Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2296 (2019)

Dialogue postsuivi avec la Bulgarie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 juin 2019 (26e séance) (voir Doc. 14904, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), corapporteurs: M. Frank Schwabe et M. Zsolt Németh). Texte adopté par l’Assemblée le 27 juin 2019 (26e séance).

1. La Bulgarie a adhéré au Conseil de l’Europe en 1992. Elle a fait l’objet d’une procédure complète de suivi jusqu’en 2000. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 1211 (2000) sur le respect des obligations et engagements de la Bulgarie, dans laquelle elle a décidé de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue postsuivi sur un certain nombre de préoccupations non encore réglées et sur toute autre question découlant des obligations qui incombent à chaque État membre du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) en matière de démocratie, d’État de droit et de droits de l’homme.
2. En outre, l’Assemblée se réfère à sa Résolution 1915 (2013) sur le dialogue postsuivi avec la Bulgarie, dans laquelle elle reconnaît les progrès importants réalisés par la Bulgarie sur le plan des réformes cruciales et du cadre législatif qui ont été mis en place depuis la clôture de la procédure de suivi, en particulier depuis l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne en 2007, comme l’ont confirmé les rapports annuels de la Commission européenne établis au titre du mécanisme de coopération et de vérification.
3. L’Assemblée salue la volonté et l’engagement politiques permanents dont les autorités bulgares ont fait preuve pour respecter pleinement leurs obligations, comme le confirme leur coopération constante avec les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, les experts en droit et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
4. L’Assemblée se félicite des progrès substantiels réalisés par la Bulgarie en direction de l’établissement de l’indépendance de la justice, conformément aux recommandations de l’Assemblée. Globalement, les réformes adoptées entre 2015 et 2018 de la loi relative au système judiciaire et la réglementation ultérieure du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et de la magistrature dans son ensemble ont représenté une avancée majeure vers le plein respect des engagements et des obligations de la Bulgarie dans ce domaine.
5. La division du Conseil supérieur de la magistrature en deux chambres, l’une pour les juges et l’autre pour les procureurs, exerçant en toute indépendance leurs pouvoirs de nomination et de sanction disciplinaire des juges, des procureurs et des juges d’instruction, a permis de régler des préoccupations signalées depuis longtemps par l’Assemblée et la Commission de Venise.
6. La procédure d’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature s’est considérablement améliorée dans le sens des recommandations de l’Assemblée. L’Assemblée constate avec satisfaction que, depuis son élection en 2017, le Conseil supérieur de la magistrature a nommé un certain nombre de responsables des instances judiciaires en application d’une procédure transparente et sans susciter la controverse.
7. Les préoccupations signalées depuis longtemps par l’Assemblée à propos des défaillances du système d’évaluation et de l’évolution de carrière des magistrats ont été réglées par l’adoption, en 2016, par le Conseil supérieur de la magistrature, du Règlement sur les indicateurs, la méthodologie et la procédure pour l’évaluation préalable d’un juge, président ou vice-président d’un tribunal et, en 2017, du Règlement des concours aux postes de magistrat et l’élection des chefs administratifs des organes judiciaires.
8. L’Assemblée observe avec satisfaction que ses recommandations relatives à la répartition de la charge de travail et à la question des retards ont été traitées de manière satisfaisante par la mise en place d’un système unique, efficace et aléatoire d'affectation nationale des affaires, ainsi que par la définition de critères clairs pour évaluer la complexité des affaires et leur incidence sur la répartition du volume de travail. Les mesures complémentaires prises pour procéder à la répartition du surplus de la charge de travail des juridictions les plus sollicitées, notamment le tribunal de Sofia, méritent également d’être saluées.
9. L’Assemblée félicite les autorités pour la création de l’inspection du Conseil supérieur de la magistrature chargé de renforcer la responsabilité de la magistrature, en particulier en matière de prévention de la corruption au sein de la magistrature et de procédures disciplinaires.
10. L’Assemblée reconnaît que les modifications apportées en 2017 au Code de procédure pénale et au Code pénal ont été en général conformes aux recommandations de l’Assemblée, et constate avec satisfaction qu’elles ont porté remède à la lenteur des procédures pénales et ont permis une meilleure application des peines.
11. Concernant la corruption à haut niveau et la criminalité organisée, l’Assemblée se félicite de l’adoption par le Parlement bulgare, en janvier 2018, d’une nouvelle loi sur la lutte contre la corruption et la confiscation des avoirs, qui est conforme à ses recommandations antérieures. La loi a créé une nouvelle agence unifiée de lutte contre la corruption, chargée de vérifier l’absence de conflits d’intérêts des hauts fonctionnaires et de contrôler leur patrimoine, de mener des enquêtes sur les allégations de corruption, d’établir des garanties pour la prévention de la corruption et de mettre en place des procédures de saisie et de confiscation des avoirs illicites.
12. L’Assemblée se félicite du fait que les recommandations adressées par le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) à propos des incriminations ont été mises en œuvre de façon tout à fait adéquate. Elle se félicite aussi du fait que la Bulgarie ait consacré des moyens considérables à la formation et à la sensibilisation d’un grand nombre de juges, de procureurs et de membres des forces de l’ordre aux questions relatives à la corruption et au trafic d’influence, ainsi qu’à l’incrimination pour acceptation d’avantages immatériels indus.
13. Il convient en outre de féliciter le Parlement bulgare d’avoir mis en place des mesures particulières de lutte contre la corruption au niveau parlementaire, qui ont suivi les recommandations du GRECO, en particulier la modification en 2016 du règlement du parlement afin d’assurer la transparence du processus législatif.
14. Pour ce qui est du Code électoral, l’Assemblée se félicite de la série de modifications apportées entre 2014 et 2016, qui ont remédié à un certain nombre de préoccupations formulées par la Commission de Venise en 2013 et en 2014, en améliorant notamment les dispositions relatives au financement des campagnes électorales et son contrôle, l’inscription des électeurs et les dispositions relatives à la couverture médiatique.
15. L’Assemblée reconnaît les progrès accomplis par la Bulgarie dans l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme portant sur la durée excessive des procédures judiciaires et l’absence de recours effectif à cet égard. Des progrès ont également été constatés dans la mise en œuvre des groupes d’affaires portant sur les mauvaises conditions de détention et les mauvais traitements infligés par des agents des forces de l’ordre.
16. L’Assemblée félicite la Bulgarie pour l’adoption, à la suite de la recommandation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), des modifications apportées à la loi relative à l’exécution des peines et à la détention en 2017. Ces modifications ont porté sur les conditions de détention, le régime, les libérations anticipées et le contrôle judiciaire des actes de l’administration pénitentiaire; en outre, l’Assemblée reconnaît que d’importants progrès ont été faits ces dernières années pour améliorer les conditions de détention dans les prisons.
17. S’agissant de la minorité rom, l’Assemblée reconnaît qu’un certain nombre de programmes, de Stratégies et de plans d’action ont été adoptés ces dernières années pour améliorer la situation des Roms, dont la stratégie nationale pour l’intégration des Roms (2012-2020), qui a notamment eu pour effet d’augmenter le nombre de Roms ayant suivi des études supérieures, y compris des études universitaires.
18. Bien que les progrès d’ensemble réalisés par la Bulgarie dans le respect de ses engagements et obligations ne soient pas remis en question, un certain nombre de préoccupations subsistent, en particulier:
18.1. dans le domaine de la magistrature:
18.1.1. bien que la réforme de la structure et du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ait répondu à la majorité des préoccupations de l’Assemblée, sa composition n’est pas pleinement conforme à la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilités, qui précise qu’«au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire». Dans la composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature, les juges choisis par leurs pairs représentent 6 membres sur 25. Ce paramètre soulève un certain nombre de préoccupations, car le Conseil supérieur de la magistrature réuni en formation plénière conserve d’importantes compétences à l’égard du pouvoir judiciaire;
18.1.2. la Commission de Venise juge préoccupant le degré auquel les procureurs, et le procureur général en particulier, sont toujours impliqués dans la gouvernance des juges au sein du Conseil supérieur de la magistrature;
18.1.3. aucune suite n’a été donnée à la recommandation formulée depuis longtemps par l’Assemblée à propos de la suppression ou de la réduction de la période probatoire de cinq ans prévue pour les juges;
18.1.4. les pouvoirs disciplinaires étendus de l’inspection du Conseil supérieur de la magistrature, qui découlent en particulier du mode d’élection actuel de ses membres, suscitent un certain nombre de préoccupations. Malheureusement, aucune suite n’a été donnée aux recommandations de la Commission de Venise sur la nomination et la révocation des inspecteurs, et sur la répartition des compétences entre l’inspection et le Conseil supérieur de la magistrature;
18.1.5. les initiatives législatives importantes ne font l’objet d’aucun grand débat public et l’ensemble des parties prenantes ne sont pas suffisamment consultées. Il convient de souligner que la pérennité et l’irréversibilité des réformes reposent notamment sur le bon déroulement du processus législatif, qui suppose la participation de l’ensemble des parties prenantes et l’existence d’un grand débat public;
18.2. concernant la corruption à haut niveau:
18.2.1. si la création d’une nouvelle agence unifiée de lutte contre la corruption représente une évolution positive, l’un des principaux défis à relever sera de gérer efficacement le large éventail de ses compétences, notamment en matière de prévention, d’enquête et de confiscation des avoirs. Le critère ultime de son efficacité sera le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et le nombre de condamnations prononcées. L’enquête actuellement menée sur le scandale de l’acquisition de propriétés luxueuses à des prix avantageux par de hauts responsables politiques et de hauts fonctionnaires peut être considérée comme une mise à l’épreuve déterminante de la sincérité de la lutte contre la corruption menée par les autorités;
18.2.2. la recommandation du GRECO visant à établir des critères clairs, objectifs et transparents de rémunération supplémentaire au sein du système judiciaire n’a pas été mise en œuvre. Une pratique préoccupante subsiste: les présidents de tribunaux usent de leur pouvoir discrétionnaire pour accorder des primes de fin d’année aux juges placés sous leur autorité, primes qui auraient été utilisées pour assurer certaines allégeances au sein des tribunaux;
18.3. concernant les médias:
18.3.1. la situation de la liberté des médias en Bulgarie a connu une détérioration systématique ces dernières années, le plus préoccupant étant la concentration de leur propriété et l’absence de transparence dans ce domaine, l’ingérence politique dans les médias, l’influence exercée par l’État sur les entreprises de médias au moyen des budgets de communication des programmes opérationnels de l’Union européenne, ainsi que l’intimidation des journalistes et les violences dont ils font l’objet. L'Assemblée regrette le manque de données appropriées sur la propriété des médias. L'Assemblée se félicite de l'adoption d'une législation appropriée sur la transparence de la propriété des médias, qui reflète la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité des Ministres sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété. Les violences contre les journalistes doivent faire l’objet de condamnations rapides et décisives ainsi que d’enquêtes approfondies de la part des autorités bulgares;
18.4. concernant les droits de l’homme:
18.4.1. l’Assemblée se félicite des modifications importantes apportées au Code pénal le 16 janvier 2019 et note que, selon le CPT, le traitement des personnes placées en garde à vue a connu une légère amélioration, surtout sur le plan de la gravité des mauvais traitements allégués depuis 2015; elle déplore cependant l’absence de véritable progrès dans l’application des garanties contre les mauvais traitements, à savoir le droit reconnu à l’intéressé d’informer un tiers de sa détention, le droit d’accès à un avocat et à un médecin, et le droit d’être informé des droits susmentionnés;
18.4.2. le discours de haine raciste et intolérant employé dans les déclarations politiques qui ciblent les Roms, les musulmans, les juifs, les Turcs et les Macédoniens continue à poser un grave problème en Bulgarie. Les autorités bulgares doivent déployer des efforts importants pour condamner systématiquement et inconditionnellement les discours de haine, notamment en se conformant aux recommandations du dernier rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) sur la Bulgarie;
18.4.3. malgré les initiatives prises par les autorités bulgares, la situation de la population rom ne s’est pas améliorée de manière tangible. Les représentants roms sont exclus du processus démocratique, ne font aucun usage des instruments démocratiques déjà en place et ne sont présents à aucun niveau du processus décisionnel. Il n’existe aucun dialogue constructif entre les représentants roms et les autorités. La situation matérielle et sociale des Roms est en général très médiocre et leur discrimination sur le marché du travail demeure un obstacle à leur intégration. La récente flambée de violence interethnique perpétrée par des Bulgares de souche à l'encontre des Roms à Gabrovo, notamment la démolition et l'incendie de maisons appartenant à des Roms, illustre l'ampleur de ce problème;
18.4.4. la minorité macédonienne n’est pas reconnue comme telle par les autorités bulgares en raison de la stricte application de critères formels, bien que ce groupe ait manifesté à plusieurs reprises son souhait de bénéficier de la protection de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157);
18.4.5. la Bulgarie a signé (en 2016), mais n’a pas encore ratifié, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), ce qui est profondément regrettable. Bien que les modifications récemment apportées au Code pénal, qui offrent une protection juridique supplémentaire contre la violence domestique et la violence à l’égard des femmes, aillent dans le bon sens, elles devraient être suivies de la fourniture de ressources adéquates, y compris dans les domaines de l’éducation et de la prévention, ainsi que du soutien psychologique, qui permettraient d’assurer une véritable protection des victimes.
19. En conclusion, l’Assemblée reconnaît que la Bulgarie a réalisé des progrès substantiels depuis l’adoption du dernier rapport consacré au dialogue postsuivi en 2013. Elle a partiellement mis en place une législation qui, à plusieurs exceptions près, est conforme aux normes du Conseil de l’Europe et a permis de régler plusieurs préoccupations formulées par l’Assemblée et d’autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Mais la question de la pérennité et de l’irréversibilité des réformes ainsi que l’efficacité des mesures qui visent à combattre la corruption à haut niveau continuent à dépendre de la bonne application de la législation.
20. Malheureusement, en raison de la période d’instabilité politique traversée entre 2013 et 2016 et d’une succession d’élections, certaines réformes ont fait l’objet d’une procédure législative hâtive en 2016 et en 2017, sans véritable consultation ni participation de l’ensemble des parties concernées. Il reste désormais à voir si elles apporteront des améliorations durables. La situation politique actuelle, marquée depuis février 2019 par le boycott du parlement par le Parti socialiste bulgare (BSP), pourrait avoir des répercussions négatives sur les avancées à réaliser et pourrait affaiblir le processus démocratique dans le pays.
21. L’Assemblée observe que, afin d’assurer la pérennité et l’irréversibilité des réformes, certaines mesures, dont une modification de la législation le cas échéant, doivent encore être prises.
22. Au vu de ces éléments, l’Assemblée décide de poursuivre un dialogue de postsuivi avec la Bulgarie et d’évaluer, en juin 2020, les progrès réalisés dans les domaines suivants:
22.1. le système judiciaire: la Bulgarie devrait démontrer que les mesures remarquables prises en faveur d'un meilleur système judiciaire sont durables et efficaces;
22.2. la corruption à haut niveau: la nouvelle agence anticorruption a commencé à fonctionner il y a quelques mois à peine. Au cours des prochains mois, des progrès tangibles dans la lutte contre la corruption à haut niveau doivent être constatés. Cela n'a jusqu'à présent pas été visible;
22.3. les médias: l'un des principaux défis est la transparence de la propriété des médias. La Bulgarie doit prendre des mesures législatives pour garantir cette transparence;
22.4. les droits de l'homme des minorités: la Bulgarie doit améliorer l'intégration des Roms et d'autres groupes minoritaires. Les droits des réfugiés doivent être pleinement respectés, conformément aux normes européennes;
22.5. les discours de haine: ils ne devraient pas faire l'objet de discussions politiques. Les membres du gouvernement, notamment, ont une obligation particulière à cet égard;
22.6. la violence à l'égard des femmes: l’Assemblée demande à la Bulgarie de faire tous les efforts possibles pour ratifier la Convention d'Istanbul.