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Résolution 2212 (2018)
La protection de l’intégrité rédactionnelle
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que le droit fondamental à la liberté d’expression et d’information comporte
des devoirs et des responsabilités. Les professionnels des médias
ont une responsabilité à l’égard du public; ils doivent respecter
des normes éditoriales exigeantes et adopter des codes de conduite
visant à promouvoir des principes éthiques essentiels, tels que
la vérité et l’exactitude, l’indépendance, l’équité et l’impartialité,
l’humanité et la responsabilité. Dans ce contexte, l'Assemblée soutient
le Code de principes sur la conduite des journalistes, adopté par
la Fédération internationale des journalistes.
2. L’Assemblée est consciente que plusieurs défis menacent l’intégrité
rédactionnelle et l’indépendance des médias dans les États membres.
L’apparition de nouveaux médias en ligne et la prolifération rapide
de sources d’information apparentées aux médias entraînent une chute
importante des recettes des médias traditionnels. La diminution
du nombre de lecteurs et des modèles commerciaux obsolètes moins
rentables, mais aussi les menaces croissantes de la criminalité
organisée, du terrorisme et des conflits armés compromettent à la
fois l'indépendance des médias et leur intégrité rédactionnelle.
3. Des dispositions soumettant la diffamation à des sanctions
pénales, y compris à des peines d’emprisonnement, figurent toujours
dans le Code pénal de la majorité des États membres, et le risque d’encourir
des amendes d’un montant élevé freine souvent aussi le travail d’investigation
des journalistes. À cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1577 (2007) «Vers
une dépénalisation de la diffamation» et réaffirme que des déclarations
ou allégations dans les médias, même quand elles se révèlent inexactes,
ne devraient pas être passibles de sanctions, à condition qu’elles
aient été faites sans connaissance de leur inexactitude, sans une
intention consciente de nuire, et que leur véracité ait été vérifiée
avec la diligence nécessaire.
4. L’intégrité rédactionnelle dans les médias exige non seulement
exactitude, honnêteté et équité, mais aussi l’exercice par les rédacteurs
en chef et les journalistes d’un jugement avisé et indépendant.
Les journalistes et les médias doivent être libres d’enquêter, d’informer
et de publier sans contraintes indues et sans crainte de violences
ou de traitements arbitraires de la part des autorités nationales.
À ce propos, l’Assemblée constate avec préoccupation que, dans un
environnement où plusieurs États membres ont renforcé leurs pouvoirs
de surveillance et de répression au nom de la lutte contre le terrorisme
et de la protection du public, la capacité des médias à mener des
enquêtes longues et difficiles, en s’appuyant sur des sources d’information
confidentielles, est considérablement réduite.
5. Les journalistes sont de plus en plus souvent menacés, victimes
de harcèlement et d’intimidation, mis sous surveillance, arbitrairement
privés de liberté, agressés physiquement, torturés et même tués.
Se sentant contraints à s’autocensurer, ils s’abstiennent de publier
certaines informations dans leurs articles. Parfois, il n’y a pas
de mécanisme fiable vers lequel ils peuvent se tourner pour signaler
des cas de harcèlement ou de menaces. Dans ce contexte, l’Assemblée
rappelle la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres
sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
et autres acteurs des médias, ainsi que sa propre Résolution 2179 (2017) relative
à l'influence politique sur les médias et les journalistes indépendants, dans
laquelle l’Assemblée se déclarait vivement préoccupée par l’éventail
des tactiques utilisées pour porter atteinte à la liberté des médias,
contraindre les journalistes à l’autocensure ou prendre le contrôle
de certains médias et les assujettir à des groupes d’intérêt.
6. L’Assemblée s’inquiète aussi du fait que les autorités étatiques
interviennent directement dans la sphère des médias, non seulement
en exerçant un contrôle direct, mais aussi au moyen de nominations
partisanes aux postes de direction des services de diffusion ou
des organes chargés de l’octroi des licences de diffusion, ou en
favorisant certains médias et en en affaiblissant d’autres par le
biais d’une répartition inéquitable des fonds que les organismes
gouvernementaux et les entreprises publiques consacrent à la publicité.
7. Dans certains cas, des médias dépendants de l’État sont devenus
des outils de propagande, utilisés à mauvais escient pour diffuser
de fausses informations ou inciter à la haine xénophobe contre des
minorités ou des groupes vulnérables. En conséquence, de nombreux
médias manquent d’indépendance et appliquent des normes éthiques
peu exigeantes, ce qui explique une défiance croissante de la part
du public. À cet égard, l’Assemblée réaffirme son soutien à la décision
de 2015 du Conseil européen de créer la task force East StratCom
pour contrer les campagnes de désinformation et les mensonges provocants
en provenance de médias et de comptes en ligne situés dans la Fédération
de Russie. Elle salue aussi la Déclaration conjointe sur la liberté
d'expression et les fausses nouvelles, la désinformation et la propagande,
dans laquelle le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion
et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression,
le Représentant de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, le Rapporteur spécial
de l'Organisation des États américains (OEA) pour la liberté d'expression
et le Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et l'accès
à l'information de la Commission africaine des droits de l'homme
et des peuples (CADHP) affirmaient en 2017 que les acteurs étatiques devraient
s’abstenir de produire, de parrainer ou de diffuser de la désinformation
ou de la propagande.
8. L’Assemblée considère que, vu le contexte actuel difficile,
le besoin pour les journalistes de protéger leur intégrité rédactionnelle
et de respecter des normes professionnelles et éthiques exigeantes
est plus que jamais d’actualité. En conséquence, l’Assemblée recommande
aux États membres:
8.1. de mettre
pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2016)4 en vue de remplir
leur obligation positive de protéger les professionnels des médias
et de garantir la liberté des médias;
8.2. de soutenir activement les objectifs du Plan d’action
des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question
de l’impunité, qui appelle les autorités nationales à mettre fin
à l'impunité des attaques physiques et verbales contre des journalistes,
et à créer un environnement sûr pour les professionnels des médias
et propice à l’exercice de leur métier;
8.3. de respecter pleinement les normes du Conseil de l'Europe
concernant l’indépendance et le pluralisme des médias de service
public, en mettant fin aux fréquentes tentatives de les influencer
ou de les transformer en médias gouvernementaux;
8.4. de revoir leur législation nationale:
8.4.1. sur
la diffamation et son application pratique, conformément à la Résolution 1577 (2007) de
l’Assemblée, en vue de garantir la compatibilité de la législation
avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme
(STE no 5);
8.4.2. sur le renforcement des pouvoirs de surveillance et de
répression au nom de la lutte contre le terrorisme et de la protection
du public, en vue de préserver la capacité des médias à jouer leur
rôle de «chien de garde»;
8.4.3. sur les autorités de régulation du secteur des médias,
en vue de garantir – via leur indépendance vis-à-vis des forces
politiques et économiques – une plus grande transparence de la propriété
des médias et une plus grande diversité des contenus;
8.5. d’examiner la question de l’énorme déséquilibre entre
les revenus des organes d’information et ceux des entreprises d’internet,
et de trouver des solutions juridiques et pratiques pour rectifier
ce déséquilibre, notamment:
8.5.1. en reversant une part
des profits importants tirés de la publicité faite sur les moteurs
de recherche et sur les réseaux sociaux aux médias qui investissent
principalement dans la production d’informations; cela pourrait
être fait, par exemple, en modifiant les dispositions relatives
à la fiscalité et au droit d’auteur;
8.5.2. en trouvant des moyens appropriés d’amener les entreprises
d’internet à assumer une plus grande responsabilité en tant qu’éditeurs,
et non pas simplement en tant que plates-formes numériques;
8.6. d’interdire légalement la propagande en faveur de la guerre
et la promotion de la haine nationale, raciale ou religieuse, qui
constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à
la violence;
8.7. d’envisager de créer un observatoire national chargé de
détecter la diffusion de désinformation, de propagande et de fausses
nouvelles, et de proposer des mesures adéquates pour contrecarrer
ces phénomènes.
9. L’Assemblée invite les professionnels et les organismes du
secteur des médias:
9.1. à faire
en sorte que l’adhésion volontaire aux codes de déontologie professionnelle
et le respect de ces codes augmentent, afin de préserver des normes
journalistiques exigeantes et l’intégrité rédactionnelle, et de
regagner la confiance du public vis-à-vis des médias;
9.2. à exercer leur droit effectif de refuser d’effectuer un
travail qui porte atteinte aux codes de déontologie professionnelle
et à l’intégrité rédactionnelle;
9.3. à maintenir une séparation nette entre les activités de
leur personnel rédactionnel et le travail de leurs départements
publicitaires et commerciaux; il faudrait appliquer des règles claires
pour éviter les conflits d’intérêts et l’autocensure;
9.4. à développer des mécanismes de contrôle interne, tels
qu’un responsable du courrier des lecteurs ou un médiateur, ainsi
que des mécanismes d’autorégulation, pour que les personnes qui estiment
avoir subi une intrusion déraisonnable de la presse dans leur vie
ou avoir fait l’objet d’informations inexactes puissent avoir accès
facilement à un système efficace de réclamation et de recours, tout
en sauvegardant l’intégrité rédactionnelle et l’indépendance de
la presse;
9.5. à prendre la responsabilité de surveiller la diffusion
de fausses informations, à signaler toute diffusion de fausses informations,
quel que soit l’endroit où elles sont publiées, dans les médias traditionnels
ou sur les réseaux sociaux, et, dans ce contexte, à instaurer une
coopération forte et étroite au sein de la profession pour combattre
la désinformation, la propagande et les fausses nouvelles;
9.6. à organiser des formations adaptées pour permettre aux
journalistes d’améliorer leurs compétences pour relever les défis
éditoriaux, y compris les compétences concernant la gestion des données,
ainsi que leurs connaissances sur les droits et les devoirs des
journalistes prévus par le droit interne et le droit international.
10. L’Assemblée invite:
10.1. la
Fédération européenne des journalistes à promouvoir une prise de
conscience de la part de ses membres des problèmes évoqués dans
la présente résolution et à faciliter l’échange d’expériences et
de bonnes pratiques concernant l'intégrité rédactionnelle et un
journalisme de qualité;
10.2. l’Union européenne de radio-télévision à continuer de
promouvoir ses lignes directrices et principes éditoriaux, et à
encourager les médias européens de service public à les appliquer
pleinement, en gardant à l’esprit leur rôle particulier dans une
société démocratique en tant que source indépendante d’informations
impartiales, exactes et pertinentes, et d’opinions politiques diverses;
10.3. l'Alliance des conseils de presse indépendants d'Europe
à renforcer la coordination entre ses membres, afin d'élever le
niveau d'exigence des normes éthiques et professionnelles en Europe,
de faciliter les procédures de plainte entre différents pays et
de sensibiliser le public;
10.4. le Réseau du journalisme éthique à continuer à plaider
pour l’intégrité rédactionnelle et la transparence parmi les journalistes,
tout en mettant en garde contre les comportements contraires à la déontologie
professionnelle.