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Résolution 2090 (2016)
Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe
1. L’Assemblée parlementaire est de
plus en plus préoccupée par le terrorisme international, qui a fait
ces dernières années un nombre considérable de victimes innocentes
dans le monde entier, en particulier dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe et leurs voisins directs. En 2015, 625 personnes ont
été assassinées et plus de 800 autres blessées lors de huit attentats
terroristes en France, en Turquie, en Egypte, en Irak, au Liban
et en Tunisie. En 2016, plusieurs dizaines de personnes ont déjà
été tuées dans des attentats terroristes en Turquie, au Burkina
Faso et en Indonésie.
2. Tous ces attentats terroristes ont été revendiqués par des
groupes terroristes se disant «islamiques». Daech est responsable
des récents attentats terroristes en Europe et dans son voisinage
immédiat; Boko Haram est, quant à lui, celui qui a tué le plus grand
nombre de personnes innocentes. D’autres groupes terroristes, se
revendiquant eux aussi de l’islam, dont Al-Qaïda et Al-Shabaab,
ont également fait parler d’eux ces dernières années.
3. L’Assemblée insiste sur les conséquences dramatiques de ces
attentats et menaces terroristes sur les individus comme sur nos
sociétés. Au-delà de la tragédie qui frappe des innocents tués,
blessés et traumatisés, l’agitation, la méfiance et la peur croissantes
déstabilisent nos sociétés. En outre, les contre-mesures peuvent
aboutir à des abus et à des restrictions disproportionnées des libertés
individuelles, et aussi mobiliser une part importante des finances
publiques qui ne peut être utilisée à d’autres fins.
4. Rappelant sa Résolution
2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble,
pour une réponse démocratique», l’Assemblée répète que tous ces
massacres terroristes cités ci-dessus visaient les valeurs mêmes
de la démocratie et de la liberté en général, le type de société
que notre Organisation paneuropéenne s’attache à bâtir depuis la
fin de la seconde guerre mondiale.
5. L’Assemblée réaffirme une nouvelle fois qu’elle condamne avec
force tous les actes de terrorisme. Rien ne saurait les justifier.
L’Assemblée rejette toute tentative de trouver des excuses aux attaques
terroristes, car elles vont complètement à l’encontre de l’esprit,
des normes et des valeurs consacrés par la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5).
6. L’Assemblée se réjouit des formes diverses et variées sous
lesquelles individus, groupes et sociétés ont protesté l’an dernier
contre les actes de terrorisme. Elle rappelle que, le 11 janvier
2015, environ 2 millions de personnes, dont plus d’une quarantaine
de dirigeants venus du monde entier, se sont réunies à Paris pour
une marche de l’unité, et que 3,7 millions de personnes se sont
associées à des manifestations dans toute l’Europe et dans le reste
du monde.
7. L’Assemblée rejette avec force l’utilisation abusive du terme
«islamique» dont se prévalent des organisations criminelles terroristes.
Ni Daech ni des groupes terroristes similaires n’ont le moindre
droit de déclarer qu’ils agissent au nom de l’islam, ou qu’ils représentent
la communauté musulmane. Au contraire, à ce jour, la majorité de
leurs victimes sont des musulmans, qui ont été et sont toujours
terrorisés, abusés, exploités, torturés et massacrés par ces groupes
terroristes, qui bafouent de surcroît leur religion en se revendiquant
abusivement de l’Islam.
8. L’Assemblée reconnaît la situation inconfortable dans laquelle
ces attentats placent les musulmans et appelle les dirigeants politiques
à être particulièrement attentifs, lorsqu’ils condamnent ces attentats,
à éviter les généralisations stigmatisantes qui font peser sur des
groupes entiers de populations la responsabilité d’actes commis
par des individus. Dans le même temps, elle encourage les dirigeants
et intellectuels musulmans à condamner publiquement, sans ambiguïté
et en permanence, l’instrumentalisation honteuse de leur religion
par des assassins fanatiques dont le but est d’intimider les populations
et les Etats en utilisant tous les types de violence à l’encontre
de personnes innocentes. Elle appelle les dirigeants musulmans à
souligner que les musulmans, tout comme les croyants d’autres religions,
tirent largement avantage de la protection de leurs droits et libertés
par la Convention européenne des droits de l’homme, et que, pour
cette raison également, leurs communautés devraient défendre avec
détermination et publiquement les normes et les valeurs du Conseil
de l’Europe contre les terroristes qui les menacent.
9. Après les récents attentats terroristes, bon nombre de personnalités
politiques ont déclaré être en guerre contre Daech. Or, ceux qui
commettent des actes terroristes ne sont pas des soldats d’une armée représentant
un quelconque Etat ou une organisation internationale, mais des
criminels impitoyables qui commettent des crimes odieux contre des
personnes innocentes afin de déstabiliser nos sociétés. Rappelant sa Résolution 1840 (2011) sur
les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, l’Assemblée
réaffirme que le concept de «guerre contre la terreur» est fallacieux
et de peu d’utilité, et qu’il pourrait donc menacer l’ensemble du
cadre des droits de l’homme internationaux.
10. L’Assemblée rappelle que les démocraties ont le droit inaliénable,
et l’obligation indissociable, de se défendre lorsqu’elles sont
attaquées. Elle estime donc que la lutte contre le terrorisme doit
être renforcée, tout en garantissant le respect des droits de l’homme,
de l’Etat de droit et des valeurs communes défendues par le Conseil
de l’Europe. Elle souligne que la lutte contre le terrorisme et
la protection des normes et des valeurs du Conseil de l’Europe ne
sont pas contradictoires, mais complémentaires.
11. Tout en reconnaissant que les Etats membres ont besoin d’accéder
à suffisamment d’instruments juridiques pour combattre efficacement
le terrorisme, l’Assemblée prévient qu’il y a un risque que des
mesures de contre-terrorisme entraînent des restrictions disproportionnées
ou sapent le contrôle démocratique, violant ainsi les libertés fondamentales
et la prééminence du droit, au nom de la sauvegarde de la sécurité
intérieure.
12. A cet égard, l’Assemblée se fait l’écho des préoccupations
exprimées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe lorsque la France a décidé, en novembre 2015, de déclarer
l’état d’urgence et, plus tard, de le prolonger. Elle se fait également
l’écho des préoccupations du Comité des Nations Unies pour l’élimination
de la discrimination raciale, selon lequel, en Turquie, «dans le
contexte de la lutte contre le terrorisme, l’adoption de dispositions
législatives contre le terrorisme et l’application de politiques
axées sur la sécurité auraient abouti à un profilage racial de membres
de la communauté kurde». L’Assemblée appréhende que le durcissement
sécuritaire se propage à d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
13. L’Assemblée est également préoccupée par le fait que, en dépit
de l’adoption mondiale, en 1999, de la Convention des Nations Unies
pour la répression du financement du terrorisme et de l’entrée en
vigueur, en 2008, de la Convention du Conseil de l’Europe relative
au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198),
il a été impossible, jusqu’à présent, de couper les flux financiers
vitaux de Daech, qui demeure donc l’organisation terroriste la plus
riche de tous les temps; elle est en mesure de vendre du pétrole,
du gaz et des objets archéologiques volés, et d’encaisser ainsi
des dizaines de millions de dollars chaque mois.
14. Se référant aussi à sa Résolution
2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et
en Irak, l’Assemblée se félicite de l’adoption par le Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe du Protocole additionnel à la Convention
pour la prévention du terrorisme (STCE n° 217) sur les combattants
terroristes étrangers, comme elle l’avait préconisé dans sa Résolution 2031 (2015).
15. Elle se félicite également de la proposition de directive
du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre le
terrorisme.
16. L’Assemblée invite par conséquent les parlements et les gouvernements
des Etats membres, dans leur lutte contre le terrorisme:
16.1. à s’assurer que, lors de l’adoption
et de l’application de dispositions législatives ou autres mesures
administratives, un juste équilibre soit trouvé pour, d’un côté,
défendre la liberté et la sécurité, et, de l’autre, éviter de violer
ces mêmes droits;
16.2. à limiter l’état d’urgence au strict minimum dans le temps
et dans l’espace, que cet état soit déclaré en vertu de l’article
15 de la Convention européenne des droits de l’homme ou qu’il résulte
d’une situation de fait sur tout ou partie de leur territoire;
16.3. à veiller à ce que les autorités policières n’abusent
pas de leurs pouvoirs ni ne contournent les exigences légales de
base, et à ce qu’ils ne restreignent pas de manière disproportionnée
les libertés individuelles, conformément à la Convention européenne
des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme; toute décision administrative prise dans
ce contexte devrait toujours être soumise à un contrôle judiciaire;
16.4. à veiller à ce qu’il n’y ait pas de profilage ethnique
ou racial de suspects faisant l’objet de perquisitions, de saisies,
d’arrestations ou autres mesures coercitives;
16.5. à veiller à ce qu’un contrôle démocratique efficace soit
exercé par le parlement et par d’autres acteurs indépendants, tels
que les institutions nationales des droits de l’homme et la société
civile;
16.6. à veiller à doter les autorités policières, les services
de sécurité et de renseignement de moyens appropriés, et à former
leurs personnels pour faire face à la menace croissante de terrorisme,
y compris aux nouveaux défis que pose la menace dite «djihadiste»;
16.7. à faire en sorte que les services de renseignement évitent
toute surveillance massive indiscriminée, qui s’est révélée inefficace,
et qu’ils intensifient au contraire leur collaboration; la collaboration
avec d’autres démocraties ainsi qu’avec des pays du Proche-Orient
et du monde arabe est également déterminante;
16.8. à faire en sorte que les registres nationaux pertinents
liés aux infractions terroristes ainsi que les informations sur
les passagers aériens constituant une menace pour la sécurité soient
partagés, sous réserve de garanties appropriées concernant la protection
des données;
16.9. à faire en sorte de couper les flux financiers vitaux
du terrorisme international et du trafic d’armes, grâce notamment
à la mise en œuvre effective des conventions des Nations Unies et
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre le financement du terrorisme.
17. L’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à suivre les mesures de contre-terrorisme prises par les Etats membres
et à en évaluer la nécessité et la proportionnalité, le cas échéant,
dans le cadre d’une enquête en vertu de l’article 52 de la Convention
européenne des droits de l’homme, et à tenir l’Assemblée régulièrement
informée.
18. En vue de renforcer l’action juridique contre le terrorisme,
l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe et les
pays de son voisinage qui ne l’ont pas encore fait à signer et à
ratifier en priorité la Convention du Conseil de l’Europe pour la
prévention du terrorisme (STCE no 196)
et son nouveau protocole additionnel.
19. L’Assemblée souligne que les préoccupations soulevées par
les réponses répressives au terrorisme ne doivent pas faire perdre
de vue la nécessité pour nos sociétés d’œuvrer également sans relâche
à l’inclusion de tous leurs membres. Elle invite vivement les Etats
membres à faire tout leur possible pour éradiquer les terrains propices
au terrorisme et au fanatisme religieux, en particulier par l’éducation,
les politiques sociales et une société inclusive. Des mesures concrètes
devraient être prises pour prévenir et combattre la radicalisation,
en particulier dans les écoles, les quartiers défavorisés, les prisons,
sur internet et sur les réseaux sociaux, en conformité également
avec la Résolution 2031
(2015) de l’Assemblée.
20. L’Assemblée se félicite de la mise en œuvre à ce jour du Plan
d’action sur «la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation
conduisant au terrorisme», adopté en mai 2015 par le Comité des
Ministres, qui prévoit un certain nombre d’activités ciblées pour
soutenir et renforcer les initiatives des Etats membres aux niveaux
national et international. Relevant que la mise en œuvre pleine
et entière de ce plan d’action dépend de ressources extrabudgétaires,
l’Assemblée invite les Etats membres à envisager le versement de contributions
volontaires à cette fin.
21. Enfin, pour permettre notamment au législateur d’appréhender
correctement l’aspect constitutionnel de la question, l’Assemblée
prie la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) de rédiger un avis sur la compatibilité du projet de
révision de la Constitution française – visant à constitutionnaliser
les dispositions relatives à l’état d’urgence et à la déchéance
de nationalité – avec la Convention européenne des droits de l’homme
et les normes du Conseil de l’Europe.