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Résolution 2241 (2018)
La sûreté et la sécurité nucléaires en Europe
1. De nombreux États d’Europe produisent
de l’énergie nucléaire: avec 184 réacteurs en service en 2018, 17 pays
européens hébergent 41 % de la «flotte» nucléaire mondiale. En outre,
15 réacteurs sont en construction, dont la première centrale nucléaire
flottante. Ce choix énergétique divise l’opinion publique depuis
des décennies, du fait du secret qui entoure l’exploitation des
installations nucléaires et du risque de conséquences dramatiques
en cas d’accident.
2. Les inquiétudes liées à la sûreté nucléaire se profilent depuis
l’accident survenu à Tchernobyl en 1986 et se sont intensifiées
encore avec l’accident de Fukushima en 2011. En outre, en raison
des récentes attaques terroristes qui ont frappé la France et la
Belgique, la sécurité des infrastructures nucléaires fait l’objet
d’une attention accrue étant donné que presque toutes les centrales
actuellement en service ont été conçues et construites à une époque
où les problèmes de sécurité étaient d’une nature différente. Un
accident nucléaire, qu’il soit dû à un acte de malveillance ou à
une défaillance du système, peut avoir des conséquences très étendues et
sérieuses; c’est pourquoi la population européenne doit avoir l’assurance
que les autorités chargées de la sûreté et de la sécurité nucléaires
la protègent efficacement.
3. L’Assemblée parlementaire salue les efforts déployés par les
États membres et les organisations internationales compétentes pour
renforcer en permanence les normes de référence en matière de sûreté
et de sécurité nucléaires par le biais de cadres techniques, réglementaires
et juridiques. Elle estime qu’une meilleure harmonisation des normes
en vue d’améliorer les niveaux globaux de sûreté et de sécurité
nucléaires en Europe est nécessaire, et que tous les États devraient
y prendre part, y compris les pays s’attachant à sortir progressivement
du nucléaire et ceux qui construisent de nouvelles centrales.
4. L’Assemblée note que bon nombre de centrales nucléaires européennes
vieillissent rapidement: en 2018, 82 des 184 réacteurs étaient en
service depuis au moins trente-cinq ans et environ un réacteur sur six
avait plus de quarante ans. Même lorsque les installations sont
correctement entretenues, l’état général de ces réacteurs se dégrade
progressivement, ce qui augmente la probabilité d’incidents graves
et d’accidents. L’Assemblée considère que des contrôles indépendants
et des examens périodiques de sûreté sont indispensables pour préserver
la confiance de la population dans la sûreté nucléaire, et estime
qu’il faudrait augmenter la fréquence des examens de sûreté pour
les réacteurs de plus de quarante ans.
5. L’Assemblée est préoccupée par le fait qu’il n’y ait pas eu
de véritable consultation publique avant la construction de la majeure
partie des installations qui constituent la «flotte» nucléaire européenne.
Elle fait également remarquer que les générations actuelles sont
les plus exposées aux risques opérationnels en matière de sûreté
et de sécurité, et qu’elles doivent, en outre, supporter le coût
du démantèlement, du traitement des déchets nucléaires et de leur
stockage à long terme. L’Assemblée est convaincue que, d’un point
de vue politique, l’enjeu principal est d’informer suffisamment
le public sans compromettre la sécurité et de parvenir à un consensus
démocratique sur les orientations stratégiques et le niveau de sûreté
et de sécurité nucléaires désiré. Les pays européens devraient travailler
ensemble en vue d’améliorer la transparence et la communication
concernant le défi du nucléaire.
6. Dans la mesure où de nombreuses centrales nucléaires en Europe
se situent à proximité de grandes villes et de zones densément peuplées,
y compris au-delà des frontières nationales, l’Assemblée estime
que ces installations stratégiques devraient faire l’objet d’une
protection indiscutable, d’un niveau «raisonnablement atteignable»
de la part des États européens, qui serait assurée, le cas échéant,
en coopération étroite avec les pays voisins concernés, notamment
pour les centrales anciennes et dégradées. Elle est d’avis qu’il
faudrait renforcer les capacités de préparation aux situations d’urgence
et améliorer les plans d’urgence dans toute l’Europe, en particulier
dans les contextes transfrontaliers. Ces capacités et ces plans
devraient être fondés non seulement sur des considérations techniques
minimales, mais aussi prendre en compte les impératifs socio-économiques,
des scénarios météorologiques réalistes, les spécificités locales et
les enseignements tirés des grands accidents nucléaires récents
(tels que Tchernobyl et Fukushima).
7. En ce qui concerne la construction de nouvelles centrales
nucléaires en Europe, l’Assemblée invite instamment les États concernés
à intégrer pleinement des exigences de sûreté et de sécurité élevées
en ce qui concerne la conception, les principes opérationnels, les
mesures réglementaires, les dispositifs de protection externes et
les plans de préparation aux situations d’urgence. S’agissant de
la centrale d’Ostrovets (Bélarus), actuellement en construction
à tout juste 45 kilomètres de Vilnius, la capitale de l’État voisin (Lituanie),
l’Assemblée rappelle sa Résolution 2172
(2017) sur la situation au Bélarus, dans laquelle elle déplore
le manque de respect des normes internationales de sécurité nucléaire
et les incidents importants survenus sur le site de construction.
À la lumière des derniers développements, notamment du test de résistance
réalisé au niveau national (évaluation poussée des risques et de
la sûreté) et de la mission connexe d’examen par les pairs, l’Assemblée
exhorte les autorités de régulation du domaine nucléaire du Bélarus
à ne pas délivrer de permis d’exploitation pour la centrale d’Ostrovets
avant que:
7.1. les recommandations
formulées par les pairs du Groupe des régulateurs européens dans
le domaine de la sûreté nucléaire (European
Nuclear Safety Regulators Group-ENSREG), dans leur rapport
sur le test de résistance de la centrale du Bélarus (adopté par
l’ENSREG le 2 juillet 2018), ne soient pleinement appliquées;
7.2. la résistance sismique de la centrale nucléaire et, en
particulier, les fonctions systémiques de sécurité et la piscine
d’entreposage des combustibles usés ne soient renforcées;
7.3. la protection des réacteurs d’Ostrovets contre le crash
d’un avion commercial ne soit améliorée (comme cela a été fait pour
un réacteur de même conception en Finlande);
7.4. les dispositifs de notification des incidents à l’égard
de la population locale et de celle des pays voisins ne soient améliorés,
et que des accords de gestion des situations d’urgence ne soient
signés avec les pays frontaliers, en particulier la Lituanie, en
s’inspirant notamment du protocole de Melk relatif à la centrale
nucléaire de Temelín, située à la frontière entre l’Autriche et
la République tchèque;
7.5. l’évaluation du site d’Ostrovets ne soit menée à terme
conformément aux exigences internationales, parmi lesquelles la
Convention sur la sûreté nucléaire, la Convention sur l’évaluation
de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière
(«Convention d’Espoo») de la Commission économique des Nations Unies
pour l’Europe (CEE-ONU) et la Convention sur l’accès à l’information, la
participation du public au processus décisionnel et l’accès à la
justice en matière d’environnement («Convention d’Aarhus»), et que
le site de la centrale nucléaire n’ait été évalué de façon complète
par le biais d’une mission d’évaluation du site par le Service d’examen
du site et de la conception basée sur les événements externes (Site and External Events Design Rewiew Service-SEED)
de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
8. En ce qui concerne le projet proposé par la Turquie et la
Fédération de la Russie pour la construction de la centrale nucléaire
d’Akkuyu dans la province de Mersin (Turquie), située à seulement
85 kilomètres de la frontière chypriote et très proche d’autres
pays voisins, l’Assemblée, se référant à la Résolution du Parlement
européen du 6 juillet 2017 (2016/2308(INI)), exprime sa grande préoccupation
quant à la construction de cette centrale nucléaire dans une région
de Turquie à forte sismicité. Par conséquent, elle demande au Gouvernement
turc d’adhérer à la Convention d’Espoo et de répondre à toutes les
préoccupations exprimées, y compris par ses propres citoyens lui
demandant de se concerter avec les pays voisins conformément à la
Convention internationale sur la sûreté nucléaire.
9. L’Assemblée recommande que les autorités compétentes de tous
les États membres du Conseil de l’Europe qui ont des installations
nucléaires sur leur territoire:
9.1. augmentent
la fréquence et la transparence des examens périodiques de sûreté
des installations nucléaires, en particulier pour les réacteurs
de plus de quarante ans;
9.2. renforcent l’indépendance et les capacités des organismes
de régulation nationaux;
9.3. réévaluent, et renforcent si nécessaire, la protection
physique des réacteurs et des piscines d’entreposage des combustibles
nucléaires usés;
9.4. enquêtent sur les cas de survol des infrastructures nucléaires
par des drones et prennent des mesures pour éviter de nouveaux survols;
9.5. étendent le périmètre de sécurité et renforcent les protections
pour empêcher tout accès non autorisé aux installations nucléaires;
9.6. fournissent des informations adaptées à la population
locale et fassent preuve de transparence à son égard, y compris
dans les zones frontalières, concernant les garanties de sûreté
et de sécurité nucléaires nécessaires, les plans de gestion des
urgences radiologiques et toute nouvelle mesure prise dans ces domaines;
9.7. envisagent le démantèlement anticipé des centrales nucléaires
potentiellement plus vulnérables pour lesquelles le montant des
investissements nécessaires pour améliorer le niveau de sûreté et
de sécurité serait déraisonnable du point de vue de l’analyse des
risques;
9.8. améliorent et envisagent d’unifier le système de responsabilité
en matière nucléaire vers une plus grande cohérence des normes juridiques
internationales applicables, et renforcent les garanties financières
concernant l’indemnisation transfrontière des dommages en cas d’accident
nucléaire.
10. L’Assemblée invite également la Commission européenne à étendre
le périmètre de sécurité, actuellement fixé à cinq kilomètres autour
des centrales nucléaires, au sein duquel l’évacuation, la mise à
l’abri ou la prophylaxie par l’iode peuvent être nécessaires en
cas d’accident nucléaire, afin de mieux prendre en compte les enseignements
tirés de l’accident de Fukushima et les attentes de la population
en matière de protection radiologique.
11. Enfin, l’Assemblée appelle l’Agence internationale de l’énergie
atomique à faire preuve de plus d’ouverture à l’égard des représentants
des parlements nationaux et des assemblées régionales, afin de développer
des contacts mutuels et de leur fournir les informations indispensables
concernant les divers aspects du secteur de l’énergie nucléaire
relevant de sa compétence.