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Résolution 2213 (2018)

Le statut des journalistes en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 avril 2018 (14e et 15e séances) (voir Doc. 14505, rapport de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteure: Mme Elvira Drobinski-Weiss; et Doc. 14535, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteure: Mme Thorhildur Sunna Ævarsdóttir). Texte adopté par l’Assemblée le 25 avril 2018 (15e séance).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle que la liberté d'expression et d’information est un droit fondamental garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Ce droit inclut la liberté des médias, qui constitue une condition indispensable à l’existence et au développement d’une société démocratique.
2. Les journalistes professionnels ont pour mission d’assurer de manière responsable et objective, autant que faire se peut, l’information du public sur des sujets d’intérêt général ou spécialisé. L’Assemblée constate donc avec préoccupation une progressive précarisation de la profession de journaliste, qui est directement liée à l’effondrement du modèle traditionnel de financement de beaucoup de médias à la suite des mutations technologiques et du développement des médias en ligne, dont les effets sont parfois renforcés par des facteurs politiques liés au développement de tendances populistes, autoritaires ou privilégiant des intérêts privés. Ainsi, certains médias ont vu péricliter leur indépendance éditoriale; d’autres ont été obligés de procéder à des licenciements. L’Assemblée observe toutefois que les changements technologiques ont également eu un impact positif sur le travail des journalistes, en particulier en facilitant les recherches, la communication et la création de réseaux internationaux et de bases de données de sources et travaux journalistiques accessibles dans le monde entier.
3. La baisse des revenus de la majorité des médias, les errances des éditeurs pour trouver un nouveau modèle économique et le recours quasi systématique à l’externalisation des contrats de travail ont largement contribué à l’explosion du nombre de journalistes free-lance. Ces derniers sont confrontés à un manque de reconnaissance professionnelle: bien que travaillant dans les mêmes conditions que les journalistes employés à temps plein, ils n’ont pas les mêmes droits et, dans plusieurs pays, ils n’ont pas la possibilité d’être représentés par des syndicats et de négocier leurs tarifs.
4. L’Assemblée note également, avec inquiétude, que les conditions de travail des journalistes continuent à se détériorer: la durée de leur temps de travail augmente; la pression du rendement affecte leur capacité à vérifier les sources d’information, à enquêter sur les questions sensibles, à analyser les faits avec un certain recul; beaucoup d’entreprises de médias ne consacrent pas assez de ressources à la formation; les free-lances manquent souvent de préparation ou d’assurance pour travailler dans les zones à risque ou les zones de conflits.
5. Par ailleurs, l’Assemblée constate des inégalités inacceptables entre les femmes et les hommes au sein de la profession: les carrières des femmes sont plus courtes que celles des hommes; l’accès au niveau managérial leur est bien plus difficile; le cyberharcèlement et les violences sexistes constituent des phénomènes dont les femmes journalistes sont les principales victimes. À cet égard, l’Assemblée rappelle aux États membres la Recommandation CM/Rec(2013)1 du Comité des Ministres sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les médias, et la nécessité de sa mise en œuvre.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres:
6.1. de respecter pleinement leurs obligations positives, nées de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, à l’égard de la liberté d’expression des journalistes et des autres acteurs des médias, et en particulier de leur droit de ne pas révéler leurs sources journalistiques et de leur droit à obtenir ou communiquer des informations;
6.2. de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias, pour mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris de nature judiciaire, administrative ou financière, dont ils sont victimes, et pour mettre fin à l’impunité des auteurs d’agressions à leur encontre, notamment en menant des enquêtes effectives sur les meurtres et les autres infractions commises contre leur intégrité physique; à ce propos, il importe que les États membres du Conseil de l’Europe mettent en œuvre les lignes directrices énoncées en annexe à la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias;
6.3. de revoir leur législation nationale relative au statut des journalistes, en vue:
6.3.1. d’identifier d’éventuels éléments nécessitant une mise à jour, en tenant compte des évolutions technologiques et économiques récentes;
6.3.2. de veiller à ce que cette législation protège les journalistes contre les licenciements arbitraires ou les représailles et contre les conditions de travail précaires susceptibles de les exposer à des pressions indues les obligeant à s’écarter de l’éthique et des normes journalistiques admises;
6.3.3. de donner une définition juridique des journalistes suffisamment large pour englober toutes les formes de travail journalistique professionnel actuelles, y compris le travail sur internet;
6.3.4. d’abroger la législation disproportionnellement restrictive relative à la diffamation et de veiller à la présence de garanties procédurales adéquates dans les procédures en diffamation engagées à l’encontre des journalistes;
6.4. d’explorer des pistes de financement alternatif dans un nouvel écosystème médiatique, y compris:
6.4.1. la redistribution de recettes publicitaires générées par les moteurs de recherche ou les médias sociaux;
6.4.2. l’insertion des journalistes free-lance dans le champ de compétence du droit du travail en matière de salaire minimal;
6.4.3. l’institutionnalisation d’un financement participatif innovant, par exemple en donnant un pouvoir décisionnaire aux donateurs qui apporteraient plus de 1 % du capital social;
6.5. de soutenir des plans d’action visant à résoudre le problème de l’inégalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail dans le secteur des médias, y compris:
6.5.1. la préparation d’études contenant des indicateurs chiffrés;
6.5.2. la mise en place de mécanismes visant à inciter les organisations patronales à une prise en charge sérieuse de ce problème sur le long terme;
6.6. de soutenir l’implication de partenaires sociaux représentatifs dans le secteur des médias pour développer le dialogue entre les salariés et les free-lances, d'une part, et les employeurs, de l'autre;
6.7. de veiller au respect du droit des journalistes à la liberté d’association, en particulier en ce qui concerne leur adhésion aux syndicats et aux associations de journalistes.
7. L’Assemblée appelle les syndicats et les organisations de journalistes:
7.1. à s’adapter aux mutations sociétales rapides, y compris en ce qui concerne le statut des journalistes, qui devrait être évolutif, l’essentiel résidant dans les tâches des journalistes et non dans la définition légale;
7.2. à promouvoir les adhésions, notamment auprès des jeunes et des femmes, mais aussi auprès des fournisseurs et des gestionnaires de contenu qui sont actuellement exclus de nombreux syndicats, tout en veillant à la compétence professionnelle de tous les adhérents;
7.3. à promouvoir la pratique du mentorat pour les jeunes journalistes en général, afin qu’ils puissent bénéficier de l’expérience professionnelle de leurs collègues plus expérimentés, et, pour les jeunes femmes journalistes en particulier, afin de mieux les armer pour combattre les attitudes discriminatoires, le harcèlement et les violences sexistes;
7.4. à encourager le dialogue entre journalistes professionnels et autres professions qui fournissent du contenu sur les questions de qualité, de normes professionnelles et de responsabilité;
7.5. à diversifier les thématiques et les champs de formation, en s’adaptant aux exigences du nouvel environnement médiatique, et à développer des services auprès de leurs membres, en réponse à leurs exigences concrètes;
7.6. à représenter l'ensemble des journalistes dans les négociations et les conventions collectives, surtout pour les droits de base tels que le temps de travail, les rémunérations, les congés payés au-delà d'une certaine durée d'emploi et les cotisations sociales pour la retraite, la sécurité sociale et le chômage;
7.7. à inclure et à défendre les droits des journalistes free-lance sur le lieu de travail ainsi que dans le droit social en général, en leur reconnaissant un socle de droits communs accordés aux salariés.
8. L’Assemblée invite la Fédération européenne des journalistes à promouvoir auprès de ses membres une prise de conscience concernant les problèmes évoqués dans cette résolution et à faciliter l’échange d’expériences et la diffusion de bonnes pratiques concernant un journalisme de qualité, respectueux des codes déontologiques et digne de la confiance du public.
9. L’Assemblée appelle les États membres à soutenir la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, en lui versant des contributions financières adéquates et en coopérant à son fonctionnement, en particulier en réagissant aux alertes et en participant aux suites qui leur sont données à l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
10. L’Assemblée condamne vivement les assassinats des journalistes Daphne Caruana Galizia à Malte, Ján Kuciak en République slovaque et Maxim Borodin dans la Fédération de Russie. Elle appelle les autorités maltaises, slovaques et russes à mener des enquêtes effectives sur ces décès, conformément aux garanties procédurales qui découlent de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.