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Résolution 2275 (2019)
Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance
1. L’Europe est confrontée à une recrudescence
du discours de haine, y compris de toutes les formes d'expression
qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale,
la xénophobie, l’islamophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes
de haine fondées sur l'intolérance, y inclus l'intolérance qui s'exprime
sous forme de nationalisme agressif et d'ethnocentrisme, de discrimination
et d'hostilité à l'encontre des minorités nationales ou ethniques,
religieuses et linguistiques, des immigrés et des personnes issues
de l'immigration, des femmes et des personnes lesbiennes, gays,
bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI).
2. Le monde politique n’est pas épargné par cette tendance inquiétante:
le discours de haine et l’intolérance, qui font désormais partie
du discours politique, sont utilisés non seulement par les groupes populistes
et extrémistes, mais de plus en plus aussi par les représentants
de mouvements et de partis de toutes tendances politiques. Les technologies
de l’information ont beaucoup contribué à diffuser et amplifier
le discours de haine, et donc à le banaliser aux yeux du grand public.
3. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par la menace représentée
par le discours de haine, qui déshumanise les individus et les groupes
qu’il vise et les rend plus vulnérables à la stigmatisation, à la discrimination
et à la violence. Le discours de haine érode le tissu social et
entrave la coexistence pacifique dans la diversité. Il crée un sentiment
d’exclusion parmi les groupes minoritaires et peut contribuer à l’aliénation,
à la marginalisation, à l’émergence de sociétés parallèles et, à
terme, à la radicalisation. Utilisé dans le débat politique, il
devient un obstacle au dialogue constructif entre les forces politiques
et mine les valeurs démocratiques.
4. L’Assemblée considère que le moyen le plus efficace de prévenir
le discours de haine est de renforcer l’adhésion aux principes de
la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit, et de
promouvoir un modèle de société qui accueille la diversité et respecte
la dignité humaine. Les femmes et les hommes politiques, comme d’autres
personnalités publiques, ont un rôle essentiel à jouer dans ce processus.
Ils jouissent d’un statut et d’une visibilité qui leur permettent
d’influencer un vaste public et de définir, dans une large mesure,
les thèmes et la tonalité du discours public.
5. De fait, les femmes et les hommes politiques ont à la fois
l’obligation politique et la responsabilité morale de n’utiliser
ni propos haineux ni vocabulaire stigmatisant, et de condamner immédiatement
et clairement leur utilisation par autrui, car leur silence peut
être interprété comme une approbation ou un soutien. La protection renforcée
de la liberté d’expression dont ils jouissent augmente d’autant
leur responsabilité dans ce domaine.
6. L’Assemblée estime que toute une série de mesures sont nécessaires
pour contrer le discours de haine: elles vont de l’autorégulation,
notamment par les partis et les mouvements politiques, ainsi que
dans les statuts et les règlements des organes élus locaux et nationaux,
à des dispositions de droit civil, administratif et pénal qui interdisent
l’utilisation du discours de haine et, en dernier recours, la punissent.
Les restrictions et les sanctions devraient être proportionnées
et ne devraient pas être détournées pour réduire des minorités au silence
ou pour réprimer les critiques.
7. Des instruments d’autorégulation adoptés par des partis politiques,
tels que des statuts ou des chartes, sont particulièrement efficaces
et ont plus de chances d’être respectés, en raison de leur nature
volontaire. La Charte des partis politiques européens pour une société
non raciste, élaborée en 1998 sous les auspices de la Commission
consultative de l’Union européenne sur le racisme et la xénophobie,
donne des orientations en matière d’autorégulation par les partis
dans ce domaine. Pour être adaptée à l’époque actuelle, elle devrait toutefois
être mise à jour, de manière à prendre en compte les différentes
formes de haine – quels qu’en soient les motifs – et les moyens
techniques utilisés pour les répandre. Il faudrait aussi combler
l’une de ses principales lacunes, à savoir l’absence de mesures
pour les manquements à la charte.
8. Les médias, y compris les réseaux sociaux, devraient jouer
un rôle important pour limiter l’impact du discours de haine, en
communiquant des informations exactes et impartiales et en se gardant
de donner une visibilité excessive aux propos stigmatisants ou injurieux,
y compris lorsqu’ils sont tenus par des dirigeants politiques.
9. L’Assemblée se réfère à un échange de lettres entre le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe et les principaux acteurs des technologies
de l'information pour promouvoir un internet ouvert et sûr, où les
droits de l'homme, la démocratie et l’État de droit sont respectés
dans l'environnement en ligne, comme un exemple utile de dialogue
et de coopération avec les intermédiaires de l'internet.
10. L’Assemblée se félicite des travaux menés par la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dans ce domaine
et soutient, en particulier, sa Recommandation de politique générale no 15
sur la lutte contre le discours de haine, qui propose nombre de
mesures pour prévenir et combattre le discours de haine, soutenir
ceux qu’il cible, et encourager l’autorégulation par les institutions
publiques et privées, notamment les organes élus et les partis politiques.
11. L’Assemblée rappelle que son Alliance parlementaire contre
la haine, un réseau de parlementaires qui s’engagent à prendre position
ouvertement, fermement et de manière proactive contre le racisme,
la haine et l’intolérance, quels qu’en soient les motifs et les
manifestations, est un exemple de forum de discussion et d’échange
de bonnes pratiques qui devrait être imité dans les parlements nationaux.
Elle rappelle aussi le Mouvement contre le discours de haine et
précise que, même si la campagne du Conseil de l'Europe s’est terminée
en 2017, ses comités nationaux, quant à eux, restent actifs.
12. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les États
membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à
suivre la situation concernant le discours de haine, y compris dans
le discours politique, et à recueillir des données exactes et comparables
sur sa nature et sa prévalence, ventilées selon le motif de discrimination,
le groupe cible, le type d’auteur et le moyen utilisé;
12.2. à mettre en œuvre la Recommandation de politique générale
no 15 de l’ECRI, en adoptant des dispositions
de droit administratif, de droit civil et, en dernier recours, de
droit pénal;
12.3. à encourager les partis et les mouvements politiques à
adopter des instruments d’autorégulation, comme des codes de conduite
et des chartes éthiques, qui interdisent et sanctionnent l’utilisation
du discours de haine par leurs membres;
12.4. à encourager les médias à donner des informations exactes,
impartiales et responsables sur des sujets concernant des individus
et des groupes qui sont vulnérables à la discrimination et à la
haine;
12.5. à engager le dialogue et la coopération avec les intermédiaires
de l’internet, en particulier les réseaux sociaux, pour les encourager
à adopter et appliquer des instruments d’autorégulation, afin de prévenir
et de sanctionner l’usage du discours de haine, et à s’engager à
retirer les contenus insultants;
12.6. à promouvoir des activités d’information et de sensibilisation
à l’intention des femmes et des hommes politiques et des représentants
élus, à tous les niveaux, portant en particulier sur les initiatives et
mesures adoptées pour lutter contre le discours de haine et l’intolérance,
y compris au niveau international, telles que la Charte des partis
politiques européens pour une société non raciste et l’Alliance
parlementaire contre la haine;
12.7. à former les agents publics aux droits fondamentaux, à
l’égalité et à la non-discrimination, en particulier dans les établissements
scolaires et d’autres institutions éducatives, ainsi que dans des contextes
où une discrimination institutionnelle est possible, y compris dans
les forces de police et la justice, les forces armées, les services
juridiques et le corps médical;
12.8. à promouvoir des activités de sensibilisation du grand
public au racisme et à l’intolérance, et, spécifiquement, au discours
de haine;
12.9. à soutenir les comités nationaux du Mouvement contre le
discours de haine;
12.10. à encourager les femmes et les hommes politiques à diffuser,
y compris dans les médias sociaux, des messages positifs concernant
des minorités dans leur pays.
13. L’Assemblée invite les parlements des États membres, ainsi
que les parlements ayant le statut d’observateur ou de partenaire
pour la démocratie:
13.1. à fournir
aux parlementaires et aux autres acteurs politiques des informations
et une formation sur les moyens de prévenir et d’identifier le discours
de haine en ligne et hors ligne, et d’y répondre, ainsi que sur
les droits de l’homme, l’égalité et la non-discrimination, et sur
l’utilisation pernicieuse des réseaux sociaux et d’autres médias,
notamment la désinformation;
13.2. à veiller à ce que leurs statuts et leur règlement contiennent
des dispositions spécifiques contre le discours de haine et le langage
stigmatisant, et à ce qu’ils prévoient des sanctions en cas de non-respect
et des mécanismes de plainte accessibles;
13.3. à créer des groupes de réflexion, auxquels participent
des parlementaires, des experts et des représentants de la société
civile, pour surveiller le discours de haine et recommander des
mesures de lutte contre ce phénomène au niveau national.
14. L’Assemblée parlementaire estime que le 25e anniversaire
de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance,
en 2019, est une bonne occasion de mettre à jour la Charte des partis
politiques européens pour une société non raciste, d’y inclure des
mesures en cas de violation de celle-ci, et de la relancer.