Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2291 (2019)
Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains
1. En Europe, de plus en plus de personnes
ayant des problèmes de santé mentale ou un handicap psychosocial
font l’objet de mesures coercitives comme le placement et le traitement
involontaires. Même dans les pays qui ont adopté des lois dites
restrictives pour limiter le recours à ces mesures, la tendance
est similaire, ce qui montre que, dans la pratique, ces lois ne
semblent pas produire les effets escomptés.
2. L’augmentation générale du recours aux mesures involontaires
dans le domaine de la santé mentale résulte principalement d’une
culture de l’enfermement qui se focalise et s’appuie sur la contrainte
pour «contrôler» et «traiter» les patients qui sont considérés comme
potentiellement «dangereux» pour eux-mêmes ou pour les autres. De
fait, la notion de risque de dommage pour soi-même ou pour autrui
continue d’occuper une place importante dans la justification des
mesures involontaires dans les États membres du Conseil de l’Europe,
malgré un manque de preuves empiriques, tant sur le lien entre problèmes
de santé mentale et violence que sur l’efficacité des mesures coercitives
dans la prévention des dommages en question. Non seulement le recours
à de telles mesures coercitives conduit à des privations de liberté
arbitraires, mais, en tant que traitement différentiel non justifié,
il enfreint aussi la prohibition de la discrimination.
3. En outre, il ressort d’études sociologiques menées sur le
terrain avec des personnes ayant des problèmes de santé mentale
que les mesures coercitives sont vécues comme des expériences largement négatives,
associées à des souffrances, des traumatismes et de la peur. Les
«traitements» involontaires administrés contre la volonté du patient,
par exemple la médication forcée et le traitement forcé par électrochocs,
sont jugés particulièrement traumatisants. Ils posent également
d’importantes questions éthiques car ils peuvent causer des dommages
irréversibles pour la santé.
4. La contrainte a également un effet dissuasif sur les personnes
ayant des problèmes de santé mentale, qui, par crainte de perdre
leur dignité et leur autonomie, évitent ou retardent le contact
avec le système de santé, ce qui finit par avoir des répercussions
négatives sur leur santé. Elles peuvent notamment se retrouver dans
des situations de détresse et de crise intense mettant leur vie
en danger et générant à leur tour plus de contraintes. C’est un
cercle vicieux qu’il faut briser.
5. Les systèmes de santé mentale qui existent en Europe devraient
être réformés pour adopter une approche fondée sur les droits humains
compatible avec la Convention des Nations Unies relative aux droits des
personnes handicapées et respectant l’éthique médicale et les droits
humains des personnes concernées, notamment leur droit à des soins
de santé sur la base d’un consentement libre et éclairé.
6. En Europe et ailleurs, un certain nombre d’approches ont donné
de bons résultats en matière de prévention et de réduction du recours
aux mesures coercitives: parmi les exemples positifs figurent notamment des
stratégies en milieu hospitalier, des services de proximité dont
des services de crise et de répit administrés par des pairs, ainsi
que d’autres initiatives comme la planification anticipée. Ces pratiques
prometteuses sont également très efficaces pour soutenir les personnes
ayant des problèmes de santé mentale dans les situations de crise
et devraient donc être placées au cœur des systèmes de santé mentale.
Les services coercitifs devraient être considérés comme des alternatives
inacceptables qu’il convient d’abandonner.
7. Compte tenu de ces éléments et convaincue qu’une sensibilisation
accrue, une plus grande coordination entre les parties prenantes
et un engagement politique plus fort sont essentiels pour engager
et poursuivre la transformation indispensable des politiques de
santé mentale, l’Assemblée parlementaire exhorte les États membres
à amorcer sans délai la transition vers l’abolition des pratiques
coercitives dans le domaine de la santé mentale. À cette fin, elle
invite les États membres:
7.1. à
élaborer, dans un premier temps, une feuille de route pour réduire
de manière radicale le recours aux mesures coercitives, avec la
participation de toutes les parties prenantes concernées, notamment
les personnes ayant des problèmes de santé mentale et les prestataires
de services;
7.2. à créer des services de soutien effectifs et accessibles
aux personnes qui connaissent des situations de crise et de détresse
psychologique, notamment des lieux sûrs et accueillants pour évoquer le
suicide et l’automutilation;
7.3. à développer, financer et mettre à disposition des ressources
pour la recherche sur les mesures non coercitives, parmi lesquelles
des solutions de proximité comme des services de crise et de répit administrés
par les pairs, ainsi que d’autres initiatives comme la planification
anticipée;
7.4. à consacrer des ressources adéquates à la prévention et
à la détection précoce des problèmes de santé mentale, et aux interventions
précoces non coercitives, en particulier chez les enfants et les jeunes,
sans stigmatisation;
7.5. à combattre les stéréotypes à l’égard des personnes ayant
des problèmes de santé mentale, en particulier le discours public
erroné sur ces personnes et la violence, par le biais d’activités
efficaces de sensibilisation impliquant l’ensemble des parties prenantes,
notamment les prestataires de services, les médias, la police, le
grand public ainsi que les personnes ayant fait l’expérience de
problèmes de santé mentale;
7.6. à revoir le programme des établissements d’enseignement
supérieur et tout particulièrement des facultés de médecine et de
droit, et les écoles de travail social, pour garantir sa conformité
aux dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux
droits des personnes handicapées;
7.7. à lutter contre l’exclusion des personnes ayant des problèmes
de santé mentale en s’assurant de leur accès à une protection sociale
adéquate, notamment en ce qui concerne le logement et l’emploi;
7.8. à fournir aux familles des personnes ayant des problèmes
de santé mentale les aides sociales et financières adéquates pour
leur permettre de faire face aux pressions et aux tensions induites
par le soutien à leurs proches.