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Résolution 2311 (2019)
Droits de l’homme et entreprises: quelles suites donner à la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres?
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
sa Résolution 1757 (2010) et
sa Recommandation 1936
(2010) «Droits de l’homme et entreprises», ainsi que
sa Résolution 1993 (2014) «Un
travail décent pour tous» et sa Recommandation 2123 (2018) «Renforcer
la réglementation internationale interdisant le commerce des biens utilisés
pour la torture et la peine de mort».
2. L’Assemblée note que les entreprises transnationales ou multinationales
sont de plus en plus influentes. Elles peuvent être bénéfiques pour
la société et contribuer à la réalisation des droits humains, par
exemple en garantissant une approche fondée sur des valeurs et des
principes dans leurs affaires, et en fonctionnant de manière à assumer
leurs responsabilités fondamentales dans les domaines des droits
humains, du travail, de l’environnement et de la lutte contre la
corruption, ainsi qu’en créant des emplois et en payant des impôts. Cependant,
elles peuvent aussi être impliquées dans des violations des droits
humains, telles que des conditions de travail dangereuses ou qui
relèvent de l’exploitation, le travail forcé et le travail des enfants,
la pollution, la discrimination à l’emploi et la surveillance de
leurs salariés sur le lieu de travail. De nombreuses atteintes présumées
aux droits humains dans lesquelles sont impliquées des entreprises
se produisent dans des pays tiers, surtout hors d’Europe, ce qui
rend l’accès aux voies de recours très compliqué pour les victimes. Toutefois,
des enfants ou des ressortissants étrangers (européens ou non),
par exemple, sont aussi exploités au sein même de l’Europe (y compris
en tant que victimes de la traite), ce qui nécessite une vigilance
et une protection accrues de la part des autorités nationales compétentes.
3. Le Conseil de l’Europe a adopté un certain nombre de conventions
portant sur un vaste éventail de questions directement pertinentes
pour les activités des entreprises, telles que les droits sociaux
et économiques, la bioéthique, la société de l’information, les
droits de l’enfant, la lutte contre la corruption et contre la traite
des êtres humains. Par ailleurs, bien que la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention») ne permette pas à un individu alléguant une violation
de ses droits par une société de droit privé d’introduire une requête
contre cette société devant la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour»), cette dernière a admis que la Convention peut produire
dans certains cas des effets directs entre des parties privées,
en particulier si l’État partie à la Convention n’honore pas ses
«obligations positives».
4. Au cours des dernières décennies, les tentatives visant à
définir les responsabilités des entreprises dans le domaine de la
protection des droits de l’homme se sont principalement appuyées
sur la notion de «responsabilité sociale des entreprises» et sur
une démarche volontaire. Néanmoins, bien que la protection des droits
de l’homme incombe en premier lieu aux États et bien qu’il n’y ait
toujours pas d’instrument juridiquement contraignant sur la responsabilité
des entreprises à l’égard des violations des droits de l’homme, il
est aujourd’hui largement admis que les entreprises ont des responsabilités
dans ce domaine.
5. L’Assemblée observe que les «Principes directeurs des Nations
Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme – Mise en
œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer”» («les
Principes directeurs des Nations Unies»), approuvés par le Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies en 2011, ont marqué une
avancée considérable à cet égard. Cet ensemble de lignes directrices
à l’intention des États et des entreprises constitue la première
référence universellement reconnue en la matière. Ces principes
se fondent sur trois piliers: l’obligation de l’État de protéger
les droits de l’homme, la responsabilité des entreprises de respecter
les droits de l’homme et le droit des victimes d’accéder à des voies
de recours effectives.
6. L’Assemblée constate que, peu de temps après l’adoption des
Principes directeurs des Nations Unies, les États ont été encouragés
à élaborer des plans d’action pour leur mise en œuvre au niveau
national (plans d’action nationaux – PAN). Ces documents politiques
définissent les priorités et les mesures que les États prennent
pour se conformer aux normes internationales et nationales relatives
aux entreprises et aux droits de l’homme. L’Assemblée observe que
18 États membres du Conseil de l’Europe seulement ont établi des
PAN (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande,
Italie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République
tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et Suisse); la quasi-totalité
de ces États sont membres de l’Union européenne.
7. L’Assemblée se félicite de l’adoption le 2 mars 2016 de la
Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits
de l’homme et les entreprises, et souligne l’importance de son rôle
dans l’incitation des États membres du Conseil de l’Europe à mettre
en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies au niveau régional.
Elle salue le fait que certains États membres du Conseil de l’Europe
– principalement des États membres de l’Union européenne – aient
adopté des mesures globales pour appliquer cette recommandation,
y compris des mesures législatives imposant l’obligation de mettre
en œuvre des procédures de diligence raisonnable en matière de droits
de l’homme dans les entreprises.
8. Par conséquent, l’Assemblée exhorte les États membres du Conseil
de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre
en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies et la Recommandation CM/Rec(2016)3
sur les droits de l’homme et les entreprises, et en particulier:
8.1. à élaborer des PAN, si ce n’est
pas déjà fait, et à les évaluer et les mettre à jour régulièrement dans
le cadre d’un processus transparent et en concertation avec les
entreprises, les organisations d’entreprises, les syndicats, les
organisations non gouvernementales, les institutions nationales
de défense des droits de l’homme et les autres parties prenantes
concernées;
8.2. à mettre en commun leurs PAN et leurs bonnes pratiques
relatives à la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations
Unies et de la Recommandation CM/Rec(2016)3 avec les autres États membres
du Conseil de l’Europe, notamment par l’intermédiaire du système
d’information partagée en cours de développement au sein du Conseil
de l’Europe;
8.3. à assurer la traduction et une large diffusion de ces
deux instruments, ainsi que de la Charte sociale européenne (STE
no 35 et no 163),
en particulier auprès des autorités nationales, des organismes étatiques
et des entreprises;
8.4. à réexaminer leur législation, leurs pratiques et leurs
politiques nationales pour s’assurer de leur conformité avec les
exigences qui découlent de ces deux instruments; ce faisant, les
parlements et les gouvernements nationaux devraient porter une attention
particulière:
8.4.1. à la responsabilité de l’État dans
le cadre de ses activités commerciales, y compris sa responsabilité
à l’égard des organismes publics et des entreprises détenues ou
contrôlées par l’État, ainsi que dans le cadre du soutien qu’il
accorde à certaines entreprises et de la privatisation de certains
services publics;
8.4.2. aux risques éventuels de violations des droits de l’homme
commises par des entreprises à l’étranger;
8.4.3. aux risques éventuels de violations des droits de l’homme
commises par des entreprises ayant des activités dans les zones
touchées par les conflits;
8.4.4. à la nécessité d’adopter une législation sur la responsabilité
des entreprises pour leurs activités préjudiciables aux droits de
l’homme, en particulier en élaborant des procédures de diligence
raisonnable en matière de droits de l’homme pour les entreprises;
8.4.5. à la nécessité de prévoir des voies de recours judiciaires
(civils, pénaux et administratifs) et extrajudiciaires pour les
victimes de violation des droits de l’homme commises par les entreprises;
8.4.6. aux risques liés au genre et aux besoins des individus
ou groupes vulnérables ou marginalisés (comme les travailleurs migrants,
les enfants, les peuples autochtones, les minorités, les personnes
handicapées et les défenseurs des droits de l’homme);
8.4.7. à la nécessité de fournir des informations, des formations
et des ateliers appropriés sur les questions relatives aux droits
de l’homme dans les pays tiers aux entreprises qui souhaitent exercer
des activités dans ces pays et au personnel diplomatique et consulaire
qui s’y trouve affecté;
8.5. à renforcer, en se fondant sur les instruments juridiques
susmentionnés et sur la Charte sociale européenne, les pouvoirs
et la capacité des inspections du travail pour détecter les cas
de violation des droits humains et enquêter à leur sujet au niveau
national, afin de mieux protéger les groupes de population vulnérables
des traitements inhumains et dégradants, des violences, du travail
forcé et de l’exploitation.
9. Conformément à sa Recommandation
2123 (2018), l’Assemblée appelle les États membres du
Conseil de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires pour
interdire aux entreprises domiciliées dans leur juridiction de faire
commerce de biens n’ayant aucune autre utilité pratique que celle
d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, et pour réglementer le commerce de
biens susceptibles d’être détournés à ces fins.
10. En outre, l’Assemblée invite les États membres du Conseil
de l’Europe à soutenir l’adoption de l’instrument juridiquement
contraignant relatif aux activités des entreprises et aux droits
de l’homme, en cours d’examen par le Groupe intergouvernemental
à composition non limitée sur les entreprises et les droits de l’homme
des Nations Unies.
11. L’Assemblée appelle aussi les États membres du Conseil de
l’Europe à renforcer leur coopération avec les autres organisations
internationales, en particulier les Nations Unies, l’Organisation
internationale du travail (OIT), l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) et l’Union européenne, en vue
de consolider des normes cohérentes relatives aux responsabilités
des entreprises dans le domaine de la protection des droits de l’homme
et de promouvoir la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies.
Plus précisément, il importe que les États membres continuent de
soutenir l’action des Nations Unies et de son Groupe de travail
sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales
et autres entreprises.