1. Introduction
1. Des millions de personnes sourdes
utilisent
les langues des signes à travers le monde chaque jour. Cependant,
le statut des langues des signes demeure vague, peu d’États ayant
reconnu les langues des signes comme des langues officielles. Ce
manque de reconnaissance ne permet pas de garantir leur enseignement
dans les systèmes éducatifs et une accessibilité des services publics
en langues des signes. De plus, la non-reconnaissance officielle
peut marginaliser les utilisateurs des langues des signes.
2. La proposition de résolution que j’ai présentée avec d’autres
collègues en mai 2017
poursuit un objectif très spécifique:
faire en sorte que la langue des signes «soit considérée» comme
l’une des langues européennes officielles. Je tiens à rappeler qu’il
n’y a pas de langue des signes unique. J’utiliserai dans ce rapport
l’expression «langue des signes» au pluriel et au singulier, gardant
à l’esprit la pluralité des langues des signes.
3. Quinze ans après l’adoption de la
Recommandation 1598 (2003) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
sur la protection des langues des signes dans les États membres
du Conseil de l’Europe
, la
rédaction de ce rapport est pour moi l’occasion de faire le point
sur les évolutions qui ont eu lieu depuis, de mieux sensibiliser
les responsables politiques et le grand public à la nécessité de
surmonter les obstacles s’opposant à la pleine inclusion des personnes
sourdes, notamment par la reconnaissance des langues des signes
en tant que langues officielles, et de demander aux États membres
du Conseil de l’Europe de prendre des mesures concrètes dans ce
domaine.
4. Il y a des personnes concernées qui font observer que l’utilisation
des langues des signes entraînerait un risque d’isolement des personnes
sourdes. Je suis au contraire de l’avis que les langues des signes
sont un moyen de communiquer qui contribue à l’inclusion des personnes
sourdes au sein de la société. Une langue crée des passerelles entre
des personnes et des cultures. Il nous appartient d’encourager un
apprentissage plus large des langues des signes, qui peut être bénéfique
à tous
.
5. Une personne sourde et une personne entendante pourront difficilement
communiquer en l’absence d’un interprète de langue des signes, si
ce n’est par écrit
. Les langues des signes sont un
outil permettant de dépasser ce handicap de communication
. Son apprentissage devrait se développer
bien au-delà de la communauté des personnes sourdes. Les personnes
sourdes font des efforts d’intégration et d’adaptation très importants
chaque jour au sein de nos sociétés. Les personnes entendantes devraient
faire un pas dans leur direction en s’engageant activement dans
cet apprentissage.
6. La surdité est invisible. Il est impossible de savoir si une
personne est sourde avant d’avoir essayé de communiquer en lui parlant
oralement. Les personnes sourdes sont encore trop souvent victimes
de critiques, moqueries et préjugés quand elles essayent de parler.
Leurs capacités intellectuelles sont remises en question et associées
à la clarté des paroles prononcées. Elles doivent faire face quotidiennement
à des stéréotypes négatifs.
7. Les langues des signes doivent également être considérées
d’un point de vue culturel. La communauté des personnes sourdes
est une communauté culturelle et linguistique d’une grande richesse
et diversité.
8. Tout au long de l’élaboration de ce rapport, j’ai été en contact
avec des personnes sourdes et des organisations les représentant,
ce qui me permet de refléter leur point de vue sur la question de
la reconnaissance des langues des signes en tant que langues officielles
en Europe. Je tiens à les remercier d’avoir partagé leur expérience.
2. Diversité des langues des signes et
idées préconçues
9. Plus d’un pour cent de la population
mondiale est sourde et un total d’environ 1 million de personnes sourdes
vit dans les États membres du Conseil de l’Europe.
10. La plupart des personnes sourdes utilisent la langue des signes
comme principal moyen de communication. Il est difficile de s’avancer
quant à leur nombre, les différentes estimations allant de 142 langues
des signes à plus de 1 000. Ceci est dû au fait que les langues
des signes se sont imposées comme des langues naturelles au sein
de différentes écoles et communautés. Nous avons tendance à ignorer que
les langues des signes sont les langues maternelles de millions
de personnes à travers le monde. Lors de l’audition de la commission
sur l'égalité et la non-discrimination du 19 septembre 2018 à Paris,
M. Mark Wheatley, Directeur exécutif de l’Union européenne des sourds
(EUD), a témoigné de l’importance de l’apprentissage des langues
des signes, comme les autres langues, dès le plus jeune âge: «Mes
parents sont sourds, j’ai eu la chance de pouvoir apprendre la langue
des signes très tôt avec eux et de grandir en communiquant de cette
façon.» L’âge idéal d’apprentissage des langues des signes est de
0 à 5 ans, comme pour les autres langues.
11. Il convient également de noter que les langues des signes
n’ont aucun lien avec la langue parlée d’un pays ou d’une communauté;
en effet, les personnes sourdes développent naturellement la langue
des signes en tant que moyen de communication, sans connaître la
langue parlée. De ce fait, des pays pratiquant la même langue parlée,
tels le Royaume-Uni et les États-Unis, ou encore l’Autriche et l’Allemagne,
ne partagent pas la même langue des signes. Les langues des signes
ne sont pas des traductions des langues nationales mais elles ont
leur propre construction, souvent fort éloignée de la langue parlée
nationale. À titre d’exemple, il y a plus de différences au niveau
de la syntaxe entre le français et la langue des signes française
qu’entre le français et le chinois parlés.
12. Nous oublions trop souvent que les langues des signes sont
diverses et pensons que des personnes sourdes de différents pays
peuvent communiquer aisément ensemble. Mais chaque langue des signes
a ses spécificités et références culturelles. Bien qu’il n’existe
pas de véritable langue des signes internationale, il existe un
mode de communication appelé Langue des signes internationale (LSI)
utilisé uniquement dans le cadre des réunions et conférences internationales
où des personnes sourdes de différents pays sont présentes. La signification
des signes doit être convenue par les signeurs et peut varier d’une
réunion à l’autre. Ordinairement, des ensembles de signes tirés
de langues des signes nationales sont utilisés et combinés à d’autres
signes pouvant être compris d’un public plus large. Comme il n’existe
pas de normes LSI, les interprètes doivent maîtriser plusieurs langues
des signes nationales pour pouvoir utiliser ce mode de communication.
Il ne s’agit donc pas d’une langue des signes universelle.
13. Les langues des signes doivent être considérées comme des
langues à part entière avec leur propre construction syntaxique.
Elles sont le vecteur de la culture sourde
qu’il convient de protéger et de
faire rayonner. Je tiens à mentionner notamment le «International
Visual Theatre» créé à Paris il y a 40 ans qui accueille des spectacles
bilingues en français et en langue des signes française, des conférences,
des formations et des résidences de création
.
14. Je souhaite aussi inviter à la découverte de la poésie en
langue des signes
.
Les allitérations, ou répétition d’une ou plusieurs consonnes, vont
s’exprimer par des répétitions visuelles en langues des signes, apportant
un effet poétique non seulement du point de vue du sens exprimé
mais aussi sur le plan visuel. Le rappeur finlandais Signmark rappe
quant à lui en langue des signes et contribue à promouvoir la langue
des signes bien au-delà de la communauté sourde.
3. Langues
des signes et Conseil de l’Europe
15. La question des langues des
signes peut être examinée du point de vue du handicap ou de celui
des droits linguistiques et de la non-discrimination. Le Conseil
de l’Europe a une grande expérience du traitement de ces questions
et a principalement traité de la question des langues des signes
du point de vue du handicap, tout d’abord dans le cadre de son
Accord
partiel dans le domaine social et de la santé publique. En 2006, le premier Plan d’action du Conseil de l’Europe
pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes
handicapées à la société (2006-2015) a marqué un tournant dans l’approche
du Conseil de l’Europe: depuis lors, en effet, l’Organisation a
clairement abordé la question du point de vue des droits humains
et d’égalité plutôt que de la santé, conformément à l’approche préconisée
par la
Convention
des Nations Unies de 2006 relative aux droits des personnes handicapées .
16. En 2017, le Comité des Ministres a adopté la
Stratégie
du Conseil de l’Europe sur le Handicap 2017-2023 et y fait la promotion de l’utilisation de la langue
des signes. «Les organes du Conseil de l’Europe et les États membres
devraient tendre à promouvoir l’utilisation de modes, de moyens
et de formations de communication accessibles et faciles d’utilisation,
y compris les langues des signes, le braille et les textes faciles
à lire et d’autres méthodes de communication améliorée et alternative,
dans l’ensemble des communications, communiqués de presse et services
internet du Conseil de l’Europe et aux niveaux national et local,
y compris au niveau des parlements, des autorités locales et régionales
et des parties prenantes du secteur privé»
.
Par la suite, en raison de restrictions budgétaires, il a été décidé
de ne pas reconvoquer le Comité ad hoc sur les droits des personnes
handicapées (CAHDPH). Le suivi de la mise en œuvre de la stratégie
relève donc de la responsabilité du Comité directeur pour les droits
de l’homme (CDDH).
17. De précédents textes adoptés par l’Assemblée encourageaient
déjà l’emploi de la langue des signes. Dans sa
Recommandation 1598 (2003) sur la protection des langues des signes dans les États
membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée s’est dite d’avis que
«la reconnaissance officielle de ces langues aidera[it] les sourds
à s’intégrer dans la société et à accéder à la justice, à l’enseignement
et à l’emploi». L’Assemblée y reconnaît les langues des signes comme
«l’expression de la richesse culturelle européenne (…) un élément du
patrimoine tant linguistique que culturel de l’Europe». Dans cette
recommandation, l’Assemblée estime que «la reconnaissance officielle
des langues des signes facilitera la formation, le recrutement et
le maintien de davantage d’interprètes». Dans sa
Résolution 2155 (2017) «Les droits politiques des personnes handicapées: un
enjeu démocratique», l’Assemblée a appelé les États membres qui
ne l’ont pas déjà fait à reconnaître la langue des signes comme
langue officielle.
18. Des travaux novateurs ont été entrepris pour inclure les langues
des signes dans le Cadre européen commun de référence pour les langues
(CECR), initiative fortement soutenue par le Centre européen pour
les langues vivantes (CELV, Graz) du Conseil de l’Europe par le
biais du
projet
ProSign1. Ce projet vise à élaborer des normes européennes définissant
les niveaux de compétence des enseignants de langues des signes
et des interprètes.
19. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
(STE no 148) ne mentionne pas les langues
des signes et leur utilisation n’est donc pas examinée lors des
visites de suivi effectuées par le Comité d’experts de la Charte.
La Finlande envoie au comité des informations sur la protection
et l’utilisation des langues des signes dans son rapport national.
Les langues des signes ne sont de toute évidence pas des langues
régionales mais elles pourraient entrer dans la définition des langues
minoritaires puisqu’elles sont utilisées par une minorité de la
population dans chaque État. Un statut officiel de langue minoritaire
pourrait accroître la protection des langues des signes.
20. À l’audition que la commission a tenue le 19 septembre 2017,
avec la participation de Mme Claudine Brohy,
membre du Comité d'experts de la Charte européenne des Langues régionales
ou minoritaires (COMEX) au titre de la Suisse et de M. Mark Wheatley,
Directeur exécutif de l’Union européenne des sourds (EUD), les participants
ont discuté de l’importance de la reconnaissance officielle et d’un
possible ajout des langues des signes à la sphère d’action du Comité
d’experts. Selon Dr Brohy, «les langues des signes ne sont ni formellement
inclues ni formellement exclues de la Charte». Elle estime personnellement
que les langues des signes sont des langues à part entière avec
un héritage culturel et linguistique. Elle estime que les langues des
signes sont des langues minoritaires, non-territoriales et pratiquées
traditionnellement qui devraient être protégées et préservées.
21. Je suis d’avis que les États Parties
pourraient
être invités à fournir des informations sur l’utilisation et la
protection des langues des signes dans les procédures de suivi de
la mise en œuvre de la Charte sur une base volontaire. Cela pourrait
les aider à faire un état des lieux de la situation et à discuter
des mesures à prendre afin d’assurer la protection des langues des
signes.
22. Le Comité d’experts a déjà discuté de cette question dans
le cadre de la préparation d’un avis demandé par le Comité des Ministres,
qui est présenté en annexe de la réponse à la
Recommandation 1492 (2001) sur les droits des minorités nationales
. Le Comité d’experts avait à ce
moment-là exprimé une réticence à l’inclusion des langues des signes
dans la sphère d’action du Comité, en indiquant que la Charte n’avait
pas été conçue afin de répondre aux besoins spécifiques des langues
des signes. Mais 16 ans après cette réponse, il me semble intéressant
de proposer qu’une réflexion soit menée sur la possibilité que le
Conseil de l’Europe développe des normes en matière de protection
des langues des signes.
4. Rôle
moteur des Nations Unies
23. Depuis ces dix dernières années,
la question du handicap est au cœur du débat sur les droits humains et
ce, également grâce à la
Convention
des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. Plusieurs articles de cette convention mentionnent
les langues des signes:
- l’article
9.2.e, qui appelle les États
à «mettre à disposition des formes d’aide humaine ou animalière
et les services de médiateurs, notamment de guides, de lecteurs
et d’interprètes professionnels en langue des signes, afin de faciliter
l’accès des bâtiments et autres installations ouverts au public»;
- l’article 21.b,
selon lequel les États Parties «acceptent et facilitent le recours
par les personnes handicapées, pour leurs démarches officielles,
à la langue des signes, au braille, à la communication améliorée
et alternative et à tous les autres moyens, modes et formes accessibles
de communication de leur choix»;
- l’article 21.e,
selon lequel les États Parties «reconnaissent et favorisent l'utilisation
des langues des signes»;
- l’article 24.3.b,
selon lequel les États Parties «facilitent l'apprentissage de la
langue des signes et la promotion de l'identité linguistique des
personnes sourdes»;
- l’article 24.4: «Afin de faciliter l'exercice de ce droit,
les États Parties prennent des mesures appropriées pour employer
des enseignants, y compris des enseignants handicapés, qui ont une
qualification en langue des signes ou en braille et pour former
les cadres et personnels éducatifs à tous les niveaux. Cette formation
comprend la sensibilisation aux handicaps et l'utilisation des modes,
moyens et formes de communication améliorée et alternative et des
techniques et matériels pédagogiques adaptés aux personnes handicapées»;
- l’article 30.4: «Les personnes handicapées ont droit,
sur la base de l'égalité avec les autres, à la reconnaissance et
au soutien de leur identité culturelle et linguistique spécifique,
y compris les langues des signes et la culture des sourds».
24. La langue des signes est également reconnue dans la Convention
comme étant l’un des outils fondamentaux permettant aux personnes
sourdes de prendre part à la vie politique et publique (article
29), ainsi qu’à la vie culturelle (article 30).
25. Dans ses observations générales, le Comité des droits des
personnes handicapées a souligné l’importance du droit d’accès à
l’interprétation et aux services en langue des signes, par exemple:
- dans l’observation générale
no 1 sur la reconnaissance de la personnalité
juridique dans des conditions d’égalité;
- dans l’observation générale no 2
sur l’accessibilité;
- dans l’observation générale no 5
sur le droit à l’éducation inclusive;
- dans l’observation générale no 6
sur l’égalité et la non-discrimination.
26. En décembre 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a
déclaré le 23 septembre comme Journée internationale des langues
des signes. Le Comité des droits des personnes handicapées des Nations
Unies a salué cette décision, rappelant que les personnes en situation
de handicap doivent pouvoir exercer leurs droits à la liberté d’expression
et d’opinion, y compris la liberté de rechercher, de recevoir et
de répandre des informations et des idées sur la base de l’égalité
avec les autres et en recourant à tous moyens de communication de
leur choix. Cette journée internationale
est
l’occasion d’appeler à la reconnaissance officielle des langues
des signes
. Je note aussi qu’il y a une journée
nationale de la langue des signes en Espagne, Estonie, Finlande,
Hongrie, Islande, au Portugal et en Suède.
5. Union
européenne et langues des signes
27. Le Parlement européen a joué
un rôle de pionnier en tant que première institution européenne
à prendre clairement position en faveur des langues des signes avec
une résolution dès 1988 sur les langages gestuels à l’usage des
sourds
et une autre résolution adoptée en
1998 sur le langage gestuel
. Il continue de jouer un rôle de
premier plan en ce domaine et a récemment adopté une autre résolution
en la matière, appelant à la formation d’interprètes en langue des
signes
. Le Parlement européen compte actuellement
deux députés sourds: Ádám Kósa (Hongrie, Groupe du Parti populaire
européen) et Helga Stevens (Belgique, Groupe des Conservateurs et
Réformistes européens) qui sont tous deux très actifs sur cette
question. Lors de notre audition, M. Mark Wheatley a néanmoins regretté
le manque de participation et de représentation des personnes sourdes
sur le plan politique, dû principalement à un manque d’accès aux
structures internes des partis politiques.
28. La Commission européenne s’attache elle aussi à promouvoir
les langues des signes avec différentes initiatives. Dicta-Sign
est un projet sur trois ans financé par l’Union européenne, qui
vise à rendre les communications en ligne plus accessibles aux utilisateurs
des langues des signes
.
29. SignSpeak est un projet destiné à améliorer la communication
entre signeurs et personnes entendantes grâce à une nouvelle technologie
basée sur la vision artificielle pour traduire en texte le langage
des signes continu
.
30. Enfin INSIGN vise à permettre aux personnes sourdes de communiquer
avec leurs représentants politiques et administrations publiques,
en éliminant les obstacles qui entravent actuellement la communication au
niveau européen
.
31. Je souhaiterais rappeler que l’Union européenne a adhéré à
la Convention sur les droits des personnes handicapées et s’est
engagée à la respecter et à la promouvoir.
32. Il me paraît également primordial d’adopter une démarche inclusive
et de coopérer étroitement avec les organisations non gouvernementales
(ONG) engagées dans la promotion des droits des personnes sourdes et
avec des représentants de la société civile. Je souhaiterai mentionner
dans ce contexte l’Union européenne des sourds (EUD), un acteur
majeur méritant d’être félicité pour ses actions de promotion de
la reconnaissance des langues des signes à travers l’Union européenne.
Je soutiens la Déclaration de Bruxelles sur les langues des signes
dans l’Union européenne, présentée par l’EUD en 2010.
6. Évolutions
nationales
33. L’exposé des motifs de la
Recommandation 1598 (2003) de l’Assemblée sur la protection des langues des signes
dans les États membres du Conseil de l’Europe donne une vue d’ensemble
des politiques nationales en la matière,
tout comme une publication de 2005
du Conseil de l’Europe intitulée «Le statut des langues des signes
en Europe» et dont l’auteure est l’experte Nina Timmermans
.
Ce rapport ne pouvant traiter en détail du statut des langues des
signes dans tous les États membres, je me félicite de la préparation d’une
étude scientifique sur le statut des langues des signes dans les
États membres du Conseil de l’Europe par le ministère des Affaires
étrangères finlandais, qui sera publiée dans le cadre de la présidence
finlandaise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe l’an
prochain.
34. Il y a eu depuis de nombreuses avancées, tant sur le plan
législatif au niveau des États que dans le domaine des nouvelles
technologies. Nous avons assisté à la reconnaissance officielle
des langues des signes dans certains États et au développement de
nouvelles technologies qui intègrent les langues des signes en tant
que moyen de communication
. Les travaux du Comité des Nations
Unies sur les droits des personnes handicapées, et notamment les
observations finales déjà adoptées, permettent d’avoir un bon aperçu
des mesures adoptées ces dernières années. Les États membres du
Conseil de l’Europe pour lesquels des observations finales relatives
à au moins un cycle de suivi sont disponibles à ce jour sont l’Allemagne, l’Arménie,
l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la
Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne
, la Hongrie, l’Italie, la
Lettonie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», la Lituanie,
le Luxembourg, Malte, la République de Moldova, le Monténégro, la
Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Fédération de Russie, la
Serbie, la République slovaque, la Slovénie, la Suède, la République
tchèque et l’Ukraine.
35. La reconnaissance des langues des signes peut prendre plusieurs
formes: une reconnaissance constitutionnelle, une reconnaissance
par une loi générale sur les langues, une reconnaissance par une
loi spécifique sur la langue des signes ou incluant d’autres modes
de communication, et une reconnaissance par une législation sur
le fonctionnement national des langues. Une reconnaissance officielle
au niveau national revient à démontrer l’importance attachée à la
communauté sourde et à sa culture, et à garantir que des fonds seront
disponibles pour faire de la reconnaissance une réalité et pas seulement
un principe. Une reconnaissance officielle doit avoir des effets
concrets, quelle que soit la forme de la reconnaissance.
36. L’Union européenne des Sourds a recensé la présence de la
langue des signes dans les Constitutions de l’Autriche, de la Finlande,
de la Hongrie et du Portugal
. En France, la langue des signes
française est reconnue comme une langue de la République depuis
2008. En Irlande, la langue des signes irlandaise a obtenu un statut
officiel fin 2017
. Cette reconnaissance officielle
a permis d’assurer la présence d’interprètes en langue des signes
au sein de divers services publics.
37. J’ai pu noter que le Comité des Nations Unies félicite les
États reconnaissant la langue des signes dans leur Constitution
(Autriche) ou dans une loi séparée, que celle-ci soit reconnue comme
langue officielle
(Chypre,
Danemark, Lettonie, Malte, Suède, République tchèque), langue distincte
(Allemagne)
ou moyen de communication officiel
(Serbie, Ukraine). Le Comité
recommande aux États n’ayant pas fait cette démarche de reconnaître
la langue des signes (Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Italie, Luxembourg, Monténégro, Slovénie), et de promouvoir son
utilisation en pratique.
38. Le Comité des Nations Unies observe les politiques nationales
d’accès des personnes sourdes à l’information. Il est principalement
préoccupé par le faible nombre ou l’absence totale de diffusion
audiovisuelle fournissant des informations dans des formats accessibles,
tel qu’en langue des signes ou en sous-titrage. Les États mentionnés
pour leur manque d’accessibilité à d’autres formes de communication
dans les médias sont l’Allemagne, l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine,
la Croatie, Chypre, le Danemark dans les îles Féroé, l’Italie, la Lettonie,
le Luxembourg, le Monténégro, la République slovaque, la Serbie,
la Slovénie et l’Ukraine. Le Comité leur recommande de multiplier
les formes de communication, notamment à la télévision, sur le web
ou via des applications.
39. En ce qui concerne la formation des professionnels des langues
des signes, le Comité des Nations Unies demande aux États d’allouer
des ressources financières plus importantes à la formation des interprètes en
langue des signes (Chypre, République de Moldova, Slovénie, République
tchèque). Cette recommandation s’applique aussi pour la formation
des enseignant(e)s des élèves et étudiant(e)s sourd(e)s pour garantir
une éducation de qualité à tous les niveaux scolaires (Allemagne,
Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Italie, Slovénie, Royaume-Uni).
40. Le Comité des Nations Unies accorde une grande importance
à l’enseignement inclusif. Il recommande de mettre en place des
stratégies cohérentes pour que les enfants sourds soient intégrés
dans le système scolaire ordinaire (Azerbaïdjan, République de Moldova).
Dans les États où une formation inclusive est déjà présente, le
Comité les invite à redoubler d’efforts et à augmenter les financements
afin de fournir les aménagements raisonnables requis aux étudiant(e)s
sourd(e)s (Allemagne, Autriche, Belgique, Hongrie, Portugal). Je
note aussi les bonnes pratiques applaudies par le Comité, telles
qu’en Suède où seul 1.5% des enfants sont scolarisés en dehors des
établissements ordinaires suite à une décision prise par leur famille.
La politique d’éducation inclusive autrichienne est aussi saluée,
car elle offre des services d’interprétation en langue des signes
à tous les étudiant(e)s de l’enseignement supérieur. Au Luxembourg,
les parents d’enfants sourds reçoivent 100 heures de formation en
langue des signes afin de pouvoir communiquer de cette manière avec
leurs enfants.
41. Enfin, j’ai remarqué que le Comité des Nations Unies est alerté
par les discriminations dont sont victimes les personnes sourdes
dans l’accès à la justice et le manque de services juridiques abordables
en langue des signes. Parmi ses recommandations, le Comité demande
à certains États d’aménager les procédures judiciaires et administratives
en proposant des services d’interprétation de qualité en langue
des signes (Arménie, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Italie, Lettonie,
République de Moldova, Monténégro, Royaume-Uni, Serbie, Ukraine).
42. Le «
Rapport
d’évaluation abrégé de la mise en œuvre du Plan d’action du Conseil de l’Europe
pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes
handicapées à la société: améliorer la qualité de vie des personnes
handicapées en Europe 2006-2015» présente quelques bonnes pratiques.
Par exemple, le rapport indique qu’en Pologne, les personnes sourdes
peuvent bénéficier d’un interprète en langue des signes pour l’accès
aux services de soins, à la police et à divers services publics
administratifs
.
43. Je souhaite également présenter dans ce rapport des informations
plus détaillées sur plusieurs États membres du Conseil de l’Europe
et commencerai par mon pays d’origine, l’Espagne. La langue des
signes espagnole et la langue des signes catalane sont utilisées
en Espagne
. La langue
des signes espagnole a le statut de langue officielle depuis 2007
.
44. La langue des signes espagnole a subi des changements importants
ces dernières années. Son usage se limitait par le passé à des cercles
restreints, dans le milieu associatif et scolaire et au sein des
familles de personnes sourdes. La langue des signes a commencé à
être enseignée en tant que deuxième langue dans certains établissements
scolaires. Les travaux de recherche se sont multipliés et elle a
été intégrée à différents niveaux du système éducatif.
45. La communauté des utilisateurs n'a pas ménagé ses efforts
pour assurer et préserver la langue des signes espagnole. Les universités
se sont engagées pour sa protection. Je tiens à saluer les travaux
menés par le Centre de normalisation linguistique de la langue des
signes espagnole (Confédération espagnole des personnes sourdes,
CNLSE)
ainsi
que la proclamation du 14 juin comme journée nationale de la langue
des signes espagnole
.
46. La Finlande peut être considérée comme ayant joué un rôle
pionnier en matière de reconnaissance officielle et de services
en langues des signes. La langue des signes y est protégée dans
la Constitution en tant que langue minoritaire. Une formation en
langue des signes est proposée aux parents d’enfants sourds. Elle
est enseignée et utilisée au-delà de la communauté sourde.
6.1. Étude
de cas: Autriche
47. Considérant le statut de la
langue des signes en Autriche, il peut être intéressant de présenter
des informations plus détaillées sur la situation dans ce pays.
La langue des signes autrichienne (l’ÖGS) a été reconnue dans la
Constitution autrichienne le 1er septembre
2005 à l’article 8.3.
48. La communauté sourde en Autriche utilisant l’ÖSG est estimée
entre 8 000 et 10 000 personnes. En ce qui concerne l’éducation
des élèves sourds, deux vues s’opposent avec d’un côté des organisations
de personnes sourdes s’opposant aux écoles spéciales qui excluraient
les élèves de la société, et de l’autre les organisations qui considèrent
que ces écoles offrent plus de possibilités d’aide et de soutien.
La méthode dite orale, privilégiant l’apprentissage et l’utilisation
de la langue parlée, reste néanmoins prédominante en Autriche. Le
nombre d’étudiants sourds diplômés d’université par an demeure faible
mais l’Autriche tente de mettre en place des formations professionnelles
pour les jeunes sourds. L’entreprise «Equalizent», financée en partie
par un projet de l’Union européenne
, développe une formation pour les
personnes sourdes encadrées spécialement par des personnes sourdes
elles-mêmes ou pouvant communiquer en langue des signes
. 70% des participants ont trouvé
un emploi à l’issue de cette formation. Equalizent est unique en Europe
et développe aussi un ensemble de techniques managériales pour gérer
les relations souvent compliquées entre les employé(e)s entendant(e)s
et sourd(e)s.
49. L’Autriche est aussi particulièrement reconnue pour l’accessibilité
de son Parlement aux personnes sourdes, où les débats sont sous-titrés
en direct sur la chaîne de télévision ORF. Lors de sa réunion à
Vienne en mars 2014, notre commission a tenu une audition avec Hélène
Jarmer, députée autrichienne sourde, qui a présenté les difficultés
auxquelles elle a fait face au parlement et les mesures qui ont
été prises afin d’y remédier.
50. Concernant les audiences pénales, un interprète en langue
des signes doit être engagé pour les prévenu(e)s sourd(e)s ou muet(te)s.
En contentieux administratifs, le coût du recrutement d’un interprète
doit être pris en charge par l’entité juridique au nom de laquelle
les autorités ont agi. L’administration permet aux personnes sourdes
de passer l’examen du Code de la route en vue d’obtenir le permis
de conduire en utilisant un DVD en langue des signes mis à disposition
par le Bureau social fédéral. Enfin, une loi de 2010 prévoit l’assistance
gratuite d’un interprète en langue des signes pour les communications
avec les organismes d’assurance sociale.
51. La société civile pointe cependant du doigt le manque d’accessibilité
de l’information pour les personnes sourdes
.
Depuis 2001, la chaîne de télévision nationale ORF a l’obligation
de concevoir des émissions plus faciles à suivre par les sourds,
dans la mesure où cela est financièrement raisonnable. Depuis 2010,
la loi impose l’obligation d’augmenter chaque année la proportion
des émissions conçues pour les personnes sourdes. Selon les rapports
des ONG au Comité sur les droits des personnes handicapées, seuls
21% des programmes sont sous-titrés en langue des signes. Enfin,
l’offre culturelle pour les personnes sourdes est relativement restreinte
(pièces de théâtre traduites par exemple). Le médiateur fédéral
a également fait observer qu’il n’existait pas de plan contraignant
d’aménagement progressif. Les fournisseurs de médias audiovisuels
privés sont également tenus par la loi de garantir progressivement
l’accessibilité de leurs services aux personnes déficientes auditives
ou visuelles.
6.2. Étude
de cas: Suède
52. Je souhaite aussi présenter
quelques informations plus détaillées sur la situation en Suède
puisqu’elle a été le premier pays au monde à donner le statut de
langue à une langue des signes en 1981
. Dès 1983, des écoles spécialisées
ont choisi d’enseigner en langue des signes suédoise et en suédois
afin d’assurer l’apprentissage du bilinguisme. La valeur de l’éducation
bilingue a été très vite reconnue et pratiquée en Suède et de nombreuses
recherches ont démontré la nécessité pour les enfants sourds d’apprendre
la langue des signes et ne pas uniquement utiliser l’oral, qu’ils
aient un implant cochléaire ou non.
53. Une nouvelle loi sur les langues est entrée en vigueur le
1er juillet 2009. Toutes les personnes
sourdes ou qui ont besoin de la langue des signes pour quelque autre
raison doivent pouvoir l’apprendre, s’y perfectionner et l’utiliser.
Le Comité des Nations Unies a félicité dans ses observations finales
la Suède pour son système d’éducation inclusive, puisque seulement
1,5 % des enfants sont scolarisés en dehors des établissements ordinaires,
suite à une décision prise par leur famille.
54. Les universités suédoises ont toutes des coordinateurs pouvant
apporter leur soutien aux étudiants en situation de handicap. Parmi
les mesures de soutien dont ces derniers bénéficient, on peut citer
des examens adaptés, des documents sur des supports adaptés, une
aide à la prise de notes, le tutorat, un encadrement renforcé, un
soutien linguistique et l’interprétation en langue des signes. Certaines
universités et certains collèges universitaires emploient des interprètes
pendant les cours. Depuis 1990, il existe une chaire de langue des
signes à l’université de Stockholm. Il s’agit de la première de
ce genre au monde. Les recherches sur la langue des signes sont
menées dans la section langue des signes du département de linguistique
de l’université. Dans cette section, il y a aussi une activité de
lexicographie pour répertorier les signes suédois et publier des
lexiques de langue des signes. L’université assure une formation
à la langue des signes à tous les niveaux.
55. L’État apporte un appui annuel à la Compagnie nationale de
théâtre, à but non lucratif, au sein de laquelle se trouve, par
exemple, le «théâtre silencieux» (Quiet Theatre) qui produit des
spectacles en langue des signes depuis plus de trente ans. Cet établissement
s’efforce de renforcer et de développer le théâtre des sourds au
niveau international au moyen de pièces, d’activités éducatives
et de nouvelles technologies en matière d’accessibilité.
56. Une nouvelle loi sur la radio et la télévision est entrée
en vigueur le 1er août 2010. Elle comprend
une nouvelle disposition en vertu de laquelle les émissions de télévision
doivent être conçues de manière à ce que les programmes soient accessibles
aux personnes handicapées. Cela peut être fait grâce à des sous-titres,
à l’interprétation, à des textes parlés ou toute autre technologie
similaire, dans la mesure décidée par le gouvernement ou l’Agence
suédoise des services de diffusion.
7. Avancées
technologiques et langues des signes
57. Je tiens tout d’abord à présenter
l’implant cochléaire, qui est la première invention technologique facilitant
l’accès au monde entendant pour les personnes sourdes. Des électrodes
posées chirurgicalement permettent de stimuler directement les terminaisons
nerveuses de l’audition. Cependant, l’utilisation des implants est
vivement contestée par une partie de la communauté sourde, considérant
que l’implant porte atteinte à l’identité de l’individu, étant donné
que l’opération est souvent pratiquée sur les bébés et jeunes enfants
n’ayant pas pu choisir. La pose d’un implant cochléaire est souvent
accompagnée de la méthode d’éducation oralisée, au détriment de
l’enseignement de la langue des signes comme première langue. L’implant
est à différencier des aides auditives qui sont disponibles pour
les personnes malentendantes ou en perte d’audition et consistent
en une amplification du son. Ce développement technologique n’empêche
pas l’utilisation des langues des signes mais pourrait à terme les
marginaliser. Des organisations des personnes sourdes ont indiqué
que les langues des signes étaient le seul moyen de s’assurer d’une
participation pleine et entière des personnes sourdes à la société.
58. Le développement de nouvelles technologies peut contribuer
à améliorer la communication, la participation et l’inclusion des
utilisateurs des langues des signes dans la société. De nombreuses
applications de dictionnaire en langue des signes sont apparues,
et permettent aux personnes entendantes de traduire un mot directement
en langue des signes, ou inversement. Par exemple, des gants permettant
de traduire la langue des signes en mots parlés ont été créés à
Taiwan
.
59. L’application AVA, lancée en 2017, permet de sous-titrer en
temps réel des échanges verbaux dans un groupe et de les retranscrire
instantanément sur mobile. Le micro du Smartphone enregistre et
retranscrit immédiatement les paroles de la personne entendante
en format sous-titré. Dans le cas d’une conversation en groupe,
tous les individus peuvent rejoindre le débat en parlant dans leur
Smartphone pour que la personne sourde puisse suivre les interactions
et éventuellement intervenir par oral ou par écrit sur le Smartphone. L’utilisation
d’un micro portatif (oreillette) permet aussi à l’étudiant sourd
de suivre un cours, retranscrit en direct sur son téléphone. Cette
application permet de transcrire 12 langues: allemand, anglais,
arabe, chinois, espagnol, français, italien, néerlandais, norvégien,
portugais, russe et thaï
. Cette application peut représenter
une grande aide mais ne devrait pas dispenser les établissements
d’assurer la présence d’interprètes en langues des signes tout au
long des études afin de donner les mêmes chances à chacun.
60. Le bracelet unitact
permet d’associer des vibrations
avec des messages, envoyés via une application Smartphone. Ce bracelet
se porte au poignet de la personne sourde, et peut servir de réveil
par exemple, ou être utilisé par d’autres personnes souhaitant communiquer
des messages simples via leur smartphone.
61. Le gant «Enable Talk» permet de reconnaître la gestuelle de
la langue des signes et de retranscrire celle-ci en son audio via
un smartphone, et permet donc une personne sourde de communiquer
avec une personne entendante sans oraliser. Les nouveaux outils
technologiques peuvent accompagner les personnes sourdes et faciliter
leur vie au quotidien, tout en continuant d’utiliser les langues
des signes. Je suis d’avis que la recherche et le développement
dans ce domaine doivent être encouragés et que des ressources suffisantes devraient
être données aux chercheurs afin qu’ils puissent continuer leurs
travaux dans ce domaine.
8. Conclusions
62. Les langues des signes devraient
être mieux protégées en Europe. Leur enseignement ne devrait pas être
réservé aux personnes sourdes mais proposé à tous ceux qui le souhaitent,
permettant un accès à la richesse culturelle de la communauté sourde.
63. La reconnaissance des langues des signes en tant que langues
officielles au niveau national pourrait aider à surmonter de nombreux
obstacles, notamment en ce qui concerne l’accès des personnes sourdes
à l’éducation et aux services de santé. Une reconnaissance officielle
des langues des signes permet en effet de garantir l’accessibilité
des cours au sein des systèmes éducatifs, d’assurer l’offre d’une
interprétation dans les médias de service public et de promouvoir
leur utilisation au sein des institutions, y compris des parlements nationaux.
Une reconnaissance officielle peut assurer un accès à la justice
en langue des signes et faciliter de nombreuses démarches. Elle
est un moyen de lutter contre l’exclusion de milliers de personnes
de l’accès aux services et représente un pas de plus vers l’inclusion
dans la société, dans les systèmes éducatifs et sur le marché de
l’emploi. Elle peut aussi permettre aux personnes entendantes souhaitant
étudier les langues des signes d’avoir accès à des cours.
64. La reconnaissance officielle peut avoir de nombreux effets
positifs mais elle doit être accompagnée d’un engagement politique
fort et de la mise à disposition de ressources financières afin
de s’assurer que les services et l’enseignement seront accessibles
de manière effective en langues des signes. Je considère par conséquent
la reconnaissance officielle comme étant la première étape d’une
promotion active des langues des signes. Investir dans une offre
éducative bilingue me paraît être une priorité. La formation des
professeurs en langues des signes est essentielle au succès de tels
systèmes. La formation des interprètes devrait elle aussi être développée
et soutenue financièrement.
65. Donner un statut officiel aux langues des signes ne revient
pas à freiner les investissements dans les inventions technologiques.
Je ne souhaite pas promouvoir une vision binaire où langue des signes
et culture des personnes sourdes ne seraient pas compatibles avec
les nouvelles technologies. Nous devons encourager la recherche
dans ce domaine tout en faisant en parallèle la promotion de l’utilisation
des langues des signes.
66. La reconnaissance officielle peut aussi amener des changements
sociétaux et entraîner un changement de comportement de la société
envers les personnes sourdes. Il s’agit d’une confirmation étatique
en faveur de l’inclusion de la culture et de la langue naturelle
des sourds et de la lutte contre la discrimination et les stéréotypes.
Elle peut contribuer à sensibiliser la population à la situation
des personnes sourdes et aux obstacles rencontrés et à assurer l’engagement
des institutions pour la promotion des changements nécessaires.
L’utilisation des langues des signes peut permettre aux personnes
sourdes de participer activement à la société.
67. La promotion de l’utilisation des langues des signes va au-delà
de la question de l’inclusion des personnes sourdes. Il s’agit du
droit d’utiliser sa propre langue, qui pourrait être considérée
comme une langue minoritaire. Une réflexion sur la possibilité que
le Conseil de l’Europe développe des normes en matière de protection
des langues des signes pourrait être engagée.
68. Je souhaite appeler à une reconnaissance officielle des langues
des signes, qui permettra aux personnes sourdes d’exercer leurs
droits fondamentaux, tels que le droit au travail, à l’éducation
et l’accès aux services de santé. Une telle reconnaissance peut
faciliter l’accès à l’information et permettre aux personnes sourdes
de pouvoir exercer pleinement leur citoyenneté. La reconnaissance
officielle des langues des signes en Europe peut envoyer un message
fort d’inclusion aux personnes sourdes, reconnaissant l’identité
de la communauté sourde et l’importance de la culture sourde et
sa richesse.