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Résolution 2233 (2018)

Les mariages forcés en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 juin 2018 (26e séance) (voir Doc. 14574, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Béatrice Fresko-Rolfo; Doc. 14592, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteure: Mme Azadeh Rojhan Gustafsson; et Doc. 14593, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Carina Ohlsson). Texte adopté par l’Assemblée le 28 juin 2018 (26e séance).

1. Chaque jour à travers le monde, 39 000 filles sont mariées avant d’avoir atteint l’âge de la majorité. Plus d’un tiers d’entre elles sont âgées de moins de 15 ans. Les mariages forcés entre adultes sont également fréquents. Tous les pays d’Europe sont concernés par ces pratiques préjudiciables, qu’il s’agisse de mariages forcés contractés en Europe ou de ressortissants ou résidents européens dont le mariage forcé est contracté ailleurs, ou bien encore de personnes mariées de force avant leur arrivée en Europe. Ces violations des droits humains touchent surtout les femmes et les filles, mais aussi des hommes et des garçons.
2. Derrière ces chiffres se cachent autant de vies brisées, de potentiel gaspillé et de risques graves pour la santé. Pour les jeunes filles, se marier est souvent synonyme d’abandon de la scolarité, de séparation de leur famille, de passage trop rapide de la vie d’enfant à la vie d’adulte, d’esclavage domestique, de relations sexuelles imposées et non protégées, de grossesses non voulues et dangereuses pour leur santé. À l’âge adulte, les mariages forcés privent les femmes de la possibilité de décider librement et sans coercition, discrimination ni violation de leurs droits de toute question relevant de leur choix de vie, de leur sexualité et de leur santé sexuelle et reproductive. Pour les femmes comme pour les filles, mariage forcé rime souvent avec violences, agressions sexuelles et viols à répétition.
3. L’Assemblée a condamné ces pratiques dans sa Résolution 1468 (2005) sur les mariages forcés et les mariages d’enfants, dans laquelle elle a défini le mariage forcé comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage, et le mariage d’enfants comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas 18 ans. Ces définitions demeurent valables aujourd’hui, le mariage d’enfants constituant une forme de mariage forcé, car un enfant ne peut pas être considéré comme ayant exprimé son consentement plein, libre et éclairé au mariage. Un mariage auquel l’une des parties au moins n’est pas libre de mettre un terme ou dans lequel elle n’est pas libre de quitter son conjoint est également un mariage forcé.
4. Le mariage forcé n’est pas une simple contrainte matrimoniale mais constitue un ensemble de violations des droits humains, notamment des violations des droits de l'enfant et des violences faites aux femmes. Il porte atteinte à toute une série d’autres droits, dont notamment les droits à l’intégrité physique, à la santé physique et psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation, à la vie privée, à la liberté et à l’autonomie.
5. Des normes internationales visant à prévenir et à combattre les mariages forcés existent depuis longtemps. De surcroît, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), plus récente, définit les mariages forcés comme une forme de violence et demande aux États parties de les ériger en infraction pénale. Or, les mesures mises en place jusqu’à présent n’ont pas suffi à enrayer cette pratique préjudiciable au sein de nos États membres.
6. L’Assemblée estime essentiel que les États membres intensifient leurs efforts pour prévenir et lutter contre les mariages forcés, et mettre fin aux violences et aux violations des droits qu’ils impliquent. Ces efforts doivent inclure tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des communautés au sein desquelles sont pratiqués les mariages forcés, des organisations de terrain, des services sociaux et éducatifs, de la police, de la justice ou des professionnels de santé. Les campagnes de sensibilisation et d’éducation doivent impliquer aussi bien les femmes que les hommes des communautés concernées et permettre de dissocier ces pratiques préjudiciables des stéréotypes de genre, et de la culture et des traditions, notamment les notions de prétendu «honneur» qui favorisent leur persistance.
7. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à inclure la lutte contre les mariages forcés dans leurs politiques et stratégies nationales de prévention et de lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles, et à créer une structure spécifique au sein des autorités administratives dédiée à la lutte contre les mariages forcés;
7.2. à mener des campagnes publiques de sensibilisation et d’information contre les mariages forcés, et à soutenir les initiatives des organisations non gouvernementales dans ce domaine;
7.3. à développer et à renforcer les structures mises en place pour porter assistance aux victimes et aux personnes exposées à un mariage forcé, y compris les lignes téléphoniques dédiées aux appels urgents et les hébergements et refuges destinés aux femmes et aux filles ayant dû quitter leur foyer;
7.4. à renforcer l’autonomisation des femmes et des filles, en garantissant notamment leur accès à l’éducation et au marché du travail;
7.5. en ce qui concerne le droit interne:
7.5.1. à ériger en infraction pénale spécifique, lorsqu’il est commis intentionnellement, le fait de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage, ainsi que le fait de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener à l’étranger avec l’intention de le forcer à contracter un mariage, et à prévoir des sanctions efficaces contre les auteurs de ces infractions et les personnes qui les aident, en sont les complices ou tentent de commettre de telles infractions;
7.5.2. à interdire, sans exception, les mariages d’enfants et à supprimer les différences entre filles et garçons en ce qui concerne l’âge minimum pour le mariage;
7.5.3. à mettre en place des mécanismes permettant de vérifier, avant le mariage, l’authenticité du consentement de chaque époux, tenant compte du fait que chaque partie doit être libre de refuser le mariage, sans conséquence négative pour elle;
7.5.4. à mettre en place des mesures de droit civil contre les mariages forcés, comme des ordonnances de restriction ou de protection au sens de la Convention d’Istanbul, associées le cas échéant à une interdiction de sortie du territoire, permettant de prévenir les mariages forcés lorsque des cas de personnes à risque sont signalés;
7.5.5. à assurer que les naissances et les mariages sont enregistrés, tout en veillant à ce que les personnes contraintes à une union non enregistrée et les enfants éventuellement issus de cette union bénéficient du même niveau de protection que si le mariage avait été enregistré;
7.5.6. à prendre des mesures pour que les mariages forcés puissent être annulables, annulés ou dissous sans faire peser sur la victime une charge financière ou administrative excessive;
7.6. afin de favoriser l’application efficace des dispositions de droit pénal et civil visant à empêcher et à sanctionner les cas de mariage forcé, à améliorer les conditions permettant de signaler les cas de mariage forcé et à garantir la protection des victimes, des donneurs d’alerte et d’autres témoins pendant toute la durée nécessaire pour assurer leur sécurité;
7.7. en ce qui concerne leurs engagements au niveau du droit international:
7.7.1. à signer et/ou à ratifier, et à mettre en œuvre sans restriction les instruments pertinents du Conseil de l’Europe et tout particulièrement la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique;
7.7.2. à signer et/ou à ratifier la Convention des Nations Unies sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, ainsi que l’amendement et le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;
7.8. à reconnaître le mariage forcé comme un motif de protection internationale;
7.9. à ne pas reconnaître les mariages forcés contractés à l’étranger; à reconnaître toutefois, si c’est dans l’intérêt supérieur de la victime, certains effets du mariage dans la mesure où cela permet à la victime d’obtenir des droits auxquels elle ne pourrait prétendre par ailleurs;
7.10. à assurer la collecte de données ventilées par sexe et par âge, fiables et comparables sur les mariages forcés, et à mener des études approfondies sur les causes et la fréquence de ces pratiques, et les facteurs de risque associés;
7.11. afin de garantir la protection des victimes et des personnes à risque dès le premier signalement de leur situation, à dispenser des formations approfondies aux professionnels travaillant au sein des services sociaux et éducatifs, de la police et de la justice, et aux professionnels de santé;
7.12. à mettre en place des mécanismes efficaces de coordination et de suivi des victimes et des personnes à risque, et à promouvoir les échanges de bonnes pratiques, se référant notamment à cet égard au Guide de bonnes et prometteuses pratiques visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé, préparé par le Comité directeur pour les droits de l'homme.
8. L’Assemblée encourage les parlements nationaux à soutenir les actions de prévention des mariages forcés au niveau national et à travers leurs activités de coopération internationale.
9. L’Assemblée salue et soutient les Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies, qui incluent l’élimination des mariages forcés d’ici à 2030, et encourage tous les États membres du Conseil de l’Europe à contribuer activement à la mise en œuvre de ces objectifs.
10. Enfin, l’Assemblée reconnaît que les mariages forcés sont liés à d’autres pratiques néfastes, en particulier les mutilations génitales féminines, qui ont fait l’objet de sa Résolution 2135 (2016), et les crimes liés au prétendu «honneur», qui ont fait l'objet de sa Résolution 1681 (2009) et de sa Recommandation 1881 (2009), contre lesquels les États membres du Conseil de l’Europe doivent également lutter avec fermeté et détermination.