1. Introduction
1.1. Mon mandat
1. Le 25 janvier 2008, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire a été chargée
de préparer un rapport sur la Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires (ci-après «la charte»), sur la base d’une proposition
de résolution présentée par M. de Puig et plusieurs de ses collègues
(
Doc. 11480).
En mars 2008, la commission a nommé M. Pysarenko (Ukraine, PPE/DC)
rapporteur. En février 2009, M. Pysarenko a rendu son mandat de
rapporteur et m’a demandé de mener les discussions concernant ce
rapport lors de la réunion de la sous-commission sur les droits
des minorités tenue à Monaco, le 10 mars 2009. La commission m’a
ensuite nommé rapporteur.
2. A la suite de l’approbation de la commission le 27 avril 2009,
un questionnaire sur la charte a été envoyé le 5 juin 2009 aux délégations
des parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe
dans le cadre de l’élaboration de ce rapport. Vingt-neuf délégations
nationales ont transmis leurs réponses au questionnaire. Je remercie
vivement les délégations qui ont répondu à ce questionnaire, car
les données qu’elles m’ont communiquées m’ont permis de tirer certaines
conclusions quant aux raisons du faible nombre de ratifications
de la charte et aux problèmes rencontrés dans son application.
3. En outre, à la suite de la décision du Bureau de l’Assemblée
du 23 juin 2008, la proposition de résolution sur la situation culturelle
difficile de la minorité istro-roumaine particulièrement menacée
du 21 avril 2008, présentée par M. Vlad Cubreacov et plusieurs de
ses collègues
, a été également prise en compte dans le cadre
de l’élaboration du présent rapport.
1.2. Objectif du présent
rapport
4. La promotion et la protection des langues régionales
ou minoritaires relèvent du patrimoine et de la diversité culturels
de l’Europe, qui sont l’un des principaux objectifs du Conseil de
l’Europe. Il existe une grande variété de langues régionales ou
minoritaires parlées en Europe et leur situation varie
: selon le nombre de locuteurs
, elles
peuvent être parlées dans un
ou
plusieurs pays
;
des langues régionales ou minoritaires dans un pays peuvent être
des langues majoritaires dans un autre pays
;
elles peuvent être concentrées dans une zone géographique ou répandues
sur un vaste territoire
; certaines d’entre elles
n’ont pas de base territoriale, même si elles sont parlées par un
grand nombre de locuteurs dans un Etat
. Le niveau de leur protection varie
énormément, de pratiquement aucun soutien à toute une série de mesures
d’aide.
5. Le droit de s’exprimer librement dans sa propre langue, y
compris dans une langue moins répandue (à savoir une langue régionale
ou minoritaire), fait partie intégrante des droits de l’homme garantis
par les instruments internationaux, tels que le droit d’accès à
un tribunal et à un procès équitable, la liberté d’expression ou
le droit à l’éducation. Il est en particulier étroitement lié au
principe de non-discrimination, un droit de l’homme fondamental
consacré à l’article 14 de la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5), au Protocole no 12 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 177) et à l’article 4 de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE no 157). Comme M. Thomas Hammarberg,
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’a
fait remarquer dans un point de vue du 25 janvier 2010
, les représentants des minorités
ont soulevé plusieurs questions qui doivent se régler conformément
aux normes en matière de droits de l’homme. Il s’agit de questions
telles que l’orthographe des noms sur les passeports, les plaques
de rue et autres indications topographiques, la langue employée
à l’école, les impératifs linguistiques dans la communication avec
les autorités et la possibilité de créer des médias minoritaires.
6. Le Conseil de l’Europe a déjà atteint des résultats importants
dans le domaine de la protection et de la promotion des langues
régionales ou minoritaires, notamment l’élaboration de la charte,
qui est le seul document juridiquement contraignant consacré spécifiquement
à la sauvegarde des langues régionales ou minoritaires. La charte
a été ouverte à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe
le 5 novembre 1992 et est entrée en vigueur le 1er mars 1998.
7. Cependant, le faible nombre de ratifications par les Etats
membres affaiblit l’efficacité et l’importance de cet instrument.
Le rythme actuel de signatures est pratiquement au point mort.
8. En outre, bien que le processus de contrôle réalisé par le
Comité d’experts de la charte ait amélioré la situation des langues
moins répandues dans l’ensemble des Etats parties, la situation
de certaines langues régionales ou minoritaires n’a pas changé au
cours des dernières années et un grand nombre de langues sont considérées
comme menacées
.
9. Dans mon rapport, je m’efforcerai de souligner l’importance
de la charte pour la protection de la diversité culturelle européenne
et des langues européennes, y compris de celles qui sont menacées
d’extinction. Surtout, je souhaite appeler à nouveau les Etats membres
qui ne l’ont pas encore ratifiée à le faire. Sur la base des réponses
fournies par certaines délégations nationales, j’essaierai de montrer
les principales difficultés rencontrées par les autorités nationales
dans l’application de la charte et les obstacles à la ratification
ou à la signature de la charte dans les Etats qui ne sont pas parties
à cette dernière, tels que ces Etats les perçoivent. Dans ce contexte,
je tiens à signaler qu’en envoyant le questionnaire, je n’avais
pas l’intention de faire double emploi avec les activités du comité
d'experts, mais plutôt de collecter de nouvelles données pour compléter son
travail. Les réponses fournies par les Etats non parties à la charte,
auxquelles le secrétariat de la charte n’a pas accès, sont aussi
des sources d’information importantes, dans la mesure où elles éclairent
sur les raisons possibles pour lesquelles cet instrument n’a pas
encore été appliqué.
10. En outre, la question de la minorité istro-roumaine sera soulevée
à titre d’exemple devant faire l’objet d’une attention particulière,
bien que la Croatie soit un Etat partie à la charte. Cela montre
également que la ratification de la charte ne fournit pas toujours
une pleine protection à toutes les langues régionales ou minoritaires
qui ont besoin de sa protection. Même si je ne vais pas examiner
en détail cette question complexe, je souhaiterais attirer l’attention
sur le fait qu’il y a de graves problèmes avec la mise en œuvre
des recommandations du comité d’experts dans certains pays, comme
la République slovaque
ou
la Slovénie
.
2. La Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires
2.1. Quel est l’objectif
de la charte?
11. «La charte est une convention destinée, d’une part,
à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires
en tant qu’élément menacé du patrimoine culturel européen, et, d’autre
part, à favoriser l’emploi des langues régionales ou minoritaires
dans la vie privée et publique. Son objectif est essentiellement
d’ordre culturel. Elle vise les langues régionales ou minoritaires,
les langues dépourvues de territoire et les langues officielles
moins répandues
12. La charte précise d’abord des objectifs et principes que les
Etats parties s’engagent à respecter pour toutes les langues régionales
ou minoritaires existant sur leur territoire. Elle énumère ensuite
toute une série de mesures concrètes visant à faciliter l’emploi
des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique. La charte
concerne les langues pratiquées traditionnellement sur le territoire
d’un Etat et ne vise pas les langues liées à des phénomènes de migration
récents, ni les dialectes de la langue officielle. Son but est d’assurer, autant
qu’il est raisonnablement possible, l’emploi des langues régionales
ou minoritaires dans l’enseignement et dans les médias mais aussi
de permettre et d’encourager leur usage dans le monde juridique
et administratif, dans la vie économique et sociale ainsi que dans
les activités culturelles et les échanges transfrontaliers.
13. L’approche retenue par la charte respecte pleinement les principes
de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale. De ce fait,
elle ne conçoit pas les relations entre les langues officielles
et les langues régionales ou minoritaires en termes de concurrence
ou d’antagonisme, le développement de ces dernières ne devant pas
entraver la connaissance et à la promotion des premières. La charte
adopte volontairement une approche interculturelle et plurilingue
dans laquelle chaque catégorie de langue a la place qui lui revient.
Il s’agit, dans chaque Etat, de prendre en compte une réalité culturelle
et sociale.
2.2. Définitions
14. La charte n’établit pas une liste des langues européennes
correspondant au concept de langues régionales ou minoritaires mais
définit la terminologie utilisée (dans son article 1). Par l’expression
«langues régionales ou minoritaires», on entend les langues pratiquées
traditionnellement sur le territoire d’un Etat par des ressortissants
de cet Etat qui constituent un groupe numériquement inférieur au
reste de la population; elles sont différentes de la (des) langue(s)
officielle(s) de cet Etat; elles n’incluent ni les dialectes de
la (des) langue(s) officielle(s) de l’Etat, ni les langues des migrants.
15. Par l’expression «territoire dans lequel la langue régionale
ou minoritaire est pratiquée», on entend l’aire géographique dans
laquelle cette langue est le mode d’expression d’un nombre de personnes
justifiant l’adoption de mesures de protection et de promotion prévues
par la charte. Par «langues dépourvues de territoire», on entend
les langues pratiquées par des ressortissants de l’Etat qui sont
différentes de la (des) langue(s) pratiquée(s) par le reste de la
population de l’Etat et qui, bien que traditionnellement pratiquées
sur son territoire, ne peuvent être rattachées à une zone géographique
particulière de celui-ci.
»
2.3. A quoi s’engagent
les Etats?
2.3.1. Types d’engagements
16. Les langues concernées par la charte évoluent dans
des contextes très différents (économique, politique et social).
Par conséquent, le mécanisme d’engagement prévu par la charte permet
d’adapter l’étendue de la protection ainsi garantie à la situation
particulière de chaque langue et de tenir compte des coûts entraînés
par les dispositions appliquées. La charte s’organise autour de
deux parties principales:
- une partie générale contenant
les principes applicables à tous les Etats parties et à toutes les
langues régionales ou minoritaires (partie II): voir le chapitre
2.3.2 ci-après;
- une partie qui établit les engagements concrets, particuliers,
pouvant varier selon les Etats et les langues (partie III): voir
le chapitre 2.3.3 ci-après.
17. Chaque partie s’engage à appliquer au moins 35 paragraphes
ou alinéas parmi ces mesures, dont un certain nombre est à choisir
obligatoirement parmi un «noyau dur». De plus, chaque Etat partie
doit spécifier dans son instrument de ratification, d’acceptation
ou d’approbation, chaque langue régionale ou minoritaire – ou langue
officielle moins répandue sur l’ensemble ou une partie de son territoire
– à laquelle s’appliquent les paragraphes choisis.
2.3.2. Principes fondamentaux
applicables à toutes les langues
18. Les principes et objectifs fondamentaux (partie II,
article 7) sont les suivants:
- la
reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu’expression
de la richesse culturelle;
- le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale
ou minoritaire;
- la nécessité d’une action résolue de promotion de ces
langues;
- la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral
et écrit de ces langues dans la vie publique et dans la vie privée;
- la mise à disposition de formes et de moyens adéquats
d’enseignement à tous les stades appropriés;
- la promotion des échanges transfrontaliers;
- la prohibition de toute forme de distinction, exclusion,
restriction ou préférence injustifiées portant sur la pratique d’une
langue régionale ou minoritaire et ayant pour but de décourager
ou de mettre en danger le maintien ou le développement de celle-ci;
- la promotion par les Etats de la compréhension mutuelle
entre tous les groupes linguistiques du pays.
2.3.3. Un choix de 68
engagements concrets dans sept domaines de la vie publique
19. La partie III (articles 8 à 14)établit
des règles précises, dont certaines développent les principes généraux
affirmés dans la partie II, dans un certain nombre de domaines.
Les Etats s’engagent à appliquer les dispositions de la partie III
qu’ils auront choisies. D’une part, ils doivent indiquer les langues
auxquelles ils consentent que soit appliquée cette partie, et, d’autre
part, pour chacune de ces langues, ils doivent choisir au minimum
35 engagements. Le nombre considérable de dispositions comprend
plusieurs options présentant des degrés de rigueur variables dont
l’une devra être appliquée «selon la situation de chacune des langues».
20. Les parties sont encouragées à accroître ultérieurement leurs
engagements, au fur et à mesure que leur situation juridique évoluera
ou que leurs conditions financières le leur permettront (article
3.2).
21. Les domaines de la vie publique, qui correspondent chacun
à un article de la partie III, et parmi lesquels doivent être choisies
les dispositions auxquelles les Etats décident de souscrire, sont
les suivants: l’enseignement, la justice, les administrations et
services publics, les médias, les équipements et activités culturels,
la vie économique et sociale et les échanges transfrontaliers.
2.4. L’application de
la charte
22. L’application de la charte est contrôlée par un comité
d'experts, qui est chargé d’examiner des rapports périodiques présentés
par les Etats parties. Le premier rapport doit être présenté dans
l’année qui suit l’entrée en vigueur de la charte à l’égard de la
partie en question, les autres rapports à des intervalles de trois
ans après le premier rapport
.
Le rapport présenté par l’Etat est examiné par le comité d'experts,
qui prépare un rapport pour le Comité des Ministres, lequel contient
en particulier des propositions de recommandations de ce dernier à
l’intention de l’Etat partie
.
23. Comme l’a souligné M. Stefan Oeter, président du Comité d’experts
de la charte:
«Le rôle du comité d'experts indépendants,
qui est composé principalement de juristes et de linguistes, est
de suivre l’application de la charte dans les Etats contractants
selon des cycles périodiques et d’examiner comment chaque Etat s’acquitte
des obligations qu’il a choisi de contracter en adhérant à la charte.
Ce faisant, le Comité engage un dialogue tripartite constructif
avec l’Etat et les locuteurs afin de parvenir à des résultats effectifs
en matière de protection et de promotion des langues. La charte
exige qu’une législation nationale ainsi que des politiques et des
pratiques linguistiques soient adoptées, en cohérence avec les engagements
concrets choisis par l’Etat, mais aussi avec l’esprit de la charte,
dans l’intérêt des langues régionales ou minoritaires. Le Comité
supervise ce processus.
Aujourd’hui, le Comité peut se prévaloir de dix années
de précieuse expérience en matière de suivi. Il a établi des normes
européennes pour des politiques relatives aux langues minoritaires
fondées sur la charte, en synergie avec les autres organes compétents
du Conseil de l’Europe. La charte, on peut le constater, a notablement
contribué au développement des langues régionales ou minoritaires,
qui font partie intégrante de notre patrimoine culturel européen.
Nous veillerons à ce qu’elle continue à remplir cette mission.»
24. Enfin, tous les deux ans, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe doit présenter à l’Assemblée parlementaire un rapport
détaillé sur l’application de la charte. Les parlementaires peuvent
ainsi exercer la pression politique qui pourrait être nécessaire
pour encourager les gouvernements nationaux à prendre les mesures
adéquates
.
3. Etat des signatures
et ratifications de la charte
3.1. Etats parties et
non parties à la charte
25. A ce jour, la charte a été ratifiée par 25 Etats:
Arménie, Autriche, Bosnie-Herzégovine
, Chypre, Croatie, République tchèque,
Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro,
Pays-Bas, Norvège, Pologne, Roumanie, Serbie, République slovaque,
Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Ukraine et Royaume-Uni. Huit autres
Etats l’ont simplement signée: Azerbaïdjan, France, Islande, Italie,
Malte, Moldova, Fédération de Russie, et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine».
26. Parmi les Etats membres qui
ne
sont pas parties à la charte, on peut distinguer:
a. Les Etats qui se sont engagés à
ratifier la charte lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe
mais qui n’ont pas signé cet instrument: Albanie, Géorgie;
b. Les Etats qui se sont engagés à
ratifier la charte lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe
et qui, à ce jour, ont uniquement signé cet instrument: Azerbaïdjan,
Moldova, Fédération de Russie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine»;
c. Les Etats signataires (sans engagement): France, Islande,
Italie, Malte;
d. Les Etats qui ne se sont pas engagés à ratifier la charte
et qui n’ont ni ratifié ni signé cet instrument: Andorre, Belgique,
Bulgarie, Estonie, Grèce, Irlande, Lettonie, Lituanie, Monaco, Portugal, Saint-Marin,
Turquie.
3.2. Non-ratification
de la charte: analyse des réponses reçues au questionnaire
3.2.1. Etats parties ayant
répondu
27. Sur les 29 délégations ayant répondu à mon questionnaire
,
18 sont parties à la charte et 11 ne le sont pas. L’analyse des
réponses reçues de ces 11 Etats fournit quelques éléments d’information
sur la situation concrète des langues régionales ou minoritaires
dans ces pays et les raisons possibles pour lesquelles ils n’ont pas
ratifié la charte. Ces informations peuvent servir de point de départ
pour une initiative appelant les Etats membres du Conseil de l’Europe
à signer et/ou ratifier la charte.
3.2.2. Existence de langues
correspondant à la définition de la charte
28. Cinq délégations (Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Italie, Lituanie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine») ont
indiqué que plusieurs langues correspondant à la définition d’une
langue minoritaire ou régionale de la charte existent dans leur
pays. Le nombre de ces langues varie de deux à douze selon l’Etat concerné.
La délégation lituanienne a également fait remarquer que certaines
minorités nationales traditionnelles ont leur propre langue en Lituanie.
Néanmoins, ces langues ne peuvent pas – selon la délégation lituanienne
– être considérées comme des langues régionales ou minoritaires
au sens des dispositions de la charte, car seulement quelques personnes
les parlent ou elles ne sont plus utilisées
.
29. Quatre autres délégations (Belgique, Monaco, France, Lettonie)
ont fourni des informations sur l’existence de langues sur leur
territoire, sans préciser exactement si elles correspondent à la
définition indiquée ci-dessus. La Belgique a mentionné trois langues
officielles et Monaco a mentionné le monégasque. La France a signalé
l’existence de 79 langues sur son territoire, y compris les départements
et les territoires d’outre-mer en dehors de l’Europe (DOM-TOM).
La Lettonie a indiqué que l’Etat finance un enseignement dans huit
langues minoritaires.
30. Seules cinq délégations parmi celles ayant indiqué l’existence
de langues régionales ou minoritaires sur leur territoire (Azerbaïdjan,
Bosnie-Herzégovine, Italie, Lituanie et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine») ont répondu à la question «Lesquelles de ces langues
régionales ou minoritaires entreraient uniquement dans le champ
d’application de la partie II de la charte et lesquelles bénéficieraient
d’une protection supplémentaire en vertu de la partie III?»Laplupart
des langues régionales ou minoritaires énumérées entreraient dans
le champ d’application de la partie III. En Bosnie-Herzégovine,
la partie II s’appliquerait à l’une des langues mentionnées et la
partie III à 13 des langues mentionnées. En Italie, la partie III
s’appliquerait à 12 des langues mentionnées, et en Lituanie, les
parties II et III s’appliqueraient aux deux langues mentionnées.
«L’ex-République yougoslave de Macédoine» n’est pas encore en mesure
de dire quelle partie s’appliquerait aux six langues mentionnées.
31. Deux délégations (Andorre et Portugal) ont indiqué qu’aucune
langue régionale ou minoritaire n’est parlée sur leur territoire
.
3.2.3. Degré de compatibilité
de la législation et de la pratique de l’Etat concerné avec les
dispositions de la charte
32. Quatre délégations (Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Italie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine») ont indiqué
que leur législation nationale est en majeure partie conforme aux
dispositions de la charte, bien que ces Etats ne l’aient pas encore
ratifiée.
33. Certaines délégations (Azerbaïdjan, France, Lettonie, Lituanie
et Monaco) ont souligné qu’il était possible d’être scolarisé dans
certaines langues non officielles. En Lituanie, les minorités nationales
ont en outre le droit d’utiliser leur langue maternelle dans leurs
communications avec les autorités administratives. La législation
azerbaïdjanaise prévoit la possibilité d’engager des procédures
judiciaires dans les langues minoritaires. Aussi bien en Lituanie
qu’en Azerbaïdjan, des conditions ont été mises en place pour que
les minorités nationales aient accès aux médias dans leur propre
langue.
3.2.4. Raisons probables
(d’ordre constitutionnel, juridique, procédural, politique ou autre)
ayant, jusqu’ici, empêché la ratification de la charte
34. Selon les réponses, l’une des principales raisons
énumérées pour expliquer la non-ratification de la charte est qu’il
n’y a pas de besoin ou de demande justifiant que la charte ou des
parties de la charte soient ratifiées. Soit parce qu’il n’y a pas
de langue régionale ou minoritaire dans l’Etat concerné (Andorre,
Portugal), soit parce que la langue régionale ou minoritaire n’est
que rarement parlée sur le territoire de l’Etat (Monaco)
. Une
procédure nationale complexe et des difficultés pour trouver un
consensus sur le choix de solutions alternatives sont d’autres facteurs
empêchant la ratification (Bosnie-Herzégovine et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine»). La nécessité de garantir une cohérence avec d’autres
projets de loi ou des conflits avec la Constitution ont également
été cités comme des raisons à la non-ratification (France et «l’ex-République
yougoslave de Macédoine»). En outre, l’Azerbaïdjan a invoqué le
manque de moyens financiers publics pour appliquer la charte si
elle devait être ratifiée.
3.2.5. Efforts déployés
pour résoudre la question de la non-ratification de la charte
35. Il ressort des réponses reçues qu’à l’heure actuelle
très peu d’efforts sont déployés pour résoudre les questions liées
à la non-ratification de la charte. Par exemple, l’Azerbaïdjan a
indiqué ne pas être prêt à ratifier la charte en raison d’un manque
de financement. Toutefois, certaines délégations, telles que la
Bosnie-Herzégovine, l’Italie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine»,
ont indiqué que des mesures ont été prises en vue de ratifier la
charte. En Lituanie, une étude sur la faisabilité d’une adhésion
à la charte devrait être achevée d’ici à fin 2010.
3.2.6. Perspectives de
signature et/ou ratification de la charte dans un avenir proche
36. Etant donné que de nombreux Etats dont les délégations
ont répondu au questionnaire ne font aucun effort pour résoudre
les problèmes empêchant la ratification de la charte, il y a eu
peu de réponses aux questions concernant les perspectives de signature
et/ou de ratification. Cependant, la Bosnie-Herzégovine a indiqué
que de nouvelles consultations avec les commissions parlementaires
des minorités nationales étaient menées et que les mesures nécessaires
visant à la ratification de la charte devaient être adoptées fin
2009. Les perspectives de ratification de la charte par «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» dans un avenir proche étaient assez optimistes,
étant donné qu’un groupe de travail interministériel allait être
mis sur pied afin de promouvoir les langues régionales ou minoritaires.
3.2.7. Besoin de clarification
et/ou d’une aide du Conseil de l’Europe
37. A la question «Souhaiteriez-vous recevoir une aide
du Conseil de l’Europe concernant des aspects particuliers de la
charte ou des difficultés rencontrées lors du processus de ratification
(choix des engagements prévus à la partie III par exemple)?»,sur les 11 délégations n’ayant pas
encore ratifié la charte qui ont répondu, seuls deux Etats ont demandé
des informations supplémentaires. «L’ex-République yougoslave de Macédoine»
a demandé qu’on lui communique les expériences comparatives des
Etats membres en ce qui concerne l’obtention d’un consensus politique
sur ces questions. L’Azerbaïdjan a exprimé la volonté générale de
coopérer avec le Conseil de l’Europe pour ce qui est de la ratification
et de l’application future de la charte.
3.2.8. Conclusions
38. Plusieurs délégations des Etats membres du Conseil
de l’Europe indiquent qu’il n’existe sur leur territoire aucune
langue régionale ou minoritaire et que, par conséquent, il n’est
pas nécessaire qu’ils ratifient la charte. Certains Etats ont admis
l’existence de minorités nationales parlant leur propre langue ou
l’existence d’une langue donnée, mais ils ont refusé de reconnaître
la nécessité d’appliquer la charte parce que ces langues sont rarement
parlées. L’importance de la charte pour ces langues déjà rarement
parlées doit être soulignée dans ce contexte.
39. Seul un petit nombre des délégations ayant répondu au questionnaire
font des efforts pour ratifier la charte. Des efforts supplémentaires
sont nécessaires pour convaincre les Etats de l’importance de procéder
à cette ratification.
40. Certaines délégations ont demandé des informations sur l’expérience
d’autres Etats en ce qui concerne l’application de la charte. Il
est certain que la promotion de bonnes pratiques encouragerait les
Etats à réexaminer la ratification de la charte.
41. Etant donné le très petit nombre de délégations d’Etats non
parties à la charte (11 sur 23) ayant répondu au questionnaire,
davantage d’informations, particulièrement de la part des autres
Etats membres qui n’ont pas ratifié la charte, seraient nécessaires
pour avoir une image complète de la situation.
4. Application de
la charte: analyses des réponses reçues au questionnaire
4.1. Concernant la question
de savoir si la charte a été invoquée dans le cadre de procédures judiciaires
ou par le(la) médiateur(trice) («ombudsperson»)
42. Les réponses montrent que les autorités nationales
se réfèrent à la charte de différentes manières et dans différents
contextes. Cinq délégations d’Etats parties (Allemagne, Arménie,
République tchèque, Hongrie et Ukraine) ont indiqué que la charte
avait été invoquée dans le cadre de procédures internes. En outre,
en République tchèque, la charte a également été invoquée par le
médiateur
. De même, à Chypre et en Slovénie,
la médiatrice et le médiateur se sont référés à la charte dans leurs
rapports datant respectivement de 2009 et 2007. La médiatrice chypriote
a aussi conseillé le ministère de l’Education et de la Culture en
ce qui concerne la mise en place de cours de langue optionnelle
de langue arabe maronite de Chypre dans les écoles primaires, à
la suite d’une demande présentée par le groupe religieux maronite.
43. Dans certains Etats parties (Croatie, Finlande et Roumanie),
où la charte elle-même n’a pas été invoquée dans le cadre d’une
procédure judiciaire, des instruments juridiques nationaux de mise
en œuvre de la charte ont été mentionnés dans plusieurs procédures.
Le médiateur finlandais a, par exemple, invoqué ces instruments
nationaux dans ses réponses à des plaintes liées à l’usage ou au
non-usage du suédois ou du same.
44. Par conséquent, les litiges dans le cadre desquels la charte
a été invoquée portaient notamment sur des questions liées à l’enseignement
,
aux services publics
ou aux procédures
judiciaires
.
En Suède, la charte a été mentionnée par le médiateur dans le cadre
de procédures judiciaires, ce qui a constitué un contexte historique
pour l’adoption d’une législation relative à la protection des minorités.
45. La situation en Ukraine, s’agissant de l’application de la
charte, semble particulièrement préoccupante. La charte n’a pas
été appliquée par des tribunaux ukrainiens, alors même que les demandeurs
s’étaient directement référés à la nécessité d’utiliser ses dispositions.
Si les tribunaux ukrainiens et le médiateur n’ont pas invoqué les
dispositions de la charte dans leurs procédures, c’est parce qu’elles
ne sont pas admises dans la législation.
4.2. Concernant la question
de savoir si la mise en œuvre de la charte fait l’objet d’un débat politique
46. Il existe des débats politiques à l’échelon national
ou régional au sujet de la charte dans 13 Etats parties (Arménie,
Croatie, République tchèque, Finlande, Allemagne, Norvège, Serbie,
République slovaque, Slovénie, Suède, Suisse, Ukraine et Royaume-Uni).
Ces débats concernent l’élaboration de lois et de mécanisme nationaux
pour une meilleure protection des langues régionales ou minoritaires
(Croatie, République tchèque, République slovaque, Slovénie, Suède
et Suisse). Les autres sujets débattus ont trait à la situation
des langues minoritaires (Finlande) ou aux domaines administratifs
géographiques pour les langues minoritaires (Suède, Norvège). Il
y a eu également des débats concernant des tendances régressives telles
que la fermeture d’établissements d’enseignement secondaire (sorbien)
en Allemagne ou le retrait de la charte en Ukraine.
4.3. Concernant la question
d’éventuelles difficultés d’application de la charte et du besoin
de recevoir des clarifications sur des aspects particuliers et/ou
une aide du Conseil de l’Europe concernant les recommandations adoptées
par le comité d'experts et le Comité des Ministres
47. Six délégations d’Etats parties ont expressément
signalé des difficultés dans l’application de la charte (Arménie,
Finlande, République tchèque, Serbie, Suisse et Ukraine). Parmi
les difficultés rencontrées, on notera des problèmes dans l’adoption
d’une loi relative aux minorités (Arménie), certaines violations
de la charte à l’échelle locale (République tchèque), la recherche
d’un équilibre entre la promotion d’une langue régionale ou minoritaire
et son usage quotidien ou les coûts de traduction (Suisse), l’existence
de langues minoritaires non codifiées (Serbie) et la non-application
de la charte par les pouvoirs publics (Ukraine).
48. Dans sa réponse, la Finlande n’a pas mentionné directement
des difficultés, mais elle a fait remarquer qu’il pourrait y avoir
des problèmes pour la présentation de rapports périodiques. Elle
a également mentionné le fait que le Parlement saami se plaint de
ne pas être suffisamment informé au sujet de la charte. De même, la
Hongrie n’a pas indiqué directement rencontrer des difficultés,
mais elle a mentionné certains domaines (police, programmes destinés
aux minorités dans les médias publics) qui révèlent des lacunes
en ce qui concerne l’application de la charte.
49. Trois délégations d’Etats parties (Croatie, Serbie et Ukraine)
ont formulé des demandes de clarification et de meilleures pratiques.
Ces demandes portaient sur la question d’un mécanisme approprié
pour déterminer le champ d’application territorial de la charte
(Croatie) et la manière de traiter les langues minoritaires non codifiées
(Serbie). L’Ukraine a demandé des explications sur le champ d’application
de la charte, le mécanisme pour déterminer les langues régionales
ou minoritaires et d’autres questions concernant l’application de
la charte.
50. Trois délégations d’Etats parties (République tchèque, Suisse
et Suède) ont signalé que des réformes visant à améliorer l’application
de la charte étaient en cours.
4.4. Conclusions
51. Le fait que la charte ait été invoquée de différentes
manières et dans différentes situations montre qu’il existe actuellement
une demande pour la protection des langues régionales ou minoritaires,
particulièrement dans le domaine de l’enseignement et des services
publics. En outre, il va de soi que l’enseignement dans les langues
régionales ou minoritaires est particulièrement important pour la
survie de ces langues.
52. Les débats politiques sur l’application de la charte dans
plusieurs Etats parties indiquent que le processus d’application
est toujours en cours. Ces débats révèlent certains défis dans ce
processus. En fait, il existe un certain nombre de difficultés dans
l’application de la charte qu’il convient de surmonter. Un échange d’expériences
et de meilleures pratiques entre les Etats parties, particulièrement
en ce qui concerne les mécanismes utilisés pour déterminer quelles
langues sont protégées en vertu de la charte, serait certainement utile.
4.5. La situation de
la minorité istro-roumaine en Croatie: un exemple de protection
nécessaire des langues
53. Dans sa réponse au questionnaire concernant la charte,
la Croatie n’a pas mentionné la minorité istro-roumaine. Elle ne
considère pas la langue istro-roumaine comme relevant du champ d’application
de la charte. La minorité istro-roumaine, qui serait composée de
500 à 1 500 membres résidant dans huit villages en Istrie (Croatie)
, n’a pas été reconnue officiellement
par la Croatie.
54. Le 12 octobre 2006, la Croatie a présenté son troisième rapport
périodique sur la charte. Dans son rapport d’évaluation, le comité
d'experts a fait savoir qu’il souhaiterait avoir des informations
sur la langue istro-roumaine dans le prochain rapport périodique.
En réponse à cette demande, les autorités croates, dans leurs commentaires
au troisième rapport périodique, ont déclaré ceci: «En ce qui concerne
la langue istro-roumaine, nous avons le plaisir de vous informer
qu’en septembre 2007, le ministère de la Culture a rendu une décision par
laquelle la langue istro-roumaine s'est vu attribuer le statut de
bien culturel non matériel, et qu’elle figure à ce titre dans le
Registre des biens culturels de la République de Croatie – la liste
des biens culturels protégés. Il est ainsi démontré que la Croatie
accorde la plus grande attention à la protection de tous les aspects
de la diversité culturelle, notamment la protection des langues
minoritaires.»
55. Ainsi, la protection de la langue istro-roumaine, qui semble
menacée d’extinction, demande une plus grande attention. La reconnaissance
officielle de la minorité istro-roumaine par la Croatie et sa protection
en vertu de la charte sont nécessaires afin de garantir que cette
langue soit pleinement protégée. J’espère que le rapport à venir
du comité d'experts prendra ces remarques en considération.
5. Conclusion
56. La charte est un instrument unique dans le domaine
de la protection des langues et des minorités nationales. D’où la
déception que seulement la moitié des Etats membres du Conseil de
l’Europe aient adhéré à cette convention. Je pense que l’Assemblée
devrait appeler à nouveau les Etats membres – plus précisément les
parlements nationaux – à ratifier la charte sans plus tarder, nonobstant
les raisons invoquées empêchant la ratification. La charte, si elle
est bien appliquée, est un instrument important qui peut arrêter
le processus d’extinction de certaines langues dans des régions
où elles sont traditionnellement parlées depuis des siècles.
57. Les résultats du questionnaire montrent qu’il y a également
certains problèmes d’application de la charte dans les Etats membres
qui l’ont ratifiée. Les Etats devraient par conséquent faire plus
d’efforts pour s’acquitter des obligations que leur impose la ratification
de cet instrument et mieux échanger les informations entre eux et
avec le Conseil de l’Europe.
58. Je souhaite également rendre hommage au travail précieux accompli
par le comité d'experts et à sa contribution pour la protection
et la promotion des langues régionales ou minoritaires, en coopération
avec plusieurs acteurs de la société civile. Cependant, je tiens
aussi à mettre l’accent sur les problèmes pratiques que cet organe
rencontre dans ses activités quotidiennes, en raison des ressources
insuffisantes de son secrétariat et des retards pour obtenir certains
documents des Etats parties. A nouveau, l’Assemblée devrait appeler
les Etats membres à renforcer le comité d'experts. En outre, la
coopération avec d’autres organisations européennes, telles que
l’Union européenne, serait également utile pour promouvoir la ratification
de la charte et sa bonne application.
59. Je souhaiterais enfin rappeler dans ce contexte qu’en janvier
2010, M. Thomas Hammarberg, le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, a fait remarquer que «les droits linguistiques
sont devenus un sujet de discorde dans plusieurs pays européens.
Ne pas les respecter, c’est bafouer les droits de l’homme et créer
des tensions intercommunautaires»
. Le
commissaire a souligné que la langue est un vecteur essentiel de
l’organisation sociale et une composante essentielle de l’identité
individuelle, et que les gouvernements européens devraient davantage
prendre en compte les besoins des minorités. De ce fait, la ratification
de la charte constitue la reconnaissance de la diversité culturelle
et linguistique européenne et, en réduisant les tensions entre les
différents groupes linguistiques, elle contribue à maintenir la
paix et la stabilité en Europe.