1. Introduction
1. «Chaque jour, dans tous les
pays et à tous les niveaux de la société, des millions de jeunes
filles et de jeunes garçons sont victimes de façon alarmante d’exploitation
et de violences sexuelles», a déclaré en 2018 Amina J. Mohammed,
Vice-Secrétaire générale de l’ONU. «Prévenir l’exploitation et la
violence à l’encontre des enfants est l’affaire de tous, partout
et à tout moment. Nous devons relever ce défi et rompre le silence»
.
2. Ces dernières années, un travail important a été effectué
pour lutter contre la violence sexuelle infligée aux enfants. La
sensibilisation à la prévalence de ce type de violence s’est accrue.
Dans plusieurs pays, le voile a été levé sur des violences commises
dans le passé (cas anciens d’abus sexuels sur mineurs) qui ont occupé
le devant de la scène médiatique. Des normes juridiques internationales
ont été élaborées. Des stratégies nationales ont été mises en place.
Des approches innovantes, telle que Barnahús –
des centres interdisciplinaires adaptés aux enfants qui favorisent
la révélation des sévices subis et ont vocation à offrir protection
à l’enfant victime – ont été promues.
3. Néanmoins, des défis restent à relever. L’utilisation des
technologies de l’information et de la communication (TIC) facilite
plus que jamais les violences sexuelles, et l’augmentation des matériels
d’abus sexuels d’enfants en ligne est exponentielle. Rien qu’en
2019, l’Internet
Watch Foundation a
traité plus de 250 000 signalements d’images et de vidéos d’abus
sexuels d’enfants, soit deux fois plus qu’en 2016
. Parallèlement, les violences sexuelles
infligées à des enfants restent largement passées sous silence,
et ce sujet est souvent considéré comme le plus «tabou des tabous».
L’équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité
d’engager des poursuites contre les auteurs des sévices n’est par
ailleurs pas facile à trouver. Enfin, le manque de coordination
entre les organismes compétents nuit souvent à l’efficacité des
réponses.
4. Avec la pandémie actuelle de COVID-19, les risques de violence
sexuelle à l’égard des enfants sont encore plus grands que d’habitude.
Dans certains cas, les enfants sont confinés avec leurs agresseurs.
Que ce soit dans la famille, en établissement ou dans des camps
de réfugiés, ces enfants sont isolés et n’ont peut-être pas accès
à la moindre assistance ou au moindre soutien. Dans d’autres cas,
les enfants sont plus exposés à l’exploitation sexuelle, en raison
de la perte de stabilité financière. Enfin, une augmentation notable de
la demande et de l’offre de matériel d’exploitation sexuelle d’enfants
a déjà été signalée à l’heure où des millions d’adultes et d’enfants
confinés ont facilement accès à internet
.
5. En 2020, nous célébrerons le 10e anniversaire
de l’entrée en vigueur de la Convention du Conseil de l'Europe sur
la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels
(Convention de Lanzarote, STCE n°201).Dix
années ont suffi pour recueillir la signature des 47 États membres
du Conseil de l’Europe. Il ne manque plus qu’une ratification (Irlande).
La Convention est également ouverte aux pays qui ne sont pas membres
du Conseil de l’Europe. La Tunisie a été le premier de ces pays
à adhérer à la Convention en 2019. Depuis 2010, le système de suivi
de la Convention de Lanzarote est en place. Alors que le second
cycle d’évaluation est sur le point d’être achevé, en 2020, il est
opportun de dresser un bilan de ce qui a été accompli et d’encourager
les États parties à prendre des mesures plus fortes.
6. J’espère que le présent rapport apportera une contribution
utile à cette fin. Je voudrais notamment mener une réflexion sur
les évolutions récentes en matière de lutte contre la violence sexuelle
à l’égard des enfants aux niveaux national, européen et international,
et proposer des moyens d’intensifier l’action et la coopération
dans ce domaine.
7. Au cours de l’élaboration de ce rapport, j’ai travaillé en
coopération étroite avec le Comité des Parties à la Convention du
Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels («Comité de Lanzarote»), ainsi qu’avec l’équipe
de la Campagne «Start to Talk»
(«Donnons de la voix») et la Division des droits des enfants du
Conseil de l’Europe. C’est avec grand plaisir que j’ai représenté
la Commission lors de la Conférence d’experts sur la violence sexuelle
à l’égard des femmes et des enfants dans le domaine du sport tenue
à Helsinki (Finlande) en 2019. Une visite d’information effectuée
en Allemagne du 6 au 7 mai 2019 m’a permis de mieux connaître les
politiques et pratiques mises en œuvre au niveau national. Une audition
organisée le 26 juin 2019 avec la participation de Mme Gioia
Scappucci, Secrétaire exécutive du Comité de Lanzarote, et Mme Tineke
Sonck, Cofondatrice de l’Association belge Voices
in Sport, a été l’occasion d’analyser des exemples de
bonnes pratiques et les principaux défis dans ce domaine.
8. J’ai aussi pu discuter à plusieurs reprises avec Mme Najat
Maalla M’jid, ancienne Rapporteure spéciale des Nations Unies sur
la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie
mettant en scène des enfants, nommée le 30 mai 2019 Représentante
spéciale du Secrétaire général chargée de la question de la violence
à l’encontre des enfants, ainsi que sa prédécesseure à ce poste,
Mme Marta Santos Pais. En juillet 2019,
j’ai pris part à un panel de discussion à New York en marge du Forum
politique de haut niveau des Nations Unies pour le développement
durable pour le développement durable (FPHN), composé de représentants
de l’Assemblée, de l’Union interparlementaire (UIP), de la Fédération
internationale de football association (FIFA), du Secrétaire général
de l’ONU et de l’UNICEF, et j’ai souligné la nécessité urgente de protéger
les enfants contre les abus sexuels dans le «cercle de confiance».
Ce panel comportait le témoignage émouvant d’une gymnaste olympique
victime de tels abus
.
2. De quoi s’agit-il lorsqu’il est question
de violences sexuelles à l’égard des enfants?
9. La violence sexuelle à l’égard
des enfants survient dans des contextes et des cadres très variés
allant du foyer familial aux camps de réfugiés, en passant par l’école,
les clubs sportifs, les orphelinats et internet. Cette violence
peut prendre diverses formes, d’attouchements indécents jusqu’au
viol collectif et d’abus sexuels répétés commis sur de longues périodes
par des adultes en position d’autorité; toutes les catégories d’âge
sont concernées. C’est donc un phénomène vaste, qui appelle une
approche et des politiques à la fois exhaustives et ciblées, de
leur conception à leur mise en œuvre sur plusieurs niveaux. Aux
fins du présent rapport, j’utiliserai les définitions indiquées
ci-après.
10. Conformément aux normes internationales et à la Convention
de Lanzarote, «enfant» veut dire toute personne de moins de 18 ans
.
11. Pour aborder la question de la violence sexuelle à l’égard
d’enfants, il convient également de garder à l’esprit la notion
de «majorité sexuelle», c’est-à-dire «l’âge en dessous duquel il
est interdit, conformément au droit national, de se livrer à des
activités sexuelles avec un enfant»
. Par conséquent, un adulte qui entretient des
rapports sexuels avec un mineur n’ayant pas atteint la majorité
sexuelle ne peut pas faire valoir que la relation était consentie;
toute activité à caractère sexuel de ce type peut être qualifiée
d’agression sexuelle ou de viol sur mineur. En Europe, la majorité
sexuelle varie entre 14 et 18 ans, et est aussi conditionnée par
l’âge de l’aîné (par exemple dans le cas de rapports consensuels
entre mineurs ou en cas de faible différence d’âge mineur/majeur)
ou par l’abus d’une position de confiance ou d’autorité.
12. Selon la Convention de Lanzarote, «exploitation et abus sexuels
concernant des enfants» recouvrent toute une étendue de comportements
(tels que visés dans les Articles 18 à 23) comprenant, mais sans toutefois
s’y limiter: le fait de se livrer à des activités sexuelles avec
un enfant (exception faite des activités sexuelles consenties entre
mineurs); le fait de recruter un enfant pour qu’il se livre à une
activité sexuelle, de l’y contraindre ou de l’exploiter à de telles
fins; l’offre ou la mise à disposition ou la possession de matériel d’exploitation
sexuelle d’enfants; le fait intentionnel de faire assister, à des
fins sexuelles, un enfant à des abus sexuels ou à des activités
sexuelles; et la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles
. De nos jours, «violence sexuelle»
a tendance à être employé comme un terme générique qui englobe l’exploitation
et l’abus sexuels. Des experts font valoir que «dans une perspective
axée sur les droits de l’enfant, le plus important est que la protection
accordée ou demandée au travers de la loi et des politiques soit
la plus large et la plus effective possible, afin de ne laisser
aucune place aux lacunes et de garantir à tous les enfants une protection
et le respect de leur intégrité face à tout préjudice»
.
13. Ces dernières années, la terminologie employée dans ce domaine
a été remise en question. La façon dont nous orientons le débat
n’est pas neutre et évolue au fil du temps. À titre d’exemple, il
a été souligné que les termes «pornographie enfantine» et «prostitution
enfantine» pourraient être interprétés comme impliquant le consentement
de l’enfant à sa propre exploitation et devraient par conséquent
être évités. De la même façon, en anglais le terme «survivant» (
survivor) est parfois préféré à
celui de «victime», car il implique une capacité de résilience et
éviter la poursuite de la victimisation. Dans différents contextes,
il est fait usage de ces deux termes de façon interchangeable. Il
est toutefois recommandé de les employer avec prudence et de ne
jamais qualifier de «victime» ou «survivant» une personne qui rejetterait
cette étiquette. On trouvera d’utiles conseils terminologiques dans
le Guide de terminologie pour la protection des enfants contre l’exploitation
et l’abus sexuels (Guide de Luxembourg) de l’ECPAT, préparé par
un groupe de spécialistes du monde entier et internationalement
reconnu comme référence fiable
.
3. Pourquoi
devons-nous intensifier nos efforts et la coopération en Europe?
14. La violence sexuelle à l’égard
des enfants a été définie comme l’une des plus grandes pandémies silencieuses
de notre temps, puisque beaucoup de victimes n’en parlent jamais
ou ne le font que des décennies après les faits
. Bien que les données soient difficiles
à obtenir et devraient être traitées avec prudence, à l’échelle
mondiale, on estime que 120 millions de filles de moins de 20 ans
(soit une sur 10) ont subi une forme quelconque d’attouchements
ou de rapports sexuels forcés, et c’est selon toute probabilité
une forte sous-estimation
. Même l’analyse des données pour
24 pays (principalement des pays à revenu élevé et intermédiaire)
réalisée par l’UNICEF, qui a montré que les violences sexuelles
subies dans l’enfance concerneraient de 8 à 31 % des filles et de
3 à 17 % des garçons
, sous-estime
probablement l’ampleur du problème. En Europe
, on estime qu’au moins un enfant
sur cinq (filles et garçons confondus) a été soumis à des violences
sexuelles
. Il est probable qu’une meilleure
sensibilisation des professionnels de la santé et de l’éducation,
mais aussi du grand public, permettrait aux enfants de parler plus
aisément d’abus antérieurement dissimulés.
15. Des scandales très médiatisés ont attiré l’attention sur le
problème ces dernières années. En France, la publication du livre
Le Consentement a suscité un vif
débat en janvier 2020. Dans cet ouvrage, l’auteure, Mme Vanessa
Springora, raconte comment elle a été séduite à 14 ans par M. Gabriel
Matzneff, célèbre écrivain distingué par plusieurs prix littéraires,
qui avait alors une cinquantaine d’années. Il a toujours ouvertement
parlé de ses relations sexuelles avec des mineurs; il a écrit de
nombreux livres et s’est exprimé à la télévision à ce sujet. Il
n’a pourtant jamais été condamné et bénéficiait d’un large soutien
dans les milieux littéraires
. Il aura fallu ce témoignage personnel
pour provoquer une prise de conscience générale. Le parquet de Paris
s’est saisi de l’affaire et s’attache à identifier d’autres victimes
éventuelles
. Dans mon propre pays, le Royaume-Uni,
le cas de l’animateur de télévision M. Jimmy Savile, qui a abusé
de centaines d’enfants, n’a fait l’objet d’une enquête sérieuse
qu’après son décès en 2011 provoquant une vague d’indignation comparable
.
16. Si les élites ont souvent les moyens et peuvent se sentir
en droit de mépriser les normes de conduite ordinaire, les abus
sexuels sur mineurs ne sont pas uniquement le fait d’un groupe social
particulier. Tous les milieux sont concernés. De plus, ce phénomène
touche les pays riches comme les pays pauvres, avec des pays à revenu
élevé et intermédiaire dans le quartile inférieur du classement
global
. Bien que la plupart des auteurs
de violences soient des hommes, de 11 à 23 % des agresseurs seraient
des femmes
.
17. La plupart des abus sexuels sur mineurs sont commis dans le
«cercle de confiance» – famille, amis, services de protection de
l’enfance. Les statistiques révèlent une réalité choquante: dans
90 % des cas en effet, l’auteur des violences est connu de l’enfant
. Environ 60 % des agresseurs adultes
sont des connaissances qui avaient la confiance de la famille, et
30 % sont des proches de l’enfant. Pour cette raison précise, le
Comité de Lanzarote a décidé d’examiner la question des abus sexuels
commis dans le «cercle de confiance» lors de son premier cycle de
suivi (2015-2018)
.
18. Bien souvent, ce sont les personnes mêmes qui sont censées
agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant qui abusent de leur position
de pouvoir et d’autorité. De multiples scandales ont été révélés
par le passé, comme des abus généralisés dans des institutions pour
enfants gérées par l’Église catholique irlandaise
; au Royaume-Uni, plusieurs centaines
d’enfants confiés à l’aide sociale sous la responsabilité du Conseil
régional du Comté de Nottinghamshire ont été exposés, des années
1960 aux années 1990, à des sévices sexuels infligés par des membres
du personnel des établissements où ils étaient placés
; au Portugal, l’affaire de la Casa
Pia, impliquait une institution accueillant des pupilles de l’État
; aux Pays-Bas, les fondateurs du
parti de l’Amour fraternel, de la Liberté et de la Diversité, qui
a existé de 2006 à 2010, se déclaraient ouvertement pédophiles
. Si un important travail a été effectué
pour lutter contre ce type d’abus, le fléau n’a pas été éradiqué.
En 2019, un ancien diplomate du Vatican a été condamné à cinq ans
d’emprisonnement pour détention de matériel pédopornographique
. En France, un chirurgien fait actuellement
l’objet d’une enquête préliminaire; il est soupçonné d’agressions
sexuelles sur des centaines d’enfants hospitalisés dans la douzaine d’établissements
où il opérait depuis plus d’une trentaine d’années; le procès est
prévu pour mars 2020
. Des scandales concernant l’abus
sexuel d’enfants dans les milieux sportifs se font jour, à mesure
que des sportifs victimes s’expriment pour décrire les abus subis
de la part de leurs entraineurs.
19. Bien que tous les milieux sociaux soient impliqués, les enfants
en situation de vulnérabilité, comme les enfants handicapés, les
enfants migrants ou les enfants touchés par les conflits armés,
risquent davantage d’être victimes de violences sexuelles. En 2020,
près de 168 millions de personnes dans le monde auront besoin d’une
assistance et d’une protection humanitaires. Cela représente environ
une personne sur 45 sur la planète
.De ce
fait, il est particulièrement difficile de lutter contre les violences
sexuelles faites aux enfants, qui sont davantage exposés à la traite
et à l’exploitation sexuelle commerciale et acculés à la «prostitution
de survie». Selon un rapport du ministère américain de la justice
publié en 2019, plus de 4 500 plaintes auraient été reçues en quatre
ans concernant des abus sexuels sur mineurs commis dans des centres
de rétention pour migrants aux États-Unis
.
20. Environ 40 % des enfants ayant subi des abus sexuels ont été
victimes d’enfants plus âgés ou plus forts. Les mineurs qui commettent
des infractions sexuelles contre d’autres enfants ont plus tendance
que les délinquants sexuels adultes à agir en groupe et à choisir
des victimes plus jeunes
.
21. En raison du développement rapide des TIC, la violence sexuelle
à l’égard des enfants a atteint un niveau sans précédent. Des pratiques
comme le «
sexting» (images
et matériels sexuellement explicites autoproduits impliquant des
enfants), le «
revenge porn»
(divulgation non consentie d’images sexuelles, ou vengeance pornographique),
le «
sex-chatting» (échange
de propos ou de matériels sexuels en ligne), le «
sextorsion» (chantage sexuel) et
le «
grooming» (sollicitation
en ligne d’enfants à des fins sexuelles) ne sont que quelques exemples
illustrant les formes d’abus possibles
. Alors que, selon les estimations,
environ 175 000 enfants se connectent à internet pour la première
fois chaque jour, trop peu de mesures sont prises pour les sensibiliser
aux dangers qui les guettent. Bien souvent, ils se sentent à tort
plus en sécurité lorsqu’ils partagent des informations privées et
sensibles en ligne, plutôt que dans d’autres contextes
. Des images autoproduites sexuellement
explicites se retrouvent souvent en accès libre et peuvent être
utilisées à des fins de cyberharcèlement et de
sextortion, non sans conséquences
traumatisantes pour les enfants concernés. C’est pour cela que le
Comité de Lanzarote a décidé de se concentrer sur la question des
images autoproduites sexuellement explicites dans son deuxième cycle
de suivi (2017-2020)
.
22. L’hypersexualisation de nos sociétés en général et des enfants
en particulier, combinée à la normalisation de la pornographie,
crée un terrain fertile pour les abus. Mme Gail
Dines, fondatrice de l’organisation
Culture
Reframed, fondée pour traiter de la pornographie comme
une crise de santé publique, a rapporté lors d’une conférence Ted
Talk les propos choquants d’un auteur d’abus sexuels sur mineurs
ayant affirmé ne plus avoir besoin de manipuler psychologiquement
des mineurs pour les mettre en confiance à des fins sexuelles, puisque
la culture ambiante s’en charge à sa place
. Cette «culture pornifiée» véhiculée
au quotidien par des magazines, des applications et des chaînes
musicales s’adressant aux adolescents «préparent» les enfants à
la pornographie, qui veulent alors répondre aux attentes concernant
leur apparence physique et leur comportement sexuel. L’âge moyen
de la première exposition à la pornographie se situe actuellement
entre neuf et onze ans
. Des images sexuellement suggestives
sont utilisées pour vendre toutes sortes de produits. Elles sont
affichées dans l’espace public, notamment dans les bus et dans la
rue, et ne semblent plus choquer grand monde
. Des chanteuses mondialement connues
ont produit des clips, nourris de l’imagerie «porno soft» présentée
comme un signe d’émancipation, de réussite et du
girl power, qui ont été largement
diffusés par les médias grand public. Par ailleurs, un magazine
en ligne a promu l’idée que la prostitution est une profession tout
aussi légitime qu’une autre
. Cela amène les enfants à avoir une perception
déformée de la sexualité, qui les rend vulnérables aux comportements
sexuels à risque ainsi qu’aux abus et à l’exploitation sexuels.
23. Les violences sexuelles sont une atteinte grave à la dignité
humaine. Elles affectent profondément l’estime de soi des victimes
et compromettent leurs relations futures et leurs chances de réussite
dans la vie. Au Royaume-Uni, une enquête parlementaire a montré
que les violences sexuelles ont des effets dévastateurs tout au
long de la vie sur les relations intimes (90 % des répondants),
la vie familiale (81 %), la carrière (72 %) et l’éducation (65 %)
.
24. La violence sexuelle a par ailleurs des effets sur la santé
physique et mentale des victimes, et se traduit souvent par des
angoisses, de la dépression, des troubles obsessionnels compulsifs,
des troubles du sommeil et un syndrome de stress post-traumatique
. Dans les cas extrêmes, elles induisent
un risque de suicide. Une étude portant sur un échantillon de 147
adolescentes de 14 à 18 ans victimes d’abus sexuels a conclu que 66 %
d’entre elles présentaient des symptômes avérés de stress post-traumatique,
et 53 % de dépression. Près de la moitié (46 %) indiquaient avoir
eu des pensées suicidaires dans les trois derniers mois
.
25. D’autres effets à long terme identifiés comme étant liés à
l’abus sexuel sont moins bien connus et sous-estimés: troubles alimentaires,
alcoolisme ou toxicomanie, douleurs chroniques, troubles gastro-intestinaux, musculosquelettiques,
neurologiques, métaboliques, cardiovasculaires, gynécologiques et
allergies dermatologiques, par exemple
.
26. La violence sexuelle à l’égard d’enfants a un coût économique
et social élevé. Il ressort d’une étude de grande ampleur fondée
sur des données automatisées de régimes de soins de santé concernant
le recours aux soins et leur coût, que les frais en soins de santé
des femmes ayant subi des abus sexuels dans l’enfance étaient supérieurs
(de l’ordre de 18 %) à ceux des femmes n’ayant pas déclaré avoir
été victimes de violences
. Le fardeau économique total, sur
toute la durée de la vie, des abus sexuels commis sur les enfants est
estimé à 9,3 milliards de dollars aux États-Unis, sur la base des
données relatives aux violences sexuelles sur enfants recensées
en 2015
.
4. COVID-19:
la violence sexuelle à l’égard d’enfants en période de crise sanitaire
mondiale
27. Au moment de la rédaction du
présent rapport, bon nombre de gouvernements ont pris des mesures exceptionnelles
pour faire face à la pandémie de COVID-19 et sauver des vies humaines,
notamment un confinement total ou partiel, la fermeture d’écoles
et des restrictions de mouvement. Alors qu’une crise sanitaire d’une
telle ampleur nécessite une action rapide et déterminée, des voix
se sont élevées pour mettre en garde contre les répercussions de
cette situation sur le bien-être des enfants et pour que des mesures spécifiques
de protection de l’enfance soient prises.
28. Dans une situation où un tiers de la population mondiale est
confiné et où 1,5 milliard d’enfants ne vont pas à l’école en raison
de la pandémie de COVID-19
, beaucoup d’enfants se retrouvent
piégés avec leurs agresseurs. Les personnes qui, en temps normal,
pourraient détecter des abus potentiels – membres de la famille,
enseignants et entraîneurs – n’ont pas de contact direct avec ces
enfants. Le nombre de signalements de mauvais traitements aux services
sociaux et d’appels aux lignes d’assistance téléphoniques a chuté
, et donc les professionnels voient
moins d'enfants vulnérables ce qui fait craindre que beaucoup d’abus
restent non signalés. Les services de santé étant sous pression
pour lutter contre la pandémie et ne fournissant qu’un soutien minimum
dans d’autres cas, les possibilités de détecter des abus sexuels
commis sur des enfants et d’y faire face sont considérablement réduites
.
29. S’il est difficile actuellement d’estimer combien d’enfants
sont concernés, l’UNICEF rappelle que des taux plus élevés d’abus
et d’exploitation d’enfants ont été enregistrés lors de précédentes
crises de santé publique. La fermeture d’écoles lors de la flambée
épidémique de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest de 2014
à 2016, par exemple, a entraîné des pics du nombre de cas de travail
d’enfants, de négligences, d’abus sexuels et de grossesses précoces.
En Sierra Leone, le nombre de grossesses précoces a plus que doublé,
passant à 14 000, par rapport à la période antérieure à l’épidémie
.
30. Dans de nombreux cas, les services sociaux se retrouvent sans
aucune règle à l’échelle nationale ni aucun conseil sur la manière
d’adapter leur approche pour s’assurer que des garanties, même minimes,
sont en place lorsque le contact est limité
. Les travailleurs sociaux ont beau
craindre pour le bien-être des enfants, ils n’ont aucun moyen efficace
d’évaluer la situation. Même lorsque les enfants ont accès à un
téléphone, il est peu probable qu’ils puissent s’isoler pour pouvoir
discuter librement. La divulgation d’abus peut être extrêmement
difficile pour les enfants et nécessite souvent que les travailleurs
sociaux passent du temps avec eux pour les mettre à l’aise au moyen
de jeux, de jouets ou de dessins. En l’absence de telles possibilités
du fait du confinement, les travailleurs sociaux s’inquiètent des
préjudices potentiels pour les enfants concernés, ainsi que des
répercussions éventuelles sur leur responsabilité et leur pratique,
quand les choses vont mal.
31. Beaucoup d’enfants confinés se trouvent en situation de forte
vulnérabilité en raison d’un handicap ou d’une situation de dépendance.
Cela inclut les enfants des rues, les enfants placés dans des structures d’accueil
extrafamiliales et les enfants qui se trouvent dans des camps de
réfugiés et des lieux de privation de liberté. Le fait que les services
et les contacts avec le monde extérieur soient réduits nuit encore
davantage au bien-être mental et physique de ces enfants et amplifie
le risque qu’ils deviennent victimes ou auteurs de violences sexuelles.
32. Les enfants confinés passant plus de temps sur internet, notamment
pour jouer en ligne ou pour utiliser les réseaux sociaux, ils sont
aussi plus exposés aux prédateurs sexuels. Dans les systèmes éducatifs
du monde entier, il a fallu mettre en place rapidement un enseignement
à distance sans avoir pu prendre le temps de bien réfléchir aux
solutions adoptées ni les préparer et les tester suffisamment; en
plus de cela, certaines applications utilisées à des fins éducatives
ne parviennent pas à protéger les enfants contre l’attention indésirable
d’adultes ou l’identification de leurs informations personnelles.
Des discussions sur les possibilités d’exploiter sexuellement des
enfants dans le contexte de la pandémie de COVID-19 font leur apparition
sur le dark web
.
33. Des millions de personnes se trouvant sans travail, la demande
de contenu pornographique a rapidement augmenté. Pornhub, l’un des
plus grands sites pornographiques au monde, a proposé gratuitement
son offre premium pendant un mois «dans un effort visant à encourager
les gens à rester chez eux et à pratiquer la distanciation sociale
lors de la pandémie de COVID-19»
. Un essai gratuit de la plateforme
proposé précédemment en Europe avait entraîné une augmentation de
61 % du trafic en Espagne, 57 % en Italie et 38 % en France. Pornhub
permet à quiconque possède un compte de publier du contenu, qui est
ensuite vérifié par des modérateurs humains et des technologies
automatisées. Par le passé, la plateforme a fait l’objet d’allégations
de non-suppression d’images et de vidéos montrant des abus sexuels
commis sur des enfants. Ces développements sont particulièrement
inquiétants, si l’on considère que plus d’un tiers des contenus
en ligne d’abus sexuels à l’égard d’enfants seraient «autoproduits».
En parallèle, un magazine en ligne et une application de messagerie
multimédia encouragent leur public d’adolescents à créer et à partager du
contenu sexuellement explicite, ces derniers étant confinés chez
eux en raison de la pandémie de coronavirus
.
34. Il est encourageant de noter en revanche que bon nombre d’organisations
n’ont pas tardé à susciter une prise de conscience, à fournir des
orientations et à diffuser des ressources utiles. M. António Guterres, Secrétaire
général des Nations Unies, a tiré la sonnette d’alarme quant au
fait que ce qui a débuté comme une crise de santé publique se muait
rapidement en une crise des droits humains
. Dans le nouveau rapport des Nations
Unies sur la pandémie de
COVID-19
et les droits de l’homme, il est souligné que les États doivent protéger les enfants
de la violence et garantir la continuité des services d’aide et
de soutien lors de la crise
. Le groupe de travail interinstitutionnel
des Nations Unies contre la violence faite aux enfants a élaboré
un Plan d’action
, qui donne des exemples de la façon
dont les États membres peuvent faire de la protection des droits
de l’enfant l’une de leurs priorités absolues durant la crise et
appelle à faire de la protection de l’enfance une cause commune
capable de provoquer un sentiment d’unité renforcé entre les peuples
.L’Organisation mondiale
de la santé et une vingtaine d’autres organisations ont appelé les
gouvernements à faire en sorte que les plans d’intervention face
à la pandémie de COVID-19 intègrent des mesures adaptées à l’âge
et tenant compte des spécificités liées au genre afin de protéger
tous les enfants de la violence et que les services de protection
de l’enfance soient jugés essentiels et pourvus de ressources en
conséquence
.
35. Le Comité de Lanzarote a appelé ses États parties à s’assurer
que tous les enfants sont confinés dans un environnement sûr et
a souligné l’importance des lignes téléphoniques d’assistance et
d’urgence
. Le GREVIO (le Groupe d’experts
sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique) a salué les solutions adoptées par les États membres
pour lutter contre la violence domestique, notamment le lancement
de campagnes d’information, la mise en place d’un soutien psychosocial
en ligne et l’inclusion des services d’aide aux victimes de violences
domestiques dans la liste des services dits «essentiels», et a encouragé
toutes les Parties à la Convention d’Istanbul à poursuivre sur cette
voie
.
36. L’Alliance pour la protection de l’enfance dans l’action humanitaire
a établi une note technique afin d’aider les praticiens de la protection
de l’enfance dans leur mission lors de la pandémie
. Des réseaux tels que la Société
internationale pour la prévention des mauvais traitements et négligences
envers les enfants
et la
Global
Partnership to End Violence Against Children ont mis des ressources à la disposition
des parents, des décideurs et des professionnels de la protection
de l’enfance.
5. Une
base solide pour aller de l’avant
37. Ces dernières années, des efforts
considérables pour lutter contre la violence à l’égard des enfants
ont été déployés aux niveaux national, européen et mondial. Le présent
rapport ne saurait en rendre compte de façon exhaustive, mais je
voudrais néanmoins mentionner quelques exemples.
5.1. La
lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants à l’échelon
national: l’Allemagne
38. Les violences sexuelles à l’égard
d’enfants ont fait les gros titres de la presse en Allemagne en
2010 lorsque des affaires d’abus sexuels graves et répandus dans
des internats catholiques et dans un internat privé « réformé »,
non affilié à un ordre religieux, ont éclaté au grand jour
.
Les cas de l’Allemagne et de l’Irlande avaient déjà fait l’objet
d’une attention particulière dans le rapport de l’Assemblée parlementaire
de 2010 – rédigé par notre ancienne collègue, Mme Marlene
Rupprecht (Allemagne, SOC): intitulé « Sévices sur des enfants placés
en établissement: garantir la protection pleine et entière des victimes »
.
39. Le Gouvernement allemand avait réagi en instaurant une table
ronde dédiée aux abus sexuels sur des enfants piégés dans des relations
de dépendance et de pouvoir au sein d’institutions publiques et
privées ou de la famille et en nommant un Commissaire indépendant
en 2010
. Toutefois, bon nombre de victimes
et survivants, jugeant cette mesure insuffisante, avaient maintenu
leur pression. Une Commission d’enquête indépendante sur les abus
sexuels sur enfants a été créée en 2016
. Un nouveau Conseil
national pour la prévention des abus sexuels sur mineurs s’est réuni
pour la première fois le 2 décembre 2019
.
5.1.1. Le
système de justice pénale
40. Comme celui de bon nombre de
nos pays, le système de justice pénale allemand n’est pas (encore)
bien pourvu pour traiter les cas d’abus sexuels sur enfants selon
des modalités encourageant les signalements. De nombreuses victimes
et survivants ayant contacté la Commission d’enquête indépendante
ont avoué ne pas avoir signalé leur cas, de peur à la fois de se
heurter à un certain manque de sensibilité, de ne pas être crues
, et
de se retrouver confrontées à des situations associées à de fortes
tensions psychiques si elles assumaient ce rôle
.
Ces considérations sont l’une des raisons pour lesquelles les spécialistes
(y compris les centres de conseil ou les ONG spécialisés dans l’aide
aux victimes comme Wildwasser e.V.) recommandent souvent de ne pas
dénoncer les faits
. La
durée des procédures, la légèreté perçue des peines et le délai
de prescription peuvent aussi agir comme un frein. La Commission
d’enquête a formulé des recommandations pour remédier à ces problèmes,
préconisant notamment de dispenser une formation appropriée aux
procureurs et aux juges, d’accélérer les procédures et de doter
de manière durable le système judiciaire des ressources humaines
et matérielles requises.
41. Il convient cependant de reconnaître que la modification en
2015 des modalités d’application du délai de prescription, lequel
ne commence désormais à courir que lorsque les victimes atteignent
l’âge de 30 ans, représente un progrès considérable. En outre, pour
les abus sexuels les plus graves commis sur des enfants, le délai
de prescription peut atteindre 20 ans. Le nouveau délai de prescription
ne s’applique pas aux victimes et survivants d’infractions pénales
déjà prescrites le 27 janvier 2015, date d’entrée en vigueur de
la loi, ce qui n’a pas manqué de provoquer le mécontentement de
bon nombre des personnes concernées. La réforme de la justice pénale
de 2015 a également amélioré la situation en ce qui concerne la
poursuite des infractions liées à la pédopornographie et à l’exploitation
sexuelle des enfants (sexueller Missbrauch
Schutzbefohlener). La criminalisation du pédo-piégeage
(cyber-grooming) était à l'examen
(parlementaire) pendant ma visite. Elle a récemment été inscrite
dans la loi allemande selon ma collègue Mme Sybille
Benning le 19 mai 2020. La première maison pour enfants basée sur
le modèle islandais Barnahús a
ouvert ses portes à Leipzig en septembre 2018.
5.1.2. Soutien
aux victimes
42. Les trois principales revendications
de l’ONG « Eckiger Tisch e.V.»
(créée par des victimes d’abus sexuels sur mineurs infligés dans
des écoles catholiques gérées par l’ordre des Jésuites) reflète
parfaitement les demandes des ONG créées par des victimes et survivants
en Allemagne et s’établissent comme suit: « réévaluation » (Aufarbeitung), soutien et indemnisation.
Selon cette organisation, aucune de ces trois revendications n’a
été satisfaite à ce jour.
43. En ce qui concerne la réévaluation, l’ONG considère que les
efforts de l’Église catholique en Allemagne sont insuffisants. Alors
qu’une étude de septembre 2018 sur les abus sexuels sur enfants
dans l’Église catholique allemande – commandée par la Conférence
des évêques allemands – a identifié 3 677 victimes « avérées » et
1 670 prêtres catholiques auteurs d’infractions, d’autres études
vont jusqu’à chiffrer le nombre de victimes à 100 000
. Il convient toutefois de signaler
que l’Église catholique allemande, au cours des sept dernières années,
a activement mis en place des mesures de prévention et désigné des
personnes chargées de lutter contre les violences sexuelles sur
enfants.
44. Le soutien aux victimes paraît satisfaisant, même si une grande
part de ces activités essentielles est assumée par des ONG et des
associations de victimes et de survivants, dont bon nombre sont
submergées et ne bénéficient pas d’un financement durable. Les délais
d’attente pour obtenir une aide psychologique peuvent être longs
et les services de protection de l’enfance croulent souvent sous
les dossiers.
45. La question de l’indemnisation est également problématique,
comme dans la plupart de nos pays. Alors que la table ronde a créé
un fonds (Ergänzendes Hilfesystem),
trop peu de victimes et survivants en connaissent l’existence et
rares sont les personnes qui en profitent. L’Église catholique en
Allemagne offre une indemnisation, plafonnée à 5 000 euros, au titre
de la souffrance morale (laquelle pèse pourtant sur les intéressés
pendant toute leur vie) ; le montant moyen des indemnités allouées
s’établit néanmoins à 3 000 euros et le système de dépôt et de traitement
des demandes a fait l’objet de critiques en raison de son caractère
opaque. Les bénéficiaires sont très peu nombreux.
5.1.3. Mesures
préventives
46. Les mesures préventives sont
au cœur de l’action de M. Johannes-Wilhelm Rörig, Commissaire indépendant
chargé des questions relatives aux abus sexuels sur enfants. Il
mène depuis des années la campagne « Aucune place aux abus » à laquelle
il a récemment associé 30 000 écoles allemandes
L’exemple de la
Wilhelm-von-Humboldt-Gemeinschaftsschule de
Berlin prouve l’importance de l’adoption d’un code de conduite à
l’intention des adultes s’occupant d’enfants et de la désignation
d’une personne (dans le cas de cette école, un enseignant) chargée
des mesures de prévention. Il est également capital que les adultes « écoutent »
et agissent lorsqu’un enfant a été maltraité ; malheureusement,
en général, un enfant doit raconter son histoire jusqu’à 10 fois
avant d’être entendu. Jusqu’à présent, seuls 4 % des établissements
scolaires ont pris des mesures globales.
47. Les ONG (comme « Innocence en danger ») sont particulièrement
actives dans le domaine de la prévention des abus dans le cyberespace.
L’une de leurs préoccupations actuelles est de veiller à ce que
les mesures de protection des données n’aillent pas à l’encontre
des mesures de protection des enfants. La violence sexuelle numérique
entre pairs parmi les mineurs est en augmentation. La lutte contre
les abus sexuels et l’exploitation des enfants dans le tourisme
à l’ère de l’économie de plateforme (laquelle favorise l’anonymat
des auteurs d’abus et un accès sans précédent aux enfants par le
biais du « tourisme humanitaire ») pose un nouveau défi. Toutefois,
les progrès dans le domaine des TIC facilitent également la mise
en relation, le réseautage et l’entraide entre victimes.
48. Le Commissaire indépendant chargé des questions relatives
aux abus sexuels sur enfants s’efforce aussi de promouvoir des mesures
de prévention et d’intervention plus nombreuses et de meilleure
qualité dans les 90 000 clubs sportifs allemands. L’idée de réserver
les financements publics aux clubs ayant mis en place des mesures
appropriées fait son chemin.
49. Pour conclure, un large éventail de mesures a été mis en place
en Allemagne ces dernières années afin d’aborder la violence sexuelle
à l’égard des enfants sous différents angles: le cadre juridique,
la collaboration entre organismes compétents, les mesures de prévention
et les mesures favorisant le rétablissement des victimes. La sensibilisation
du grand public à l’existence et à l’étendue des abus sexuels sur
enfants a progressé en Allemagne (même si, d’après les estimations,
80 % des cas ne seraient pas signalés
),
et l’on s’accorde désormais à penser qu’il faudrait faire davantage
pour prévenir en premier lieu ce fléau. Cependant, des problèmes
persistent. Les personnes rencontrées considèrent que la lutte contre
ce type de violences ne fait pas encore partie des priorités politiques,
et qu’il faudrait un financement pérenne pour pouvoir changer les choses
de manière durable.
5.2. La
lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants à l’échelle
européenne
50. Au niveau européen, des efforts
concertés ont été déployés au cours des dernières décennies pour lutter
contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, notamment en
matière d’élaboration de normes, de suivi et de sensibilisation.
5.2.1. Instruments
juridiques
51. La Convention de Lanzarote
a pour but de prévenir et de combattre l’exploitation et les abus
sexuels sur enfants, de protéger les droits des enfants victimes
d’exploitation ou d’abus sexuels et de promouvoir la coopération
nationale et internationale dans ce domaine. Tous les États membres
du Conseil de l’Europe, sauf un (Irlande), sont liés par cette Convention.
52. La Convention d’Istanbul impose aux États l’obligation de
prendre des mesures pour prévenir la violence à l’égard des femmes,
protéger ses victimes et engager des poursuites à l’encontre de
ses auteurs. Dans ce traité, le terme «femmes» englobe les filles
de moins de 18 ans. Il est important de souligner la pertinence
de la Convention d’Istanbul car, dans la plupart des cas, les victimes
de violence domestique ont des enfants et la violence est également
dirigée contre les enfants. Lorsque les enfants ne sont pas directement
ciblés, ils souffrent en tant que témoins de violences contre leur
mère et ont donc besoin de protection. Une limite demeure, puisque
la Convention d’Istanbul ne s’applique qu’aux filles et non aux
garçons qui pourraient subir les mêmes violences.
53. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la
traite des êtres humains (STCE n°197) couvre également le problème
de la violence à l’encontre des enfants, y compris la violence sexuelle
dans le contexte de la traite des êtres humains. L’article 5 de
la Convention stipule que «Chaque Partie devra prendre des mesures
spécifiques afin de réduire la vulnérabilité des enfants au trafic,
notamment en leur créant un environnement protecteur»
.
54. La Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité
(Convention de Budapest, STE n°185) traite des problèmes d’exploitation
et d’abus d’enfants par le biais des TIC.
55. Dans le contexte de l’Union européenne, le Conseil et le Parlement
européen ont adopté une Directive relative à la lutte contre les
abus sexuels, l’exploitation sexuelle des enfants ainsi que la pédopornographie
et suivent sa mise en œuvre
. Cette directive reprend les obligations
contenues dans la Convention de Lanzarote.
5.2.2. Monitoring
56. Le Comité de Lanzarote du Conseil
de l’Europe suit la mise en œuvre de la Convention de Lanzarote en
cycles thématiques, soulignant les bonnes pratiques ainsi que les
lacunes dans les États parties. Il a axé son 1er cycle de suivi
sur la protection des enfants contre les abus sexuels commis dans
le cercle de confiance. Son suivi a mené à la publication de deux
rapports de mise en œuvre, en 2015
et 2018 respectivement
.
57. Le premier rapport du Comité («Le cadre») s’articule autour
de quatre grands volets: i) l’incrimination des abus sexuels commis
sur des enfants dans le cercle de confiance;; ii) le recueil de
données sur les abus sexuels commis sur des enfants dans le cercle
de confiance; iii) l’intérêt supérieur de l’enfant et les procédures pénales
adaptées aux enfants en cas d’abus sexuels dans le cercle de confiance;
et iv) la responsabilité des personnes morales à raison de tels
abus. Le rapport souligne particulièrement l’importance de la nomination par
les autorités judiciaires d’un représentant spécial pour la victime
afin d’éviter des conflits d’intérêts entre les détenteurs de la
responsabilité parentale et la victime; la nécessité d’une procédure
protectrice et adaptée aux enfants pour les enfants victimes dans
des procédures pénales; la pertinence de lieux adaptés aux enfants (tels
que les
Barnahús) aux fins
d’entretiens médico-légaux et de déclarations judiciaires; et la
nécessité de garantir les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant
en toutes circonstances
.
58. Le deuxième rapport («Les Stratégies») aborde les six questions
suivantes: i) la contribution des enfants, de la société civile,
du secteur privé et des médias à l’élaboration et à la mise en œuvre
de stratégies de lutte contre les abus sexuels contre des enfants
commis dans le cercle de confiance; ii) la sensibilisation aux abus
sexuels contre des enfants commis dans le cercle de confiance; iii)
éducation et formation spécialisée sur les abus sexuels contre des
enfants; iv) le signalement des soupçons d’abus sexuels contre des
enfants; v) le maintien des personnes condamnées pour des actes
d’abus sexuels contre des enfants à l’écart des enfants; et vi)
les programmes ou mesures d’intervention pour délinquants sexuels.
59. En 2017, le Comité de Lanzarote a publié un rapport spécial
qui est le fruit d’un cycle de suivi urgent afin d’évaluer la manière
dont les Parties à la Convention protègent les enfants touchés par
la crise des réfugiés contre l’exploitation et les abus sexuels
. Le Comité s’attache à présent à
examiner la façon dont ses recommandations ont été mises en œuvre
par les États parties.
60. Le 2e cycle de suivi de la Convention
de Lanzarote (en cours) est axé sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels facilités par les TIC
. Le phénomène du
sexting soulève des enjeux d’une grande
importance: les enfants se mettent en scène (ils se prennent en
photo, se filment, etc.) et ces images pourraient être considérées
comme du matériel d’abus sexuels d’enfants ou de la pédopornographie.
En 2019, le Comité de Lanzarote a adopté un avis sur les images
et/ou vidéos d’enfants sexuellement suggestives ou explicites produites,
partagées ou reçues par des enfants dans lequel il spécifiait les
cas n’appelant pas de poursuites pénales et soulignait que ces enfants
devraient bénéficier d’un soutien
. L’avis indiquait également les situations
où les poursuites pénales ne devraient être déclenchées qu’en dernier
ressort.
61. Le Comité de Lanzarote est aussi chargé de faciliter la collecte,
l’analyse et l’échange d’informations, d’expérience et de bonnes
pratiques apportées par les Parties, la société civile et autres
parties prenantes afin d’améliorer les capacités d’action (lutte
et prévention) contre l’exploitation et les abus sexuels concernant
des enfants
. À titre d’exemple, il a, dans un
cadre précis, pointé du doigt le fait que le système judiciaire néerlandais
n’admettait pas les éléments de preuve recueillis contre des délinquants
sexuels par des policiers se faisant passer pour des enfants, au
motif qu’il n’y avait aucun enfant impliqué dans ces contacts, mais seulement
des adultes prétendant être des enfants. Suivant l’exemple d’autres
systèmes judiciaires, qui considèrent que le fait de chercher à
entrer en contact avec des enfants fait partie des infractions à
caractère sexuel, les Pays-Bas ont depuis modifié leur droit interne
en conséquence, de façon à remédier au problème.
62. Le Comité de Lanzarote organise, en marge de ses réunions,
des séminaires de renforcement des capacités nationales qui donnent
à ses membres un précieux aperçu de l’évolution de la situation
dans pays donné. J’ai participé à une rencontre de ce type à Chypre
en 2019, et découvert avec un vif intérêt l’ample stratégie nationale
du pays, qui couvre la prévention primaire, secondaire et tertiaire,
et adopte une approche incluant l’ensemble de la société. Une excellente
coopération interdisciplinaire a débouché sur la création d’une
Maison des enfants. Chaque service a dû céder une partie de son
mandat, mais tout le monde en a profité en fin de compte, avec des
services plus efficaces et mieux adaptés aux enfants. Le soutien
apporté au plus haut niveau (jusqu’au Président chypriote) et une
volonté politique marquée ont été essentiels dans la réussite de
cette entreprise. Le secteur privé et les organisations de la société
civile ont joué un rôle important. L’association Foni (Voix), par
exemple, propose un espace sécurisé où trouver de l’aide, et donne
une voix aux victimes de violences sexuelles. Ces nouveautés m’ont
particulièrement intéressée du fait que l’Assemblée avait organisé
un projet pilote à Chypre entre 2013 et 2016 dans le cadre de la
campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe, à laquelle s’était
activement associée notre ancienne présidente Mme Stella
Kyriakides, et qui bénéficiait du soutien financier de la fondation
A.G. Leventis ; j’ai été très heureuse de constater que ce travail
avait acquis une dimension durable et eu de fructueux prolongements.
63. Ces dix dernières années, le Conseil de l’Europe a intensifié
son appui aux projets de coopération visant à aider les États membres
à aligner leurs politiques et leurs pratiques sur les normes du
Conseil de l’Europe et à remédier aux insuffisances constatées dans
les activités de suivi. Un exemple en est donné par le projet «Mettre
fin à l’Exploitation et aux Abus Sexuels des Enfants en Ligne @Europe»
(EndOCSEA@Europe), administré par la Division des droits des enfants
et réalisé en liaison avec le Bureau sur la Cybercriminalité (C-PROC)
de Bucarest. Le projet vise à renforcer les réponses à ce type de
violence en Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie Herzégovine, Géorgie,
République de Moldova, Monténégro, Serbie, Turquie et Ukraine. L’Arménie,
l’Azerbaïdjan et l’Ukraine ont été retenus comme pays pilotes
. L’assistance fournie à la Slovénie dans
la création d’une Maison des enfants sur le modèle islandais (
Barnahús), en coopération avec l’Union Européenne,
en est un autre exemple. Des projets d’aide aux États dans l’intensification
de leur lutte contre les violences à l’égard des enfants, y compris
les violences sexuelles, sont de plus en plus fréquemment lancés au
titre des plans d’action nationaux, comme en Géorgie, en République
de Moldova et en Ukraine.
64. Quant à la Convention d’Istanbul, des rapports réguliers sont
publiés sur la base d’une procédure de suivi pays par pays. Le Comité
des Parties, qui est composé de représentants des Parties à la Convention,
et le GREVIO, qui est un organe indépendant spécialisé, sont responsables
de cette procédure. La mise en œuvre de la Convention est également
soutenue par des activités de sensibilisation et de coopération.
En mai 2019, une Conférence sur «Les droits des femmes à la croisée
des chemins» consacrée à la coopération internationale pour mettre
fin à la violence à l’égard des femmes a été organisée par le Conseil
de l’Europe en coopération avec le Rapporteur spécial des Nations
Unies sur la violence à l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences,
et la Présidence française du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe. À cette occasion, une déclaration sur «La violence des
partenaires intimes à l’encontre des femmes est un facteur essentiel
dans la détermination de la garde des enfants» a été faite
. Une ressource utile produite dans
le cadre du programme est le manuel «Prévenir et combattre la violence
domestique à l’égard des femmes: une ressource d’apprentissage pour
la formation des responsables de l’application des lois et de la
justice»
.
65. Le GRETA, Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des
êtres humains, est responsable du suivi de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
n°197). En 2018, sur la base de son 2e cycle
d’évaluation, il a produit un rapport concernant la traite des enfants.
Ce rapport souligne qu’en moyenne, les enfants représentent un quart
des victimes identifiées de la traite des êtres humains
. Entre autres recommandations, le
GRETA a souligné la nécessité d’intégrer la sensibilisation à la traite
des enfants dans les écoles, la formation des enseignants et l’éducation
parentale, ainsi que les services sociaux et de protection de l’enfance.
66. Enfin, il existe une jurisprudence abondante de la Cour européenne
des droits de l’homme concernant plusieurs aspects des abus sexuels
sur mineurs. Dans certaines affaires, la Cour a constaté que la
persistance des abus avait été favorisée par l’inaction de l’État
(
E. et autres c. Royaume-Uni,
n° o 33218/96, 2002 et
E. S. et autres
c. Slovaquie, n° 8227/04, 2009). Dans d’autres affaires,
la Cour a conclu à la responsabilité directe de l’État (
Aydın c. Turquie, n° 23178/94, 1997)
ou constaté le non-respect des procédures en place, par exemple
lorsque la politique des autorités est de n’engager des poursuites
dans les affaires de viol que s’il est démontré que la force physique
a été employée (
M. C. c. Bulgarie,
n° 39272/98, 2003). La Cour a également estimé que dans la mise
en balance des intérêts en jeu, à savoir l’intérêt de l’enfant et
la protection de l’agresseur présumé (contre une dénonciation diffamatoire
par exemple), un poids prépondérant doit être accordé à la lutte
contre les abus sur mineur (
Juppala c.
Finlande, n° 18620/03, 2008)
. Dans une affaire, la Cour a dit
que les pouvoirs publics ont l’obligation, inhérente à leur mission,
de protéger les enfants contre les mauvais traitements, et que cette
obligation n’était pas satisfaite dès lors que les plaignants potentiels
étaient éloignés des autorités de l’État et dirigés vers les directeurs
des établissements scolaires. Pour la Cour, un mécanisme de détection
et de signalement permettant la perpétration de plus de 400 incidents
d’abus par un enseignant ne pouvait que passer pour ineffectif (
O’Keeffe c. Irlande, n° 35810/09,
2014)
.
67. Le domaine prioritaire «une vie sans violence pour tous les
enfants» de la Stratégie 2016-2021 du Conseil de l’Europe pour les
droits de l’enfant définit un cadre commun d’action à l’intention
des États membres en la matière. Une conférence d’évaluation de
la Stratégie à mi-parcours a rassemblé en 2019 des parties prenantes
pour des débats critiques et francs sur les résultats obtenus, les
obstacles rencontrés et les tendances observées en ce qui concerne
les droits des enfants, notamment la protection des enfants contre la
violence sexuelle
.
5.2.3. Sensibilisation
68. Le Conseil de l’Europe a produit
un large éventail de matériels de sensibilisation, notamment des
vidéos percutantes dont beaucoup sont devenues virales sur internet
(comme «Start to Talk» (« Donnons de la voix»), «Le Lac», «Parle
à quelqu’un de confiance», «Donc, ça c'est de l’abus sexuel?» et
«Kiko et la main»)
.
69. La Journée européenne pour la protection des enfants contre
l’exploitation et les abus sexuels a lieu chaque année, le 18 novembre
. Ses buts sont la sensibilisation
à la violence de ce type, le partage de bonnes pratiques de lutte,
ainsi que la promotion de la ratification et de la mise en œuvre
de la Convention de Lanzarote. Elle a été créée en 2015 par le Comité
des Ministres de l’organisation, en réponse à une recommandation
de l’Assemblée.
70. La dernière campagne du Conseil de l’Europe sur ce sujet invite
à dénoncer les abus sexuels sur les enfants dans le sport. Placée
sous le slogan «Start to Talk» (Donnons de la voix), elle est gérée
par l’Accord partiel élargi sur le Sport (APES)
. J’ai eu le privilège de participer
à plusieurs événements organisés dans le cadre de cette campagne.
J’ai été profondément émue par les récits éminemment personnels
partagés par des personnes victimes de tels abus, y compris les
témoignages courageux de Mme Karen Leach
(Irlande), Mme Tineke Sonck (Belgique)
et Mme Gloria Viseras (Espagne), qui
toutes sont devenues militantes des droits des enfants et travaillent
avec acharnement pour que de tels abus ne se reproduisent plus.
71. Cette campagne a été utile pour donner un éclairage sur les
abus sexuels dans le milieu du sport, qui peut être un terrain propice
à ces pratiques et où il reste difficile d’en parler ouvertement.
Pareils abus ne sont pas limités au sport de haut niveau, ils peuvent
se dérouler au sein d’associations et clubs locaux. De même, ce
phénomène n’est pas limité au sport, mais existe dans tous les contextes
où des adultes ont accès à des enfants, comme les établissements
culturels, d’enseignement ou religieux. Quantité d’exemples de bonnes pratiques
ont été partagés lors des manifestations organisées dans le cadre
de la campagne, comme la Conférence sur la violence sexuelle à l’égard
des femmes et des enfants dans le sport qui s’est tenue à Helsinki du
29 au 30 avril 2019
.
72. Je voudrais encore rappeler ici que de nombreux organismes
sportifs nationaux et internationaux prennent très au sérieux la
question des abus sexuels dans le sport dans des disciplines comme
le football, l’athlétisme, la gymnastique et la natation. L’un des
objectifs déclarés du Centre pour le sport et les droits de l’homme
(
Centre for Sports and Human Rights)
créé à Genève en 2018 est d’«aligner pleinement le monde du sport
sur les principes fondamentaux de la dignité humaine, des droits
de la personne et des droits du travail»
. L’ancienne Rapporteure spéciale
des Nations Unies sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants, Mme Maud
de Boer-Buquicchio, s’exprimant lors d’une conférence tenue par
le Centre de Genève, a lancé son étude sur la vente et l’exploitation
sexuelle d’enfants dans le contexte du sport
,
en soulignant la nécessité de vérifier
les antécédents des personnes amenées à s’occuper d’enfants dans
le sport, de poursuivre et sanctionner les auteurs, de services
de soins, de rétablissement et de réadaptation et de faire mieux
prendre conscience de ce qu’est une véritable participation
.
73. Toutes les formes d’abus dans le sport montrent en effet que
l’un des facteurs clés est l’abus de pouvoir. Quand un entraîneur,
par exemple, offre à un ou une jeune athlète des avantages en échange
de rapports sexuels, la jeune personne concernée peut être terrifiée
à l’idée d’en parler à quelqu’un, y compris ses parents, de peur
de perdre ces avantages. En 2017, le ministère du Royaume-Uni en
charge du numérique, de la culture, des médias et du sport a demandé
à l’athlète paralympique Baroness Tanni Grey-Thompson un rapport
sur la nécessité d’instaurer un devoir de vigilance renforcée dans
le sport. Sa mission englobait la préparation de lignes directrices
au niveau des clubs sur l’encadrement et l’assistance fournis aux
athlètes, ainsi que la formation des officiels
.
5.2.4. L’action parlementaire
74. Depuis de nombreuses années,
l’Assemblée participe activement à la lutte contre les violences sexuelles
sur enfants. Comme évoqué plus tôt, la campagne UN sur CINQ (2011-2016)
– dont la dimension parlementaire était assurée par l’Assemblée
au moyen d’un réseau de parlementaires de référence – a joué un
rôle décisif pour promouvoir la signature et la ratification de
la Convention de Lanzarote. Plusieurs rapports de l’Assemblée ont
abordé divers aspects de ce phénomène, et l’Assemblée a mené à bien
un projet pilote à Chypre (2013-2016), comme décrit ci-dessus
.
75. L’Assemblée a contribué à la campagne
Start
to Talk (Donnons de la voix) du Conseil de l’Europe par le
biais d’une table ronde organisée sur ce thème à Tbilissi en 2018,
à l’issue de laquelle les participants ont appelé à mettre en œuvre
un plan d’action comprenant 10 actions clés pour une meilleure protection
des enfants contre la violence sexuelle dans le domaine du sport
. Chaque année, l’Assemblée contribue
à la Journée européenne pour la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (18 novembre), instaurée en 2015 par le Comité
des Ministres sur recommandation de l’Assemblée, en organisant des
activités de sensibilisation.
5.3. La lutte contre la violence sexuelle
à l’égard des enfants à l’échelle internationale
76. La Convention sur les droits
de l’enfant protège spécifiquement l’enfant contre la violence sexuelle
et l’exploitation sexuelle (article 34). Elle prévoit une protection
pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants à quelque
fin que ce soit, y compris sous forme d’exploitation sexuelle (article
35). Les États parties s’engagent à faciliter la réadaptation physique
et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de
toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices (article
39).
77. Le Protocole facultatif à la Convention sur les droits de
l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants
et la pornographie mettant en scène des enfants a été adopté en
2000 et est entré en vigueur en 2002. Il définit ce qu’il faut entendre
par vente d’enfants, prostitution des enfants et pornographie mettant
en scène des enfants. Les 176 États parties sont tenus d’ériger
ces violations des droits de l’enfant en infractions pénales et
de fournir une assistance appropriée aux enfants victimes.
78. Les travaux de l’UNICEF, présentés dans des rapports tels
que «Hidden in plain sight: A statistical analysis of violence against
children» [dont il existe un résumé en français intitulé «Cachée
sous nos yeux. Une analyse statistique de la violence envers les
enfants»]
, «Preventing and responding to child
sexual abuse and exploitation: Evidence review», «Promising programmes
to prevent and respond to child sexual abuse and exploitation» et
«Government, civil society and private sector responses to the prevention
of sexual exploitation of children in travel and tourism», fournissent
de précieuses analyses des données mondiales ainsi que des orientations
concernant la politique à mener
.
79. La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations
Unies chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants,
et la Rapporteure spéciale sur la vente et l’exploitation sexuelle
des enfants, jouent toutes deux un rôle actif dans la lutte contre
la violence sexuelle à l’égard des enfants. Leurs rapports constituent
une source précieuse de données à ce sujet. Des exemples récents
en sont la publication intitulée «Keeping the promise: ending violence
against children by 2030»
et le rapport dans lequel la Rapporteure spéciale
examine la question de la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants
dans le contexte du sport
.
80. En octobre 2019, l’échange de vues et d’informations entre
le Comité de Lanzarote et Mme Velina Todorova,
Vice-présidente du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies,
m’a donné l’occasion d’examiner la complémentarité des deux mécanismes
. Le rapport explicatif
des Directives sur la mise en œuvre
du Protocole facultatif susmentionné
comporte de nombreuses références
aux conclusions et documents adoptés par le Comité de Lanzarote.
Le Comité des Nations Unies a moins de temps à consacrer à des discussions
approfondies et apprécie la contribution du Comité de Lanzarote
à l’élaboration de la terminologie. Le secrétariat du Comité de
Lanzarote a contribué à l’élaboration des Directives sur la mise en
œuvre du Protocole facultatif.
81. WePROTECT Global Alliance to End
Violence Against Children est une alliance mondiale dédiée
à l’action nationale et internationale pour mettre fin à l’exploitation
sexuelle des enfants en ligne. Ce mouvement réunit des représentants
de gouvernement, d’organisations internationales et de la société
civile, et d’entreprises technologiques
. Depuis sa création en 2016, le Partenariat
mondial pour mettre fin à la violence à l’encontre des enfants et
le Fonds qui lui est dédié («End Violence») ont investi près de
32 millions de dollars dans 37 projets menés dans 27 pays afin de
lutter contre les violences faites aux enfants et adolescents, principalement
dans les environnements numériques
.
82. Les Objectifs des Nations Unies pour le développement durable,
et en particulier la cible 16.2 – Mettre un terme à la maltraitance,
à l’exploitation, à la traite, à toutes les formes de violence et
de torture dont sont victimes les enfants – fournissent un cadre
mondial général et une puissante dynamique aux efforts nationaux et
internationaux dans ce domaine; j’ai d’ailleurs eu l’occasion de
préparer un rapport sur la contribution du Conseil de l’Europe à
la réalisation de ce but
.
6. Relier
les points: conclusions et recommandations
83. Aujourd’hui, il existe une
quantité considérable de travaux de recherche, de lignes directrices
et d’outils pour lutter contre la violence sexuelle à l’égard des
enfants. Vu le large éventail d’exemples de bonnes pratiques disponibles,
nous disposons d’une expertise et d’une expérience suffisantes qui
pourraient être mises en pratique rapidement.
84. Il faut maintenant assurer un financement correct des mesures
de prévention et d’intervention et la mise en place de moyens humains
suffisants, et promouvoir la communication, la coordination et la
coopération entre les organismes compétents (y compris en matière
de collecte et partage des données et de soutien et accompagnement
des victimes). Le modèle islandais, qui prévoit la mise en place
de structures interdisciplinaires adaptées aux enfants pour le signalement
des abus et la protection des enfants, offre un excellent exemple
de la façon dont il est possible de le faire.
85. La manière de traiter les abus sexuels est un important déterminant
du degré de traumatisme et de la vitesse de rétablissement de l’enfant.
Il est par conséquent essentiel de veiller à ce que les enfants
victimes d’abus sexuels soient crus et soutenus, et à ce que leurs
signalements soient suivis d’effet. Les délais de prise de parole
et d’enregistrement des plaintes doivent être réduits le plus possible.
Cela implique que les ressources humaines et financières nécessaires
soient durablement prévues et disponibles.
86. Il importe certes d’élaborer des lois et instruments pertinents,
mais c’est aux professionnels compétents qu’il incombe de les appliquer.
Pouvoir appréhender la situation de l’enfant dans toute sa complexité
requiert un ensemble de connaissances, capacités, attitudes et valeurs
et une sensibilité particulière. Dès lors, une formation appropriée
devrait figurer au programme d’études des personnels s’occupant
d’enfants victimes, y compris dans le système judiciaire et dans
les services du parquet.
87. Les enfants en situation de vulnérabilité (comme les enfants
des rues, les enfants placés dans des structures d’accueil extrafamiliales
ou en rétention, les enfants handicapés, les enfants migrants ou
réfugiés non accompagnés) sont particulièrement exposés aux violences
sexuelles. Il convient d’accorder une attention particulière à leur
protection et à leur accompagnement.
88. Les abus sexuels sur mineurs se produisent dans tous les milieux
sociaux, y compris au sein de la classe moyenne ou des familles
les plus aisées. Il faut combattre les mythes et éviter la stigmatisation.
89. L’engagement de poursuites effectives contre les auteurs et
l’indemnisation jouent un rôle important dans la réhabilitation
des enfants victimes d’abus sexuels. Elles sont fréquemment perçues
comme la reconnaissance du préjudice subi par la victime, ce qui
lui permet de tourner la page et de passer à autre chose dans sa
vie. L’indemnisation financière devrait être proportionnée à la
gravité de l’acte. Le système de dépôt et d’instruction des demandes
devrait être transparent, et l’information sur les procédures afférentes
devrait être systématiquement communiquée aux survivants de violences
sexuelles. L’État lui-même devrait intervenir pour faire en sorte
que les personnes ayant fait l’objet de violences sexuelles dans
leur enfance soient convenablement indemnisées, en proportion du
préjudice subi, notamment par la création de fonds nationaux d’indemnisation
des victimes non indemnisées par l’auteur ou l’établissement ou
entité juridique responsable.
90. Une large coalition transcendant la société (associant non
seulement le tissu local, mais aussi la classe politique) devrait
être constituée pour lutter contre la violence sexuelle à l’égard
des enfants. Nul ne doit pouvoir abuser de sa puissance pour commettre
des sévices. Il convient que les donneurs d’alerte soient protégés,
de sorte que la violence sexuelle à l’égard des enfants soit dûment
combattue, quels que soient le statut social et les relations personnelles
des auteurs.
91. Il est primordial que des mesures systématiques de prévention
soient prises à grande échelle. L’éducation et la sensibilisation
sont essentielles, qu’il s’agisse de mieux faire percevoir les risques
associés au partage d’images sexuellement explicites, de développer
l’aptitude à former des relations fondées sur le respect, ou de
faire comprendre comment identifier les signes d’abus et réagir.
Cet enseignement sera formel ou informel, et s’insérera à un âge
précoce aussi bien que dans l’apprentissage tout au long de la vie.
Il faudrait faire activement usage des TIC pour susciter une responsabilité
partagée de la protection des enfants contre l’abus sexuel.
92. Cependant, les médias et les TIC ont aussi leur face cachée,
nous le savons. Le Conseil de l’Europe vient de publier une intéressante
étude comparée des dispositifs collectifs de prévention et de lutte
contre l’exploitation et l’abus sexuels des enfants en ligne
. L’auteur de ce travail, M. John
Carr, un expert indépendant, conclut qu’il faudrait faire procéder
à une étude de faisabilité visant à déterminer les paramètres opérationnels
et le coût probable de la création d’un observatoire ou d’un groupe
de réflexion mondial ayant vocation à devenir la première ressource
mondiale à la disposition des décideurs politiques et des organisations
de la société civile, avec une composante axée sur les droits et
le bien-être de l’enfant dans l’environnement numérique. Je pense
comme lui qu’il serait nécessaire de créer un centre d’expertise
dans le domaine technologique, qui viendrait compléter les Lignes
directrices de 2018 du Comité des Ministres relatives au respect,
à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans
l’environnement numérique, et je suggère à l’Assemblée de consacrer
un rapport spécifique à cette question dans un proche avenir
.
93. Nous devons faire face au problème de l’hypersexualisation
des enfants et de la «pornification» de nos sociétés. Nous ne saurions
définir nos sociétés par des intérêts purement commerciaux, guidés
par l’idée que «le sexe fait vendre». S’il faut reconnaître que
les attitudes vis-à-vis de la sexualité ne cessent d’évoluer, nous devons
aussi tenir compte du fait que la violence sexuelle à l’égard d’enfants
ne peut être combattue efficacement dans un contexte d’hypersexualisation
agressive des enfants dès le plus jeune âge. Sans chercher à vouloir
«remettre le dentifrice dans le tube», nous devons nous efforcer
massivement de repenser et développer une culture qui fait ressortir
le meilleur de nous-mêmes, pas le pire. Mais il faut pour cela reconnaître
que ce qui est acceptable pour des adultes consentants n’est pas
acceptable pour des enfants. Il faut encourager les acteurs commerciaux
et les médias à être socialement responsables et les mettre face
à leurs responsabilités dans ce contexte.
94. En période de crise, comme actuellement avec la pandémie de
COVID-19, les enfants sont particulièrement vulnérables à la violence
sexuelle. Dans l’immédiat, nous devons sensibiliser à ce problème, mobiliser
des ressources et agir avec détermination et créativité pour veiller
à ce que les enfants ne soient pas les «victimes collatérales» des
mesures que prennent nos gouvernements pour faire face à l’urgence.
À plus long terme, il nous faut tirer des enseignements de cette
expérience et nous préparer à la prochaine crise, qu’il s’agisse
d’une pandémie, d’une catastrophe environnementale, de troubles
sociaux ou d’un conflit armé. Nous devons veiller à ce qu’un «filet
de sécurité» fiable soit en place, qui garantira le soutien et la
protection des enfants même dans les périodes les plus difficiles.
95. La dimension internationale de la lutte contre la violence
sexuelle à l’égard des enfants est primordiale. C’est avec plaisir
que j’ai découvert l’excellente coopération entretenue par les services
du Conseil de l’Europe chargés des droits de l’enfant avec de nombreux
partenaires, dont le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.
Ces relations sont cruciales dès lors qu’il s’agit de faire en sorte
que les efforts internationaux et européens se complètent dans ce
domaine, et qu’un appui soit fourni aux États membres le plus efficacement possible.
Pour améliorer encore cette coopération, l’Assemblée devrait appeler
le Comité des droits de l’enfant de l’ONU à soutenir la création
d’un siège d’observateur pour un Représentant du Conseil de l’Europe.
96. Les communautés et les pays peuvent développer et partager
leurs bonnes pratiques dans la prévention et la réponse aux abus
sexuels à l’égard des enfants. Ces abus sont une violation des droits
humains et doivent être reconnus comme telle. Les organisations
de défense des droits humains peuvent et doivent collaborer globalement
pour les reconnaître et les combattre.
97. La Convention de Lanzarote est un instrument juridique unique,
le plus complet et le plus ambitieux dans ses objectifs et ses méthodes
de travail. L’Assemblée devrait se féliciter de la récente ratification
de la Convention de Lanzarote par l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Elle
devrait aussi appeler l’Irlande à la ratifier sans plus attendre;
appeler les États non-membres du Conseil de l’Europe à y adhérer;
et appeler toutes les parties à la Convention de Lanzarote à mettre
pleinement en œuvre les recommandations adoptées par le Comité de Lanzarote.
Cette convention innovante étant ouverte aux États non-membres du
Conseil de l’Europe, l’organisation devrait envisager de préparer
une approche stratégique pour encourager les États désireux d’éradiquer
la violence sexuelle à l’égard des enfants au-delà du continent
paneuropéen à y adhérer.
98. Pour conclure, nul ne saurait ignorer aujourd’hui l’existence
et l’ampleur de la violence sexuelle à l’égard des enfants. Nous
savons relativement bien où elle se produit et nous en connaissons
les conséquences. Nous savons également que des stratégies, des
politiques et des mesures de prévention et de protection des enfants ont
été mises au point et en pratique avec succès dans de nombreux pays.
C’est à nous, parlementaires, d’intensifier l’action et la coopération
en Europe pour protéger les enfants contre la violence sexuelle,
les aider à s’épanouir et à devenir des membres confiants, respectueux,
responsables et attentifs de nos sociétés.