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Résolution 2233 (2018)
Les mariages forcés en Europe
1. Chaque jour à travers le monde,
39 000 filles sont mariées avant d’avoir atteint l’âge de la majorité.
Plus d’un tiers d’entre elles sont âgées de moins de 15 ans. Les
mariages forcés entre adultes sont également fréquents. Tous les
pays d’Europe sont concernés par ces pratiques préjudiciables, qu’il
s’agisse de mariages forcés contractés en Europe ou de ressortissants
ou résidents européens dont le mariage forcé est contracté ailleurs,
ou bien encore de personnes mariées de force avant leur arrivée
en Europe. Ces violations des droits humains touchent surtout les
femmes et les filles, mais aussi des hommes et des garçons.
2. Derrière ces chiffres se cachent autant de vies brisées, de
potentiel gaspillé et de risques graves pour la santé. Pour les
jeunes filles, se marier est souvent synonyme d’abandon de la scolarité,
de séparation de leur famille, de passage trop rapide de la vie
d’enfant à la vie d’adulte, d’esclavage domestique, de relations sexuelles
imposées et non protégées, de grossesses non voulues et dangereuses
pour leur santé. À l’âge adulte, les mariages forcés privent les
femmes de la possibilité de décider librement et sans coercition, discrimination
ni violation de leurs droits de toute question relevant de leur
choix de vie, de leur sexualité et de leur santé sexuelle et reproductive.
Pour les femmes comme pour les filles, mariage forcé rime souvent
avec violences, agressions sexuelles et viols à répétition.
3. L’Assemblée a condamné ces pratiques dans sa Résolution 1468 (2005) sur
les mariages forcés et les mariages d’enfants, dans laquelle elle
a défini le mariage forcé comme étant l’union de deux personnes
dont l’une au moins n’a pas donné son libre et plein consentement
au mariage, et le mariage d’enfants comme étant l’union de deux
personnes dont l’une au moins n’a pas 18 ans. Ces définitions demeurent
valables aujourd’hui, le mariage d’enfants constituant une forme
de mariage forcé, car un enfant ne peut pas être considéré comme ayant
exprimé son consentement plein, libre et éclairé au mariage. Un
mariage auquel l’une des parties au moins n’est pas libre de mettre
un terme ou dans lequel elle n’est pas libre de quitter son conjoint
est également un mariage forcé.
4. Le mariage forcé n’est pas une simple contrainte matrimoniale
mais constitue un ensemble de violations des droits humains, notamment
des violations des droits de l'enfant et des violences faites aux
femmes. Il porte atteinte à toute une série d’autres droits, dont
notamment les droits à l’intégrité physique, à la santé physique et
psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation, à la
vie privée, à la liberté et à l’autonomie.
5. Des normes internationales visant à prévenir et à combattre
les mariages forcés existent depuis longtemps. De surcroît, la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»), plus récente, définit les mariages forcés
comme une forme de violence et demande aux États parties de les
ériger en infraction pénale. Or, les mesures mises en place jusqu’à
présent n’ont pas suffi à enrayer cette pratique préjudiciable au
sein de nos États membres.
6. L’Assemblée estime essentiel que les États membres intensifient
leurs efforts pour prévenir et lutter contre les mariages forcés,
et mettre fin aux violences et aux violations des droits qu’ils
impliquent. Ces efforts doivent inclure tous les acteurs concernés,
qu’il s’agisse des communautés au sein desquelles sont pratiqués les
mariages forcés, des organisations de terrain, des services sociaux
et éducatifs, de la police, de la justice ou des professionnels
de santé. Les campagnes de sensibilisation et d’éducation doivent
impliquer aussi bien les femmes que les hommes des communautés concernées
et permettre de dissocier ces pratiques préjudiciables des stéréotypes
de genre, et de la culture et des traditions, notamment les notions
de prétendu «honneur» qui favorisent leur persistance.
7. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les États
membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à
inclure la lutte contre les mariages forcés dans leurs politiques
et stratégies nationales de prévention et de lutte contre la violence
à l'égard des femmes et des filles, et à créer une structure spécifique
au sein des autorités administratives dédiée à la lutte contre les
mariages forcés;
7.2. à mener des campagnes publiques de sensibilisation et
d’information contre les mariages forcés, et à soutenir les initiatives
des organisations non gouvernementales dans ce domaine;
7.3. à développer et à renforcer les structures mises en place
pour porter assistance aux victimes et aux personnes exposées à
un mariage forcé, y compris les lignes téléphoniques dédiées aux
appels urgents et les hébergements et refuges destinés aux femmes
et aux filles ayant dû quitter leur foyer;
7.4. à renforcer l’autonomisation des femmes et des filles,
en garantissant notamment leur accès à l’éducation et au marché
du travail;
7.5. en ce qui concerne le droit interne:
7.5.1. à
ériger en infraction pénale spécifique, lorsqu’il est commis intentionnellement,
le fait de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage,
ainsi que le fait de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener
à l’étranger avec l’intention de le forcer à contracter un mariage, et
à prévoir des sanctions efficaces contre les auteurs de ces infractions
et les personnes qui les aident, en sont les complices ou tentent
de commettre de telles infractions;
7.5.2. à interdire, sans exception, les mariages d’enfants et
à supprimer les différences entre filles et garçons en ce qui concerne
l’âge minimum pour le mariage;
7.5.3. à mettre en place des mécanismes permettant de vérifier,
avant le mariage, l’authenticité du consentement de chaque époux,
tenant compte du fait que chaque partie doit être libre de refuser
le mariage, sans conséquence négative pour elle;
7.5.4. à mettre en place des mesures de droit civil contre les
mariages forcés, comme des ordonnances de restriction ou de protection
au sens de la Convention d’Istanbul, associées le cas échéant à
une interdiction de sortie du territoire, permettant de prévenir
les mariages forcés lorsque des cas de personnes à risque sont signalés;
7.5.5. à assurer que les naissances et les mariages sont enregistrés,
tout en veillant à ce que les personnes contraintes à une union
non enregistrée et les enfants éventuellement issus de cette union
bénéficient du même niveau de protection que si le mariage avait
été enregistré;
7.5.6. à prendre des mesures pour que les mariages forcés puissent
être annulables, annulés ou dissous sans faire peser sur la victime
une charge financière ou administrative excessive;
7.6. afin de favoriser l’application efficace des dispositions
de droit pénal et civil visant à empêcher et à sanctionner les cas
de mariage forcé, à améliorer les conditions permettant de signaler
les cas de mariage forcé et à garantir la protection des victimes,
des donneurs d’alerte et d’autres témoins pendant toute la durée
nécessaire pour assurer leur sécurité;
7.7. en ce qui concerne leurs engagements au niveau du droit
international:
7.7.1. à signer et/ou à ratifier, et à mettre
en œuvre sans restriction les instruments pertinents du Conseil
de l’Europe et tout particulièrement la Convention du Conseil de
l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard
des femmes et la violence domestique;
7.7.2. à signer et/ou à ratifier la Convention des Nations Unies
sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement
des mariages, ainsi que l’amendement et le Protocole facultatif
à la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination à l'égard des femmes;
7.8. à reconnaître le mariage forcé comme un motif de protection
internationale;
7.9. à ne pas reconnaître les mariages forcés contractés à
l’étranger; à reconnaître toutefois, si c’est dans l’intérêt supérieur
de la victime, certains effets du mariage dans la mesure où cela
permet à la victime d’obtenir des droits auxquels elle ne pourrait
prétendre par ailleurs;
7.10. à assurer la collecte de données ventilées par sexe et
par âge, fiables et comparables sur les mariages forcés, et à mener
des études approfondies sur les causes et la fréquence de ces pratiques, et
les facteurs de risque associés;
7.11. afin de garantir la protection des victimes et des personnes
à risque dès le premier signalement de leur situation, à dispenser
des formations approfondies aux professionnels travaillant au sein
des services sociaux et éducatifs, de la police et de la justice,
et aux professionnels de santé;
7.12. à mettre en place des mécanismes efficaces de coordination
et de suivi des victimes et des personnes à risque, et à promouvoir
les échanges de bonnes pratiques, se référant notamment à cet égard
au Guide de bonnes et prometteuses pratiques visant à prévenir et
à combattre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé,
préparé par le Comité directeur pour les droits de l'homme.
8. L’Assemblée encourage les parlements nationaux à soutenir
les actions de prévention des mariages forcés au niveau national
et à travers leurs activités de coopération internationale.
9. L’Assemblée salue et soutient les Objectifs de développement
durable adoptés par les Nations Unies, qui incluent l’élimination
des mariages forcés d’ici à 2030, et encourage tous les États membres
du Conseil de l’Europe à contribuer activement à la mise en œuvre
de ces objectifs.
10. Enfin, l’Assemblée reconnaît que les mariages forcés sont
liés à d’autres pratiques néfastes, en particulier les mutilations
génitales féminines, qui ont fait l’objet de sa Résolution 2135 (2016),
et les crimes liés au prétendu «honneur», qui ont fait l'objet de
sa Résolution 1681 (2009) et
de sa Recommandation
1881 (2009), contre lesquels les États membres du Conseil
de l’Europe doivent également lutter avec fermeté et détermination.