1. Introduction
1. Des milliers de femmes dans
le monde entier ont dénoncé des actes sexistes et des violences
subis pendant les consultations gynécologiques ou lors de leur accouchement
ces dernières années, sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Leurs témoignages démontrent, une fois de plus, que l’inégalité
de genre peut mener à la violence, même dans le domaine des soins
de santé. Ce sujet, trop longtemps resté tabou, fait enfin l’objet
de débats mais reste délicat et difficile à aborder dans la plupart
des pays.
2. Les violences gynécologiques sont les violences dont peuvent
être victimes les femmes lors de consultations gynécologiques. Elles
se retrouvent en position relativement vulnérable et peuvent être
victimes de sexisme, d’humiliations ou de violences physiques lors
d’examens.
3. Les violences obstétricales sont, quant à elles, les violences
dont peuvent être victimes les femmes lors de leur accouchement.
On peut les infantiliser, leur imposer une position, une surmédicalisation
ou les culpabiliser de ne pas vouloir avoir un accouchement standardisé:
elles peuvent être soumises à des actes médicaux tels que des déclenchements,
des expressions abdominales
,
des césariennes ou des épisiotomies
,
parfois sans leur consentement ou sans recevoir des informations
sur les risques et conséquences à long terme. Les violences obstétricales
sont sanctionnées par la loi en Argentine et au Venezuela, mais
restent peu reconnues en dehors de l’Amérique du Sud.
4. En France, il y a eu une libération de la parole ces dernières
années via twitter et les hashtags #PayeTonUtérus et #balancetongyneco.
Ce sujet intime a été porté dans les médias
et les autorités ont été appelées
à réagir. A la suite de ces témoignages, Marlène Schiappa, Secrétaire
d’État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de
la Lutte contre les discriminations a demandé au Haut Conseil à
l’Egalité entre les femmes et les hommes de préparer une étude sur
cette question. Celle-ci a été publiée le 29 juin 2018
. Les résultats de
l’étude ont confirmé ce qui avait pu être révélé par les témoignages
et appellent à une reconnaissance officielle du problème, à des
actions de prévention et des sanctions. Il y aussi eu une libération de
la parole en Croatie, où la campagne #prekinimošutnju («#brisonslesilence»)
lancée par l’ONG Roda a encouragé de nombreuses femmes à partager
leur expérience
.
6. Dès 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
a dénoncé les traitements non-respectueux
et abusifs dont peuvent être victimes les femmes lors de leur accouchement
dans des hôpitaux dans une déclaration soutenue par 90 organisations.
Ces traitements abusifs sont une menace pour leur intégrité physique.
7. Les violences gynécologiques et obstétricales ne sont pas
un phénomène nouveau. Elles sont le résultat de la perpétuation
d’une culture patriarcale au sein du milieu médical, notamment dans
la formation du personnel soignant et de stéréotypes de genre persistants
dans la société. Ensuite, les restrictions budgétaires des établissements
de santé, qui sont devenus un objectif de management, freinent la
pratique des soins respectueux de physiologie de l'accouchement.
Enfin, un certain nombre de professionnels ne respectent pas les
recommandations de bonnes pratiques (expression abdominale interdite
depuis longtemps ou épisiotomies) et occasionnent, à ce titre, de
la violence dans les soins. Cette question du non-respect de la physiologie
de l'accouchement et des bonnes pratiques n'est à l'ordre du jour
d'aucune institution: ordres, collèges professionnels, établissements.
Nous devons traiter de cette question au niveau européen et appeler à
ce que les femmes, tout au long de leur vie, soient traitées avec
respect par tous, et notamment par le personnel médical et non médical
en charge de leurs soins.
2. Portée du rapport
8. La proposition de résolution
à l’origine de ce rapport prévoit que l’Assemblée fasse un état
des lieux de la situation et recommande aux États membres les mesures
nécessaires permettant de faire évoluer les pratiques et d’assurer
une prise en charge médicale des femmes dans le respect de leurs
droits, de leur corps et de leur santé.
9. Je ne souhaite pas pointer du doigt tout un corps professionnel
car cela serait injustifié et disproportionné, mais contribuer à
lever les tabous concernant l’accueil des femmes et leur accompagnement pour
les soins en santé reproductive et sexuelle. Des pratiques pouvant
être perçues comme humiliantes sont toujours enseignées et le personnel
médical peut, sans en avoir l’intention, être maltraitant. La formation
du personnel soignant peut donner les clés de la prévention des
violences obstétricales et gynécologiques. Sans formation spécifique
du corps médical, les attitudes et donc les actes n’évolueront pas.
10. J’ai tenté d’étudier les problèmes structurels qui peuvent
mener à de mauvais traitements des patientes, notamment le manque
de personnel amenant à des horaires rallongés de travail et la nécessité
de suivre de nombreuses patientes simultanément pour des accouchements.
Ce rapport ne traite pas de l’accès à la contraception qui fera
l’objet d’un prochain rapport par Mme Petra
Bayr (Autriche, SOC). Il ne traite pas spécifiquement de l’accès
à l’avortement. Je ne traiterai pas non plus la question de l’accès
aux soins des femmes en situation de handicap, des difficultés particulières
qu’elles peuvent rencontrer lors d’un accouchement et des discriminations
dont elles sont victimes.
3. Méthodes
de travail
11. J’ai entamé mes travaux en
effectuant une recherche documentaire et ai souhaité effectuer ce
travail en lien avec les professionnels de santé, les patientes
et les associations de défense des victimes. J’ai rencontré Mme Marie-Amélie
Schmelck, sage-femme à Strasbourg, le 10 octobre 2018. Elle m’a
fait part des conditions de travail des sages-femmes et d’un environnement
devenu moins accueillant pour les patientes ces dernières années.
Elle m’a dit qu’on apprenait au personnel médical à «faire» et non
pas à «être» et estime que «les violences envers les patientes seraient
le quotidien dans de nombreuses maternités pour des raisons structurelles,
culturelles et sociologiques».
12. La commission a tenu une audition le 3 décembre 2018 avec
la participation du Dr Amina Yamgnane, Gynécologue-obstétricienne
et cheffe de service de la maternité de l’Hôpital Américain de Paris,
et de Mme Anne-Mette Schroll, consultante,
sage-femme, représentant l’Association danoise de sages-femmes.
13. La commission a également tenu une autre audition le 24 janvier
2019 avec la participation du Dr Ӧzge Tunçalp représentant l’Organisation
mondiale de la Santé. J’ai aussi pu en discuter avec Mme Liliane
Maury Pasquier, Présidente de notre Assemblée et sage-femme de profession.
14. La commission a tenu le 9 avril 2019 une audition conjointe
avec le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans
violence sur la question spécifique des stérilisations forcées des
femmes roms, avec la participation de Mme Elena
Gorolová, Porte-parole, Groupe de femmes victimes de stérilisations
forcées en République tchèque, Mme Gwendolyn
Albert, défenseure des droits humains, République tchèque, M. Adam Weiss,
Directeur du Centre européen sur les droits des Roms (Budapest)
et de M. Stefan Ivanco, Coordinateur de programmes et chercheur,
Poradňa, Centre des droits civils et humains (République slovaque).
15. J’ai effectué les 3 et 4 juillet 2019 une visite d’information
en Croatie, au cours de laquelle j’ai rencontré le Dr Željko Plazonić,
Secrétaire d’État au ministère de la Santé, Mme Tena
Šimonović, Médiatrice adjointe, des parlementaires et des représentants
d’organisations non gouvernementales. Je me suis entretenue avec Mme Ninčević
Lesandrić, députée, qui avait témoigné de son expérience au Parlement
croate, ce qui avait lancé la campagne #Breaking
the silence sur les réseaux sociaux. J’ai aussi eu l’occasion
de visiter une grande maternité à Zagreb et d’y rencontrer du personnel
soignant, médecins gynécologues et obstétriciens, sages-femmes et
infirmières. J’ai pu m’entretenir avec des femmes ayant accouché
dans cette maternité.
16. Mme Dubravka Šimonović, Rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes,
ses causes et conséquences, a préparé cet été un rapport sur l’adoption
d’une démarche fondée sur les droits de la personne dans la lutte
contre les mauvais traitements et les violences infligés aux femmes
dans les services de santé procréative, en particulier les violences
commises pendant l’accouchement et les violences obstétricales.
Nous avons pu discuter de nos travaux respectifs lors d’une rencontre
au Parlement croate. Elle a présenté son rapport lors de la 74ème session
de l’Assemblée générale des Nations Unies au mois d’août 2019
.
17. Je souhaite remercier le Parlement croate de son soutien dans
la préparation et la conduite de ma visite d’information, pendant
laquelle j’ai rencontré des interlocuteurs-rices de divers horizons
afin de discuter de cette problématique ainsi que les personnels
médicaux dont je salue la disponibilité. J’ai choisi d’effectuer
une visite d’information en Croatie en raison du témoignage fait
par une parlementaire et de sa résonance sur les réseaux sociaux.
Les violences gynécologiques et obstétricales sont un phénomène
généralisé et des femmes en sont victimes dans de nombreux pays.
Il ne m’est pas possible d’évaluer l’ampleur de ces violences partout en
Europe, mais en recoupant les témoignages, en m’entretenant avec
des professionnels de santé, je peux affirmer qu’il existe des pratiques
pouvant mener à de telles violences et que le manque de moyens attribués aux
établissements de santé a un impact sur la prise en charge des patientes
et peut aussi mener à des violences dites institutionnelles par
manque de temps, d’équipement ou de personnel.
4. Formes
de violences gynécologiques et obstétricales
«Touchers
vaginaux brutaux ou inexpérimentés, épisiotomies non consenties,
expressions abdominales, décollement des membranes, propos infantilisants
et déni du projet de naissance; les témoignages abondent qui attestent
de la fréquence du phénomène des violences gynécologiques et obstétricales.
Cette dernière formule a provoqué la colère des spécialistes qui
oublient peut-être qu’en la matière, ce n’est pas l’intentionnalité
du praticien dans ses actes ou paroles qui autorise la caractérisation
mais le ressenti et les séquelles de celle qui les subit», Camille
Froidevaux-Metterie .
18. Je tiens tout d’abord à rappeler,
comme l’a fait la Dr Yamgnane lors de notre audition, qu’il y a
un aléa médical dans 20 à 30% des accouchements (en France). Il
est alors nécessaire d’utiliser des forceps ou une ventouse, d’avoir
recours à une césarienne, de faire une révision utérine, d’arrêter
une hémorragie ou d’utiliser des services de réanimation néonatale.
Selon ses propos, certains professionnels ne souhaitent pas effrayer les
patientes et peuvent choisir de les sous-informer sur les risques
éventuels pendant leur grossesse ou lors de l’accouchement. Ils
peuvent aussi parfois devoir prendre des décisions rapidement, sans
demander l’avis de la patiente, dans des situations d’urgence où
le pronostic vital de la patiente ou de l’enfant serait engagé. Les
complications lors d’un accouchement ne sont pas toujours prévisibles,
ce qui peut avoir un impact sur la prise en charge des parturientes.
Un accouchement peut être vécu comme une expérience brutale et traumatisante,
éloignée de l’accouchement parfait qui avait été imaginé.
19. Les violences gynécologiques et obstétricales peuvent prendre
plusieurs formes et il est difficile d’avoir une vision d’ensemble
du nombre de victimes. Les informations précises ne sont pas faciles
à obtenir. Anne-Mette Schroll, sage-femme danoise, a partagé son
expérience lors de notre audition et a cassé une idée reçue sur
le traitement des patientes au Danemark:
«J’avais l’impression que les femmes danoises étaient
bien traitées dans nos maternités. Nous avons fait une enquête qui
a démontré que 25% des femmes interrogées ont une expérience de
la violence dans nos services».
20. Selon l’Académie nationale de médecine (France), qui a publié
un rapport intitulé «De la bientraitance en obstétrique. La réalité
du fonctionnement des maternités», «le vocable de ʽviolences obstétricalesʼ
regroupe tout acte médical, posture, intervention non approprié
ou non consenti. Il recouvre donc, non seulement des actes non conformes
aux recommandations pour la pratique clinique (RPC) mais aussi des
actes médicalement justifiés réalisés sans information préalable
et/ou sans le consentement de la patiente ou avec une apparente
brutalité. Enfin, les attitudes, comportements, commentaires ne
respectant pas la dignité, la pudeur et l’intimité des femmes sont
également cités sous ce terme et rapprochés de la non-prise en compte de
la douleur pendant et après l’accouchement»
. Des actes médicaux et gestes invasifs
sont parfois pratiqués en l’absence de consentement lors de consultations
gynécologiques.
21. Des étudiant·e·s en médecine ont pratiqué, dans plusieurs
pays, des touchers vaginaux sur des patientes sous anesthésie, encore
inconscientes
.
Les révélations choquantes dans la presse nous ont montré que certaines
pratiques, perçues comme faisant partie d’un cursus, pouvaient être
reconnues comme étant des pratiques invasives à l’encontre des patientes.
Lors de notre audition, la Dr Yamgnane a témoigné de sa propre expérience:
«Dans les années 1990, pendant mes études de médecine à Bruxelles,
j’ai appris à faire des touchers vaginaux sur des femmes sous anesthésie
générale. Je n’ai jamais eu l’idée pendant mes études de remettre
ce type de pratique en question». Elle nous a dit avoir pris conscience
par la suite du caractère inacceptable de cette pratique.
22. Il peut être nécessaire, afin de sauver des vies, de pratiquer
des opérations ou manipulations invasives, sans demander le consentement
de la patiente, notamment par exemple lorsque des césariennes d’urgence doivent
être pratiquées en cas de risque pour la mère ou l’enfant. Mais
dans certaines cliniques, le nombre de césariennes effectuées est
supérieur au nombre qui serait nécessaire du point de vue médical
(entre 10 et 15%), ce qui amène à se demander si les césariennes
seraient imposées ou si les femmes les demanderaient
.
Il existe des praticien-ne-s, qui, pour convenance personnelle en
raison de contraintes de calendrier ou autre, imposeraient une date
d’accouchement à leur patiente en vantant les mérites d’un accouchement
par césarienne programmée, qui est moins dangereuse et traumatisante
qu’une césarienne d’urgence. Il existe aussi des femmes qui souhaitent
accoucher par césarienne et trouvent des praticien-ne-s qui acceptent
de programmer des césariennes qui ne seraient pas nécessaires. Le
nombre d’accouchements par césarienne varie fortement d’un pays
à l’autre.
23. Les épisiotomies sont une autre pratique pouvant être ressentie
comme une violence, qu’il convient d’analyser. Une épisiotomie est
une incision du périnée visant à permettre au nouveau-né de passer
plus facilement et de prévenir de graves déchirures. Si c’était
une pratique relativement courante pour des primipares accouchant
par voie basse dans certains services en France (20% en moyenne,
34,9% chez les primipares
), elle
n’est presque plus utilisée dans quelques maternités qui contestent
son utilité. Avec 1% d’épisiotomies, la maternité de Besançon en
France fait figure d’exemple et ses patientes n’ont pas plus de complications
que celles d’autres maternités. Cette incision n’est pas toujours
nécessaire et est parfois pratiquée en vue d’accélérer l’accouchement.
Elle peut avoir de graves conséquences, non seulement sur le plan
physique mais aussi sur le plan psychologique. Elle peut être pratiquée
sans demander ou attendre le consentement de la patiente, ou sans
l’informer d’éventuelles conséquences. Le manque de communication sur
ce sujet entre les praticien·ne·s et les patientes est réel. L’OMS
recommande de ne pas dépasser le taux de 20% d’épisiotomies. La
Dr Yamgnane a affirmé n’avoir jamais rencontré de patiente consentant
à avoir une épisiotomie. Une fois que la parturiente est en train
d’accoucher, il peut être difficile d’obtenir un consentement éclairé.
24. Une épisiotomie peut entraîner des complications pour la patiente
qui parfois découvre après l’accouchement que celle-ci a été faite
.
La cicatrisation des points de suture peut être douloureuse et une femme
peut avoir du mal à s’asseoir en raison d’une épisiotomie mal faite.
Des points peuvent lâcher et des abcès se former. Les effets psychologiques
peuvent être encore plus importants. Je suis de l’avis qu’une épisiotomie
non consentie et non nécessaire est une violation de l’intégrité
physique
.
Nous devons nous demander pourquoi cette pratique est encore utilisée
dans certains hôpitaux alors qu’elle n’est pas forcément nécessaire
Nous pouvons aussi nous demander pourquoi certaines parturientes
semblent ne pas être informées de la réalisation d’une épisiotomie
ou certains médecins minimisent la portée de cette pratique, en culpabilisant
les futures mères ne souhaitant pas en avoir. La qualité de vie
de la patiente, une fois sortie de la salle d’accouchement, n’est
pas forcément une priorité
.
25. Le refus de l’accès à des anti-douleurs ou à la péridurale
peut aussi être considéré comme une forme de violence. Les patientes
devraient enfanter dans la douleur selon certains (rares) praticiens.
L’accès à la péridurale n’est pas non plus encore généralisé partout
en Europe, ou bien perçu.
26. Dans le documentaire «Tu enfanteras dans la douleur», diffusé
sur la chaîne ARTE le 16 juillet 2019, la réalisatrice, Ovidie,
présente des témoignages de femmes ayant été victimes de violences
gynécologiques et obstétricales. J’ai été particulièrement touchée
par le témoignage d’une femme qui a dit avoir été tuée de l’intérieur.
27. Lors de ma visite en Croatie, j’ai pu discuter longuement
avec Mme Ivana Ninčević Lesandrić, députée, qui
avait témoigné de son expérience d’un curetage sans anesthésie à
la suite d’une fausse couche dans un hôpital de Split: «Ces brutalités
créent un traumatisme physique, psychique et sont une violence.
J’ai été laissée sans information, sans choix, attachée sur un lit
pour un curetage à vif. J’ai ressenti chaque seconde de cette procédure
médicale». Elle se souvient du regard de la gynécologue qui a fait
ce curetage. Elle n’a rien dit mais Mme Ninčević
Lesandrić a pu ressentir qu’elle était désolée des conditions de
prise en charge. A la suite de son témoignage, elle a été accusée
d’avoir menti sur son expérience. Elle a reçu des centaines de courriers
électroniques de femmes partageant leur expérience et la remerciant
d’en avoir parlé en public. Les témoignages de femmes croates sur
les réseaux sociaux font part de la rudesse du corps soignant à
leur égard et du mépris de la douleur.
28. Le «point du mari» reste un sujet tabou. Certains médecins
ajoutent quelques points de suture supplémentaires lorsqu’ils recousent
le périnée après une épisiotomie ou une déchirure
.
Ces points de suture supplémentaires seraient censés accroître le
plaisir du mari ou compagnon lors de rapports sexuels. On parle
alors de retrouver un «sexe de jeune fille», censé plaire davantage
aux hommes. En revanche, le «point du mari» peut rendre les rapports
sexuels très douloureux pour les femmes, ce qui ne semble pas être
une grande préoccupation pour ceux qui maintiennent cette pratique.
29. L’expression abdominale est une autre pratique largement dénoncée.
Il n’y a pas de données quantitatives quant à son utilisation. Elle
peut être mal vécue par les femmes, ne pouvant plus être actrices
de leur accouchement. Cette pratique est interdite en France depuis
2007. Il peut être difficile pour une femme qui accouche, épuisée
par des heures de travail, de s’opposer à une pratique jugée nécessaire
par le gynécologue obstétricien afin d’accélérer l’accouchement.
Elle est en position de vulnérabilité et les soignants ont une certaine
autorité sur leurs patientes qui s’en remettent à leur jugement
et recommandations.
30. Les déclenchements d’accouchement peuvent être réalisés en
cas de dépassement de la date du terme ou de risque pour l’enfant
à naître ou sa mère. Ils peuvent s’avérer très douloureux pour la
patiente, déclenchant et accélérant les contractions plus rapidement
que le rythme naturel. Un déclenchement peut ne pas fonctionner
ou entraîner un travail très long et particulièrement douloureux,
chaque patiente réagissant différemment. Les hormones artificielles
sont aussi fréquemment utilisées afin d’accélérer le travail. Des perfusions
d’ocytocine peuvent être faites, sans avoir l’accord des patientes.
L’objectif n’est pas systématiquement de prévenir certains risques
en cas d’accouchement tardif, mais aussi de réduire la durée d’accouchement
et de libérer les salles de travail et les chambres en maternité
pour pouvoir accueillir de nouvelles patientes, avec un objectif
de rentabilité. Ces pratiques peuvent être considérées comme des
formes de violence si les professionnels y ont recours pour des
raisons autres que la santé des femmes et de l’enfant à naître.
Selon l’Académie nationale de médecine (France), «le manque d’information,
très courant sur l’indication, le bénéfice escompté, le déroulement,
la durée, le risque d’échec de ces déclenchements est source de
nombreuses insatisfactions»
.
31. Lors de notre audition, la Dr Ӧzge Tunçalp a établi que les
mauvais traitements au moment de l’accouchement peuvent prendre
de multiples formes telles que des agressions physiques, des abus
sexuels, des insultes, des préjugés et de la discrimination, de
mauvaises relations entre les femmes et les personnels de soins
(absence de consentement éclairé, absence de soulagement de la douleur)
et le fait de ne pas respecter les normes professionnelles en matière
de soins. En outre, elle a insisté sur le fait que ne pas être maltraitée
ne signifie pas pour autant être traitée avec respect. En tant que
parlementaire, je suis d’avis que nous devons sans relâche faire
la promotion d’attitudes respectueuses et non discriminatoires envers
les femmes de manière générale, sans oublier dans les systèmes de
santé.
32. Les violences obstétricales et gynécologiques peuvent avoir
de graves conséquences sur l’état de santé des patientes à court
et long termes qui peuvent se répercuter sur les bébés. Ces conséquences
sont encore sous-estimées. La dépression post-partum et un syndrome
de stress post-traumatique peuvent être liés à des violences obstétricales
ou gynécologiques
, et par là-même, conduire à une
dégradation des relations mère-enfant dans les mois suivant la naissance.
33. De plus, les violences gynécologiques et obstétricales affectent
la confiance des patientes dans le corps médical, qui vont peut-être
hésiter à se rendre à une consultation. Cela peut avoir de graves
conséquences pour leur santé génésique.
34. Les violences gynécologiques et obstétricales représentent
un traumatisme pour la vie affective et sexuelle des années après
les faits de violence. Dans son ouvrage «Le livre noir de la gynécologie»,
Mélanie Déchalotte explique que beaucoup de femmes parlent de viol
lorsqu’elles parlent de violences gynécologiques. L’utilisation
d’instruments tels que le speculum ou une paire de ciseaux, ou les
doigts, sans consentement, peut être considérée comme une intrusion
violente dans le corps.
5. Rapports
d’inégalité entre le corps médical et les patientes
«Il
y a une vingtaine d'années, je suis entré dans la salle où je pratiquais
des IVG, j'ai fermé la porte et je me suis allongé sur la table
d'examen, avec mes jambes dans les étriers. Ça a changé ma manière de
voir et d'exercer. Je l'ai fait régulièrement, au fil des années...»,
Martin Winckler, médecin.
35. Le présent rapport nous amène
à réfléchir sur les rapports d’inégalité entre le corps médical
et les patientes. Une relation de supériorité, fondée sur une perception
de supériorité d’un genre sur un autre ou sur la profession de médecin
par rapport au patient, peut amener à des traitements vécus comme
dégradants ou clairement violents. Mais l’inverse est aussi possible,
avec des patientes qui peuvent agresser les personnels ou qui remettent
en question leurs pratiques.
36. J’ai été choquée d’apprendre que, lors du Congrès des gynécologues-obstétriciens
qui s’est tenu à Strasbourg le 7 décembre 2018, une diapositive
avait été projetée, comparant les femmes à des juments: «Les femmes,
c'est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont
pas les plus agréables à monter, mais c'est celles qui mettent bas
le plus facilement»
. Certaines femmes se «font accoucher»
par des professionnels et ne sont pas considérées comme pouvant
être pleinement actrices de leur accouchement. Quand les femmes
ne sont pas infantilisées, elles sont déshumanisées. Je souhaite,
avec ce rapport, promouvoir une bientraitance et des relations plus
égalitaires entre le corps médical et les patientes. Il y a aussi une
volonté de contrôle des accouchements, de la position, l’endroit
et le suivi à apporter. Les projets de naissance sont encore trop
souvent ignorés, l’avis de la patiente mis de côté.
37. Le tabou autour du corps des femmes est une opportunité de
domination. Des patientes n’oseront pas s’opposer au médecin, par
gêne de parler de l’intime. Elles ne se plaindront pas non plus
en cas de violences, ce qui peut avoir des conséquences dévastatrices.
Elles ne s’opposeront pas non plus forcément à des pratiques qu’elles
considèrent comme étant humiliantes ou intrusives, ne souhaitant
pas s’opposer au personnel soignant.
38. La non-maternité peut être un choix et est qualifiée par certains
d’émancipation
.
Néanmoins, les jeunes femmes n’ayant pas eu d’enfants rencontrent
de nombreuses difficultés, voire des refus, si elles souhaitent
se faire stériliser. Les médecins les envoient consulter des psychologues
et leur annoncent qu’elles pourraient regretter ce choix. Les stérilisations
sont peu pratiquées en Europe alors qu’elles sont courantes en Amérique
du Nord et en Inde, par exemple. La décision de ne pas avoir d’enfant
n’est pas considérée comme étant définitive, de nombreuses femmes
exprimant ce choix sont renvoyées à des platitudes autour de la
notion d’instinct maternel, d’horloge biologique ou de désir d’enfant
pouvant apparaître plus tard. Les femmes ayant fait ce choix sont
stigmatisées dans nos sociétés et ne sont pas comprises. En dépit
d’années d’avancées en matière d’égalité de genre, les femmes, quelles
que soient les fonctions occupées, sont toujours ramenées à leur
éventuel futur rôle de mère. Il semble que le corps médical, tout
comme la société en général, trouve difficile d’accepter qu’une
femme choisisse de vivre sa vie sans enfants, quelle qu’en soit
la raison.
39. De même, les femmes reçoivent des injonctions à enfanter dès
la trentaine passée, on leur demande de ne pas trop attendre, et
les grossesses de femmes ayant 35 ans et plus sont qualifiées par
certains médecins de grossesses gériatriques ou comme étant potentiellement
à risque. Les femmes, tout au long de leur vie sexuelle, sont jugées,
critiquées, appelées à entrer dans la norme ou dans un certain moule.
Leur volonté n’est pas écoutée.
40. Les consultations gynécologiques et les accouchements sont
des moments intimes de la vie d’une femme, pendant lesquels elle
est particulièrement vulnérable. Un homme médecin et député a confié,
lors de notre rencontre au Parlement croate, s’être lui aussi senti
particulièrement vulnérable et victime de violences lors d’examens
médicaux alors qu’il se faisait soigner.
5.1. Discriminations
envers les femmes lesbiennes
41. Les examens médicaux peuvent
être faits avec brutalité par certains praticien-ne-s. Dans les témoignages
partagés sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes ont fait
état des remarques faites par les gynécologues, critiquant leur
mode de vie, leur orientation sexuelle ou leur apparence. Les femmes lesbiennes
peuvent être stigmatisées par certains médecins, voire humiliées
lors de consultations, ce qui peut les faire renoncer à un suivi
médical régulier.
42. Selon l’enquête
LGBT dans l’UE:
Enquête sur les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres
dans l’Union européenne menée par l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne (FRA)
, une personne interrogée sur 10 ayant
eu accès à des services de soins de santé au cours de l’année précédant
l’enquête a considéré avoir été victime de discriminations par le
personnel médical. Les personnes LGBTI rencontrent deux principaux
types d’obstacles à leur prise en charge médicale: l’accès aux soins
et l’attitude des professionnel-le-s en charge des soins envers
les personnes LGBTI. Par exemple, les femmes lesbiennes ne se verraient
pas systématiquement proposer de dépistage du cancer du col de l’utérus, considérées
comme appartenant à un groupe à faible risque.
43. Lorsque les personnes LGBTI font appel aux services de santé,
les soignant-e-s font souvent preuve d’une présomption d’hétérosexualité
et peuvent utiliser un langage inadapté, participant ainsi à l’invisibilisation et
l’exclusion des personnes lesbiennes et bisexuelles. Comme l’indiquent
certaines enquêtes
,
le refus de soins pour motif discriminatoire est une maltraitance
qui incite les patient·e·s à renoncer à leur droit aux soins. Le
cas des soins gynécologiques des lesbiennes en est symbolique: le
taux d’infections sexuellement transmissibles est plus important
chez cette population que chez les femmes hétérosexuelles puisqu’elles renoncent
aux visites gynécologiques à la suite de refus de soins
. En France, elles sont cependant
12% à avoir contracté une IST au cours des dernières années
,
contre 3% pour les femmes hétérosexuelles
.
Le suivi gynécologique devrait constituer un cadre idéal pour la
prévention et le dépistage. Néanmoins, les lesbiennes se retrouvent
souvent exclues et mal conseillées.
44. Je ne donnerai pas de détails sur la situation des personnes
intersexes dans ce rapport mais invite à consulter le rapport de
M. Piet De Bruyn, ancien membre de l’Assemblée, sur la situation
des personnes intersexes en Europe et les discriminations dont elles
sont victimes
.
5.2. Stérilisations
forcées
45. Les stérilisations forcées
sont l’une des formes de violence les plus graves, enlevant aux
femmes la possibilité de décider si elles souhaitent, ou non, avoir
un enfant. Elles ne sont jamais nécessaires pour sauver des vies:
d’autres moyens non irréversibles de prévention d’une grossesse
existent et peuvent être proposés à toute femme pour qui une grossesse
présenterait un risque grave pour sa santé.
46. La Convention d’Istanbul demande aux États parties de criminaliser
les stérilisations forcées. Les premiers rapports d’évaluation du
GREVIO démontrent que les États parties ont des approches différentes concernant
les stérilisations forcées. Certains États n’incriminent pas cette
pratique, tels que Monaco ou encore l’Albanie. Le GREVIO encourage
notamment les autorités albanaises à introduire l’infraction des stérilisations
forcées dans le droit pénal, et relève des lacunes sur ce sujet.
47. Cependant, le GREVIO note que la majorité des États ayant
fait l’objet de rapports d’évaluation ont incriminé les stérilisations
forcées. Tel est le cas de la Turquie, qui incrimine les stérilisations
forcées à l’article 101 du Code pénal turc. Au Danemark, les stérilisations
forcées constituent une infraction pénale. Le GREVIO invite les
autorités danoises à élargir l’offre de conseils par téléphone disponible
afin que cela inclue les stérilisations forcées. Dans le rapport
envoyé au GREVIO
, les autorités autrichiennes indiquent
que la loi autrichienne incrimine les stérilisations forcées, et
les condamne en tant qu’«atteintes corporelles». La loi prévoit
une peine de prison de 1 à 15 ans.
48. Le rapport du GREVIO relatif au Portugal fait apparaître que
l’article 144 du Code pénal vise la stérilisation forcée et l’incrimine
également. Le GREVIO encourage le Portugal à aller plus loin et
à examiner dans le cadre de travaux de recherches les formes de
violence à l’égard des femmes, telle que la stérilisation forcée.
Le Monténégro a modifié son Code pénal en 2017 afin d’y intégrer
l’incrimination des stérilisations forcées. Le GREVIO déplore cependant
l’absence de mesures de prévention et de protection en parallèle
de ces changements législatifs. D’une manière générale, le GREVIO
salue les législations adoptées par les États incriminant toutes
les formes de violence à l’égard des femmes, mais encourage ces
derniers à aller plus loin, en améliorant notamment la prévention
et la prise en charge des victimes.
49. Dans sa
Résolution
1945 (2013) “Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées”,
l’Assemblée a invité les États membres du Conseil de l’Europe «à
réviser si nécessaire leur législation et leur politique pour faire en
sorte que nul ne soit contraint, de quelque manière et pour quelque
motif que ce soit, de subir une stérilisation ou une castration,
[et] à faire en sorte qu’une réparation appropriée soit prévue pour
les victimes de stérilisation ou de castration imposées récentes
(et futures), y compris la protection et la réhabilitation des victimes,
la poursuite des auteurs de ces actes et une indemnisation financière
proportionnée à la gravité des violations des droits de la personne
subies». Je salue le rapport de Mme Maury
Pasquier sur ce sujet difficile. Elle présente une étude détaillée
de la situation des femmes roms, mais aussi des personnes transgenres,
des personnes en situation de handicap et des «personnes marginalisées,
stigmatisées ou considérées comme inadaptées», ayant été victimes
de stérilisations et de castrations forcées.
50. Le présent rapport me permet de souligner que les femmes roms
peuvent se trouver dans une situation particulièrement vulnérable,
que ce soit lors d’examens gynécologiques de routine ou lorsqu’elles
vont accoucher. Elles peuvent être mal accueillies, mal soignées,
stigmatisées, humiliées ou mises à l’écart dans une partie séparée
du service de maternité. Parfois, les femmes roms ont été victimes
de violences obstétricales ciblées, telles que les stérilisations
forcées.
51. Elena Gorolová, porte-parole du Groupe de femmes victimes
de stérilisations forcées en République tchèque, a fait part de
son expérience personnelle auprès de la commission lors d’une audition
tenue en avril 2019. Elle a été stérilisée de force en 1990, juste
après avoir donné naissance à son deuxième enfant par césarienne.
Elle n’a pas eu la possibilité de donner son consentement libre
et éclairé, mais on lui a simplement demandé, pendant son accouchement,
de signer un papier sans lui expliquer de quoi il s’agissait précisément. Elle
s’est sentie meurtrie après avoir appris qu’elle ne pourrait plus
avoir d’enfants. Elle fait campagne en République tchèque depuis
de nombreuses années afin de demander un dédommagement pour le préjudice causé,
mais a été fortement critiquée dans sa démarche, tant par sa communauté
que par les autorités.
52. Selon Adam Weiss, directeur du Centre européen sur les droits
des Roms, les stérilisations forcées sont une discrimination de
nature intersectionnelle et ont été faites dans plusieurs États
membres du Conseil de l’Europe. Le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies a notamment demandé au Gouvernement slovaque de
créer un organisme indépendant chargé de déterminer l’ampleur des
cas de stérilisations forcées
.
5.3. Dénoncer
le sexisme dans le domaine médical
53. Nous pouvons aussi nous demander
pourquoi la santé des femmes et le corps féminin sont encore perçus
comme étant tabous. Le corps des femmes leur appartient, la question
des violences gynécologiques et obstétricales nous questionne sur
nos avancées en matière d’égalité de genre et d’égalité en général.
La parole des femmes qui ont témoigné sur les violences gynécologiques
et obstétricales qu’elles ont vécues a été attaquée et minimisée
par certains médecins
. Il est important
de rappeler que, dans les pays où elle existe, la Charte des patient·e·s
stipule que l’information du patient ou de la patiente sur les actes
médicaux le ou la concernant est obligatoire ainsi que le respect
de son intimité.
54. Selon Martin Winckler, médecin et écrivain, les professionnels
de santé seraient incapables de se remettre en question: «Le problème
des gynécologues est leur paternalisme, cette façon qu’ils ont de
croire tout savoir. En outre, ils se pensent moralement supérieurs,
encore plus avec les femmes en raison du sexisme ambiant. Il faut
qu’ils revoient leur façon de penser»
. Je ne souhaite pas faire de généralisation.
Il faudrait réfléchir, comme l’a souligné la Dr Yamgnane, lors de
notre audition, à «faire mieux, et ne pas stigmatiser».
55. Le sexisme de certains médecins peut avoir pour conséquence
un mépris de la douleur. De nombreuses patientes victimes d’endométriose
ont mis des années à découvrir de quelle maladie elles souffraient
car leur douleur était systématiquement minimisée par leur gynécologue.
L’indifférence à la douleur peut aussi être ressentie par les femmes
lors d’examens routiniers ou lors de la pose d’un stérilet
.
56. En Finlande, une campagne d’information intitulée «Minä myös
synnuttäjänä» (moi aussi lors de l’accouchement)» a été lancée par
des sages femmes, des doulas et des parents afin de promouvoir le
droit au respect lors de l’accouchement et le droit à l’information.
«Nous exigeons que le droit à l'autodétermination prévu par le droit
finlandais et les accords internationaux sur les droits humains
soit pleinement respecté au sein des soins de maternité et des hôpitaux
finlandais. Nous cherchons à ce que le consentement soit adopté comme
principe de base des soins de maternité. La mère qui accouche doit
être assistée et soignée de la manière exigée par la loi: en pleine
coopération avec elle.» Cette campagne met l’accent sur la nécessité
de reconnaître qu’il y a des violences obstétricales en Finlande
comme ailleurs dans le monde. D’après ce collectif, «La naissance
fait partie de la sexualité d'une femme, et l'expérience et les
conséquences de la violence obstétricale sont à peu près les mêmes
que les autres violences sexuelles. Pour cette raison, la violence
obstétricale doit être considérée comme une forme de violence sexuelle. La
différence avec d'autres violences sexuelles est que dans les soins
de maternité, le pouvoir du professionnel est institutionnel et médical.
L'agresseur peut également défendre ses actes en prétendant qu'ils
étaient dans l'intérêt supérieur de la mère ou du bébé».
57. En Croatie, des inspections ont été lancées dans les hôpitaux
à la suite de #breakthesilence mais les résultats ne sont pas encore
rendus publics. Les hôpitaux manquent de moyens et de personnel,
comme dans d’autres pays. Il y aurait un manque d’analgésiques et
de produits anesthésiants dans certains hôpitaux. De nombreux-ses
professionnel-le-s de santé sont parti-e-s travailler à l’étranger.
Des victimes ont parlé de la difficulté de porter plainte pour violences
gynécologiques ou obstétricales au sein des hôpitaux. Une femme médecin
m’a dit qu’elle ne pouvait pas accepter que nous utilisions le terme
de violence, car cela impliquerait qu’un-e professionnel-le de santé
souhaiterait infliger des douleurs aux patientes. Il est important
de noter des différences au niveau des structures entre les grandes
villes et les zones plus rurales, dont les îles, où les établissements
de santé peuvent être moins bien équipés ou très éloignés.
58. Le nombre d’épisiotomies est en diminution (13 934 en 2012
et 9 035 en 2018) en Croatie. 67,5% des accouchements par voie basse
se sont faits sans épisiotomie en 2018. Lors de la visite de la
maternité de l’hôpital de Petrova à Zagreb, il m’a été affirmé que
toutes les patientes sont informées de toutes les procédures médicales
lors d’une consultation ou d’un accouchement. Une équipe composée
de gynécologues, chirurgiens, urologues et anesthésistes se penche
sur la question du traitement de l’endométriose (allant du traitement
médicamenteux jusqu’aux interventions chirurgicales). Les gynécologues
doivent renouveler leur licence tous les 6 ans en Croatie, ce qui
leur permet de mettre à jour leurs compétences. Les médecins rencontrés
m’ont fait part de leur vocation humaniste et de leur souhait que
tous les accouchements et autres procédures se passent bien. J’y
ai aussi rencontré des femmes qui semblaient très satisfaites de
leur accouchement. Chaque accouchement, chaque grossesse, chaque
patiente est unique.
59. En Italie, le mouvement #bastatacere (Arrêtons de nous taire)
sur twitter a permis de recueillir de nombreux témoignages. Selon
une étude mentionnée dans le documentaire «Tu enfanteras dans la
douleur», 21% des mères italiennes auraient déjà subi des violences
obstétricales et 64% des épisiotomies auraient été réalisées sans
consentement.
6. Violences
institutionnelles et structurelles
60. Les violences dites institutionnelles
ou structurelles sont dues à l’organisation des services, au manque de
temps, de personnels et aux impératifs de rentabilité. Le temps
nécessaire pour un accueil dans les meilleures conditions possibles
n’est pas le même que celui des exigences économiques. De même,
les professionnel-le-s n’ont plus le temps de discuter de leurs
expériences traumatisantes en salle de naissance et de recevoir
le suivi nécessaire. Les professionnel-le-s de santé travaillent
souvent dans des conditions difficiles et nombreux sont les hôpitaux
en manque de personnel, ce qui affecte l’accueil des patientes. Souvent,
les jeunes mères sont encouragées à rentrer chez elles le plus vite
possible, sans qu’un accompagnement ne soit fait à domicile. Les
professionnels de santé insistent sur l’importance d’avoir des moyens
dans les hôpitaux.
61. Je ne souhaite pas faire l’apologie de l’accouchement à domicile,
dans une maison de naissance ou dans un hôpital mais je soutiens
qu’un accueil, un suivi bienveillant des patientes et un accompagnement humain
de la grossesse et de l’accouchement ainsi que du post-partum sont
essentiels. Dans les maisons de naissance, l'organisation prévoit
une sage-femme par parturiente alors que dans les hôpitaux, une
sage-femme peut être en charge de trois à cinq femmes de front.
Cette disparité de moyens interroge. Il faut développer la préparation
à l’accouchement qui doit être le lieu de partage d’informations,
de discussions sur la prévention de violences et de la préparation
du projet de naissance et de son suivi.
62. L’absence de prise en compte de l’histoire de la patiente,
qui peut avoir été victime d’autres formes de violence, peut lui
faire revivre cette expérience et lui causer de la douleur. Le manque
de temps et de personnel et les exigences d’efficacité et de rentabilité
demandent au médecin de passer moins de temps avec les patientes,
et donc de ne pas poser de questions concernant leur vécu, ce qui
peut amener des complications et faire revivre des traumatismes.
Dans une société où le temps passé avec les parturientes est compté,
il peut être difficile d’assurer un accueil bienveillant
. Là aussi,
l'entretien prénatal précoce est un outil qui permet d'échanger
sur ses vulnérabilités et de s'accorder avec l'équipe sur un parcours
de soins individualisés.
7. Bonnes
pratiques et recommandations
63. La question fondamentale au
cœur du rapport est celle de l’égalité entre les femmes et les hommes
et du respect entre corps médical et patientes. Je suis d’avis que
les violences et maltraitances gynécologiques et obstétricales peuvent
être évitées. Elles reflètent, de manière générale, un état d’esprit
et un mépris envers les femmes. Elles sont l’affirmation d’une volonté
de domination et perpétuent une culture patriarcale, à laquelle
nous devons tenter de mettre fin. La promotion de l’égalité de genre
dans tous les domaines permettra de lutter contre toutes les formes
de violence à l’égard des femmes, y compris les violences gynécologiques et
obstétricales.
64. Ce sujet est considéré par certain·e·s comme étant tabou,
devant rester dans la sphère privée, comme les autres types de violences
faites aux femmes. Les violences gynécologiques et obstétricales
affectent les femmes lorsqu’elles sont particulièrement vulnérables,
que ce soit avant, pendant ou après un accouchement ou pendant une
consultation chez le médecin, ou même endormies après une anesthésie.
Ces violences sont de nature pernicieuse, elles peuvent être invisibles.
Souvent, elles sont intériorisées par les femmes qui les ont subies,
à qui il est dit que ces violences font partie des aléas d’un accouchement
et à qui on demande d’accepter la douleur et d’arrêter de se plaindre.
Or, les violences gynécologiques et obstétricales ne sont pas une
fatalité. Nous devons tenter de briser ce tabou et appeler à un
traitement respectueux des patientes, y compris dans des situations
d’urgence.
65. Afin d’avoir une idée plus précise de l’étendue de ces violences,
il serait important d’assurer la collecte de données, en appelant
les États membres à recueillir des données concernant les consultations,
les accouchements et les cas de violences gynécologiques et obstétricales
auprès des hôpitaux, des professionnels de santé (médecins, sages-femmes,
infirmiers et infirmières) et des patientes. Des analyses de ces
données devront être effectuées afin d’identifier les domaines prioritaires
d’action et les problèmes urgents auxquels il faut remédier.
66. Remettre les patient·e·s au cœur des systèmes de soins devrait
être une priorité. Celle-ci implique l’allocation de financements
suffisants aux établissements de santé afin de permettre une réelle
écoute des patient·e·s, de leur histoire et de leurs besoins. L’ensemble
du système de soins doit mettre en place les conditions nécessaires
à des soins respectueux et assurer que les financements adéquats
soient alloués aux établissements de santé afin de permettre un
accueil digne et respectueux.
67. Je ne souhaite bien évidemment pas attaquer une profession
mais amener à réfléchir au poids des habitudes dans les pratiques
médicales. Les formations du personnel de santé devraient inclure,
si cela n’est pas encore le cas, des cours spécifiquement dédiés
à la relation entre médecin et patient·e, la notion de consentement,
l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accueil des personnes
LGBTI et des personnes vulnérables, la prévention du sexisme et
des violences.
68. L’OMS a publié des recommandations sur les soins intrapartum
pour une expérience positive de l’accouchement
en 2018 selon lesquelles aucune
intervention ne doit être entreprise sans indication médicale claire.
Le recours systématique ou trop fréquent à l’épisiotomie n’est pas
recommandé pour les femmes qui accouchent par voie basse normale.
L’expression abdominale pour faciliter l’accouchement pendant le
travail n’est pas recommandée non plus. L’OMS indique clairement
que toutes les femmes ont droit à une expérience positive de l’accouchement
et notamment le respect et la dignité, le soutien de la personne de
leur choix, une communication claire du personnel de la maternité,
des stratégies de soulagement de la douleur et la mobilité pendant
l’accouchement et une position de naissance choisie.
69. Certains protocoles de soins peuvent être perçus ou vécus
comme étant violents. Leur respect strict et non flexible peut amener
des médecins à avoir des pratiques pouvant être perçues comme brutales.
La décision d’effectuer une césarienne d’urgence peut se prendre
très rapidement afin de sauver des vies mais celle-ci peut être
mal vécue par la patiente. Informer les patientes dans la mesure
du possible, expliquer les protocoles et adopter une approche humaine
des soins pourraient amener des changements de pratiques.
70. Les normes sanctionnant les violences gynécologiques et obstétricales
ne sont pas encore établies d’une manière générale. Il faudrait
par conséquent appeler à l’élaboration de telles normes. Les ordres
de médecins devraient mettre en place des mécanismes de sanction
pour les médecins n’ayant pas une attitude respectueuse de leurs
patient·e·s. De même, les propos et attitudes sexistes du corps
soignant devraient être clairement interdites et sanctionnées, comme
cela devrait être le cas pour tous les métiers.
71. Des mécanismes simplifiés de dépôt de plainte au sein des
hôpitaux et en dehors devraient être accessibles et garantir la
protection des victimes. Elles peuvent porter plainte pour défaut
d’information, défaut de consentement, une pratique abusive de l’expression
abdominale ou de l’épisiotomie.
72. De nombreuses femmes victimes de telles violences ne le réalisent
pas. Des campagnes d’information, de prévention et de sensibilisation
devraient être menées afin d’alerter l’opinion publique sur ces
risques et faits et d’encourager les victimes de violences à porter
plainte. Une libération continue de la parole sur les violences
gynécologiques et obstétricales fera évoluer les pratiques.
73. L’échange de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte
et de la prévention des violences gynécologiques et obstétricales
devrait être encouragé. L’accès à l’information devrait également
être assuré. Certes, des moyens financiers sont nécessaires afin
d’éviter des violences dites structurelles, mais un changement des
mentalités et une promotion active de l’égalité de genre dès le
plus jeune âge, et lors des études de médecine notamment, pourrait
appeler à une réflexion sur les pratiques médicales et contribuer
à faire évoluer les mentalités et à prévenir des violences.
8. Conclusions
74. Les violences gynécologiques
et obstétricales sont révélatrices d’une inégalité de genre profondément ancrée
dans nos sociétés. La parole des femmes n’est pas écoutée, elle
est même considérée comme étant de moindre importance. Les femmes
ne seraient plus pleinement actrices de leur accouchement mais guidées par
leurs émotions, fragiles et incapables de prendre des décisions
raisonnables. Ces violences nous démontrent que les stéréotypes
de genre ont des conséquences non seulement sur la place des femmes
dans la société mais aussi dans l’accès aux soins et aux traitements.
Selon Danièle Bousquet, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité
entre les femmes et les hommes, ces violences révèlent une volonté
d’emprise sur le corps des femmes. Il est temps d’intensifier nos
efforts pour la promotion de l’égalité de genre dans tous les domaines
afin de mettre fin à de telles pratiques.
75. Les femmes victimes de violences gynécologiques et obstétricales
sont victimes à la fois d’une domination patriarcale et d’une domination
institutionnelle. Cependant, ces violences ne sont pas inéluctables et
il est possible de les prévenir. Les pratiques médicales sont perçues
par certaines patientes comme étant déshumanisées. Un accompagnement
humain des patientes, lors de consultations, d’un suivi pour maladie
ou lors d’un accouchement devrait être la norme. Je tiens à souligner
que le personnel soignant ne devrait pas être stigmatisé mais accompagné,
formé et soutenu afin de pouvoir garantir un accueil et un traitement
digne et bienveillant des patient·e·s et des parturientes. Le poids
des habitudes, des gestes techniques effectuées mécaniquement, des
automatismes et un manque de personnel et de moyens peuvent avoir
des conséquentes négatives sur les patient·e·s.
76. Prendre le temps d’écouter les femmes, de respecter leurs
choix et de les informer sont des éléments essentiels de la prévention
des violences gynécologiques et obstétricales. Nous devons nous
mobiliser afin de garantir que les femmes puissent disposer de leurs
corps, être actrices de leur accouchement et vivre dans une égalité
réelle, libres de toute violence et de tout stéréotype. Il ne s’agit
pas d’une question purement technique, mais bien d’une question
de respect des droits humains, pour laquelle un engagement politique
est utile.