1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 25 novembre 2016, la proposition
de résolution «Les contre-discours face au terrorisme» (
Doc. 14032) a été renvoyée à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme pour rapport
. J’ai été nommé
rapporteur par la commission lors de sa réunion du 23 janvier 2017
à Strasbourg. Le 14 février 2018, j’ai participé en ma qualité de
rapporteur à un Symposium sur «Les valeurs religieuses et les droits
de l’homme» (Birmingham, Royaume-Uni), qui a examiné les points
communs entre les valeurs de l’islam et la Convention européenne
des droits de l'homme (STE no 5, «la
Convention»).
1.2. Mandat
2. La proposition de résolution,
que j’ai présentée avec plusieurs autres membres de l’Assemblée,
rappelle que «l’Assemblée parlementaire a longuement discuté de
la crise au Proche-Orient, de son attrait pour les combattants étrangers
et de l’exode de réfugiés qu’elle a provoqué». Elle poursuit en
déclarant que «[p]our combattre Daech, nous devons combattre ses
idées et sa propagande qui visent à persuader que l’Islam est la
cible d’attaques, qu’il s’agit d’un choc de civilisations, que “l’Occident”
et l’Islam sont “en guerre” et que les musulmans ont le devoir religieux
d’aller défendre l’Islam en ralliant Daech. Nous devons unir nos
voix pour exposer la vérité et proclamer que nous faisons front
pour défendre la Convention européenne des droits de l’homme, et
notamment son article 9, que Daech s’efforce de détruire».
3. De ce fait, compte tenu de ce mandat spécifique, le présent
rapport n’aborde que le terrorisme inspiré par Daech et Al-Qaïda
et non celui inspiré par d'autres idéologies. Cela ne devrait toutefois
pas conduire à penser que, selon moi, le terrorisme dans son ensemble
est motivé par ces deux groupes et que les autres actes de violence
politique ne sont pas de nature terroriste.
1.3. Les
questions en jeu
4. «Au cours des 20 dernières
années, la communauté internationale s’est employée à lutter contre l’extrémisme
violent en recourant avant tout à des mesures antiterroristes axées
sur la sécurité.» Mais «elle s’accorde de plus en plus à estimer
que ces mesures n’ont pas suffi à prévenir la propagation de l’extrémisme violent»
.
5. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle important dans la lutte
contre le terrorisme, en élaborant la Convention du Conseil de l'Europe
pour la prévention du terrorisme (
STCE
n° 196) en 2005 et son Protocole additionnel (
STCE
n° 217) en 2015. Le Plan d’action du Comité des Ministres pour
2015-2017 sur la «Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation
conduisant au terrorisme» recense également un certain nombre de
domaines de première importance, qui consistent notamment à «opposer
des contre-arguments au dévoiement de la religion», afin d’opposer
des contre-arguments au discours destructeur des extrémistes (
CM(2015)74, partie 2.1.3). Dans sa
Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, l’Assemblée
parlementaire appelait à «diffuser (…) des contre-discours destinés
à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur
la véritable situation dans les territoires contrôlés par Daech
et le sort de ses recrues, en particulier en se servant des témoignages
de combattants qui sont revenus dans leur pays d’origine et ont
fait l’expérience sur le terrain de la vraie nature de Daech». En
outre, le Comité d'experts sur le terrorisme (
CODEXTER) du Conseil de l’Europe a approuvé en novembre 2017
un nouveau projet de recommandation sur les terroristes qui agissent
isolément, qui a été adopté par le Comité des Ministres en mars 2018,
dont une partie est consacrée à l’élaboration de contre-arguments
et de discours différents.
6. Internet a transformé les moyens qui permettent aux organisations
terroristes d’influencer et de radicaliser les individus, en offrant
un discours terroriste facilement accessible à un large public à
l’échelle mondiale. La quasi-totalité des groupes terroristes disposent
de leur propre site internet et certains d’entre eux gèrent parfois
plusieurs sites disponibles dans différentes langues, qui véhiculent
des discours différents, spécialement adaptés au public auquel ils
s’adressent. Cette situation conduit à s’interroger sur la manière dont
les partisans d’une coexistence pacifique entre les personnes de
religions ou de convictions philosophiques différentes peuvent y
faire face à l’aide de leur propre stratégie médiatique et de communication.
7. Au vu des événements récents, il devient de plus en plus indispensable
d’élaborer des contre-discours, c’est-à-dire des messages qui offrent
une alternative positive aux discours extrémistes violents, ou qui
les déconstruisent ou leur ôtent toute légitimité et contestent
l’idéologie qu’ils véhiculent
. Pour vaincre
Daech et les autres groupes terroristes, il nous faudra triompher
de leurs idées, notamment de l’idée que l’islam est menacé, que
«l’Occident» est «en guerre» contre l’islam et que les musulmans
ont l’obligation religieuse de voler au secours de l’islam en rejoignant
ces groupes extrémistes violents.
8. Je soulignerai par conséquent dans le présent rapport à quel
point il est indispensable de mieux comprendre le processus de radicalisation,
en examinant de quelle manière et pour quelle raison les individus deviennent
des terroristes. J’aborderai ensuite les difficultés que rencontrent
les stratégies de contre-discours pour s’adresser au public auquel
ils sont destinés et pour mesurer leur impact constructif; je proposerai
un certain nombre de facteurs qu’il conviendrait de prendre en compte
pour prendre des initiatives efficaces sur le plan des contre-discours.
Enfin, j’examinerai la notion de valeurs communes et l’importance
que revêt le fait de recenser les principes de la Convention et
les enseignements fondamentaux de l’islam qui se chevauchent pour
parvenir à élaborer des discours alternatifs positifs et efficaces,
fondés sur ce consensus par recoupement des points communs de nos
idéaux.
2. Le processus de radicalisation
2.1. Problèmes
actuels
9. Avant les événements du 11 septembre 2011,
les causes du terrorisme étaient analysées selon trois facteurs:
celui de la motivation individuelle qui prend place dans un système
de croyances; celui de la décision prise dans le cadre d’une stratégie
adoptée par un mouvement terroriste; et celui d’un contexte politique
et social plus général au sein duquel les mouvements terroristes
interagissent
.
Mais ces dernières années, l’idée d’un lien linéaire entre la radicalisation
et le terrorisme, ce qu’on appelle la théorie du «tapis roulant»,
s'est imposée comme un cadre politique pour repenser les stratégies
de prévention de la violence. Mais cette théorie est largement contestée
et
a même été discréditée dans une certaine mesure
. Certains chercheurs soutiennent
que l’action violente peut également précéder la radicalisation:
une personne peut adopter l’idéologie d’un groupe terroriste après
s’être engagée dans la voie du terrorisme pour pouvoir justifier
après-coup la violence de ses actes
.
Il a par ailleurs été démontré que la radicalisation ne conduisait
pas nécessairement à la violence; les individus peuvent par conséquent
adopter des positions extrêmes sans choisir la transgression en
versant dans un extrémisme violent
.
10. Il n’existe à l’heure actuelle aucune définition internationalement
admise de la «radicalisation», ni aucun consensus sur cette question
complexe et controversée, car «les experts de la radicalisation
s’accordent à peu près sur un seul point: la radicalisation est
un processus»
. Mais il
est impossible de prévenir efficacement la radicalisation sans mieux
comprendre au préalable ses causes profondes.
2.2. Les
facteurs à prendre en compte
11. «La voie qui mène les individus
à l’extrémisme violent n’est pas unique»
, chaque cas est différent et cette
situation peut toucher des hommes et des femmes de toutes origines
sociales. Un certain nombre de facteurs susceptibles d’y contribuer
ont cependant été recensés.
12. L’une des définitions de la radicalisation présente ce processus
comme la «combinaison multiple de facteurs d’attraction et de répulsion,
qui suppose l’association de facteurs sociopsychologiques, de griefs politiques,
de motifs et de discours religieux, de politique identitaire et
de mécanismes d’actionnement qui poussent collectivement les individus
vers l’extrémisme»
.
Les «facteurs de répulsion» agissent au niveau personnel. Ils peuvent
inclure un milieu familial défaillant ou des maltraitances
,
comme les brimades, des crises personnelles conjuguées à un manque
d’intégration, ou des actes délictueux
. Ces facteurs se traduisent par
un même effet psychologique: la levée des inhibitions qui empêchent
habituellement une personne de verser dans la violence. Les «facteurs
d'attraction» ou les «influences radicalisantes» entrent en jeu
à l’étape suivante, qui peut toutefois empiéter sur la première.
Ils peuvent résulter de la confrontation d’un membre de la famille
ou d’un ami à des influences extrémistes ou de la rencontre d’un
partisan de la radicalisation à l’université, en prison, dans un
cadre communautaire ou en ligne.
13. L’efficacité des influences en ligne tient généralement à
l’absence d’obstacle et à la présence d’un «commutateur», c’est-à-dire
la survenance d’un «électrochoc» ou une «ouverture idéologique»
qui peut provenir d’un événement unique ou de l’exposition à une
cause particulière, qui donne sa raison d’être à la radicalisation.
Ainsi, il arrive que l’idéologie radicale «se nourrisse des griefs
en leur donnant un sens, ce qui donne du même coup un sens à l’existence
de l’intéressé»
. Ce parcours pourrait être
qualifié de «croisée des chemins»
. Une multiplicité
de facteurs attise la colère et place un individu face à un choix
critique; l’un des chemins le conduit à recourir à la violence pour
modifier une situation, tandis que l’autre le pousse à changer cette
même situation par des moyens pacifiques et civils. Beaucoup d’extrémistes
violents exploitent un «islam bricolé» pour convaincre les gens
de régler leurs griefs non pas au moyen de stratégies pacifiques de
changement mais par la violence, en nourrissant chez les jeunes
une soif de reconnaissance, de vengeance et de réaction
.
14. Des études récentes ont associé l’augmentation du discours
extrémiste en ligne à l’augmentation des infractions extrémistes
ou identitaires commises hors-ligne. Toutefois, si «certains éléments
peuvent laisser penser que des formes d’expression et de communication,
comme le discours de haine, la déshumanisation d’autrui et les discours
ou la propagande identitaire, peuvent créer des conditions» plus
propices à l’apparition de l’extrémisme, «le lien de cause à effet
n’a toujours pas été démontré»
.
15. Il convient donc de rechercher ailleurs les raisons pour lesquelles
certains discours extrémistes violents peuvent être si séduisants,
ainsi que les raisons pour lesquelles des individus deviennent membres d’organisations
terroristes et pour lesquelles certains décident de partir. Il importe
d’analyser constamment les différences que présentent la radicalisation
et la déradicalisation dans les divers pays, ainsi que la manière dont
le processus de radicalisation évolue. Il faut donc procéder à une
appréciation approfondie de tous les aspects de la radicalisation
pour parvenir à une compréhension commune des modes de radicalisation.
3. Les
stratégies de contre-discours
3.1. La
définition des contre-discours
16. Bien qu’il n’existe pas de
voie unique qui mène au terrorisme, l’éventail très étendu des stratégies
de communication des groupes terroristes «est primordial pour favoriser
l’adoption de croyances et de mentalités qui ont davantage de chance
de conduire les destinataires non violents de cette communication
à s’engager dans la voie du terrorisme»
. Les stratégies
les plus persuasives utilisent un discours qui vise avant tout à «véhiculer
une idéologie, des valeurs, des justifications ou des préoccupations
essentielles» destinées notamment à des sympathisants, à des membres
en puissance ou au grand public. L'analyse révèle l’existence de
ce que l’on appelle les «5P du discours extrémiste»
:
- Piété.
Daech et Al-Qaïda, comme tous les tenants d’une hérésie, clament
haut et fort être les «vrais croyants» de l’Islam et, surtout, donnent
une justification religieuse à la violence ;
- Point d’honneur.
Daech se lance dans une puissante opération de séduction en faisant
appel au sens de l’honneur associé au service d’une cause et au
fait de se sacrifier pour elle, en ayant recours à une iconographie
qui met l’accent sur la «noblesse» du djihad violent;
- Puissance. Daech
et Al-Qaïda ont l’un comme l’autre assimilé les enseignements d'Oussama
Ben Laden, qui déclarait en 2001: «Quand les gens voient un cheval
fort et un cheval faible, ils préfèrent tout naturellement le cheval
fort .» Ils encouragent ainsi
tous deux les «discours de vainqueurs», qui incitent leurs partisans
à repousser sans cesse leurs limites;
- Perfectionnisme.
Daech propose à ses recrues une vision utopique de l’instauration
d'un nouveau califat, qui permet la reconnaissance et la résurrection
des idéaux de la vie de Mahomet. Une étude a montré que près de
la moitié de la propagande de «l’État islamique» dresse le tableau
de l’existence heureuse de ses citoyens;
- Provocation. Daech
et Al-Qaïda cherchent à susciter un sentiment puissant de victimisation,
en fournissant des preuves choquantes de pertes civiles et en présentant
la lutte contre l'Occident comme un «djihad défensif».
17. Pour remédier à ce problème, le discours récent de la lutte
contre le terrorisme a tendance à affronter celui sur lequel s’appuient
les groupes terroristes, en élaborant des contre-discours, pour
dissuader les destinataires de la rhétorique terroriste de soutenir
le terrorisme qu’elle préconise. Les contre-discours qui visent
à s’opposer à l’extrémisme violent se définissent comme des «initiatives
prises directement dans l’intention de déconstruire, discréditer
et démystifier le discours extrémiste violent, en s’appuyant sur l’idéologie,
la logique, les faits ou l’humour»
.
Les contre-discours ont pour but de contester et de contredire le
discours terroriste dans ses sujets intrinsèques.
18. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il est extrêmement difficile
d’identifier les personnes qui risquent de se radicaliser et d’être
ensuite attirées par un comportement extrémiste; il est d’autant
plus ardu et complexe de trouver le moyen de s’opposer aux idées
terroristes extrémistes. De toute évidence, il n’est pas souhaitable
d’élaborer un contre-discours global unique. Comme nous le verrons,
il vaut mieux lui préférer la mise en place d’une multitude de formes
différentes de discours véhiculés par un grand nombre de médias divers,
associée à une action locale sur le terrain.
3.2. Les
éléments à prendre en compte
19. Il est essentiel de savoir
à quelles difficultés le contre-discours s’est heurté par le passé
pour pouvoir élaborer les stratégies efficaces qui seront utilisées
à l’avenir. On reproche aux stratégies de contre-discours d’être
trop éloignées de la vie et des préoccupations quotidiennes des
personnes auxquelles elles s’adressent, en particulier des jeunes
. En
outre, certaines études estiment que les stratégies de contre-discours
risquent de produire des effets plus négatifs que positifs et de
se révéler contre-productives si elles ne portent pas leurs fruits,
en renforçant le discours terroriste au lieu d’en prendre le contre-pied.
Certains auteurs considèrent également que ce problème «est aggravé
par le fait de mettre l’accent sur la condamnation du terrorisme
par les musulmans européens, ce qui ne fait que renforcer l’islamisation
de la question»
.
20. Plusieurs études universitaires consacrées à la politique
nationale de contre-discours menée au Royaume-Uni, aux États-Unis,
au Canada et en Australie (où l’offensive de contre-discours a été
la plus importante à ce jour)
ont critiqué
cette politique, et ne sont pas parvenues à recenser des résultats
positifs tangibles
. Il
reste cependant difficile de déterminer le succès que rencontrent
les initiatives de contre-discours, car ce domaine n’a pour l’instant
fait l’objet d’aucun suivi ni d’aucune évaluation solides sur le
plan méthodologique, bien que l’on procède en ce moment à des évaluations
plus rigoureuses de leur impact.
3.3. Le
message à adresser
21. «On mesure encore mal ce qui
assure l’efficacité d’une campagne de contre-discours
.»
Mais plusieurs facteurs importants ont été recensés. Il est essentiel
de commencer par définir l’objectif de la campagne. Certains considèrent
que le fait de cibler «uniquement les quelques personnes qui sont
sur le point d’être recrutées» est bien trop restrictif
. Ces campagnes
peuvent viser un public géographiquement circonscrit (par exemple
pour les projets locaux) ou mondial (par exemple sur internet, grâce
aux médias sociaux) et peuvent également englober les personnes
qui, pour diverses raisons, se sentent concernées par une guerre
ou un conflit qui secoue un pays étranger, indépendamment de leur
pays d’origine ou de leur nationalité
.
Lorsque cela s’avère possible, il convient d’élaborer un contre-discours
avec la coopération de membres du public ciblé, de manière à renforcer
l’efficacité de son accueil. «Il faut [également] réaliser un plus
grand nombre d’études qui permettront de comprendre comment un public
ciblé particulier réagit à certaines idées
.»
22. À l’occasion d’une réunion d’experts organisée en juin 2014,
le Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT) a recensé
un certain nombre de types différents de contre-discours. Il a fait
remarquer que le «contre-discours» suppose de répondre et de réagir
au discours terroriste. Mais la simple réaction ne suffit pas. Il
est donc recommandé que les initiatives de contre-discours privilégient
l’élaboration d’un discours préventif, positif et alternatif
.
Parmi les autres formes de discours proposées figurent le contre-discours stratégique,
qui condamne les extrémistes violents et leurs actions; le contre-discours
éthique, qui souligne que l’action violente n’est pas une façon
morale de réaliser ses objectifs et privilégie les valeurs communes, en
soulignant les points communs de tous les êtres humains et en préconisant
une meilleure coopération entre l’ensemble des pays et des peuples;
le contre-discours idéologique et religieux; le contre-discours
tactique, qui souligne que la violence est souvent moins efficace
à long terme que des méthodes plus pacifiques (même si les intervenants
ont fait remarquer que la principale difficulté résidait dans le
fait d’offrir une alternative qui permette à un individu, à un groupe
ou à une organisation de réaliser ses objectifs de manière non violente). Il
importe également que la stratégie de contre-discours comporte d’autres
éléments, comme un appel positif à l’action, une présentation claire
des identités communes et un sentiment d’appartenance
.
23. «L’un des aspects de la méthode employée consiste à ébranler
le sommet de la hiérarchie des groupes terroristes et extrémistes»,
en élaborant des messages qui nuisent considérablement à leur autorité
et à leur crédibilité
. Il a également
été proposé de mettre l’accent sur l’hypocrisie de l’idéologie véhiculée,
en démontrant les souffrances qu’endurent les civils et les musulmans
placés sous l’autorité des terroristes. De même, le fait de présenter
les terroristes comme de vulgaires criminels peut également contribuer
à souligner l’hypocrisie du discours terroriste. Il importe tout
autant que les contre-discours présentent ce qu’est réellement l’existence
d’un terroriste.
24. Il convient de lutter contre le discours de haine, non seulement
au moyen de la réglementation et de la législation, mais également
en favorisant le pluralisme des médias, de manière à ce qu’aucune
communauté n’en soit exclue
. Les
grandes entreprises des technologies de l’information, comme Facebook,
Twitter, YouTube et Microsoft, ont pris une première mesure pour
renforcer leur participation à la lutte contre la diffusion du discours
de haine en ligne. En mai 2016, elles ont adhéré au Code de conduite
pour la lutte contre les discours haineux illégaux en ligne de la
Commission européenne, en vertu duquel elles s’engagent à examiner
les signalements de discours haineux illégaux et à retirer les contenus
concernés dans un délai de 24 heures. Une
évaluation du Code de conduite réalisée en janvier 2018 montre
que les entreprises des technologies de l'information ont supprimé
en moyenne 70 % des discours haineux illégaux qui leur avaient été
signalés. Alors que ce pourcentage semble plutôt positif (en comparaison
surtout de celui de 28 % lors du premier cycle de suivi en 2016
et de 59 % lors du cycle suivant mené en 2017), la question de la
responsabilité des médias sociaux pour les contenus qu'ils diffusent
fait de plus en plus débat et ils ont été critiqués pour leur incapacité
(relative) à supprimer les contenus violents et extrémistes. Le
Gouvernement britannique envisagerait d’imposer une taxe aux entreprises
des technologies de l’information en cas de non retrait de ces contenus
. Mais «la lutte contre le discours
de haine exige une stratégie bien plus complète que le simple fait d’interdire
ou de bloquer les contenus»
. Il est préférable de
s’attaquer aux causes profondes des tensions et des divisions à
l’aide de ces contre-discours, de manière à permettre à d’autres
voix positives de se faire entendre sur internet.
3.4. Le
vecteur du message
25. Il est indispensable que les
vecteurs du message jouissent d’une confiance et d’une crédibilité
aux yeux des destinataires de ce message. Il importe d’avoir conscience
du fait que les gouvernements ne sont pas toujours les vecteurs
les plus efficaces d’un contre-discours, car cette crédibilité leur
fait souvent défaut. Mais comme les gouvernements jouissent en général
d’une importante autorité sur l’ensemble de la population, les initiatives
qu’ils prennent sous forme de mesures de lutte contre le terrorisme
ou pour réagir face à une situation peuvent être considérées comme
une autre forme de contre-discours ou comme un contre-discours en
soi
. En outre, les gouvernements peuvent lever
les obstacles juridiques susceptibles de dissuader les anciens terroristes
ou extrémistes violents repentis de s’exprimer
, en s’inspirant
le cas échéant des mesures visant à encourager et à protéger les
collaborateurs de justice (
pentiti)
. Il
importe par conséquent que les gouvernements soutiennent les organisations
de la société civile dirigées par des acteurs locaux, qui manquent
souvent des fonds nécessaires pour élaborer des programmes efficaces
de contre-discours.
26. Il est indispensable de mieux comprendre quelles sont les
personnes susceptibles d’exercer une influence dans les diverses
communautés. Les vecteurs locaux, par exemple les membres de la
société civile ou les dignitaires religieux, peuvent faire entendre
des voix crédibles sur le terrain. Les anciens terroristes et extrémistes
violents peuvent également contribuer à véhiculer un discours qui
aura une forte résonance auprès du public visé, en donnant un témoignage
saisissant de la réalité de la vie d’un terroriste, en faisant appel
à leur propre expérience et en mettant en avant leurs désillusions
à l’égard de la cause qu’ils croyaient défendre, de manière à ôter
tout prestige et toute légitimité au discours des extrémistes violents
et à propager un message de paix
.
En outre, d’aucuns estiment que les messages de contre-discours
véhiculés par des individus considérés en particulier par les jeunes
comme l’un des leurs sont beaucoup plus efficaces. Mais il peut
s’avérer difficile de trouver des personnes prêtes à s’exprimer
et, bien souvent, des obstacles judiciaires empêchent d’entrer en
contact avec elles, par exemple lorsqu’elles sont incarcérées. Les
familles de terroristes peuvent également jouer un rôle important,
tout comme les victimes d’attentats terroristes. Elles peuvent l’une et
l’autre rappeler de manière émouvante les conséquences du terrorisme
et de l’extrémisme violent. Enfin, il convient de garder à l’esprit
à quel point il importe de protéger les vecteurs des messages alternatifs
ou de campagnes contre-discours.
3.5. Les
médias utilisés
27. Le recours à divers médias
permet d’optimiser la portée du message véhiculé; il convient par
ailleurs d’adapter les médias au contexte local. Internet est évidemment
un outil efficace, mais il convient de garder à l’esprit que les
SMS, la télévision, la radio et la presse demeurent parfois, dans
de nombreux pays, les principales formes de communication. Le recours
aux médias pour influencer les comportements ou les mentalités dans
le cadre d’une série d’objectifs de développement constitue, selon
certains auteurs, une stratégie crédible de contre-discours; plusieurs
études ont d’ailleurs démontré que les fictions ou séries télévisées
pouvaient avoir une influence sur l’évolution de la société et faire
progresser la cause de la paix et du développement.
28. L’utilisation des nouvelles technologies de la communication
et des médias sociaux a facilité la propagation de la désinformation
au moyen de rumeurs, qui peuvent à leur tour faire naître la peur
et les tensions au sein de la collectivité. Mais ces mêmes technologies
offrent également la possibilité de diffuser des informations exactes
et de dissiper les rumeurs dans les situations de tension. L’utilisation
des SMS et des médias sociaux est ainsi préconisée pour diffuser
des messages de paix en raison du très grand nombre de personnes
qui peuvent ainsi être contactées. Le fait d’opposer à des images
d’autres images, par exemple en créant d’autres symboles, ou d’autres
vidéos en ligne peut également représenter un média de contre-discours.
29. Soulignons une fois encore l’importance des rapports directs
et des activités de sensibilisation de proximité, même au sein des
collectivités qui disposent d’un fort taux d’accès à internet
,
pour mettre en pratique les idées et les choix portés à l’attention
des citoyens par les contre-discours.
3.6. L’impact
des contre-discours
30. Il est extrêmement difficile
d’évaluer l’impact des contre-discours. Il est peu probable qu’un
internaute partisan d’opinions violentes proclame avoir radicalement
changé d’avis après avoir vu une vidéo de contre-discours, par exemple.
Néanmoins, les campagnes de contre-discours peuvent favoriser l’esprit
critique ou faire germer le doute et la forte mobilisation de particuliers
qui entrent en contact avec les organisateurs d’une campagne de
contre-discours pour leur apporter leur assistance peut, par exemple,
donner une indication claire de l’impact de ces campagnes en ligne
. Les stratégies de mobilisation
des internautes représentent donc une composante importante de toute
stratégie de contre-discours, capable de provoquer la réaction du public
visé et de générer un débat interactif.
4. Initiatives
spécifiques visant à lutter contre la propagande terroriste à l’échelon
international et européen
31. Divers acteurs mènent des initiatives
pour contrer les discours terroristes aux niveaux supranational, international
ou régional. Cette partie présente certaines de ces actions de manière
non exhaustive.
32. Il est communément admis que les Nations Unies «se sont imposées
en tant qu’acteur clé» en matière de contre-discours
.
Plusieurs résolutions et plans d’action des Nations Unies ont été
adoptés dans le cadre de sa
Stratégie
antiterroriste mondiale de 2006. La
Résolution
2178 (2014) du Conseil de sécurité notamment souligne que la lutte
contre l'extrémisme violent est un élément clé pour endiguer le
flot de combattants étrangers. Le Plan d’action pour la prévention
de l’extrémisme violent, adopté en 2016 par les Nations Unies, invite
non seulement chaque État membre à élaborer un plan d’action contre
l’extrémisme violent, mais préconise également le développement
de tels plans au niveau régional. Par ailleurs, le Conseil de sécurité des
Nations Unies a publié en avril 2017 un Cadre international global
de lutte contre la propagande terroriste.
33. Parmi les autres initiatives internationales ayant vu le jour,
citons le Forum mondial de lutte contre le terrorisme de 2011, complété
depuis décembre 2012 par le Centre Hedayah (un centre d'excellence indépendant
consacré à la lutte contre l'extrémisme violent); la Coalition internationale
contre Daech formée en 2015; le Centre pour les communications stratégiques
antiterroristes (Center for Strategic Counterterrorism Communications,
établi en 2010, et remplacé en 2016 par le Centre d’engagement mondial
(Global Engagement Center). L'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord (OTAN) a également lancé d'importantes initiatives pour lutter
contre la propagande terroriste, par l'intermédiaire en particulier
de deux de ses centres d'excellence: son Centre d’excellence pour
les communications stratégiques établi à Riga (Lettonie) et son Centre
d’excellence pour la défense contre le terrorisme implanté à Ankara
(Turquie). L’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) a quant à elle adopté des principes sur la lutte contre
le terrorisme (dans le cadre de la Stratégie antiterroriste mondiale
de 2006 des Nations Unies), ainsi qu’un Cadre consolidé pour la
lutte contre le terrorisme.
34. Un certain nombre d’initiatives ont également été prises au
niveau de l’Union européenne, à savoir le Forum de l’Union européenne
sur l’internet lancé en 2015 (qui s’efforce de mettre un terme à
l’utilisation abusive d’internet par des groupes terroristes internationaux),
le Code de conduite pour la lutte contre les discours haineux illégaux
en ligne de 2016, le Réseau européen des communications stratégiques
(qui fournit des conseils et un appui en matière de communications
stratégiques pour aider à endiguer le flot de combattants terroristes
étrangers et l'extrémisme violent). Europol joue aussi un rôle essentiel
en détectant la propagande terroriste sur internet, puis en signalant
les contenus illégaux aux fournisseurs de services internet en vue
de leur suppression. Enfin, en 2011, le Conseil européen a créé
le Réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR).
35. En janvier 2018, le CODEXTER du Conseil de l’Europe a été
rebaptisé Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT). En vertu
de son mandat, le CDCT a entre autres tâches principales de proposer
au Comité des Ministres des domaines d’action en matière de lutte
contre le terrorisme et de coordonner les activités du Conseil de
l’Europe dans ce domaine. Il est également chargé d’élaborer une
stratégie du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme
pour les années 2018 à 2022, axée sur les questions de prévention, de
protection et de poursuites, et d’en superviser la mise en œuvre.
Il devra par ailleurs organiser une conférence antiterroriste sur
le rôle des femmes et des enfants dans le terrorisme.
5. Le
concept «d’idéaux partagés»
36. «Les islamistes extrémistes
s'appuient sur une prétendue incompatibilité entre la démocratie
libérale et leur interprétation de la foi musulmane pour promouvoir
l'idée d'une “guerre contre l'islam”, afin de créer une dichotomie
entre “eux” et “nous” et d’alimenter les dissensions»
. Il est par
conséquent essentiel de développer un ensemble d'idéaux et de vertus
bien compris et clairement énoncés, communs à la Convention européenne
des droits de l’homme et à l'islam, pour contribuer à «détricoter»
le discours de Daech selon lequel l'islam et l'Occident «sont en
guerre».
5.1. Favoriser
l’élaboration d’une conception commune
37. La Cour européenne des droits
de l’homme a conclu que la charia était incompatible avec la Convention européenne
des droits de l’homme
.
Cela ne signifie cependant pas que cette incompatibilité entre les
valeurs islamiques et les principes consacrés par la Convention
soit absolue
. L’islam est en soi une
communauté confessionnelle extrêmement diversifiée et pluraliste.
Or c’est cette diversité même au sein de l’islam que Daech cherche
à éliminer; «L’islam comporte une multitude d’interprétations, de
positions et de courants différents à propos des droits de l’homme,
qui ont été véhiculés par divers acteurs dans des contextes historiques,
sociaux, culturels et politiques différents»
, mais
«la conception intellectuelle [islamique] du monde est favorable
à l’existence de valeurs communes»
.
Il convient d’examiner cette notion d’idéaux communs et de la promouvoir
activement dans le cadre d’un échange et d’un dialogue entre les
cultures, afin de favoriser l’élaboration d’une conception commune.
5.2. Les
discours alternatifs
38. Aux États-Unis, un mois après
le 11 septembre 2001, l’administration Bush avait embauché une directrice
de publicité, Charlotte Beers, en qualité de sous-secrétaire à la
Diplomatie publique et aux Affaires politiques. Mme Beers
avait créé une série de publicités destinées à la télévision, à
la radio et à la presse, diffusées dans les pays comptant une importante
population musulmane dans le cadre de «l’initiative Valeurs communes»,
qui visait à donner notamment «l’image d’un musulman américain et
de sa famille confortablement installés dans leur maison, qui faisaient
ouvertement la prière et profitaient de l’existence qu’ils pouvaient
mener aux États-Unis, tout en pratiquant librement leur religion»
. Mais ces publicités
avaient été controversées et, moins d’un mois après le lancement
de cette campagne, le département d’État américain l’avait suspendue.
D’aucuns ont cependant affirmé que ces publicités étaient plus efficaces
qu’on ne l’imaginait
.
39. La promotion de valeurs communes et l’idée d’une cohésion
de la collectivité ont également été mises en œuvre dans le cadre
d’autres stratégies nationales de lutte contre le terrorisme, comme
la stratégie «Prévenir» au Royaume-Uni ou la stratégie «Lutter contre
l’extrémisme violent» en Australie. Là encore, cette politique a
donné lieu à d’importantes controverses et a même été qualifiée
de «contre-productive», au motif qu’elle compromettait la cohésion
sociale au lieu de la favoriser. Il importe d’examiner et d’évaluer
les stratégies anciennes et actuelles de lutte contre le terrorisme
pour déterminer la meilleure utilisation possible de la notion de
valeurs communes dans le cadre plus général des contre-discours
opposés au terrorisme.
40. Au sein de l’Union européenne, une task force sur la communication
stratégique collabore avec les délégations de l’Union européenne
dans les pays arabes et avec la coalition mondiale de lutte contre
Daech pour «recenser les valeurs communes et élaborer des mesures
concrètes»
.
En outre, le Plan d’action des Nations Unies pour prévenir l’extrémisme
violent souligne lui aussi combien il importe de favoriser un dialogue mondial
pour unir «les pays, les citoyens et les communautés sur la base
de valeurs et de principes communs universels»
.
41. En mai 2017, l’ambassade des États-Unis en Belgique a annoncé
qu’une bourse d’un an et d’un montant de $US 200 000 serait allouée
en Europe aux organisations non gouvernementales (ONG) ou aux groupes
à caractère non lucratif pour la création d’un programme visant,
grâce aux plates-formes numériques, à «écarter le discours des groupes
extrémistes qui incitent à la violence et à véhiculer des discours
alternatifs», ainsi qu’à «diffuser un discours positif sur les populations
de réfugiés et de migrants»
.
42. Les «discours alternatifs positifs» opposés à l’extrémisme
violent jouent donc un rôle important pour lutter contre l’attrait
du terrorisme et devraient être considérés comme une forme viable
de contre-discours. Ces discours alternatifs ne visent en effet
pas à contester directement le discours extrémiste, mais «cherchent plutôt
à influencer les personnes qui pourraient avoir de la sympathie
pour les causes extrémistes (sans [pour autant] les soutenir activement)
ou à permettre à la majorité silencieuse de s’unir contre l’extrémisme
en mettant l’accent sur la solidarité et sur les causes et les valeurs
communes»
.
43. Pour être efficace, une stratégie de discours alternatif positif
doit associer les communautés musulmanes en faisant d’elles des
partenaires placés sur un pied d’égalité. En favorisant une meilleure compréhension
des points communs qui existent entre les idéaux de la Convention
et ceux de l’islam, nous pouvons élaborer des messages alternatifs
positifs auxquels toutes les communautés sont en mesure de s’identifier.
Il est possible d’élaborer une stratégie de lutte contre le discours
terroriste, efficace et éclairée par une meilleure connaissance
du processus de radicalisation, des idéaux communs et du discours
terroriste.
5.3. Contribution
du Symposium sur «Les valeurs religieuses et les droits de l'homme»
44. Un symposium organisé par l'université
de Birmingham (Royaume-Uni) le 14 février 2018 a rassemblé des chercheurs
et des experts pour examiner le «consensus par recoupement des points
communs» de la Convention européenne des droits de l’homme et de
l'islam. Cet échange a utilement mis l'accent sur les idéaux et
les vertus que la Convention et l'enseignement islamique ont en
commun, notamment (sans s'y limiter):
- La portée universelle des
droits et l’égalité devant la loi. L'article premier
de la Convention européenne des droits de l’homme souligne la portée
universelle de l'application des droits de l'homme; les parties
«reconnaissent à toute personne (italiques
ajoutées) relevant de leur juridiction les droits et libertés définis».
Par ailleurs, l’article 14 consacre «l’interdiction de discrimination».
Cela reflète la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies
(articles 1, 2, 4, 5, 7, 12 et 17) et trouve un écho dans l'universalité
de l'humanité mise en avant dans l'enseignement islamique, clairement
énoncée au verset 49:13 du Coran; «O hommes! Nous vous avons créés
d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations
et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez» (l’emploi
de l’italique ne figure pas dans la version originale du texte).
Dans son dernier sermon, le Prophète indique: «Un Arabe n’est pas
supérieur à un non-Arabe et un non-Arabe n’est pas supérieur à un
Arabe. Un blanc n’est pas supérieur à un noir et un noir n’est pas
supérieur à un blanc, sauf par la piété et la bonne action».
- La vie. Le droit
à la vie est un idéal absolu fondamental de la Convention. L’article
2 de la Convention consacre le droit à la vie: «Le droit de toute
personne à la vie est protégé par la loi.» Ce droit se retrouve dans
l'enseignement de l’islam et est souligné par une série de «noms
divins» qui, dans l'islam, désignent des caractéristiques de la
nature divine ,
en l’occurrence: «le Vivant» (al-Hayy) et «le Protecteur» (al-Hafiz).
Il est mis en avant en plusieurs endroits du Coran, en particulier
dans la sourate 5:32, qui précise «quiconque tuerait une personne
non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est
comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don
de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes».
Mahomet, dans son dernier sermon, a insisté sur le droit des individus
à la vie et la sainteté de leur sang: «O hommes! Vous devez respecter
la vie d’autrui jusqu’au jour de la résurrection.»
- La liberté et la sûreté. Le
droit à la liberté et à la sûreté est énoncé à l'article 5 de la
Convention, qui dispose que «[t]oute personne a droit à la liberté
et à la sûreté», et à l'article 4, qui interdit l'esclavage et le
travail forcé. Ces notions trouvent un écho dans l'islam avec la
notion coranique d'absence de contrainte (la ikraha), définie dans
la sourate 2.256, libellée comme suit: «Pas de contrainte en matière de
foi.»
- Les libertés fondamentales
des sociétés plurielles. La Convention énonce une série
de libertés fondamentales cruciales qui font partie intégrante d'une
société plurielle, notamment la liberté de pensée, de conscience
et de religion (article 9), la liberté d'expression (article 10)
et la liberté de réunion et d'association (article 11). Ces idéaux
trouvent une résonance dans un texte clé de l'Islam, la Charte de
Médine, rédigée par Mahomet pour apporter la paix dans une ville
jusqu'alors déchirée. L'imam Asim Hafiz, conseiller religieux islamique
auprès du chef d'état-major de la défense britannique, souligne
qu'à l'époque, Médine était un lieu pluraliste, multiethnique, multiracial,
multilingue et multireligieux et que la Charte a créé une «Union
des peuples libres» et s’inscrit dans la tradition des pactes entre
personnes de confessions diverses (y compris le judaïsme, le christianisme
et le zoroastrisme) garantissant la liberté de circulation, de travail,
d'étude, de religion et de choix. Ce sont les libertés mêmes que
le Prophète a accordées dans ses pactes. La tolérance à l'égard
de la diversité est bien sûr une caractéristique importante de la
vie des États membres du Conseil de l'Europe et sa place prépondérante
dans l'islam est soulignée par l’importance accordée à la notion
de «al-Halim» (le Tolérant). Shaykh Arif Hussain, directeur de l'Institut
Al Mahdi de l'université de Birmingham, a ajouté que «[l]’identité
islamique est affaire de dévotion et non de contrats, comme l’illustre
le Coran, qui précise que les musulmans et les chrétiens suivent
des charias différentes, acceptant ainsi les différences religieuses».
- La justice. Cette
notion de justice – al-Adl – est un principe fondamental de la pensée
islamique, et est énoncée très clairement dans la sourate 4:135
du Coran: «Ô les croyants! Observez strictement la justice et soyez
des témoins (véridiques) comme Allah l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes,
contre vos père et mère ou proches parents». La justice est également
une notion centrale de la Convention européenne des droits de l’homme;
ainsi, l'article 6 consacre le droit à un procès équitable, disposant que
«[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant
et impartial, établi par la loi», et l'article 13 reconnaît le droit
à un recours effectif.
45. Enfin, et cela mérite d'être souligné, l'islam insiste sur
l'obligation pour les musulmans de respecter les lois de leur pays
de résidence. Ainsi, le Coran indique clairement: «Ô les croyants! Respectez fidèlement vos engagements.»
6. Conclusions
et propositions
46. La lutte contre le discours
terroriste est une tâche compliquée, pour laquelle il n’existe pas
de solution facile et évidente. Les contre-discours opposés aux
discours terroristes ont certes un rôle à jouer, mais il est encore
plus indispensable d’élaborer des discours alternatifs positifs,
préventifs et crédibles, communautaires, en promouvant des valeurs
communes et en facilitant le dialogue, en encourageant la sensibilisation
et en dissipant les fausses informations. Ces discours alternatifs
ou ces contre-discours doivent être flexibles, adaptés à leurs destinataires
et spontanés, pour pouvoir séduire un large éventail du public visé
dans toute une série de situations, en ligne et hors ligne. Il importe
d’œuvrer, en s’appuyant sur la coopération internationale, à constituer
un ensemble de bonnes pratiques et d’études de cas de contre-discours
efficaces, à évaluer les initiatives prises par chaque État membre
et à mieux coordonner les méthodes de contre-discours. Il convient
également de se pencher sur les raisons pour lesquelles le discours
extrémiste violent peut être séduisant, en favorisant l’élaboration
d’une compréhension commune du processus de radicalisation, car
un discours ne peut reposer sur du vide.
47. Jusqu'à présent, l'approche fondée sur des «contre-discours»
purement politiques, sécuritaires et enracinés dans des traditions
nationalistes simplistes s'est parfois avérée problématique. Je
suis d’avis qu'il existe d’importantes occasions de promouvoir une
autre conception du monde, axées sur la religion et la théologie,
en mettant notamment l'accent sur le «consensus par recoupement
des points communs» des perspectives religieuses de l’islam et des
valeurs de la Convention. Nous devrions nous efforcer de concevoir un
discours à partir de ce qui nous unit et non de ce qui nous divise.
Dans le projet de résolution, je propose d’appeler les États membres
à étudier et promouvoir la notion «d'idéaux partagés» et de consensus
par recoupement des points communs des traditions, en examinant
les points communs entre les valeurs de l’islam et celles de la
Convention, dans le but d’élaborer des discours alternatifs positifs,
qui insistent sur l'universalisme, le droit à la vie, le droit à
la liberté et la sûreté, les libertés fondamentales des sociétés
plurielles et la justice.
48. L’élaboration actuelle d'une Stratégie antiterroriste du Conseil
de l'Europe pour les années 2018 à 2022 mérite d’être vivement saluée
et offre à l’Organisation l'occasion de jouer un rôle plus en amont
et plus déterminant dans la définition de réponses communes en matière
de lutte contre les discours terroristes. Le projet de recommandation
invite par conséquent le Comité des Ministres à procéder à une étude
approfondie de l’expérience concrète acquise par les États membres
dans l’élaboration des contre-discours opposés au terrorisme et
de leur impact. À partir de cette étude, le Conseil de l'Europe
devrait définir des lignes directrices sur la conception du discours
destiné à contrer la propagande terroriste, en tenant compte de
la nécessité de fonder ce discours sur des informations factuelles.
49. L'importance de la communication dans la lutte contre le terrorisme
ne doit pas être sous-estimée, car, comme le souligne à juste titre
une étude publiée récemment par le Parlement européen, le terrorisme
est fondamentalement un acte de communication; «Les actes terroristes
sont eux-mêmes une forme de propagande en actes
.» Les communications stratégiques sont
par essence indispensables dans toutes les initiatives de lutte
contre le terrorisme.