exemple en créant d’autres symboles, ou d’autres vidéos en ligne peut également représenter un média de contre-discours.
29. Soulignons une fois encore l’importance des rapports directs et des activités de sensibilisation de proximité, même au sein des collectivités qui disposent d’un fort taux d’accès à internet 
			(43) 
			International Centre
for Counter-Terrorism, Developing Effective Counter-Narrative Frameworks
for Countering Violent Extremism, septembre 2014, p. 4., pour mettre en pratique les idées et les choix portés à l’attention des citoyens par les contre-discours.

3.6. L’impact des contre-discours

30. Il est extrêmement difficile d’évaluer l’impact des contre-discours. Il est peu probable qu’un internaute partisan d’opinions violentes proclame avoir radicalement changé d’avis après avoir vu une vidéo de contre-discours, par exemple. Néanmoins, les campagnes de contre-discours peuvent favoriser l’esprit critique ou faire germer le doute et la forte mobilisation de particuliers qui entrent en contact avec les organisateurs d’une campagne de contre-discours pour leur apporter leur assistance peut, par exemple, donner une indication claire de l’impact de ces campagnes en ligne 
			(44) 
			T. Silverman et autres,
«The Impact of Counter-Narratives», Institute for Strategic Dialogue
(2016), p. 36.. Les stratégies de mobilisation des internautes représentent donc une composante importante de toute stratégie de contre-discours, capable de provoquer la réaction du public visé et de générer un débat interactif.

4. Initiatives spécifiques visant à lutter contre la propagande terroriste à l’échelon international et européen

31. Divers acteurs mènent des initiatives pour contrer les discours terroristes aux niveaux supranational, international ou régional. Cette partie présente certaines de ces actions de manière non exhaustive.
32. Il est communément admis que les Nations Unies «se sont imposées en tant qu’acteur clé» en matière de contre-discours 
			(45) 
			Countering Terrorist
Narratives, département thématique – Droits des citoyens et affaires
constitutionnelles, Direction générale des politiques internes de
l'Union, PE 596.829 – novembre 2017, Étude pour la Commission des
libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE).. Plusieurs résolutions et plans d’action des Nations Unies ont été adoptés dans le cadre de sa Stratégie antiterroriste mondiale de 2006. La Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité notamment souligne que la lutte contre l'extrémisme violent est un élément clé pour endiguer le flot de combattants étrangers. Le Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent, adopté en 2016 par les Nations Unies, invite non seulement chaque État membre à élaborer un plan d’action contre l’extrémisme violent, mais préconise également le développement de tels plans au niveau régional. Par ailleurs, le Conseil de sécurité des Nations Unies a publié en avril 2017 un Cadre international global de lutte contre la propagande terroriste.
33. Parmi les autres initiatives internationales ayant vu le jour, citons le Forum mondial de lutte contre le terrorisme de 2011, complété depuis décembre 2012 par le Centre Hedayah (un centre d'excellence indépendant consacré à la lutte contre l'extrémisme violent); la Coalition internationale contre Daech formée en 2015; le Centre pour les communications stratégiques antiterroristes (Center for Strategic Counterterrorism Communications, établi en 2010, et remplacé en 2016 par le Centre d’engagement mondial (Global Engagement Center). L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) a également lancé d'importantes initiatives pour lutter contre la propagande terroriste, par l'intermédiaire en particulier de deux de ses centres d'excellence: son Centre d’excellence pour les communications stratégiques établi à Riga (Lettonie) et son Centre d’excellence pour la défense contre le terrorisme implanté à Ankara (Turquie). L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a quant à elle adopté des principes sur la lutte contre le terrorisme (dans le cadre de la Stratégie antiterroriste mondiale de 2006 des Nations Unies), ainsi qu’un Cadre consolidé pour la lutte contre le terrorisme.
34. Un certain nombre d’initiatives ont également été prises au niveau de l’Union européenne, à savoir le Forum de l’Union européenne sur l’internet lancé en 2015 (qui s’efforce de mettre un terme à l’utilisation abusive d’internet par des groupes terroristes internationaux), le Code de conduite pour la lutte contre les discours haineux illégaux en ligne de 2016, le Réseau européen des communications stratégiques (qui fournit des conseils et un appui en matière de communications stratégiques pour aider à endiguer le flot de combattants terroristes étrangers et l'extrémisme violent). Europol joue aussi un rôle essentiel en détectant la propagande terroriste sur internet, puis en signalant les contenus illégaux aux fournisseurs de services internet en vue de leur suppression. Enfin, en 2011, le Conseil européen a créé le Réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR).
35. En janvier 2018, le CODEXTER du Conseil de l’Europe a été rebaptisé Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT). En vertu de son mandat, le CDCT a entre autres tâches principales de proposer au Comité des Ministres des domaines d’action en matière de lutte contre le terrorisme et de coordonner les activités du Conseil de l’Europe dans ce domaine. Il est également chargé d’élaborer une stratégie du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme pour les années 2018 à 2022, axée sur les questions de prévention, de protection et de poursuites, et d’en superviser la mise en œuvre. Il devra par ailleurs organiser une conférence antiterroriste sur le rôle des femmes et des enfants dans le terrorisme.

5. Le concept «d’idéaux partagés»

36. «Les islamistes extrémistes s'appuient sur une prétendue incompatibilité entre la démocratie libérale et leur interprétation de la foi musulmane pour promouvoir l'idée d'une “guerre contre l'islam”, afin de créer une dichotomie entre “eux” et “nous” et d’alimenter les dissensions» 
			(46) 
			Stratégie britannique
de lutte contre le terrorisme 2015.. Il est par conséquent essentiel de développer un ensemble d'idéaux et de vertus bien compris et clairement énoncés, communs à la Convention européenne des droits de l’homme et à l'islam, pour contribuer à «détricoter» le discours de Daech selon lequel l'islam et l'Occident «sont en guerre».

5.1. Favoriser l’élaboration d’une conception commune

37. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la charia était incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme 
			(47) 
			Voir Refah Partisi et autres c. Turquie,
Requête no 41340/98, arrêt du 13 février 2003 (Grande Chambre).. Cela ne signifie cependant pas que cette incompatibilité entre les valeurs islamiques et les principes consacrés par la Convention soit absolue 
			(48) 
			Voir
Yannick Lécuyer, «L’Islam, la Turquie et la Cour européenne des
droits de l’homme», Revue trimestrielle
des droits de l’homme, no 67, 2006, p. 739. Pour ce qui
est du droit de la charia, l’islam et la Convention présentent des incompatibilités
absolues et relatives.. L’islam est en soi une communauté confessionnelle extrêmement diversifiée et pluraliste. Or c’est cette diversité même au sein de l’islam que Daech cherche à éliminer; «L’islam comporte une multitude d’interprétations, de positions et de courants différents à propos des droits de l’homme, qui ont été véhiculés par divers acteurs dans des contextes historiques, sociaux, culturels et politiques différents» 
			(49) 
			M. Juul Petersen, «Islam
and human rights: Clash or compatibility?», London School of Economics
and Political Science, 26 octobre 2016., mais «la conception intellectuelle [islamique] du monde est favorable à l’existence de valeurs communes» 
			(50) 
			Voir Sheikh `Abd Allah
b. Bayyih, «Shared Values», Islam Today, 4 décembre 2007,
par exemple «l’islam énonce l’idée d’une égalité absolue entre tous
les êtres humains, qui descendent d’un ancêtre commun».. Il convient d’examiner cette notion d’idéaux communs et de la promouvoir activement dans le cadre d’un échange et d’un dialogue entre les cultures, afin de favoriser l’élaboration d’une conception commune.

5.2. Les discours alternatifs

38. Aux États-Unis, un mois après le 11 septembre 2001, l’administration Bush avait embauché une directrice de publicité, Charlotte Beers, en qualité de sous-secrétaire à la Diplomatie publique et aux Affaires politiques. Mme Beers avait créé une série de publicités destinées à la télévision, à la radio et à la presse, diffusées dans les pays comptant une importante population musulmane dans le cadre de «l’initiative Valeurs communes», qui visait à donner notamment «l’image d’un musulman américain et de sa famille confortablement installés dans leur maison, qui faisaient ouvertement la prière et profitaient de l’existence qu’ils pouvaient mener aux États-Unis, tout en pratiquant librement leur religion» 
			(51) 
			D. Byman, The Five
Front War (2008), p. 174.. Mais ces publicités avaient été controversées et, moins d’un mois après le lancement de cette campagne, le département d’État américain l’avait suspendue. D’aucuns ont cependant affirmé que ces publicités étaient plus efficaces qu’on ne l’imaginait 
			(52) 
			Voir
J. Fullerton et A. Kendrick, Advertising's War on Terrorism: The
Story of the U.S. State Department's Shared Values Initiative (2006);
mais la validité de ces conclusions a été critiquée en raison du
faible pourcentage de musulmans dans les échantillons étudiés; voir
par exemple L. Pintak, Dangerous Delusions: Advertising Nonsense
about Advertising America (2004). .
39. La promotion de valeurs communes et l’idée d’une cohésion de la collectivité ont également été mises en œuvre dans le cadre d’autres stratégies nationales de lutte contre le terrorisme, comme la stratégie «Prévenir» au Royaume-Uni ou la stratégie «Lutter contre l’extrémisme violent» en Australie. Là encore, cette politique a donné lieu à d’importantes controverses et a même été qualifiée de «contre-productive», au motif qu’elle compromettait la cohésion sociale au lieu de la favoriser. Il importe d’examiner et d’évaluer les stratégies anciennes et actuelles de lutte contre le terrorisme pour déterminer la meilleure utilisation possible de la notion de valeurs communes dans le cadre plus général des contre-discours opposés au terrorisme.
40. Au sein de l’Union européenne, une task force sur la communication stratégique collabore avec les délégations de l’Union européenne dans les pays arabes et avec la coalition mondiale de lutte contre Daech pour «recenser les valeurs communes et élaborer des mesures concrètes» 
			(53) 
			Communication
de la Commission européenne, Soutien à la prévention de la radicalisation
conduisant à l’extrémisme violent, 14 juin 2016. . En outre, le Plan d’action des Nations Unies pour prévenir l’extrémisme violent souligne lui aussi combien il importe de favoriser un dialogue mondial pour unir «les pays, les citoyens et les communautés sur la base de valeurs et de principes communs universels» 
			(54) 
			Assemblée générale
des Nations Unies, Plan d'action pour la prévention de l'extrémisme
violent. Rapport du Secrétaire général, 24 décembre 2015, paragraphe
56..
41. En mai 2017, l’ambassade des États-Unis en Belgique a annoncé qu’une bourse d’un an et d’un montant de $US 200 000 serait allouée en Europe aux organisations non gouvernementales (ONG) ou aux groupes à caractère non lucratif pour la création d’un programme visant, grâce aux plates-formes numériques, à «écarter le discours des groupes extrémistes qui incitent à la violence et à véhiculer des discours alternatifs», ainsi qu’à «diffuser un discours positif sur les populations de réfugiés et de migrants» 
			(55) 
			Voir <a href='http://dailycaller.com/2017/05/21/us-plans-to-spend-200k-in-europe-to-promote-positive-narratives-about-refugees/'>http://dailycaller.com/2017/05/21/us-plans-to-spend-200k-in-europe-to-promote-positive-narratives-about-refugees/</a>; <a href='http://www.breitbart.com/london/2017/05/24/us-reduce-terror-positive-migration/'>www.breitbart.com/london/2017/05/24/us-reduce-terror-positive-migration/</a>..
42. Les «discours alternatifs positifs» opposés à l’extrémisme violent jouent donc un rôle important pour lutter contre l’attrait du terrorisme et devraient être considérés comme une forme viable de contre-discours. Ces discours alternatifs ne visent en effet pas à contester directement le discours extrémiste, mais «cherchent plutôt à influencer les personnes qui pourraient avoir de la sympathie pour les causes extrémistes (sans [pour autant] les soutenir activement) ou à permettre à la majorité silencieuse de s’unir contre l’extrémisme en mettant l’accent sur la solidarité et sur les causes et les valeurs communes» 
			(56) 
			R. Briggs
et S. Feve, «Review of Programs to Counter-Narratives of Violent
Extremism: What works and what are the implications for government?», op. cit., p. 12..
43. Pour être efficace, une stratégie de discours alternatif positif doit associer les communautés musulmanes en faisant d’elles des partenaires placés sur un pied d’égalité. En favorisant une meilleure compréhension des points communs qui existent entre les idéaux de la Convention et ceux de l’islam, nous pouvons élaborer des messages alternatifs positifs auxquels toutes les communautés sont en mesure de s’identifier. Il est possible d’élaborer une stratégie de lutte contre le discours terroriste, efficace et éclairée par une meilleure connaissance du processus de radicalisation, des idéaux communs et du discours terroriste.

5.3. Contribution du Symposium sur «Les valeurs religieuses et les droits de l'homme»

44. Un symposium organisé par l'université de Birmingham (Royaume-Uni) le 14 février 2018 a rassemblé des chercheurs et des experts pour examiner le «consensus par recoupement des points communs» de la Convention européenne des droits de l’homme et de l'islam. Cet échange a utilement mis l'accent sur les idéaux et les vertus que la Convention et l'enseignement islamique ont en commun, notamment (sans s'y limiter):
  • La portée universelle des droits et l’égalité devant la loi. L'article premier de la Convention européenne des droits de l’homme souligne la portée universelle de l'application des droits de l'homme; les parties «reconnaissent à toute personne (italiques ajoutées) relevant de leur juridiction les droits et libertés définis». Par ailleurs, l’article 14 consacre «l’interdiction de discrimination». Cela reflète la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies (articles 1, 2, 4, 5, 7, 12 et 17) et trouve un écho dans l'universalité de l'humanité mise en avant dans l'enseignement islamique, clairement énoncée au verset 49:13 du Coran; «O hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez» (l’emploi de l’italique ne figure pas dans la version originale du texte). Dans son dernier sermon, le Prophète indique: «Un Arabe n’est pas supérieur à un non-Arabe et un non-Arabe n’est pas supérieur à un Arabe. Un blanc n’est pas supérieur à un noir et un noir n’est pas supérieur à un blanc, sauf par la piété et la bonne action».
  • La vie. Le droit à la vie est un idéal absolu fondamental de la Convention. L’article 2 de la Convention consacre le droit à la vie: «Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi.» Ce droit se retrouve dans l'enseignement de l’islam et est souligné par une série de «noms divins» qui, dans l'islam, désignent des caractéristiques de la nature divine 
			(57) 
			Farhana
Mayer, The Blasphemy in Blasphemy Laws, Quilliam Foundation, janvier 2017., en l’occurrence: «le Vivant» (al-Hayy) et «le Protecteur» (al-Hafiz). Il est mis en avant en plusieurs endroits du Coran, en particulier dans la sourate 5:32, qui précise «quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes». Mahomet, dans son dernier sermon, a insisté sur le droit des individus à la vie et la sainteté de leur sang: «O hommes! Vous devez respecter la vie d’autrui jusqu’au jour de la résurrection.»
  • La liberté et la sûreté. Le droit à la liberté et à la sûreté est énoncé à l'article 5 de la Convention, qui dispose que «[t]oute personne a droit à la liberté et à la sûreté», et à l'article 4, qui interdit l'esclavage et le travail forcé. Ces notions trouvent un écho dans l'islam avec la notion coranique d'absence de contrainte (la ikraha), définie dans la sourate 2.256, libellée comme suit: «Pas de contrainte en matière de foi.»
  • Les libertés fondamentales des sociétés plurielles. La Convention énonce une série de libertés fondamentales cruciales qui font partie intégrante d'une société plurielle, notamment la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), la liberté d'expression (article 10) et la liberté de réunion et d'association (article 11). Ces idéaux trouvent une résonance dans un texte clé de l'Islam, la Charte de Médine, rédigée par Mahomet pour apporter la paix dans une ville jusqu'alors déchirée. L'imam Asim Hafiz, conseiller religieux islamique auprès du chef d'état-major de la défense britannique, souligne qu'à l'époque, Médine était un lieu pluraliste, multiethnique, multiracial, multilingue et multireligieux et que la Charte a créé une «Union des peuples libres» et s’inscrit dans la tradition des pactes entre personnes de confessions diverses (y compris le judaïsme, le christianisme et le zoroastrisme) garantissant la liberté de circulation, de travail, d'étude, de religion et de choix. Ce sont les libertés mêmes que le Prophète a accordées dans ses pactes. La tolérance à l'égard de la diversité est bien sûr une caractéristique importante de la vie des États membres du Conseil de l'Europe et sa place prépondérante dans l'islam est soulignée par l’importance accordée à la notion de «al-Halim» (le Tolérant). Shaykh Arif Hussain, directeur de l'Institut Al Mahdi de l'université de Birmingham, a ajouté que «[l]’identité islamique est affaire de dévotion et non de contrats, comme l’illustre le Coran, qui précise que les musulmans et les chrétiens suivent des charias différentes, acceptant ainsi les différences religieuses».
  • La justice. Cette notion de justice – al-Adl – est un principe fondamental de la pensée islamique, et est énoncée très clairement dans la sourate 4:135 du Coran: «Ô les croyants! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Allah l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents». La justice est également une notion centrale de la Convention européenne des droits de l’homme; ainsi, l'article 6 consacre le droit à un procès équitable, disposant que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi», et l'article 13 reconnaît le droit à un recours effectif.
45. Enfin, et cela mérite d'être souligné, l'islam insiste sur l'obligation pour les musulmans de respecter les lois de leur pays de résidence. Ainsi, le Coran indique clairement: «Ô les croyants! Respectez fidèlement vos engagements.»

6. Conclusions et propositions

46. La lutte contre le discours terroriste est une tâche compliquée, pour laquelle il n’existe pas de solution facile et évidente. Les contre-discours opposés aux discours terroristes ont certes un rôle à jouer, mais il est encore plus indispensable d’élaborer des discours alternatifs positifs, préventifs et crédibles, communautaires, en promouvant des valeurs communes et en facilitant le dialogue, en encourageant la sensibilisation et en dissipant les fausses informations. Ces discours alternatifs ou ces contre-discours doivent être flexibles, adaptés à leurs destinataires et spontanés, pour pouvoir séduire un large éventail du public visé dans toute une série de situations, en ligne et hors ligne. Il importe d’œuvrer, en s’appuyant sur la coopération internationale, à constituer un ensemble de bonnes pratiques et d’études de cas de contre-discours efficaces, à évaluer les initiatives prises par chaque État membre et à mieux coordonner les méthodes de contre-discours. Il convient également de se pencher sur les raisons pour lesquelles le discours extrémiste violent peut être séduisant, en favorisant l’élaboration d’une compréhension commune du processus de radicalisation, car un discours ne peut reposer sur du vide.
47. Jusqu'à présent, l'approche fondée sur des «contre-discours» purement politiques, sécuritaires et enracinés dans des traditions nationalistes simplistes s'est parfois avérée problématique. Je suis d’avis qu'il existe d’importantes occasions de promouvoir une autre conception du monde, axées sur la religion et la théologie, en mettant notamment l'accent sur le «consensus par recoupement des points communs» des perspectives religieuses de l’islam et des valeurs de la Convention. Nous devrions nous efforcer de concevoir un discours à partir de ce qui nous unit et non de ce qui nous divise. Dans le projet de résolution, je propose d’appeler les États membres à étudier et promouvoir la notion «d'idéaux partagés» et de consensus par recoupement des points communs des traditions, en examinant les points communs entre les valeurs de l’islam et celles de la Convention, dans le but d’élaborer des discours alternatifs positifs, qui insistent sur l'universalisme, le droit à la vie, le droit à la liberté et la sûreté, les libertés fondamentales des sociétés plurielles et la justice.
48. L’élaboration actuelle d'une Stratégie antiterroriste du Conseil de l'Europe pour les années 2018 à 2022 mérite d’être vivement saluée et offre à l’Organisation l'occasion de jouer un rôle plus en amont et plus déterminant dans la définition de réponses communes en matière de lutte contre les discours terroristes. Le projet de recommandation invite par conséquent le Comité des Ministres à procéder à une étude approfondie de l’expérience concrète acquise par les États membres dans l’élaboration des contre-discours opposés au terrorisme et de leur impact. À partir de cette étude, le Conseil de l'Europe devrait définir des lignes directrices sur la conception du discours destiné à contrer la propagande terroriste, en tenant compte de la nécessité de fonder ce discours sur des informations factuelles.
49. L'importance de la communication dans la lutte contre le terrorisme ne doit pas être sous-estimée, car, comme le souligne à juste titre une étude publiée récemment par le Parlement européen, le terrorisme est fondamentalement un acte de communication; «Les actes terroristes sont eux-mêmes une forme de propagande en actes 
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			Countering Terrorist
Narratives, Département thématique – Droits des citoyens et affaires
constitutionnelles, Direction générale des politiques internes de
l’Union, PE 596.829 – novembre 2017, Étude pour la Commission des libertés
civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement
européen..» Les communications stratégiques sont par essence indispensables dans toutes les initiatives de lutte contre le terrorisme.