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Résolution 2221 (2018)

Les contre-discours face au terrorisme

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 1er juin 2018 (voir Doc. 14531, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Liam Byrne; et Doc. 14558, avis de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Jordi Xuclà).Voir également la Recommandation 2131 (2018).

1. L’Assemblée parlementaire réitère avec la plus grande fermeté sa condamnation de tous les actes de terrorisme, en rappelant ses résolutions antérieures relatives au terrorisme, en particulier la Résolution 2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe», la Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, et la Résolution 2113 (2016) «Après les attaques de Bruxelles, un besoin urgent de répondre aux défaillances de sécurité et de renforcer la coopération contre le terrorisme». Elle rappelle également sa récente Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité, voire l'éventuel génocide commis par Daech».
2. L’Assemblée observe que la réponse apportée jusqu’ici par la communauté internationale face au terrorisme a principalement pris la forme de mesures de lutte contre le terrorisme fondées sur la sécurité. Mais ces mesures n’ont pas suffi à prévenir le phénomène des «combattants étrangers», de la radicalisation ou de la propagation de l’extrémisme violent, notamment par des terroristes agissant de manière isolée. L’élaboration de nouvelles mesures prises sous la forme d’un discours alternatif positif opposé à l’extrémisme est indispensable pour lutter contre cette menace en pleine évolution.
3. Le processus de radicalisation change à mesure que la menace terroriste évolue et que la technologie progresse. L’Assemblée souligne que l’exposition du «monde réel» au discours extrémiste violent continue à représenter une menace qui ne doit pas être négligée. Internet a transformé les moyens qui permettent aux organisations terroristes d’influencer et de radicaliser les individus, en offrant un discours terroriste – utilisé pour diffuser une idéologie, des valeurs et des justifications extrémistes violentes – facilement accessible à un large public à l’échelle mondiale grâce à l’application de stratégies de communication étendues.
4. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2091 (2016) et le Plan d’action sur la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme (2015-2017) adopté par le Comité des Ministres en mai 2015, et rappelle la nécessité d’élaborer des discours alternatifs positifs au dévoiement de la religion, destinés à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires contrôlés par Daech et le sort de ses recrues.
5. On reproche souvent aux stratégies de contre-discours d’être trop éloignées de la vie et des préoccupations quotidiennes des personnes auxquelles elles s’adressent. L’Assemblée souligne qu’il importe d’élaborer des discours alternatifs positifs et efficaces, destinés à un public spécialement ciblé, qui affrontent, contestent et contredisent le discours terroriste dans ses sujets intrinsèques en s’appuyant sur l’idéologie, la logique, les faits ou l’humour. Lorsque c’est possible, il conviendrait d’élaborer un contenu de contre-discours avec la coopération des membres du public ciblé.
6. Le simple fait de réagir au discours terroriste ne suffit pas. Les initiatives de contre-discours devraient privilégier l’élaboration d’un discours proactif, positif et alternatif, notamment un appel concret à l’action et une présentation claire du «consensus par recoupement des points communs» et des traditions éthiques qui unissent des communautés différentes, engagées en faveur des valeurs communes de la non-violence, de la tolérance et de la démocratie.
7. Comme bon nombre des attentats terroristes récemment commis dans les États membres du Conseil de l’Europe – en Belgique, en France, en Allemagne, en Espagne, en Suède, en Turquie et au Royaume-Uni, mais également dans d’autres pays – ont été revendiqués ou peuvent être attribués à Daech ou à ses adeptes, la notion de valeurs partagées, c’est-à-dire les traditions éthiques partagées et communes à la fois à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et à l’islam, devrait être étudiée et promue activement. L’Assemblée se félicite de la création, à l’échelon de l’Union européenne, de la task force sur la communication stratégique, qui collabore avec les délégations de l’Union européenne dans les pays arabes et avec la Coalition mondiale contre Daech pour recenser les valeurs communes et élaborer des mesures concrètes. Elle se félicite également de l’adoption, par les Nations Unies, du Plan d’action des Nations Unies pour prévenir l’extrémisme violent, qui souligne l’importance de favoriser un dialogue mondial pour unir les pays, les citoyens et les communautés sur la base de valeurs et de principes universellement partagés.
8. L’Assemblée reconnaît qu’il n’est pas possible d’élaborer un contre-discours global unique. La mise en place complexe de différents types de discours et de médias, articulée autour des problématiques et des discours locaux, est requise pour la création de contre-discours efficaces.
9. L’Assemblée rappelle que toutes les mesures prises pour lutter contre le terrorisme doivent être conformes aux obligations faites aux États par le droit national et international, et aux principes fondamentaux que sont la démocratie, le respect des droits de l’homme et de l’État de droit; et qu’il faut éviter que ces mesures nuisent aux valeurs et aux normes relatives à la démocratie que les terroristes cherchent à détruire, et éviter de créer des restrictions disproportionnées aux libertés fondamentales. L’Assemblée condamne vivement tous les incidents de discours de haine provenant de représentants et de fonctionnaires d’État ou de gouvernement, ou de personnalités politiques, susceptibles d’entraîner une radicalisation supplémentaire et de propager la haine et la violence.
10. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire:
10.1. à élaborer, s’ils ne l’ont pas encore fait, des stratégies nationales de prévention de la radicalisation;
10.2. à prioriser l’élaboration de discours alternatifs positifs, flexibles et adaptés à la propagande terroriste et à l’extrémisme violent, destinés à ébranler le sommet de la hiérarchie des groupes terroristes et à nuire à leur autorité, ainsi qu’à souligner l’hypocrisie du discours extrémiste violent et ce qu’est réellement l’existence d’un terroriste;
10.3. à travailler en collaboration avec les communautés et les destinataires ciblés en priorité, ainsi qu’avec la société civile, les responsables religieux et les responsables communautaires, en ayant recours à des messagers crédibles, notamment des femmes, des victimes de terrorisme, d’anciens terroristes repentis et d’anciens détenus, et une diversité de médias (notamment les messages électroniques, la télévision, la radio, la presse et internet) pour écarter le discours terroriste;
10.4. à contester toute utilisation du discours de haine et à condamner fermement tous ceux qui prêchent ou propagent la haine et la violence;
10.5. à prendre des mesures, y compris des mesures législatives, pour contrer l’extrémisme violent et le discours de haine diffusés sur internet et dans les médias sociaux, qui sont susceptibles d’amener les individus à une radicalisation violente;
10.6. à étudier et à promouvoir la notion de «valeurs partagées», en examinant comment les valeurs qui inspirent à la fois la Convention et l’islam permettent d’offrir des discours alternatifs positifs, qui mettent l’accent sur le respect de la portée universelle des droits et de l’égalité devant la loi, du droit à la vie, du droit à la justice, du droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que des libertés fondamentales des sociétés plurielles, notamment la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), la liberté d'expression (article 10) et la liberté de réunion et d'association (article 11);
10.7. à promouvoir des discours alternatifs positifs, assortis d’activités de sensibilisation des communautés locales, en établissant des rapports directs avec les membres du public ciblé;
10.8. à mettre en place des pratiques de suivi et d’évaluation pour déterminer l’impact des stratégies de contre-discours et de discours alternatifs;
10.9. à renforcer la coopération internationale grâce à la mise en commun des bonnes pratiques et à l’échange d’informations, en évaluant les initiatives prises par les États et en coordonnant mieux les approches retenues;
10.10. à revoir la situation dans les systèmes d’enseignement, à promouvoir une éducation inclusive et à s’assurer que les établissements scolaires jouent pleinement leur rôle dans la formation de citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités et d’aptitudes à la réflexion critique, et prêts à vivre dans une société plurielle et à défendre les valeurs de la démocratie;
10.11. à signer et à ratifier la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel (STCE no 217), parallèlement aux autres instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe, s’ils ne l’ont pas encore fait.
11. L’Assemblée estime qu’il est fondamental d’articuler le «consensus par recoupement des points communs» afin d’unir les différentes communautés sur la base de valeurs communes, et elle est déterminée à y contribuer. Elle demande par conséquent aux commissions concernées de faire des propositions d’actions concrètes dans ce sens.