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Avis de commission | Doc. 14593 | 27 juin 2018

Les mariages forcés en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Carina OHLSSON, Suède, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14115, Renvoi 4241 du 14 octobre 2016. Commission chargée du rapport: Commission sur l'égalité et la non-discrimination. Voir Doc. 14574. Avis approuvé par la commission le 25 juin 2018. 2018 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable salue l’excellent rapport qui arrive au moment opportun, préparé par Mme Béatrice Fresko-Rolfo (Monaco, ADLE) pour la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
2. Comme l’Assemblée parlementaire l’a souligné dans sa Résolution 1468 (2005), les mariages forcés et les mariages d’enfants violent les droits fondamentaux de chacune des victimes et ne peuvent se justifier d’aucune manière. Des mesures appropriées doivent être prises de façon urgente à travers l’Europe tel que recommandé dans le projet de résolution.
3. La commission des questions sociales souhaite proposer quelques amendements en vue de renforcer le texte.

B. Amendements proposés

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 1, dernière phrase, remplacer les mots «pratiques préjudiciables» par les mots:

«violations des droits humains»

Amendement B (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 3, ajouter les mots suivants:

«, car un enfant ne peut pas être considéré comme ayant exprimé son consentement plein, libre et éclairé au mariage.»

Amendement C (au projet de résolution)

Au paragraphe 4, après les mots «un ensemble de», insérer les mots suivants:

«violations des droits humains, notamment des violations des droits de l'enfant et des»

Amendement D (au projet de résolution)

Au paragraphe 5, deuxième phrase, après les mots «De surcroît, la Convention», insérer les mots suivants:

«plus récente»

Amendement E (au projet de résolution)

Après le paragraphe 7.8, insérer le paragraphe suivant:

«ne pas reconnaître les mariages forcés à l’étranger, sauf, s’agissant des effets du mariage, si cela est dans l’intérêt supérieur des victimes, en particulier pour obtenir des droits auxquels elles ne pourraient prétendre par ailleurs;»

Amendement F (au projet de résolution)

Au paragraphe 10, après les mots «et les crimes liés au prétendu “honneur”», insérer les mots suivants:

«, qui ont fait l'objet de sa Résolution 1681 (2009) et de sa Recommandation 1881 (2009)

C. Exposé des motifs, par Mme Carina Ohlsson, rapporteure pour avis

(open)
1. Tout d’abord, permettez-moi de féliciter Mme Béatrice Fresko-Rolfo pour l’excellent rapport qu’elle a préparé pour la commission sur l’égalité et la non-discrimination et qui arrive à point nommé.
2. Les chiffres sont plus que choquants: malgré tous nos efforts, des millions de filles mineures (pour la plupart) sont mariées de force chaque année 
			(1) 
			Selon
«Filles, pas épouses» (Partenariat mondial de plus de 900 organisations
de la société civile visant à éliminer le mariage des enfants),
chaque année, 12 millions de filles sont mariées avant leurs 18 ans.
Soit «23 filles chaque minute. Près d'1 fille toutes les 2 secondes». <a href='https://www.fillespasepouses.org/le-mariage-des-enfants/'>https://www.fillespasepouses.org/le-mariage-des-enfants/.</a>. Le Conseil de l'Europe, notamment son Assemblée parlementaire, est en première ligne de la lutte contre cette grave violation des droits humains 
			(2) 
			Voir, par exemple,
la Recommandation<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805e2612'> Rec (2002) 5</a> du Comité des Ministres sur la protection des femmes
contre la violence, la Résolution 1468 (2005) de l'Assemblée sur les mariages forcés et les
mariages d'enfants, et la Convention d'Istanbul de 2011.. Il y a lieu de souligner une fois de plus que le mariage forcé constitue de fait une violation des droits humains (Amendements A et C), de peur que d'autres droits (comme les droits culturels) ne prévalent.
3. L'élimination des mariages d'enfants, forme la plus répandue des mariages forcés, fait partie des objectifs de développement durable des Nations Unies 
			(3) 
			Objectif 5,
cible 3.. Cela s'explique par le fait qu'un enfant ne peut pas être considéré comme ayant exprimé son consentement plein, libre et éclairé au mariage avant l’âge de 18 ans (Amendement B). Malheureusement, en novembre 2014, dans une recommandation générale/observation générale conjointe, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies sont revenus sur la recommandation fixant à 18 ans l'âge minimal du mariage, pour autoriser les mariages à 16 ans en cas de circonstances exceptionnelles 
			(4) 
			«f) Qu’un âge légal
minimum de mariage pour les filles et les garçons soit fixé, avec
ou sans le consentement parental, à 18 ans. Lorsque des exceptions
sont accordées pour un mariage à un âge plus précoce dans des circonstances
exceptionnelles, l’âge minimum ne doit pas être inférieur à 16 ans,
les motifs avancés pour obtenir la permission doivent être légitimes
et strictement définis par la loi et le mariage ne doit être autorisé
que par un tribunal avec la consentement plein, libre et en connaissance
de cause de l’enfant ou des deux enfants, qui doivent comparaitre en
personne devant le tribunal; 
			(4) 
			g) Que la loi exige l’enregistrement
du mariage, cette disposition devant être effectivement appliquée
grâce à la sensibilisation, à l’éducation et à la mise en place
de l’infrastructure nécessaire pour permettre à tous ceux qui relèvent
de leur juridiction de pouvoir faire enregistrer leur mariage;». Je me réjouis que Mme Fresko-Rolfo n'ait pas suivi cette recommandation, préférant maintenir les normes européennes plus strictes 
			(5) 
			Elle
n'est pas la seule: déjà en 2008, l'UNICEF a publié l'étude de Rangita
de Silva-de-Alwis sur le mariage des enfants et la loi dans sa série
de travaux sur l'Initiative pour une réforme législative, dans laquelle
elle déclare: «Le principe des “meilleurs intérêts de l'enfant”
pour le Comité des droits de l'enfant sert de base pour évaluer
les lois et les pratiques des États en matière de protection des
enfants. Des éléments probants révèlent que les filles qui se marient
à un âge précoce sont souvent exposées à la violence, au divorce,
à l'abandon, et à la pauvreté, et à la lumière du principe du meilleur
intérêt de l'enfant, les États doivent agir en justice pour abolir
les mariages d'enfants», p. 3, <a href='https://www.unicef.org/policyanalysis/files/Child_Marriage_and_the_Law(1).pdf'>https://www.unicef.org/policyanalysis/files/Child_Marriage_and_the_Law(1).pd</a>f..
4. Il faut en effet comprendre qu'il est très difficile – même pour une personne de 18 ans, et encore plus pour une personne de 16 ou 17 ans qui vit peut-être encore chez ses parents – de résister à la pression familiale. Comme l'a souligné Mme Rosmarie Zapfl-Helbling (Suisse, PPE) dans son rapport rédigé en 2005 sur les mariages forcés et les mariages d'enfants, au sujet des mariages arrangés: «Il se peut fort bien que l’environnement familial soit tellement fort que le choix se trouve induit par l’éducation ou le respect des coutumes. Il est vrai qu’entre pression et manipulation psychologique, la différence peut être ténue. La subtilité des notions se trouve dans le fait de savoir si l’on peut parler d’un consentement libre et éclairé et dépend dans une large mesure de l’environnement socioculturel. Seule une analyse fine et détaillée permet d’appréhender la situation particulière de la personne concernée 
			(6) 
			Doc. 10590 de l'Assemblée, paragraphe 15.
5. Mme Zapfl-Helbling plaide donc pour que les mariages d’enfants âgés de moins de 18 ans soient, par principe, interdits car à ses yeux, il n’y a pas de raison valable pour légitimer un mariage précoce (cette position a été adoptée par l’Assemblée). Les mariages d’enfants contractés à l’étranger ne devraient pas non plus être reconnus. Cependant, Mme Zapfl-Helbling y voit une exception: un enfant qui est la victime d’un mariage précoce devrait se voir accorder l’ensemble des droits auxquels il pourrait prétendre en tant qu’épouse ou époux dans la mesure où il s’agit de droits auxquels il ne pourrait prétendre par ailleurs. Cette position a également été adoptée par l'Assemblée en 2005 – je pense qu'il convient d'énoncer clairement que la position de l'Assemblée sur ce point n'a pas changé (Amendement E).
6. En conclusion, les mariages forcés (y compris les mariages d'enfants) violent les droits fondamentaux de chacune des victimes et ne se justifient en aucune façon. Il est urgent d'adopter des mesures appropriées en Europe, comme le recommande le projet de résolution. Je souhaiterais vous demander votre soutien pour cette résolution, et pour sa mise en œuvre dans chacun de nos États membres: chaque épouse mineure est une victime de trop.