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Résolution 2234 (2018)
Destruction délibérée et trafic illicite du patrimoine culturel
1. Le patrimoine culturel présente
un intérêt social et politique, et a une valeur intrinsèque. Il
témoigne des idées et des réalisations qui ont façonné l’évolution
de l’humanité; tout au long de l’Histoire, il a été célébré comme
une expression de créativité, mais ce symbole d’identité a également
été, en période de conflit, la cible d’attaques destinées à démoraliser,
à vaincre et à éradiquer des populations.
2. En raison de sa valeur intrinsèque, le patrimoine culturel
a fait l’objet de commandes, a été exposé, acheté et vendu en toute
légalité, mais il a également été volé, pillé et a fait l’objet
de trafics ou de faux dans le but d’en retirer un gain financier
illicite. En Irak et en Syrie, notamment, Daech a pillé le patrimoine
culturel de la région, a délibérément détruit d’importants sites
archéologiques et a profité de la vente de précieux objets exhumés
lors de fouilles.
3. Le trafic illicite du patrimoine culturel a toujours été transnational
et a alimenté le marché noir du commerce des antiquités, de l’art
et des objets. Le marché noir s’éloigne aujourd’hui des circuits
commerciaux traditionnels au profit des médias sociaux et d’internet.
L’Assemblée s’inquiète en outre du fait que ces profits financiers
illicites soient utilisés pour financer la corruption, le terrorisme
et la violence.
4. À ce propos, l’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 2057 (2015) et
à sa Recommandation 2071
(2015) sur le patrimoine culturel dans les situations
de crise et de postcrise, ainsi qu’à la Déclaration de Namur adoptée
lors de la 6e Conférence du Conseil de
l'Europe des ministres responsables du patrimoine culturel (2015),
et se félicite des travaux entrepris à la suite de cette décision,
qui ont abouti à la nouvelle Convention du Conseil de l'Europe sur
les infractions visant des biens culturels (STCE
no 221), adoptée en mai 2017 à Nicosie.
5. La nouvelle convention prolonge et amplifie le cadre juridique
en vigueur depuis la Convention de l'Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) pour la protection
des biens culturels en cas de conflit armé («la Convention de La Haye»)
(1954) et ses protocoles (1954 et 1999), la Convention de l’UNESCO
concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation
et le transfert de propriété illicites des biens culturels (1970),
la Convention de l’Institut international pour l’unification du
droit privé (Unidroit) sur les biens culturels volés ou illicitement
exportés (1995) et les divers règlements et directives de l’Union
européenne; elle vise par conséquent à combler les lacunes qui subsistent
en droit pénal.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres du
Conseil de l’Europe:
6.1. de signer
et de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions
visant des biens culturels;
6.2. de signer et de ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait,
la Convention de l’UNESCO pour la protection des biens culturels
en cas de conflit armé et ses protocoles, la Convention de l’UNESCO
concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation,
l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels,
et la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés;
6.3. d’établir une étroite coopération entre les ministères
compétents, à laquelle participent également les organismes publics,
la police, les douanes et les spécialistes du commerce de l’art
et des antiquités, ainsi que d’instituer une autorité nationale
centrale qui tiendra également lieu de correspondante pour la coopération
internationale;
6.4. de prendre part à la coopération internationale (pour
recueillir des éléments de preuve, condamner les auteurs d’infractions
et récupérer les objets) entre les pays sources, les pays de transit et
les pays de destination finale, en permettant l’échange d’informations,
l’harmonisation de la législation et la normalisation des procédures
et des attentes relatives à la diligence requise à tous les niveaux
de la chaîne de commercialisation; et en particulier:
6.4.1. d’établir
des inventaires numériques régulièrement mis à jour pour la protection
des biens culturels, assortis de niveaux d’accès réglementés et
différenciés, et de normes communes de dénomination et de description
des objets, ainsi que des sites, qui facilitent la coopération internationale,
notamment au moyen de la base de données d’Interpol sur les œuvres
d’art volées;
6.4.2. de mettre en place des «passeports» obligatoires pour
les objets culturels, de manière à faciliter l’identification des
objets et l’échange de données, en utilisant la norme Object ID
(la fiche de l’objet comportant une photographie) élaborée par le
Getty Information Institute et hébergée par l’UNESCO;
6.4.3. d’harmoniser les procédures obligatoires d’importation
et d’exportation (notamment l’obligation de photographie) pour lutter
contre la falsification très répandue de la documentation;
6.4.4. d’élaborer des programmes de formation agréés pour toutes
les personnes concernées professionnellement par la protection des
biens culturels, y compris le personnel des musées, les militaires,
les fonctionnaires de police, les agents des douanes et les archéologues;
6.4.5. de créer des mesures d’incitation pour que les acteurs
du marché licite de l’art participent à toutes les discussions de
fond sur la lutte contre le trafic et à la création d’un marché plus
ouvert et plus transparent, en appelant au respect des codes de
conduite, en expliquant au grand public les procédures à suivre
et en participant pleinement à l’éradication du trafic illicite;
6.5. de prendre part aux activités de coopération avec le Conseil
de l’Europe, l’UNESCO, Unidroit et les autres organisations internationales
pertinentes, en vue:
6.5.1. de codifier l’obligation internationale
de diligence imposée aux salles des ventes et aux marchands (avec
obligation de conserver une trace des transactions), ainsi qu’aux
acheteurs particuliers, à la suite de la création du Code de déontologie
pour les musées par le Conseil international des musées (ICOM);
et d’élaborer des conseils à l'intention des acheteurs privés, en
coopération avec les marchands et les salles des ventes établis;
6.5.2. d’inciter les plates-formes de commercialisation sur internet,
comme eBay, à réguler les transactions sur internet et à appliquer
les procédures requises pour le marché de l’art licite, c’est-à-dire
rendre publique et prévenir toute éventuelle illégalité dans les
transactions, et exiger que la documentation relative à la provenance
des objets accompagne ces derniers;
6.5.3. d’élaborer les stratégies nécessaires à la protection
du patrimoine menacé dans les zones de combat qui peuvent s’avérer
sensibles du point de vue archéologique et, si c’est réalisable,
de dispenser l’assistance technique et financière nécessaire à leur
mise en œuvre effective; de participer à l’initiative de formation
d’une force opérationnelle d’urgence pour la culture (les «casques
bleus de la culture») des Nations Unies, lancée par l’UNESCO et
le Gouvernement italien à Turin.