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Rapport | Doc. 14827 | 11 février 2019

Promouvoir la démocratie en développant l’économie de marché: le modèle de la BERD fonctionne-t-il?

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Hendrik DAEMS, Belgique, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4247 du 14 octobre 2016. 2019 - Commission permanente de mars

Résumé

Le rapport entre la promotion de l’économie de marché et le développement de la démocratie, une relation indirecte qui est de plus en plus souvent remise en question dans les déclarations politiques, est essentiel pour les activités de la BERD, dont la mission première est de faciliter la transition vers des économies ouvertes fonctionnant selon les lois du marché, et de promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise dans les pays qui s'engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché

Comprendre les implications politiques de la promotion de marchés ouverts est donc indispensable pour comprendre l'efficacité de la BERD dans la réalisation de ses objectifs déclarés. À cet égard, la BERD est encouragée à poursuivre les recherches sur les éventuels liens entre ses investissements et l'évolution de la démocratie dans ses pays d'opérations et à rendre les résultats de ces recherches publics.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier
2019.

(open)
1. Quatre ans après son dernier débat sur les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et 26 ans après l’échange de lettres entre son Président et celui de la BERD, l’Assemblée parlementaire souhaite évaluer la coopération entre la BERD et le Conseil de l’Europe. Cette coopération repose aussi sur l’accord de coopération passé avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et sur le Mémorandum d’accord signé avec la Banque de développement du Conseil de l’Europe.
2. La BERD a été fondée en 1991 en réponse à la chute du rideau de fer pour «faciliter la transition vers des économies ouvertes fonctionnant selon les lois du marché, et promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise dans (...) les pays qui s'engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché». Elle est considérée comme une institution financière unique en son genre en raison de son engagement explicite en faveur de la promotion de la démocratie et de l’ouverture des marchés dans les économies où elle investit.
3. Dans l’accord de coopération conclu entre le Conseil de l’Europe et la BERD en 1992, les deux organisations sont convenues d’échanger des informations, en particulier pour ce qui est du suivi et de l’appréciation du développement de la démocratie en Europe centrale et orientale. L'Assemblée soutient les activités de la BERD en assurant un suivi parlementaire de ses opérations d’un point de vue politique.
4. Au fil des 28 dernières années, les investissements de la BERD dans les économies en transition ont connu un grand succès et la demande relative à son expertise a de loin dépassé les frontières de l’Europe centrale et orientale. La BERD a ainsi progressivement étendu la région de ses opérations aux économies d’Asie centrale, à la Mongolie, la Turquie, la région du Sud et de l'Est de la Méditerranée (SEMED), Chypre, la Grèce et, tout récemment, la Cisjordanie et Gaza. Elle est maintenant active dans près de 40 pays.
5. L’Assemblée se félicite de la coopération directe et indirecte continue entre la BERD et la Banque de développement du Conseil de l’Europe, qu’elle encourage les deux institutions à poursuivre. Elle se félicite également de sa propre coopération régulière avec la BERD, tout en notant que des progrès restent encore à faire.
6. L’Assemblée note avec intérêt qu’en 2016, la BERD a mis à jour ses mesures de transition, qui précisent comment elle s'acquittera de sa mission de développement d'économies de marché. Selon cette nouvelle vision de la transition, fondée sur une approche plus globale qui reconnaît que la transition ne se limite pas à la construction des marchés et du secteur privé, une économie de marché saine doit être compétitive, inclusive, bien gouvernée, respectueuse de l’environnement, résiliente et intégrée.
7. La BERD investit dans des pays peu mobilisés en faveur des principes de la démocratie pluraliste et du pluralisme, estimant qu’à long terme, une convergence entre les réformes économiques et les réformes politiques est inévitable. Elle a, à ce jour, accumulé beaucoup d’expérience et d’informations sur les pays concernés, mais aucune conclusion n’a été tirée sur la vérification de ce postulat. En 2013 déjà, la BERD déclarait que la communauté internationale du développement devrait faire preuve de patience et de persévérance dans son soutien aux objectifs de transition à long terme, ainsi qu’aux institutions qui ont le plus de chances d’y contribuer. Il reste cependant à savoir exactement pendant combien de temps encore la communauté internationale devra se montrer patiente, et à quelle durée correspond le «long terme», au juste.
8. Notamment, il reste à déterminer si les activités menées par la BERD pour développer l’économie de marché dans ses pays d’opérations ont permis de promouvoir la démocratie, et, si oui, dans quelle mesure. Aussi l’Assemblée encourage-t-elle la BERD à approfondir les recherches sur les éventuels liens entre ses investissements et l’évolution de la démocratie dans ses pays d’opérations et de rendre les résultats de ces recherches publics.
9. Par ailleurs, l’Assemblée salue l’amélioration de la fréquence des publications de la BERD, également plus complètes. Elle note cependant que des progrès restent à faire dans la mesure où la BERD continue de ne pas publier certaines informations, notamment celles relatives à la performance. Or, celles-ci permettraient de mieux évaluer l’impact des investissements sur les progrès accomplis en matière de démocratie.
10. L’Assemblée note que sur les huit pays qui devaient atteindre le stade de la «gradation» à l’horizon 2010, un seul y est parvenu, sans respecter les échéances suivantes non plus. Elle appelle la BERD à préciser sa politique concernant la gradation, les critères exacts qu’elle applique à cet égard et ce qui empêche actuellement les pays de les remplir et d’accéder à ce statut.
11. L’Assemblée parlementaire décide de poursuivre son suivi des activités de la BERD en termes de valeur ajoutée politique et de procéder à une nouvelle évaluation politique de ses activités lorsque cela s’avérera approprié.

B. Exposé des motifs, par M. Hendrik Daems, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le Conseil de l'Europe et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) coopèrent de façon formelle depuis la signature, en 1992, de l'Accord entre le Conseil de l'Europe et la BERD – soit depuis environ 27 ans. En 1992, un accord complémentaire conclu par échange de lettres entre le Président de l’Assemblée parlementaire et le Président de la BERD a désigné l’Assemblée pour assurer un suivi parlementaire des activités de la BERD. En 1999, la BERD a également conclu un Mémorandum d’accord avec la Banque de développement du Conseil de l'Europe, qui a été renouvelé en 2013.
2. Le mandat de la commission des questions politiques et de la démocratie stipule que celle-ci «établit des rapports sur les activités de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En vue de la préparation des rapports et des débats à l’Assemblée, la commission entretient des relations avec l’OCDE et la BERD».
3. Le 2 octobre 2014, l'Assemblée a tenu un débat sur les activités de la BERD en 2013-2014, présenté par Dame Cheryl Gillan (Royaume-Uni, CE) et a adopté la Résolution 2017 (2014). Le 15 décembre 2016, la commission m’a nommé rapporteur pour un nouveau rapport.
4. Le présent rapport retrace l'histoire de la coopération entre la BERD et l’Assemblée et décrit sa situation actuelle; il traite également de l'évolution des attributions de la BERD ces 27 dernières années, des progrès démocratiques réalisés dans les pays d’opérations de la BERD et des événements politiques récents qui touchent les régions où elle intervient.
5. Il accorde une attention particulière au rapport entre la promotion de l’économie de marché et le développement de la démocratie, une relation indirecte qui est de plus en plus souvent remise en question dans les déclarations politiques. Cet aspect est essentiel pour les activités de la BERD, dont la mission première, telle qu’énoncée à l’article 1 de l’Accord de 1990 portant création de cette banque, est de «faciliter la transition vers des économies ouvertes fonctionnant selon les lois du marché, et promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise dans (...) les pays qui s'engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché 
			(2) 
			<a href='https://www.ebrd.com/documents/comms-and-bis/francais-(2mb---pdf).pdf'>Accord
portant création de la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement</a>, 1990.».
6. Il est donc indispensable de comprendre les implications politiques d’une promotion des économies ouvertes pour comprendre l’efficacité de la BERD dans la réalisation de ses objectifs déclarés. À cet égard, la commission a accepté ma proposition de modifier le titre du rapport comme suit: «Promouvoir la démocratie en développant l’économie de marché: le modèle de la BERD fonctionne-t-il?»
7. Pour préparer le présent document, j’ai participé à la réunion que la sous-commission des relations avec l'OCDE et la BERD a tenue au siège de la BERD, à Londres, le 26 octobre 2017. Ceci lui a permis de réunir des informations sur les activités de la BERD et les liens qui existent entre la promotion des économies de marché et la démocratisation en général.
8. Par ailleurs, lors de sa réunion du 11 septembre 2018 à Paris, la commission des questions politiques et de la démocratie a tenu un échange de vues avec M. Marek Dabrowski, Professeur non-résident à Bruegel, Bruxelles, Professeur à l’École supérieure d’économie de Moscou et Chercheur au Centre pour la recherche économique et sociale (Center for Social and Economic Research – CASE), à Varsovie. Le 11 décembre 2018, j'ai rencontré un représentant de la Banque de développement du Conseil de l'Europe.

2. Contexte

9. La BERD a été fondée en 1991 en réponse à la chute du rideau de fer pour favoriser la transition vers l’ouverture des marchés et la gouvernance démocratique en Europe centrale et orientale (ECO). Depuis sa création, elle est considérée comme une institution financière unique en son genre en raison de son engagement explicite en faveur de la démocratie et de l’ouverture des marchés dans les économies où elle investit.
10. Ces 28 dernières années, les investissements de la BERD ont connu un grand succès dans les économies en transition, et la demande relative à son expertise a de loin dépassé les frontières de l’ECO. Au fil des ans, la BERD a progressivement étendu la région de ses opérations aux économies d’Asie centrale, à la Mongolie, la Turquie, la région du Sud et de l’Est de la Méditerranée (SEMED), Chypre, la Grèce et, tout récemment, la Cisjordanie et Gaza. Même si le contexte et l’évolution historique de ces économies diffèrent de ceux de l’ECO, l’expansion de la BERD a été saluée par de nombreux acteurs, qui voient dans l’élargissement de son champ d’action une preuve de sa réussite et de sa pertinence.

3. Coopération avec le Conseil de l’Europe

11. Le 14 avril 1992, l'accord signé entre le Conseil de l'Europe et la BERD a relevé les intérêts que les deux organisations ont en commun en matière de promotion de la démocratie pluraliste, de respect des droits de l’homme et de primauté du droit. Il a dès lors prévu des dispositions assez larges pour la coopération entre les deux organisations, celle-ci passant par un échange de documents d’intérêt commun, des consultations mutuelles, des invitations à des réunions à Londres et à Strasbourg et une coopération technique entre leurs experts respectifs. Cet accord n'a pratiquement jamais débouché sur une action concrète au niveau intergouvernemental.
12. Le 3 octobre 1992, une coopération spéciale avec l’Assemblée parlementaire dans plusieurs domaines a été prévue par le biais d’un échange de lettres entre les présidents de l’Assemblée et de la BERD. Il a ainsi été décidé que le Président de l’Assemblée parlementaire et les présidents de ses commissions seraient invités à l’assemblée annuelle de la BERD, que le Président de la BERD participerait à un débat annuel à l’Assemblée, que les informations relatives au suivi et à l’évaluation des pays d’opérations seraient échangées et que les deux institutions coopéreraient dans le cadre de missions d’observation des élections. Pour résumer, il a été convenu que l’Assemblée assurerait un suivi parlementaire de l’exécutif de la BERD.
13. En juin 1993, sur la base d’un rapport préparé par la commission des questions économiques et du développement, l’Assemblée a tenu un premier débat sur «La Banque européenne pour la reconstruction et le développement: réalisations, activités et priorités», auquel le Président de la BERD a participé. Depuis, l’Assemblée a tenu 18 autres débats sur la BERD, dont 14 se sont déroulés en présidence de son Président, et 4, d’un Vice-Président. Réciproquement, la commission ou sous-commission de l’Assemblée en charge des relations avec la BERD, se sont régulièrement réunies à son siège à Londres, ce qui a donné bien plus de visibilité à la coopération menée au niveau parlementaire qu’à celle menée au niveau intergouvernemental. Cela étant, il faut également reconnaître que la BERD n’a que très rarement, voire jamais, donné suite aux recommandations de l’Assemblée, ni même répondu à celles-ci.
14. Depuis les années 1990, la BERD et la Banque de développement du Conseil de l’Europe mènent une collaboration fructueuse en échangeant des informations sur les défis politiques et opérationnels communs et en assurant une coopération opérationnelle et un co-financement dans les secteurs où leurs mandats se recoupent. En 1999, les deux banques ont signé un Mémorandum d’accord, renouvelé et mis à jour en 2013, dont l’objectif est d’encourager la coopération et de la rendre plus efficace. Bien que les deux institutions aient des mandats différents, elles donnent priorité aux opérations contribuant de façon significative au développement local et à l’inclusion sociale. Ainsi, elles coopèrent directement sur un projet de conduite d’eau en Bosnie-Herzégovine, et indirectement dans les contextes du Cadre d’investissement pour les Balkans occidentaux (CIBO), du Partenariat pour la promotion de l’efficacité énergétique et de l’environnement en Europe orientale (E5P) et de la plateforme de financement mixte de l'Union européenne pour la coopération extérieure (EUBEC), par exemple.
15. Ces 27 dernières années, le rôle et le mandat de la BERD ont évolué. Incontestablement, la BERD d’aujourd’hui est très différente de la BERD avec laquelle l’Assemblée a décidé de coopérer en 1992, comme le révèle clairement une analyse, même rapide, de l’histoire de cette coopération, qui n’a pas toujours permis de réaliser les hautes ambitions de ceux qui l’avaient instaurée au départ. Une coopération de grande envergure avait certes été officiellement décidée à l’époque, mais les échanges d’informations, la coopération commune dans les missions d’observation des élections et la participation aux réunions initialement prévus n’ont jamais été pleinement concrétisés.

4. Gouvernance et structure

4.1. Transparence

16. Le rapport précédent («Les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 2013-2014», Doc 13594) relevait que la BERD avait été critiquée pour un manque de transparence dans ses opérations. La Résolution 2017 (2014) de l’Assemblée, adoptée sur la base de ce rapport, y voyait une source de préoccupation et encourageait la BERD à publier davantage d’informations.
17. En 2013, la BERD a été notée comme «médiocre» par le Aid Transparency Index (ATI, Indice de transparence de l’aide), qui l’a classée au niveau le plus bas parmi 67 institutions financières internationales et organisations multilatérales du point de vue de la transparence. Cette note médiocre, maintenue en 2014 et en 2015, est devenue «passable» en 2016. En 2017 et en 2018, la BERD a conservé sa note de «passable» et elle occupe désormais la 24e place sur un total de 45 institutions financières internationales 
			(3) 
			<a href='http://www.publishwhatyoufund.org/the-index/2018'>www.publishwhatyoufund.org/the-index/2018</a>.. Cette meilleure note s’explique par l’augmentation de la fréquence de ses publications, et par leur caractère plus complet. Ces améliorations méritent d’être saluées, mais des progrès restent à faire: la BERD continue de ne pas publier certaines informations, notamment celles relatives à la performance, et elle devrait s’efforcer de promouvoir plus largement l’utilisation des données qu’elle publie. Ces informations permettraient de mener des recherches sur les éventuels liens entre les investissements de la Banque et l’évolution de la démocratie dans ses pays d’opérations.

4.2. Mise à jour des mesures de transition

18. En 2016, la BERD a mis à jour ses mesures de transition, qui précisent comment elle s’acquittera de sa mission de développement des économies de marché. Étant donné que ces règles constituent les normes selon lesquelles la BERD mesure son propre succès et les lignes directrices qui orientent ses décisions d’investissement et ses engagements en matière de dialogue politique, leur effet sur le mandat politique de la BERD intéresse évidemment l’Assemblée.
19. Selon cette nouvelle vision de la transition, une économie de marché saine doit être compétitive, inclusive, bien gouvernée, respectueuse de l’environnement, résiliente et intégrée. Ce changement vise à prendre en compte l’évolution observée au niveau mondial depuis la création de la BERD de ce qu’est une économie de marché réussie et des différences de besoins entre les diverses économies bénéficiaires. Il résulte notamment de la prise de conscience, au lendemain de la crise financière de 2008, des risques de remise en cause des réformes dans la région visée par les opérations 
			(4) 
			<a href='https://www.ebrd.com/news/2016/ebrd-updates-transition-concept-.html'>EBRD
updates transition concept</a> (la BERD met à jour les mesures de transition), novembre
2016 (en anglais uniquement)..
20. Même si ces valeurs sont implicitement énoncées dans le statut de la BERD et transparaissent dans une certaine mesure dans les activités menées au fil des ans, il convient de saluer l’initiative de la BERD de les mentionner et de les définir comme sa politique officielle 
			(5) 
			<a href='https://www.ebrd.com/cs/Satellite?c=Content&cid=1395273877234&d=&pagename=EBRD%2FContent%2FDownloadDocument'>BERD,
Compte rendu annuel d'activités 2017</a>..
21. La nouvelle vision mérite d’être saluée pour son approche globale de la transition, qui ne doit pas être conçue comme une simple question de construction des marchés et du secteur privé. Le nouvel indicateur «bien gouvernée» est très intéressant de ce point de vue. Selon la BERD, il comprend deux piliers: la notion de gouvernance économique nationale ou infranationale, c’est-à-dire les institutions et les processus qui soutiennent l’activité économique au niveau d’un État ou des entités territoriales, et la gouvernance d’entreprise, c’est-à-dire le dispositif de règles, de pratiques et de processus qui régit et contrôle les entreprises. Le premier pilier est le plus pertinent pour le présent rapport.
22. Comme le déclare la BERD elle-même, il peut être plus facile de reconnaître qu’une gouvernance déficiente peut freiner la transition d’un pays que de trouver comment définir les enjeux et promouvoir un assemblage de projets et de dialogue politique susceptibles de réorienter les pays vers la voie de la réussite 
			(6) 
			<a href='https://www.ebrd.com/transition/well-governed.html'>«Well
Governed»: the EBRD’s new Transition concept, 2016</a> (en anglais uniquement).. Par conséquent, pour évaluer la gouvernance nationale et infranationale, la BERD s’appuie sur une série d’indicateurs relatifs à la qualité des institutions des secteurs publics et privés, aux normes d’intégrité et à la lutte contre la corruption, ainsi qu’à la primauté du droit. Elle analyse ensuite ces indicateurs à la lumière des stratégies individuelles de chaque pays.

5. Progrès démocratique: crise de confiance et transition

5.1. Lien entre la réforme des marchés et la transition démocratique

23. Dans les pays en transition, la réforme des marchés est souvent associée à la construction et à la consolidation des institutions démocratiques. Ces dernières années, ce postulat est toutefois souvent remis en question par la défiance de certains pays qui, un peu partout dans le monde, ont, dans une certaine mesure, réussi l’ouverture de leurs marchés tout en maintenant des régimes politiques centralisés et autoritaires. Lors de la réunion que la sous-commission des relations avec l’OCDE et la BERD a tenue à Londres le 26 octobre 2017, son Président, M. Suma Chakrabarti, a cité l’Ukraine comme exemple de pays où cette réforme n’a pas produit les résultats escomptés: malgré les investissements colossaux effectués ces vint dernières années, la démocratie a régressé dans ce pays.
24. Comme nous l’avons vu précédemment, les opérations de la BERD visent essentiellement à faciliter le développement du secteur privé et la transition économique, et non à promouvoir directement la transition démocratique. L’article 1 de l’Accord portant création de la BERD réaffirme son mandat d’œuvrer dans les pays «qui s'engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché», sans prendre de responsabilité directe pour la mise en œuvre de ces principes. La BERD pourrait toutefois être tenue de rendre des comptes concernant la conduite d'activités dans des pays où ces principes ne sont ni reconnus, ni appliqués.
25. Comme la BERD a pour mandat de promouvoir la transition vers une économie de marché – et non une transition politique –, le lien entre l’ouverture des marchés et les réformes démocratiques est de toute évidence crucial. S’il n’existe pas de lien entre les deux, ou seulement une corrélation mais pas de lien de cause à effet, l’on pourrait attendre de la BERD qu’elle travaille exclusivement dans les pays qui s’engagent explicitement et manifestement en faveur des principes de la démocratie pluraliste. Si les réformes économiques engendrent naturellement et nécessairement des réformes politiques, même de manière indirecte, la BERD serait raisonnablement fondée à investir aussi dans des pays non démocratiques. Dans l’état actuel des choses, elle investit dans les économies d’un large spectre de régimes politiques de toute la région des pays en transition, qui vont des autocraties aux démocraties complètes.
26. Dans la présentation qu’il a effectuée devant la commission le 11 septembre 2018, M. Dabrowski s’est attardé sur l’interdépendance entre économie de marché et démocratie. S’il y a des exemples d’économies de marché sans démocratie, il n’y en a pas de démocratie sans économie de marché. Il existe un certain degré de corrélation entre liberté économique et liberté politique dans le monde. Le marché peut aider la démocratie de bien des façons, de même que la démocratie peut aider le système de marché. L’expérience des pays post-communistes montre que la transition vers une économie de marché n’a pu s’amorcer qu’après la chute du système politique communiste. Dans les premiers stades de la transition, l’autoritarisme renforce le rôle des anciennes élites et des anciens groupes d’intérêt; plus tard, il contribue à créer des postes privilégiés pour les oligarques et les bureaucrates de la fonction publique. Entre 2005 et 2018, les pays en transition qui ont vu leur note de performance démocratique baisser ont été plus nombreux que ceux dont la démocratie s’est renforcée. On distingue de nombreuses variantes de l’économie de marché. La Chine, par exemple, est dotée d’une sorte d’économie de marché, mais elle ne respecte pas le principe de la prééminence du droit, contrairement à Hong Kong ou à Singapour.
27. Auparavant, quand on interrogeait la BERD à propos de ses investissements dans des pays peu mobilisés en faveur des principes de la démocratie pluraliste et du pluralisme, elle affirmait sa conviction qu’à long terme, une convergence entre les réformes économiques et les réformes politiques était inévitable, et qu’en laissant de côté les pays montrant peu de signes d’une démocratisation à court terme, on ne les aidait pas à progresser. C’est sur la véracité de ces postulats que l’on peut déterminer si la BERD remplit son mandat ou non.
28. Le précédent rapport sur «Les activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 2013-2014» proposait une étude approfondie et très pertinente sur les liens entre les marchés et la démocratie, qui intéresse encore directement le présent rapport. Elle tirait les conclusions suivantes:
  • les statistiques suggèrent que la prospérité, l'industrialisation, l'urbanisation et l'éducation sont associées au renforcement des systèmes démocratiques;
  • le développement démocratique est fortement lié à la croissance économique;
  • les pays dotés de ressources naturelles importantes ont moins de chance d'arriver à un système démocratique, même après avoir réussi leur développement économique;
  • les effets concrets du développement économique sur le processus de démocratisation se font parfois sentir au bout de 10 à 20 ans seulement.
29. Si l’on tient compte des conclusions ci-dessus, les investissements de la BERD dans des pays qui ne sont pas démocratiques ne posent pas de problème, à condition que ces derniers soient au moins désireux d’engager des réformes politiques à long terme. Près de 30 ans après la création de la BERD, nous avons accumulé sur les pays concernés beaucoup d’expérience et d’informations, sans toutefois parvenir à des conclusions sur leurs véritables intentions.
30. La BERD a elle-même lancé une étude approfondie sur la relation entre les réformes économiques et politiques, notamment dans son rapport de 2013 sur la transition intitulé «Stuck in Transition?» («Bloqué dans la transition?»). Elle conclut qu’une augmentation du produit intérieur brut (PIB) par habitant induit une amélioration de la démocratie, hormis dans les pays disposant de ressources naturelles abondantes, ces derniers étant en moyenne moins démocratiques que ne le suggère leur PIB par habitant. Outre son impact sur la croissance, la réforme de l’économie de marché présente également l’avantage d’empêcher les élites économiques et politiques antidémocratiques de prendre racine. Ce même rapport ajoute toutefois une mise en garde importante: la communauté internationale du développement devra faire preuve de patience et de persévérance dans son soutien aux objectifs de transition à long terme ainsi qu’aux institutions qui ont le plus de chances d’y contribuer. Deux questions restent ouvertes cependant: de combien de patience la communauté internationale doit-elle faire preuve exactement, et à quelle durée correspond le «long terme», au juste?
31. La question de savoir si l’ouverture des marchés implique (ou non) des réformes politiques correspondantes est devenue particulièrement pertinente ces dix dernières années, depuis la crise financière de 2008. Il a été souligné, dans un document de travail commandé en février 2018 par la BERD sur le thème de la crise de confiance en Europe et la montée du populisme, que la perte de confiance dans les institutions politiques et dans le fonctionnement de la démocratie, que l’on observe partout en Europe, pas uniquement dans les pays en transition, constitue une grave menace pour les activités de la BERD, qui s’appuie depuis longtemps sur le consensus quasi universel autour de l’idée que la démocratie est souhaitable 
			(7) 
			Algan Y., Papaioannou
E., Passari E. et Guriev S., The European Trust Crisis and the Rise
of Populism, EBRD, 2018 (en anglais uniquement).. Il a été estimé que la crise financière de 2008 et les récessions qui l’ont suivie ont grandement contribué à saper la confiance des citoyens dans leurs institutions politiques et même judiciaires, et que la restauration de cette confiance est très lente. Dans de nombreux cas, cela résulte d’une hausse du chômage entraînant des retombées politiques amenant à prendre des mesures hostiles aux marchés, compromettant ainsi la croissance économique à long terme.
32. La crise de confiance constatée en Europe menace particulièrement les pays en transition, qui sont davantage exposés au risque de la remise en cause des réformes. Pour certaines des économies les plus développées de la BERD, le problème est d’autant plus grave qu’elles n’ont plus la perspective d’une adhésion à l’Union européenne pour se prémunir contre de telles remises en cause. Notons, à cet égard, que c’est en Europe du Sud-Est, où plusieurs pays sont candidats à l’adhésion à l’Union européenne, que les réformes ont le moins stagné 
			(8) 
			Rapport
2013 de la BERD sur la transition – «Stuck in Transition?» (en anglais
uniquement)..
33. Nous n’avons aucun moyen d’évaluer directement l’impact sur les progrès démocratiques d’un projet ou d’un investissement spécifique de la BERD, quels qu’ils soient, parce qu’il n’existe qu’un lien indirect entre les deux. L’on dispose néanmoins de plusieurs outils pour évaluer l’amélioration de la gouvernance démocratique dans les divers pays, comme le Polity scores (Note de l’organisation politique) ou le Democracy Index (Index de la démocratie). Une fois de plus, il est difficile d’établir un lien direct avec les montants investis dans les économies, car le total des investissements dépend de diverses autres variables, comme la taille du pays, sa capacité d’absorption des investissements et ses principaux secteurs industriels.

5.2. Gradation

34. Compte tenu de l'objectif déclaré de la BERD consistant à soutenir les économies en transition, il est essentiel pour son existence-même de déterminer comment procéder quand la transition est achevée. La «gradation» d’un pays bénéficiaire, c’est-à-dire son accès au statut de donateur-actionnaire, donne une image positive du travail de la BERD et constitue une véritable consécration pour le pays ainsi «diplômé» et un processus indispensable pour libérer des ressources au bénéfice de pays qui ont de plus grands besoins. Il semble toutefois que la plupart des économies bénéficiaires les plus avancées hésitent à franchir ce cap, vraisemblablement pour continuer à obtenir des investissements de la BERD. Le fait qu’un seul pays d’opérations (la République tchèque) ait accédé à la «gradation» dans l’histoire de la BERD illustre clairement le manque de progrès, de motivations ou de définition claire du parcours vers une telle «gradation» pour les pays en transition.
35. La gradation des pays d’opération de la BERD est clairement une question politique qui intéresse directement l’Assemblée, car la transition n’est considérée comme achevée qu’à l’issue d’une consolidation tant économique que politique. La gradation est d’autant plus importante qu’elle dégagera des ressources que la BERD pourra réinvestir dans les pays qui ont des besoins plus importants.
36. Le Troisième Examen des ressources en capital (2006-2010) de la BERD prévoyait que les huit pays qui ont adhéré à l’Union européenne en 2004 atteindraient le stade de la gradation à l’horizon 2010. Seule la République tchèque y est parvenue, en 2008, mais l’impact de la crise financière de cette année-là sur les autres allait les contraindre à dépendre des fonds de la BERD pendant plusieurs années, et l’échéance a par conséquent été reportée à 2015.
37. L’échéance de 2015 n’a pas davantage pu être respectée, et le dernier rapport sur la transition (2017-2018) ne mentionne plus la gradation. Le Strategic and Capital Framework (Cadre stratégique et capitalistique) 2016-2020 déclare que dans la prise de décision sur la gradation, le principal instrument décisionnel résidera dans les stratégies respectives de chaque État, conjointement validées par la Banque et par les autorités nationales. Il est donc difficile de discerner quels sont les critères économiques ou politiques précis pour la gradation, s’ils existent, et ce qui empêche actuellement les pays de les remplir. Jusqu’à présent, la BERD n’a hélas pas souhaité préciser sa politique en la matière.
38. Même si la BERD n’a pas clairement défini comment se déroulerait la gradation, elle a élaboré un cadre opérationnel post-gradation (Post-Graduation Operational Approach – PGOA) afin de mieux stimuler cette dernière, dans lequel elle énonce les activités que la BERD peut mener dans les économies qui auront franchi ce cap. Elle a aussi créé un fonds spécial post-gradation (Post-Graduation Special Fund – PGSF) pour financer ces activités. Comme la République tchèque est le seul pays bénéficiant de ces instruments, ils restent relativement sous-utilisés et peu testés.

6. Évolution de la situation politique et économique (2015-2018)

6.1. Examen de l'extension vers les pays du SEMED

39. En 2012, la BERD a étendu son périmètre d'action géographique à la région SEMED, qui bénéficie désormais de plus d'investissements que tout autre secteur d'intervention de la BERD. Il est particulièrement important de comprendre les effets des activités de la BERD dans cette région et la manière dont l'Assemblée peut coopérer avec elle étant donné que les parlements du Maroc, de la Jordanie, et de la Palestine ont le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée.
40. En mai 2017, la BERD a étendu ses activités à la Cisjordanie et à Gaza. En juillet 2017, le Liban est devenu actionnaire. Aucun investissement n'a été réalisé dans ces économies en 2017, mais les implications politiques qui en découlent présentent néanmoins un intérêt pour l'Assemblée. La BERD met actuellement en place une facilité de financement d’un montant maximum de $US 15 millions en Cisjordanie et à Gaza pour soutenir les petites et moyennes entreprises dans la région.

6.2. Tensions géopolitiques

41. Depuis le début de la crise en Ukraine, la BERD a complètement retiré ses investissements en Russie, les relations économiques entre la Fédération de Russie et l'Europe n'ayant cessé de se détériorer. Lors de la réunion qu’elle a tenue à Londres le 26 octobre 2017, la sous-commission des relations avec l’OCDE et la BERD a été informée que cinq des sept bureaux de la BERD en Russie avaient été fermés et que seuls ceux de Moscou et Saint Pétersbourg restaient en activité. Un nouveau rapport devrait donc évaluer les répercussions politiques de ce désinvestissement et les retombées économiques de l'aggravation des relations commerciales non seulement pour l'Ukraine, mais aussi pour d’autres économies de la région.

6.3. Crise des réfugiés

42. La crise des réfugiés, causée entre autres par la guerre en Syrie, est l'une des évolutions politiques les plus significatives de ces dernières années et constitue une préoccupation directe pour les actionnaires de la BERD. Celle-ci a par conséquent engagé des sommes importantes (jusqu'à 900 millions d’euros) pour soutenir financièrement des projets du secteur privé et d'infrastructures en Turquie et en Jordanie, deux économies bénéficiaires des activités de la BERD qui font partie des plus grands pays d'accueil pour les personnes déplacées par ce conflit.
43. Cette approche visant à atténuer l’impact de la crise des réfugiés est louable et s’inscrit dans la droite ligne des travaux de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée, en particulier le rapport de 2013 intitulé «Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir l'aide internationale?» (Doc. 13372).

7. Conclusion

44. Il existe trois accords de coopération entre le Conseil de l’Europe et la BERD: le Mémorandum d’accord entre la BERD et la Banque de développement du Conseil de l’Europe, socle de la coopération fructueuse entre les deux Banques; l’accord conclu par échange de lettres entre le Président de la Banque et le Président de l’Assemblée parlementaire, fondement du suivi parlementaire qu’exerce l’Assemblée sur la BERD, et l’accord formel passé entre cette dernière et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui n’a jamais débouché sur aucune action concrète au niveau intergouvernemental, peut-être parce qu’il ne répondait à aucune préoccupation réelle, ni de la BERD, ni du Conseil de l'Europe. Je suis cependant d’avis qu’une révision des accords de coopération n’est pas nécessaire.
45. Nous manquons d’informations pour répondre concrètement à la question posée dans le titre du présent rapport, à savoir si le développement de l’économie de marché dans les pays d’opérations de la BERD contribue de façon positive à la promotion de la démocratie dans la région, et donc, si le «modèle de la BERD» fonctionne ou non. Il serait utile que la BERD publie, par exemple, des informations sur les performances; ceci permettrait de mieux évaluer l’impact des investissements sur les progrès en termes de démocratie.
46. L’Assemblée parlementaire décide de poursuivre son suivi des activités de la BERD d’un point de vue politique et de procéder à une nouvelle évaluation politique de ses activités lorsque cela s’avérera approprié.