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Résolution 2213 (2018)
Le statut des journalistes en Europe
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que la liberté d'expression et d’information est un droit fondamental garanti
par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5). Ce droit inclut la liberté des
médias, qui constitue une condition indispensable à l’existence
et au développement d’une société démocratique.
2. Les journalistes professionnels ont pour mission d’assurer
de manière responsable et objective, autant que faire se peut, l’information
du public sur des sujets d’intérêt général ou spécialisé. L’Assemblée
constate donc avec préoccupation une progressive précarisation de
la profession de journaliste, qui est directement liée à l’effondrement
du modèle traditionnel de financement de beaucoup de médias à la
suite des mutations technologiques et du développement des médias
en ligne, dont les effets sont parfois renforcés par des facteurs
politiques liés au développement de tendances populistes, autoritaires
ou privilégiant des intérêts privés. Ainsi, certains médias ont
vu péricliter leur indépendance éditoriale; d’autres ont été obligés
de procéder à des licenciements. L’Assemblée observe toutefois que
les changements technologiques ont également eu un impact positif
sur le travail des journalistes, en particulier en facilitant les
recherches, la communication et la création de réseaux internationaux
et de bases de données de sources et travaux journalistiques accessibles
dans le monde entier.
3. La baisse des revenus de la majorité des médias, les errances
des éditeurs pour trouver un nouveau modèle économique et le recours
quasi systématique à l’externalisation des contrats de travail ont
largement contribué à l’explosion du nombre de journalistes free-lance.
Ces derniers sont confrontés à un manque de reconnaissance professionnelle:
bien que travaillant dans les mêmes conditions que les journalistes
employés à temps plein, ils n’ont pas les mêmes droits et, dans
plusieurs pays, ils n’ont pas la possibilité d’être représentés
par des syndicats et de négocier leurs tarifs.
4. L’Assemblée note également, avec inquiétude, que les conditions
de travail des journalistes continuent à se détériorer: la durée
de leur temps de travail augmente; la pression du rendement affecte
leur capacité à vérifier les sources d’information, à enquêter sur
les questions sensibles, à analyser les faits avec un certain recul;
beaucoup d’entreprises de médias ne consacrent pas assez de ressources
à la formation; les free-lances manquent souvent de préparation
ou d’assurance pour travailler dans les zones à risque ou les zones de
conflits.
5. Par ailleurs, l’Assemblée constate des inégalités inacceptables
entre les femmes et les hommes au sein de la profession: les carrières
des femmes sont plus courtes que celles des hommes; l’accès au niveau managérial
leur est bien plus difficile; le cyberharcèlement et les violences
sexistes constituent des phénomènes dont les femmes journalistes
sont les principales victimes. À cet égard, l’Assemblée rappelle
aux États membres la Recommandation
CM/Rec(2013)1 du Comité des Ministres sur l’égalité entre
les femmes et les hommes et les médias, et la nécessité de sa mise
en œuvre.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres:
6.1. de respecter pleinement leurs
obligations positives, nées de l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme, à l’égard de la liberté d’expression des
journalistes et des autres acteurs des médias, et en particulier
de leur droit de ne pas révéler leurs sources journalistiques et
de leur droit à obtenir ou communiquer des informations;
6.2. de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer
la sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias, pour
mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris de nature judiciaire,
administrative ou financière, dont ils sont victimes, et pour mettre
fin à l’impunité des auteurs d’agressions à leur encontre, notamment
en menant des enquêtes effectives sur les meurtres et les autres
infractions commises contre leur intégrité physique; à ce propos,
il importe que les États membres du Conseil de l’Europe mettent
en œuvre les lignes directrices énoncées en annexe à la Recommandation
CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias;
6.3. de revoir leur législation nationale relative au statut
des journalistes, en vue:
6.3.1. d’identifier d’éventuels
éléments nécessitant une mise à jour, en tenant compte des évolutions
technologiques et économiques récentes;
6.3.2. de veiller à ce que cette législation protège les journalistes
contre les licenciements arbitraires ou les représailles et contre
les conditions de travail précaires susceptibles de les exposer
à des pressions indues les obligeant à s’écarter de l’éthique et
des normes journalistiques admises;
6.3.3. de donner une définition juridique des journalistes suffisamment
large pour englober toutes les formes de travail journalistique
professionnel actuelles, y compris le travail sur internet;
6.3.4. d’abroger la législation disproportionnellement restrictive
relative à la diffamation et de veiller à la présence de garanties
procédurales adéquates dans les procédures en diffamation engagées
à l’encontre des journalistes;
6.4. d’explorer des pistes de financement alternatif dans un
nouvel écosystème médiatique, y compris:
6.4.1. la redistribution
de recettes publicitaires générées par les moteurs de recherche
ou les médias sociaux;
6.4.2. l’insertion des journalistes free-lance dans le champ
de compétence du droit du travail en matière de salaire minimal;
6.4.3. l’institutionnalisation d’un financement participatif
innovant, par exemple en donnant un pouvoir décisionnaire aux donateurs
qui apporteraient plus de 1 % du capital social;
6.5. de soutenir des plans d’action visant à résoudre le problème
de l’inégalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail
dans le secteur des médias, y compris:
6.5.1. la préparation
d’études contenant des indicateurs chiffrés;
6.5.2. la mise en place de mécanismes visant à inciter les organisations
patronales à une prise en charge sérieuse de ce problème sur le
long terme;
6.6. de soutenir l’implication de partenaires sociaux représentatifs
dans le secteur des médias pour développer le dialogue entre les
salariés et les free-lances, d'une part, et les employeurs, de l'autre;
6.7. de veiller au respect du droit des journalistes à la liberté
d’association, en particulier en ce qui concerne leur adhésion aux
syndicats et aux associations de journalistes.
7. L’Assemblée appelle les syndicats et les organisations de
journalistes:
7.1. à s’adapter aux
mutations sociétales rapides, y compris en ce qui concerne le statut
des journalistes, qui devrait être évolutif, l’essentiel résidant
dans les tâches des journalistes et non dans la définition légale;
7.2. à promouvoir les adhésions, notamment auprès des jeunes
et des femmes, mais aussi auprès des fournisseurs et des gestionnaires
de contenu qui sont actuellement exclus de nombreux syndicats, tout
en veillant à la compétence professionnelle de tous les adhérents;
7.3. à promouvoir la pratique du mentorat pour les jeunes journalistes
en général, afin qu’ils puissent bénéficier de l’expérience professionnelle
de leurs collègues plus expérimentés, et, pour les jeunes femmes
journalistes en particulier, afin de mieux les armer pour combattre
les attitudes discriminatoires, le harcèlement et les violences
sexistes;
7.4. à encourager le dialogue entre journalistes professionnels
et autres professions qui fournissent du contenu sur les questions
de qualité, de normes professionnelles et de responsabilité;
7.5. à diversifier les thématiques et les champs de formation,
en s’adaptant aux exigences du nouvel environnement médiatique,
et à développer des services auprès de leurs membres, en réponse
à leurs exigences concrètes;
7.6. à représenter l'ensemble des journalistes dans les négociations
et les conventions collectives, surtout pour les droits de base
tels que le temps de travail, les rémunérations, les congés payés
au-delà d'une certaine durée d'emploi et les cotisations sociales
pour la retraite, la sécurité sociale et le chômage;
7.7. à inclure et à défendre les droits des journalistes free-lance
sur le lieu de travail ainsi que dans le droit social en général,
en leur reconnaissant un socle de droits communs accordés aux salariés.
8. L’Assemblée invite la Fédération européenne des journalistes
à promouvoir auprès de ses membres une prise de conscience concernant
les problèmes évoqués dans cette résolution et à faciliter l’échange d’expériences
et la diffusion de bonnes pratiques concernant un journalisme de
qualité, respectueux des codes déontologiques et digne de la confiance
du public.
9. L’Assemblée appelle les États membres à soutenir la Plateforme
pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes,
en lui versant des contributions financières adéquates et en coopérant
à son fonctionnement, en particulier en réagissant aux alertes et
en participant aux suites qui leur sont données à l’initiative du
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
10. L’Assemblée condamne vivement les assassinats des journalistes
Daphne Caruana Galizia à Malte, Ján Kuciak en République slovaque
et Maxim Borodin dans la Fédération de Russie. Elle appelle les
autorités maltaises, slovaques et russes à mener des enquêtes effectives
sur ces décès, conformément aux garanties procédurales qui découlent
de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.