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Rapport | Doc. 15115 | 11 juin 2020

Enseignements pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de COVID-19

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Andrej HUNKO, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 4511 du 7 mai 2020. 2020 - Commission permanente de juin

Résumé

L’épidémie de la maladie COVID-19 provoquée par un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, a été signalée pour la première fois au bureau de l’OMS en Chine le 31 décembre 2019 et décrétée urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS le 30 janvier 2020. L’état de pandémie a été déclaré le 11 mars 2020. Le virus s’est propagé dans six continents; il a infecté des millions de personnes et causé plusieurs centaines de milliers de morts en quelques mois.

La maladie a touché un monde peu préparé à y faire face. L’inaction du début, la lenteur des réponses apportées par la suite, des mesures hâtives et des réouvertures prématurées pourraient bien avoir un coût en termes de pertes humaines, mais aussi de dommages potentiellement durables pour nos systèmes politiques, démocratiques, sociaux, financiers et économiques, et de violations de plusieurs droits garantis par des Conventions européennes et internationales.

Les leçons à tirer des souffrances endurées ces derniers mois doivent être les suivantes: pour éviter une catastrophe en termes de pertes humaines et de coûts de maladie, ainsi que de conséquences tout aussi catastrophiques pour l’économie et les droits humains, nous devons agir vite pour endiguer toute résurgence, en prenant des mesures efficaces et éprouvées, mises en œuvre dans le respect des droits, coordonnées aux niveaux national, régional et international, communiquées de façon claire et appliquées de manière équitable, comme proposé dans ce rapport.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne doivent établir un système régional qui soit capable de soutenir les institutions internationales responsables dans leurs efforts pour veiller à une préparation et une réaction efficace en cas de pandémie. L’OMS devrait être réformée afin de mieux pouvoir s’acquitter de son mandat, qui est d’atteindre le meilleur niveau de santé possible pour tous. Aux Nations Unies, un système d’inspection durable pour les événements biologiques actuels et futurs aux conséquences graves devrait être établi, y compris peut-être la nomination d’un facilitateur permanent au Bureau du Secrétaire général des Nations Unies. La supervision et la responsabilité internationale de la préparation aux pandémies devraient également être assumées par les Nations Unies, par l’intermédiaire d’une entité extérieure indépendante.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 2 juin 2020.

(open)
1. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis au point un outil spécial pour déterminer à quelles maladies et à quels agents pathogènes donner la priorité en matière de recherche et développement dans un contexte d’urgence de santé publique. En 2018, une «maladie X» a été ajoutée à la liste, afin de prendre en compte une épidémie grave qui pourrait être causée au niveau mondial par un agent pathogène que l’on ignorait jusqu’alors être transmissible aux humains.
2. À la suite de l’épidémie d’Ébola en 2015-2016, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2114 (2016) intitulée «La gestion des urgences de santé publique de portée internationale», dans laquelle elle faisait un certain nombre de recommandations – toujours valables – pour mieux préparer le monde à l’inévitable pandémie mondiale à venir, et afin d’explorer de façon urgente de nouvelles méthodes de travail pour affronter les crises sanitaires internationales avant qu’elles ne se produisent. Malheureusement, l’appel de l’Assemblée est en grande partie resté sans écho.
3. C’est sous la forme de la COVID-19 provoquée par un nouveau coronavirus – le 2019-nCoV (également appelé SARS-CoV-2) – que cette «maladie X» a touché un monde peu préparé à y faire face. Signalée pour la première fois au bureau de l’OMS en Chine le 31 décembre 2019, l’épidémie a été décrétée urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS le 30 janvier 2020; l’état de pandémie a été déclaré le 11 mars 2020. Le virus s’est propagé dans six continents; il a infecté des millions de personnes et causé plusieurs centaines de milliers de morts en quelques mois.
4. Malheureusement, face à la propagation rapide du virus et à des prévisions de mortalité alarmantes, des États ont opté pour le repli nationaliste ainsi que pour des réponses répressives et autoritaires plutôt que de réagir posément et généreusement en adoptant des mesures efficaces, fondées sur des faits établis, coordonnées sur le plan international et respectueuses des droits humains. S’ajoute à cela le fait que de nombreux États semblent avoir pris conscience trop tardivement du danger qui les guettait (ou n’ont pas voulu le voir). Même au niveau européen et international, y compris à l’OMS, le sentiment que la réponse a été trop tardive est difficile à dissimuler.
5. L’inaction du début, la lenteur des réponses apportées par la suite, des mesures hâtives et des réouvertures prématurées pourraient bien avoir un coût en termes de pertes humaines, mais aussi de dommages potentiellement durables pour nos systèmes politiques, démocratiques, sociaux, financiers et économiques, et de violations de plusieurs droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments juridiquement contraignants du Conseil de l’Europe, ainsi que par des Conventions des Nations Unies, telles que la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Compte tenu de leur incidence sur les droits humains, les mesures de santé publique visant à atténuer les effets de la maladie (mise en quarantaine, distanciation physique, traçage des contacts, contrôles aux frontières et limitation des déplacements, par exemple) doivent être fondées sur des normes pertinentes et sur la confiance du public pour être efficaces: il importe qu’elles soient conçues et mises en œuvre de manière transparente, appuyées sur des faits établis et respectueuses des droits, dépolitisées, coordonnées aux niveaux national, régional et international, communiquées de façon claire et appliquées de manière équitable, comme indiqué dans la Résolution 2114 (2016) de l’Assemblée.
6. Même si le premier pic de la pandémie semble être passé dans la majorité des pays européens, la crise sanitaire n’est pas encore terminée – et ne le sera peut-être pas avant un certain temps. Les leçons à tirer des souffrances endurées ces derniers mois doivent être les suivantes: pour éviter une catastrophe en termes de pertes humaines et de coûts de maladie, ainsi que de conséquences tout aussi catastrophiques pour l’économie et les droits humains, nous devons agir vite pour endiguer toute résurgence, en prenant des mesures efficaces et éprouvées, mises en œuvre dans le respect des droits.
7. En cas de flambées épidémiques de coronavirus SARS-CoV-2 sur leur territoire, l’Assemblée recommande par conséquent aux États membres:
7.1. de prendre des mesures rapides et soutenues pour réduire les contacts humains par la distanciation physique, autant que possible sur une base volontaire, et, si nécessaire, par le confinement/des fermetures dans le respect des droits pendant la durée nécessaire à la réduction de la propagation active du SARS-COV-2 au sein de la population jusqu’à un niveau contrôlable grâce à l’utilisation rigoureuse de tests, le traçage des contacts en respectant la protection des données, le placement en quarantaine et l’auto-isolement respectant le principe de proportionnalité et prenant en compte l’impact de telles mesures sur les droits fondamentaux y compris les droits sociaux et économiques, sur la santé physique et mentale, et mettant en œuvre des mesures compensant ces effets négatifs;
7.2. de fournir des équipements de protection au personnel de santé et aux autres travailleurs essentiels, de renforcer et d’optimiser les capacités du système de santé en mobilisant les professionnels de santé non actifs et en augmentant d’une part les approvisionnements en équipements de diagnostic nécessaires pour traiter les patients de manière efficace et en toute sécurité – notamment les tests diagnostiques, l’oxygène et les respirateurs/ventilateurs – et d’autre part le nombre de lits de soins intensifs disponibles dans les hôpitaux;
7.3. de veiller à ce que toutes les mesures de santé publique respectent les droits humains, intègrent la dimension de genre, impliquent de façon importante les femmes dans la prise de décision et protègent les groupes vulnérables de la population (en particulier les personnes handicapées, les enfants et les personnes âgées);
7.4. de mettre en place des conditions pour isoler et traiter les cas symptomatiques qui ne nécessitent pas d’hospitalisation immédiate, sur une base volontaire, afin d’éviter la contagion au sein d’un foyer / d’une famille et de fournir la supervision médicale nécessaire pour permettre une hospitalisation rapide au cas où la santé du patient se détériorerait;
7.5. d’ouvrir les frontières et de lever les restrictions non indispensables sur les déplacements pour ne pas entraver l’action d’urgence transfrontalière, au moins au sein de l’Union européenne, afin que les mesures de santé publique puissent être planifiées au niveau central, et mises en œuvre par zone géographique plutôt qu’à l’échelon des territoires (des États membres), en fonction des besoins là où les flambées épidémiques se produisent.
8. L’Assemblée recommande que les États membres, à tout moment:
8.1. rendent disponibles des informations fiables sur les changements dynamiques comparatifs dans le nombre de décès dus à différentes pathologies au cours des trois dernières années, et le nombre de personnes infectées par la COVID-19 parmi eux;
8.2. communiquent des informations complètes, explicites et en temps utile, accessibles aux personnes handicapées assurant que le processus de prise de décision est fondé sur des avis scientifiques éprouvés et transparents (y compris par la publication des avis d’experts);
8.3. mènent des campagnes actives et massives de tests pour toutes les personnes présentes sur leur territoire, quel que soit leur statut, ne se limitant pas aux personnes hospitalisées, au personnel de santé ou aux autres travailleurs essentiels, et déploient la recherche d’anticorps sur des échantillons représentatifs de la population à grande échelle dès que possible;
8.4. soutiennent activement la recherche, le développement et la production de médicaments, kits de diagnostic, vaccins et matériels de protection individuelle, et encadrent les prix dans un esprit de solidarité, de sorte que les médicaments, tests et vaccins ainsi développés le soient en nombre suffisant et à la portée de tous, en particulier des groupes vulnérables;
8.5. priorisent et systématisent la solidarité, la coordination et la coopération européennes et internationales; les équipements de protection ne devraient pas être stockés par les États «pour parer à toute éventualité», mais plutôt distribués là où les besoins sont les plus importants en Europe et dans le monde;
8.6. établir et tenir à jour un répertoire transfrontalier en libre accès des lits disponibles des unités de soins intensifs (USI), ainsi que des lits ventilés, dotés en personnel dans les USI, et les mettre à la disposition des États membres dans le besoin;
8.7. évitent tout abus de pouvoir de la part de l’exécutif, toute mesure disproportionnée et inutilement répressive limitant les droits humains ou la dignité humaine, ainsi que toute discrimination dans la mise en œuvre des mesures de santé publique avec une attention particulière sur la discrimination à l’égard des personnes handicapées et des personnes âgées, notamment en évitant les systèmes discriminatoires de triage;
8.8. réaffirment le rôle fondamental des parlements dans leur mission de contrôle des actions du gouvernement et s'assurent qu'ils soient en capacité d'exercer pleinement cette mission, en les dotant à la fois des moyens techniques et d'un niveau d'information suffisant;
8.9. veillent dans leurs plans de relance et de sauvegarde économiques à ne pas créer les conditions de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer d'autres épidémies de nature zoonotique et pour cela conditionnent les aides mises en place à des critères environnementaux et sociaux ambitieux, en phase avec les objectifs de développement durable des Nations Unies.
9. En outre et au regard de la pandémie actuelle, l’Assemblée parlementaire appelle les États membres à intensifier leurs efforts en vue:
9.1. d’évaluer l’état de leurs systèmes sanitaires, les systèmes de préparation aux pandémies et de surveillance des infections afin de les améliorer le cas échéant, en vue de garantir le libre accès à des soins de santé publique de haute qualité guidés par les besoins des patient-e-s plutôt que par le profit, indépendamment de leur sexe, de leur nationalité, de leur religion ou de leur statut socio-économique;
9.2. d’évaluer l’effectivité des mesures prises pour lutter contre la pandémie actuelle, y compris les dommages collatéraux (en particulier à l’encontre du plein exercice des droits humains, y compris les droits sociaux et économiques) afin d’en tirer des enseignements en prévision des futures urgences de santé publique.
10. Au-delà de la pandémie actuelle, la préparation en matière de santé publique et la sécurité sanitaire mondiale doivent adopter une approche «Une seule santé» (One Health) englobant les interactions entre les animaux, les êtres humains et l’environnement qui contribuent aux maladies, et nous protègent contre ces dernières. Les efforts doivent être intensifiés aux niveaux national et international pour trouver la prochaine zoonose avant qu’elle ne se transmette aux humains, pour renforcer davantage la coordination des systèmes de dépistage et d’intervention en cas de maladie chez les animaux et les humains, et pour protéger les écosystèmes sur lesquels reposent la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale. Il y aurait notamment lieu d’identifier et de combattre le changement climatique en tant que moteur des nouvelles menaces sanitaires tout en améliorant les politiques réglementant l’agriculture animale et la lutte contre la destruction humaine de l’habitat vierge.
11. La sécurité sanitaire internationale et européenne, ainsi que les mesures de préparation aux pandémies doivent également être fondées sur des données, être basées sur des preuves et comprendre des dispositions relatives aux droits humains. Différentes sources de données accessibles au public doivent être rassemblées en vue de créer une infrastructure unifiée au niveau international, qui facilitera la modélisation pour la prise de décision. Ces modèles doivent être traduits en déclencheurs d’action. En cas de transfert de données sensibles, il faut garantir des protections appropriées en matière de protection de la vie privée et de la sécurité.
12. L’Assemblée recommande par conséquent que l’Union européenne établisse un système régional qui soit capable de soutenir les institutions internationales responsables dans leurs efforts pour veiller à une préparation et une réaction efficace en cas de pandémie.
13. Par ailleurs, afin de permettre à l’OMS de mieux s’acquitter de son mandat, qui est d’atteindre le meilleur niveau de santé possible pour tous, l’Assemblée recommande une réforme de l’organisation qui:
13.1. permette à l’OMS de ne pas dépendre des contributions volontaires pour remplir ses fonctions essentielles;
13.2. dote l’OMS des pouvoirs nécessaires pour effectuer des visites inopinées dans les États membres, pendant une crise sanitaire susceptible d’évoluer en urgence de santé publique d’intérêt international;
13.3. réexamine et renforce le Règlement sanitaire international en vue de redéfinir la gouvernance mondiale pour lutter contre les maladies, d’assurer une meilleure adéquation du traité avec ses objectifs (y compris la gouvernance des informations telles que l’échange d’échantillons et de séquences génétiques) et d’explorer les mécanismes de respect des obligations dans ce cadre;
13.4. mette en place un contrôle efficace et indépendant, idéalement parlementaire, de l’organisation: par l’Union interparlementaire au niveau international et, au niveau régional, par les assemblées parlementaires régionales, telles que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour la Région européenne de l’OMS;
13.5. oblige l’OMS à élaborer des stratégies d’endiguement adaptables au niveau régional pour lutter contre les risques futurs pour la santé, en tenant compte des réalités quotidiennes des pays, des régions et des populations.
14. L’Assemblée propose aux États membres d’intensifier leurs efforts pour faire des progrès en ce qui concerne la Charte sociale européenne (STE N°35 et STE N°163) et la Convention du Conseil de l’Europe sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo, STE N°164) qui facilitent la sauvegarde des droits sociaux, économiques et autres droits humains qui sont les plus vulnérables lorsqu’on s’attaque à une pandémie.
15. Enfin, l’Assemblée propose d’établir, aux Nations Unies, un système d’inspection durable pour les événements biologiques actuels et futurs aux conséquences graves, y compris peut-être la nomination d’un facilitateur permanent au Bureau du Secrétaire général. La supervision et la responsabilité internationales de la préparation aux pandémies devraient également être assumées par l’Onu, par l’intermédiaire d’une entité extérieure indépendante.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 2 juin 2020.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution... sur les Enseignements pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de COVID-19.
2. L’Assemblée considère que le mandat du Conseil de l’Europe concernant les droits humains impose de rétablir une coopération et une coordination intergouvernementales étendues dans le domaine de la santé publique, notamment en vue d’établir un système régional qui soit capable de soutenir les institutions internationales et de l’Union européenne responsables dans leurs efforts pour assurer une préparation et une réaction efficaces en cas de pandémie.
3. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de rétablir d’urgence un comité directeur intergouvernemental sur la santé publique, comme premier pas vers la réalisation de cet objectif, et de réfléchir à la manière d’associer la Direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé (DEQM) du Conseil de l’Europe aux efforts de prévention et de gestion des menaces internationales de santé publique ainsi qu’à la préparation de stratégies sanitaires appropriées.

C. Exposé des motifs par M. Andrej Hunko, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis au point un outil spécial pour déterminer à quelles maladies et à quels agents pathogènes donner la priorité en matière de recherche et développement dans un contexte d’urgence de santé publique. En 2018, une «maladie X» a été ajoutée à la liste afin de prendre en compte une épidémie grave qui pourrait être causée au niveau mondial par un agent pathogène que l’on ignorait jusqu’alors être transmissible aux humains 
			(3) 
			<a href='https://www.who.int/activities/prioritizing-diseases-for-research-and-development-in-emergency-contexts'>www.who.int/activities/prioritizing-diseases-for-research-and-development-in-emergency-contexts.</a>. Les scénarii privilégiés étaient ceux d’une zoonose 
			(4) 
			Une
zoonose est une maladie ou infection naturellement transmissible
des animaux vertébrés à l’humain. Elle peut être bactérienne, virale
ou parasitaire, ou faire intervenir des agents non conventionnels. <a href='https://www.who.int/topics/zoonoses/en/'>www.who.int/topics/zoonoses/en/</a>. et d’une maladie hautement contagieuse que notre monde globalisé aurait du mal à contenir. Pourtant, peu de pays, à supposer qu’il y en ait, se sont dûment préparés à une pandémie déclenchée par une nouvelle maladie de ce type.
2. C’est aujourd’hui sous la forme de la COVID-19 provoqué par un nouveau coronavirus – le 2019-nCoV (également appelé SARS-CoV-2) – que cette «maladie X» touche un monde peu préparé à y faire face. La COVID-19 remplit tous les critères: zoonose, maladie respiratoire (pouvant causer une pneumonie virale sévère, voire fatale) et haute contagiosité, même avant l’apparition de symptômes. Signalée pour la première fois au bureau de l’OMS en Chine le 31 décembre 2019, l’épidémie a été décrétée urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS le 30 janvier 2020; l’état de pandémie a été déclaré le 11 mars 2020. À l’heure où nous écrivons, le virus s’est propagé dans six continents, infectant plus de 6,4 millions de personnes et causant plus de 380 000 décès dans le monde 
			(5) 
			Selon le tableau de
bord du Center for Systems Science and
Engineering (CSSE) de l’université Johns Hopkins (JHU) <a href='https://coronavirus.jhu.edu/map.html'>https://coronavirus.jhu.edu/map.html</a>.. L’épicentre de la maladie s’est déplacé de la Chine à l’Europe (en particulier l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie), le Moyen-Orient (en particulier l’Iran), les États-Unis et le Brésil; le nombre de cas progresse de façon inquiétante en Inde et en Afrique. Les scenarii les plus noirs prévoient 40 millions de morts dans le monde 
			(6) 
			<a href='https://www.imperial.ac.uk/news/196496/coronavirus-pandemic-could-have-caused-40/'>www.imperial.ac.uk/news/196496/coronavirus-pandemic-could-have-caused-40/</a>. et un effondrement des systèmes de santé en raison d’une demande massive de lits de soins intensifs et de l’absence d’un vaccin sûr et efficace. En apportant une réponse à la COVID-19 qui soit efficace et respectueuse des droits humains, nous conservons la capacité de sauver de nombreuses vies et de protéger les droits qui forment la base de nos démocraties. Aujourd’hui plus que jamais, la solidarité et la coopération sont nécessaires au niveau européen, et mondial, pour vaincre une maladie qui ne connaît pas de frontières.
3. À la suite de l’épidémie d’Ébola en 2015-2016, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2114 (2016) intitulée «La gestion des urgences de santé publique de portée internationale» 
			(7) 
			<a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-EN.asp?fileid=22755&lang=fr'>https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-EN.asp?fileid=22755&lang=fr</a>. dans laquelle elle faisait un certain nombre de recommandations pour mieux préparer le monde à l’inévitable pandémie mondiale à venir, et afin d’explorer de façon urgente de nouvelles méthodes de travail pour affronter les crises sanitaires internationales avant qu’elles ne se produisent. Bien que l’appel de l’Assemblée soit malheureusement en grande partie resté sans écho, la résolution expliquait aussi comment concevoir et mettre en œuvre les mesures de santé publique qui visent à endiguer et à atténuer les effets des maladies (mise en quarantaine, distanciation physique, contrôles aux frontières et limitation des déplacements, par exemple) en veillant à leur efficacité et à leur respect des droits humains, compte tenu de leur incidence ces droits.
4. Malheureusement, face à un virus qui se propage rapidement et à des prévisions de mortalité alarmantes, certains États ont opté pour le repli nationaliste ainsi que pour des réponses répressives et autoritaires plutôt que de réagir posément et généreusement en adoptant des mesures efficaces, fondées sur des faits établis, coordonnées sur le plan international et respectueuses des droits humains. S’ajoute à cela le fait que de nombreux États semblent avoir pris conscience trop tardivement du danger qui les guettait (ou n’ont pas voulu le voir), ce qui les a contraints à prendre des mesures toujours plus strictes et plus radicales face à une épidémie qui devenait impossible à maîtriser sur leur territoire et à des systèmes de santé débordés. Même au niveau européen et international, y compris à l’OMS, le sentiment que la réponse a été trop faible et trop tardive est difficile à dissimuler. Confrontés à des taux de chômage accablants et à de sérieux revers économiques, bon nombre de pays ont également été tentés de «rouvrir» prématurément leurs économies après les fermetures et les arrêts de production.
5. Le système financier mondial et de nombreux systèmes de santé sont déjà mis à rude épreuve, alors que le pire reste à venir. Cette crise a bien d’autres conséquences et notamment celle de faire peser sur les démocraties européennes des risques bien réels qui sont ceux de l’autoritarisme rampant et de la perte de confiance du public, de l’affaiblissement des droits humains, de la discrimination contre les migrants, les réfugiés, les personnes «d’apparence étrangère», les minorités (y compris les Roms), les personnes pauvres et les personnes marginalisées, les personnes placées en institution (prisons, centres de rétention, hôpitaux psychiatriques, etc.) ou encore du creusement des inégalités (y compris parmi les enfants) avec un impact particulièrement préoccupant sur les femmes, les personnes âgées, les sans-abri et les personnes de santé fragile.
6. Aujourd’hui, notre priorité face à la COVID-19 et aux futures urgences de santé publique de portée internationale doit être d’unir nos efforts pour tirer les leçons de la première vague de la pandémie et pour apporter une réponse efficace et respectueuse des droits humains, afin de sauver des vies, de garantir l’accès aux soins à toutes les personnes qui en ont besoin et de gérer de manière équitable les conséquences sociales, économiques, financières et politiques de la pandémie par la coopération européenne et internationale. Les initiatives des autorités de santé nationales, régionales et internationales – dont l’OMS – ainsi que toutes les décisions nationales et européennes, doivent être transparentes, dépolitisées et donner la priorité aux droits humains et à la vie.
7. Ce rapport est le résultat d’une proposition intitulée «COVID-19 – une réponse efficace et respectueuse des droits humains» déposée par ma collègue, Mme Jennifer De Temmermann (France, ADLE), moi-même et plus de 60 collègues le 27 mars 2020 
			(8) 
			Doc. 15094.. J’ai été nommé rapporteur le 19 mai 2020. Le même jour, la commission a tenu une audition sur le sujet à laquelle ont assisté les éminents experts suivants:
  • Mme Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé et la sécurité alimentaire;
  • Mme Dunja Mijatović, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe;
  •  David Nabarro, envoyé spécial auprès du Directeur général de l’OMS pour la COVID-19;
  • Mme Rebecca Katz, directrice du Center for Global Health Science and Security, Université de Georgetown, États-Unis.

2. État actuel des connaissances sur le nouveau coronavirus

8. Malgré les nombreuses théories du complot qui circulent sur Internet et la désinformation véhiculée par certains acteurs, il semble que le coronavirus 2019-nCoV soit apparu fin novembre/début décembre 2019 dans la ville de Wuhan 
			(9) 
			<a href='https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/situation-reports/20200121-sitrep-1-2019-ncov.pdf?sfvrsn=20a99c10_4'>OMS,
premier rapport de situation sur le nouveau coronavirus</a> (2019-nCoV), 21 janvier 2020. La question de savoir
si le virus provient du marché de gros des fruits de mer de Huanan,
comme le soupçonnaient à l’origine les autorités chinoises et signalé
à l’OMS ou si le marché était plutôt le premier foyer de cas, ne
sera probablement jamais établie avec une certitude de 100 %. Il
semble peu probable, cependant, que le virus ait été libéré ou se
soit échappé du laboratoire biologique de haute sécurité de Wuhan,
l’Institut de virologie de Wuhan (WIV), tel que soutenu par des
théories du complot., capitale très peuplée de la province chinoise du Hubei. L’hôte d’origine du virus était probablement la chauve-souris, l’hôte intermédiaire n’ayant pas encore été clairement identifié (il s’agirait peut-être du pangolin). Quoi qu’il en soit, la transmission inter-humaine a débuté rapidement à Wuhan, bien que les autorités chinoises ne l’aient pas signalée comme telle dans un premier temps. Fin décembre, le nombre de patients des hôpitaux de Wuhan gravement touchés par une pneumonie ressemblant étrangement à la maladie causée par le coronavirus du SRAS et ne répondant pas aux traitements habituels a conduit un petit groupe de médecins à tirer la sonnette d’alarme, immédiatement accusés par les autorités locales de répandre des rumeurs et de faire de fausses déclarations 
			(10) 
			L’un des médecins lanceurs
d’alerte, Li Wenliang, ophtalmologue, est lui-même décédé du virus
qu’il avait contracté alors qu’il travaillait à l’hôpital central
de Wuhan début février 2020, <a href='https://www.bbc.com/news/world-asia-china-51403795'>www.bbc.com/news/world-asia-china-51403795</a>..
9. La Chine (y compris Hong Kong) avait déjà été exposée à un nouveau coronavirus lors de l’épidémie de SRAS en 2003 
			(11) 
			Le coronavirus du SRAS
(SARS-CoV) a été identifié en 2003. Il serait un virus animal provenant
d’un réservoir incertain (peut-être la chauve-souris) puis transmis
à d’autres animaux (civettes), qui a infecté pour la première fois
des humains dans la province du Guangdong au sud de la Chine en
2002. L’épidémie de SRAS a touché 26 pays et a fait 774 morts sur
plus de 8  000 cas en 2003, <a href='https://www.who.int/ith/diseases/sars/en/'>www.who.int/ith/diseases/sars/en/</a>.. D’autres pays, en particulier l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud ont assisté à des flambées épidémiques causées par un autre coronavirus, le MERS, dès 2012 
			(12) 
			<a href='https://www.who.int/emergencies/mers-cov/en/'>www.who.int/emergencies/mers-cov/en/</a>.. Cela dit, nous avons une connaissance limitée de ces nouveaux coronavirus. En revanche, il existe depuis les années 1960 plusieurs études représentatives portant sur d’autres coronavirus qui infectent les humains depuis longtemps. Elles ont montré que ces coronavirus sont généralement responsables de maladies bénignes (comme le rhume), souvent même sans symptômes et uniquement détectables par des tests de recherche d’anticorps sériques 
			(13) 
			Arnold S. Monto et
Sook K. Lim. The Tecumseh Study of Respiratory
Illness. VI. Frequency of and Relationship between Outbreaks of
Coronavirus Infection. The Journal of Infectious Diseases. Vol
129, No.3, mars 1974. 
			(14) 
			H.S. Kaye, H.B. Marsh
et R.W. Dowdle. Seroepidemiologic Survey
of Corona Virus (Strain OC 43) related infections in a children’s
population. Am J Epidemiology 94: 43-49, 1971.. Le nombre réel de personnes infectées par les nouveaux coronavirus dans la population étant encore inconnu, les chiffres de décès du MERS – le taux de létalité du MERS-CoV était proche de 35 % – et du SRAS – avec un taux de létalité de 11 % – ne donnent peut-être pas une image complète de la situation. Les pandémies du XXe siècle gravées dans notre mémoire ont été causées par des virus influenza, à savoir ceux de la «grippe espagnole» en 1918-1919 
			(15) 
			Selon les estimations,
près de 500 millions de personnes (soit un tiers de la population
mondiale de l’époque) ont été infectées par ce virus H1N1, qui a
fait au moins 50 millions de morts dans le monde. La létalité était
importante chez les enfants de moins de cinq ans et les personnes
âgées de 20 à 40 ans ou de 65 ans et plus. <a href='https://www.cdc.gov/flu/pandemic-resources/1918-pandemic-h1n1.html'>www.cdc.gov/flu/pandemic-resources/1918-pandemic-h1n1.html</a>., de la «grippe asiatique» en 1957 et de la «grippe de Hong Kong» en 1968 
			(16) 
			La grippe asiatique
de 1957 et la grippe de Hong Kong de 1968 ont, toutes deux, été
gérées à l’aide d’outils plus modernes de surveillance des maladies
et ont fait entre 500 000 et 2 millions de morts. <a href='https://www.vox.com/2020/3/9/21164957/covid-19-spanish-flu-mortality-rate-death-rate'>www.vox.com/2020/3/9/21164957/covid-19-spanish-flu-mortality-rate-death-rate</a>..
10. La gestion problématique de la pandémie de H1N1 en 2009 par l’OMS et par de nombreux États (dont on considère qu’ils ont réagi de façon excessive, la prise de décision ayant été entachée de conflits d’intérêts, réels ou apparents) 
			(17) 
			Voir la Résolution 1749 (2010) de l’Assemblée «Gestion de la pandémie H1N1: nécessité
de plus de transparence». Selon les estimations, près d’un quart
de la population a contracté le virus H1N1 mais le taux de létalité
à 0,02 % était relativement faible, avec 284 000 décès enregistrés. <a href='https://www.healthline.com/health-news/how-deadly-is-the-coronavirus-compared-to-past-outbreaks'>www.healthline.com/health-news/how-deadly-is-the-coronavirus-compared-to-past-outbreaks</a>. a érodé la confiance du public dans les avis des scientifiques et des experts, ainsi que dans la gouvernance mondiale de la santé. Malgré les épidémies mortelles de SRAS et de MERS, peu de gens semblaient penser qu’un coronavirus puisse être si dangereux, et beaucoup ont pensé que l’OMS avait «crié au loup» trop tôt ou inutilement, principalement en raison d’un manque apparent de preuves du taux de létalité relativement élevé observé du nouveau coronavirus par rapport à celui de la grippe saisonnière (du fait de l’insuffisance des tests réalisés sur des échantillons représentatifs de la population dans la plupart des pays et de différences importantes dans les taux déclarés de létalité et de mortalité dues à d’autres maladies ) 
			(18) 
			Voir
par exemple le point de vue de Wolfgang Wodarg, ancien médecin et
ancien membre de l’Assemblée: <a href='https://www.wodarg.com/'>www.wodarg.com</a>, ou un article publié dans le journal Stat le 17 mars 2020 par le professeur
de médecine et d’épidémiologie de Stanford John P.A. Ioannidis:<a href='https://www.statnews.com/2020/03/17/a-fiasco-in-the-making-as-the-coronavirus-pandemic-takes-hold-we-are-making-decisions-without-reliable-data/'> www.statnews.com/2020/03/17/a-fiasco-in-the-making-as-the-coronavirus-pandemic-takes-hold-we-are-making-decisions-without-reliable-data/</a>.
11. Nous savons aujourd’hui que le nouveau coronavirus est plus contagieux que la grippe saisonnière, mais moins que la rougeole. Il se transmet principalement par les gouttelettes, bien que de récentes études semblent indiquer qu’il pourrait rester en suspension dans l’air jusqu’à 3 heures sous certaines conditions 
			(19) 
			Voir par exemple les
résultats d’une étude menée par le Laboratoire de virologie de l’Institut
national des allergies et des maladies infectieuses de la Division
de la recherche intra-muros de Hamilton, au Montana (États-Unis),
publiés dans le New England Journal of
Medicine le 17 mars 2020. et qu’il peut être véhiculé dans l’humidité de l’air expiré 
			(20) 
			<a href='https://www.news.com.au/lifestyle/health/health-problems/coronavirus-exponential-growth-explains-terrifying-spread-of-virus/news-story/6f17b9f488c71f5fe3b858daf10b3ee2,'>www.news.com.au/lifestyle/health/health-problems/coronavirus-exponential-growth-explains-terrifying-spread-of-virus/news-story/6f17b9f488c71f5fe3b858daf10b3ee2</a>. (en plus de la toux et des éternuements) ou survivre sur des surfaces contaminées pendant plusieurs heures.
12. On estime que le virus a un taux de reproduction de base R0 compris entre 2 et 2,5 
			(21) 
			<a href='https://www.nature.com/articles/d41586-020-00758-2'>www.nature.com/articles/d41586-020-00758-2</a>. Selon d’autres estimations, le taux de reproduction
pourrait aller jusqu’à quatre; voir <a href='https://www.focus.de/gesundheit/news/epidemiologe-simuliert-verlauf-herdenimmunitaet-oder-weiter-kontaktverbote-die-corona-szenarien-nach-2-wochen_id_11811050.html'>www.focus.de/gesundheit/news/epidemiologe-simuliert-verlauf-herdenimmunitaet-oder-weiter-kontaktverbote-die-corona-szenarien-nach-2-wochen_id_11811050.html</a>., ce qui signifie qu’en l’absence de mesures d’endiguement, chaque personne infectée infectera statistiquement à son tour entre 2 et 3 personnes. Ce type de contagion est exponentiel: autrement dit, on peut passer de 500 cas à un million dans une période relativement courte, puisqu’il suffit de onze doublements pour y parvenir. L’OMS estime que le taux de croissance moyen – autrement dit la durée nécessaire pour que le nombre de cas double – est de six jours (ce qui signifie que le million de cas pourrait être atteint au bout de 66 jours), mais certains pays ont momentanément déclaré des taux de croissance de trois jours seulement (ce qui signifie que le million serait atteint en moitié moins de temps) 
			(22) 
			<a href='https://www.news.com.au/lifestyle/health/health-problems/coronavirus-exponential-growth-explains-terrifying-spread-of-virus/news-story/6f17b9f488c71f5fe3b858daf10b3ee2'>www.news.com.au/lifestyle/health/health-problems/coronavirus-exponential-growth-explains-terrifying-spread-of-virus/news-story/6f17b9f488c71f5fe3b858daf10b3ee2</a>..
13. C’est cette capacité de croissance exponentielle qui risque de conduire à une saturation des systèmes de santé, même si le pourcentage de personnes infectées nécessitant une hospitalisation est relativement faible et celui des personnes ayant besoin de soins intensifs l’est encore plus. Selon les premiers modèles fondés sur des données préliminaires, on estime que si la majorité des affections sont légères, jusqu’à 40 % des malades nécessitent une hospitalisation et 5 % sont admis en soins intensifs 
			(23) 
			Conférence
de presse de l’OMS du 8 avril 2020, <a href='https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019'>www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019</a>, lien vérifié le 9 avril 2020. Ce chiffre est appelé
à évoluer, notamment en raison de l’absence de tests généralisés
pratiqués sur les cas asymptomatiques, dont on pense aujourd’hui
qu’ils représentent environ 30 % des infections.. Les conséquences de la maladie sont plus sérieuses pour les personnes âgées, en particulier les hommes et les personnes souffrant d’autres maladies. Les infections touchent tous les âges, tout en épargnant plutôt les enfants de moins de 15 ans apparemment. Parmi les personnes décédées début avril, deux-tiers étaient des hommes et 95 % avaient plus de 60 ans, la plupart souffrant d’autres comorbidités: maladies cardio-vasculaires, diabète, maladies pulmonaires ou rénales (l’obésité étant apparemment un facteur supplémentaire) 
			(24) 
			Ibid. Voir aussi: <a href='https://www.news-medical.net/news/20200324/Overweight-and-obese-people-at-higher-risk-of-COVID-19.aspx'>www.news-medical.net/news/20200324/Overweight-and-obese-people-at-higher-risk-of-COVID-19.aspx.</a>. La plupart des patients les plus gravement touchés ont eu besoin d’une ventilation artificielle pendant deux semaines ou plus dans une unité de soins intensifs avant de se rétablir (en cas de rétablissement) 
			(25) 
			Données officielles
de la Chine citées par CNN, <a href='https://edition.cnn.com/2020/03/20/health/covid-19-recovery-rates-intl/index.html'>https://edition.cnn.com/2020/03/20/health/covid-19-recovery-rates-intl/index.html</a>..
14. La période d’incubation semble être de 14 jours. Cela étant, la plupart des personnes infectées auront des symptômes (fièvre ou sensation de fièvre, toux sèche, maux de tête, maux de gorge, douleurs musculaires et articulaires, difficultés respiratoires, sensation d’oppression dans la poitrine, diarrhée, congestion nasale, perte de l’odorat et/ou du goût) après 5 jours environ. Il y a également des porteurs asymptomatiques de la maladie (on estime actuellement qu’ils représentent environ 30 % des infections) 
			(26) 
			Il est essentiel de
connaître le nombre de porteurs asymptomatiques pour une estimation
objective du nombre réel de personnes infectées (dénominateur),
indispensable pour calculer un taux de létalité objectif., qui ne présentent pas de symptômes mais peuvent infecter d’autres personnes. Connaître le nombre d’infections asymptomatiques est crucial pour une estimation impartiale du taux de létalité par maladie infectieuse (TLMI). Il semblerait que les personnes infectées soient contagieuses jusqu’à 48 heures avant l’apparition des symptômes, et jusqu’à 7 jours après leur disparition. De nombreuses personnes peuvent en infecter d’autres avant même de ressentir des symptômes (si tant est qu’elles soient symptomatiques) et celles qui présentent des formes bénignes pourront transmettre la maladie également pendant et après la phase symptomatique, les symptômes pouvant alors être confondus avec ceux d’un simple rhume ou de la grippe saisonnière.
15. Selon les premières données officielles venues de Chine le 19 mars 2020, le taux de létalité par cas (TLC) a été estimé à 4 % des cas confirmés, soit plusieurs fois celui de la grippe saisonnière (0,1 %). Les données officielles chinoises sont à prendre avec précaution, et ce pour plusieurs raisons 
			(27) 
			Il
est probable que les données officielles chinoises publiées sous-estiment
en même temps les taux d’infection et de létalité – à la fois parce
que certaines des données n’auront tout simplement pas été enregistrées
en premier lieu, et parce que les dirigeants chinois ont peut-être
trouvé inopportun de publier les données enregistrées pour des raisons
politiques.. Les données dont nous disposons en Europe, par exemple dans les régions très touchées de l’Italie, de la France et de la Belgique, donnent à penser que le taux de létalité pourrait être bien plus élevé (jusqu’à 16,3 % 
			(28) 
			Johns
Hopkins Coronavirus resource center, <a href='https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality'>Mortality
in the most affected countries: observed case-fatality ratio</a>.), y compris dans des régions ayant des systèmes de soins de haute qualité, lorsque ces systèmes arrivent dangereusement à saturation et en particulier lorsque les unités de soins intensifs manquent de lits, de respirateurs et de personnel suffisant pour prendre en charge une population âgée présentant de nombreuses comorbidités 
			(29) 
			<a href='https://www.telegraph.co.uk/global-health/science-and-disease/have-many-coronavirus-patients-died-italy/'>www.telegraph.co.uk/global-health/science-and-disease/have-many-coronavirus-patients-died-italy/</a>.. En fait, les taux de létalité par cas de COVID-19, compris comme le nombre de décès signalés par nombre de cas signalés, varient considérablement d’un pays à l’autre et au fil du temps. Ils ont été estimés entre plus de 15 % et moins de 1 %. 
			(30) 
			<a href='https://www.cebm.net/covid-19/global-covid-19-case-fatality-rates/'>Global
Covid-19 Case Fatality Rates, Regularly updated overview by the
Centre for Evidence-Based Medicine (CEBM) at Oxford University</a>. Les taux de mortalité
par cas dans les États membres s’étendent de plus de 10 % (Belgique: 16,25 %,
France: 15,54 %, Italie: 14,28 %, Royaume-Uni: 14,18 %, Hongrie:
13,23 %, Pays-Bas: 12,85 %, Suède: 11,98 %) à moins de 2 % (République
slovaque: 1,85 %, Arménie: 1,23 %, Azerbaïdjan: 1,19 %, Fédération
de Russie: 1,05 %, Islande: 0,55 %).Les TLMI comprennent toutes les personnes infectées et en ce sens aussi des cas bénins et asymptomatiques. Un examen systématique récent des études a suggéré une estimation ponctuelle du TLMI de 0,64 % (0,50-0,78 %) «avec une forte hétérogénéité». 
			(31) 
			Gideon Meyerowitz-Katz,
Lea Merone, <a href='https://doi.org/10.1101/2020.05.03.20089854'>A systematic
review and meta-analysis of published research data on COVID-19
infection-fatality rates</a>, 27 mai 2020. Il est également préoccupant de constater que les données venant d’Italie, d’Espagne et des États-Unis semblent indiquer que le nombre de personnes plus jeunes nécessitant une hospitalisation en raison de difficultés respiratoires est bien plus élevé que ce que l’on pensait, ce qui va encore accroître la pression sur les ressources limitées des unités de soins intensifs.
16. On suppose qu’il n’y a pas d’immunité naturelle contre le 2019-nCoV car ce serait un nouveau coronavirus qui vient de franchir la barrière des espèces. Cela dit, la durée de mise au point d’un vaccin pourrait être raccourcie en raison de quelques similarités avec le coronavirus du SRAS-1. On espère qu’un vaccin sera accessible au grand public d’ici 12 à 18 mois. Certaines voix évoquent aussi le risque qu’il n’y ait aucun vaccin possible 
			(32) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/may/22/why-we-might-not-get-a-coronavirus-vaccine'>Why
we might not get a coronavirus vaccine</a>, The Guardian,
22 mai 2020.. Des essais cliniques de candidats-médicaments ont déjà été lancés ou sont en cours d’autorisation, par exemple l’essai «Solidarity» mené par l’OMS ou l’étude européenne «Discovery» 
			(33) 
			Par exemple, le remdesivir
(médicament destiné à l’origine à traiter l’infection par le virus
Ébola) ou différents antiviraux utilisés dans le traitement du VIH,
la chloroquine/hydroxychloroquine (ancien antipaludique quelquefois
associé à l’antibiotique azithromycine), et différents traitements
par anticorps.. Malheureusement, peu d'essais ont donné des résultats prometteurs jusqu'à présent.
17. Comme pour toute maladie infectieuse pour laquelle il n’existe pas encore de vaccin, les mesures de santé publique et d’hygiène que tout le monde connaît restent efficaces et doivent être appliquées: se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon (ou avec un gel hydroalcoolique à défaut d’eau), car tant le savon que l’alcool détruisent la membrane du coronavirus; tousser et éternuer dans son coude ou dans un mouchoir (qui sera ensuite jeté), porter un masque lorsque l’on est infecté pour éviter l’infection par gouttelettes, conserver une distance minimale de 1 à 2 mètres entre deux personnes et éviter de se serrer la main ou de s’embrasser, ne pas se toucher le visage pour éviter l’infection par contact avec des mains ayant pu toucher des surfaces contaminées. Un système immunitaire solide étant nécessaire pour prévenir et/ou combattre l’infection, il est également important d’améliorer les conditions sociales et d’avoir une bonne hygiène de vie et notamment de sortir les gens de la pauvreté, du chômage et de la faim, de les encourager à manger équilibré, à pratiquer une activité physique régulière, à réduire leur niveau de stress et à éviter de fumer ou de vapoter.
18. Une autre inconnue à propos du nouveau coronavirus SARS-CoV-2 concerne la durée de l’immunité acquise lorsque l’on survit à l’infection. Il est raisonnable de supposer qu’elle est au moins d’un ou deux ans comme c’est le cas pour la plupart des autres coronavirus 
			(34) 
			Le coronavirus du SARS-1
confère une immunité plus longue, allant de 8 à 10 ans. <a href='https://www.nytimes.com/2020/03/25/health/coronavirus-immunity-antibodies.html'>www.nytimes.com/2020/03/25/health/coronavirus-immunity-antibodies.html</a>.. Il faut également souhaiter que, même si cette immunité devait être de relativement courte durée, la maladie soit moins sévère lors d’une deuxième infection chez les survivants 
			(35) 
			Ce
n'est pas encore certain à ce stade précoce de la pandémie, car
pour certaines maladies – comme la dengue – une deuxième infection
est même plus dangereuse que la première., et qu’une infection bénigne ou asymptomatique produise suffisamment d’anticorps pour conférer une immunité. L’hypothèse a été émise que, pour que la population acquière une immunité de groupe (sans vaccin) dans cette pandémie, il faudrait que 60 à 70 % de la population soit infectée 
			(36) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2020/04/26/health/can-antibody-tests-help-end-the-coronavirus-pandemic.html'>www.nytimes.com/2020/04/26/health/can-antibody-tests-help-end-the-coronavirus-pandemic.html</a>.. En l’absence de mesures d’endiguement, cet objectif pourrait être atteint en une année. L’état actuel de l’immunité de la population dans chaque pays devrait donc être déterminé en lançant immédiatement un grand nombre d’études transversales représentatives et en les répétant régulièrement. Tous les pays n’appliquant pas les mêmes mesures d’endiguement, ces comparaisons fourniraient des informations utiles sur l’immunité de groupe. Or, sur une population de 850 millions de personnes comme celle de l’espace du Conseil de l’Europe, la stratégie consistant à miser sur l’immunité sans vaccin risque de provoquer des millions de morts, la plupart des décès prévus survenant chez les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités. Par ailleurs, la question de savoir si l’infection laisse des lésions persistantes, pulmonaires ou autres, chez certains survivants n’a pas encore trouvé de réponse claire. C’est donc sans surprise que peu de pays ont décidé d’opter pour la méthode de l’immunité collective plutôt que celle du vaccin 
			(37) 
			Le Royaume-Uni et les
Pays-Bas ont brièvement flirté avec cette idée; le seul pays à l’avoir
effectivement appliquée (bien que ce ne soit pas officiellement
le but) est la Suède. Les résultats sont mitigés: si le confinement
a été évité, le nombre de décès par habitant est relativement élevé,
en particulier chez les personnes âgées et les personnes souffrant de
comorbidités. <a href='https://www.businessinsider.fr/us/sweden-coronavirus-plan-is-a-cruel-mistake-skeptical-experts-say-2020-5'>www.businessinsider.fr/us/sweden-coronavirus-plan-is-a-cruel-mistake-skeptical-experts-say-2020-5</a>. Une étude récente a aussi montré que seulement 7,3 %
des personnes vivant à Stockholm avaient développé des anticorps
contre la maladie. <a href='https://www.theguardian.com/world/2020/may/21/just-7-per-cent-of-stockholm-had-covid-19-antibodies-by-end-of-april-study-sweden-coronavirus'>www.theguardian.com/world/2020/may/21/just-7-per-cent-of-stockholm-had-covid-19-antibodies-by-end-of-april-study-sweden-coronavirus</a>..

3. Retour préliminaire sur l’histoire contemporaine: les réponses et leur efficacité

19. Bien que les premières tentatives visant à consigner systématiquement les réponses gouvernementales à la pandémie de COVID-19 aient commencé 
			(38) 
			Voir par exemple Thomas
Hale et al., <a href='https://www.bsg.ox.ac.uk/sites/default/files/2020-05/BSG-WP-2020-032-v5.0_0.pdf'>Variation
in government responses to COVID-19</a>, BSG Working Paper Series, University of Oxford, April
2020., les données fiables sur l’efficacité des interventions non pharmaceutiques (IPN) pour contenir la propagation du nouveau coronavirus SRAS-CoV-2 sont encore trop rares pour parvenir à des conclusions finales. De ce fait et étant donné le délai très court disponible pour préparer ce rapport, celui-ci ne peut être qu’une tentative préliminaire d’évaluer les réponses à la pandémie actuelle.
20. Après une première phase de déni et une tentative de répression, la Chine a pris des mesures draconiennes dans la province du Hubei en bouclant l’épicentre de l’épidémie, Wuhan (et d’autres villes de la province) le 23 janvier 2020, alors que le pays signalait 500 cas et 17 morts. Mais le mal était déjà fait 
			(39) 
			Voir «<a href='https://www.nytimes.com/interactive/2020/03/22/world/coronavirus-spread.html'>How
the virus got out</a>», New York Times,
22 mars 2020.: près de 7 millions de personnes avaient quitté Wuhan avant que le confinement entre en vigueur et ont propagé le virus à Pékin, Shanghai et d’autres grandes villes. Les restrictions des déplacements internationaux ont été trop tardives pour être efficaces, l’épidémie s’étant déjà propagée (car près de 85 % des voyageurs infectés n’ont pas été détectés), notamment à New York et à Seattle (États-Unis), Sydney (Australie), Bangkok (Thaïlande), Tokyo (Japon), Singapour et Séoul (Corée du Sud). Entre-temps, il semblerait que le virus se soit également propagé en Europe fin 2019 
			(40) 
			Lucy van
Dorp et al. <a href='https://doi.org/10.1016/j.meegid.2020.104351'>Emergence
of genomic diversity and recurrent mutations in SARS-CoV-2. Infection,
genetics, and Evolution 2019</a>. 
			(41) 
			A. Deslandes, et al. SARS-CoV-2 was already spreading in France in
late December 2019..
21. Ce n’est que le 16 février 2020 qu’une délégation de l’OMS a été autorisée à entrer en Chine. Lors d’une conférence de presse le 25 février 2020, le docteur Bruce Aylward, chef de cette délégation, a salué les mesures drastiques prises par les autorités chinoises 
			(42) 
			Le rapport de la mission
conjointe OMS-Chine sur la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19)
peut être téléchargé à l’adresse <a href='https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/events-as-they-happen'>www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/events-as-they-happen</a>.. Il a affirmé que la Chine avait fait gagner un temps précieux aux autres pays du monde pour se préparer à leurs propres flambées épidémiques. Cependant, une étude menée par des scientifiques de l’Université de Southampton a conclu qu’une réponse précoce avec des interventions non pharmaceutiques combinées aurait eu un impact significatif sur la propagation du virus 
			(43) 
			«Si des interventions
en Chine avaient pu avoir lieu une semaine, deux semaines ou trois
semaines plus tôt, les cas auraient pu être considérablement réduits:
de 66 % (IQR 50 % – 82 %), 86 % (81 % – 90 %), ou 95 % (93 % – 97 %), respectivement.»
Shengjie Lai et al., <a href='https://www.nature.com/articles/s41586-020-2293-x'>Effect
of non-pharmaceutical interventions to contain COVID-19 in China</a>, Nature, 4 May 2020..
22. La question de savoir si le reste du monde a perdu un temps précieux fait débat. Bien que l’OMS ait salué les méthodes chinoises, plusieurs d’entre elles ont été jugées inacceptables ou impossibles à mettre en œuvre en dehors d’un régime autoritaire 
			(44) 
			Il serait par exemple
difficile, voire impossible de mettre en œuvre le type de confinement
auquel Wuhan a été soumise, les résidents ayant été littéralement
enfermés dans leurs immeubles, sans autorisation d’en sortir même
pour acheter des produits de première nécessité (l’approvisionnement
était assuré par des «comités de quartier»). <a href='https://www.theguardian.com/world/2020/mar/06/fake-fake-senior-chinese-leader-heckled-by-residents-on-visit-to-coronavirus-epicentre'>www.theguardian.com/world/2020/mar/06/fake-fake-senior-chinese-leader-heckled-by-residents-on-visit-to-coronavirus-epicentre</a>.. Certaines ont semblé efficaces pour endiguer l’épidémie, d’autres moins. Mais beaucoup de celles considérées comme efficaces 
			(45) 
			Par
exemple, la Chine a pu mobiliser des milliers de travailleurs de
la santé d’autres régions du pays pour rejoindre la «ligne de front»
dans la province du Hubei, non pas en les forçant à le faire, mais
en favorisant un sentiment d’identité nationale et un «esprit combatif»
dans la communication publique. auraient probablement pu être adaptées plus rapidement au reste du monde. Les pays autres que la Chine qui, selon l’Université Johns Hopkins, ont réussi pour l’heure à endiguer l’épidémie sont Taïwan, la Corée du Sud, Singapour, la Nouvelle-Zélande et l’Islande (d’autres pays ont réussi à maintenir le taux de mortalité à un faible niveau, notamment, l’Allemagne, qui a un taux de létalité observé de 4,5 % et Israël, qui affiche un taux de 1,7 % 
			(46) 
			Johns
Hopkins Coronavirus resource center, cases and mortality by country: <a href='https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality'>https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality</a>.).
23. Les mesures décrites comme étant efficaces dans les médias sont les suivantes 
			(47) 
			Cette
analyse est celle de l’auteur et se base sur les informations fournies
par l’OMS ainsi que sur des avis d’expert publiés dans des sources
accessibles comme The Guardian, le New
York Times, etc. Voir également <a href='https://www.nytimes.com/2020/03/22/health/coronavirus-restrictions-us.html'>www.nytimes.com/2020/03/22/health/coronavirus-restrictions-us.html</a>.:
23.1. Action rapide: Face à une pandémie, le chronométrage est crucial. Des réponses ciblées avec la plus haute précision et opportunes offrent la possibilité d’éviter les mesures de confinement plus sévères et plus drastiques qui peuvent devenir nécessaires une fois que la propagation d’un virus devient incontrôlable. Selon les médias, des mesures d’endiguement drastiques peuvent permettre à d’autres régions d’un pays, non touchées ou moins touchées, de contribuer à la lutte contre l’épidémie lorsque celle-ci est encore relativement limitée (moins de 500 infections) et concentrée dans certains foyers (comme Wuhan en Chine ou l’Alsace en France). L’image de la construction de deux hôpitaux à Wuhan en quelques semaines a fait le tour du monde, mais la mesure moins médiatisée qui a consisté à envoyer 40 000 soignants à Wuhan depuis d’autres provinces de Chine a probablement joué un rôle tout aussi important dans la réussite de l’endiguement du virus à Wuhan. Pour que les autres régions d’un pays restent relativement peu touchées, il faut également y mettre en place rapidement des mesures d’endiguement strictes. À l’opposé, l’expérience italienne montrerait qu’une réponse échelonnée (confinement des villes les plus touchées dans un premier temps, puis des régions, et ensuite seulement de l’ensemble du pays) ne fonctionne pas 
			(48) 
			De
fâcheuses erreurs ont également été commises en Iran et en France,
où les élections ont été maintenues alors que l’épidémie s’était
déjà répandue dans le pays.. Selon les médias, des dizaines de milliers de vies auraient pu être épargnées au Royaume-Uni et aux États-Unis si le confinement / les fermetures avaient été mis en place ne serait-ce qu’une ou deux semaines plus tôt (de fait, les restrictions auraient pu être levées beaucoup plus tôt et de manière plus sûre dans ce cas aussi) 
			(49) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2020/05/20/us/coronavirus-distancing-deaths.html'> www.nytimes.com/2020/05/20/us/coronavirus-distancing-deaths.html</a>.. Des exemples de pays comme l’Islande montrent que des mesures précoces et ciblées combinées à des tests à grande échelle peuvent être un moyen de contenir le virus sans retomber sur des confinements/fermetures complets.
23.2. Communication de l’information et transparence de la prise de décisions: Chacun sait que les gens modifient leur comportement s’ils comprennent que c’est dans leur intérêt ou s’ils y sont contraints. Selon un récent rapport du Guardian sur l’expérience de l’État indien du Kerala, l’adhésion sera toutefois plus forte dans le premier cas 
			(50) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/may/14/the-coronavirus-slayer-how-keralas-rock-star-health-minister-helped-save-it-from-covid-19'>www.theguardian.com/world/2020/may/14/the-coronavirus-slayer-how-keralas-rock-star-health-minister-helped-save-it-from-covid-19</a>.. Lorsque les décideurs sous-estiment ou exagèrent les risques, font de la rétention d’informations, ne paraissent pas s’appuyer sur des avis de scientifiques ou d’experts ou prennent des décisions sans consultations, la confiance du public s’étiole et avec elle, le respect des mesures d’endiguement. Des mesures de contrôle plus strictes peuvent alors devenir nécessaires, ce qui peut épuiser les ressources de la police, inspirer des théories de complot et accroître l’opposition à l’autorité. Les données recueillies çà et là montrent déjà que dans cette pandémie, les pays qui continuent de fonctionner de manière transparente et démocratique constatent une plus grande adhésion aux mesures de confinement volontaire, moins d’achats compulsifs, dictés par la panique, etc.
23.3. Tests et recherche des personnes en contact, associés à une mise en quarantaine ou un auto-isolement: Comme l’a fait remarquer le directeur général de l’OMS, docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, le 16 mars 2020: «On ne peut lutter contre un incendie les yeux bandés». Son message aux États a donc été: «testez, testez, testez!» 
			(51) 
			<a href='https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/events-as-they-happen'>www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/events-as-they-happen</a>.. Cette stratégie, bien que favorisant une sélection subjective des cas symptomatiques, a été adoptée avec succès en Corée du Sud, où le confinement a pu être évité un certain temps grâce à une campagne massive de tests et un traçage actif des personnes en contact (au moyen des données des téléphones et des cartes bancaires). Les individus infectés sont placés en quarantaine dans des centres d’accueil gouvernementaux et les personnes potentiellement exposées sont placées en quarantaine chez elles (le non-respect du confinement étant sanctionné par des amendes élevées). Les médias ont estimé que la Corée du Sud avait trouvé le bon équilibre pour sa population en mettant en place une quarantaine suffisamment souple pour éviter que des personnes essaient de l’éviter ou de la fuir, mais plus stricte (et facile à surveiller) que l’auto-isolement, et donc plus sûre pour l’ensemble de la population. Le seul inconvénient de cette situation (également observé en Chine) réside dans le fait qu’en étant mises en quarantaine à la maison, les personnes potentiellement infectées peuvent transmettre le virus aux autres occupants de leur logement, créant ainsi de petits foyers de contagion. Cela dit, les foyers connus (qui représentaient jusqu’à 80 % du total des infections en Chine) sont plus faciles à contrôler que d’autres vecteurs de transmission. Il est également urgent de pratiquer des tests de recherche d’anticorps dans la population pour savoir qui a une immunité vis-à-vis du coronavirus, indépendamment des résultats des tests RT-PCR.
23.4. Réduction des contacts humains par la distanciation physique/l’arrêt des activités/le confinement: face à une pandémie causée par un virus contagieux avant l’apparition des symptômes, dans laquelle il y a des porteurs asymptomatiques et des porteurs symptomatiques qui ne savent pas qu’ils sont infectés (confondant leurs symptômes avec d’autres infections), mais aussi des personnes malades qui estiment ne pas pouvoir se permettre de rester à la maison ou ne pas avoir les moyens d’aller chez le médecin ou d’obtenir une aide médicale, la fermeture précoce des lieux recevant du public (lieux accueillant des événements sportifs et culturels, restaurants, bars et cafés, salles de sport, centres commerciaux, etc.) est essentielle. Tout travail qui peut être réalisé depuis chez soi doit l’être. Les effets des mesures strictes qui isolent/confinent plus ou moins tout le monde chez soi, comme cela était le cas depuis début avril pour la moitié de la population mondiale, devraient permettre de briser les chaînes de transmission dans les deux à trois semaines suivant leur mise en place 
			(52) 
			<a href='https://www.weforum.org/agenda/2020/03/why-lockdowns-work-epidemics-coronavirus-covid19/'>www.weforum.org/agenda/2020/03/why-lockdowns-work-epidemics-coronavirus-covid19/</a>.. L’idée est de laisser aux pays le temps de mieux préparer leur réponse d’urgence et, selon qu’elles sont mises en place plus ou moins tôt, elles peuvent permettre d’«aplanir la courbe» de l’épidémie, contribuant ainsi à éviter la saturation des systèmes de soins entraînant une hausse de la mortalité (de fait, la Nouvelle-Zélande a réussi non seulement à aplatir la courbe, mais aussi à éradiquer pratiquement la maladie). Toutefois, en l’absence de données sur les infections dans la population, on ignore si ces mesures extrêmes et ayant de graves répercussions sur les systèmes économiques et financiers des pays, ainsi que sur la société dans son ensemble, sont justifiées et combien de temps elles devraient être maintenues. Si elles sont levées trop tôt, ou si leur levée ne s’accompagne pas d’autres mesures de santé publique comme la réalisation de nombreux tests, le traçage des contacts et l’isolement, on risque un «effet rebond» où la croissance exponentielle de l’épidémie, interrompue par le confinement, reprend après sa levée et nécessite peut-être un nouveau confinement si des épidémies locales ne sont pas détectées et/ou ne peuvent être maîtrisées 
			(53) 
			<a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/21/the-case-for-shutting-down-almost-everything-and-restarting-when-coronavirus-is-gone'>www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/21/the-case-for-shutting-down-almost-everything-and-restarting-when-coronavirus-is-gone</a> Dans une perspective historique, la comparaison des
taux de létalité et des courbes d’infection de deux villes de même
taille, Philadelphie en Pennsylvanie (12 000 morts) et Saint Louis
dans le Missouri (700 morts) lors de la pandémie de grippe espagnole
de 1918 aux États-Unis est souvent utilisée comme exemple pour illustrer
les bénéfices d’un confinement précoce et prolongé comme celui qui
a été pratiqué à Saint Louis.. Les médias indiquent qu’une durée de confinement de 8 à 12 semaines suffit dans les pays où l’épidémie n’est pas trop avancée 
			(54) 
			Cette option aurait
par exemple pu être envisagée en Australie à la mi-mars 2020. <a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/21/the-case-for-shutting-down-almost-everything-and-restarting-when-coronavirus-is-gone'>www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/21/the-case-for-shutting-down-almost-everything-and-restarting-when-coronavirus-is-gone</a>., mais on ne dispose pas encore de preuves scientifiques permettant de corroborer ces affirmations.
23.5. Préparation à une pandémie: Les résultats observés jusqu’à présent en Europe sont très variables. Si les médias ont établi une corrélation entre une réponse précoce et une augmentation beaucoup plus faible (voire nulle) du taux de mortalité (toutes causes confondues) pendant la pandémie, d’autres facteurs peuvent également avoir joué un rôle, notamment le niveau de préparation à la pandémie (y compris la disponibilité des équipements de protection individuelle et des tests pour le personnel de santé), la santé financière des systèmes de santé, la disponibilité des lits d’hôpitaux et de soins intensifs, ainsi que la capacité à effectuer des tests de laboratoire et à tracer les contacts.
24. D’autres mesures ne semblent pas donner les résultats escomptés:
24.1. Restriction des déplacements internationaux: l’OMS a déconseillé d’emblée les mesures de restriction des déplacements et des échanges commerciaux vers les pays touchés par une épidémie de COVID-19. Elle a indiqué dans ses recommandations actualisées le 29 février 2020: «de manière générale, les éléments dont on dispose montrent que restreindre la circulation des personnes et des biens lors d’urgences de santé publique est inefficace dans la plupart des cas et risque d’accaparer des ressources qui auraient pu être destinées à d’autres interventions. Les restrictions peuvent également bloquer l’aide et le soutien technique nécessaires, perturber les échanges commerciaux et avoir des répercussions négatives sur le plan économique et social dans les pays concernés. […] Les mesures de restriction des déplacements qui perturbent fortement le trafic international ne peuvent se justifier qu’au début d’une épidémie, car elles peuvent permettre aux pays de gagner du temps, même si ce n’est que quelques jours, pour mettre en œuvre rapidement des mesures concrètes d’intervention d’urgence. Ces restrictions doivent reposer sur une évaluation rigoureuse des risques, être proportionnées par rapport au risque pour la santé publique, être de courte durée et être réexaminées régulièrement, à mesure que la situation évolue» 
			(55) 
			<a href='https://www.who.int/news-room/articles-detail/updated-who-recommendations-for-international-traffic-in-relation-to-covid-19-outbreak'>www.who.int/news-room/articles-detail/updated-who-recommendations-for-international-traffic-in-relation-to-covid-19-outbreak.</a>. Si le virus circule déjà au sein de la population d’un pays, la fermeture des frontières n’a plus aucune utilité, puisque l’ennemi est déjà sur le territoire 
			(56) 
			Tout au plus, les frontières
pourraient être fermées aux touristes; les citoyens et résidents
de retour dans le pays peuvent être placés en isolement ou en quarantaine
pendant 14 jours.. L’expérience montre qu’en Europe, la fermeture des frontières a été inefficace pour prévenir l’importation de cas de COVID-19 ou pour ralentir la croissance de l’épidémie, et a au contraire entravé le flux des marchandises et affaibli la solidarité entre États européens 
			(57) 
			Les contrôles stricts
à la frontière germano-polonaise, par exemple, ont provoqué 55 km
de bouchons de poids lourds.. La restriction des déplacements en Europe a plutôt eu pour effet d’accentuer le repli nationaliste, la xénophobie et la recherche de boucs émissaires.
25. Les mesures dont l’efficacité demeure incertaine sont les suivantes:
25.1. Fermeture des écoles/structures d’accueil pour les enfants: Presque tous les pays touchés par la pandémie actuelle ont choisi de fermer partiellement ou totalement leurs écoles pour contenir toute contamination 
			(58) 
			Thomas Hale et al., <a href='https://www.bsg.ox.ac.uk/sites/default/files/2020-05/BSG-WP-2020-032-v5.0_0.pdf'>Variation
in government responses to COVID-19</a>, BSG Working Paper Series, University of Oxford, avril
2020.. La fermeture des écoles et des structures d’accueil pour les enfants semble d’être une mesure efficace de santé publique prise lors des épidémies, car les enfants sont généralement d’importants vecteurs de transmission de la maladie, ou font partie des groupes ayant un risque élevé de présenter une forme grave de la maladie et d’en mourir. Dans le cas de la COVID-19, il semblerait que les enfants – et en particulier les moins de 10 ans – tombent rarement malades ou ne présentent que des symptômes bénins, voire aucun symptôme lorsqu’ils sont infectés 
			(59) 
			Ilaria
Liguoro, <a href='https://www.springermedizin.de/covid-19/virusinfektionen-in-der-paediatrie/sars-cov-2-infection-in-children-and-newborns-a-systematic-revie/17992518'>SARS-COV-2
infection in children and newborns: a systematic review</a>, 18 mai 2020. (des éléments inquiétants attestent de l’émergence d’un nouveau syndrome semblable à celui de Kawasaki affectant certains enfants n’ont pas encore été liés fermement au SARS-CoV-2 et nécessitent plus d’investigation). On ne saurait encore dire si les enfants sont effectivement des vecteurs de la COVID-19. En l’espèce, la fermeture des écoles présente des inconvénients: elle impose à de nombreux travailleurs essentiels de faire un choix entre rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants ou demander aux grands-parents (qui sont un groupe à haut risque) de les garder, si aucun autre mode de garde n’est assuré, par exemple, par l’État; les enfants risquent d’être victimes de violence familiale 
			(60) 
			Y compris la violence
sexuelle, voir Doc. 15109
«Lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants: renforcer l’action
et la coopération en Europe» (Rapporteure: Baroness Doreen E. Massey, Royaume-Uni,
SOC). et de souffrir de la faim 
			(61) 
			Par exemple, près d’un
cinquième des foyers britanniques ayant des enfants souffrent de
la faim pendant le confinement: <a href='https://www.theguardian.com/society/2020/may/03/exclusive-fifth-of-uk-homes-children-hungry-lockdown'>www.theguardian.com/society/2020/may/03/exclusive-fifth-of-uk-homes-children-hungry-lockdown</a>., et les inégalités existantes en matière d’accès aux possibilités d’apprentissage et à l’éducation sont accrues. On ne dispose pas aujourd’hui de données suffisantes pour savoir si la fermeture des écoles présente plus d’avantages que d’inconvénients. Les réouvertures partielles ou complètes des écoles dans certains pays sont trop récentes pour évaluer leur effet sur la propagation du virus et devraient faire l’objet d’une enquête plus approfondie.
25.2. Port du masque: Le seul type de masque qui offre une protection relativement efficace contre l’infection est celui avec filtre à air, de type FFP1 / FFP2 / N95. Il semblerait cependant que le port de masques chirurgicaux ou en tissu protègent assez bien les autres contre une contamination par les gouttelettes (notamment en cas d’éternuement ou de toux). Les avertissements sont toutefois nombreux, car la maladie se propageant aussi bien par aérosol que par gouttelettes et les populations étant peu habituées à les manipuler correctement (hormis dans de nombreux pays asiatiques), les règles relatives au port de masques risquent de prendre une tournure politique 
			(62) 
			<a href='https://www.theguardian.com/uk-news/2020/may/21/face-mask-rules-more-political-than-scientific-says-expert'>www.theguardian.com/uk-news/2020/may/21/face-mask-rules-more-political-than-scientific-says-expert</a>..
25.3. Isolement des groupes à haut risque: la Grande-Bretagne a demandé aux catégories de personnes qui ont un risque élevé de présenter une forme grave de la maladie ou de décéder de la COVID-19 de s’isoler pendant au moins trois mois; la plupart des pays ont restreint les visites dans les maisons de retraite et les centres d’hébergement et de soins de longue durée. On ignore encore l’efficacité de ces mesures et la durée pendant laquelle elles peuvent raisonnablement s’appliquer. Elles présentent aussi de sérieux désavantages puisqu’elles peuvent aboutir à des discriminations, des pertes d’emplois, la pauvreté, la solitude et d’autres effets insidieux. Les taux élevés de létalité observés dans les maisons de retraite sous-entendent que des améliorations apportées aux infrastructures, comme des unités plus petites, davantage de personnel et un meilleur approvisionnement en équipements, pourraient être plus efficaces qu’un isolement total.
25.4. Communication d’informations sur les personnes infectées par le coronavirus ou les lieux dans lesquels elles se sont rendues: il est humain de vouloir savoir si son voisin, son collègue de travail ou le caissier du supermarché est touché par le coronavirus ou si le chemin que l’on emprunte dans un restaurant ou un transport public a croisé celui d’une personne infectée. La question de savoir s’il s’agit d’un moyen efficace d’éviter l’infection ou de déterminer si l’on est soi-même infecté est tout autre. Il est certain en revanche que la stigmatisation, voire les attaques à l’encontre des personnes dont la vie privée a ainsi été violée n’ont jamais été un remède 
			(63) 
			Le port d’un masque
est requis ou constitue la norme sociale dans de nombreux pays asiatiques
car le masque permet de minimiser le risque d’infecter d’autres
personnes lorsque l’on est soi-même infecté. Cela dit, si les personnes infectées
sont les seules à porter un masque, elles sont facilement reconnaissables
et peuvent être stigmatisées, voire pire. Une personne peut également
être infectée sans le savoir. Par conséquent, si tout le monde porte
un masque, la vie privée des personnes est protégée, ainsi que la
santé publique.; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le système électronique utilisé en Corée du Sud ne fait qu’afficher les lieux où les personnes infectées se sont rendues (bien que l’anonymisation des données n’ait pas toujours bien fonctionné, rendant certaines personnes reconnaissables et révélant qu’elles ont pu se trouver dans des lieux où elles n’étaient pas censées aller). On ignore si de tels dispositifs sont efficaces dans le cadre de mesures de santé publique. Les applications électroniques de traçage posent de sérieux problèmes en matière de protection des données, entre autres 
			(64) 
			Je
n’entrerai pas dans le détail des risques que représentent les applications
de traçage pour les droits humains, car ils seront examinés dans
le rapport en cours de préparation à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme..
25.5. «Passeports d’immunité»: Certains pays comme le mien, l’Allemagne, prévoyaient de délivrer des «passeports d’immunité» afin de permettre aux citoyens de retrouver leurs droits fondamentaux qui ont été restreints, en raison de mesures de confinement luttant contre la propagation du virus, en fonction de l’état immunitaire des personnes. De telles mesures peuvent être valables pour les travailleurs essentiels, comme les personnels soignants de première ligne, qui sont immunisés et ne représentent donc aucun danger pour les autres, de s’occuper des patients à haut risque. Pour le grand public, cette idée est hautement problématique à plusieurs titres: tout d’abord, rien ne prouve que la présence d’anticorps dans le sang protège contre une nouvelle infection ni, si tel est le cas, à quel niveau et pour combien de temps. Ensuite, recouvrer des droits via l’immunité pourrait avoir un effet pervers, à savoir inciter à essayer d’attraper la maladie pour s’immuniser.

4. Conséquences concrètes et risques pour les droits humains

26. Il apparaît clairement au vu des expériences des différents pays à ce jour que la seule manière de répondre efficacement à la propagation du SARS-CoV-2 en évitant les mesures de grande envergure ayant une incidence sur les droits humains, comme les mesures de confinement/fermetures est d’agir en temps opportun, avec précision et efficacité. Plus la réponse à une épidémie est tardive, plus les mesures doivent être drastiques. Mais il s’agit de savoir comment le faire de la manière la plus respectueuse possible des droits humains, en gardant à l’esprit que par définition, sans respect du droit à la vie, aucun autre droit fondamental ne peut s’exercer. Il existe une hiérarchie des droits humains dans les situations de pandémie qui menacent le droit à la vie, comme celle que nous connaissons aujourd’hui, mais aucun droit fondamental n’est absolu.

4.1. Droit à la vie et égalité d’accès aux soins

27. Dans les situations de pandémie, le droit à la vie doit être protégé à la fois sur le plan de la santé publique et en médecine clinique. Nous venons d’examiner les mesures de santé publique qui ont été prises pour protéger les populations – et notamment les groupes vulnérables – contre l’infection, afin de protéger le droit à la vie. Cela dit, une fois qu’une personne est malade, et en particulier si elle est gravement atteinte, le droit à la vie doit être protégé au niveau de l’individu par l’accès à des soins de santé de qualité.
28. Tous les États membres ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la plupart ont également ratifié la Charte sociale européenne (STE N°35 et STE N°163) et la Convention du Conseil de l’Europe sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo, STE N°164). Ils sont donc tenus de protéger le droit à la vie de toute personne. Aucune dérogation à ce droit n’est possible, même en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation 
			(65) 
			L’article 15 § 2
de la CEDH protège le droit à la vie contre toute dérogation (sauf
pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre).. Dans une situation d’urgence comme celle que nous vivons aujourd’hui, les États se doivent donc de ne pratiquer aucune discrimination entre les personnes relevant de leur juridiction en leur garantissant à toutes l’accès aux soins vitaux, indépendamment de leur sexe, de leur nationalité, de leur religion et de toute autre situation ou de leur solvabilité.
29. Cela dit, une telle discrimination peut toujours se produire et aura lieu, de toute évidence, dans la pratique. Quels principes éthiques doivent guider la prise de décisions cliniques concernant l’octroi ou le refus d’accès à des soins vitaux (par exemple, un respirateur dans une unité de soins intensifs) lorsque les besoins sont supérieurs aux disponibilités? Bien qu’il soit quasi universellement reconnu qu’un traitement peut être refusé s’il est jugé inutile sur le plan médical (autrement dit, lorsque l’on considère que le patient mourra quoi que l’on fasse), quelles devraient être les méthodes à suivre pour déterminer à qui donner accès aux soins parmi les patients qui ont une certaine chance de survie? De la même manière, s’il est communément admis que l’évaluation et la décision finales doivent être prises par le personnel médical en première ligne, qui doit établir les recommandations ou directives éthiques sur lesquelles reposent ces décisions? Sont-ce les comités d’éthique professionnelle, les ministres, les parlementaires?
30. Les réponses à ces questions ne sont pas si évidentes. Le principe d’une prise en charge par ordre d’arrivée ou le tirage au sort peuvent sembler être les choix les plus équitables, mais ils pourraient également entraîner une mortalité plus élevée qu’en privilégiant les patients qui ont le plus de chances de survie (de manière générale, les plus jeunes et ceux qui sont en meilleure santé). Traiter ces patients en priorité permet certes de maintenir la mortalité à un niveau plus bas, mais ouvre également la voie à une discrimination fondée sur l’âge et la capacité physique, voire sur la situation financière et l’accès antérieur aux soins de santé (les personnes pauvres et marginalisées, ainsi que les migrants et réfugiés, les membres de minorités nationales, etc., étant souvent en moins bonne santé dès le départ en raison des déterminants sociaux de la santé comme les difficultés d’accès aux soins). La plupart des personnes ne voient pas d’objection à donner un accès prioritaire aux soins aux médecins, infirmières et autres personnels médicaux essentiels infectés dans l’exercice de leurs fonctions (ils seraient 12 à 15 % aujourd’hui selon les estimations) ou à autoriser les patients à renoncer de leur plein gré à un traitement médical vital.
31. Dans la pratique, la plupart des États disposent déjà de recommandations en la matière. Bien souvent, les principes fondamentaux sont fonctionnels: la préférence est donnée à ceux qui peuvent sauver d’autres personnes (personnel médical essentiel) et à ceux qui ont le plus de chances de survie et le plus grand nombre d’années restant à vivre 
			(66) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2020/03/24/upshot/coronavirus-rationing-decisions-ethicists.html'>www.nytimes.com/2020/03/24/upshot/coronavirus-rationing-decisions-ethicists.html.</a>. C’est le cas par exemple en Italie et en Grande-Bretagne. En Lombardie (Italie), certains hôpitaux ont décidé de ne plus admettre de patients gravement malades au-delà de 65 ans (80 ans en France); en Angleterre, il aurait été prévu à un certain moment de mettre des «packs de soins palliatifs» à la disposition de ces patients, qui seraient laissés à leur sort au cas où le National Health Service viendrait à être saturé 
			(67) 
			<a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/17/coronavirus-force-nhs-terrible-choices-covid19'>www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/17/coronavirus-force-nhs-terrible-choices-covid19.</a>. On peut supposer que les décisions cliniques modifieraient profondément notre société si les mesures de santé publique ne parvenaient pas à protéger les groupes vulnérables de la population (personnes âgées, fragiles, pauvres, marginalisées et personnes présentant des comorbidités), qui seraient les plus exposés à un risque de décès, avec un impact difficile à quantifier sur le plan de la cohésion sociale. En fait, c’est exactement ce qui est en train de se passer au Royaume-Uni et aux États-Unis, où les membres des groupes minoritaires sont beaucoup plus susceptibles de contracter le virus, d’être gravement malades ou de mourir 
			(68) 
			«Le nombre de cas de
maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) continue d’augmenter dans
le monde, mais les faits tendent à démontrer que la pandémie pourrait
toucher de manière disproportionnée les personnes noires, asiatiques
ou d’autres minorités ethniques», <a href='https://www.thelancet.com/journals/lanres/article/PIIS2213-2600(20)30228-9/fulltext'>www.thelancet.com/journals/lanres/article/PIIS2213-2600(20)30228-9/fulltext</a>. Parmi les raisons avancées, on peut citer des taux
plus élevés d’affections préexistantes dont on sait qu’elles ont
des conséquences plus graves, mais aussi, notamment au Royaume-Uni,
le fait que «les personnes issues de minorités ethniques sont davantage
susceptibles de vivre dans des zones gravement touchées par l’infection
au COVID-19» ou, comme aux États-Unis, que «les personnes issues
de minorités ethniques sont davantage susceptibles de vivre dans
des zones plus densément peuplés et des logements surpeuplés, d’utiliser
davantage les transports publics et d’occuper des emplois de service
peu rémunérés, sans indemnités de maladie, ce qui signifie qu’elles
sont plus enclines à aller travailler en toutes circonstances, ce
qui augmente le risque d’exposition»..

4.2. Protection des groupes vulnérables: la situation des personnes âgées, en particulier dans les maisons de retraite

32. Nous ne sommes pas tous égaux face aux épidémies. Certaines catégories de la population sont plus vulnérables que d’autres pour différentes raisons, comme l’âge ou l’état de santé (à commencer par les facteurs de comorbidité). La COVID-19 ne fait pas exception à cette règle. Les chiffres montrent que 80% des décès liés à la COVID-19 concernent les personnes âgées de plus de 70 ans, ce qui fait d’elles un groupe particulièrement vulnérable.
33. Conformément à l’article 2 de la CEDH, il incombe à chaque État de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection de sa population face aux pandémies, y compris les groupes les plus vulnérables. Or, malgré les avertissements répétés sur l’impact de l’épidémie sur les personnes âgées 
			(69) 
			<a href='https://www.age-platform.eu/sites/default/files/AGE_letter_to_EU_Commission%26European_Council_Presidents_on_COVID19_17Apr2020.pdf'>www.age-platform.eu/sites/default/files/AGE_letter_to_EU_Commission%26European_Council_Presidents_on_COVID19_17Apr2020.pdf</a>., plusieurs pays européens ont tardé à réagir 
			(70) 
			Il semblerait
même que la gravité de l’épidémie a été largement sous-estimée au
début, au motif qu’elle ne touchait mortellement que les personnes
âgées, mettant ainsi en lumière l’âgisme (discrimination en raison
de l’âge) omniprésent dans nos sociétés. La comptabilisation tardive
des décès des résidents en EHPAD par la COVID-19 dans les statistiques officielles
de l’Espagne, de l’Italie ou encore de la Belgique est révélatrice
de cette indifférence généralisée du sort des anciens. Dans l’imaginaire
commun, les personnes âgées sont prêtes à mourir et sont inutiles
à la société. Or, «la dignité humaine d’une personne n’est pas tributaire
de son utilité **». Dans son discours du 2 avril 2020, Helena Dalli,
la commissaire de l’Union européenne en charge de l’égalité a déclaré
«Il n’y a pas de place pour l’âgisme dans l’Union Européenne ***». 
			(70) 
			*
«Human rights don’t have a best-before
date: COVID-19 lays bare rampant against ageism”, in The Globe And Mail, 13 April 2020, <a href='https://www.theglobeandmail.com/canada/article-human-rights-dont-have-a-best-before-date-covid-19-lays-bare/'>www.theglobeandmail.com/canada/article-human-rights-dont-have-a-best-before-date-covid-19-lays-bare/</a>. 
			(70) 
			** <a href='https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf'>Contribution
du Comité consultatif national d’éthique: Enjeux face à une pandémie</a>, 13 mars 2020. 
			(70) 
			*** Helena Dalli (commissaire
de l’Union européenne à l’égalité), 2 avril 2020, <a href='https://www.age-platform.eu/sites/default/files/Covid-19_%26_olderPeople-Dalli_statement-Apr20.pdf'>www.age-platform.eu/sites/default/files/Covid-19_%26_olderPeople-Dalli_statement-Apr20.pdf.</a> 
			(70) 
			Dans sa Résolution 2168 (2017), l’Assemblée avait fait des recommandations visant à
combattre l’âgisme, à améliorer les soins aux personnes âgées et
à prévenir leur isolement et l’exclusion sociale.. Les conditions de vie dans les institutions où résident les personnes âgées (en raison du grand nombre de personnes vivant en communauté) ont favorisé la transmission du nouveau coronavirus, aggravant davantage la situation pour cette population, qui est déjà touchée par une mortalité plus élevée. En effet, une étude suggère que les résidents des Établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) représentent 50% du nombre total des décès attribués au Sars-COV-2 dans certains pays européens 
			(71) 
			Robert Booth, “<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/apr/13/half-of-coronavirus-deaths-happen-in-care-homes-data-from-eu-suggests'>Half
of coronavirus deaths happen in care homes, data from EU suggests</a>”, in The Guardian,
13 April 2020..
34. Les conséquences les plus dévastatrices de la pandémie ont donc eu lieu à huis clos, dans l’ignorance et l’indifférence. Les EHPAD ont vécu des hécatombes. Le manque de moyens matériels et humains bien connu et non résolu depuis des années ne s’est pas arrangé pendant la crise sanitaire 
			(72) 
			La décision du Conseil
d’État français rejette les demandes syndicales et refuse de prononcer
la carence de l’État dans sa gestion des EHPAD: <a href='https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-15-avril-2020-depistage-systematique-et-regulier-des-personnes-residant-en-ehpad'>www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-15-avril-2020-depistage-systematique-et-regulier-des-personnes-residant-en-ehpad</a>.. Si, le personnel de certaines institutions a fait le choix de se confiner dans l’établissement avec les résidents (en Roumanie, le gouvernement a décidé de rendre cette situation obligatoire 
			(73) 
			Centre
for Legal Resources, 16 April 2020, <a href='https://www.crj.ro/en/romania-covid-19-protecting-residents-with-disabilities-and-the-elderly-by-isolating-employees-in-nursing-and-social-care-homes/'>www.crj.ro/en/romania-covid-19-protecting-residents-with-disabilities-and-the-elderly-by-isolating-employees-in-nursing-and-social-care-homes/.</a>), sauvant ainsi des vies et préservant la dignité des résidents, certains soignants ont abandonné leurs postes en l’absence de protections adéquates 
			(74) 
			Dans une situation
extrême, l’armée espagnole a découvert 25 corps sans vie, isolés
dans les chambres d’un EHPAD. “<a href='https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2020-coronavirus-pandemic-eu-bulletin_en.pdf'>Coronavirus
Pandemic in the EU: Fundamental Rights Implications</a>”, European Union Agency for
fundamental rights, p. 27..
35. Par ailleurs, l’engorgement sans précédent des unités de réanimation des hôpitaux a obligé à un tri des patients. Les médecins ont été contraints de faire des choix qu’ils ne devraient pas avoir à faire, à savoir qui recevra les soins permettant de vivre et qui sera voué à mourir. Ce tri des patients est inadmissible et évoque l’accès aux soins en temps de guerre. Les médecins de Strasbourg ont avoué réserver l’accès aux ventilateurs aux moins de 80 ans 
			(75) 
			Idem p.
26.. En Italie et en Espagne, les docteurs ont également reconnu l’âge comme élément clé des choix médicaux. Enfin, certains patients ont fait le choix de se sacrifier en offrant leur ventilateur à d’autres patients. Un prêtre de 72 ans en Italie a cédé son ventilateur à un patient plus jeune que lui 
			(76) 
			Idem.. Le comité consultatif national d’éthique français (CCNE) est très préoccupé par cet aspect et considère que «La nécessité d’un tri des patients pose un questionnement éthique majeur de justice distributive» 
			(77) 
			<a href='https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf'>Contribution
du Comité consultatif national d’éthique: Enjeux face à une pandémie</a>, 13 mars 2020. 
			(77) 
			L’avis du CCNE publié en
2009 alertait déjà sur le possible écartement des principes éthiques
fondamentaux lors d’un état d’urgence sanitaire. Les exigences d’accompagnement
et de soins ne doivent en aucun cas être abandonnées. «Toute personne,
sans exception, a droit à des interventions vitales [...] La rareté
des ressources ne devrait jamais être une justification pour discriminer
certains groupes de patients»*. En pratique pourtant, les personnes
âgées sont discriminées dans l’accès aux soins, et bénéficient de
moins de protection malgré leur vulnérabilité. *<a href='https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25746'>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25746</a>..
36. Il faut également souligner que le confinement de la population, indispensable à la limitation de la propagation du virus, s’est traduit par un isolement pour de nombreuses personnes âgées qui ont été abandonnées seules, chez elles 
			(78) 
			De nombreuses initiatives
populaires basées sur le bénévolat se sont rapidement mises en place
à travers l’Europe pour assister les personnes âgées dans leur quotidien.
C’est cependant à l’État de garantir la distribution de denrées alimentaires
et des médicaments nécessaires à la population, notamment pour les
plus vulnérables qui doivent éviter de sortir de chez eux. ou dans les chambres des EHPAD, sans aucun contact avec l’extérieur pendant plusieurs semaines (et, entre autres, sans possibilité de recevoir des soins psychiatriques ou palliatifs pour ceux qui en avaient besoin). A la une des journaux, on pouvait lire «les personnes âgées risquent de mourir d’ennui et de solitude» 
			(79) 
			<a href='https://www.lepoint.fr/sante/coronavirus-les-personnes-agees-risquent-de-mourir-d-ennui-et-de-solitude-13-03-2020-2367054_40.php'>www.lepoint.fr/sante/coronavirus-les-personnes-agees-risquent-de-mourir-d-ennui-et-de-solitude-13-03-2020-2367054_40.php#</a>.. Comme l’affirme le CCNE, le respect de la dignité humaine inclut le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes 
			(80) 
			<a href='https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne-_reponse_a_la_saisine_du_26.03.20_renforcement_des_mesures_de_protection_en_ehpad_et_usld_0.pdf'>www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne-_reponse_a_la_saisine_du_26.03.20_renforcement_des_mesures_de_protection_en_ehpad_et_usld_0.pdf</a>..
37. Comme l’indiquait la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans sa dernière déclaration sur «Les leçons à tirer des ravages causés par la pandémie de COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée» 
			(81) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/lessons-to-be-drawn-from-the-ravages-of-the-covid-19-pandemic-in-long-term-care-facilities'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/lessons-to-be-drawn-from-the-ravages-of-the-covid-19-pandemic-in-long-term-care-facilities.</a>, conformément aux obligations relevant de l’article 2 de la CEDH, qui consacre le droit à la vie, les États membres doivent élucider les circonstances de tous les décès survenus dans ces institutions, sans exception. (…) Il incombe aussi aux États membres de veiller à ce que les personnes qui vivent dans un établissement de soins de longue durée continuent à avoir des relations avec leurs proches, notamment si elles sont malades. Aujourd’hui, la priorité absolue doit être d’éviter que de tels drames se reproduisent au cours de la pandémie de COVID-19.
38. Étant donné que les personnes âgées sont particulièrement vulnérables à la COVID-19, les conditions de vie et de travail dans les EHPAD sont de la plus haute importance. Le secteur européen des EHPAD est concentré entre les mains de quelques grands groupes privés, souvent gérés par des fonds de pension ou d’investissement 
			(82) 
			<a href='https://www.euronews.com/2020/05/08/the-deadly-impact-of-covid-19-on-europe-s-care-home'>The
deadly impact of COVID-19 on Europe's care homes</a>, Euronews, 8 mai 2020.. Cela peut avoir un impact négatif significatif sur les conditions dans les EHPAD, si le profit prime sur les besoins des résidents et les prestations santé de la structure. Il en va de même pour les mesures d’austérité qui laissent les EHPAD sous-financés. Le manque de personnel, la surpopulation et les EHPAD énormes avec trop peu de distance entre les résidents sont quelques-uns des effets négatifs de ce développement, ce qui entraîne des vulnérabilités encore plus élevées lors de la propagation de virus. Les États membres devraient s’attaquer de toute urgence à ces problèmes afin de protéger les plus vulnérables.

4.3. Proportionnalité des mesures de santé publique

39. La pandémie de COVID-19 a conduit de nombreux États membres à prendre des mesures drastiques pour protéger la santé publique. L’article 15 de la CEDH prévoit une clause dérogatoire qui autorise les États membres, dans des circonstances exceptionnelles et de manière limitée et supervisée, à déroger à leurs obligations d’assurer certains droits et libertés 
			(83) 
			CEDH, article 15.2:
«la disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2,
sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et
aux articles 3, 4.1 et 7». garantis par la Convention. La Convention est adaptable à toute circonstance et continue à régler l’action de l’État, même en cas de crise nationale. Alors que la plupart des États membres ont déjà pris des mesures restreignant un certain nombre de droits et libertés individuels inscrits dans leurs constitutions et dans la Convention, et bon nombre d’entre eux avaient notifié à la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe leurs dérogations à la CEDH. Les États ont un devoir d’information d’autant plus important que la portée de la dérogation sera grande. La Résolution 2209 (2018) de l’Assemblée intitulée «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme» doit être pleinement respectée en ces circonstances. Les réponses à cette pandémie doivent être strictement proportionnées aux menaces qu’elles visent à combattre et les États membres devraient s’efforcer de limiter leurs dérogations à la Convention. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme procèdera à un examen plus approfondi de la question dans un prochain rapport.

4.4. Coordination européenne et internationale et gouvernance de la santé publique

40. On ne saurait nous reprocher de penser que la coordination européenne et internationale a fait défaut durant les premiers mois de la pandémie. La santé publique étant une compétence généralement dévolue aux États au niveau national, ou à l’échelon régional (voire sous-régional) dans les États fédéraux, même l’Union européenne a eu des difficultés à coordonner une réponse à cette urgence de santé publique, les États étant réticents à partager leurs pouvoirs souverains en matière de gestion de crise et de santé publique.
41. Cette situation a provoqué une cacophonie de mesures de santé publique qui a sérieusement compromis l’efficacité de l’action et s’est même parfois révélée totalement contre-productive 
			(84) 
			Certains pays ont par
exemple autorisé des personnes potentiellement infectées de retour
de zones à risque à aller à l’école ou à se rendre au travail, tandis
que d’autres leur ont demandé de s’isoler ou les ont mises en quarantaine pendant 14 jours;
certains pays ont également placé les coiffeurs et les bureaux de
tabac dans la liste des commerces essentiels autorisés à rester
ouverts pendant le confinement.. Les frontières ont refait leur apparition dans l’espace Schengen (contre l’avis de l’OMS), compliquant la vie de millions de transfrontaliers et bloquant des marchandises. Certains pays sont allés jusqu’à fermer leurs frontières à tous les étrangers, tandis que d’autres dépensent des millions pour rapatrier leurs ressortissants bloqués dans d’autres pays. Six États membres ont mis en place des interdictions d’exportation de matériel médical 
			(85) 
			Italie,
Bulgarie, Roumanie, Pologne, République tchèque et République slovaque.
La France a nationalisé ses approvisionnements. L’Allemagne a interdit
dans un premier temps l’exportation de fournitures comme les masques, équipements
de protection et équipements médicaux. 
			(85) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2020/03/26/world/europe/coronavirus-eu.html'>www.nytimes.com/2020/03/26/world/europe/coronavirus-eu.html</a>.. On note quelques initiatives positives, malheureusement rares: dans des pays comme l’Allemagne, la Suisse et (au départ) la France, des hôpitaux ont pris en charge des patients gravement atteints de la COVID-19 venant d’Alsace (France) et de Lombardie (Italie). Les dirigeants de l’Union européenne mettent en place un nouveau centre européen permanent de gestion de crise et ont débloqué 50 millions d’euros pour l’achat d’équipements médicaux destinés aux hôpitaux qui en ont le plus besoin. À la mi-mai 2020, bien que son mandat soit limité dans le domaine de la santé publique, l’Union européenne avait adopté plus de 200 initiatives pour lutter contre la crise de COVID-19 
			(86) 
			Dans
le cadre d’accords de marchés publics conjoints et d’une collaboration
étroite avec l’industrie, l’Union européenne s’efforce d’aider les
États membres à avoir accès aux équipements médicaux et de protection
essentiels et d’accélérer la production européenne de dispositifs
médicaux sûrs et performants. et apporté un soutien rapide aux systèmes de santé, aux populations et aux économies de ses États membres 
			(87) 
			Déclaration
de la commissaire de l’Union européenne, Stella Kyriakides, lors
de l’audition de la commission du 19 mai 2020.. La Chine, Cuba, la Fédération de Russie, la Roumanie, la Turquie et l’Albanie ont envoyé des médecins, des infirmières et des équipements médicaux dans les pays durement touchés.
42. Du côté positif, il semble que l’Union européenne ait retenu la leçon, même si elle l’a apprise à ses dépens. Comme l’a déclaré Mme Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé et la sécurité alimentaire (ancienne présidente de l’Assemblée), lors de l’audition de la commission du 19 mai 2020: «la conclusion majeure ici, c’est que nous ne pouvons faire face à ces menaces qu’ensemble. La fragmentation des efforts nous rend tous vulnérables. Le repli ne peut que diminuer nos chances de venir à bout de cette menace invisible. Nous ne pourrons vaincre le virus que si nous coopérons et faisons preuve de solidarité par-delà les frontières». Je ne peux qu’être d’accord. Début mai, la Commission européenne a coorganisé la conférence des donateurs pour une «Réponse mondiale au coronavirus», qui a réuni des partenaires du monde entier afin de mobiliser des fonds pour stimuler les travaux sur les diagnostics, les traitements et les vaccins contre le nouveau coronavirus. À la mi-mai 2020, 7,4 milliards d’euros avaient été levés, ce montant comprenant la promesse de la Commission d’une contribution de 1,4 milliard d’euros. La Commission travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau programme européen spécifique en matière de santé, doté d’un budget sans précédent pour renforcer la résilience de l’Europe 
			(88) 
			Ibid..
43. Bien entendu, la solidarité et la coopération transfrontalières ne doivent pas se limiter à l’Europe. Malheureusement, l’OMS a également mis du temps à réagir au début, son système de gouvernance de la santé publique ayant été affaibli par des années de réduction des coûts et des effectifs. 20 % seulement de son budget sont couverts par les contributions ordinaires des États membres, l’équilibre étant rétabli à l’aide de contributions volontaires 
			(89) 
			<a href='https://www.who.int/about/funding/financing_the_pb/en/'>www.who.int/about/funding/financing_the_pb/en/</a>.. A eux seuls, 20 contributeurs représentent 80 % de celles-ci, et cela fait ressortir de sérieuses questions sur sa capacité d’agir en toute indépendance.
44. Ce n’est que le 25 mars 2020 que l’Onu a lancé un appel en faveur d’un nouveau plan mondial de réponse humanitaire à hauteur de 2 milliards de dollars, assorti de la mise en place par l’OMS d’un plan d’action en six points pour préparer la réponse à la pandémie dans les régions les plus pauvres déjà fragilisées par une crise, et notamment les communautés «déracinées du fait des conflits, des déplacements de population, de la crise climatique ou d’autres flambées épidémiques» 
			(90) 
			<a href='https://www.who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-remarks-launch-of-appeal-global-humanitarian-response-plan---25-march-2020'>www.who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-remarks-launch-of-appeal-global-humanitarian-response-plan---25-march-2020</a>.. Il se pourrait malheureusement que ces mesures soient intervenues beaucoup trop tard pour éviter une catastrophe humanitaire, le virus ayant commencé à circuler dans les camps de réfugiés fermés et les bidonvilles du monde entier.
45. Les actions (ou le manque perçu d’action) de l’OMS ont été critiquées de façon particulièrement vive par le président des États-Unis, Donald Trump, qui a également menacé de suspendre la contribution américaine à l’organisation, voire de la quitter. Le président de l’Assemblée et le président de notre commission ont ouvertement dénoncé la position de Donald Trump et appelé à soutenir l’OMS 
			(91) 
			Déclaration «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/7862/covid-19-aidons-l-oms-a-nous-aider-tous-'>Aidons
l'OMS à nous aider tous</a>», 20 avril 2020.. Lors de la 73e Assemblée mondiale de la santé qui s’est tenue le 19 mai 2020 – la première à avoir lieu de manière virtuelle – les délégués ont adopté une résolution historique visant à rassembler le monde pour lutter contre la pandémie de COVID-19, en trouvant le consensus nécessaire pour soutenir l’organisation. À l’issue de cette pandémie, l’OMS et sa structure de gouvernance de la santé publique devront impérativement être renforcées (et dépolitisées) pour pouvoir jouer pleinement leur rôle. Comme l’a déclaré la présidente de notre sous-commission sur la santé publique et le développement durable, Mme Jennifer De Temmerman (France, ADLE): «Un plus grand pouvoir devrait aussi impliquer une responsabilité et des obligations plus grandes. Le contrôle parlementaire fait cruellement défaut à l’OMS. Toute réforme de l’OMS devrait aussi prévoir un élément permettant un tel contrôle, qui est essentiel pour encourager la confiance et la solidarité» 
			(92) 
			Ibid..

4.5. Préservation du système économique et financier

46. Lorsque la COVID-19 a commencé à se répandre en Chine en janvier 2020, peu de gens en dehors des spécialistes pouvaient prévoir la «contagion» globale qui s’ensuivrait, que ce soit sur le plan médical ou du point de vue des répercussions économiques et financières. Cela dit, la Chine étant un maillon essentiel dans les chaînes de valeur mondiales, tous les ingrédients d’une catastrophe étaient réunis.
47. La lutte contre la COVID-19, et en particulier les mesures de confinement demandant à la population de rester autant que possible chez elle, a porté un coup d’arrêt brutal à l’activité économique globale (notamment dans le secteur du voyage, des loisirs et autres services, des capacités de production en raison de la fermeture d’usines, et de la circulation de marchandises, matières premières et fournitures, de travailleurs et d’usagers au niveau national et transfrontalier). L’OCDE envisage un fort ralentissement de la croissance mondiale en 2020 avec un PNB mondial en baisse de 2 % pour chaque mois de confinement strict.
48. Le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué que la COVID-19 pouvait entraîner une récession plus dure que la précédente crise financière, même si la reprise pourrait être relativement forte en 2021. Cela dit, dans l’immédiat, notre préoccupation doit être de soutenir nos économies nationales en temps réel. Il est donc rassurant de constater que les grandes institutions internationales et les pays pris individuellement mobilisent d’extraordinaires ressources économiques et monétaires, tant pour faire face à l’épidémie que pour maintenir à flot les systèmes économiques.
49. Le FMI s’est engagé à apporter un financement d’urgence (à hauteur de 1 000 milliards de dollars) à plus de 90 pays qui ont déjà sollicité son aide (les économies des marchés émergents semblent être les plus durement touchées par la crise de COVID-19) 
			(93) 
			<a href='https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/03/23/pr2098-imf-managing-director-statement-following-a-g20-ministerial-call-on-the-coronavirus-emergency'>Déclaration
de la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva</a> le 23 mars 2020 et d’autres informations, <a href='https://www.imf.org/fr/Topics/imf-and-covid19'>www.imf.org/fr/Topics/imf-and-covid19</a>.. En Europe, les ministres des Finances des 27 pays de l’Union européenne ont décidé de suspendre les limites d’emprunt des États, activant la clause dérogatoire générale 
			(94) 
			La clause dérogatoire
générale a été introduite par l’Union européenne en 2011 pour essayer
de tirer les leçons de la crise économique et financière. Le Pacte
de stabilité et de croissance exige que les déficits budgétaires
nationaux restent inférieurs à 3 % du PIB et que la dette publique
nationale ne dépasse pas 60 % du PIB. du cadre budgétaire de l’Union européenne en raison d’une «grave récession économique dans la zone euro ou dans l’ensemble de l’Union» 
			(95) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2020/03/23/statement-of-eu-ministers-of-finance-on-the-stability-and-growth-pact-in-light-of-the-covid-19-crisis/'>Déclaration
des ministres des Finances de l’Union Européenne sur le Pacte de
stabilité et de croissance à la lumière de la crise du COVID-19</a>, communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne,
23 mars 2020.. Cette décision sans précédent offre aux États membres une flexibilité leur permettant de «prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir [leurs] systèmes de santé et de protection civile et pour protéger [leurs] économies, notamment par de nouvelles mesures discrétionnaires de relance et une action coordonnée, conçues autant qu’il conviendra pour être mises en place en temps opportun, à titre temporaire et de manière ciblée». La Banque centrale européenne (BCE) s’est quant à elle engagée à prendre des mesures «appropriées et ciblées» pour permettre aux banques de prêter plus facilement aux entreprises et aux ménages, et a lancé un programme d’assouplissement quantitatif (outil de création de monnaie) de 750 milliards d’euros pour le marché de la zone euro. Cette initiative fait suite aux mesures ambitieuses prises par la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre 
			(96) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/mar/19/ecb-u-turn-shows-it-fears-coronavirus-could-destroy-eurozone-project'>ECB
U-turn shows it fears coronavirus could destroy eurozone project</a>», article de Larry Elliot, rédacteur au service économique, The Guardian, 19 mars 2020..
50. Certains États membres du Conseil de l’Europe se retrouveront néanmoins en grande difficulté. L’Italie se trouvait dans une situation budgétaire délicate avant même la crise de COVID-19, affichant les chiffres de croissance les plus faibles de la zone euro et une dette souveraine très élevée (134,8 % du PIB au troisième trimestre 2019 contre 84,1 % du PIB pour la zone euro 
			(97) 
			Données Eurostat, avril 2020.
À la fin 2019, la Grèce (176,6 %), l’Italie (134,8 %), le Portugal
(117,7 %), la Belgique et la France (un peu en dessous de 100 %)
étaient les pays dans lesquels les ratios dette publique / PIB étaient
les plus élevés, tandis que les ratios les plus bas s’observaient
en Estonie (8,4 %), en Bulgarie (20,4 %), et au Luxembourg (22,1 %).); c’est aujourd’hui le pays européen le plus durement touché par le nouveau coronavirus. Les mesures ciblées de la BCE devront donc soutenir en priorité l’Italie. Cela dit, d’autres pays de la zone euro comme la Grèce, l’Espagne et la France pourraient avoir besoin d’une aide similaire de la BCE. À ce jour, la principale priorité en matière de dépenses consiste pour de nombreux gouvernements à agir pour sauver des vies et rassurer les entreprises et la population, notamment par des allègements fiscaux temporaires, une compensation partielle de la perte de revenus pour ceux qui sont en chômage technique et un soutien aux petites et moyennes entreprises pour éviter les faillites et préserver des emplois. Cependant, comme l’explique l’analyse du Centre de recherche sur les politiques économiques (CEPR), «il faudra veiller à ce que ces solutions temporaires ne créent pas des problèmes durables» 
			(98) 
			«<a href='https://voxeu.org/content/mitigating-covid-economic-crisis-act-fast-and-do-whatever-it-takes'>Mitigating
the COVID Economic Crisis: Act Fast and Do Whatever It Takes</a>», Richard Baldwin et Beatrice Weder di Mauro, une publication
électronique CEPR Press VoxEU.org, mars 2020..
51. Il est rassurant de constater qu’à la fin mars 2020, 27 pays européens (membres de l’Union européenne) avaient déployé des programmes nationaux d’urgence pour soutenir leurs économies. Allant de 300 millions d’euros au Luxembourg à 1 100 milliards d’euros en Allemagne et des engagements illimités en Hongrie et en République slovaque, ils prévoient divers types de soutien (aides ciblées, versements et dédommagements directs, allègements et incitations fiscaux; facilitation de liquidités; prêts et garanties de l’État pour les crédits, investissement public dans le marché local des obligations d’entreprises; report du paiement des loyers ou de certaines factures de services essentiels; dérogations en matière de durée du travail) aux services de santé et aux services sociaux, aux travailleurs et aux ménages, aux groupes de population vulnérables, ainsi qu’aux pouvoirs locaux et aux entreprises (et notamment aux petites entreprises) 
			(99) 
			<a href='https://www.robert-schuman.eu/en/doc/divers/covid-economic-decisions.pdf'>Tableau
des décisions économiques des États membres de l’UE</a>, publié par la Fondation Robert Schuman le 26 mars (informations
mises à jour le 25 mars 2020).. Lorsque les besoins seront plus précis au fil des jours à venir, ces mesures nécessiteront d’être renforcées et ajustées.
52. De plus, dès le début du mois d’avril 2020, tous les autres États membres du Conseil de l’Europe ont annoncé des mesures de soutien économique aux populations vulnérables (notamment par des allocations de soutien au revenu, des garanties sur les ressources minimales de subsistance, des dispositifs d’allègements fiscaux, des reports de loyers, des primes aux personnels de santé et aux travailleurs sociaux, l’interdiction des licenciements) et aux entreprises affectées par la crise (lignes de crédit et garanties, interruption des mesures de mise en faillite, moratoire sur le remboursement des dettes, aides aux secteurs du tourisme et des transports) ainsi que des mesures macroéconomiques (comme l’abaissement des taux d’intérêt de référence et l’approvisionnement de liquidités par les banques centrales et les programmes d’investissement public). Certains pays, comme la République de Moldova, ont reçu un co-financement de la part du FMI pour leurs programmes d’urgence 
			(100) 
			«COVID-19: Situation
dans les États membres de l’OSCE au 2 avril 2020» par l’Assemblée
parlementaire de l’OSCE.. La Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) a émis en avril des obligations d’inclusion sociale face à la pandémie de COVID-19, mobilisant ainsi 1 milliard d’euros. Elle a déjà approuvé des prêts de 300 millions d’euros chacun pour l’Italie et la République tchèque ainsi qu’un prêt de 200 millions d’euros à la municipalité de Madrid (Espagne) pour lutter contre la pandémie de COVID-19. 
			(101) 
			<a href='https://coebank.org/fr/news-and-publications/news/'>https://coebank.org/fr/news-and-publications/news/.</a> En mai, la CEB a approuvé, par procédure accélérée, huit nouveaux prêts totalisant près de 1,3 milliard d’euros à ses pays membres (Croatie, Estonie, Grèce, Kosovo* 
			(102) 
			* Toute
référence au Kosovo dans ce texte, que ce soit à son territoire,
à ses institutions ou à sa population, doit se comprendre en pleine
conformité avec la <a href='https://digitallibrary.un.org/record/274488?ln=en'>Résolution
1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies</a> et sans préjuger de son statut., Lettonie, République de Moldova, Serbie et Turquie) pour lutter contre la pandémie de COVID-19 
			(103) 
			<a href='https://coebank.org/fr/news-and-publications/news/ceb-approves-eight-new-covid-19-response-projects/'>https://coebank.org/fr/news-and-publications/news/ceb-approves-eight-new-covid-19-response-projects/.</a>. Les prêts sont accordés dans le cadre de la Facilité de financement du secteur public de la CEB, qui offre une utilisation flexible et opportune des fonds de la CEB.
53. Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement a mobilisé près de 40 milliards d’euros de financements potentiels pour les entreprises européennes touchées par la crise, principalement sous la forme de prêts-relais ou de suspensions de remboursements de crédits. Cela dit, les dirigeants de l’Union européenne ont lutté pour atteindre un accord sur l’utilisation d’un mécanisme d’action collective, qui pourrait être une ligne de crédit du fonds de la zone euro (19 pays membres) du Mécanisme européen de stabilité (MES), à hauteur de 2 % de leur PIB ou un autre mécanisme pouvant prendre la forme de «corona-bonds» européens. Cette situation est révélatrice de la division persistante entre «les pays du sud en difficulté et l’orthodoxie budgétaire des pays du nord» 
			(104) 
			«<a href='https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-eu-summit/eu-leaders-agree-on-more-time-to-decide-coronavirus-economic-rescue-idUSKBN21D2JO'>EU
leaders agree on more time to decide coronavirus economic rescue</a>», Reuters, 26 mars 2020.. Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne (1985-1995), a qualifié ces divisions de «danger mortel» pour l’Europe 
			(105) 
			Le
Figaro, 28 mars 2020,<a href='https://www.lefigaro.fr/politique/le-manque-de-solidarite-est-un-danger-mortel-pour-l-europe-selon-jacques-delors-20200328'> www.lefigaro.fr/politique/le-manque-de-solidarite-est-un-danger-mortel-pour-l-europe-selon-jacques-delors-20200328</a>., tandis que la Secrétaire d’État française aux Affaires Européennes, Amélie de Montchalin, avertissait que l’Union européenne était face à une crise existentielle alors que «sa crédibilité et son utilité» reposaient sur la possibilité d’une réponse collective à la crise du coronavirus 
			(106) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/mar/29/unity-must-be-more-than-a-slogan-for-eu-in-crisis-says-french-minister-coronavirus-pandemic'>Unity
must be more than a slogan for EU in crisis, says French minister</a>», The Guardian,
29 mars 2020.. Même si la décision de plafonner le MES a été tranchée le 9 avril, les conditions de sa mise en œuvre demeurent problématiques du point de vue des pays potentiellement utilisateurs.
54. Ainsi, la Commission européenne a proposé d’utiliser le budget de l’Union européenne pour «protéger les conditions de vie et les moyens de subsistance.» Elle a lancé la création d’un instrument financier temporaire appelé SURE doté de 100 milliards d’euros pour soutenir les travailleurs et les entreprises. Tous les fonds structurels disponibles vont être réorientés pour répondre au nouveau coronavirus, alors que les fermiers et pêcheurs recevront un soutien spécifique 
			(107) 
			«<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_20_582'>Coronavirus:
the Commission mobilises all of its resources to protect lives and
livelihoods</a>», communiqué de presse de la Commission européenne,
2 avril 2020.. Dans un élan similaire, le Congrès américain a approuvé un plan d’urgence de 2 000 milliards de dollars pour l’économie nationale. Il s’agit du plus vaste programme de relance économique de l’histoire des États-Unis. Ce fonds de sauvetage vise à soutenir les ménages pour compenser les pertes de revenus dues au chômage temporaire (300 milliards de dollars), les hôpitaux (100 milliards de dollars), la mise au point de vaccins et de médicaments (11 milliards de dollars), les prêts aux secteurs en difficulté, y compris les compagnies aériennes (500 milliards de dollars), les écoles (30 milliards de dollars), les coupons alimentaires et l’alimentation des enfants (25 milliards de dollars) ainsi que les agriculteurs (24 milliards de dollars) 
			(108) 
			«<a href='https://www.wbrz.com/news/louisiana-senators-discuss-2-trillion-covid-19-stimulus-bill/'>Senate
approves $2 trillion COVID-19 stimulus bill</a>», WBRZ news, 25 mars 2020; «<a href='https://www.politico.com/news/2020/03/25/whats-in-stimulus-package-coronavirus-149282'>Here’s
what’s in the $2T stimulus package – and what’s next</a>», Politico, 25 mars 2020..
55. À leur tour, les dirigeants du G20 ont appelé à «mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour surmonter la pandémie», «tant au plan individuel que collectif», et réaffirment leur engagement «à faire tout ce qui nécessaire et à utiliser tous les instruments disponibles pour réduire au maximum les dommages économiques et sociaux causés par la pandémie, rétablir la croissance mondiale, préserver la stabilité des marchés et renforcer la résilience». Ils ont annoncé leur intention d’injecter «plus de 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale». Ils ont demandé aux ministres des finances et les gouverneurs de banques centrales du G20 d’élaborer ensemble un «plan d’action et de travailler en étroite concertation avec les organisations internationales concernées pour fournir rapidement l’aide financière internationale adéquate», et aux ministres du commerce de travailler sur des moyens de faire face aux perturbations des échanges internationaux et de mettre en place «un environnement commercial et d’investissement stable, prévisible, transparent, non discriminatoire, libre et équitable» 
			(109) 
			<a href='https://www.gov.uk/government/news/g20-leaders-summit-statement-on-covid-19-26-march-2020'>Déclaration
du Sommet des dirigeants du G20 sur la COVID-19</a>, 26 mars 2020..

4.6. Garantir les droits sociaux et la cohésion sociale

56. Les droits sociaux garantis par la Charte sociale européenne, qui lie la quasi-totalité des États membres, sont également des droits humains. Les mesures de santé publique prises lors de l’épidémie, ou leurs conséquences, ont eu un impact sur bon nombre de ces droits: le droit au travail, en particulier pour les travailleurs jugés «non essentiels» qui ne peuvent télétravailler (par exemple dans le secteur du divertissement ou de l’hôtellerie) ou les travailleurs mis en chômage technique en cas de confinement ou d’arrêt d’activité; le droit à des conditions de travail équitables, sûres et saines, notamment pour le personnel médical et les autres travailleurs essentiels «en première ligne» (notamment dans les supermarchés, les funérariums ou le secteur du nettoyage) qui travaillent de longues heures, souvent sans protection adéquate contre l’infection; le droit des enfants et des jeunes à une protection sociale, juridique et économique, étant touchés par les fermetures d’écoles, d’universités et de services de garde d’enfants, avec les incidences que cela peut avoir sur leur protection contre la violence domestique dans les situations de confinement; le droit des personnes âgées à une protection sociale lorsqu’il leur est demandé de s’isoler pendant des mois ou lorsqu’elles sont privées de visites pour protéger leur santé; le droit des travailleurs ayant des responsabilités familiales à l’égalité des chances et à l’égalité de traitement lorsque les écoles et services de garde d’enfants ferment; le droit à une protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, notamment en matière de logement dans les situations de confinement 
			(110) 
			Comme
pour la CEDH, les États ont la possibilité de prendre des mesures
dérogeant à leurs obligations en vertu de la CSE en temps de guerre
ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, mais
aucune dérogation n’a été communiquée à ce jour au Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe..
57. Les États membres qui ont dû adopter, pendant la pandémie, des mesures de santé publique qui ont une incidence sur ces droits ont cherché à en limiter leur application dans le temps et à en atténuer les effets, par exemple en apportant un soutien financier aux entreprises, aux travailleurs et aux groupes vulnérables 
			(111) 
			Voir la liste non exhaustive
au paragraphe 51. ou en organisant l’enseignement en ligne. Cela dit, il est vite apparu que la pandémie aggravait les inégalités existantes: bien souvent, les travailleurs indépendants et les travailleurs de l’économie des plateformes ne peuvent avoir accès aussi facilement à un soutien financier que les travailleurs permanents; les personnes pauvres et moins bien instruites ont plus de difficultés à faire «l’école à la maison» avec leurs enfants (et n’ont pas toujours accès aux ressources techniques nécessaires); le confinement est d’autant plus difficile à supporter que l’on vit dans un logement insalubre ou exigu ou avec un parent ou un partenaire violent. Les femmes, sur lesquelles repose dans une très large mesure la charge des soins au sein des familles et dans le monde médical, sont particulièrement exposées au risque de discrimination, de violence et d’épuisement. Les personnes pauvres et marginalisées (ce qui inclut les SDF, les réfugiés, les migrants, les demandeurs d’asile et les minorités comme les Roms) sont celles qui risquent de souffrir le plus.
58. À cet égard, il est particulièrement important que le personnel de première ligne soit correctement protégé contre tout préjudice – et soit justement récompensé (par des salaires plus élevés, des contrats de travail plus sûrs, etc.) La pandémie a douloureusement révélé le manque de préparation des États face aux urgences de santé publique: les personnels de santé du monde entier ont dû faire face au manque d’équipements de protection individuelle (EPI), ce qui les a exposés, ainsi que leurs patients, à des risques d’infection, de maladie et de mort. D’autres travailleurs essentiels – caissiers de supermarché, livreurs, employés des morgues et des pompes funèbres – ont également été appelés à travailler de longues heures dans des conditions dangereuses. Très vite, il est apparu que les travailleurs essentiels étaient essentiellement des travailleuses, dont beaucoup étaient sous-payées et surchargées de travail avant même que la pandémie ne frappe. Il est grand temps de s’attaquer aux inégalités de salaire dont souffrent les professions «soignantes» et dans les emplois traditionnellement occupés par des femmes, comme ne manquera pas de le faire, j’en suis certain, le prochain rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
59. Par ailleurs, la pandémie fera peser une charge supplémentaire sur une cohésion sociale déjà mise à rude épreuve si nous décidons de nous isoler chez nous et de nous occuper que de nous-mêmes. Mais il n’y a pas de fatalité: la pandémie nous montre à quel point nous dépendons des autres et a fait naître de nouvelles formes d’action sociale: les membres de clubs de football ou d’églises locales organisent spontanément des livraisons de nourriture pour les personnes à haut risque qui s’isolent; des milliers de personnes se portent volontaires pour apporter leur aide dans différentes missions, par exemple pour assurer des permanences téléphoniques; les voisins veillent les uns sur les autres, et dans des pays entiers, les populations applaudissent chaque soir les efforts du personnel de santé.

5. Le meilleur des mondes?

60. La situation dans laquelle nous nous trouvons est inédite; cela fait un siècle que nous n’avons plus été confrontés à une pandémie de l’ampleur de celle de la grippe espagnole. Depuis, nos sociétés ont connu une évolution considérable qui ne se limite pas au progrès médical et technologique. Toutefois, dans l’ensemble, nous composons avec les événements, ce qui nous empêche de réagir rapidement et d’apprendre de l’expérience des autres. Des clivages politiques et géopolitiques affaiblissent notre volonté et donc notre capacité de coopération et de solidarité à l’échelle européenne et internationale. Cela dit, il n’est pas trop tard pour renverser la vapeur: nous pouvons surmonter cette épidémie ensemble et faire naître un monde nouveau et meilleur, reposant sur les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. C’est ainsi que nous pourrons atteindre les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies et faire face au prochain grand défi urgent qui nous attend après la pandémie, celui du changement climatique.

5.1. Surmonter la pandémie

61. Cela dit, il nous faut d’abord surmonter les difficultés que pose la pandémie. Pour éviter un bilan catastrophique sur le plan des pertes de vies humaines et de la charge de morbidité, nous devons agir rapidement pour endiguer les flambées épidémiques en mettant en œuvre, dans le respect des droits humains et du principe de la proportionnalité, les mesures efficaces et éprouvées évoquées plus haut (partie 3) 
			(112) 
			<a href='https://oecd.dam-broadcast.com/pm_7379_119_119689-ud5comtf84.pdf'>La
synthèse de l’ELS publiée par l’OCDE le 20 mars 2020</a> donne des orientations plus détaillées..
62. Pour beaucoup de nos États membres, cela se traduit par les mesures suivantes: action rapide et soutenue pour réduire les contacts humains par la distanciation physique autant que possible et sur une base volontaire et si nécessaire le confinement/les fermetures respectueux des droits pendant la durée nécessaire à la réduction de la propagation active du SARS-COV-2 au sein de la population jusqu’à un niveau contrôlable grâce à l’utilisation rigoureuse de tests, le traçage des contacts en conformité avec la protection des données, le placement en quarantaine et l’auto-isolement respectant le principe de proportionnalité et prenant en compte l’impact de telles mesures sur les droits fondamentaux y compris les droits sociaux et économiques, sur la santé physique et mentale, et mettant en œuvre des mesures compensant ces effets négatifs; fourniture d’équipements de protection au personnel soignant et aux autres travailleurs essentiels; renforcement et optimisation des capacités du système de santé en mobilisant les professionnels de santé non actifs et en augmentant d’une part les approvisionnements en équipements nécessaires pour diagnostiquer et traiter les patients de manière efficace et en toute sécurité – notamment les tests diagnostiques, l’oxygène et les respirateurs – et d’autre part le nombre de lits de soins intensifs disponibles dans les hôpitaux; de veiller à ce que toutes les mesures de santé publique respectent les droits humains, intègrent la dimension de genre, impliquent de façon importante les femmes dans la prise de décision et protègent les groupes vulnérables de la population (en particulier les personnes handicapées, les enfants et les personnes âgées); mise en place des conditions pour isoler et traiter les cas symptomatiques qui ne nécessitent pas d’hospitalisation immédiate, sur la base du volontariat, afin d’éviter la contagion au sein d’un foyer/d’une famille et de fournir la supervision médicale nécessaire pour permettre une hospitalisation rapide au cas où la santé du patient se détériorerait. Cela passe par l’ouverture des frontières et la levée des restrictions de déplacement pour ne pas entraver l’action d’urgence transfrontalière, au moins au sein de l’Union européenne, afin que les mesures de santé publique puissent être planifiées au niveau national, mais mises en œuvre par zone géographique plutôt qu’à l’échelon des territoires (des États membres), en fonction des besoins là où les flambées épidémiques se produisent.
63. Pour tous nos États membres, cela implique: rendre disponible des informations fiables sur les changements dynamiques comparatifs dans le nombre de décès dus à différentes pathologies au cours des trois dernières années, et le nombre de personnes infectées par la COVID-19 parmi eux; de communiquer les informations de manière claire, complète et en temps utile et d’assurer une prise de décisions transparente et fondée sur des avis scientifiques éprouvés (y compris par la publication des avis d’experts). De mener des campagnes actives et massives de tests au sein de la population (ne se limitant pas aux personnes admises à l’hôpital, au personnel de santé ou aux autres travailleurs essentiels. La recherche d’anticorps devrait également être déployée à grande échelle dès que possible, en particulier auprès d’échantillons représentatifs de la population pour identifier les personnes déjà immunisées). La promotion active d’une recherche responsable, le développement et production de médicaments, kits de diagnostic, vaccins, et d’équipements de protection personnelle dans un esprit de solidarité, de sorte que les produits ainsi développés soient en nombre suffisant et à la portée de tous, en particulier des groupes vulnérables. La solidarité, la coordination et la coopération européennes et internationales doivent être priorisées et systématisées. Les équipements de protection ne devraient pas être stockés par les États nations «pour parer à toute éventualité», mais plutôt distribués là où les besoins sont les plus importants en Europe. Établir et tenir à jour un répertoire transfrontalier en libre accès des lits disponibles des unités de soins intensifs (USI), ainsi que des lits ventilés, dotés en personnel dans les USI, et les mettre à la disposition des États membres dans le besoin. Les personnels de santé immunisés pourraient apporter leur aide dans d’autres pays lorsque les besoins dans leur propre pays diminuent. Il faut éviter tout abus de pouvoir de la part de l’exécutif, toute mesure disproportionnée et inutilement répressive limitant les droits humains et toute discrimination dans la mise en œuvre des mesures de santé publique. Les Parlements doivent continuer à pouvoir remplir leur mission de contrôle des actions du gouvernement.
64. De plus, afin de lutter contre la pandémie actuelle, les États membres devraient intensifier leurs efforts afin d’évaluer l’état de leurs systèmes sanitaires, les systèmes de préparation aux pandémies et de surveillance des infections afin de les améliorer le cas échéant ainsi que l’effectivité des mesures prises pour lutter contre la pandémie actuelle, y compris les dommages collatéraux (en particulier à l’encontre des droits humains, y compris les droits sociaux et économiques) afin de tirer les enseignements en prévision des futures urgences de santé publique. Ils devraient veiller, dans leurs plans de relance et de sauvegarde économiques, à ne pas créer les conditions de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer d'autres épidémies de nature zoonotique et pour cela conditionner les aides mises en place au respect de critères environnementaux et sociaux ambitieux, en phase avec les objectifs de développement durable des Nations Unies.

5.2. Limiter les dommages pour le système économique et financier: priorité aux populations et à la planète

65. Nos pays sont interconnectés et interdépendants, pour le meilleur et pour le pire. Cette pandémie a créé des ondes de choc qui ont non seulement exposé et amplifié les faiblesses de nos systèmes de santé, mais également secoué nos économies. Comme l’a noté le Secrétaire général de l’OCDE, «le comportement des marchés financiers traduit l’extraordinaire incertitude créée par la situation», pourtant «il est trop tôt pour évaluer l’impact qu’aura la COVID-19» sur nos pays 
			(113) 
			«<a href='http://www.oecd.org/coronavirus/fr/'>COVID-19: Une action
conjointe pour gagner la guerre</a>», éditorial d’Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE.. Il nous faut maintenir nos économies à flot, notamment pour vaincre la pandémie, tout en portant un regard critique sur les moyens d’améliorer leur fonctionnement pour le bien-être durable de tous. Nous avons besoin d’un système économique et financier plus durable qui soutiendrait l’économie réelle et non la spéculation financière au profit de quelques-uns. Avec leurs plans de sauvetage sans précédent, les gouvernements tiennent plus fermement que jamais les rênes de la régulation et devraient en utiliser les contraintes pour exiger des entreprises qu’elles investissent davantage dans les personnes et dans un développement plus «vert».
66. La pandémie de COVID-19 est une mise à l’épreuve de nos capacités collectives et de notre solidarité, au niveau local, national, régional et international. Pour tirer les leçons de la crise, nos gouvernements devraient revoir en profondeur les piliers stratégiques de l’économie et du bien-être nationaux en gardant à l’esprit les enjeux de viabilité et de sécurité à long terme. Certains biens essentiels (comme les médicaments, l’alimentation et l’énergie) devraient être entièrement produits «à proximité» pour profiter aux économies locales, en s’appuyant au besoin sur la solidarité européenne. Dans l’immédiat, nous devons protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables, en plaçant les droits fondamentaux au premier plan.

5.3. La défense des droits sociaux, aujourd’hui et demain

67. Il est de notre devoir de protéger autant que possible les droits sociaux durant la pandémie et, une fois celle-ci terminée, de renforcer et d’accroître nos efforts en matière de lutte contre la pauvreté (en particulier la pauvreté des enfants et l’extrême pauvreté). Pour l’heure, nous devons nous assurer que le droit de chacun à un accès équitable aux soins de santé est respecté, particulièrement dans les situations d’urgence: ni nos ressources financières ni nos «relations» ne doivent déterminer si nous aurons accès aux soins dont nous avons besoin. À terme, nous devons également nous pencher sur les déterminants sociaux de la santé comme les mauvaises conditions de logement et le manque d’accès aux services, ainsi que sur les inégalités qui nuisent à l’exercice des droits sociaux et à la cohésion sociale indispensables à notre survie. Les États membres devraient intensifier leurs efforts pour faire des progrès en ce qui concerne la Charte sociale européenne et la Convention d’Oviedo qui facilitent la sauvegarde des droits sociaux, économiques et autres qui sont les plus vulnérables lors des crises de pandémie.

5.4. Quel monde après la pandémie?

68. Il est clair que notre monde changera, peut-être du tout au tout, dans les années à venir. C’est à nous de décider s’il le fera pour le meilleur ou pour le pire. Le premier enseignement à tirer de la pandémie est que nous ne pouvons plus, comme par le passé, rester dans un état d’impréparation à une catastrophe mondiale, d’autant plus que la prochaine catastrophe mondiale – l’urgence du changement climatique causée par les humains – se profile déjà. Nous avons déjà laissé passer plusieurs points de bascule dans la prévention de la catastrophe liée à cette pandémie; nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas voir ceux du changement climatique.
69. Il est important que nous tirions les leçons de cette pandémie à tous les niveaux. La première, comme l’a souligné le professeur Katz lors de notre audition du 19 mai 2020, est que «la préparation en matière de santé publique et la sécurité sanitaire mondiale doivent s’inscrire dans une approche «Une seule santé» (One Health), en englobant les interactions entre les animaux, les êtres humains et l’environnement qui contribuent aux maladies et nous protègent contre elles. Nous devons intensifier nos efforts pour trouver la prochaine zoonose avant qu’elle ne se transmette aux humains, pour renforcer davantage la coordination des systèmes de dépistage et d’intervention en cas de maladie chez les animaux et les humains, et pour protéger les écosystèmes sur lesquels reposent la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale. Il y aurait notamment lieu d’identifier et de combattre le changement climatique en tant que moteur des nouvelles menaces sanitaires» et, j’ajouterais, d’améliorer les politiques réglementant l’agriculture animale et traitant de la lutte contre la destruction humaine des habitats vierges. La sécurité sanitaire mondiale et les mesures de préparation aux pandémies doivent également être fondées sur des données, basées sur des preuves et comprendre des dispositions relatives aux droits humains. Nous devons mieux utiliser les différentes sources de données, créer une infrastructure unifiée et des modèles pour la prise de décision, et traduire ces modèles et données en déclencheurs d’action.
70. Nous devons mettre en place une OMS plus forte, plus puissante, correctement financée et ne dépendant pas des contributions volontaires pour remplir ses fonctions essentielles. Une OMS qui aura été réformée afin de lui permettre de mieux s’acquitter de son mandat, qui est d’atteindre le meilleur niveau de santé possible pour tous. Ce n’est pas qu’une question d’argent: l’OMS devrait aussi être dotée des pouvoirs nécessaires pour effectuer des visites inopinées dans les États membres, à l’instar du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe. Comme l’a proposé Mme Katz lors de notre audition du 19 mai 2020, nous devrions réexaminer et renforcer le Règlement sanitaire international en vue de redéfinir la gouvernance mondiale pour lutter contre les maladies, d’assurer une meilleure adéquation du traité avec ses objectifs et d’explorer les mécanismes de respect des obligations dans ce cadre 
			(114) 
			Pour le professeur
Katz, cela nécessite soit une renégociation étendue du texte du
traité, soit, en s’inspirant d’autres traités, une conférence de
révision pour que les États membres de l’Assemblée mondiale de la
santé parviennent à un accord sur la mise en œuvre des articles
dans un monde en mutation.. Nous devons également revoir la manière dont nous gérons l’information, y compris l’échange d’échantillons et de séquences génétiques. Et il faut aussi veiller à un contrôle adéquat, indépendant et, idéalement, parlementaire de l’OMS afin de créer la confiance et la solidarité nécessaires pour que le monde puisse vaincre ensemble les pandémies.
71. Ainsi que proposé par Mme Katz lors de notre audition du 19 mai 2020, il serait également judicieux d’établir un leadership durable aux Nations Unies pour les événements biologiques actuels et futurs aux conséquences graves, y compris en nommant un facilitateur au Bureau du Secrétaire général. La supervision et la responsabilité mondiales de la préparation aux pandémies devraient également être assumées par les Nations Unies, par l’intermédiaire d’une entité extérieure indépendante.
72. C’est à nous, au niveau européen – et pas seulement au niveau de l’Union européenne – d’établir un système régional qui soit capable de soutenir l’OMS dans ses efforts. Il pourrait prendre la forme d’un accord régional entre notre Assemblée et l’OMS Europe, sur le modèle de notre accord de coopération avec l’OCDE; mais nous ne devons pas nous arrêter là: la coopération et la coordination intergouvernementales en matière de santé publique doivent également être rétablies au sein du Conseil de l’Europe.