Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2243 (2018)

Regroupement familial des réfugiés et des migrants dans les États membres du Conseil de l’Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 11 octobre 2018 (35e séance) (voir Doc. 14626, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Ulla Sandbæk). Texte adopté par l’Assemblée le 11 octobre 2018 (35e séance).Voir également la Recommandation 2141 (2018).

1. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par la multiplication des déclarations et initiatives politiques contre les étrangers, une situation qui constitue une réelle menace pour la protection des réfugiés et en particulier de leur vie familiale. Il ne faut pas déchirer les familles et les empêcher de se réunir à l’issue d’une fuite souvent périlleuse et éprouvante de leur pays d’origine, où leurs droits fondamentaux à la sûreté et à la sécurité ont été menacés.
2. Rappelant que les États membres sont tenus de protéger le droit à la vie familiale en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5), l’Assemblée souligne que ce droit s’applique à chacun, y compris aux réfugiés et aux migrants. Les États membres devraient prévoir des moyens sûrs et réguliers pour que les familles puissent se regrouper, afin de réduire le recours à des trafiquants et d’amoindrir les risques inhérents à la migration irrégulière.
3. L’Assemblée fait observer qu’il n’existe aucune définition générale de la famille concernant le regroupement familial. Les États membres ont certes une grande marge d’appréciation en matière de morale et de religion, mais les droits familiaux impliquent un plus haut niveau de protection en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme. Par conséquent, les autorités nationales devraient adopter une approche conciliante en vue du regroupement familial, en allant au-delà de la définition traditionnelle de la famille, une définition qui ne rend pas nécessairement compte des multiples manières dont les personnes cohabitent aujourd’hui en tant que famille.
4. Les enfants ne sauraient être l’objet d’une discrimination parce que leurs parents ne sont pas mariés, sont divorcés ou remariés, parce qu’ils vivent dans des familles «arc-en-ciel», ont été adoptés par une autre personne ou élevés par leurs grands-parents ou leur fratrie. Les autorités nationales devraient accorder une attention particulière aux personnes vulnérables, comme les jeunes enfants et les membres de la famille qui ont des besoins physiques ou mentaux particuliers, et qui ont ainsi un plus grand besoin du regroupement familial. Les réfugiés doivent également avoir la possibilité de démontrer leurs liens familiaux tissés en exil ou pendant leur fuite.
5. Les personnes fuyant la persécution ou la guerre ont droit à une protection internationale et les membres de leur famille dont ils ont été séparés ont droit à la même protection, en vertu de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Les États devraient donc accorder avec cohérence l’octroi du statut de réfugié aux membres d’une même famille et ainsi garantir la protection de la vie familiale, conformément aux dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les bénéficiaires de la protection internationale devraient avoir accès à des informations sur les procédures de regroupement familial, aux formulaires de demande et à l’assistance juridique dans une langue qu’ils comprennent. Les États membres devraient envisager de créer un fonds renouvelable au moyen d’accords bilatéraux ou de régimes nationaux ou européens, afin de prendre en charge les frais de regroupement familial des bénéficiaires d’une protection internationale qui n’ont pas les moyens de les prendre eux-mêmes en charge.
6. L’Assemblée note avec préoccupation que le droit national refuse souvent la délivrance de visa aux membres de la famille de personnes qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié mais qui bénéficient d’une protection subsidiaire ou temporaire pour des raisons humanitaires. Les impératifs de protection de la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant, en vertu de l’article 10 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, impliquent cependant que de telles personnes puissent préserver l’unité de leur famille ou rejoindre leurs proches. Un tel statut de protection subsidiaire ou temporaire ne saurait être envisagé comme un «statut alternatif de réfugié», avec moins de droits. Les États ne devraient donc pas privilégier la protection subsidiaire ou temporaire par rapport au statut de réfugié afin de limiter notamment le regroupement familial en raison de la nature temporaire et personnelle de ce statut subsidiaire.
7. S’agissant des migrants, l’Assemblée souligne que la protection de leur vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant implique que les exigences de visa pour les membres de la famille des migrants ne doivent pas constituer un obstacle empêchant de fait de préserver l’unité familiale. L’Assemblée déplore notamment les exigences financières ou les longs délais d’attente imposés par certains États membres aux migrants qui souhaitent demander des visas pour les membres de leur famille. Pour les États membres de l’Union européenne, la législation de l’Union européenne sur la liberté de circulation des personnes, y compris les membres de leur famille, doit également être respectée.
8. Selon l’article 10.2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, un enfant dont les parents résident dans des États différents a le droit d’entretenir des relations personnelles et des contacts directs réguliers avec ses deux parents. L’Assemblée déplore que ce droit ne soit souvent pas respecté à l’égard des réfugiés et des migrants. Les autorités nationales doivent dûment protéger ce droit en veillant à identifier et à contacter les deux parents d’un enfant, et en s’assurant que tous deux bénéficient des mêmes droits au regroupement familial avec leurs enfants. Aucun parent ne doit faire l’objet de discrimination et les lois étrangères discriminatoires ne sauraient être appliquées par les États membres si elles accordent davantage de droits à un parent, par exemple pour des motifs d’appartenance sexuelle ou religieuse.
9. Concernant les mineurs qui demandent le statut de réfugié à l’étranger, l’Assemblée appelle les autorités nationales à respecter la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, car l’enlèvement peut également s’appliquer aux mineurs victimes de la traite, qui sont introduits clandestinement dans un pays ou qui sont accompagnés par un seul de leurs parents. Comme cette convention concerne uniquement les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans, les autorités nationales devraient mettre en place une procédure spécifique pour les réfugiés et les migrants qui n’ont pas encore atteint cet âge. Il faut également veiller au respect de cette convention quand des enfants non accompagnés sont confiés à la tutelle d’autres personnes, afin de préserver la protection de la vie familiale de tels enfants. Les procédures de divorce ne devraient pas entraver le regroupement familial, car ce dernier doit avant tout satisfaire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
10. L’Assemblée rappelle que les enfants réfugiés et les mineurs ont des droits en vertu de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), y compris le droit au soutien financier et autre des autorités du pays où ils résident. Dès lors, le regroupement familial ne saurait dépendre de la situation financière d’un parent migrant ou réfugié. À cet égard, l’Assemblée constate avec préoccupation que des enfants restent parfois dans un autre pays pour des raisons financières et que des allocations pour enfants sont souvent versées sans tenir compte du domicile effectif des enfants en vertu du droit de l’Union européenne et des lois nationales. Selon la Charte sociale européenne, la responsabilité incombe aux autorités nationales du pays de résidence de l’enfant.
11. L’Assemblée insiste aussi sur le fait que les enfants migrants et réfugiés appartiennent aux groupes les plus vulnérables, surtout s’ils sont non accompagnés et séparés de leur famille. Ils subissent fréquemment des violations persistantes de leurs droits de l’homme et passent à travers les mailles des dispositifs de protection de l’enfance. Une mesure essentielle est la désignation d’une tutelle effective.
12. Le regroupement familial est souvent compromis parce que les membres des familles ne peuvent être localisés. Les autorités nationales doivent donc veiller à ce que tous les réfugiés et migrants soient enregistrés dès leur arrivée, et à ce que les données correspondantes soient partagées avec les autorités compétentes d’autres États membres, notamment par le biais du Système d’information sur les visas de l’Espace Schengen de l’Union européenne. Cette démarche est cruciale pour que les mineurs non accompagnés puissent retrouver leurs parents et d’autres membres de leur famille. À défaut de telles données, le regroupement familial devient une affaire de hasard, en violation du droit à la protection de la vie familiale. Dans ce contexte, l’Assemblée salue le travail que mène depuis longtemps le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour retrouver les proches dont les familles ont perdu la trace, et encourage à intensifier la coopération entre le CICR et les autorités nationales.
13. Le regroupement familial suppose également que les autorités compétentes mettent en place des procédures administratives adéquates et opérationnelles, y compris dans les services consulaires à l’étranger. Les pays d’origine doivent délivrer ou redélivrer rapidement des documents d’identification et les pays d’accueil doivent délivrer les documents de voyage prévus par la Convention relative au statut des réfugiés ou les visas pour migrants, afin de permettre aux porteurs de se rendre chez les membres de leur famille et de préserver l’unité familiale, y compris au-delà des frontières, conformément à l’Accord européen relatif à la suppression des visas pour les réfugiés (STE no 31) et, le cas échéant, à législation de l’Union européenne. Il importe que les États membres admettent les documents de voyage émis par le CICR à des fins de regroupement familial.
14. L’Assemblée invite tous les États membres à élaborer et à respecter des orientations communes pour la mise en œuvre du droit au regroupement familial afin de veiller à ce que les réfugiés et les migrants ne soient pas contraints d’aller vers les pays où les familles peuvent plus facilement se regrouper. Les obstacles à la protection de la vie familiale ne sont pas admissibles, selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, pour dissuader des migrants, des réfugiés et les membres de leur famille.