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Résolution 2313 (2019)

Le rôle de l’éducation à l’ère numérique: des «natifs du numérique» aux «citoyens numériques»

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 29 novembre 2019 (voir Doc. 15000, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Constantinos Efstathiou).Voir également la Recommandation 2167 (2019).

1. Le XXIe siècle a besoin de systèmes éducatifs qui favorisent les aptitudes et compétences du futur, notamment la créativité, la pensée critique, la collaboration et la communication, et qui répondent à la demande d’innovation et de croissance économiques de l’Europe, au besoin d’adaptabilité des marchés du travail et aux nécessités de la société dans son ensemble.
2. La technologie numérique offre des possibilités sans précédent pour compléter, enrichir et transformer l’éducation afin de lui permettre de relever ces nouveaux défis. De plus, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont un des outils essentiels pour faciliter l’accès équitable et inclusif à l’éducation, réduire les inégalités dans l’apprentissage, ouvrir de nouvelles perspectives aux enseignants et à leur profession, renforcer la qualité et le sens de l’apprentissage, et améliorer l’administration et la gouvernance de l’éducation.
3. Dans toute l’Europe, les systèmes éducatifs sont cependant lents à s’adapter à cette nouvelle donne. Actuellement, on estime que les compétences numériques d’environ 44 % des adultes des pays de l’Union européenne sont insuffisantes et que près de 20 % n’ont aucune compétence dans ce domaine. Moins de la moitié des enfants sont aujourd’hui scolarisés dans des établissements disposant d’équipements numériques et seulement 20 à 25 % des élèves ont des enseignants qui se pensent aptes à utiliser ces technologies en classe. Le fossé est encore plus grand à l’échelle de l’ensemble du Conseil de l’Europe.
4. S’ils ont une bonne maîtrise des outils high-tech et des réseaux sociaux dans leurs usages informels, les enfants du numérique n’apprennent pas nécessairement à faire un usage systématique des TIC en milieu scolaire ou universitaire. À ce jour, 50 à 80 % des élèves n’ont jamais utilisé de livre numérique, de logiciel d’apprentissage ou de jeu éducatif.
5. L’apprentissage des compétences numériques débute à l’école, mais une grande partie des écoles ne sont pas connectées. L’un des objectifs du projet d’espace européen de l’éducation lancé par l’Union européenne est de faire en sorte que toutes les écoles des pays de l’Union aient accès, d’ici à 2025, à des réseaux à haut débit grâce à un soutien financier adapté. D’autres États, membres du Conseil de l’Europe, ne bénéficient pas de structures et de ressources similaires pour les soutenir. L’Assemblée parlementaire craint que ces disparités substantielles créent de nouvelles fractures sociales au sein même des pays européens et entre eux.
6. De nombreux pays extérieurs à l’Union européenne ont réalisé de lourds investissements en TIC pour équiper leurs écoles. L’Assemblée rappelle toutefois qu’investir dans ces technologies sans les intégrer intelligemment aux processus d’enseignement et d’apprentissage ne produira pas les transformations de l’éducation désirées. Un changement total de paradigme s’impose pour recentrer l’instruction sur la création des connaissances plutôt que sur leur transmission et sur le processus d’apprentissage par les élèves plutôt que sur celui de l’enseignement par les professeurs. Ce changement de paradigme devrait s’accompagner d’objectifs stratégiques correctement définis, d’une autonomie renforcée des écoles et des enseignants, de l’introduction de nouvelles formes hybrides d’apprentissage caractérisées par la fusion des espaces d’apprentissage physiques, sociaux, virtuels, numériques et mobiles, ainsi que de réformes substantielles de l’évaluation des élèves.
7. Dans ce processus, les jeunes doivent être dotés des aptitudes et compétences nécessaires pour devenir des acteurs efficaces et responsables dans un monde où le numérique est de plus en plus présent. L’Assemblée salue les institutions de l’Union européenne pour leur action dans ce domaine et, en particulier, pour l’adoption, en 2018, du Plan d’action de la Commission européenne en matière d’éducation numérique et pour l’élaboration des Cadres de référence des compétences numériques détaillés pour les citoyens et pour les éducateurs, qui offrent, à eux deux, un modèle de référence très complet pour promouvoir de manière systématique les compétences numériques.
8. L’acquisition des aptitudes numériques doit commencer dès le plus jeune âge et se poursuivre tout au long de la vie. L’apprentissage de la robotique, du codage, de la cybersécurité, de la technologie de la chaîne de blocs et de l’intelligence artificielle constituera la colonne vertébrale des futurs programmes d’enseignement et de formation. Un apprentissage actif fondé sur la résolution de problèmes et couvrant diverses disciplines favorisera la créativité et l’innovation. L’Assemblée souligne qu’il est urgent de fixer un niveau minimal de compétences numériques à atteindre au cours des études et les critères qui permettront d’évaluer ces compétences. À cet égard, l’Assemblée salue les Lignes directrices du Conseil de l'Europe relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique, qui donnent des orientations complètes en la matière, notamment concernant la promotion et le développement de la culture numérique, y compris la maîtrise des médias et de l’information, et l’éducation à la citoyenneté numérique.
9. Alors qu’une proportion identique de jeunes femmes et de jeunes hommes se sentent suffisamment à l’aise dans leur usage quotidien des technologies numériques, l’Assemblée regrette qu’il y ait encore un déficit considérable de représentation des jeunes femmes dans les études et les carrières en relation avec les TIC et les études et carrières en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). L’Assemblée rappelle sa Résolution 2235 (2018) «L’autonomisation des femmes dans l’économie», qui souligne que des efforts supplémentaires devraient être faits pour renforcer l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les filles, et pour encourager les jeunes femmes à s’engager dans des professions techniques, afin de libérer le potentiel numérique de l’Europe et de faire en sorte que les femmes influent à parts égales pour façonner le monde numérique.
10. La transformation numérique entraîne de nombreux problèmes de sécurité en ligne et de cyberhygiène. Les enfants du numérique sont particulièrement vulnérables à de nombreux dangers; ils sont notamment, mais pas exclusivement, exposés aux risques suivants: l’exploitation et les abus sexuels, la cyberintimidation et le cyberharcèlement, l’endoctrinement, les menaces pour la cybersécurité et la fraude. Ils doivent être formés à la pensée critique et à la connaissance des médias. C’est le rôle des systèmes éducatifs, des médias et d’autres parties prenantes de les aider à devenir des citoyens et des acteurs numériques compétents et responsables, à la fois dans l’économie numérique et dans la société numérique. À cet égard, l’Assemblée salue le projet d’éducation à la citoyenneté numérique du Conseil de l’Europe, qui dispense des compétences les aidant à s’engager de manière positive et critique dans l’environnement numérique.
11. L’Assemblée est consciente que l’usage excessif des équipements numériques et informatiques peut causer des problèmes de santé et des comportements nuisibles au bien-être, comme la privation de sommeil, la sédentarité et l’addiction. Il est donc particulièrement important d’équilibrer, dans la conception des programmes, l’usage quotidien des équipements technologiques et informatiques en classe avec une pratique suffisante d’exercices et d’activités physiques. De même, dans l’approche de l’éducation centrée sur l’apprenant, il est vital de favoriser le travail d’équipe et les contacts personnels entre élèves et enseignants, et de donner la priorité au bien-être et à la santé dans le développement des enfants et des adolescents.
12. Pour une transformation réussie de l’éducation, les enseignants, les éducateurs et les responsables des établissements scolaires doivent recevoir une formation et une assistance adaptées. Leur formation devrait se faire à deux niveaux: la formation aux TIC, afin qu’ils puissent transmettre efficacement les compétences numériques à leurs élèves, et la formation à l’intégration des TIC dans les méthodes d’enseignement afin que la technologie numérique ne soit pas seulement un objectif, mais aussi un vecteur d’enseignement dans toutes les matières. Les gouvernements doivent trouver les moyens d’investir de manière adaptée et durable dans la formation initiale des enseignants et leur perfectionnement dans la pratique courante. Des enseignants compétents, à l’aise avec le numérique et motivés, travaillant dans un environnement propice aux réformes, sont les meilleurs garants d’environnements d’apprentissage innovateurs et motivants. À cet effet, il faut que les enseignants soient véritablement associés à la conception et au développement des programmes, qu’ils disposent de l’autonomie nécessaire pour choisir et varier les méthodes d’enseignement, les approches pédagogiques, la sélection des supports d’apprentissage et les méthodes d’évaluation.
13. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à prendre en considération, lors de la conception des politiques d’éducation et de développement des compétences en matière numérique, les préoccupations et principes exposés ci-dessus, parallèlement à ceux mentionnés dans la Recommandation CM/Rec(2019)10 du Comité des Ministres aux États membres visant à développer et à promouvoir l’éducation à la citoyenneté numérique, et:
13.1.1. dans la Déclaration de Qingdao «Saisir les opportunités du numérique, piloter la transformation de l’éducation», signée par tous les États membres de l’UNESCO en 2015;
13.1.2. dans les récents documents d’orientation de l’Union européenne, en particulier dans la Recommandation du Conseil du 22 mai 2018 relative aux compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, et les conclusions du Conseil de la même date («Concrétiser l’idée d’un espace européen de l’éducation»), les communications de la Commission européenne concernant le plan d’action en matière d’éducation numérique (COM/2018/0022), et «Améliorer et moderniser l’enseignement» (COM/2016/0941), et sa communication «Une nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe» (COM/2016/0381), son rapport “DigComp 2.1: The digital competence framework for citizens”, la Résolution du 12 juin 2018 du Parlement européen sur la modernisation de l’enseignement dans l’Union européenne et le rapport de la commission de la culture et de l’éducation sur l’éducation à l’ère numérique: défis, possibilités et enseignements à tirer pour la définition des politiques de l’Union;
13.1.3. dans les rapports du Conseil de l’Europe L’éducation à la citoyenneté numérique (volume I: Aperçu et nouvelles perspectives et volume II: Rapport de consultation multipartite);
13.1.4. dans le Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie, du Conseil de l’Europe;
13.1.5. dans les Lignes directrices du Conseil de l'Europe relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique;
13.2. à élaborer et à mettre en œuvre des politiques complémentaires pour combattre l’exclusion numérique, et à s’assurer que ces politiques atteignent tous les groupes de population, en particulier les plus vulnérables;
13.3. à revoir le rôle des enseignants et des éducateurs dans la société, en leur offrant des possibilités de développement et de formations initiale et continue en interne, pour améliorer leurs compétences numériques afin que les technologies numériques puissent être intégrées à des processus d’apprentissage qui aient du sens sur le plan pédagogique, en enrichissant les processus et en permettant de nouvelles solutions pédagogiques qui soient motivantes également pour les enseignants;
13.4. à accorder une plus grande autonomie aux écoles pour qu’elles développent de nouvelles méthodes d’apprentissage qui puissent être testées et adaptées à divers nouveaux environnements, car l’Europe du futur a besoin de créativité, pas d’uniformisation;
13.5. à investir dans les équipements informatiques et les ressources numériques favorisant l’apprentissage, y compris le matériel, les logiciels, la connectivité et un débit adéquat;
13.6. à poursuivre l’intégration de l’éducation à la citoyenneté numérique dans l’éducation formelle et non formelle telle que définie dans le projet sur l’éducation à la citoyenneté numérique du Conseil de l’Europe;
13.7. à intensifier le dialogue et la coopération entre le gouvernement, les institutions éducatives, de formation et de recherche, les collectivités locales et les entreprises, notamment pour le développement de contenus, sans occulter les risques d’une commercialisation excessive des contenus éducatifs;
13.8. à partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques, dans le cadre des divers forums internationaux.
14. L’Assemblée reconnaît le rôle moteur joué par l’Union européenne pour faire de l’éducation numérique une stratégie d’investissement pour l’avenir de l’Europe, qui favorise la croissance économique, l’employabilité, la compétitivité, l’innovation et la cohésion sociale. C’est un plan ambitieux pour assurer une éducation moderne et de qualité pour tous. Afin que personne ne soit laissé de côté dans ce processus et d’éviter de créer de nouvelles lignes de fracture dans les pays européens et entre eux, l’Assemblée invite instamment les institutions de l’Union européenne:
14.1. à envisager de faire du développement des compétences et aptitudes numériques et du soutien technique aux écoles un domaine prioritaire pour le financement de projets dans les pays non membres de l’Union européenne;
14.2. à élaborer une stratégie détaillée d’éducation numérique qui définisse les étapes vers une éducation et une formation formelles, non formelles et informelles renforcées, qui recense toutes les compétences et aptitudes numériques requises, qui donnent des orientations claires pour la formation des enseignants et qui développe une méthode harmonisée d’évaluation et de certification des compétences et des aptitudes numériques.
15. L’Assemblée salue le projet de l’OCDE de développer un module numérique pour Pisa 2024 afin de tester la capacité des étudiants à apprendre dans un monde numérique. Elle espère que ce nouveau module incorporera de nouveaux formats pour l’étalonnage et l’évaluation des aptitudes interdisciplinaires et complexes telles que la résolution de problèmes, la collaboration, la pensée critique et la créativité. Elle exhorte l’OCDE à développer davantage les plateformes en ligne d’apprentissage par les pairs qui peuvent faciliter l’échange direct de méthodes éducatives et des meilleures pratiques entre les praticiens du monde entier.