1. Introduction
1. En 2015, l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) a mis au point un outil spécial pour déterminer
à quelles maladies et à quels agents pathogènes donner la priorité
en matière de recherche et développement dans un contexte d’urgence
de santé publique. En 2018, une «maladie X» a été ajoutée à la liste
afin de prendre en compte une épidémie grave qui pourrait être causée
au niveau mondial par un agent pathogène que l’on ignorait jusqu’alors
être transmissible aux humains
. Les scénarii privilégiés étaient
ceux d’une zoonose
et d’une maladie hautement contagieuse
que notre monde globalisé aurait du mal à contenir. Pourtant, peu
de pays, à supposer qu’il y en ait, se sont dûment préparés à une
pandémie déclenchée par une nouvelle maladie de ce type.
2. C’est aujourd’hui sous la forme de la COVID-19 provoqué par
un nouveau coronavirus – le 2019-nCoV (également appelé SARS-CoV-2)
– que cette «maladie X» touche un monde peu préparé à y faire face.
La COVID-19 remplit tous les critères: zoonose, maladie respiratoire
(pouvant causer une pneumonie virale sévère, voire fatale) et haute
contagiosité, même avant l’apparition de symptômes. Signalée pour
la première fois au bureau de l’OMS en Chine le 31 décembre 2019,
l’épidémie a été décrétée urgence de santé publique de portée internationale
par l’OMS le 30 janvier 2020; l’état de pandémie a été déclaré le
11 mars 2020. À l’heure où nous écrivons, le virus s’est propagé
dans six continents, infectant plus de 6,4 millions de personnes et
causant plus de 380 000 décès dans le monde
. L’épicentre de la maladie s’est
déplacé de la Chine à l’Europe (en particulier l’Italie, l’Espagne,
l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie), le
Moyen-Orient (en particulier l’Iran), les États-Unis et le Brésil;
le nombre de cas progresse de façon inquiétante en Inde et en Afrique.
Les scenarii les plus noirs prévoient 40 millions de morts dans
le monde
et un effondrement des systèmes
de santé en raison d’une demande massive de lits de soins intensifs
et de l’absence d’un vaccin sûr et efficace. En apportant une réponse
à la COVID-19 qui soit efficace et respectueuse des droits humains,
nous conservons la capacité de sauver de nombreuses vies et de protéger les
droits qui forment la base de nos démocraties. Aujourd’hui plus
que jamais, la solidarité et la coopération sont nécessaires au
niveau européen, et mondial, pour vaincre une maladie qui ne connaît
pas de frontières.
3. À la suite de l’épidémie d’Ébola en 2015-2016, l’Assemblée
parlementaire a adopté la
Résolution 2114 (2016) intitulée «La gestion des urgences de santé publique
de portée internationale»
dans laquelle elle faisait un certain
nombre de recommandations pour mieux préparer le monde à l’inévitable pandémie
mondiale à venir, et afin d’explorer de façon urgente de nouvelles
méthodes de travail pour affronter les crises sanitaires internationales
avant qu’elles ne se produisent. Bien que l’appel de l’Assemblée
soit malheureusement en grande partie resté sans écho, la résolution
expliquait aussi comment concevoir et mettre en œuvre les mesures
de santé publique qui visent à endiguer et à atténuer les effets
des maladies (mise en quarantaine, distanciation physique, contrôles
aux frontières et limitation des déplacements, par exemple) en veillant
à leur efficacité et à leur respect des droits humains, compte tenu
de leur incidence ces droits.
4. Malheureusement, face à un virus qui se propage rapidement
et à des prévisions de mortalité alarmantes, certains États ont
opté pour le repli nationaliste ainsi que pour des réponses répressives
et autoritaires plutôt que de réagir posément et généreusement en
adoptant des mesures efficaces, fondées sur des faits établis, coordonnées
sur le plan international et respectueuses des droits humains. S’ajoute
à cela le fait que de nombreux États semblent avoir pris conscience
trop tardivement du danger qui les guettait (ou n’ont pas voulu
le voir), ce qui les a contraints à prendre des mesures toujours
plus strictes et plus radicales face à une épidémie qui devenait
impossible à maîtriser sur leur territoire et à des systèmes de
santé débordés. Même au niveau européen et international, y compris
à l’OMS, le sentiment que la réponse a été trop faible et trop tardive
est difficile à dissimuler. Confrontés à des taux de chômage accablants
et à de sérieux revers économiques, bon nombre de pays ont également
été tentés de «rouvrir» prématurément leurs économies après les
fermetures et les arrêts de production.
5. Le système financier mondial et de nombreux systèmes de santé
sont déjà mis à rude épreuve, alors que le pire reste à venir. Cette
crise a bien d’autres conséquences et notamment celle de faire peser
sur les démocraties européennes des risques bien réels qui sont
ceux de l’autoritarisme rampant et de la perte de confiance du public,
de l’affaiblissement des droits humains, de la discrimination contre
les migrants, les réfugiés, les personnes «d’apparence étrangère»,
les minorités (y compris les Roms), les personnes pauvres et les
personnes marginalisées, les personnes placées en institution (prisons,
centres de rétention, hôpitaux psychiatriques, etc.) ou encore du
creusement des inégalités (y compris parmi les enfants) avec un
impact particulièrement préoccupant sur les femmes, les personnes
âgées, les sans-abri et les personnes de santé fragile.
6. Aujourd’hui, notre priorité face à la COVID-19 et aux futures
urgences de santé publique de portée internationale doit être d’unir
nos efforts pour tirer les leçons de la première vague de la pandémie
et pour apporter une réponse efficace et respectueuse des droits
humains, afin de sauver des vies, de garantir l’accès aux soins
à toutes les personnes qui en ont besoin et de gérer de manière
équitable les conséquences sociales, économiques, financières et
politiques de la pandémie par la coopération européenne et internationale.
Les initiatives des autorités de santé nationales, régionales et
internationales – dont l’OMS – ainsi que toutes les décisions nationales
et européennes, doivent être transparentes, dépolitisées et donner
la priorité aux droits humains et à la vie.
7. Ce rapport est le résultat d’une proposition intitulée «COVID-19
– une réponse efficace et respectueuse des droits humains» déposée
par ma collègue, Mme Jennifer De Temmermann
(France, ADLE), moi-même et plus de 60 collègues le 27 mars 2020
. J’ai été nommé rapporteur le 19
mai 2020. Le même jour, la commission a tenu une audition sur le
sujet à laquelle ont assisté les éminents experts suivants:
- Mme Stella
Kyriakides, commissaire européenne à la santé et la sécurité alimentaire;
- Mme Dunja Mijatović, commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe;
- David Nabarro, envoyé spécial auprès du Directeur général
de l’OMS pour la COVID-19;
- Mme Rebecca Katz, directrice
du Center for Global Health Science and
Security, Université de Georgetown, États-Unis.
2. État actuel des connaissances sur le
nouveau coronavirus
8. Malgré les nombreuses théories
du complot qui circulent sur Internet et la désinformation véhiculée
par certains acteurs, il semble que le coronavirus 2019-nCoV soit
apparu fin novembre/début décembre 2019 dans la ville de Wuhan
, capitale très peuplée de
la province chinoise du Hubei. L’hôte d’origine du virus était probablement
la chauve-souris, l’hôte intermédiaire n’ayant pas encore été clairement
identifié (il s’agirait peut-être du pangolin). Quoi qu’il en soit,
la transmission inter-humaine a débuté rapidement à Wuhan, bien
que les autorités chinoises ne l’aient pas signalée comme telle
dans un premier temps. Fin décembre, le nombre de patients des hôpitaux
de Wuhan gravement touchés par une pneumonie ressemblant étrangement
à la maladie causée par le coronavirus du SRAS et ne répondant pas
aux traitements habituels a conduit un petit groupe de médecins
à tirer la sonnette d’alarme, immédiatement accusés par les autorités
locales de répandre des rumeurs et de faire de fausses déclarations
.
9. La Chine (y compris Hong Kong) avait déjà été exposée à un
nouveau coronavirus lors de l’épidémie de SRAS en 2003
. D’autres pays, en particulier l’Arabie
saoudite, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud ont assisté
à des flambées épidémiques causées par un autre coronavirus, le
MERS, dès 2012
. Cela dit, nous avons une connaissance
limitée de ces nouveaux coronavirus. En revanche, il existe depuis
les années 1960 plusieurs études représentatives portant sur d’autres
coronavirus qui infectent les humains depuis longtemps. Elles ont
montré que ces coronavirus sont généralement responsables de maladies
bénignes (comme le rhume), souvent même sans symptômes et uniquement
détectables par des tests de recherche d’anticorps sériques
.
Le nombre réel de personnes infectées par les nouveaux coronavirus
dans la population étant encore inconnu, les chiffres de décès du
MERS – le taux de létalité du MERS-CoV était proche de 35 % – et
du SRAS – avec un taux de létalité de 11 % – ne donnent peut-être
pas une image complète de la situation. Les pandémies du XXe siècle
gravées dans notre mémoire ont été causées par des virus influenza, à
savoir ceux de la «grippe espagnole» en 1918-1919
, de la «grippe asiatique» en 1957
et de la «grippe de Hong Kong» en 1968
.
10. La gestion problématique de la pandémie de H1N1 en 2009 par
l’OMS et par de nombreux États (dont on considère qu’ils ont réagi
de façon excessive, la prise de décision ayant été entachée de conflits
d’intérêts, réels ou apparents)
a érodé la confiance du public dans
les avis des scientifiques et des experts, ainsi que dans la gouvernance
mondiale de la santé. Malgré les épidémies mortelles de SRAS et
de MERS, peu de gens semblaient penser qu’un coronavirus puisse
être si dangereux, et beaucoup ont pensé que l’OMS avait «crié au
loup» trop tôt ou inutilement, principalement en raison d’un manque
apparent de preuves du taux de létalité relativement élevé observé
du nouveau coronavirus par rapport à celui de la grippe saisonnière
(du fait de l’insuffisance des tests réalisés sur des échantillons
représentatifs de la population dans la plupart des pays et de différences
importantes dans les taux déclarés de létalité et de mortalité dues
à d’autres maladies )
.
11. Nous savons aujourd’hui que le nouveau coronavirus est plus
contagieux que la grippe saisonnière, mais moins que la rougeole.
Il se transmet principalement par les gouttelettes, bien que de
récentes études semblent indiquer qu’il pourrait rester en suspension
dans l’air jusqu’à 3 heures sous certaines conditions
et qu’il
peut être véhiculé dans l’humidité de l’air expiré
(en plus de la toux et des éternuements)
ou survivre sur des surfaces contaminées pendant plusieurs heures.
12. On estime que le virus a un taux de reproduction de base R0
compris entre 2 et 2,5
, ce qui signifie qu’en l’absence
de mesures d’endiguement, chaque personne infectée infectera statistiquement
à son tour entre 2 et 3 personnes. Ce type de contagion est exponentiel:
autrement dit, on peut passer de 500 cas à un million dans une période
relativement courte, puisqu’il suffit de onze doublements pour y
parvenir. L’OMS estime que le taux de croissance moyen – autrement
dit la durée nécessaire pour que le nombre de cas double – est de
six jours (ce qui signifie que le million de cas pourrait être atteint
au bout de 66 jours), mais certains pays ont momentanément déclaré
des taux de croissance de trois jours seulement (ce qui signifie
que le million serait atteint en moitié moins de temps)
.
13. C’est cette capacité de croissance exponentielle qui risque
de conduire à une saturation des systèmes de santé, même si le pourcentage
de personnes infectées nécessitant une hospitalisation est relativement faible
et celui des personnes ayant besoin de soins intensifs l’est encore
plus. Selon les premiers modèles fondés sur des données préliminaires,
on estime que si la majorité des affections sont légères, jusqu’à
40 % des malades nécessitent une hospitalisation et 5 % sont admis
en soins intensifs
.
Les conséquences de la maladie sont plus sérieuses pour les personnes
âgées, en particulier les hommes et les personnes souffrant d’autres
maladies. Les infections touchent tous les âges, tout en épargnant
plutôt les enfants de moins de 15 ans apparemment. Parmi les personnes
décédées début avril, deux-tiers étaient des hommes et 95 % avaient
plus de 60 ans, la plupart souffrant d’autres comorbidités: maladies
cardio-vasculaires, diabète, maladies pulmonaires ou rénales (l’obésité
étant apparemment un facteur supplémentaire)
. La plupart des patients les plus
gravement touchés ont eu besoin d’une ventilation artificielle pendant
deux semaines ou plus dans une unité de soins intensifs avant de
se rétablir (en cas de rétablissement)
.
14. La période d’incubation semble être de 14 jours. Cela étant,
la plupart des personnes infectées auront des symptômes (fièvre
ou sensation de fièvre, toux sèche, maux de tête, maux de gorge,
douleurs musculaires et articulaires, difficultés respiratoires,
sensation d’oppression dans la poitrine, diarrhée, congestion nasale, perte
de l’odorat et/ou du goût) après 5 jours environ. Il y a également
des porteurs asymptomatiques de la maladie (on estime actuellement
qu’ils représentent environ 30 % des infections)
,
qui ne présentent pas de symptômes mais peuvent infecter d’autres
personnes. Connaître le nombre d’infections asymptomatiques est crucial
pour une estimation impartiale du taux de létalité par maladie infectieuse
(TLMI). Il semblerait que les personnes infectées soient contagieuses
jusqu’à 48 heures avant l’apparition des symptômes, et jusqu’à 7 jours
après leur disparition. De nombreuses personnes peuvent en infecter
d’autres avant même de ressentir des symptômes (si tant est qu’elles
soient symptomatiques) et celles qui présentent des formes bénignes pourront
transmettre la maladie également pendant et après la phase symptomatique,
les symptômes pouvant alors être confondus avec ceux d’un simple
rhume ou de la grippe saisonnière.
15. Selon les premières données officielles venues de Chine le
19 mars 2020, le taux de létalité par cas (TLC) a été estimé à 4 %
des cas confirmés, soit plusieurs fois celui de la grippe saisonnière
(0,1 %). Les données officielles chinoises sont à prendre avec précaution,
et ce pour plusieurs raisons
. Les données dont nous disposons
en Europe, par exemple dans les régions très touchées de l’Italie,
de la France et de la Belgique, donnent à penser que le taux de
létalité pourrait être bien plus élevé (jusqu’à 16,3 %
), y compris dans des régions ayant
des systèmes de soins de haute qualité, lorsque ces systèmes arrivent dangereusement
à saturation et en particulier lorsque les unités de soins intensifs
manquent de lits, de respirateurs et de personnel suffisant pour
prendre en charge une population âgée présentant de nombreuses comorbidités
. En fait, les taux de létalité par
cas de COVID-19, compris comme le nombre de décès signalés par nombre
de cas signalés, varient considérablement d’un pays à l’autre et
au fil du temps. Ils ont été estimés entre plus de 15 % et moins
de 1 %.
Les
TLMI comprennent toutes les personnes infectées et en ce sens aussi
des cas bénins et asymptomatiques. Un examen systématique récent
des études a suggéré une estimation ponctuelle du TLMI de 0,64 %
(0,50-0,78 %) «avec une forte hétérogénéité».
Il est également préoccupant
de constater que les données venant d’Italie, d’Espagne et des États-Unis
semblent indiquer que le nombre de personnes plus jeunes nécessitant
une hospitalisation en raison de difficultés respiratoires est bien
plus élevé que ce que l’on pensait, ce qui va encore accroître la
pression sur les ressources limitées des unités de soins intensifs.
16. On suppose qu’il n’y a pas d’immunité naturelle contre le
2019-nCoV car ce serait un nouveau coronavirus qui vient de franchir
la barrière des espèces. Cela dit, la durée de mise au point d’un
vaccin pourrait être raccourcie en raison de quelques similarités
avec le coronavirus du SRAS-1. On espère qu’un vaccin sera accessible
au grand public d’ici 12 à 18 mois. Certaines voix évoquent aussi
le risque qu’il n’y ait aucun vaccin possible
. Des essais cliniques de candidats-médicaments
ont déjà été lancés ou sont en cours d’autorisation, par exemple
l’essai «Solidarity» mené par l’OMS ou l’étude européenne «Discovery»
. Malheureusement, peu d'essais
ont donné des résultats prometteurs jusqu'à présent.
17. Comme pour toute maladie infectieuse pour laquelle il n’existe
pas encore de vaccin, les mesures de santé publique et d’hygiène
que tout le monde connaît restent efficaces et doivent être appliquées:
se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon (ou avec un
gel hydroalcoolique à défaut d’eau), car tant le savon que l’alcool
détruisent la membrane du coronavirus; tousser et éternuer dans
son coude ou dans un mouchoir (qui sera ensuite jeté), porter un
masque lorsque l’on est infecté pour éviter l’infection par gouttelettes, conserver
une distance minimale de 1 à 2 mètres entre deux personnes et éviter
de se serrer la main ou de s’embrasser, ne pas se toucher le visage
pour éviter l’infection par contact avec des mains ayant pu toucher des
surfaces contaminées. Un système immunitaire solide étant nécessaire
pour prévenir et/ou combattre l’infection, il est également important
d’améliorer les conditions sociales et d’avoir une bonne hygiène
de vie et notamment de sortir les gens de la pauvreté, du chômage
et de la faim, de les encourager à manger équilibré, à pratiquer
une activité physique régulière, à réduire leur niveau de stress
et à éviter de fumer ou de vapoter.
18. Une autre inconnue à propos du nouveau coronavirus SARS-CoV-2
concerne la durée de l’immunité acquise lorsque l’on survit à l’infection.
Il est raisonnable de supposer qu’elle est au moins d’un ou deux
ans comme c’est le cas pour la plupart des autres coronavirus
. Il faut également souhaiter que,
même si cette immunité devait être de relativement courte durée,
la maladie soit moins sévère lors d’une deuxième infection chez
les survivants
, et
qu’une infection bénigne ou asymptomatique produise suffisamment
d’anticorps pour conférer une immunité. L’hypothèse a été émise
que, pour que la population acquière une immunité de groupe (sans
vaccin) dans cette pandémie, il faudrait que 60 à 70 % de la population
soit infectée
. En l’absence de mesures d’endiguement,
cet objectif pourrait être atteint en une année. L’état actuel de
l’immunité de la population dans chaque pays devrait donc être déterminé
en lançant immédiatement un grand nombre d’études transversales
représentatives et en les répétant régulièrement. Tous les pays
n’appliquant pas les mêmes mesures d’endiguement, ces comparaisons
fourniraient des informations utiles sur l’immunité de groupe. Or,
sur une population de 850 millions de personnes comme celle de l’espace
du Conseil de l’Europe, la stratégie consistant à miser sur l’immunité
sans vaccin risque de provoquer des millions de morts, la plupart des
décès prévus survenant chez les personnes âgées et les personnes
présentant des comorbidités. Par ailleurs, la question de savoir
si l’infection laisse des lésions persistantes, pulmonaires ou autres,
chez certains survivants n’a pas encore trouvé de réponse claire.
C’est donc sans surprise que peu de pays ont décidé d’opter pour
la méthode de l’immunité collective plutôt que celle du vaccin
.
3. Retour
préliminaire sur l’histoire contemporaine: les réponses et leur
efficacité
19. Bien que les premières tentatives
visant à consigner systématiquement les réponses gouvernementales à
la pandémie de COVID-19 aient commencé
, les données fiables sur l’efficacité des
interventions non pharmaceutiques (IPN) pour contenir la propagation
du nouveau coronavirus SRAS-CoV-2 sont encore trop rares pour parvenir
à des conclusions finales. De ce fait et étant donné le délai très
court disponible pour préparer ce rapport, celui-ci ne peut être
qu’une tentative préliminaire d’évaluer les réponses à la pandémie actuelle.
20. Après une première phase de déni et une tentative de répression,
la Chine a pris des mesures draconiennes dans la province du Hubei
en bouclant l’épicentre de l’épidémie, Wuhan (et d’autres villes
de la province) le 23 janvier 2020, alors que le pays signalait
500 cas et 17 morts. Mais le mal était déjà fait
: près de 7 millions de personnes
avaient quitté Wuhan avant que le confinement entre en vigueur et
ont propagé le virus à Pékin, Shanghai et d’autres grandes villes.
Les restrictions des déplacements internationaux ont été trop tardives
pour être efficaces, l’épidémie s’étant déjà propagée (car près
de 85 % des voyageurs infectés n’ont pas été détectés), notamment
à New York et à Seattle (États-Unis), Sydney (Australie), Bangkok (Thaïlande),
Tokyo (Japon), Singapour et Séoul (Corée du Sud). Entre-temps, il
semblerait que le virus se soit également propagé en Europe fin
2019
.
21. Ce n’est que le 16 février 2020 qu’une délégation de l’OMS
a été autorisée à entrer en Chine. Lors d’une conférence de presse
le 25 février 2020, le docteur Bruce Aylward, chef de cette délégation,
a salué les mesures drastiques prises par les autorités chinoises
. Il a affirmé que la Chine avait
fait gagner un temps précieux aux autres pays du monde pour se préparer
à leurs propres flambées épidémiques. Cependant, une étude menée
par des scientifiques de l’Université de Southampton a conclu qu’une
réponse précoce avec des interventions non pharmaceutiques combinées
aurait eu un impact significatif sur la propagation du virus
.
22. La question de savoir si le reste du monde a perdu un temps
précieux fait débat. Bien que l’OMS ait salué les méthodes chinoises,
plusieurs d’entre elles ont été jugées inacceptables ou impossibles
à mettre en œuvre en dehors d’un régime autoritaire
. Certaines ont semblé efficaces
pour endiguer l’épidémie, d’autres moins. Mais beaucoup de celles
considérées comme efficaces
auraient probablement
pu être adaptées plus rapidement au reste du monde. Les pays autres
que la Chine qui, selon l’Université Johns Hopkins, ont réussi pour
l’heure à endiguer l’épidémie sont Taïwan, la Corée du Sud, Singapour,
la Nouvelle-Zélande et l’Islande (d’autres pays ont réussi à maintenir
le taux de mortalité à un faible niveau, notamment, l’Allemagne,
qui a un taux de létalité observé de 4,5 % et Israël, qui affiche
un taux de 1,7 %
).
23. Les mesures décrites comme étant efficaces dans les médias
sont les suivantes
:
23.1. Action
rapide: Face à une pandémie, le chronométrage est crucial. Des réponses
ciblées avec la plus haute précision et opportunes offrent la possibilité
d’éviter les mesures de confinement plus sévères et plus drastiques
qui peuvent devenir nécessaires une fois que la propagation d’un
virus devient incontrôlable. Selon les médias, des mesures d’endiguement
drastiques peuvent permettre à d’autres régions d’un pays, non touchées
ou moins touchées, de contribuer à la lutte contre l’épidémie lorsque celle-ci
est encore relativement limitée (moins de 500 infections) et concentrée
dans certains foyers (comme Wuhan en Chine ou l’Alsace en France).
L’image de la construction de deux hôpitaux à Wuhan en quelques
semaines a fait le tour du monde, mais la mesure moins médiatisée
qui a consisté à envoyer 40 000 soignants à Wuhan depuis d’autres
provinces de Chine a probablement joué un rôle tout aussi important
dans la réussite de l’endiguement du virus à Wuhan. Pour que les
autres régions d’un pays restent relativement peu touchées, il faut
également y mettre en place rapidement des mesures d’endiguement
strictes. À l’opposé, l’expérience italienne montrerait qu’une réponse
échelonnée (confinement des villes les plus touchées dans un premier
temps, puis des régions, et ensuite seulement de l’ensemble du pays)
ne fonctionne pas
. Selon les médias,
des dizaines de milliers de vies auraient pu être épargnées au Royaume-Uni
et aux États-Unis si le confinement / les fermetures avaient été
mis en place ne serait-ce qu’une ou deux semaines plus tôt (de fait,
les restrictions auraient pu être levées beaucoup plus tôt et de
manière plus sûre dans ce cas aussi)
. Des exemples de pays comme l’Islande montrent
que des mesures précoces et ciblées combinées à des tests à grande
échelle peuvent être un moyen de contenir le virus sans retomber
sur des confinements/fermetures complets.
23.2. Communication de l’information et transparence de la prise
de décisions: Chacun sait que les gens modifient leur comportement
s’ils comprennent que c’est dans leur intérêt ou s’ils y sont contraints. Selon
un récent rapport du
Guardian sur
l’expérience de l’État indien du Kerala, l’adhésion sera toutefois plus
forte dans le premier cas
. Lorsque les décideurs sous-estiment
ou exagèrent les risques, font de la rétention d’informations, ne
paraissent pas s’appuyer sur des avis de scientifiques ou d’experts
ou prennent des décisions sans consultations, la confiance du public
s’étiole et avec elle, le respect des mesures d’endiguement. Des
mesures de contrôle plus strictes peuvent alors devenir nécessaires,
ce qui peut épuiser les ressources de la police, inspirer des théories
de complot et accroître l’opposition à l’autorité. Les données recueillies
çà et là montrent déjà que dans cette pandémie, les pays qui continuent
de fonctionner de manière transparente et démocratique constatent
une plus grande adhésion aux mesures de confinement volontaire,
moins d’achats compulsifs, dictés par la panique, etc.
23.3. Tests et recherche des personnes en contact, associés
à une mise en quarantaine ou un auto-isolement: Comme l’a fait remarquer
le directeur général de l’OMS, docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus,
le 16 mars 2020: «On ne peut lutter contre un incendie les yeux
bandés». Son message aux États a donc été: «testez, testez, testez!»
. Cette stratégie, bien que favorisant
une sélection subjective des cas symptomatiques, a été adoptée avec
succès en Corée du Sud, où le confinement a pu être évité un certain
temps grâce à une campagne massive de tests et un traçage actif
des personnes en contact (au moyen des données des téléphones et
des cartes bancaires). Les individus infectés sont placés en quarantaine
dans des centres d’accueil gouvernementaux et les personnes potentiellement exposées
sont placées en quarantaine chez elles (le non-respect du confinement
étant sanctionné par des amendes élevées). Les médias ont estimé
que la Corée du Sud avait trouvé le bon équilibre pour sa population
en mettant en place une quarantaine suffisamment souple pour éviter
que des personnes essaient de l’éviter ou de la fuir, mais plus
stricte (et facile à surveiller) que l’auto-isolement, et donc plus sûre
pour l’ensemble de la population. Le seul inconvénient de cette
situation (également observé en Chine) réside dans le fait qu’en
étant mises en quarantaine à la maison, les personnes potentiellement infectées
peuvent transmettre le virus aux autres occupants de leur logement,
créant ainsi de petits foyers de contagion. Cela dit, les foyers
connus (qui représentaient jusqu’à 80 % du total des infections en
Chine) sont plus faciles à contrôler que d’autres vecteurs de transmission.
Il est également urgent de pratiquer des tests de recherche d’anticorps
dans la population pour savoir qui a une immunité vis-à-vis du coronavirus,
indépendamment des résultats des tests RT-PCR.
23.4. Réduction des contacts humains par la distanciation physique/l’arrêt
des activités/le confinement: face à une pandémie causée par un
virus contagieux avant l’apparition des symptômes, dans laquelle
il y a des porteurs asymptomatiques et des porteurs symptomatiques
qui ne savent pas qu’ils sont infectés (confondant leurs symptômes
avec d’autres infections), mais aussi des personnes malades qui
estiment ne pas pouvoir se permettre de rester à la maison ou ne
pas avoir les moyens d’aller chez le médecin ou d’obtenir une aide
médicale, la fermeture précoce des lieux recevant du public (lieux
accueillant des événements sportifs et culturels, restaurants, bars
et cafés, salles de sport, centres commerciaux, etc.) est essentielle.
Tout travail qui peut être réalisé depuis chez soi doit l’être.
Les effets des mesures strictes qui isolent/confinent plus ou moins
tout le monde chez soi, comme cela était le cas depuis début avril
pour la moitié de la population mondiale, devraient permettre de
briser les chaînes de transmission dans les deux à trois semaines
suivant leur mise en place
. L’idée est de laisser aux pays le
temps de mieux préparer leur réponse d’urgence et, selon qu’elles
sont mises en place plus ou moins tôt, elles peuvent permettre d’«aplanir
la courbe» de l’épidémie, contribuant ainsi à éviter la saturation des
systèmes de soins entraînant une hausse de la mortalité (de fait,
la Nouvelle-Zélande a réussi non seulement à aplatir la courbe,
mais aussi à éradiquer pratiquement la maladie). Toutefois, en l’absence de
données sur les infections dans la population, on ignore si ces
mesures extrêmes et ayant de graves répercussions sur les systèmes
économiques et financiers des pays, ainsi que sur la société dans
son ensemble, sont justifiées et combien de temps elles devraient
être maintenues. Si elles sont levées trop tôt, ou si leur levée
ne s’accompagne pas d’autres mesures de santé publique comme la
réalisation de nombreux tests, le traçage des contacts et l’isolement,
on risque un «effet rebond» où la croissance exponentielle de l’épidémie,
interrompue par le confinement, reprend après sa levée et nécessite
peut-être un nouveau confinement si des épidémies locales ne sont
pas détectées et/ou ne peuvent être maîtrisées
. Les médias indiquent
qu’une durée de confinement de 8 à 12 semaines suffit dans les pays
où l’épidémie n’est pas trop avancée
, mais on ne dispose pas encore de
preuves scientifiques permettant de corroborer ces affirmations.
23.5. Préparation à une pandémie: Les résultats observés jusqu’à
présent en Europe sont très variables. Si les médias ont établi
une corrélation entre une réponse précoce et une augmentation beaucoup
plus faible (voire nulle) du taux de mortalité (toutes causes confondues)
pendant la pandémie, d’autres facteurs peuvent également avoir joué
un rôle, notamment le niveau de préparation à la pandémie (y compris
la disponibilité des équipements de protection individuelle et des
tests pour le personnel de santé), la santé financière des systèmes
de santé, la disponibilité des lits d’hôpitaux et de soins intensifs,
ainsi que la capacité à effectuer des tests de laboratoire et à
tracer les contacts.
24. D’autres mesures ne semblent pas donner les résultats escomptés:
24.1. Restriction des déplacements
internationaux: l’OMS a déconseillé d’emblée les mesures de restriction
des déplacements et des échanges commerciaux vers les pays touchés
par une épidémie de COVID-19. Elle a indiqué dans ses recommandations
actualisées le 29 février 2020: «de manière générale, les éléments
dont on dispose montrent que restreindre la circulation des personnes
et des biens lors d’urgences de santé publique est inefficace dans
la plupart des cas et risque d’accaparer des ressources qui auraient
pu être destinées à d’autres interventions. Les restrictions peuvent
également bloquer l’aide et le soutien technique nécessaires, perturber
les échanges commerciaux et avoir des répercussions négatives sur
le plan économique et social dans les pays concernés. […] Les mesures de
restriction des déplacements qui perturbent fortement le trafic
international ne peuvent se justifier qu’au début d’une épidémie,
car elles peuvent permettre aux pays de gagner du temps, même si
ce n’est que quelques jours, pour mettre en œuvre rapidement des
mesures concrètes d’intervention d’urgence. Ces restrictions doivent
reposer sur une évaluation rigoureuse des risques, être proportionnées
par rapport au risque pour la santé publique, être de courte durée
et être réexaminées régulièrement, à mesure que la situation évolue»
. Si le virus circule déjà au sein
de la population d’un pays, la fermeture des frontières n’a plus
aucune utilité, puisque l’ennemi est déjà sur le territoire
. L’expérience montre qu’en
Europe, la fermeture des frontières a été inefficace pour prévenir
l’importation de cas de COVID-19 ou pour ralentir la croissance
de l’épidémie, et a au contraire entravé le flux des marchandises
et affaibli la solidarité entre États européens
. La restriction
des déplacements en Europe a plutôt eu pour effet d’accentuer le
repli nationaliste, la xénophobie et la recherche de boucs émissaires.
25. Les mesures dont l’efficacité demeure incertaine sont les
suivantes:
25.1. Fermeture des écoles/structures
d’accueil pour les enfants: Presque tous les pays touchés par la
pandémie actuelle ont choisi de fermer partiellement ou totalement
leurs écoles pour contenir toute contamination
. La fermeture des écoles et des structures
d’accueil pour les enfants semble d’être une mesure efficace de
santé publique prise lors des épidémies, car les enfants sont généralement d’importants
vecteurs de transmission de la maladie, ou font partie des groupes
ayant un risque élevé de présenter une forme grave de la maladie
et d’en mourir. Dans le cas de la COVID-19, il semblerait que les
enfants – et en particulier les moins de 10 ans – tombent rarement
malades ou ne présentent que des symptômes bénins, voire aucun symptôme
lorsqu’ils sont infectés
(des éléments inquiétants attestent
de l’émergence d’un nouveau syndrome semblable à celui de Kawasaki
affectant certains enfants n’ont pas encore été liés fermement au
SARS-CoV-2 et nécessitent plus d’investigation). On ne saurait encore
dire si les enfants sont effectivement des vecteurs de la COVID-19.
En l’espèce, la fermeture des écoles présente des inconvénients:
elle impose à de nombreux travailleurs essentiels de faire un choix
entre rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants ou demander
aux grands-parents (qui sont un groupe à haut risque) de les garder,
si aucun autre mode de garde n’est assuré, par exemple, par l’État;
les enfants risquent d’être victimes de violence familiale
et de souffrir de la faim
, et les inégalités existantes en
matière d’accès aux possibilités d’apprentissage et à l’éducation
sont accrues. On ne dispose pas aujourd’hui de données suffisantes
pour savoir si la fermeture des écoles présente plus d’avantages
que d’inconvénients. Les réouvertures partielles ou complètes des
écoles dans certains pays sont trop récentes pour évaluer leur effet
sur la propagation du virus et devraient faire l’objet d’une enquête
plus approfondie.
25.2. Port du masque: Le seul type de masque qui offre une protection
relativement efficace contre l’infection est celui avec filtre à
air, de type FFP1 / FFP2 / N95. Il semblerait cependant que le port
de masques chirurgicaux ou en tissu protègent assez bien les autres
contre une contamination par les gouttelettes (notamment en cas
d’éternuement ou de toux). Les avertissements sont toutefois nombreux,
car la maladie se propageant aussi bien par aérosol que par gouttelettes
et les populations étant peu habituées à les manipuler correctement
(hormis dans de nombreux pays asiatiques), les règles relatives
au port de masques risquent de prendre une tournure politique
.
25.3. Isolement des groupes à haut risque: la Grande-Bretagne
a demandé aux catégories de personnes qui ont un risque élevé de
présenter une forme grave de la maladie ou de décéder de la COVID-19
de s’isoler pendant au moins trois mois; la plupart des pays ont
restreint les visites dans les maisons de retraite et les centres
d’hébergement et de soins de longue durée. On ignore encore l’efficacité
de ces mesures et la durée pendant laquelle elles peuvent raisonnablement
s’appliquer. Elles présentent aussi de sérieux désavantages puisqu’elles
peuvent aboutir à des discriminations, des pertes d’emplois, la
pauvreté, la solitude et d’autres effets insidieux. Les taux élevés
de létalité observés dans les maisons de retraite sous-entendent
que des améliorations apportées aux infrastructures, comme des unités
plus petites, davantage de personnel et un meilleur approvisionnement
en équipements, pourraient être plus efficaces qu’un isolement total.
25.4. Communication d’informations sur les personnes infectées
par le coronavirus ou les lieux dans lesquels elles se sont rendues:
il est humain de vouloir savoir si son voisin, son collègue de travail
ou le caissier du supermarché est touché par le coronavirus ou si
le chemin que l’on emprunte dans un restaurant ou un transport public
a croisé celui d’une personne infectée. La question de savoir s’il
s’agit d’un moyen efficace d’éviter l’infection ou de déterminer
si l’on est soi-même infecté est tout autre. Il est certain en revanche
que la stigmatisation, voire les attaques à l’encontre des personnes
dont la vie privée a ainsi été violée n’ont jamais été un remède
; c’est d’ailleurs la raison pour
laquelle le système électronique utilisé en Corée du Sud ne fait
qu’afficher les lieux où les personnes infectées se sont rendues
(bien que l’anonymisation des données n’ait pas toujours bien fonctionné,
rendant certaines personnes reconnaissables et révélant qu’elles
ont pu se trouver dans des lieux où elles n’étaient pas censées
aller). On ignore si de tels dispositifs sont efficaces dans le
cadre de mesures de santé publique. Les applications électroniques
de traçage posent de sérieux problèmes en matière de protection
des données, entre autres
.
25.5. «Passeports d’immunité»: Certains pays comme le mien,
l’Allemagne, prévoyaient de délivrer des «passeports d’immunité»
afin de permettre aux citoyens de retrouver leurs droits fondamentaux
qui ont été restreints, en raison de mesures de confinement luttant
contre la propagation du virus, en fonction de l’état immunitaire
des personnes. De telles mesures peuvent être valables pour les travailleurs
essentiels, comme les personnels soignants de première ligne, qui
sont immunisés et ne représentent donc aucun danger pour les autres,
de s’occuper des patients à haut risque. Pour le grand public, cette
idée est hautement problématique à plusieurs titres: tout d’abord,
rien ne prouve que la présence d’anticorps dans le sang protège
contre une nouvelle infection ni, si tel est le cas, à quel niveau et
pour combien de temps. Ensuite, recouvrer des droits via l’immunité
pourrait avoir un effet pervers, à savoir inciter à essayer d’attraper
la maladie pour s’immuniser.
4. Conséquences
concrètes et risques pour les droits humains
26. Il apparaît clairement au vu
des expériences des différents pays à ce jour que la seule manière
de répondre efficacement à la propagation du SARS-CoV-2 en évitant
les mesures de grande envergure ayant une incidence sur les droits
humains, comme les mesures de confinement/fermetures est d’agir
en temps opportun, avec précision et efficacité. Plus la réponse
à une épidémie est tardive, plus les mesures doivent être drastiques.
Mais il s’agit de savoir comment le faire de la manière la plus
respectueuse possible des droits humains, en gardant à l’esprit
que par définition, sans respect du droit à la vie, aucun autre
droit fondamental ne peut s’exercer. Il existe une hiérarchie des
droits humains dans les situations de pandémie qui menacent le droit
à la vie, comme celle que nous connaissons aujourd’hui, mais aucun
droit fondamental n’est absolu.
4.1. Droit
à la vie et égalité d’accès aux soins
27. Dans les situations de pandémie,
le droit à la vie doit être protégé à la fois sur le plan de la
santé publique et en médecine clinique. Nous venons d’examiner les
mesures de santé publique qui ont été prises pour protéger les populations
– et notamment les groupes vulnérables – contre l’infection, afin
de protéger le droit à la vie. Cela dit, une fois qu’une personne
est malade, et en particulier si elle est gravement atteinte, le
droit à la vie doit être protégé au niveau de l’individu par l’accès
à des soins de santé de qualité.
28. Tous les États membres ont ratifié la Convention européenne
des droits de l’homme (CEDH), la plupart ont également ratifié la
Charte sociale européenne (STE N°35 et STE N°163) et la Convention
du Conseil de l’Europe sur les Droits de l'Homme et la biomédecine
(Convention d’Oviedo, STE N°164). Ils sont donc tenus de protéger
le droit à la vie de toute personne. Aucune dérogation à ce droit
n’est possible, même en cas de guerre ou en cas d’autre danger public
menaçant la vie de la nation
.
Dans une situation d’urgence comme celle que nous vivons aujourd’hui,
les États se doivent donc de ne pratiquer aucune discrimination
entre les personnes relevant de leur juridiction en leur garantissant
à toutes l’accès aux soins vitaux, indépendamment de leur sexe,
de leur nationalité, de leur religion et de toute autre situation
ou de leur solvabilité.
29. Cela dit, une telle discrimination peut toujours se produire
et aura lieu, de toute évidence, dans la pratique. Quels principes
éthiques doivent guider la prise de décisions cliniques concernant
l’octroi ou le refus d’accès à des soins vitaux (par exemple, un
respirateur dans une unité de soins intensifs) lorsque les besoins sont
supérieurs aux disponibilités? Bien qu’il soit quasi universellement
reconnu qu’un traitement peut être refusé s’il est jugé inutile
sur le plan médical (autrement dit, lorsque l’on considère que le
patient mourra quoi que l’on fasse), quelles devraient être les
méthodes à suivre pour déterminer à qui donner accès aux soins parmi
les patients qui ont une certaine chance de survie? De la même manière,
s’il est communément admis que l’évaluation et la décision finales
doivent être prises par le personnel médical en première ligne,
qui doit établir les recommandations ou directives éthiques sur
lesquelles reposent ces décisions? Sont-ce les comités d’éthique
professionnelle, les ministres, les parlementaires?
30. Les réponses à ces questions ne sont pas si évidentes. Le
principe d’une prise en charge par ordre d’arrivée ou le tirage
au sort peuvent sembler être les choix les plus équitables, mais
ils pourraient également entraîner une mortalité plus élevée qu’en
privilégiant les patients qui ont le plus de chances de survie (de manière
générale, les plus jeunes et ceux qui sont en meilleure santé).
Traiter ces patients en priorité permet certes de maintenir la mortalité
à un niveau plus bas, mais ouvre également la voie à une discrimination
fondée sur l’âge et la capacité physique, voire sur la situation
financière et l’accès antérieur aux soins de santé (les personnes
pauvres et marginalisées, ainsi que les migrants et réfugiés, les
membres de minorités nationales, etc., étant souvent en moins bonne
santé dès le départ en raison des déterminants sociaux de la santé
comme les difficultés d’accès aux soins). La plupart des personnes
ne voient pas d’objection à donner un accès prioritaire aux soins
aux médecins, infirmières et autres personnels médicaux essentiels
infectés dans l’exercice de leurs fonctions (ils seraient 12 à 15 %
aujourd’hui selon les estimations) ou à autoriser les patients à
renoncer de leur plein gré à un traitement médical vital.
31. Dans la pratique, la plupart des États disposent déjà de recommandations
en la matière. Bien souvent, les principes fondamentaux sont fonctionnels:
la préférence est donnée à ceux qui peuvent sauver d’autres personnes
(personnel médical essentiel) et à ceux qui ont le plus de chances
de survie et le plus grand nombre d’années restant à vivre
. C’est le cas par exemple en Italie
et en Grande-Bretagne. En Lombardie (Italie), certains hôpitaux
ont décidé de ne plus admettre de patients gravement malades au-delà
de 65 ans (80 ans en France); en Angleterre, il aurait été prévu
à un certain moment de mettre des «packs de soins palliatifs» à la
disposition de ces patients, qui seraient laissés à leur sort au
cas où le
National Health Service viendrait
à être saturé
. On peut supposer que les décisions
cliniques modifieraient profondément notre société si les mesures
de santé publique ne parvenaient pas à protéger les groupes vulnérables
de la population (personnes âgées, fragiles, pauvres, marginalisées
et personnes présentant des comorbidités), qui seraient les plus exposés
à un risque de décès, avec un impact difficile à quantifier sur
le plan de la cohésion sociale. En fait, c’est exactement ce qui
est en train de se passer au Royaume-Uni et aux États-Unis, où les
membres des groupes minoritaires sont beaucoup plus susceptibles
de contracter le virus, d’être gravement malades ou de mourir
.
4.2. Protection
des groupes vulnérables: la situation des personnes âgées, en particulier
dans les maisons de retraite
32. Nous ne sommes pas tous égaux
face aux épidémies. Certaines catégories de la population sont plus vulnérables
que d’autres pour différentes raisons, comme l’âge ou l’état de
santé (à commencer par les facteurs de comorbidité). La COVID-19
ne fait pas exception à cette règle. Les chiffres montrent que 80%
des décès liés à la COVID-19 concernent les personnes âgées de plus
de 70 ans, ce qui fait d’elles un groupe particulièrement vulnérable.
34. Les conséquences les plus dévastatrices de la pandémie ont
donc eu lieu à huis clos, dans l’ignorance et l’indifférence. Les
EHPAD ont vécu des hécatombes. Le manque de moyens matériels et
humains bien connu et non résolu depuis des années ne s’est pas
arrangé pendant la crise sanitaire
. Si, le personnel de certaines institutions
a fait le choix de se confiner dans l’établissement avec les résidents
(en Roumanie, le gouvernement a décidé de rendre cette situation
obligatoire
), sauvant ainsi des vies et préservant
la dignité des résidents, certains soignants ont abandonné leurs
postes en l’absence de protections adéquates
.
35. Par ailleurs, l’engorgement sans précédent des unités de réanimation
des hôpitaux a obligé à un tri des patients. Les médecins ont été
contraints de faire des choix qu’ils ne devraient pas avoir à faire,
à savoir qui recevra les soins permettant de vivre et qui sera voué
à mourir. Ce tri des patients est inadmissible et évoque l’accès
aux soins en temps de guerre. Les médecins de Strasbourg ont avoué
réserver l’accès aux ventilateurs aux moins de 80 ans
. En Italie et en Espagne, les docteurs ont
également reconnu l’âge comme élément clé des choix médicaux. Enfin,
certains patients ont fait le choix de se sacrifier en offrant leur
ventilateur à d’autres patients. Un prêtre de 72 ans en Italie a
cédé son ventilateur à un patient plus jeune que lui
.
Le comité consultatif national d’éthique français (CCNE) est très
préoccupé par cet aspect et considère que «La nécessité d’un tri
des patients pose un questionnement éthique majeur de justice distributive»
.
36. Il faut également souligner que le confinement de la population,
indispensable à la limitation de la propagation du virus, s’est
traduit par un isolement pour de nombreuses personnes âgées qui
ont été abandonnées seules, chez elles
ou
dans les chambres des EHPAD, sans aucun contact avec l’extérieur pendant
plusieurs semaines (et, entre autres, sans possibilité de recevoir
des soins psychiatriques ou palliatifs pour ceux qui en avaient
besoin). A la une des journaux, on pouvait lire «les personnes âgées
risquent de mourir d’ennui et de solitude»
. Comme l’affirme le CCNE, le respect
de la dignité humaine inclut le droit au maintien d’un lien social
pour les personnes dépendantes
.
37. Comme l’indiquait la Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe dans sa dernière déclaration sur «Les leçons
à tirer des ravages causés par la pandémie de COVID-19 dans les
établissements de soins de longue durée»
, conformément aux obligations relevant
de l’article 2 de la CEDH, qui consacre le droit à la vie, les États
membres doivent élucider les circonstances de tous les décès survenus
dans ces institutions, sans exception. (…) Il incombe aussi aux
États membres de veiller à ce que les personnes qui vivent dans
un établissement de soins de longue durée continuent à avoir des
relations avec leurs proches, notamment si elles sont malades. Aujourd’hui,
la priorité absolue doit être d’éviter que de tels drames se reproduisent
au cours de la pandémie de COVID-19.
38. Étant donné que les personnes âgées sont particulièrement
vulnérables à la COVID-19, les conditions de vie et de travail dans
les EHPAD sont de la plus haute importance. Le secteur européen
des EHPAD est concentré entre les mains de quelques grands groupes
privés, souvent gérés par des fonds de pension ou d’investissement
. Cela peut
avoir un impact négatif significatif sur les conditions dans les
EHPAD, si le profit prime sur les besoins des résidents et les prestations
santé de la structure. Il en va de même pour les mesures d’austérité
qui laissent les EHPAD sous-financés. Le manque de personnel, la
surpopulation et les EHPAD énormes avec trop peu de distance entre
les résidents sont quelques-uns des effets négatifs de ce développement,
ce qui entraîne des vulnérabilités encore plus élevées lors de la
propagation de virus. Les États membres devraient s’attaquer de
toute urgence à ces problèmes afin de protéger les plus vulnérables.
4.3. Proportionnalité
des mesures de santé publique
39. La pandémie de COVID-19 a conduit
de nombreux États membres à prendre des mesures drastiques pour
protéger la santé publique. L’article 15 de la CEDH prévoit une
clause dérogatoire qui autorise les États membres, dans des circonstances
exceptionnelles et de manière limitée et supervisée, à déroger à
leurs obligations d’assurer certains droits et libertés
garantis par la Convention.
La Convention est adaptable à toute circonstance et continue à régler
l’action de l’État, même en cas de crise nationale. Alors que la
plupart des États membres ont déjà pris des mesures restreignant
un certain nombre de droits et libertés individuels inscrits dans
leurs constitutions et dans la Convention, et bon nombre d’entre
eux avaient notifié à la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe
leurs dérogations à la CEDH. Les États ont un devoir d’information
d’autant plus important que la portée de la dérogation sera grande.
La
Résolution 2209 (2018)
de l’Assemblée intitulée «État d’urgence: questions de proportionnalité
relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne
des droits de l’homme» doit être pleinement respectée en ces circonstances.
Les réponses à cette pandémie doivent être strictement proportionnées
aux menaces qu’elles visent à combattre et les États membres devraient
s’efforcer de limiter leurs dérogations à la Convention. La commission
des questions juridiques et des droits de l’homme procèdera à un
examen plus approfondi de la question dans un prochain rapport.
4.4. Coordination
européenne et internationale et gouvernance de la santé publique
40. On ne saurait nous reprocher
de penser que la coordination européenne et internationale a fait
défaut durant les premiers mois de la pandémie. La santé publique
étant une compétence généralement dévolue aux États au niveau national,
ou à l’échelon régional (voire sous-régional) dans les États fédéraux,
même l’Union européenne a eu des difficultés à coordonner une réponse
à cette urgence de santé publique, les États étant réticents à partager
leurs pouvoirs souverains en matière de gestion de crise et de santé
publique.
41. Cette situation a provoqué une cacophonie de mesures de santé
publique qui a sérieusement compromis l’efficacité de l’action et
s’est même parfois révélée totalement contre-productive
. Les frontières ont
refait leur apparition dans l’espace Schengen (contre l’avis de
l’OMS), compliquant la vie de millions de transfrontaliers et bloquant
des marchandises. Certains pays sont allés jusqu’à fermer leurs
frontières à tous les étrangers, tandis que d’autres dépensent des
millions pour rapatrier leurs ressortissants bloqués dans d’autres
pays. Six États membres ont mis en place des interdictions d’exportation
de matériel médical
. On note quelques initiatives positives,
malheureusement rares: dans des pays comme l’Allemagne, la Suisse
et (au départ) la France, des hôpitaux ont pris en charge des patients
gravement atteints de la COVID-19 venant d’Alsace (France) et de
Lombardie (Italie). Les dirigeants de l’Union européenne mettent
en place un nouveau centre européen permanent de gestion de crise
et ont débloqué 50 millions d’euros pour l’achat d’équipements médicaux
destinés aux hôpitaux qui en ont le plus besoin. À la mi-mai 2020,
bien que son mandat soit limité dans le domaine de la santé publique,
l’Union européenne avait adopté plus de 200 initiatives pour lutter
contre la crise de COVID-19
et apporté un soutien
rapide aux systèmes de santé, aux populations et aux économies de
ses États membres
.
La Chine, Cuba, la Fédération de Russie, la Roumanie, la Turquie
et l’Albanie ont envoyé des médecins, des infirmières et des équipements
médicaux dans les pays durement touchés.
42. Du côté positif, il semble que l’Union européenne ait retenu
la leçon, même si elle l’a apprise à ses dépens. Comme l’a déclaré
Mme Stella Kyriakides, commissaire européenne
à la santé et la sécurité alimentaire (ancienne présidente de l’Assemblée),
lors de l’audition de la commission du 19 mai 2020: «la conclusion
majeure ici, c’est que nous ne pouvons faire face à ces menaces
qu’ensemble. La fragmentation des efforts nous rend tous vulnérables.
Le repli ne peut que diminuer nos chances de venir à bout de cette menace
invisible. Nous ne pourrons vaincre le virus que si nous coopérons
et faisons preuve de solidarité par-delà les frontières». Je ne
peux qu’être d’accord. Début mai, la Commission européenne a coorganisé
la conférence des donateurs pour une «Réponse mondiale au coronavirus»,
qui a réuni des partenaires du monde entier afin de mobiliser des
fonds pour stimuler les travaux sur les diagnostics, les traitements
et les vaccins contre le nouveau coronavirus. À la mi-mai 2020,
7,4 milliards d’euros avaient été levés, ce montant comprenant la
promesse de la Commission d’une contribution de 1,4 milliard d’euros.
La Commission travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau
programme européen spécifique en matière de santé, doté d’un budget
sans précédent pour renforcer la résilience de l’Europe
.
43. Bien entendu, la solidarité et la coopération transfrontalières
ne doivent pas se limiter à l’Europe. Malheureusement, l’OMS a également
mis du temps à réagir au début, son système de gouvernance de la santé
publique ayant été affaibli par des années de réduction des coûts
et des effectifs. 20 % seulement de son budget sont couverts par
les contributions ordinaires des États membres, l’équilibre étant
rétabli à l’aide de contributions volontaires
. A eux seuls, 20 contributeurs représentent
80 % de celles-ci, et cela fait ressortir de sérieuses questions
sur sa capacité d’agir en toute indépendance.
44. Ce n’est que le 25 mars 2020 que l’Onu a lancé un appel en
faveur d’un nouveau plan mondial de réponse humanitaire à hauteur
de 2 milliards de dollars, assorti de la mise en place par l’OMS
d’un plan d’action en six points pour préparer la réponse à la pandémie
dans les régions les plus pauvres déjà fragilisées par une crise,
et notamment les communautés «déracinées du fait des conflits, des
déplacements de population, de la crise climatique ou d’autres flambées
épidémiques»
. Il se pourrait malheureusement
que ces mesures soient intervenues beaucoup trop tard pour éviter
une catastrophe humanitaire, le virus ayant commencé à circuler
dans les camps de réfugiés fermés et les bidonvilles du monde entier.
45. Les actions (ou le manque perçu d’action) de l’OMS ont été
critiquées de façon particulièrement vive par le président des États-Unis,
Donald Trump, qui a également menacé de suspendre la contribution
américaine à l’organisation, voire de la quitter. Le président de
l’Assemblée et le président de notre commission ont ouvertement
dénoncé la position de Donald Trump et appelé à soutenir l’OMS
. Lors de la 73e Assemblée mondiale
de la santé qui s’est tenue le 19 mai 2020 – la première à avoir
lieu de manière virtuelle – les délégués ont adopté une résolution
historique visant à rassembler le monde pour lutter contre la pandémie
de COVID-19, en trouvant le consensus nécessaire pour soutenir l’organisation.
À l’issue de cette pandémie, l’OMS et sa structure de gouvernance
de la santé publique devront impérativement être renforcées (et dépolitisées)
pour pouvoir jouer pleinement leur rôle. Comme l’a déclaré la présidente
de notre sous-commission sur la santé publique et le développement
durable, Mme Jennifer De Temmerman (France,
ADLE): «Un plus grand pouvoir devrait aussi impliquer une responsabilité
et des obligations plus grandes. Le contrôle parlementaire fait
cruellement défaut à l’OMS. Toute réforme de l’OMS devrait aussi
prévoir un élément permettant un tel contrôle, qui est essentiel
pour encourager la confiance et la solidarité»
.
4.5. Préservation
du système économique et financier
46. Lorsque la COVID-19 a commencé
à se répandre en Chine en janvier 2020, peu de gens en dehors des spécialistes
pouvaient prévoir la «contagion» globale qui s’ensuivrait, que ce
soit sur le plan médical ou du point de vue des répercussions économiques
et financières. Cela dit, la Chine étant un maillon essentiel dans les
chaînes de valeur mondiales, tous les ingrédients d’une catastrophe
étaient réunis.
47. La lutte contre la COVID-19, et en particulier les mesures
de confinement demandant à la population de rester autant que possible
chez elle, a porté un coup d’arrêt brutal à l’activité économique
globale (notamment dans le secteur du voyage, des loisirs et autres
services, des capacités de production en raison de la fermeture d’usines,
et de la circulation de marchandises, matières premières et fournitures,
de travailleurs et d’usagers au niveau national et transfrontalier).
L’OCDE envisage un fort ralentissement de la croissance mondiale
en 2020 avec un PNB mondial en baisse de 2 % pour chaque mois de
confinement strict.
48. Le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué que la COVID-19
pouvait entraîner une récession plus dure que la précédente crise
financière, même si la reprise pourrait être relativement forte
en 2021. Cela dit, dans l’immédiat, notre préoccupation doit être
de soutenir nos économies nationales en temps réel. Il est donc rassurant
de constater que les grandes institutions internationales et les
pays pris individuellement mobilisent d’extraordinaires ressources
économiques et monétaires, tant pour faire face à l’épidémie que
pour maintenir à flot les systèmes économiques.
49. Le FMI s’est engagé à apporter un financement d’urgence (à
hauteur de 1 000 milliards de dollars) à plus de 90 pays qui ont
déjà sollicité son aide (les économies des marchés émergents semblent
être les plus durement touchées par la crise de COVID-19)
. En Europe, les ministres des Finances
des 27 pays de l’Union européenne ont décidé de suspendre les limites
d’emprunt des États, activant la clause dérogatoire générale
du cadre
budgétaire de l’Union européenne en raison d’une «grave récession
économique dans la zone euro ou dans l’ensemble de l’Union»
. Cette décision sans précédent
offre aux États membres une flexibilité leur permettant de «prendre
toutes les mesures nécessaires pour soutenir [leurs] systèmes de
santé et de protection civile et pour protéger [leurs] économies,
notamment par de nouvelles mesures discrétionnaires de relance et
une action coordonnée, conçues autant qu’il conviendra pour être
mises en place en temps opportun, à titre temporaire et de manière
ciblée». La Banque centrale européenne (BCE) s’est quant à elle engagée
à prendre des mesures «appropriées et ciblées» pour permettre aux
banques de prêter plus facilement aux entreprises et aux ménages,
et a lancé un programme d’assouplissement quantitatif (outil de création
de monnaie) de 750 milliards d’euros pour le marché de la zone euro.
Cette initiative fait suite aux mesures ambitieuses prises par la
Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre
.
50. Certains États membres du Conseil de l’Europe se retrouveront
néanmoins en grande difficulté. L’Italie se trouvait dans une situation
budgétaire délicate avant même la crise de COVID-19, affichant les
chiffres de croissance les plus faibles de la zone euro et une dette
souveraine très élevée (134,8 % du PIB au troisième trimestre 2019
contre 84,1 % du PIB pour la zone euro
);
c’est aujourd’hui le pays européen le plus durement touché par le
nouveau coronavirus. Les mesures ciblées de la BCE devront donc
soutenir en priorité l’Italie. Cela dit, d’autres pays de la zone
euro comme la Grèce, l’Espagne et la France pourraient avoir besoin
d’une aide similaire de la BCE. À ce jour, la principale priorité
en matière de dépenses consiste pour de nombreux gouvernements à
agir pour sauver des vies et rassurer les entreprises et la population,
notamment par des allègements fiscaux temporaires, une compensation
partielle de la perte de revenus pour ceux qui sont en chômage technique
et un soutien aux petites et moyennes entreprises pour éviter les
faillites et préserver des emplois. Cependant, comme l’explique
l’analyse du Centre de recherche sur les politiques économiques (CEPR),
«il faudra veiller à ce que ces solutions temporaires ne créent
pas des problèmes durables»
.
51. Il est rassurant de constater qu’à la fin mars 2020, 27 pays
européens (membres de l’Union européenne) avaient déployé des programmes
nationaux d’urgence pour soutenir leurs économies. Allant de 300 millions
d’euros au Luxembourg à 1 100 milliards d’euros en Allemagne et
des engagements illimités en Hongrie et en République slovaque,
ils prévoient divers types de soutien (aides ciblées, versements
et dédommagements directs, allègements et incitations fiscaux; facilitation
de liquidités; prêts et garanties de l’État pour les crédits, investissement
public dans le marché local des obligations d’entreprises; report
du paiement des loyers ou de certaines factures de services essentiels;
dérogations en matière de durée du travail) aux services de santé
et aux services sociaux, aux travailleurs et aux ménages, aux groupes
de population vulnérables, ainsi qu’aux pouvoirs locaux et aux entreprises
(et notamment aux petites entreprises)
. Lorsque les besoins
seront plus précis au fil des jours à venir, ces mesures nécessiteront d’être
renforcées et ajustées.
52. De plus, dès le début du mois d’avril 2020, tous les autres
États membres du Conseil de l’Europe ont annoncé des mesures de
soutien économique aux populations vulnérables (notamment par des
allocations de soutien au revenu, des garanties sur les ressources
minimales de subsistance, des dispositifs d’allègements fiscaux,
des reports de loyers, des primes aux personnels de santé et aux
travailleurs sociaux, l’interdiction des licenciements) et aux entreprises
affectées par la crise (lignes de crédit et garanties, interruption
des mesures de mise en faillite, moratoire sur le remboursement
des dettes, aides aux secteurs du tourisme et des transports) ainsi
que des mesures macroéconomiques (comme l’abaissement des taux d’intérêt
de référence et l’approvisionnement de liquidités par les banques
centrales et les programmes d’investissement public). Certains pays,
comme la République de Moldova, ont reçu un co-financement de la
part du FMI pour leurs programmes d’urgence
. La Banque de développement
du Conseil de l’Europe (CEB) a émis en avril des obligations d’inclusion
sociale face à la pandémie de COVID-19, mobilisant ainsi 1 milliard
d’euros. Elle a déjà approuvé des prêts de 300 millions d’euros
chacun pour l’Italie et la République tchèque ainsi qu’un prêt de 200
millions d’euros à la municipalité de Madrid (Espagne) pour lutter
contre la pandémie de COVID-19.
En mai, la CEB a approuvé, par procédure
accélérée, huit nouveaux prêts totalisant près de 1,3 milliard d’euros à
ses pays membres (Croatie, Estonie, Grèce, Kosovo*
,
Lettonie, République de Moldova, Serbie et Turquie) pour lutter
contre la pandémie de COVID-19
. Les prêts sont accordés dans le
cadre de la Facilité de financement du secteur public de la CEB,
qui offre une utilisation flexible et opportune des fonds de la
CEB.
53. Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement a mobilisé
près de 40 milliards d’euros de financements potentiels pour les
entreprises européennes touchées par la crise, principalement sous
la forme de prêts-relais ou de suspensions de remboursements de
crédits. Cela dit, les dirigeants de l’Union européenne ont lutté
pour atteindre un accord sur l’utilisation d’un mécanisme d’action
collective, qui pourrait être une ligne de crédit du fonds de la
zone euro (19 pays membres) du Mécanisme européen de stabilité (MES),
à hauteur de 2 % de leur PIB ou un autre mécanisme pouvant prendre
la forme de «
corona-bonds» européens.
Cette situation est révélatrice de la division persistante entre
«les pays du sud en difficulté et l’orthodoxie budgétaire des pays
du nord»
. Jacques
Delors, ancien président de la Commission européenne (1985-1995),
a qualifié ces divisions de «danger mortel» pour l’Europe
, tandis que la Secrétaire d’État
française aux Affaires Européennes, Amélie de Montchalin, avertissait
que l’Union européenne était face à une crise existentielle alors
que «sa crédibilité et son utilité» reposaient sur la possibilité
d’une réponse collective à la crise du coronavirus
. Même si la décision de plafonner
le MES a été tranchée le 9 avril, les conditions de sa mise en œuvre
demeurent problématiques du point de vue des pays potentiellement utilisateurs.
54. Ainsi, la Commission européenne a proposé d’utiliser le budget
de l’Union européenne pour «protéger les conditions de vie et les
moyens de subsistance.» Elle a lancé la création d’un instrument
financier temporaire appelé SURE doté de 100 milliards d’euros pour
soutenir les travailleurs et les entreprises. Tous les fonds structurels
disponibles vont être réorientés pour répondre au nouveau coronavirus,
alors que les fermiers et pêcheurs recevront un soutien spécifique
. Dans un élan similaire, le Congrès
américain a approuvé un plan d’urgence de 2 000 milliards de dollars
pour l’économie nationale. Il s’agit du plus vaste programme de
relance économique de l’histoire des États-Unis. Ce fonds de sauvetage
vise à soutenir les ménages pour compenser les pertes de revenus
dues au chômage temporaire (300 milliards de dollars), les hôpitaux
(100 milliards de dollars), la mise au point de vaccins et de médicaments
(11 milliards de dollars), les prêts aux secteurs en difficulté,
y compris les compagnies aériennes (500 milliards de dollars), les
écoles (30 milliards de dollars), les coupons alimentaires et l’alimentation
des enfants (25 milliards de dollars) ainsi que les agriculteurs
(24 milliards de dollars)
.
55. À leur tour, les dirigeants du G20 ont appelé à «mettre en
œuvre tout ce qui est nécessaire pour surmonter la pandémie», «tant
au plan individuel que collectif», et réaffirment leur engagement
«à faire tout ce qui nécessaire et à utiliser tous les instruments
disponibles pour réduire au maximum les dommages économiques et
sociaux causés par la pandémie, rétablir la croissance mondiale,
préserver la stabilité des marchés et renforcer la résilience».
Ils ont annoncé leur intention d’injecter «plus de 5 000 milliards
de dollars dans l’économie mondiale». Ils ont demandé aux ministres
des finances et les gouverneurs de banques centrales du G20 d’élaborer
ensemble un «plan d’action et de travailler en étroite concertation
avec les organisations internationales concernées pour fournir rapidement
l’aide financière internationale adéquate», et aux ministres du
commerce de travailler sur des moyens de faire face aux perturbations
des échanges internationaux et de mettre en place «un environnement
commercial et d’investissement stable, prévisible, transparent,
non discriminatoire, libre et équitable»
.
4.6. Garantir les droits sociaux et la
cohésion sociale
56. Les droits sociaux garantis
par la Charte sociale européenne, qui lie la quasi-totalité des
États membres, sont également des droits humains. Les mesures de
santé publique prises lors de l’épidémie, ou leurs conséquences,
ont eu un impact sur bon nombre de ces droits: le droit au travail,
en particulier pour les travailleurs jugés «non essentiels» qui
ne peuvent télétravailler (par exemple dans le secteur du divertissement ou
de l’hôtellerie) ou les travailleurs mis en chômage technique en
cas de confinement ou d’arrêt d’activité; le droit à des conditions
de travail équitables, sûres et saines, notamment pour le personnel
médical et les autres travailleurs essentiels «en première ligne»
(notamment dans les supermarchés, les funérariums ou le secteur du
nettoyage) qui travaillent de longues heures, souvent sans protection
adéquate contre l’infection; le droit des enfants et des jeunes
à une protection sociale, juridique et économique, étant touchés
par les fermetures d’écoles, d’universités et de services de garde
d’enfants, avec les incidences que cela peut avoir sur leur protection
contre la violence domestique dans les situations de confinement;
le droit des personnes âgées à une protection sociale lorsqu’il
leur est demandé de s’isoler pendant des mois ou lorsqu’elles sont
privées de visites pour protéger leur santé; le droit des travailleurs
ayant des responsabilités familiales à l’égalité des chances et
à l’égalité de traitement lorsque les écoles et services de garde
d’enfants ferment; le droit à une protection contre la pauvreté
et l’exclusion sociale, notamment en matière de logement dans les
situations de confinement
.
57. Les États membres qui ont dû adopter, pendant la pandémie,
des mesures de santé publique qui ont une incidence sur ces droits
ont cherché à en limiter leur application dans le temps et à en
atténuer les effets, par exemple en apportant un soutien financier
aux entreprises, aux travailleurs et aux groupes vulnérables
ou en organisant l’enseignement
en ligne. Cela dit, il est vite apparu que la pandémie aggravait
les inégalités existantes: bien souvent, les travailleurs indépendants
et les travailleurs de l’économie des plateformes ne peuvent avoir
accès aussi facilement à un soutien financier que les travailleurs
permanents; les personnes pauvres et moins bien instruites ont plus
de difficultés à faire «l’école à la maison» avec leurs enfants
(et n’ont pas toujours accès aux ressources techniques nécessaires);
le confinement est d’autant plus difficile à supporter que l’on
vit dans un logement insalubre ou exigu ou avec un parent ou un
partenaire violent. Les femmes, sur lesquelles repose dans une très
large mesure la charge des soins au sein des familles et dans le monde
médical, sont particulièrement exposées au risque de discrimination,
de violence et d’épuisement. Les personnes pauvres et marginalisées
(ce qui inclut les SDF, les réfugiés, les migrants, les demandeurs
d’asile et les minorités comme les Roms) sont celles qui risquent
de souffrir le plus.
58. À cet égard, il est particulièrement important que le personnel
de première ligne soit correctement protégé contre tout préjudice
– et soit justement récompensé (par des salaires plus élevés, des
contrats de travail plus sûrs, etc.) La pandémie a douloureusement
révélé le manque de préparation des États face aux urgences de santé
publique: les personnels de santé du monde entier ont dû faire face
au manque d’équipements de protection individuelle (EPI), ce qui
les a exposés, ainsi que leurs patients, à des risques d’infection,
de maladie et de mort. D’autres travailleurs essentiels – caissiers
de supermarché, livreurs, employés des morgues et des pompes funèbres
– ont également été appelés à travailler de longues heures dans
des conditions dangereuses. Très vite, il est apparu que les travailleurs
essentiels étaient essentiellement des travailleuses, dont beaucoup
étaient sous-payées et surchargées de travail avant même que la
pandémie ne frappe. Il est grand temps de s’attaquer aux inégalités
de salaire dont souffrent les professions «soignantes» et dans les
emplois traditionnellement occupés par des femmes, comme ne manquera
pas de le faire, j’en suis certain, le prochain rapport de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination.
59. Par ailleurs, la pandémie fera peser une charge supplémentaire
sur une cohésion sociale déjà mise à rude épreuve si nous décidons
de nous isoler chez nous et de nous occuper que de nous-mêmes. Mais
il n’y a pas de fatalité: la pandémie nous montre à quel point nous
dépendons des autres et a fait naître de nouvelles formes d’action
sociale: les membres de clubs de football ou d’églises locales organisent
spontanément des livraisons de nourriture pour les personnes à haut
risque qui s’isolent; des milliers de personnes se portent volontaires
pour apporter leur aide dans différentes missions, par exemple pour
assurer des permanences téléphoniques; les voisins veillent les
uns sur les autres, et dans des pays entiers, les populations applaudissent
chaque soir les efforts du personnel de santé.
5. Le meilleur
des mondes?
60. La situation dans laquelle
nous nous trouvons est inédite; cela fait un siècle que nous n’avons
plus été confrontés à une pandémie de l’ampleur de celle de la grippe
espagnole. Depuis, nos sociétés ont connu une évolution considérable
qui ne se limite pas au progrès médical et technologique. Toutefois,
dans l’ensemble, nous composons avec les événements, ce qui nous
empêche de réagir rapidement et d’apprendre de l’expérience des
autres. Des clivages politiques et géopolitiques affaiblissent notre
volonté et donc notre capacité de coopération et de solidarité à
l’échelle européenne et internationale. Cela dit, il n’est pas trop
tard pour renverser la vapeur: nous pouvons surmonter cette épidémie
ensemble et faire naître un monde nouveau et meilleur, reposant
sur les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. C’est ainsi
que nous pourrons atteindre les Objectifs de développement durable
à l’horizon 2030 des Nations Unies et faire face au prochain grand
défi urgent qui nous attend après la pandémie, celui du changement
climatique.
5.1. Surmonter la pandémie
61. Cela dit, il nous faut d’abord
surmonter les difficultés que pose la pandémie. Pour éviter un bilan catastrophique
sur le plan des pertes de vies humaines et de la charge de morbidité,
nous devons agir rapidement pour endiguer les flambées épidémiques
en mettant en œuvre, dans le respect des droits humains et du principe
de la proportionnalité, les mesures efficaces et éprouvées évoquées
plus haut (partie 3)
.
62. Pour beaucoup de nos États membres, cela se traduit par les
mesures suivantes: action rapide et soutenue pour réduire les contacts
humains par la distanciation physique autant que possible et sur
une base volontaire et si nécessaire le confinement/les fermetures
respectueux des droits pendant la durée nécessaire à la réduction
de la propagation active du SARS-COV-2 au sein de la population
jusqu’à un niveau contrôlable grâce à l’utilisation rigoureuse de
tests, le traçage des contacts en conformité avec la protection
des données, le placement en quarantaine et l’auto-isolement respectant
le principe de proportionnalité et prenant en compte l’impact de
telles mesures sur les droits fondamentaux y compris les droits
sociaux et économiques, sur la santé physique et mentale, et mettant
en œuvre des mesures compensant ces effets négatifs; fourniture d’équipements
de protection au personnel soignant et aux autres travailleurs essentiels;
renforcement et optimisation des capacités du système de santé en
mobilisant les professionnels de santé non actifs et en augmentant
d’une part les approvisionnements en équipements nécessaires pour
diagnostiquer et traiter les patients de manière efficace et en
toute sécurité – notamment les tests diagnostiques, l’oxygène et
les respirateurs – et d’autre part le nombre de lits de soins intensifs
disponibles dans les hôpitaux; de veiller à ce que toutes les mesures
de santé publique respectent les droits humains, intègrent la dimension
de genre, impliquent de façon importante les femmes dans la prise
de décision et protègent les groupes vulnérables de la population
(en particulier les personnes handicapées, les enfants et les personnes
âgées); mise en place des conditions pour isoler et traiter les
cas symptomatiques qui ne nécessitent pas d’hospitalisation immédiate, sur
la base du volontariat, afin d’éviter la contagion au sein d’un
foyer/d’une famille et de fournir la supervision médicale nécessaire
pour permettre une hospitalisation rapide au cas où la santé du
patient se détériorerait. Cela passe par l’ouverture des frontières
et la levée des restrictions de déplacement pour ne pas entraver l’action
d’urgence transfrontalière, au moins au sein de l’Union européenne,
afin que les mesures de santé publique puissent être planifiées
au niveau national, mais mises en œuvre par zone géographique plutôt
qu’à l’échelon des territoires (des États membres), en fonction
des besoins là où les flambées épidémiques se produisent.
63. Pour tous nos États membres, cela implique: rendre disponible
des informations fiables sur les changements dynamiques comparatifs
dans le nombre de décès dus à différentes pathologies au cours des trois
dernières années, et le nombre de personnes infectées par la COVID-19
parmi eux; de communiquer les informations de manière claire, complète
et en temps utile et d’assurer une prise de décisions transparente
et fondée sur des avis scientifiques éprouvés (y compris par la
publication des avis d’experts). De mener des campagnes actives
et massives de tests au sein de la population (ne se limitant pas
aux personnes admises à l’hôpital, au personnel de santé ou aux
autres travailleurs essentiels. La recherche d’anticorps devrait également
être déployée à grande échelle dès que possible, en particulier
auprès d’échantillons représentatifs de la population pour identifier
les personnes déjà immunisées). La promotion active d’une recherche responsable,
le développement et production de médicaments, kits de diagnostic,
vaccins, et d’équipements de protection personnelle dans un esprit
de solidarité, de sorte que les produits ainsi développés soient
en nombre suffisant et à la portée de tous, en particulier des groupes
vulnérables. La solidarité, la coordination et la coopération européennes
et internationales doivent être priorisées et systématisées. Les
équipements de protection ne devraient pas être stockés par les
États nations «pour parer à toute éventualité», mais plutôt distribués
là où les besoins sont les plus importants en Europe. Établir et
tenir à jour un répertoire transfrontalier en libre accès des lits
disponibles des unités de soins intensifs (USI), ainsi que des lits
ventilés, dotés en personnel dans les USI, et les mettre à la disposition
des États membres dans le besoin. Les personnels de santé immunisés
pourraient apporter leur aide dans d’autres pays lorsque les besoins
dans leur propre pays diminuent. Il faut éviter tout abus de pouvoir
de la part de l’exécutif, toute mesure disproportionnée et inutilement
répressive limitant les droits humains et toute discrimination dans
la mise en œuvre des mesures de santé publique. Les Parlements doivent
continuer à pouvoir remplir leur mission de contrôle des actions
du gouvernement.
64. De plus, afin de lutter contre la pandémie actuelle, les États
membres devraient intensifier leurs efforts afin d’évaluer l’état
de leurs systèmes sanitaires, les systèmes de préparation aux pandémies
et de surveillance des infections afin de les améliorer le cas échéant
ainsi que l’effectivité des mesures prises pour lutter contre la
pandémie actuelle, y compris les dommages collatéraux (en particulier
à l’encontre des droits humains, y compris les droits sociaux et
économiques) afin de tirer les enseignements en prévision des futures urgences
de santé publique. Ils devraient veiller, dans leurs plans de relance
et de sauvegarde économiques, à ne pas créer les conditions de futures
dégradations des écosystèmes susceptibles de générer d'autres épidémies
de nature zoonotique et pour cela conditionner les aides mises en
place au respect de critères environnementaux et sociaux ambitieux,
en phase avec les objectifs de développement durable des Nations Unies.
5.2. Limiter les dommages pour le système
économique et financier: priorité aux populations et à la planète
65. Nos pays sont interconnectés
et interdépendants, pour le meilleur et pour le pire. Cette pandémie
a créé des ondes de choc qui ont non seulement exposé et amplifié
les faiblesses de nos systèmes de santé, mais également secoué nos
économies. Comme l’a noté le Secrétaire général de l’OCDE, «le comportement
des marchés financiers traduit l’extraordinaire incertitude créée
par la situation», pourtant «il est trop tôt pour évaluer l’impact
qu’aura la COVID-19» sur nos pays
.
Il nous faut maintenir nos économies à flot, notamment pour vaincre
la pandémie, tout en portant un regard critique sur les moyens d’améliorer
leur fonctionnement pour le bien-être durable de tous. Nous avons
besoin d’un système économique et financier plus durable qui soutiendrait
l’économie réelle et non la spéculation financière au profit de
quelques-uns. Avec leurs plans de sauvetage sans précédent, les
gouvernements tiennent plus fermement que jamais les rênes de la
régulation et devraient en utiliser les contraintes pour exiger
des entreprises qu’elles investissent davantage dans les personnes
et dans un développement plus «vert».
66. La pandémie de COVID-19 est une mise à l’épreuve de nos capacités
collectives et de notre solidarité, au niveau local, national, régional
et international. Pour tirer les leçons de la crise, nos gouvernements devraient
revoir en profondeur les piliers stratégiques de l’économie et du
bien-être nationaux en gardant à l’esprit les enjeux de viabilité
et de sécurité à long terme. Certains biens essentiels (comme les
médicaments, l’alimentation et l’énergie) devraient être entièrement
produits «à proximité» pour profiter aux économies locales, en s’appuyant
au besoin sur la solidarité européenne. Dans l’immédiat, nous devons
protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables,
en plaçant les droits fondamentaux au premier plan.
5.3. La défense des droits sociaux, aujourd’hui
et demain
67. Il est de notre devoir de protéger
autant que possible les droits sociaux durant la pandémie et, une
fois celle-ci terminée, de renforcer et d’accroître nos efforts
en matière de lutte contre la pauvreté (en particulier la pauvreté
des enfants et l’extrême pauvreté). Pour l’heure, nous devons nous
assurer que le droit de chacun à un accès équitable aux soins de
santé est respecté, particulièrement dans les situations d’urgence:
ni nos ressources financières ni nos «relations» ne doivent déterminer
si nous aurons accès aux soins dont nous avons besoin. À terme,
nous devons également nous pencher sur les déterminants sociaux
de la santé comme les mauvaises conditions de logement et le manque
d’accès aux services, ainsi que sur les inégalités qui nuisent à
l’exercice des droits sociaux et à la cohésion sociale indispensables
à notre survie. Les États membres devraient intensifier leurs efforts
pour faire des progrès en ce qui concerne la Charte sociale européenne
et la Convention d’Oviedo qui facilitent la sauvegarde des droits
sociaux, économiques et autres qui sont les plus vulnérables lors
des crises de pandémie.
5.4. Quel monde après la pandémie?
68. Il est clair que notre monde
changera, peut-être du tout au tout, dans les années à venir. C’est
à nous de décider s’il le fera pour le meilleur ou pour le pire.
Le premier enseignement à tirer de la pandémie est que nous ne pouvons
plus, comme par le passé, rester dans un état d’impréparation à
une catastrophe mondiale, d’autant plus que la prochaine catastrophe
mondiale – l’urgence du changement climatique causée par les humains – se
profile déjà. Nous avons déjà laissé passer plusieurs points de
bascule dans la prévention de la catastrophe liée à cette pandémie;
nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas voir ceux du changement climatique.
69. Il est important que nous tirions les leçons de cette pandémie
à tous les niveaux. La première, comme l’a souligné le professeur
Katz lors de notre audition du 19 mai 2020, est que «la préparation
en matière de santé publique et la sécurité sanitaire mondiale doivent
s’inscrire dans une approche «Une seule santé» (One Health), en englobant les interactions
entre les animaux, les êtres humains et l’environnement qui contribuent aux
maladies et nous protègent contre elles. Nous devons intensifier
nos efforts pour trouver la prochaine zoonose avant qu’elle ne se
transmette aux humains, pour renforcer davantage la coordination
des systèmes de dépistage et d’intervention en cas de maladie chez
les animaux et les humains, et pour protéger les écosystèmes sur
lesquels reposent la santé humaine, la santé animale et la santé
environnementale. Il y aurait notamment lieu d’identifier et de
combattre le changement climatique en tant que moteur des nouvelles menaces
sanitaires» et, j’ajouterais, d’améliorer les politiques réglementant
l’agriculture animale et traitant de la lutte contre la destruction
humaine des habitats vierges. La sécurité sanitaire mondiale et
les mesures de préparation aux pandémies doivent également être
fondées sur des données, basées sur des preuves et comprendre des
dispositions relatives aux droits humains. Nous devons mieux utiliser
les différentes sources de données, créer une infrastructure unifiée
et des modèles pour la prise de décision, et traduire ces modèles et
données en déclencheurs d’action.
70. Nous devons mettre en place une OMS plus forte, plus puissante,
correctement financée et ne dépendant pas des contributions volontaires
pour remplir ses fonctions essentielles. Une OMS qui aura été réformée
afin de lui permettre de mieux s’acquitter de son mandat, qui est
d’atteindre le meilleur niveau de santé possible pour tous. Ce n’est
pas qu’une question d’argent: l’OMS devrait aussi être dotée des
pouvoirs nécessaires pour effectuer des visites inopinées dans les
États membres, à l’instar du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) du Conseil de l’Europe. Comme l’a proposé Mme Katz
lors de notre audition du 19 mai 2020, nous devrions réexaminer
et renforcer le Règlement sanitaire international en vue de redéfinir
la gouvernance mondiale pour lutter contre les maladies, d’assurer
une meilleure adéquation du traité avec ses objectifs et d’explorer
les mécanismes de respect des obligations dans ce cadre
. Nous devons également
revoir la manière dont nous gérons l’information, y compris l’échange
d’échantillons et de séquences génétiques. Et il faut aussi veiller
à un contrôle adéquat, indépendant et, idéalement, parlementaire
de l’OMS afin de créer la confiance et la solidarité nécessaires
pour que le monde puisse vaincre ensemble les pandémies.
71. Ainsi que proposé par Mme Katz
lors de notre audition du 19 mai 2020, il serait également judicieux d’établir
un leadership durable aux Nations Unies pour les événements biologiques
actuels et futurs aux conséquences graves, y compris en nommant
un facilitateur au Bureau du Secrétaire général. La supervision et
la responsabilité mondiales de la préparation aux pandémies devraient
également être assumées par les Nations Unies, par l’intermédiaire
d’une entité extérieure indépendante.
72. C’est à nous, au niveau européen – et pas seulement au niveau
de l’Union européenne – d’établir un système régional qui soit capable
de soutenir l’OMS dans ses efforts. Il pourrait prendre la forme
d’un accord régional entre notre Assemblée et l’OMS Europe, sur
le modèle de notre accord de coopération avec l’OCDE; mais nous
ne devons pas nous arrêter là: la coopération et la coordination
intergouvernementales en matière de santé publique doivent également
être rétablies au sein du Conseil de l’Europe.