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Résolution 2234 (2018)

Destruction délibérée et trafic illicite du patrimoine culturel

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 juin 2018 (27e séance) (voir Doc. 14566, rapport de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteur: M. Stefan Schennach). Texte adopté par l’Assemblée le 29 juin 2018 (27e séance).Voir également la Recommandation 2139 (2018).

1. Le patrimoine culturel présente un intérêt social et politique, et a une valeur intrinsèque. Il témoigne des idées et des réalisations qui ont façonné l’évolution de l’humanité; tout au long de l’Histoire, il a été célébré comme une expression de créativité, mais ce symbole d’identité a également été, en période de conflit, la cible d’attaques destinées à démoraliser, à vaincre et à éradiquer des populations.
2. En raison de sa valeur intrinsèque, le patrimoine culturel a fait l’objet de commandes, a été exposé, acheté et vendu en toute légalité, mais il a également été volé, pillé et a fait l’objet de trafics ou de faux dans le but d’en retirer un gain financier illicite. En Irak et en Syrie, notamment, Daech a pillé le patrimoine culturel de la région, a délibérément détruit d’importants sites archéologiques et a profité de la vente de précieux objets exhumés lors de fouilles.
3. Le trafic illicite du patrimoine culturel a toujours été transnational et a alimenté le marché noir du commerce des antiquités, de l’art et des objets. Le marché noir s’éloigne aujourd’hui des circuits commerciaux traditionnels au profit des médias sociaux et d’internet. L’Assemblée s’inquiète en outre du fait que ces profits financiers illicites soient utilisés pour financer la corruption, le terrorisme et la violence.
4. À ce propos, l’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 2057 (2015) et à sa Recommandation 2071 (2015) sur le patrimoine culturel dans les situations de crise et de postcrise, ainsi qu’à la Déclaration de Namur adoptée lors de la 6e Conférence du Conseil de l'Europe des ministres responsables du patrimoine culturel (2015), et se félicite des travaux entrepris à la suite de cette décision, qui ont abouti à la nouvelle Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions visant des biens culturels (STCE no 221), adoptée en mai 2017 à Nicosie.
5. La nouvelle convention prolonge et amplifie le cadre juridique en vigueur depuis la Convention de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé («la Convention de La Haye») (1954) et ses protocoles (1954 et 1999), la Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (1970), la Convention de l’Institut international pour l’unification du droit privé (Unidroit) sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (1995) et les divers règlements et directives de l’Union européenne; elle vise par conséquent à combler les lacunes qui subsistent en droit pénal.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
6.1. de signer et de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions visant des biens culturels;
6.2. de signer et de ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention de l’UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses protocoles, la Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, et la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés;
6.3. d’établir une étroite coopération entre les ministères compétents, à laquelle participent également les organismes publics, la police, les douanes et les spécialistes du commerce de l’art et des antiquités, ainsi que d’instituer une autorité nationale centrale qui tiendra également lieu de correspondante pour la coopération internationale;
6.4. de prendre part à la coopération internationale (pour recueillir des éléments de preuve, condamner les auteurs d’infractions et récupérer les objets) entre les pays sources, les pays de transit et les pays de destination finale, en permettant l’échange d’informations, l’harmonisation de la législation et la normalisation des procédures et des attentes relatives à la diligence requise à tous les niveaux de la chaîne de commercialisation; et en particulier:
6.4.1. d’établir des inventaires numériques régulièrement mis à jour pour la protection des biens culturels, assortis de niveaux d’accès réglementés et différenciés, et de normes communes de dénomination et de description des objets, ainsi que des sites, qui facilitent la coopération internationale, notamment au moyen de la base de données d’Interpol sur les œuvres d’art volées;
6.4.2. de mettre en place des «passeports» obligatoires pour les objets culturels, de manière à faciliter l’identification des objets et l’échange de données, en utilisant la norme Object ID (la fiche de l’objet comportant une photographie) élaborée par le Getty Information Institute et hébergée par l’UNESCO;
6.4.3. d’harmoniser les procédures obligatoires d’importation et d’exportation (notamment l’obligation de photographie) pour lutter contre la falsification très répandue de la documentation;
6.4.4. d’élaborer des programmes de formation agréés pour toutes les personnes concernées professionnellement par la protection des biens culturels, y compris le personnel des musées, les militaires, les fonctionnaires de police, les agents des douanes et les archéologues;
6.4.5. de créer des mesures d’incitation pour que les acteurs du marché licite de l’art participent à toutes les discussions de fond sur la lutte contre le trafic et à la création d’un marché plus ouvert et plus transparent, en appelant au respect des codes de conduite, en expliquant au grand public les procédures à suivre et en participant pleinement à l’éradication du trafic illicite;
6.5. de prendre part aux activités de coopération avec le Conseil de l’Europe, l’UNESCO, Unidroit et les autres organisations internationales pertinentes, en vue:
6.5.1. de codifier l’obligation internationale de diligence imposée aux salles des ventes et aux marchands (avec obligation de conserver une trace des transactions), ainsi qu’aux acheteurs particuliers, à la suite de la création du Code de déontologie pour les musées par le Conseil international des musées (ICOM); et d’élaborer des conseils à l'intention des acheteurs privés, en coopération avec les marchands et les salles des ventes établis;
6.5.2. d’inciter les plates-formes de commercialisation sur internet, comme eBay, à réguler les transactions sur internet et à appliquer les procédures requises pour le marché de l’art licite, c’est-à-dire rendre publique et prévenir toute éventuelle illégalité dans les transactions, et exiger que la documentation relative à la provenance des objets accompagne ces derniers;
6.5.3. d’élaborer les stratégies nécessaires à la protection du patrimoine menacé dans les zones de combat qui peuvent s’avérer sensibles du point de vue archéologique et, si c’est réalisable, de dispenser l’assistance technique et financière nécessaire à leur mise en œuvre effective; de participer à l’initiative de formation d’une force opérationnelle d’urgence pour la culture (les «casques bleus de la culture») des Nations Unies, lancée par l’UNESCO et le Gouvernement italien à Turin.