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Rapport | Doc. 12282 | 07 juin 2010

Les conséquences politiques de la crise économique

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Emanuelis ZINGERIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12066, Renvoi 3625 du 25 janvier 2010. 2010 - Troisième partie de session

Résumé

La crise financière et économique mondiale actuelle est la pire depuis la Grande Dépression des années 1930. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par les conséquences politiques de l’endettement souverain de l’Europe, son impact sur la société et sur le fonctionnement de la démocratie.

Elle recommande une implication active des parlements nationaux dans les affaires européennes et dans le processus de gouvernance économique et financière et appelle les gouvernements à adopter une approche européenne plus coordonnée et unifiée pour faire face à la crise.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 1er juin
2010.

(open)
1. L’histoire de l’Europe et du monde a montré qu’une crise économique pouvait avoir des conséquences très néfastes à bien des niveaux. L’Assemblée parlementaire a débattu des conséquences de la crise financière mondiale en janvier 2009 et de l’impact social de la crise économique, de l’impact de la crise économique mondiale sur les migrations en Europe, des femmes et la crise économique et financière, et d’investir dans la cohésion familiale en tant que facteur de développement en temps de crise en avril 2010.
2. Déjà en janvier 2009, la Résolution 1651 (2009) soulignait que la crise actuelle pourrait avoir «des répercussions qui risquent à terme de saper les fondements mêmes de la démocratie» et proposait de rappeler aux gouvernements que «malgré les difficultés financières, les droits de l’homme, les droits sociaux et les droits économiques des citoyens doivent être sauvegardés». Malheureusement, un an et demi plus tard, bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ne sont plus en mesure de «stimuler l’activité économique, notamment en accroissant la demande agrégée, afin de doper la consommation, par des investissements supplémentaires des pouvoirs publics en faveur des infrastructures et du logement».
3. Au contraire, certains gouvernements sont dans l’obligation de réduire leurs dépenses et devront par conséquent appliquer une ou plusieurs des mesures suivantes: réduction de l’investissement public, gel ou réduction des effectifs du service public, hausse des impôts, report de l’âge de la retraite et gel ou baisse des salaires et des pensions. Plusieurs gouvernements ont déjà annoncé des réductions de salaires dans le secteur public. Les conséquences sociales seront sans aucun doute beaucoup plus graves que celles prévues par l’Assemblée lors de précédents débats. Nous déplorons déjà trois décès à Athènes début mai.
4. La crise économique mondiale à laquelle l’Europe est confrontée aujourd’hui est extrêmement grave et constitue un défi non seulement au niveau national mais également aux niveaux européen et international. Il est de ce fait très important que les hommes et femmes politiques européens travaillent ensemble pour la résoudre sur la base d’un partage équitable des charges pour leur population.
5. Cette crise donne aux partis et mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche l’opportunité de rendre les principaux partis responsables des échecs dans la perspective de gagner en popularité. On peut regretter que, dans certains pays, les partis principaux aient adopté un langage extrémiste.
6. Les récentes élections nationales et européennes ne semblent pas confirmer la crainte que l’insatisfaction à l’encontre des principaux partis conduise à un vote massif en faveur des partis et mouvements extrémistes. Les partis extrémistes demeurent cependant une source de préoccupation en particulier dans le cas où les populations refusent d’accepter les mesures d’austérité qui leur sont imposées.
7. L’Assemblée rappelle qu’une monnaie commune (une union monétaire) suppose l’application d’une politique monétaire commune et note que celle-ci ne peut fonctionner à long terme quand il existe des différences notables entre les politiques économique, budgétaire et fiscale de ses membres. Elle regrette que le Pacte de stabilité et de croissance qui accompagnait l’introduction de l’euro, n’ait pas été rigoureusement suivi par nombre de pays membres auquel il s’appliquait.
8. L’Assemblée se félicite de l’annonce du 10 mai 2010 de l’application d’un ensemble de mesures d’urgence s’élevant à 750 milliards d’euros – dont 250 milliards du Fonds monétaire international – «pour défendre l’euro et les économies de la zone euro».
9. La crise actuelle a montré que nous sommes encore loin d’une Europe sans clivage: parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, il y en a qui sont membres de l’Union européenne et d’autres qui ne le sont pas. Et parmi les Etats membres de l’Union européenne, il y a ceux qui font partie de la zone euro et ceux qui n’en font pas partie. Il est inquiétant de voir la différence de traitement de chaque catégorie.
10. C’est pourquoi l’Assemblée recommande aux Etats membres:
10.1. d’adopter une politique moins nationale et une réaction européenne plus coordonnée, unifiée et cohérente pour faire face à la crise économique mondiale;
10.2. d’accorder une attention accrue à la lutte contre la corruption au sein des instances publiques;
10.3. de renforcer le processus démocratique au sein de l’Union européenne par la participation active des parlements nationaux.
11. L’Assemblée recommande aux parlements nationaux:
11.1. d’évaluer de manière beaucoup plus efficace les conséquences économiques à court, moyen et long terme de la législation, en mettant l’accent sur les budgets nationaux;
11.2. de suivre de près le processus de réforme de la gouvernance financière et économique.
12. Enfin, l’Assemblée se félicite de l’initiative de la commission des questions politiques d’organiser, conjointement avec la commission des affaires économiques et du développement et la participation du Commissaire aux droits de l’homme, une audition sur l’impact politique de la crise économique sur la société.

B. Exposé des motifs, par M. Zingeris, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Ce rapport trouve son origine dans la proposition de recommandation sur «La crise économique et la légitimité démocratique en Europe» (Doc. 12066). Lors de sa réunion en janvier 2010, la commission des questions politiques a souhaité modifier le titre car ce n’est pas la légitimité de la démocratie qui est menacée mais son fonctionnement. Lors de sa réunion de mars, la commission a approuvé le nouveau titre proposé par le rapporteur.
2. La crise économique mondiale a marqué les esprits en Europe, ouvrant la voie à une radicalisation croissante. Les dirigeants de partis non parlementaires de l’extrême droite et de l’extrême gauche saisissent toutes les occasions offertes par la situation économique difficile pour gagner en popularité. Le mécontentement vis-à-vis des partis au pouvoir a tendance à accroître le taux d’abstention, ce qui joue également en faveur des partis extrémistes. D’autre part, la dimension de la crise en Grèce (et dans d’autres pays) et les mesures brutales mises en œuvre pour régler la situation ont déjà donné lieu à une agitation sociale, susceptible de fragiliser la démocratie même. S’il existe un danger pour la démocratie en Europe, que devrait faire l’Assemblée parlementaire pour le contrer?

2. Rappel historique

3. En octobre 1929, l’effondrement de la bourse de New York a marqué le début de la Grande Dépression. Les investisseurs américains ont rappelé leurs prêts à court terme depuis l’Allemagne et au début de l’année 1931, l’une des trois plus grandes banques allemandes par actions a fait faillite. L’économie allemande dépendait des prêts américains et, sans eux, la production a chuté et les exportations ont également ralenti. Le nombre de chômeurs est passé de 2 millions en 1929 à 6 millions (soit un quart de la population active) dès les premiers mois de 1932. Les Gouvernements allemands de 1929 à 1933 n’ont réussi à résoudre aucun des grands problèmes économiques d’alors: chômage de masse, inflation et déclin industriel.
4. Face à ces difficultés économiques, les Allemands ont cessé de croire dans le fonctionnement des institutions démocratiques. Les classes moyennes et ouvrières, ruinées après avoir essuyé deux crises économiques en six ans, étaient les catégories les plus mécontentes. En quête de solutions désespérées, elles se sont tournées vers les deux partis extrémistes: les nazis et les communistes. Aux élections générales de septembre 1930, les nazis ont obtenu 6,5 millions de votes, ont gagné 107 sièges au Reichstag et sont devenus le deuxième plus grand parti du pays. Les communistes ont récolté 4,5 millions de votes et 77 sièges. Même si les sociaux-démocrates restaient le parti majoritaire, ils avaient perdu une grande part de popularité et de soutien.
5. Pour éviter, en Allemagne, une révolution bolchevique perçue comme une véritable menace, Hindenburg invita Hitler à devenir chancelier en janvier 1933. Il lui fallut très peu de temps pour écraser ses opposants et devenir le chef autocratique de l’Allemagne, ouvrant ainsi la voie à la seconde guerre mondiale et à l’Holocauste.
6. La Grande Dépression n’a été ni la cause unique, ni même la cause majeure de la seconde guerre mondiale. En outre, pour de multiples raisons, notamment l’existence du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, la situation actuelle n’est pas comparable à celle des années 1930. Il nous incombe cependant d’empêcher, par tous les moyens dont nous disposons, que la crise financière actuelle ait de graves conséquences.

3. La crise économique en Europe

7. La crise financière qui frappe l’économie mondiale depuis l’été 2007 est la pire que le monde ait connue depuis la Grande Dépression des années 1930.
8. Elle a été provoquée par l’augmentation déraisonnable de créances «toxiques» et amplifiée lorsqu’une grande banque d’investissement américaine (Lehman Brothers) a fait faillite en septembre 2008. La confiance s’est écroulée, les investisseurs ont massivement liquidé leurs placements et les marchés boursiers se sont effondrés. A partir de ce moment-là, les économies européennes sont entrées dans la phase de récession la plus forte enregistrée depuis les années 1930.
9. Le transfert de situations financières difficiles à l’économie réelle a évolué à une vitesse record, les restrictions de crédit et la perte de confiance touchant de plein fouet les investissements commerciaux et la demande des ménages, notamment pour les biens de consommation et le logement. Le franchissement des frontières a également été extrêmement rapide en raison des connexions étroites au sein du système financier lui-même, ainsi que des chaînes d’approvisionnement fortement intégrées au sein des marchés de production mondiaux. On estime que le PIB réel de l’Union européenne a diminué d’environ 4 % en 2009, la baisse la plus forte de son histoire. Les prévisions pour 2010 indiquent une croissance très limitée. Le chômage, qui a augmenté d’environ 4 % ces deux dernières années, ne devrait pas diminuer en 2010.
10. La crise a touché tous les pays d’une manière ou d’une autre, mais certains ont été plus touchés que d’autres. En mesurant la dévaluation des monnaies, le déclin du marché des actions et la hausse des progressions des obligations d’Etat, on peut se faire une image de l’effondrement financier. Ces trois indicateurs révélant une faiblesse financière, pris ensemble, ils reflètent l’impact de la crise. La Fondation Carnegie pour la paix internationale rapporte dans son bulletin d’économie internationale (International Economics Bulletin) qu’un pays d’Europe centrale et un pays d’Europe orientale – la Hongrie et l’Ukraine – ont été les pays européens les plus touchés par la crise.
11. Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà approuvé une aide financière à la Hongrie, l’Ukraine, l’Islande et la Lettonie en 2008, ainsi qu’à la Serbie, la Roumanie, la Pologne et la Bosnie-Herzégovine en 2009. Cette assistance était liée, selon l’usage, à l’adoption de mesures rigoureuses d’austérité financière et économique.

4. Les premières réponses face à la crise

12. En décembre 2008, la Grèce a connu d’importantes émeutes civiles qui se sont poursuivies jusqu’en janvier 2009. Fin février 2010, de nombreux Grecs ont encore une fois massivement participé à une grève générale en raison de la situation économique, et des écoles, des aéroports et de nombreux autres services ont été fermés. En janvier 2009, le Gouvernement islandais a été contraint de convoquer deux ans à l’avance des élections anticipées à la suite de manifestations en masse et de heurts avec la police en raison de la gestion économique du gouvernement. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté en France contre la politique économique du Président Sarkozy. Du fait de la crise financière en Lettonie, l’opposition et les syndicats ont organisé un rassemblement contre le cabinet du Premier ministre Ivars Godmanis. Ce mouvement, qui a regroupé de 10 000 à 20 000 personnes, s’est transformé en émeute. La police et les manifestants se sont également affrontés en Lituanie. Des communistes et d’autres personnes se sont rassemblés à Moscou pour protester contre les plans économiques du Gouvernement russe. L’Irlande et le Royaume-Uni ont également connu des manifestations de rue.
13. Dès le 26 février 2009, un briefing sur le renseignement économique a été ajouté aux briefings quotidiens sur le renseignement préparés pour le Président des Etats-Unis. Cet ajout a montré que les services américains de renseignements estimaient que la crise financière mondiale était une menace sérieuse pour la stabilité internationale. En mars 2009, le groupe d’experts britannique Economist Intelligence Unit a publié un rapport spécial intitulé «Manning the barricades», dans lequel il déterminait qui était menacé à mesure que la détresse économique de plus en plus profonde provoquait des troubles sociaux. Le rapport prévoyait que les deux prochaines années seraient marquées par d’importants soulèvements sociaux, par des perturbations de l’économie et par des renversements de gouvernements à travers le monde. L’hebdomadaire Business Week a déclaré en mars 2009 que l’instabilité politique mondiale augmentait rapidement en raison de la crise financière mondiale et faisait naître de nouveaux défis.
14. Les gouvernements d’Europe orientale semblent plus vulnérables car ils disposent d’options politiques limitées pour résoudre la crise et n’ont que peu ou pas de marge de manœuvre pour relancer l’économie en raison de contraintes budgétaires ou financières. Des mesures d’austérité très impopulaires, notamment la réduction drastique des salaires des fonctionnaires, la hausse des impôts et la restriction des dépenses sociales ne feront qu’attiser le mécontentement de la population dans les Etats baltes, la Hongrie et la Roumanie. L’insatisfaction liée aux déboires économiques sera accrue dans les pays où les gouvernements ont été affaiblis par des scandales de corruption et de fraude très médiatisés (Lettonie, Lituanie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie).

5. La crise de l’endettement souverain de l’Europe

15. La situation est cependant très mauvaise aussi dans l’Europe occidentale. Fin 2009, le nouveau Gouvernement grec a annoncé que la situation financière du pays était bien pire que ce que l’on pensait, notamment parce que le gouvernement précédent avait falsifié les comptes nationaux. Début 2010, il était clair que la Grèce ne serait pas en mesure d’assurer elle-même le service de sa dette. Dans une telle situation (et elle se produit régulièrement dans de nombreux pays), la pratique habituelle consistait à recevoir une aide financière du FMI combinée à l’application d’un ensemble de mesures d’austérité plus ou moins strictes.
16. Faisant partie de la zone euro, la Grèce a été considérée différemment (de la Hongrie, de la Lettonie, de la Roumanie et de la Pologne) et les dirigeants européens, bien qu’incapables de mesurer l’ampleur du problème, ont refusé de solliciter l’aide du FMI, craignant qu’elle ne porte un coup à l’euro. Il a fallu à l’Union européenne trois mois de discussions pour déterminer comment venir en aide à la Grèce et dans le même temps lui faire payer ses erreurs, et pour publier un avertissement à l’attention des autres pays enregistrant des dépenses excessives mais également des marchés.
17. Ce retard, que l’opinion publique attribue à juste titre à l’Allemagne, n’a pas permis d’éviter l’implication du FMI – et de ses mesures d’austérité – et a eu pour conséquence, notamment, de voir la somme augmenter de quelque 30 milliards à 110 milliards d’euros. L’euro a aussi atteint un de ses taux les plus bas de l’histoire face aux autres devises. Le manque de solidarité affiché a également attisé les discours nationalistes, voire xénophobes. Les troubles sociaux en Grèce ont causé le décès de trois personnes.
18. La crise grecque actuelle a des causes à la fois externes et internes. Les causes externes sont bien sûr liées à la crise économique et financière mondiale. Les spéculations sur la capacité de la Grèce à honorer sa dette n’ont fait qu’empirer les choses. Parmi les causes internes figurent la diversification insuffisante de l’économie, une croissance économique lente, les dépassements budgétaires du gouvernement (et leur falsification), la corruption endémique et une évasion fiscale considérable. En outre, se trouvant dans la zone euro, la Grèce n’a pas eu la possibilité de recourir à une politique monétaire pour corriger une situation dans laquelle les salaires continuaient d’augmenter plus rapidement que la productivité.
19. Il est utile de préciser qu’une monnaie commune (une union monétaire) suppose une politique monétaire commune et, comme le montrent les derniers développements, cette politique ne peut pas fonctionner quand il existe des différences aussi vastes entre les politiques économique, budgétaire et fiscale des membres. La décision de créer l’euro était politique, pas économique, et l’on espérait que les économies des Etats participants convergeraient. Cela n’a pas été le cas. Au début, plusieurs critères ont été fixés pour garantir leur compatibilité, mais bientôt les pays ont les uns après les autres trouvé des excuses pour en être exemptés.
20. Cependant, la situation en Grèce n’est pas unique. De nombreux autres pays de l’Union européenne, au sein et en dehors de la zone euro, ont beaucoup de points communs avec elle. L’Espagne et le Portugal possèdent également des économies non compétitives à la croissante lente; la Belgique, la France, l’Allemagne et le Portugal enregistrent comme elle des dettes énormes par rapport au PIB; le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne et la France ont de la même façon un déficit budgétaire considérable par rapport au PIB. D’après les médias (et les agences de notation de crédit) les pays qui risquent le plus de connaître certains des problèmes qui touchent la Grèce sont le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie, que l’on désigne par l’acronyme anglais PIIGS.
21. La principale mission de l’Union européenne a consisté à éviter la contagion à ces pays-là. S’il en avait été autrement, c’est non seulement l’euro mais aussi l’Union européenne en tant que telle, voire la démocratie, qui auraient été menacés.
22. Lors de leur réunion du 9 mai 2010, les ministres des Finances de la zone euro sont convenus d’un ensemble de mesures d’urgence s’élevant à 750 milliards d’euros – dont 250 milliards du FMI – pour défendre l’euro et les économies de la zone euro La somme engagée indique clairement que les dirigeants européens sont prêts à aller loin pour défendre la monnaie commune. Les marchés ont réagi positivement face à cette décision mais l’efficacité pratique de ces mesures reste à être démontrée.
23. En particulier, un mécanisme doit être mis en place pour faire en sorte que les économies des Etats de la zone euro cessent de diverger pour commencer à converger. Cela signifie inévitablement que les Etats concernés devront abandonner quelque peu de leur souveraineté dans les domaines économique, fiscal et budgétaire au profit d’une instance supranationale encore à définir. Les parlements nationaux n’auront plus le dernier mot dans l’adoption des budgets nationaux, ce qui est sans aucun doute une conséquence majeure pour la démocratie, surtout si l’on considère le déficit démocratique actuel de l’Union européenne.

6. L’opinion publique européenne 
			(2) 
			La plupart des informations
qui suivent sont tirées de l’Eurobaromètre 72, novembre 2009.

6.1. Sur la crise

24. L’enquête d’Eurobaromètre a enregistré d’importants mouvements de l’opinion publique européenne depuis le printemps 2008, la crise économique étant le principal moteur des impressions et opinions des Européens.
25. Le pic de la crise économique semble avoir été atteint à l’automne 2009 et, dès novembre 2009, nous nous trouvons à un tournant. Pour la première fois en deux ans, l’économie de l’Union européenne entame à nouveau une croissance. Si le pire moment de la récession est peut-être dépassé, le plein impact sur le marché du travail et sur les finances publiques reste encore à venir. Le chômage est à l’heure actuelle la principale préoccupation des Européens pour leur pays.
26. Les sondages sur la crise ont aussi montré que la crise économique a creusé l’écart entre les niveaux de vie des pays du nord et de l’ouest de l’Europe d’une part, et les pays du sud et de l’est de l’Europe d’autre part. Les groupes vulnérables, en particulier les chômeurs, ont été le plus durement frappés. En résumé, la crise économique a eu de profondes répercussions; le processus de relance ne fait que commencer mais il faudra beaucoup de temps avant que la vie en Europe ne revienne à la situation qui précédait la crise.
27. Dans tous les pays de l’Union européenne, à l’exception de Malte et de Chypre, les attentes vis-à-vis des économies européennes et mondiale sont maintenant plus positives qu’au printemps 2009. L’impact de la crise se ressent toujours plus fortement dans les pays d’Europe centrale et orientale. Dans certains d’entre eux, ainsi qu’à Malte, l’indice du changement enregistre de fortes tendances négatives.
28. Les Européens estiment que l’Union européenne propose un soutien adéquat pour faire face aux effets de la mondialisation. Cependant, le point de vue selon lequel l’Union européenne dispose de pouvoirs et d’outils suffisants pour défendre ses intérêts économiques au sein de l’économie mondiale a quelque peu perdu du terrain, bien qu’il soit toujours soutenu par une majorité claire. La crise grecque du début de 2010 et la façon dont elle est actuellement traitée par l’Union viendront peut-être conforter cet avis.

6.2. Sur le fonctionnement de la démocratie

29. Le mécontentement à l’égard du fonctionnement des démocraties nationales a progressé par rapport à l’automne 2007 (particulièrement dans les pays d’Europe centrale et orientale, mais également en Irlande, en France, en Grèce et en Espagne).
30. Aujourd’hui, les Européens sont 53 % à se déclarer satisfaits de la façon dont la démocratie fonctionne dans leur pays, mais 45 % à ne pas l’être. Depuis l’automne 2007, le taux de satisfaction à l’égard du fonctionnement de la démocratie au niveau national a reculé de 5 points, alors que le mécontentement a augmenté de 6 points.
31. Les disparités nationales sont très fortes dans ce domaine. Dans 13 Etats membres, les mécontents sont plus nombreux: on enregistre des taux particulièrement élevés d’insatisfaction en Roumanie (79 %), en Lituanie (79 %), en Bulgarie (77 %), en Lettonie (76 %) et en Hongrie (76 %). D’autre part, le taux de satisfaction à l’égard du fonctionnement de la démocratie nationale est le plus fort dans les pays scandinaves – Danemark (91 %), Suède (81 %) et Finlande (69 %) –, au Luxembourg (90 %), en Autriche (76 %), aux Pays-Bas (72 %) et en Allemagne (68 %). Il convient de remarquer que les taux les plus élevés de mécontentement correspondent grosso modo aux pays où la crise économique s’est fait le plus sentir.
32. De fortes évolutions ont été notées depuis la précédente enquête de l’automne 2007, avec une tendance majeure au renforcement du mécontentement vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie nationale dans les pays où il était déjà profond. Ainsi, le mécontentement a gagné du terrain dans les pays Baltes et les pays d’Europe orientale de l’Union: il a progressé de 23 points en Lettonie, de 18 points en Roumanie, de 14 points en Estonie, de 12 points en Slovénie et de 10 points en Bulgarie.
33. Les événements récents en Grèce et les spéculations sur ce qui pourrait arriver dans d’autres pays de la zone euro, pour la monnaie unique et pour l’Union européenne en tant que telle, influenceront sans aucun doute considérablement l’opinion publique européenne à la fois sur la crise et sur le fonctionnement de la démocratie.

7. Les résultats des dernières élections

34. Les élections au Parlement européen ont eu lieu en juin 2009 dans 27 Etats membres du Conseil de l’Europe. L’économie était alors à son niveau le plus bas, à la fois selon les indicateurs et selon le sentiment des Européens. C’était donc le moment le plus propice pour évaluer l’impact de la crise sur le scrutin. Un sondage a été mené une semaine après les élections.
35. Le premier élément marquant a été la baisse constante de la participation, qui est passée de 45,5 % en 2004 à 43 % en 2009. A l’exception des trois pays où le vote est obligatoire, les taux de participation les plus élevés ont été enregistrés à Malte (78,8 %), en Italie (65 %) et au Danemark (59,5 %). L’abstention a été la plus forte en Slovaquie (80,4 %), en Lituanie (79 %) et en Pologne (75,5 %). Dans certains cas mais pas de façon systématique, la valeur et l’évolution du taux de participation correspondent au niveau de satisfaction ou de mécontentement à l’égard du fonctionnement de la démocratie.
36. L’enquête a montré de véritables divisions entre les différents profils d’électeurs: on a recensé moins de votants chez les femmes que chez les hommes, chez les jeunes que chez les personnes âgées, chez les chômeurs que chez les cadres dirigeants, et chez les personnes ayant quitté l’école relativement tôt que chez celles ayant poursuivi des études, mais aussi moins de votants dans les grandes villes par rapport aux zones rurales. Ce tableau correspond bien à l’idée que l’abstention était plus élevée parmi les électeurs les plus vulnérables face à la crise.
37. Un tiers des électeurs qui ont déclaré avoir voté aux élections nationales ont également indiqué qu’ils n’avaient pas voté aux élections européennes.
38. L’analyse a également montré que la plupart des abstentionnistes ont décidé de ne pas s’exprimer avant tout par manque de confiance dans la politique des institutions en général. Le principal facteur qui a au contraire poussé les autres électeurs à voter a été le devoir civique. La dimension européenne en tant que motivation pour voter arrive en quatrième position, après le soutien à un parti politique avec lequel l’électeur a des affinités.
39. Si l’on étudie les résultats des élections au Parlement européen pays par pays, seuls 18 députés (sur 736) issus de partis que l’on peut considérer comme extrémistes ont été élus dans 7 pays européens:
  • En Autriche, le Freiheitliche Partei Österreichs a obtenu 12,8 % des voix et deux sièges. Il avait récolté 11 % des voix aux élections nationales de 2006, et 17,5 % en 2008.
  • En Belgique, le parti Vlaams Belang a obtenu 9,9 % des voix et deux sièges. Aux élections nationales en 2007, il avait recueilli 12 % des suffrages.
  • En Bulgarie, le parti Ataka a obtenu 12 % des voix et deux sièges. Aux élections nationales de 2005, il avait récolté 9 % des voix. La Bulgarie étant l’un des pays les plus touchés par la crise, ce résultat ne révèle pas de radicalisation politique.
  • En France, le Front national a obtenu 6,3 % des votes et trois sièges. Lors des précédentes élections au Parlement européen, en 2004, il avait remporté 9,8 % des voix et sept sièges.
  • En Hongrie, le parti Jobbik a obtenu 14,8 % des voix et trois sièges. Aux élections nationales de 2006, il n’avait pas dépassé le seuil des 4 %.
  • Aux Pays-Bas, le PVV a obtenu 17 % des voix et quatre sièges. Aux élections nationales de 2006, il avait recueilli 5,9 % des suffrages.
  • Enfin, le Parti national britannique (British National Party) a obtenu 6,26 % des voix et deux sièges. En 2004, il avait remporté 4,9 % des voix et aucun siège.
40. Il ressort de ces résultats que cinq députés «extrémistes» ont été élus dans les pays les moins riches où la crise économique s’est fait le plus durement ressentir (en Bulgarie et en Hongrie), par rapport à 13 élus dans les pays les plus riches de l’Union européenne (l’Autriche, la Belgique, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni). Les plus fortes progressions du vote extrémiste ont été recensées en Hongrie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
41. Deux des pays où la satisfaction à l’égard du fonctionnement de la démocratie est la plus faible, à savoir la Bulgarie et la Hongrie, ont élu cinq députés issus de partis extrémistes. Notons cependant que deux des pays où cette satisfaction est la plus forte, tels que l’Autriche et les Pays-Bas, en ont élu six.
42. Au premier tour des élections législatives en Hongrie, le 11 avril 2010, le résultat du parti Jobbik a augmenté et a atteint 16,7 %. Au second tour du 25 avril, il est retombé à 12 %. La Hongrie est le seul exemple de pays gravement touché par la crise où le vote en faveur des partis extrémistes s’est considérablement renforcé. Le rapport «La démocratie en Europe: crises et perspectives» de mon collègue et bon ami Andreas Gross (Suisse, Groupe socialiste) se réfère aussi à cette situation. Lors des élections nationales au Royaume-Uni le 7 mai 2010, le Parti national britannique a recueilli 1,9 % des voix, un résultat bien inférieur à celui du scrutin du Parlement européen mais légèrement supérieur à celui des élections nationales de 2005.
43. D’après les données disponibles, rien ne permet de dire qu’il existe un lien manifeste entre la crise économique, sa perception par la population européenne ou l’opinion des Européens sur le fonctionnement de leurs démocraties et le vote ou l’augmentation des voix en faveur des partis extrémistes.

8. Conclusions

44. Il semblerait que, à l’exception de la Hongrie, la crise économique n’ait pas encore entraîné de forte augmentation des voix en faveur des partis extrémistes, pour le moins dans les pays de l’Union européenne. C’est pourquoi il convient de chercher ailleurs les motifs qui incitent à voter pour des députés issus de partis extrémistes (voir, par exemple, le rapport de M. Agramunt «Lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs»). Il serait toutefois utile d’étendre l’analyse aux autres Etats membres du Conseil de l’Europe, en particulier à l’Ukraine, l’Islande, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, qui ont compté parmi les pays les plus touchés par la crise. Il serait également très intéressant d’étudier l’évolution de la situation en Russie et en Turquie, qui sont deux autres grandes économies qui ont été affectées différemment.
45. Il convient de préciser que l’une des raisons pour laquelle les votes en faveur des partis extrémistes n’ont pas augmenté considérablement est peut-être que les partis dominants ont eu tendance à emprunter certains traits des discours radicaux des partis extrémistes pour, d’une part, s’assurer les voix d’une partie de la population et, d’autre part, accuser quelqu’un d’autre (les immigrés, les Juifs, les spéculateurs, etc.) de leur propre inefficacité.
46. Le fait que la crise économique n’ait pas encouragé le vote en faveur des partis extrémistes ne signifie pas qu’elle ne le fera pas à l’avenir. Cela dépendra pour beaucoup de la capacité des gouvernements à faire face aux conséquences de la crise, et notamment à son impact social. L’augmentation de l’abstention dans toute l’Europe est préoccupante parce qu’elle révèle à la fois un mécontentement à l’égard du fonctionnement de la démocratie et une méfiance vis-à-vis des responsables politiques en général.
47. Le vote en faveur des partis extrémistes est cependant une préoccupation mineure par rapport au risque très sérieux de voir la démocratie se fragiliser à la suite des mouvements sociaux amorcés par le refus des populations d’accepter les mesures d’austérité qui leur sont imposées pour répondre à ce qu’elles considèrent comme un manque de compétences de la part de leurs gouvernements successifs.
48. La maladresse, pour ne pas dire plus, avec laquelle les dirigeants européens ont géré jusqu’à présent la «crise grecque» est également très préoccupante. L’absence de dispositifs pour faire face à la situation au niveau européen, combinée au manque de solidarité au sein de l’Union européenne dont ont fait preuve ces dernières semaines les dirigeants nationaux mais aussi les commissaires européens et le grand public, sont des armes dangereuses dans les mains des opposants aux idéaux européens.
49. La crise à laquelle l’Europe est confrontée relève largement de la responsabilité des hommes politiques européens, aux niveaux à la fois national et européen. Il leur incombe donc tout particulièrement de trouver des solutions et de veiller à ce que les populations ne subissent pas de trop lourdes conséquences.
50. Les parlements nationaux devraient créer des commissions d’enquête pour déterminer la responsabilité des hommes politiques dans l’apparition de la crise et veiller à ce que les personnes reconnues coupables soient punies. En outre, ils doivent évaluer de manière beaucoup plus efficace les conséquences économiques à court, moyen et long terme de la législation, en mettant l’accent sur les budgets nationaux.
51. L’Assemblée parlementaire devrait poursuivre ses recherches dans ce domaine pour être à même de recommander les mesures à prendre pour éviter que le fonctionnement de la démocratie ne soit menacé ou mis en péril. L’Assemblée devrait organiser une conférence sur ce thème.