1. Introduction
1. Depuis des années, il est reconnu
que le stress au travail
est un grave
problème de santé publique. En 2003 déjà, l’Organisation mondiale
de la Santé (OMS) publiait un rapport détaillé présentant aux professionnels
de la santé au travail en Europe des lignes directrices pour l'évaluation
et la prévention du stress en milieu professionnel
. D’après l’Agence européenne pour
la sécurité et la santé au travail (UE-OSHA), les risques psychosociaux
et le stress lié au travail comptent parmi les problèmes les plus
complexes en matière de sécurité et de santé au travail, car ils
ont une forte incidence sur la santé des personnes, sur les organisations
et sur les économies nationales: environ la moitié des travailleurs
européens considèrent que le stress est fréquent sur leur lieu de
travail, et le stress semble être à l’origine de la moitié environ
des journées de travail perdues.
2. Si le phénomène du stress est souvent stigmatisé ou mal compris,
les professionnels considèrent aujourd’hui qu'à l'instar des risques
psychosociaux, il peut être géré comme tout autre risque pour la
sécurité et la santé au travail, en particulier s’il est pleinement
reconnu comme un problème organisationnel et non comme une faute
individuelle. Par conséquent, les réponses apportées au problème
et les actions préventives nécessitent l’engagement des États, des
entreprises et des salariés.
3. Comme le suggère la proposition de résolution (
Doc. 14090) déposée par la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable, le présent rapport a pour
objet de sensibiliser les parlements et les gouvernements européens
au stress lié au travail en tant que problème majeur de santé publique,
d’étudier les causes, les défis à relever et les réponses possibles,
et de recenser les domaines qui nécessitent une action législative
ou politique propre à améliorer les conditions de travail psychosociales
et le bien-être au travail en Europe, dans les secteurs public et
privé. Pour recueillir des conseils d’experts et des recommandations,
un échange de vues a été organisé avec les représentants de l’UE-OSHA
et du Centre for Sustainable Working Life de l’université Birkbeck
de Londres (Royaume-Uni) le 18 septembre 2018.
2. Le stress au travail: définitions,
causes, conséquences et approches
4. Déjà dans les années 1980,
l’Organisation internationale du Travail (OIT) définissait le terme
«stress» comme étant «la réaction physique et émotionnelle préjudiciable
qui provient d’un déséquilibre entre les demandes perçues et les
ressources et capacités perçues des individus pour faire face à
ces demandes»
. Plus
récemment, en 2016, la manifestation annuelle de l’OIT «Journée
mondiale de la sécurité et de la santé au travail» portait sur le
thème «Le stress au travail: un défi collectif». Il est donc manifeste
que cette question est perçue comme un défi pour les gouvernements,
les salariés et les syndicats depuis de nombreuses années.
2.1. Les
causes du stress au travail
5. Il va sans dire que les causes
et les facteurs du stress qui s’exerce sur les travailleurs dépendent
de l’environnement professionnel, des tâches à accomplir, des organisations
et des pratiques culturelles. Le contexte économique général aussi
joue assurément un rôle, notamment la crise qui a commencé en 2008,
et la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de
la communication dans tous les secteurs de l’économie
.
6. L’UE-OSHA cite parmi les facteurs de stress les plus courants
sur le lieu de travail: 1) le contenu du travail (tâches ennuyeuses,
activités non stimulantes, etc.); 2) la quantité de travail et la
vitesse d’exécution; 3) les horaires de travail (longues journées,
pauses limitées, horaires non flexibles, périodes de travail imprévisibles,
etc.); 4) la participation (non-participation à la prise de décision,
pas de contrôle sur les modalités d’exécution des tâches); 5) les
conditions matérielles de l’environnement de travail (faible luminosité,
bruit); 6) la culture organisationnelle (soutien médiocre, répartition
du travail peu claire, etc.) et la gestion médiocre du changement
organisationnel (d’où l’insécurité de l’emploi); 7) les conflits,
le manque de soutien et la mauvaise communication entre collègues
et managers, voire des phénomènes plus graves comme le harcèlement
psychologique ou sexuel; 8) l’absence d’évolution de carrière (pas
de plan de carrière, stabilité ou mobilité fonctionnelle); et 9)
les difficultés à concilier le travail et la vie privée («équilibre
travail-vie privée»)
.Les données
les plus récentes de l’Agence à propos de l’Europe montrent effectivement
que les travailleurs doivent régulièrement faire face à des demandes
excessives: selon les chiffres communiqués, 34 % travaillent à cadence
élevée pendant les trois quarts du temps ou plus, et 37 % doivent
respecter des dates butoirs serrées. De plus, 31 % des travailleurs
signalent qu’ils sont dans une situation perturbante sur le plan
émotionnel (plus d’un quart du temps au travail)
.
7. Cette liste de facteurs et de données montre que la notion
de stress au travail va au-delà de l’idée que l’on peut se faire
des travailleurs surpassant leurs limites physiques, étant dans
l’incapacité d’accomplir leurs tâches par manque de compétences
ou de ressources, ou étant surchargés de travail. On observe ces dernières
années une reconnaissance croissante du stress au travail dû à des
conflits entre les personnes et motivés par la dimension relationnelle:
l’accent est donc mis davantage sur les aspects subjectifs et psychologiques
du stress.
8. À l’origine, deux approches permettaient d’expliquer le développement
du stress sur le lieu de travail. Tout d’abord, les études sur le
stress dû au travail étaient centrées sur les conséquences physiques
majeures du déséquilibre entre une charge excessive et l’autonomie
des travailleurs dans la prise de décision. La seconde école était
axée autour de l’idée que le stress provient de la frustration de
ne pas être suffisamment récompensé pour ses efforts au vu de ce
que l’on attend en termes de salaire, d’estime et de sécurité de l’emploi
. Il semble
que l’approche la plus récente se préoccupe davantage des valeurs
de justice et d’équité, les causes du stress étant comprises comme
liées à des tâches illégitimes, à une répartition injuste du travail ou
à d’autres traitements discriminatoires ou déraisonnables, partant
du principe que les rôles exercés par les personnes dans leur travail
s’adressent essentiellement à leur identité
.
9. Si l’on regarde l’évolution du contexte économique, il apparaît
plus que jamais pertinent de s’intéresser au stress lié au travail,
à l’heure où les technologies de l’information et de la communication
sont omniprésentes dans tous les secteurs de l’économie et ont une
incidence majeure, tant positive que négative, sur les lieux et
les processus de travail. Leur incidence est positive, car ces technologies
donnent davantage d’autonomie et de flexibilité, tout en permettant
aussi l’émergence de nouvelles formes d’organisation du travail,
notamment le travail à distance, qui permet de mieux concilier travail
et vie privée et de passer moins de temps au bureau (et donc d’économiser
de l’énergie qui, sinon, serait utilisée pour le trajet travail-domicile)
.
10. Toutefois, les technologies de l’information et de la communication
ont souvent pour effet d’accélérer la cadence des processus et des
tâches, car elles optimisent les flux de travaux et rendent le travail
plus exigeant et plus long à réaliser. Ces nouvelles technologies
peuvent aussi conduire à l’isolement et représentent un facteur
de stress physiologique pour ceux qui ne communiquent pas quotidiennement
en face à face ou avec une équipe sur site; elles peuvent aussi
être à l’origine de burnouts en raison de la connexion permanente
avec le travail (les salariés sont constamment joignables par e-mail,
téléphone portable ou bureau virtuel, même en dehors des heures
de bureau, et des ordres sont transmis pendant les périodes de repos
ou à des moments imprévisibles)
.
Les travailleurs ont le droit de déconnecter du travail en dehors
des heures de travail.
11. Le recours croissant aux technologies de monitoring par le
biais de la vidéo, de l’audio et même du suivi des mouvements, de
l’emplacement et des signaux corporels comme le rythme cardiaque
ou la pression sanguine peut induire du stress chez les travailleurs,
qui sont soumis à une surveillance permanente, à un contrôle de
leurs faits et gestes ou à une évaluation de leur performance. Toutefois,
ces outils de suivi pourraient aussi servir à repérer les ennuis
de santé au travail et à tirer le signal d’alarme lorsqu’un salarié
est soumis à une charge de travail excessive (des entreprises pourraient
par exemple déceler divers symptômes physiques par le biais de dispositifs
portables ou de smartphones)
.
12. Par ailleurs, parmi les éléments contextuels qui influent
sur la santé psychologique des travailleurs, beaucoup citent également
la crise économique majeure qui a frappé l’Europe ces dix dernières
années. La récession a gravement assombri les perspectives d’emploi
et accru l’insécurité de l’emploi, freiné l’évolution des salaires
et restructuré la répartition du travail, imposant davantage de
responsabilités sur ceux qui ont conservé leur emploi et, pour toutes
ces raisons, fragilisé de nombreux salariés jusqu’à les rendre malades
. En
outre, la nature même du travail devrait changer radicalement, car
les robots et les systèmes d’intelligence artificielle menacent
de remplacer les êtres humains dans de nombreux emplois et de créer
de nouveaux modes de travail en équipe associant l’homme et la machine
.
13. Enfin, il importe de ne pas négliger non plus la dimension
de genre: les preuves mettent en évidence que les femmes et les
hommes réagissent au stress au travail et le gèrent de manières
différentes. La plupart des études relèvent que les femmes au travail
sont les plus touchées, en particulier lorsqu’elles portent le double
fardeau du travail et des responsabilités familiales. De plus, elles
sont davantage exposées au risque de harcèlement sexuel au travail
et de discrimination fondée sur le genre avec des salaires inférieurs,
des exigences professionnelles supérieures
ainsi que le travail
à temps partiel subi
,
et nécessitent une protection spéciale pendant la grossesse.
2.2. Conséquences
du stress au travail
14. Il est largement admis aujourd’hui
que les conditions de travail et les facteurs contextuels susmentionnés
peuvent avoir des effets préjudiciables sur les plans psychologique,
physique et social, parmi lesquels le stress lié au travail, le
burnout, la dépression et même le suicide. Je rappellerai que les
travaux scientifiques de ces 20 dernières années ont clairement
mis en évidence une corrélation entre le stress et l’apparition
de certains symptômes physiques et psychologiques, qui débouchent
sur des complications graves comme les maladies cardiovasculaires,
le diabète, des problèmes musculosquelettiques, la dépression et
les troubles bipolaires
.
15. L’OIT note que des niveaux élevés de stress peuvent également
entraîner des habitudes nocives pour la santé, telles que l’alcoolisme
et la toxicomanie, l’augmentation du tabagisme, une alimentation
inadéquate, une activité physique insuffisante et des troubles du
sommeil. Tous ces facteurs peuvent à leur tour aggraver l’état général
des individus, leur engagement et leur performance, et se répercuter
sur leur rôle et leur bien-être dans leur vie privée et leur vie
professionnelle
.
16. Si l’on ne tient compte que des effets de la dépression due
à des risques physiologiques liés aux conditions de travail, le
stress au travail pourrait coûter € 617 milliards par an dans l’Union
européenne, qui se répartissent comme suit: absentéisme (€ 272 milliards),
baisse de la productivité (€ 242 milliards), services de santé (€ 63 milliards)
et paiement des prestations d’invalidité (€ 39 milliards)
. Cela étant, le tribut
à payer au stress au travail en Europe et dans le monde ne se limite
pas aux risques médicaux. Non seulement le bien-être et l’intégrité
psychologique de l’individu sont impactés, mais le stress au travail
augmente aussi les coûts de l’activité économique, freinant ainsi
la compétitivité et réduisant les bénéfices. L’ensemble de la société
en subit donc les répercussions: le stress au travail constitue
un immense défi collectif.
3. Le
stress au travail: réponses législatives et politiques
17. Les organisations internationales
et les institutions européennes, les entreprises et les pays ont
publié toute une série de normes et de lignes directrices qui s’appliquent
au stress lié au travail; ces instruments varient dans leur contenu
et leur valeur juridique (contraignants ou non) et dans leur façon
plus ou moins explicite de faire référence au stress au travail.
3.1. Outils
mondiaux et européens
18. À l’OIT, le principal instrument
est la Convention sur la sécurité et la santé des travailleurs de
1981 (no 155), suivie de sa Recommandation
(no 164). Ces instruments constituent
des normes de réglementation contraignantes qui font référence à
la santé mentale et qui, par l’utilisation de ce terme, englobent
la prévention du stress au travail. La Convention de l’OIT sur les
services de santé au travail de 1985 (no 161)
et sa Recommandation complémentaire (no 171)
concernent les services de santé au travail en tant que services multidisciplinaires
qui devraient traiter des questions de santé mentale et physique,
ce qui, là encore, englobe le stress au travail.
19. De même, les directives de l’Union européenne sur la santé
et la sécurité des travailleurs ne traitent pas expressément du
stress au travail, et font généralement allusion à la santé mentale.
Le schéma adopté dans les règlements de l’Union européenne apparaît
par exemple dans la directive-cadre sur la sécurité et la santé au
travail (89/391/CEE), qui ne contient aucune référence directe au
stress au travail, mais reconnaît les besoins touchant à la santé
mentale. Cette façon de procéder a été reprise dans la plupart des
pays de l’Union européenne. Par conséquent, au niveau national,
les pays européens ne reconnaissent pas tous les troubles de la
santé mentale liés au stress comme une maladie professionnelle,
ce qui reflète les catégories citées dans la liste des maladies
professionnelles de l’OIT (révisée en 2010). L’Italie, la Lituanie,
la Lettonie, la Roumanie et la Hongrie font partie des pays qui
ont inscrit les maladies mentales dans leur répertoire officiel
des maladies professionnelles
.
20. Au sein du système conventionnel du Conseil de l’Europe, la
Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163)
énonce, en son article 3, le droit à la sécurité et à l’hygiène
dans le travail. Le premier alinéa de cet article demande aux États
membres de mettre en œuvre des politiques pour prévenir les accidents
et améliorer la santé au travail. Les alinéas suivants énoncent
l’obligation d’édicter des règlements de sécurité et d’hygiène, qui
doivent être appliqués par les États en association avec les services
de santé au travail, pour tous les travailleurs et avec des objectifs
de prévention et de conseil. Dans sa formulation, la Charte sociale européenne
(révisée) ne fait pas expressément référence à des mesures liées
au stress au travail.
21. Cela étant, dans une déclaration interprétative de l’article
3 en 2003 déjà, le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) tenait
compte «du stress, des agressions et de la violence dans le travail
lorsqu’il sera amené à examiner les risques couverts par la réglementation
en matière de santé et de sécurité au travail» et envisageait «les
mesures prises par les pouvoirs publics pour protéger les travailleurs
contre le stress, les agressions et la violence propres aux tâches
effectuées dans les rapports atypiques de travail, lorsqu’il sera amené
à examiner le champ d’application personnel de la réglementation
en matière de santé et de sécurité au travail». Le mécanisme de
suivi lié au système conventionnel de la Charte a ensuite émis des
avis contre certains pays (la Bulgarie et l’Italie, par exemple)
pour non-conformité avec les normes européennes, au vu de l’absence
ou de l’insuffisance des politiques concernant le stress sur le
lieu de travail.
22. De plus, des accords conclus au niveau de l’Union européenne
ont introduit des formes subsidiaires de promotion des politiques
contre le stress lié au travail sur la base de l’adhésion volontaire
de représentants des syndicats et des entreprises. L’Accord-cadre
sur le stress au travail par exemple, entrepris par des partenaires sociaux
européens transsectoriels
,
a été conclu en 2004. Les Parties se sont engagées à le mettre en
œuvre en appliquant des procédures et des pratiques dans différents
pays. Cet instrument définit une référence normative par laquelle
les parties acceptent d’appliquer des politiques visant à prévenir,
à suivre et à traiter le stress au travail, chaque pays restant
libre d’intégrer ces mesures sous la forme d’accords nationaux, sectoriels
ou collectifs, d’autres activités ou programmes tripartites, ainsi
que par la législation. Toutefois, le dernier rapport de 2011 note
que beaucoup reste à faire avant que les objectifs généraux ne soient
atteints
.
23. Au niveau européen, l’UE-OSHA a lancé une grande campagne
en 2014-2015 intitulée «Mieux prévenir pour mieux travailler», afin
de sensibiliser au problème croissant du stress lié au travail et
des risques psychosociaux. Cette campagne ciblait spécifiquement
les entreprises pour accroître leurs connaissances pratiques en
matière de reconnaissance et de prévention des risques psychosociaux.
Bien que le stress au travail résulte d’une combinaison de pressions
externes et de la capacité d’une personne de gérer le stress, l’UE-OSHA
a très clairement insisté – et continue de faire – sur la responsabilité
collective des organisations et des responsables de prévenir le
stress à sa source (au travail), de gérer les risques et d’y remédier.
La campagne a également révélé que les petites entreprises font
face à des problèmes particuliers en matière de gestion du stress
au travail en raison d’approches réactives, d’une tendance excessive
à faire peser la responsabilité sur l’individu et d’une sous-estimation
des risques de santé.
24. Le modèle de l’OMS d’un environnement de travail sain met
particulièrement l’accent sur les risques physiques et psychosociaux
liés au travail, tout en préconisant des comportements sains au
moyen d’environnements positifs, de bonnes pratiques entrepreneuriales
et de programmes de bien-être au travail. L’engagement des responsables
et l’engagement des travailleurs en faveur de la déontologie sont
considérés comme essentiels dans ce processus dynamique et continu.
Des études de l’OMS ont mis en relief l’extrême confusion qui persiste
entre la pression ou le défi perçu et le stress au travail; cette
confusion n’est parfois qu’un prétexte pour excuser de mauvaises
pratiques de gestion.
25. Une autre source de confusion à différents niveaux concerne
la notion de burnout professionnel (état d’épuisement physique et
émotionnel extrême) et sa reconnaissance en tant que maladie professionnelle. Dans
sa liste des maladies professionnelles, révisée en 2010
, qui sert de modèle pour tous les pays,
l’OIT cite l’«état de stress post-traumatique» et d’«autres troubles
mentaux ou du comportement non mentionnés». La Recommandation de
la Commission européenne concernant la liste européenne des maladies professionnelles
(2003/670/CE) ne répertorie aucun trouble provoqué par le stress.
Le syndrome du burnout est pourtant de plus en plus reconnu à l’échelle
nationale en Europe comme un grave problème de santé au travail.
3.2. Initiatives
nationales et bonnes pratiques
26. Dans la plupart des pays européens,
les autorités nationales ont mis en place leurs propres politiques, qui
prennent la forme de lois, de lignes directrices ou de programmes
gouvernementaux, pour traiter la question du stress au travail et,
en particulier, des risques psychologiques liés au travail. Selon
des enquêtes réalisées par l’UE-OSHA, environ un tiers de tous les
établissements de l’Union européenne des 28 disposent de procédures
visant à traiter les risques psychosociaux provoqués par le stress;
dans les «pays vertueux», tels que le Royaume-Uni, la Roumanie,
le Danemark, la Suède et l’Italie, cette proportion peut atteindre
au moins 50 %, contre moins de 15 % pour les mauvais élèves (la
République tchèque, l’Estonie, la Croatie, la Pologne, le Luxembourg,
la Grèce et la République slovaque). Les directives de l’Union européenne
relatives au stress professionnel n’énonçant pas de consignes «impératives»
(comme l’explique la section ci-dessus), les autorités nationales
ont toute latitude d’agir ou de rester passives, face aux nouveaux
éléments qui mettent en évidence l’augmentation du stress au travail.
27. Les initiatives et les stratégies nationales les plus récentes
en matière de gestion du stress au travail couvrent mieux les risques
psychosociaux et prévoient davantage d’études sur ces risques. Dans
certains pays, les services d’inspection du travail ont émis des
consignes spécifiques pour que les inspecteurs qui visitent les
espaces de travail évaluent correctement les mesures de gestion
du stress psychosocial mises en place par les employeurs. Diverses
autorités nationales, partenaires sociaux et associations professionnelles ont
également publié des protocoles pour la prévention et la gestion
du stress au travail et présenté certains outils d’intervention.
Toutefois, comme le fait observer l’OIT, la collecte insuffisante
de données nationales sur l’étendue réelle du problème pourrait
orienter les politiques publiques vers une mauvaise direction ou
entraîner leur fragmentation.
28. Les pays nordiques ont joué un rôle précurseur dans la reconnaissance
des risques psychosociaux au travail, grâce à une législation pertinente,
comme les lois danoises et norvégiennes sur l’environnement de travail
adoptées en 1977 et leurs révisions ultérieures, ainsi que la loi
islandaise de 1980 sur l’environnement de travail, révisée en 2003
et en 2004. Cette dernière a obligé les employeurs à prendre systématiquement des
mesures préventives, à évaluer les risques psychosociaux et à mettre
en œuvre des dispositions contre les brimades et tout autre comportement
déplacé. D’autres pays, tels que l’Autriche, l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie,
la Lituanie et la République slovaque, disposent de lois sur la
sécurité et la santé au travail, qui demandent aux employeurs de
mesurer les risques psychosociaux en évaluant le stress professionnel
.
29. Pour mieux faire connaître les aspects psychosociaux du stress
au travail, certains pays ont lancé des campagnes d’information
nationales (par exemple, le Danemark à la fin des années 1990 et
au début des années 2000) et des programmes de formation particuliers
pour les inspecteurs du travail (comme la Suède dès 2001-2003).
D’autres ont élaboré des outils spécifiques destinés à détecter
les facteurs de stress dans l’environnement de travail (par exemple,
SIGMA en Allemagne), des normes de gestion du stress au travail
et un «code de bonne conduite» approuvé (par exemple, celui adopté
au Royaume-Uni par l’organisme de la sécurité et de la santé
) ou des politiques sectorielles
de gestion du stress (par exemple, la police fédérale belge). Pour
lutter contre l’intimidation et le harcèlement, le Danemark a mis
en place une permanence téléphonique pour fournir des conseils aux
salariés qui subissent des abus; les évaluations récentes des résultats
de ce programme semblent indiquer que c’est une réussite.
30. Conformément aux exigences de la Charte sociale européenne,
tous les pays européens ont des dispositions juridiques efficaces
pour protéger les travailleuses pendant la grossesse ou après l'accouchement et
veiller à l'égalité des chances en matière d'emploi. Certains pays
(notamment l'Autriche, l'Estonie, la Géorgie, l'Italie, le Luxembourg,
la Norvège, la Roumanie et la République tchèque) disposent également d'une
législation visant à protéger les femmes enceintes de la fatigue
psychique et de la tension au travail. Toutefois, les législations
nationales restent très disparates en matière de congé maternité/paternité,
de rémunération correspondante et d'adaptations flexibles du temps
de travail, et elles ne peuvent guère être considérées comme promouvant
un bon équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.
Des essais menés récemment en entreprise mettent en évidence que
les employés sont moins stressés, plus efficaces et plus productifs,
et qu'ils parviennent mieux à concilier leur vie privée et leur
vie professionnelle avec une semaine raccourcie à quatre jours (soit
28 à 32 heures de travail hebdomadaires), des horaires flexibles
et des possibilités de télétravail
.
31. En ce qui concerne le syndrome du burnout, une étude réalisée
en 2017 dans 23 pays européens a montré que neuf pays (le Danemark,
l'Estonie, la France, la Hongrie, la Lettonie, les Pays-Bas, le
Portugal, la République slovaque et la Suède) le reconnaissent comme
une maladie professionnelle et certains d'entre eux (le Danemark,
la France, la Lettonie, le Portugal et la Suède) ont offert des
dédommagements dans des affaires de burnout. L'étude relève que
certains travailleurs – les professionnels de santé, les travailleurs sociaux,
les policiers, les enseignants et les prestataires de services –
sont particulièrement exposés
. Toutefois,
il manque toujours une compréhension plus globale du phénomène de
burnout; à l’avenir, l'OMS pourrait davantage informer les responsables
politiques sur le burnout en tant que maladie professionnelle, ce qui
permettrait d'intensifier la prévention.
4. Un
environnement de travail sain – notre responsabilité collective
32. Comme nous l'avons vu précédemment,
le stress au travail est un phénomène très complexe et généralisé,
qui se répercute non seulement sur la santé et sur le bien-être
des personnes qui travaillent, mais aussi sur les institutions,
les économies et l'ensemble de la société. Aucun d'entre nous ne
souhaiterait prendre le risque d'embarquer dans un avion avec un
pilote épuisé dans le cockpit, d'être pris en charge par un médecin hyperstressé,
ou de s'effondrer un jour sous l'effet d'un stress chronique. Pourtant,
cela peut arriver et arrive à presque un Européen sur deux et nous
côtoyons en permanence des gens victimes de stress.
33. Bien que le stress reste trop souvent mal compris et stigmatisé,
la recherche a établi qu'il peut être géré – comme tout autre risque
pesant sur la sécurité et la santé au travail – dès lors qu'il est
reconnu et traité comme une question organisationnelle et non comme
une faute individuelle. Les précieuses indications fournies par
les organisations internationales et la communauté des chercheurs
doivent être transposées dans des cadres de référence nationaux,
notamment s'agissant des risques psychosociaux, et relayées au niveau de
chacune des institutions, en mettant l'accent sur la détection et
la prévention des risques. Cet effort collectif nécessite l'engagement
des administrations, des entreprises et des employés.
34. En tant que rapporteur, j'appelle tous les pays européens
à reconnaître plus explicitement les troubles de la santé provoqués
par le stress (y compris le burnout) comme des maladies professionnelles,
afin que nos institutions endossent la pleine responsabilité des
mesures à prendre. Je pense également que les responsables politiques
devraient intégrer de façon plus adéquate les préoccupations liées
au genre dans les politiques et les outils de réglementation, veiller
à améliorer la protection des groupes de population vulnérables,
et se tourner vers l'avenir, en préparant un monde de travail dans
lequel les êtres humains auront des défis à relever, mais, espérons-le,
ne seront pas marginalisés par des robots ou des systèmes d'intelligence
artificielle.