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Rapport | Doc. 15027 | 08 janvier 2020

Fixation de normes minimales pour les systèmes électoraux afin de créer une base pour des élections libres et équitables

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Rik DAEMS, Belgique, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14072, Renvoi 4222 du 24 juin 2016. 2020 - Commission permanente de septembre

Résumé

Les systèmes électoraux sont des outils clés de la démocratie représentative. Ils fixent les règles destinées à organiser les élections et à convertir les suffrages exprimés en mandats politiques et en sièges au parlement, et ont un impact important sur la représentativité, la légitimité et la confiance du public dans les institutions démocratiques.

Le rapport fournit une analyse comparative des différents systèmes électoraux en Europe et conclut que les différents systèmes n'offrent pas le même degré d’équité. Bien que les mécanismes constitutionnels et juridiques d’un système électoral puissent être conformes aux principes démocratiques, les résultats des élections ne le sont souvent pas, car les électeurs n'obtiennent pas l'élection des personnes pour lesquelles ils avaient voté. C'est l'une des raisons pour lesquelles le populisme et l'extrémisme gagnent du terrain.

Le rapport affirme en outre qu'une divergence entre les choix politiques des électeurs tels qu'exprimés lors des élections et la composition des institutions élues est un signe de déficit démocratique et met en cause l'équité du système électoral.

En conséquence, le rapport suggère d'inviter la Commission de Venise à réfléchir à l'établissement de normes minimales auxquelles les systèmes électoraux doivent se conformer pour être considérés comme garantissant non seulement des élections libres mais aussi des résultats équitables.

En outre, le rapport suggère d'envisager de mettre à jour le Code de bonne conduite en matière électorale de 2002 afin de suivre l'évolution des réalités politiques observées dans les sociétés européennes et de relever de nouveaux défis.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 décembre
2019.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire accorde une grande importance aux questions électorales et rappelle son intérêt permanent en la matière. Elle se réfère à ses précédents travaux dans ce domaine, en particulier la Résolution 2251 (2019) «Mise à jour des lignes directrices pour garantir des référendums équitables dans les États membres du Conseil de l'Europe», la Résolution 1897 (2012) «Garantir des élections plus démocratiques», la Résolution 1826 (2011) «Renforcement de la démocratie par l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans», la Résolution 1705 (2010) «Les seuils électoraux et autres aspects des systèmes électoraux ayant une incidence sur la représentativité des parlements dans les États membres du Conseil de l’Europe», la Résolution 1590 (2007) «Vote à bulletin secret – Code de bonne conduite européen sur le vote à bulletin secret comprenant des lignes directrices pour les personnalités politiques, les observateurs et les électeurs», et la Résolution 1320 (2003) «Code de bonne conduite en matière électorale».
2. L’Assemblée attache une grande importance au rôle de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), principale instance d’experts du Conseil de l'Europe spécialisée dans les questions électorales, et à sa coopération de longue date avec cette dernière pour l'établissement de normes électorales en Europe.
3. L’Assemblée souligne tout particulièrement l'importance du Code de bonne conduite en matière électorale (2002) qui a été élaboré à son initiative et en étroite coopération avec elle. Les principes fondamentaux du patrimoine électoral européen sont résumés dans ce Code largement reconnu comme un document clé du Conseil de l’Europe, visant à promouvoir l’harmonisation des normes électorales et à servir de référence pour l’évaluation des élections.
4. Des élections libres et équitables constituent le fondement même d'un gouvernement démocratique et la pierre angulaire de la démocratie représentative. En élisant, en leur sein, des représentants aux organes de gouvernance, les citoyens exercent leur droit d'être représentés dans le processus décisionnel politique.
5. La légitimité d'un système démocratique dépend de la confiance du public dans le fait que tous les électeurs, quelles que soient leurs préférences politiques, ont un accès égal aux organes décisionnels et y sont équitablement représentés, et que la composition de ces derniers reflète dûment le spectre politique de la société.
6. Le système électoral, en tant qu’ensemble de règles conçues pour organiser les élections et convertir les suffrages en mandats politiques et en sièges au parlement et dans d’autres organes élus, représente l’un des éléments les plus fondamentaux de la démocratie représentative. Il a une forte incidence sur la représentativité, la légitimité et la confiance du public dans les institutions démocratiques.
7. Il existe en Europe une grande variété de systèmes électoraux, tant sur le plan de la législation que de la mise en œuvre pratique, héritée d’histoires, de cultures et de traditions politiques différentes. Chaque pays dispose d’un système électoral qui repose sur un consensus entre les acteurs politiques et la société dans son ensemble. Les systèmes électoraux de différents pays s’appuient sur des principes politiques divers et produisent des résultats qui varient en termes de représentativité et de gouvernabilité.
8. Dans ce contexte, l'Assemblée note que les différents systèmes électoraux n'offrent pas le même degré d'équité lorsqu'il s'agit de convertir les suffrages en mandats politiques et en sièges au parlement. Elle est préoccupée par le fait que dans certains systèmes électoraux, même si les règles juridiques sont respectées, une grande partie des électeurs n’est pas représentée dans les institutions élues ou ne voit pas au parlement les candidats pour lesquels elle a voté. A l’inverse, certains systèmes offrent aux partis vainqueurs des majorités parlementaires qui dépassent largement le soutien réel dont ils bénéficient parmi les citoyens.
9. Cette incohérence entre légalité et légitimité sape la confiance du public dans le processus démocratique et crée un terrain fertile pour le populisme et l'extrémisme.
10. L’Assemblée considère que lorsqu’un système électoral ne parvient pas à empêcher un important décalage entre les choix politiques des électeurs tels qu’ils sont exprimés par les élections et la composition des institutions élues, c’est un signe de déficit démocratique et son équité est mise en doute.
11. Le Code de bonne conduite en matière électorale de 2002 définit les principes électoraux et précise que, dans le respect de ces principes, le choix du système électoral est libre. Cependant, le Code n’établit aucun critère spécifique obligatoire qu’un système électoral doit respecter pour être considéré comme équitable et démocratique.
12. En outre, l'Assemblée estime que près de 18 ans après son adoption, le Code de 2002 de bonne conduite en matière électorale doit être mis à jour afin de suivre l'évolution des réalités politiques observées dans nos sociétés et de relever de nouveaux défis, et également afin de prendre en compte les travaux et réflexions menés au sein de la Commission de Venise au fil des ans, y compris plus récemment dans le cadre de la mise à jour du Code de bonne pratique sur les référendums sur proposition de l’Assemblée.
13. L’Assemblée invite donc la Commission de Venise:
13.1. à réfléchir aux questions soulevées aux paragraphes 8, 9 et 10 ci-dessus et à examiner les moyens d'établir des normes minimales auxquelles les systèmes électoraux doivent se conformer pour être considérés comme garantissant non seulement des élections libres mais également l’équité des résultats qui en découlent;
13.2. à envisager la possibilité de mettre à jour le Code de bonne conduite en matière électorale en tenant compte, dans la mesure du possible, des résolutions pertinentes de l'Assemblée et de ses propres travaux sur des questions spécifiques liées à la conduite des élections, ainsi que de ses rapports et avis par pays, en particulier en ce qui concerne: le droit de vote des citoyens résidant à l’étranger; les candidatures indépendantes; les exigences en matière de participation; les seuils légaux; le classement des candidats sur les listes de partis; la participation équilibrée des femmes et hommes et la représentation égale des femmes.
14. En outre, l'Assemblée se félicite des travaux réalisés récemment par la Commission de Venise et la Direction de la société de l'information et de la lutte contre la criminalité du Conseil de l'Europe sur les technologies numériques et les élections et invite la Commission de Venise à rester attentive aux nouveaux phénomènes émergents susceptibles d'affecter le fonctionnement des systèmes électoraux et, in fine, la qualité du processus démocratique, tels que:
14.1. la transition vers la société de l’information et le rôle et l’influence sans précédent des réseaux sociaux;
14.2. l'utilisation abusive des médias traditionnels et sociaux pour diffuser des informations biaisées et de fausses informations;
14.3. la fluidité des paysages politiques nationaux avec l’émergence rapide de nouveaux visages et de nouveaux acteurs (mouvements et partis politiques, par exemple) au détriment d’une scène politique plus « traditionnelle »;
14.4. l’influence croissante des appareils bureaucratiques des partis qui tendent à primer sur le choix des électeurs;
14.5. les marges potentielles d’abus dans l’utilisation de la publicité politique.
15. Enfin, l'Assemblée décide de continuer à suivre de près, en coopération avec la Commission de Venise, les questions électorales, tant en ce qui concerne l'établissement que le respect des normes internationales pertinentes dans ce domaine.

B. Exposé des motifs par M. Hendrik Daems, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En mai 2016, j'ai déposé une proposition de résolution sur la fixation de normes minimales pour les systèmes électoraux afin de créer une base pour des élections libres et équitables que l'Assemblée a renvoyée à notre commission pour rapport.
2. La proposition de résolution rappelle que la construction, la protection et le renforcement de la démocratie sont au cœur de la mission du Conseil de l'Europe et que les systèmes électoraux sont des instruments essentiels pour pratiquer une démocratie représentative. Elle plaide pour un aperçu comparatif structuré des différents systèmes électoraux en Europe, ce qui permettrait de déterminer des normes fondamentales du Conseil de l'Europe dans ce domaine.
3. Mme Elena Centemero (Italie, PPE/DC) a été désignée rapporteure en octobre 2016. Sous ses auspices, la commission a tenu plusieurs échanges de vues sur la question et a organisé deux auditions d'experts. En janvier 2017, M. Gianni Buquicchio, président de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), a informé notre commission des activités en matière électorale de la Commission de Venise. M. Michael Krennerich, un expert de renommée internationale, a malheureusement dû annuler sa participation, non sans nous avoir malgré tout fourni une précieuse contribution écrite. En avril 2017, nous avons tenu une audition conjointe avec la commission sur l’égalité et la non-discrimination, avec la participation de M. Florian Grotz, titulaire de la chaire de politique comparée de l’Institut des sciences politiques à l’université Helmut Schmidt de Hambourg, Mme Marilisa D’Amico, professeur de droit constitutionnel à l’université de Milan, et Mme Ana Rusu, conseillère électorale principale, Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE.
4. Toutefois, Mme Centemero a perdu son siège parlementaire lors des élections générales du 4 mars 2018 en Italie et n'a pas pu finaliser son rapport. Néanmoins, afin de ne pas perdre le travail effectué jusqu’à présent par la commission et la rapporteure, la présidente de la commission a présenté, en son nom propre, la note introductive préparée par Mme Centemero, le 26 juin 2018.
5. Le 11 septembre 2018, la commission m'a désigné pour finaliser le rapport.
6. À mon avis, la note introductive préparée par Mme Centemero fournit des informations générales utiles sur la question, notamment une analyse comparative des différents systèmes électoraux en Europe et un aperçu des problèmes qui peuvent avoir un impact sur le bon fonctionnement d'un système électoral. J'ai donc décidé de conserver ces éléments utiles dans mon rapport final.
7. Toutefois, je crains de ne pouvoir souscrire à l'une des principales affirmations contenues dans le rapport de Mme Centemero à propos des conclusions de la Commission de Venise, à savoir «... aucun des systèmes électoraux en vigueur dans les États membres du Conseil de l'Europe n'est intrinsèquement antidémocratique en soi...».
8. À mon avis, les divers systèmes électoraux ne sont pas démocratiques au même degré. Certains systèmes, plus que d'autres, assurent une meilleure corrélation entre la volonté des électeurs et le résultat du vote traduit dans la composition d'un organe élu. Bien que les mécanismes constitutionnels et juridiques des systèmes électoraux puissent être conformes aux normes démocratiques, les résultats ne le sont souvent pas, car les électeurs n'obtiennent pas l'élection des personnes pour lesquelles ils avaient voté. C'est l'une des raisons pour lesquelles le populisme et l'extrémisme gagnent du terrain.
9. J'ai fait part de ces préoccupations à la commission le 11 avril 2019. Certains collègues sont convenus que, même si les élections confèrent une légitimité à la démocratie, certains systèmes électoraux et des éléments fondamentaux de la démocratie représentative sont remis en question dans un certain nombre de pays.
10. À cette occasion, un de nos collègues, Lord George Foulkes (Royaume-Uni, SOC), s'est demandé si je pouvais présenter la modélisation des différents résultats possibles en utilisant différents systèmes dans un pays donné.
11. Le 14 novembre 2019, j'ai présenté à la commission la conclusion d'une étude comparant les résultats réels des dernières élections au Parlement flamand (juin 2019) aux résultats qui seraient obtenus si les sièges étaient répartis selon différents systèmes électoraux (voir annexe). Auparavant, le 30 septembre, j'avais partagé les résultats de cette étude avec M. Gianni Buquicchio, Président de la Commission de Venise, lors d'une réunion à Strasbourg. L'étude montre clairement que le choix d'un système électoral a un fort impact sur la répartition des sièges et, par conséquent, sur la représentativité d'un organe élu, ce qui peut soulever des questions sur l'équité des élections et, plus généralement, affaiblir la confiance du public dans le processus démocratique.

2. Les activités du Conseil de l'Europe dans le domaine électoral

12. L’Assemblée et la Commission de Venise attachent toutes deux une grande importance aux questions liées aux élections. Je mentionnerai notamment les textes suivants de l’Assemblée: la Résolution 1897 (2012) «Garantir des élections plus démocratiques», la Résolution 1826 (2011) «Renforcement de la démocratie par l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans», la Résolution 1705 (2010) «Les seuils électoraux et autres aspects des systèmes électoraux ayant une incidence sur la représentativité des parlements dans les États membres du Conseil de l’Europe», la Résolution 1590 (2007) «Vote à bulletin secret – Code de bonne conduite européen sur le vote à bulletin secret comprenant des lignes directrices pour les personnalités politiques, les observateurs et les électeurs» et la Résolution 1320 (2003) «Code de bonne conduite en matière électorale». Plus récemment, l'Assemblée a adopté la Résolution 2251 (2019) «Mise à jour des lignes directrices pour garantir des référendums équitables dans les États membres du Conseil de l'Europe».
13. En ce qui concerne le travail de la Commission de Venise, il convient de mentionner deux documents de référence: le Code de bonne conduite en matière électorale (2002) et le Code de bonne conduite en matière référendaire (2007). Le premier est particulièrement pertinent au regard du présent rapport. Il a été préparé par la Commission de Venise en étroite coopération avec l'Assemblée et a reçu son approbation dans la Résolution 1320 (2003) susmentionnée. Il a également été soutenu par une déclaration solennelle du Comité des Ministres en mai 2004 et jouit donc d'un statut particulièrement important.
14. Parmi les autres études pertinentes de la Commission de Venise, on peut citer les rapports suivants: Systèmes électoraux – Tableau de l’offre et critères de choix (2003); Droit électoral et administration des élections en Europe – Étude de synthèse sur certains défis et problèmes récurrents (2006); Quorums et autres aspects des systèmes électoraux restreignant l’accès au parlement (2008 et 2010); Impact des systèmes électoraux sur la représentation des femmes en politique (2009); Systèmes électoraux proportionnels: l’attribution des sièges à l’intérieur des listes (listes ouvertes/bloquées) (2015); et Délimitation des circonscriptions et répartition des sièges (2017). De plus, la Commission de Venise a produit, le plus souvent en collaboration avec le BIDDH de l’OSCE, des dizaines d’études et d’avis portant sur la législation et la pratique électorales de pays spécifiques.
15. Les résolutions de l’Assemblée et les rapports de la Commission de Venise mentionnés ci-dessus fournissent une analyse comparative détaillée des différents systèmes électoraux et définissent l’ensemble des normes communes du Conseil de l’Europe en matière électorale. Toutefois, ces normes ne tiennent pas compte du fait mentionné au paragraphe 8 ci-dessus, à savoir que certains systèmes ne traduisent pas correctement la volonté des électeurs dans la composition d'un organe élu. En outre, le document normatif clé, à savoir le Code de bonne conduite en matière électorale, a été élaboré il y a plus de 17 ans et pourrait donc nécessiter une mise à jour afin de tenir compte des derniers développements d’une pratique électorale européenne en constante évolution.
16. Je considère par conséquent le présent rapport comme l’occasion, d’une part, de rappeler la diversité des systèmes électoraux existants en Europe en résumant, sans entrer dans les détails, leurs avantages et inconvénients respectifs et, d’autre part, de plaider en faveur de l’élaboration de normes minimales applicables à ces systèmes afin de pouvoir disposer des conditions nécessaires à des élections libres et équitables. En outre, j'ai l'intention de mettre l’accent sur d'autres éléments devant être pris en compte pour assurer le bon fonctionnement de tout système électoral. En réalité, je pense qu’au sein de certains systèmes électoraux de nombreux éléments peuvent être considérés comme non démocratiques car ils vont à l'encontre de règles du jeu équitables entre les candidats.
17. Soulignons d’emblée que le choix d’un système électoral spécifique relève d’une décision souveraine des autorités politiques de chaque pays. Citons à ce propos un extrait de la Résolution 1705 (2010): « […] Il n’y a pas de système électoral unique pouvant servir de modèle à tous les pays. Le choix dépend de plusieurs facteurs, notamment du milieu historique et du système politique et de partis.» (paragraphe 7). L’élaboration de normes minimales communes aux systèmes électoraux comporte donc des limites et ne saurait être interprétée comme une tentative de recommander un système comme le meilleur ou de l’imposer à un pays donné.

3. Les systèmes électoraux au cœur de la démocratie représentative

3.1. Conversion des suffrages en mandats politiques et en sièges au parlement

18. La démocratie représentative est un système de gouvernement dans lequel les citoyens exercent leur pouvoir en élisant, en leur sein, des représentants aux organes de gouvernance. Les élections constituent par conséquent la base même de tout gouvernement démocratique. C’est pourquoi on s’accorde généralement à considérer que le système électoral, en tant qu’ensemble de règles conçues pour organiser les élections et convertir les suffrages en mandats politiques et en sièges au parlement, représente l’un des éléments les plus fondamentaux de la démocratie représentative.
19. Chaque système électoral consiste en un ensemble de règles régissant tous les aspects du processus: depuis le calendrier des élections jusqu’aux conditions auxquelles il faut répondre pour pouvoir voter ou se présenter comme candidat, en passant par le mode de scrutin, le dépouillement des bulletins, les limites des dépenses électorales et d’autres facteurs pouvant influer sur le résultat. Les modalités des élections politiques sont définies par la Constitution ou une loi électorale et leur respect contrôlé par une commission électorale. Le mode de scrutin peut en outre varier selon le type du mandat en cause.

3.2. Principales exigences pesant sur les systèmes électoraux: garantir la démocratie, la représentativité et la gouvernabilité

20. Pour servir de cadre à des élections véritablement démocratiques, chaque mode de scrutin doit garantir le respect de cinq principes fondamentaux: le suffrage doit être universel, égal, libre, secret et direct 
			(2) 
			CDL-AD (2002) 23 rev.
Code de bonne conduite en matière électorale, I. 1-5.. En outre, les élections doivent être périodiques 
			(3) 
			Ibid.,
I. 6.. Par ailleurs, des élections véritablement démocratiques ne peuvent avoir lieu que si certaines conditions essentielles d’un État démocratique fondé sur l’État de droit sont respectées: respect des droits fondamentaux, stabilité du droit électoral et garanties procédurales effectives 
			(4) 
			Ibid., II. 1-3..
21. Selon la Commission de Venise: «Le choix du système électoral est libre, sous réserve du respect des principes mentionnés ci-dessus 
			(5) 
			Ibid.,
II. 4.». Cela peut être interprété comme une affirmation selon laquelle aucun des systèmes électoraux en vigueur dans les États membres du Conseil de l'Europe n'est intrinsèquement antidémocratique en soi dans la mesure où il garantit de manière satisfaisante le respect des principes susmentionnés et de règles du jeu équitables entre les candidats, les partis et au sein des partis. Par conséquent, nul ne saurait recommander un système donné comme le meilleur modèle pour tous les pays. Toutefois, je pense que les systèmes qui ne traduisent pas de manière équitable la volonté des électeurs dans la composition d'un organe élu ne peuvent pas être considérés comme pleinement démocratiques si la démocratie signifie toujours «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple».
22. Tout système électoral se doit non seulement de respecter ces conditions préalables de portée générale liées à la démocratie, mais également prévoir la formation d’institutions politiques démocratiques répondant à deux critères fondamentaux: la représentativité et la gouvernabilité. D’une part, les institutions démocratiques doivent être inclusives et permettre aux citoyens de participer de différentes manières au processus politique et d’être représentés. D’autre part, elles doivent permettre un processus décisionnel efficace afin que des décisions faisant autorité puissent être adoptées et mises en œuvre dans un délai raisonnable.
23. Bien que ces deux critères revêtent une importance cruciale pour le bon fonctionnement des institutions démocratiques, il convient de parvenir à un compromis: une représentativité accrue va généralement de pair avec une moindre gouvernabilité et inversement. Différents systèmes électoraux produisent différents résultats: si certains favorisent une meilleure représentativité en garantissant des sièges à un plus grand nombre de partis au prix d’une fragmentation accrue des institutions, d’autres assurent une meilleure gouvernabilité en garantissant une forte majorité aux grands partis au prix de l’exclusion des petites formations. Je crois fermement qu'une représentation équitable de la volonté des électeurs, c'est-à-dire la représentativité, doit avoir la priorité sur la gouvernabilité si celle-ci se fait au détriment de la première.

3.3. Réforme des systèmes électoraux en vue d’améliorer la démocratie et de façonner les systèmes politiques

24. Les systèmes électoraux ont une forte influence réciproque sur la structure politique d’un pays, y compris le nombre de partis représentés au parlement et l’importance relative de la représentation des partis et, par conséquent, sur la formation du gouvernement et le choix des politiques publiques.
25. Comme indiqué plus haut, la stabilité du droit électoral figure parmi les principes fondamentaux du patrimoine électoral européen. Toutefois, la démocratie elle-même ne cessant d’évoluer et de se trouver confrontée à de nouveaux défis, il est normal que lesdits systèmes doivent eux-mêmes être actualisés. Toute réforme du système électoral d’un pays donné ne manquera pas de modifier son paysage politique et peut contribuer à la consolidation de la démocratie. Selon la Commission de Venise:
«La réussite d’une réforme électorale repose sur au moins trois éléments: 1) une législation claire et complète qui respecte les normes internationales et tient compte des recommandations antérieures; 2) l’adoption de la législation par un large consensus après de vastes consultations publiques avec toutes les parties prenantes; 3) l’engagement politique de mettre en œuvre pleinement la législation électorale, de bonne foi» 
			(6) 
			CDL-AD (2016)031
Arménie – Deuxième avis conjoint sur le Code électoral (tel que
modifié le 30 juin 2016), paragraphe 16..
26. À supposer qu’un système électoral doive être réformé, ce processus devra être mené de manière à garantir les intérêts de tous les acteurs pertinents. Une réforme électorale mise en œuvre de manière unilatérale par les forces politiques au pouvoir ne pourrait qu’affecter la stabilité à long terme du système et, par conséquent, miner sa légitimité.

4. Avantages et inconvénients respectifs des principales catégories de systèmes électoraux 
			(7) 
			Cette
section se fonde généralement sur l’intervention du professeur Florian Grotz
pendant l’audition tenue le 27 avril 2017, telle qu’elle est reproduite
dans le document <a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/POL/Pdf/DocsAndDecs/2017/AS-POL-INF-2017-13-FR.pdf'>AS/Pol/Inf
(2017) 13</a>, ainsi que sur le rapport de l’intéressé intitulé « Electoral systems and their political consequences:
Elements of interest for Tunisia », CDL-EL (2012) 008.
La classification des États membres du Conseil de l’Europe en fonction
du type de système électoral se fonde sur la contribution du professeur
Michael Krennerich (voir également la note de bas de page 16).

4.1. Typologie des systèmes électoraux

27. Dans cette section, je me concentrerai principalement sur les élections à des organes représentatifs comprenant plusieurs sièges, c’est-à-dire les parlements, ainsi que les assemblées régionales et locales.
28. Les systèmes électoraux en Europe se caractérisent par leur extrême diversité, de sorte qu’il est quasiment impossible de trouver deux systèmes rigoureusement identiques. En outre, dans certains cas, les systèmes électoraux diffèrent aux niveaux national et infranational dans un même pays (par exemple en Allemagne et au Royaume-Uni). En fait, chaque système est le résultat d’un consensus politique et reflète une histoire et des caractéristiques propres au pays en question.
29. Il reste cependant possible de catégoriser cette diversité en plusieurs types génériques en fonction de leurs principes sous-jacents respectifs et de la manière dont ceux-ci se traduisent concrètement au niveau politique.
30. À l’une des extrémités du spectre, on trouve les systèmes électoraux conçus sur le principe de majorité de manière à augmenter la concentration du système de parti et, par conséquent, à renforcer la gouvernabilité du système. L’exemple le plus caractéristique de ce type est le mode de scrutin en usage en Grande-Bretagne qui repose sur un système majoritaire à un tour dans des circonscriptions uninominales (scrutin uninominal à un tour), parfois également désigné sous l’appellation « le gagnant remporte tout». Le candidat qui obtient plus de voix que les autres est élu au tour unique 
			(8) 
			L’Azerbaïdjan utilise
également le scrutin majoritaire..
31. Parmi les autres systèmes fondés sur le même principe, il convient de citer le système uninominal à deux tours en usage en France: le candidat ayant recueilli 50 % des voix plus une est élu dès le premier tour et, si aucun candidat n’obtient ce score, un deuxième tour est organisé conformément à la règle de la majorité simple.
32. À l’autre extrémité du spectre, on trouve les systèmes électoraux basés sur le principe de la représentation proportionnelle. Conçus pour assurer la meilleure corrélation possible entre la part des voix accordée à un parti donné et le nombre de sièges obtenus par ce dernier, ils privilégient la représentativité de l’organe élu.
33. L’exemple «le plus pur» de ce système électoral se trouve aux Pays-Bas, mais il est également en usage à quelques variantes près (représentation proportionnelle au niveau national 
			(9) 
			Arménie, République
de Moldova, Monténégro, Saint-Marin, Serbie, République slovaque., représentation proportionnelle dans des circonscriptions plurinominales 
			(10) 
			Albanie, Belgique,
Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, Irlande, Lettonie,
Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Macédoine du Nord, Pologne, Portugal,
République tchèque, Roumanie, Slovénie, Suisse, Turquie., représentation proportionnelle à plusieurs niveaux 
			(11) 
			Autriche, Bosnie-Herzégovine,
Danemark, Estonie, Grèce, Islande, Italie, Norvège, Pologne, Suède.) dans la plupart des États membres du Conseil de l’Europe.
34. Enfin, il convient de mentionner les systèmes électoraux mixtes ou hybrides qui tentent de combiner les avantages des systèmes proportionnels et non proportionnels et incorporent des éléments de pluralité au scrutin uninominal à un tour et au scrutin proportionnel au niveau national 
			(12) 
			Andorre, Géorgie, Lituanie,
Monaco, Fédération de Russie, Ukraine., ainsi que les systèmes de représentation proportionnelle mixte 
			(13) 
			Allemagne, Hongrie..
35. S’agissant des élections directes à un poste unique (président, gouverneur, maire, etc.), il existe deux systèmes basés respectivement sur la majorité au deuxième tour et au premier tour. Le second prévoit l’élection du candidat ayant obtenu le plus de voix; il est rarement utilisé 
			(14) 
			Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Islande. dans la mesure où il peut aboutir à l’entrée en fonction d’un candidat rejeté par la plus grande partie des électeurs. La plupart des pays ont donc recours au système de la majorité: pour pouvoir remporter le scrutin au premier tour, le candidat doit obtenir la majorité absolue (50 % des voix plus une) et, en l’absence d’un gagnant au premier tour, le candidat retenu sera celui ayant obtenu la majorité simple au deuxième tour.

4.2. Avantages et inconvénients respectifs des divers types de systèmes électoraux

36. Comme indiqué plus haut, chaque type de système électoral produit des résultats différents, de sorte que les choix opérés dans ce domaine jouent un rôle déterminant dans le façonnement du paysage politique d’un pays.
37. Le scrutin majoritaire favorise les partis politiques forts et permet souvent à un parti d’obtenir une majorité parlementaire et de former un gouvernement ne comprenant aucun membre d’une autre formation. Il permet donc d’établir un gouvernement stable en mesure de mettre en œuvre des politiques claires et sans compromis (bonne gouvernabilité). La position dominante du parti gagnant est obtenue aux dépens des petits partis et compromet gravement la représentation de la diversité des opinions politiques et, par conséquent, la représentativité de l’organe élu.
38. Dans les systèmes majoritaires, ce désavantage peut être partiellement compensé lorsque les petits partis forment des alliances électorales avant le second tour afin d’obtenir des sièges au sein de l’organe élu. Cette pratique permet de renforcer la représentation de la diversité des opinions politiques et, par là même, la représentativité de l’organe concerné aux dépens de sa gouvernabilité (dans la mesure où des accords de compromis devront être passés avant et après le scrutin).
39. Le système de représentation proportionnelle pure garantit un maximum de proportionnalité et la représentation du plus large éventail possible d’opinions politiques, surtout lorsqu’il prévoit un seuil bas (par exemple, aux Pays-Bas, le seuil est de 1/150e du nombre total de suffrages valides, soit 0,67 %, de sorte que tout parti obtenant ce résultat disposera d’un siège au parlement). Cette diversité se traduit par des organes élus très fragmentés. Aucun parti n’étant en mesure d’obtenir la majorité absolue des sièges, plusieurs formations doivent coopérer pour former un gouvernement de coalition, dont la capacité d’élaborer des politiques fortes sera forcément affectée par les compromis nécessaires et la stabilité menacée en cas de désaccord entre les partenaires.
40. La plupart des systèmes électoraux en Europe tendent à trouver un certain équilibre entre la représentativité et la gouvernabilité, sans pour autant parvenir à respecter scrupuleusement les deux critères en même temps. Les systèmes conçus pour favoriser la gouvernabilité en offrant des sièges supplémentaires aux partis les plus forts afin de faciliter la formation d’un gouvernement ont inévitablement un impact sur la représentation des petits partis. En conséquence, une proportion plus ou moins importante des électeurs n’est pas représentée.
41. D’autres aspects plus ou moins techniques de l’appareil électoral (seuils, taille des circonscriptions, personnalisation des votes, etc.) ont un impact sur le fonctionnement des systèmes électoraux et leur capacité à remplir leur fonction essentielle, à savoir convertir avec le plus de précision possible les suffrages exprimés en sièges au sein de l’organe élu tout en assurant la fonctionnalité de ce dernier.
42. Enfin et surtout, le fonctionnement d’un système électoral et les résultats qu’il produit dépendent non seulement de sa conception institutionnelle, mais aussi du contexte politique dans lequel il opère.

4.3. Difficultés à favoriser un système plutôt qu’un autre

43. Les systèmes de représentation proportionnelle semblent donner de meilleurs résultats au regard du degré de corrélation entre l’expression de la volonté des électeurs et la composition de l’organe élu, mais il faut du courage politique pour qualifier ces systèmes de plus démocratiques que les autres.
44. Comme indiqué plus haut (voir le paragraphe 21), la Commission de Venise ne privilégie pas un système particulier par rapport à un autre et les trouve tous également démocratiques (sous réserve du respect des principes fondamentaux). Lors de l’audition organisée par notre commission, M. Gianni Buquicchio, président de la Commission de Venise, s’est montré réticent à l’idée de procéder à une évaluation qualitative. Les deux experts ayant contribué à la rédaction du présent rapport, MM. Krennerich et Grotz, partagent également cette position. En particulier, selon le professeur Grotz: «Il est extrêmement difficile, voire impossible, de fixer, pour les systèmes électoraux, des normes uniformes qui aillent au-delà d’orientations très générales (comme celles qui figurent dans le Code de bonne conduite en matière électorale et dans d’autres documents élaborés par la Commission de Venise) 
			(15) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/POL/Pdf/DocsAndDecs/2017/AS-POL-INF-2017-13-FR.pdf'>AS/Pol/Inf
(2017) 13</a>, p.3. ».
45. L’une des raisons de cet état de choses tient au fait que les systèmes électoraux font partie intégrante d’un paysage politique plus large dans les pays concernés, lequel résulte de l’histoire, de la culture et des traditions politiques nationales, ainsi que d’un consensus entre les acteurs politiques et les électeurs. Pour juger véritablement du fonctionnement de l’appareil politique d’un pays donné, il faut en faire partie intégrante. Les points de vue extérieurs peuvent s’avérer utiles pour procéder à une évaluation critique de certains aspects spécifiques dudit fonctionnement et faire des propositions d’amélioration, mais l’initiative de sa réforme doit émaner des acteurs qui voient et expérimentent directement le système dans sa globalité et reposer sur un large consensus national.
46. Il est compréhensible qu'une instance d'experts comme la Commission de Venise ait des difficultés à faire des déclarations politiques. En tant qu'organe politique, le rôle de notre Assemblée est précisément d'affirmer clairement que les systèmes électoraux qui ne traduisent pas de manière équitable la volonté des électeurs dans la composition d'un organe élu ne peuvent pas être considérés comme pleinement démocratiques. Nous devons donner une impulsion politique à la Commission de Venise pour qu'elle reconsidère sa position sur la question et l'inviter à élaborer, en coordination avec l'Assemblée, les normes minimales permettant de définir un système électoral comme étant démocratique.

5. Autres éléments garantissant le fonctionnement correct d’un système électoral 
			(16) 
			Cette section se fonde
sur une contribution écrite du professeur Michael Krennerich qui
occupe la chaire des droits de l’homme et de la politique des droits
de l’homme de l’Institut des sciences politiques de l’université
d’Erlangen-Nuremberg (Allemagne). M. Krennerich n’ayant pas été
en mesure de présenter sa contribution à la commission, il l’a communiquée
à la précédente rapporteure, Mme Centemero.

47. Les systèmes électoraux ont une certaine influence sur la compétition électorale et, plus largement, sur le fonctionnement du système politique. Certains éléments spécifiques des systèmes électoraux peuvent créer des difficultés supplémentaires pour l’organisation d’élections démocratiques, difficultés dont il conviendra de tenir compte en cas de mise à jour des documents normatifs pertinents.

5.1. Stabilité et clarté du droit électoral

48. La stabilité du droit électoral est cruciale pour la crédibilité du processus électoral. Quel que soit le type de système en vigueur, il convient d’éviter que celui-ci soit modifié trop souvent en particulier juste avant les élections. En outre, la législation pertinente doit réglementer de manière claire et complète tous les aspects du processus électoral.

5.2. Découpage des circonscriptions

49. La répartition des sièges législatifs sur un territoire donné et le découpage des circonscriptions électorales sont essentiels à la tenue d’élections compétitives. Les questions de redistribution et de réajustement des circonscriptions électorales sont donc importantes pour tous les systèmes électoraux prévoyant des circonscriptions uninominales ou plurinominales.
50. Afin de garantir l’égalité des droits de vote, les sièges doivent être répartis également entre les circonscriptions sur la base du nombre de citoyens ou d’électeurs inscrits. Dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, les fortes inégalités entre circonscriptions – en ce qui concerne le nombre de votes requis pour obtenir un mandat – peuvent être incompatibles avec le principe d’égalité du vote.
51. De plus, tous les systèmes électoraux reposant sur des circonscriptions courent le risque de voir celles-ci découpées de manière à favoriser certains partis ou candidats. Même en présence d’un organe indépendant et impartial chargé de cette tâche, chaque modification de la carte électorale provoque immanquablement des querelles partisanes et de vifs débats.

5.3. Circonscriptions uninominales

52. Les circonscriptions uninominales peuvent favoriser une relation étroite entre les électeurs et leurs représentants. Elles peuvent cependant aussi encourager la corruption et la fraude dans les pays où la culture politique démocratique n’est pas suffisamment ancrée. Ceci, parce qu’il est plus facile de manipuler les élections au niveau des circonscriptions qu’au niveau régional ou national. Dans un certain nombre de « nouvelles démocraties », les éléments empruntés au scrutin majoritaire dans les systèmes électoraux mixtes font l’objet de critiques en raison de leur grande vulnérabilité aux fraudes.

5.4. Droit de vote des citoyens résidant à l’étranger

53. Il est de plus en plus admis d’autoriser les citoyens résidant à l’étranger à participer aux élections nationales. Dans le cas d’un scrutin proportionnel au niveau national, le vote des intéressés peut être facilement géré, puisqu’il n’existe qu’une seule circonscription. Lorsque le mode de scrutin repose sur des circonscriptions uninominales ou plurinominales, cependant, les électeurs résidant à l’étranger seront affectés à des circonscriptions ou des circonscriptions spécifiques seront créées pour eux. Il conviendrait d’adopter à cette fin des critères clairs et compréhensibles.
54. En Allemagne, par exemple, les électeurs de l’étranger sont affectés à la circonscription électorale de leur dernière résidence. Dans un certain nombre d’autres pays, ces électeurs disposent de leurs propres circonscriptions. Toutefois, pour garantir le principe du droit de vote égal, il convient d’accorder une attention particulière à l’égalité de la répartition des électeurs entre les circonscriptions nationales et étrangères.

5.5. Candidatures indépendantes

55. En présence d’un système de représentation proportionnelle au niveau national ou même de circonscriptions, il arrive parfois que seuls les partis politiques ou les alliances électorales soient autorisés à se présenter aux élections, à l’exclusion de candidats indépendants. Pourtant, même avec les systèmes de représentation proportionnelle, il faudrait autoriser également ce type de candidatures.

5.6. Classement des candidats sur les listes de partis

56. Dans tous les systèmes de listes proportionnelles, il devrait être interdit aux partis de modifier le classement des candidats sur une liste électorale après le scrutin. L’électeur est en effet censé savoir pour qui il vote et sa décision doit être respectée. Dans le cas contraire, l’appareil du parti disposerait d’un pouvoir excessif et notamment de la faculté d’attribuer un mandat électif à un candidat pour lequel les électeurs n’ont pas voté. La concentration du pouvoir politique au sein d'un cercle étroit de responsables de parti, notamment concernant la prise de décision sur le classement des candidats sur les listes électorales, crée le risque de transformer la démocratie en «partitocratie».

5.7. Exigences relatives au taux de participation

57. Dans certains pays, le droit électoral impose un taux de participation minimum pour que le scrutin soit considéré comme valide. Dans le cas où le seuil de participation n'a pas été atteint, l'élection doit être considérée comme n'ayant pas eu lieu et une nouvelle élection serait inutile car elle entraînerait normalement une participation encore plus faible. Cela empêcherait la création même de l'organe à élire et entraînerait donc une crise institutionnelle. En outre, dans la mesure où une telle exigence peut s’avérer arbitraire, en l’absence d’un processus rigoureux d’inscription des électeurs, l’application du taux minimum pourrait poser problème dans certains pays et pourrait provoquer des tentatives de fraudes dans la communication des taux de participation.

5.8. Seuils légaux

58. La question des seuils légaux de représentation suscite des controverses. Cette technique permet d’exiger d’un parti qu’il obtienne une part minimale de suffrages valides pour pouvoir participer à la distribution des sièges. L’objectif principal est d’éviter la fragmentation des partis et de permettre la formation de gouvernements stables en excluant les petits partis au moment de la conversion des voix en sièges. Il s’agit donc d’un but légitime. Toutefois, du point de vue de la représentativité, un taux élevé, surtout au niveau national, peut s’avérer problématique. Par exemple, le seuil légal de 10 % applicable aux élections nationales en Turquie est le plus élevé de tous les États membres du Conseil de l’Europe et soulève de nombreuses critiques, y compris de la part de l’Assemblée.
59. Pourtant, la recommandation générale de l’Assemblée en faveur d’un abaissement des seuils légaux supérieurs à 3 % 
			(17) 
			<a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0xNzgwOCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTE3ODA4'>Résolution
1705 (2010)</a>, paragraphe 22.3. mériterait de faire l’objet d’un examen plus approfondi. En Europe, la plupart des seuils sont fixés à 5 %. En outre, les effets du seuil dépendent non seulement du pourcentage, mais également du niveau et de la phase de son application. De plus, dans les systèmes de représentation proportionnelle reposant sur des petites et moyennes circonscriptions, les seuils « naturels » sont nettement supérieurs à 3 % au niveau desdites circonscriptions.
60. La question de savoir si l’on devrait appliquer des seuils légaux différents aux partis et aux alliances électorales reste ouverte. En outre, il semble logique que les seuils soient calculés sur la base des suffrages valides exprimés (et non sur la base du nombre total des suffrages exprimés).

5.9. Participation équilibrée des femmes et hommes et représentation égale des femmes

61. Il existe un large consensus sur la nécessité d’accroître la représentation parlementaire des femmes. La démocratie est forcément incomplète si la moitié de la population ne jouit pas d’une représentation appropriée.
62. Les quotas obligatoires ou volontaires de femmes pour les partis présentant des candidats ou des listes de candidats peuvent être considérés comme une « voie rapide » vers la représentation accrue des femmes au parlement, à condition de prévoir non seulement une forte proportion de candidates, mais aussi des règles strictes relatives à la place des intéressées sur les listes et des sanctions efficaces en cas de non-respect. L’augmentation du financement public des partis politiques encourageant la participation de femmes comme candidates pourrait constituer une autre possibilité à envisager.
63. En ce qui concerne le type de système électoral, il est généralement plus facile pour les femmes d’avoir accès au parlement dans le cadre d’une représentation proportionnelle. Ce système semble en effet plus propice à la nomination et à l’élection de femmes, surtout en présence de grandes circonscriptions ou d’une circonscription nationale unique. Plus il y a de députés élus par circonscription (taille de la circonscription) et plus le nombre de sièges qu'un parti s'attend à remporter (taille du parti) est grand, plus les stratégies d'équilibrage des listes pour inclure les femmes sont significatives.
64. Pour la même raison, le seuil légal peut étonnamment jouer en faveur de la représentation accrue des femmes. Bien qu’elle exclue les petits partis (qui peuvent représenter les intérêts des femmes), cette technique permet aux partis franchissant le seuil requis d’obtenir suffisamment de sièges pour pouvoir mieux respecter la parité.
65. Il est difficile de formuler une recommandation générale concernant le format des listes dans le cadre d’un système de représentation proportionnelle. En fonction des conditions prévalant dans chaque pays, les listes fermées ou ouvertes peuvent en effet aussi bien favoriser les femmes que les pénaliser.
66. Enfin, il convient de préciser que le choix de tel ou tel système électoral ne saurait à lui seul accroître la représentation des femmes dans la vie politique et publique. Des mesures complémentaires sont nécessaires.

5.10. Représentation des minorités nationales

67. Nombreux sont les pays dans lesquels des voix se font de plus en plus entendre en faveur d’une meilleure représentation des minorités nationales au parlement. Dans un tel contexte, le choix d’un système électoral adéquat peut faciliter ladite représentation. S’agissant de minorités nationales géographiquement éparpillées sur le territoire national et non regroupées dans des bastions, les systèmes de représentation proportionnelle basés sur de larges circonscriptions ou une circonscription unique paraissent indiqués, surtout lorsque les listes des partis représentant une minorité ne sont pas soumises au seuil légal. S’agissant de minorités nationales concentrées dans une région, cependant, les systèmes de représentation proportionnelle basés sur de petites circonscriptions, voire les systèmes majoritaires basés sur des circonscriptions uninominales, peuvent garantir eux aussi la représentation des membres desdites minorités.
68. Da manière alternative ou complémentaire, certaines dispositions réservent des sièges affectés séparément aux minorités nationales. Toutefois en cas d’application de règles spéciales aux minorités nationales, il convient de fixer dans la loi des critères précis permettant de déterminer celles bénéficiant de privilèges comme l’exemption du seuil ou la réservation de sièges.

5.11. Autres questions soulevées au sein de la commission

69. Pendant la discussion au sein de la commission, un certain nombre de mes collègues ont soulevé d’autres questions s’étant fait jour ces dernières années et susceptibles d’affecter le fonctionnement des systèmes électoraux et, in fine, la qualité du processus démocratique. Il s’agit notamment: de la transition vers la société de l’information et du rôle et de l’influence sans précédent des réseaux sociaux; de l'utilisation abusive des médias traditionnels et sociaux pour diffuser des informations biaisées et de fausses informations; de la fluidité des paysages politiques nationaux avec l’émergence rapide de nouveaux visages et de nouveaux acteurs (partis et mouvements politiques, par exemple) au détriment des paysages politiques «traditionnels»; de l’influence croissante des partis qui tend à primer sur le choix des électeurs; des marges potentielles d’abus dans l’utilisation de la publicité politique, etc. La liste est loin d’être exhaustive.
70. Même si ces questions méritent d’être prises en considération, je me demande dans quelle mesure elles pourraient faire l’objet de réglementations uniformes au niveau européen. Bon nombre de mes collègues conviennent qu’une bonne culture politique générale est indispensable au fonctionnement correct de tout système électoral. Même si cet objectif est louable et mérite d’être promu, il est difficile d’imaginer comment un tel fonctionnement pourrait être assuré sur la seule base d’une codification idoine. En tout état de cause, il convient d'attirer l'attention sur un rapport conjoint que la Commission de Venise a préparé avec la Direction de la société de l'information et de la lutte contre la criminalité du Conseil de l'Europe sur les technologies numériques et les élections, adopté en juin 2019 
			(18) 
			Voir <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)016-e'>CDL-AD(2019)016</a>. Voir également le rapport préparé par M. Frithjof Schmidt
(Allemagne, SOC) pour notre commission La
démocratie piratée? Comment réagir? (Doc. 15028). La Commission de Venise a également décidé de préparer une liste de principes pour l'utilisation des technologies numériques dans le respect des droits de l'homme, en rapport avec les élections.

6. Conclusions

71. Il existe en Europe une grande variété de systèmes électoraux, tant sur le plan de la législation que de la mise en œuvre pratique. Cette variété – héritage des histoires, des cultures et des traditions politiques diverses – traduit un consensus entre les acteurs politiques et la société dans son ensemble. À ce titre, elle constitue un véritable patrimoine électoral européen.
72. Les principes fondamentaux d’élections démocratiques sont résumés et expliqués dans le Code de bonne conduite en matière électorale (2002) élaboré par la Commission de Venise en collaboration avec l’Assemblée parlementaire, lequel est largement reconnu comme un document clé du Conseil de l’Europe visant à promouvoir l’harmonisation des normes électorales et à servir de référence pour l’évaluation des élections.
73. Les systèmes électoraux de différents pays reposent sur des principes politiques différents et produisent des résultats qui varient en termes de représentativité et de gouvernabilité. En particulier, les différents systèmes électoraux n'offrent pas le même degré d'équité lorsqu'il s'agit de convertir les suffrages en mandats politiques et en sièges au parlement. Dans certains systèmes électoraux, même si les règles juridiques sont respectées, une grande partie des électeurs n’est pas représentée dans les institutions élues ou ne voit pas au parlement les candidats pour lesquels elle a voté. A l’inverse, certains systèmes offrent aux partis vainqueurs des majorités parlementaires qui dépassent largement le soutien réel dont ils bénéficient parmi les citoyens.
74. Cette incohérence entre légalité et légitimité mine la confiance du public dans le processus démocratique et crée un terrain fertile pour le populisme et l'extrémisme. Lorsqu’un système électoral ne parvient pas à empêcher un important décalage entre les choix politiques des électeurs tels qu’ils sont exprimés par les élections et la composition des institutions élues, c’est un signe de déficit démocratique et son équité est mise en doute.
75. Le Code de 2002 n’établit aucun critère spécifique obligatoire qu’un système électoral doit respecter pour être considéré comme équitable et démocratique. Cette lacune doit être comblée. En conséquence, la Commission de Venise devrait être invitée à réfléchir au problème de l'incapacité systémique de certains systèmes électoraux à convertir les votes en sièges de manière équitable et à réfléchir aux moyens d'établir des normes minimales auxquelles les systèmes électoraux devront se conformer pour être considérés comme garantissant non seulement des élections libres mais également l’équité des résultats qui en découlent.
76. En outre, la démocratie est un processus vivant. Les lignes directrices en matière électorale devront peut-être faire l’objet d’une mise à jour afin de suivre l’évolution des réalités politiques observées dans nos sociétés et d’affronter les nouveaux défis. Ma principale proposition est donc d’examiner si le Code de 2002 devrait être mis à jour pour tenir compte de cette évolution et également, dans la mesure du possible, des résolutions pertinentes de l’Assemblée et des travaux de la Commission de Venise sur certaines questions spécifiques liées à la conduite des élections.
77. Par ailleurs, les rapports et avis de la Commission de Venise établis par pays contiennent une mine d’informations analytiques sur la diversité du cadre juridique et des pratiques politiques réelles observées lors des élections dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. Ces documents contiennent également des propositions concrètes sur les moyens de remédier aux insuffisances systémiques et aux dysfonctionnements pratiques. Il conviendrait de prendre également en considération ces propositions au moment d’évaluer la nécessité de mettre à jour et d’affiner le Code.

Annexe – Comparaison des systèmes électoraux

(open)

Les différents systèmes électoraux sont-ils démocratiques au même degré? Comparaison des résultats de différents systèmes électoraux sur la base des mêmes résultats électoraux

base = les résultats électoraux du parlement flamand / système A

Question 1: quel est l'impact sur la répartition des sièges des partis lorsqu'on transpose les mêmes résultats dans différents systèmes?

réponse: variation de 25 % à 66 % de la répartition des sièges avec les mêmes résultats électoraux

Question 2: qui obtient les sièges?

réponse 1: dans les listes multicandidats la grande majorité des sièges vont à des candidats pré- désignés par le parti (faible variation par rapport aux votes préférentiels)

réponse 2: dans les systèmes E et F le candidat unique est élu mais est pré-désigné par le parti (petit nombre de candidats indépendants)

Questions essentielles: (1) proportionnalité/représentativité contre gouvernabilité, (2) démocratie contre particratie, (3) volonté des électeurs contre résultats

système A = proportionnel / 6 districts / seuil 5%

système B = proportionnel / global / seuil 5%

système C = proportionnel / global / pas de seuil

système D = proportionnel / global / pas de seuil / le vainqueur obtient 25 + (cf Grèce)

système E = système majoritaire uninominal (cf Royaume-Uni)

système F = majorité à deux tours, petits districts (cf France)

 

global %

système A

système B

système C

système D

système E

système F

Open Vld

13,13%

16

12,90%

17

13,71%

16

12,90%

16

10,74%

6

4,84%

pm

N-VA

24,83%

35

28,23%

31

25,00%

31

25,00%

56

37,58%

82

66,13%

pm

VLAAMS BELANG

18,50%

23

18,55%

23

18,55%

23

18,55%

23

15,44%

12

9,68%

pm

CD&V

15,40%

19

15,32%

20

16,13%

19

15,32%

19

12,75%

21

16,94%

pm

PVDA

5,32%

4

3,23%

7

5,65%

7

5,65%

7

4,70%

0

0,00%

pm

UF

0,68%

0

0,00%

0

0,00%

1

0,81%

1

0,67%

1

0,81%

pm

GROEN

10,11%

14

11,29%

13

10,48%

13

10,48%

13

8,72%

2

1,61%

pm

sp.a

10,14%

12

9,68%

13

10,48%

13

10,48%

13

8,72%

0

0,00%

pm

Be.One

0,10%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

Burgerlijst

0,05%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

de coöperatie

0,03%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

DierAnimal

0,87%

0

0,00%

0

0,00%

1

0,81%

1

0,67%

0

0,00%

pm

D-SA

0,11%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

Genoeg vr iedereen

0,06%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

Piratenpartij

0,22%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

PRO

0,13%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

PV&S

0,07%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

RP

0,04%

0

0,00%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

sp.a-one brussels

0,21%

1

0,81%

0

0,00%

 

0,00%

0

0,00%

0

0,00%

pm

   

124

 

124

 

124

 

149

 

124

   
Graphic