1. Introduction
1. En septembre 2003, la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme a été saisie d’une proposition
de recommandation présentée par M. Bindig et plusieurs de ses collègues
demandant
que l’on réalise une évaluation précise des implications de l’utilisation
des moyens de vidéosurveillance et de leur impact sur le niveau
de la criminalité dans les Etats membres.
2. Le 27 avril 2004, la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme a nommé Mme Maria Aduarda
Azevedo (Portugal, PPE/DC) rapporteuse sur cette question, succédant
à M. Ignasi Guardans qui quittait l’Assemblée parlementaire.
3. Le 23 mai 2005, la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme a nommé M. Yuri Sharandin (Fédération de Russie,
GDE) rapporteur sur cette question.
4. La vidéosurveillance désigne les systèmes techniques et électroniques
permettant d’assurer la surveillance à distance des biens et des
personnes au moyen de caméras vidéo (caméras de télévision en circuit
fermé – TVCF). Le développement de cette technologie est venu en
réponse au sentiment d’insécurité croissant de l’opinion publique
face à la hausse de la criminalité et de la délinquance, et à la
demande exprimée auprès des autorités publiques d’un renforcement
de la prévention et de la répression des infractions. Le contexte
actuel de recrudescence des actes de terrorisme en Europe ne peut
qu’alimenter encore l’angoisse sécuritaire de l’opinion publique
et n’est pas vraiment de nature à favoriser une inversion de la
tendance.
5. La question soulevée ne manquera pas, comme on peut s’y attendre
dès lors qu’une innovation technologique touche aux libertés individuelles
et à la vie privée, de soulever arguments et commentaires opposés.
Il est clair que certains stigmatiseront les risques d’utilisation
abusive de cette technologie, au nom du strict respect des droits
de l’individu, de sa dignité et de sa vie privée, et fustigeront
l’utopie du «tout sécuritaire», quitte à agiter le spectre orwellien
du Big Brother. D’autres, au contraire, prôneront la nécessaire limitation
de ces droits et libertés individuels au nom de l’intérêt général,
de la sécurité publique et de la protection de l’ordre public.
6. Au final, la commission devra répondre à cette question: quelle
est l’utilité sociale de la vidéosurveillance? Il s’agit en effet
de déterminer si l’usage de cette technologie répond bien aux besoins
de nos sociétés et si les législations et réglementations en vigueur
garantissent un juste équilibre entre le respect des droits de la
personne et des libertés publiques et la limitation de ces mêmes
droits, par application du principe de proportionnalité.
7. Le Conseil de l’Europe a été sur cette question particulièrement
actif, notamment en adoptant des principes directeurs pour la protection
des personnes par rapport à la collecte et au traitement de données
au moyen de la vidéosurveillance (rapport adopté par le Comité européen
de coopération juridique (CDCJ) en mai 2003, reproduit en annexe).
8. Pour élaborer ce rapport, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme a organisé le 3 octobre 2006 un échange
de vues avec M. Paul Wille, sénateur belge, membre de l’Assemblée.
M. Wille a donné des précisions sur le processus législatif relatif
à la vidéosurveillance en Belgique où un projet de législation était
alors en cours d’examen.
9. A la suite de cet échange de vues, la commission a décidé
de demander à la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) de rendre un avis sur la compatibilité
de la vidéosurveillance avec les droits de l’homme fondamentaux.
La commission s’est notamment intéressée à la question suivante:
«A partir de quel moment l’observation normale des gens dans les
lieux publics (par des autorités, des institutions ou de simples
particuliers) devient-elle un problème juridique et politique du
fait que des caméras de surveillance sont utilisées, parfois en
réseau?»
10. La Commission de Venise a adopté cet avis lors de sa 70e session
plénière (16 et 17 mars 2007) sur la base des observations de MM. Pieter
Van Dijk, Vojin Dimitrijevic et Giovanni Buttarelli
.
11. Un avis complémentaire sur la vidéosurveillance dans les sphères
publiques et privées par des opérateurs privés et dans la sphère
privée par les autorités publiques et la protection des droits de
l’homme a été adopté lors de la 71e session
plénière de la Commission de Venise (1er et
2 juin 2007)
.
2. Une technologie banalisée
12. Les premiers systèmes de vidéosurveillance
sont apparus à la fin des années 1950 et leur développement a été
dopé par l’invention en 1956 de la cassette vidéo. Leur utilisation
par des personnes privées s’est généralisée et considérablement
banalisée dans les trois décennies suivantes en tant que moyens
de surveillance de locaux privés, qu’ils soient accessibles ou non
au public, permettant de contrôler la circulation des personnes
aux abords, à l’entrée et à l’intérieur des immeubles: commerces
de luxe, centres commerciaux, banques, immeubles d’habitation, etc.
Ils se sont étendus à la surveillance des lieux de travail et des
lieux de loisirs culturels et sportifs. De nos jours, les citoyens
sont parfaitement familiarisés avec ces systèmes de surveillance,
d’autant mieux acceptés qu’ils répondent à la demande d’un public
soucieux de tranquillité et de sécurité.
13. On considère que le Royaume-Uni à lui seul – la patrie d’Orwell
paradoxalement – compte 4 millions de caméras de surveillance, soit
10 % des caméras de surveillance dans le monde, ce chiffre ayant
quadruplé en trois ans. 85 % des municipalités du Royaume-Uni sont
équipées de réseaux de vidéosurveillance. On estime qu’environ 10
millions de vidéocassettes sont enregistrées chaque jour. Un citoyen
britannique serait filmé en moyenne plus de 500 fois par semaine,
et un Londonien 300 fois par jour!
14. Une étude conduite dans le cadre du projet Urbaneye de la
Commission européenne
et
publiée au printemps 2004 révèle que 90 % des Britanniques interrogés
sont favorables à ces dispositifs (contre 48 % des Allemands et
24 % des Autrichiens interrogés). 47 % des Londoniens croient que
la vidéosurveillance protège contre la criminalité contre seulement
4 % des Viennois.
15. Ainsi que le montrent les enquêtes ou les sondages d’opinion
qui font apparaître des différences de perception selon les pays,
la question du degré d’acceptation ou de tolérance de ces systèmes
revêt un aspect éminemment culturel. Par ailleurs, il n’est pas
certain que la population tolère la vidéosurveillance de la même manière
selon qu’elle est utilisée dans un lieu privé ou dans un lieu public.
16. Une enquête conduite en France en 1996 montre que l’acceptabilité
sociale varie selon les applications. Seulement 9 % des personnes
interrogées considéraient la présence de caméras dans les parkings
et les magasins comme une atteinte à la vie privée; en revanche,
51 % estimaient que la diffusion, à leur insu, d’une image prise
dans un lieu public constituait une atteinte grave à leur vie privée.
A l’inverse, au Royaume-Uni, la majorité de la population accepte
de faire davantage de concessions sur ses droits fondamentaux dans
un but sécuritaire.
17. A partir des années 1980 et surtout dans les années 1990,
la vidéosurveillance a quitté l’espace privé ou semiprivé pour envahir
l’espace public. De plus en plus d’organismes publics ont recours
à des systèmes de vidéosurveillance pour assurer le contrôle des
lieux et bâtiments publics: bâtiments administratifs, installations
de défense nationale, prisons, musées, écoles, universités, gares,
aéroports, hôpitaux, mais aussi surveillance des frontières.
18. Mais c’est surtout dans le domaine des transports publics
et de la régulation de la circulation routière que les moyens de
vidéosurveillance ont connu un développement rapide. Le périphérique
de Bruxelles est équipé de caméras depuis 1993. Les principaux tunnels
des Alpes, d’Espagne et des pays scandinaves sont également équipés.
Mais si la vidéosurveillance permet d’assurer la régulation du trafic
et la sécurité sur les voies à grande circulation et les carrefours
sensibles, elle permet également d’identifier les contrevenants
au Code de la route. A Londres, dont l’équipement en caméras a débuté
depuis 1974, l’installation, en 2003, du système de péage urbain
pour pénétrer dans la ville s’est accompagnée de la mise en place
de quelque 700 caméras de contrôle des plaques minéralogiques.
19. Plusieurs pays ont également mis en place des systèmes de
surveillance dans les moyens de transport public: 5 000 caméras
surveillent la totalité des voies, quais et couloirs du métro de
Paris. Les réseaux de métros d’Amsterdam, de Stockholm, de Bucarest,
de Bruxelles et de Vienne, notamment, sont également équipés en
vidéosurveillance. En Suisse, les Chemins de fer fédéraux ont mis
en place en 2003 un réseau de vidéosurveillance de leurs installations
ferroviaires et des trains. L’aéroport de Francfort est équipé de
2 000 caméras. La vidéosurveillance équipe également plus de 40
gares allemandes.
20. En France, la décision prise en 2003 de mettre en place un
système de caméras numériques de surveillance aux points d’entrée
et aux abords de quelque 90 collèges de la banlieue parisienne a
soulevé un tollé. Pourtant, au Royaume-Uni, plus de 100 écoles sont
équipées. C’est également le cas pour les écoles de trois villes
du Danemark. Les universités de Cologne, d’Edimbourg, de Dundee,
de Cardiff, de Porto et d’Eindhoven, par exemple, possèdent également
des équipements de vidéosurveillance.
21. La vidéosurveillance devrait faire également irruption dans
les prétoires, le Royaume-Uni envisageant d’installer des caméras
dans certaines cours d’appel du pays.
3. Vidéosurveillance et efficacité
de la lutte contre la criminalité: une équation contestée
22. L’installation dans les lieux
publics de caméras de surveillance est la réponse des autorités
publiques au sentiment d’insécurité des citoyens et à leur demande
d’une meilleure prévention et d’une plus grande répression de la
criminalité. La prolifération de ces systèmes répond à des impératifs
sécuritaires: lutter contre la recrudescence des vols, des agressions
physiques, du vandalisme, des cambriolages, du trafic de stupéfiants,
de la prostitution, etc.
23. Il est clair que l’utilisation de la vidéosurveillance a des
applications principalement policières et sert de moyen d’identification
visuelle des personnes.
24. La technologie est-elle la clé de la sécurité dans les lieux
publics? Les différentes études sur l’impact de la vidéosurveillance
sur la délinquance sont en fait pour la plupart contradictoires.
25. Il est vrai que de nombreux exemples démontrent une certaine
efficacité de la vidéosurveillance dans la lutte contre la criminalité.
Ainsi c’est souvent une caméra de surveillance qui permet l’identification
et l’arrestation des criminels et délinquants.
26. L’utilisation de la vidéosurveillance a contribué avec une
efficacité impressionnante à l’arrestation des terroristes qui prévoyaient
de perpétrer un attentat à la bombe dans le centre de Londres, fin
juin 2007. Auparavant, la vidéosurveillance avait révélé son extrême
importance lorsqu’il s’était agi d’établir les responsabilités dans
les attentats terroristes du métro de Londres, en juillet 2005.
En effet, les enregistrements vidéo sur lesquels on voyait les six
hommes accusés d’avoir préparé les attentats (qui ont fait 25 morts
et 700 blessés) ont été utilisés lors de leur procès. Le 21 juillet
2005, la police a fait savoir que quatre autres terroristes avaient
tenté de faire exploser des bombes dans le métro londonien. Ces
quatre hommes ont été arrêtés grâce à la diffusion de vidéos sur
lesquelles ils apparaissaient.
27. Chacun garde aussi en mémoire le tragique assassinat, dans
un grand magasin de Stockholm, en septembre 2003, de la ministre
suédoise des Affaires étrangères, Anna Lindh; l’identification et
l’arrestation de son meurtrier ont été possibles grâce à la vidéosurveillance.
Un fait divers plus récent a eu lieu en avril 2006 avec l’assassinat
de Joe Van Holsbeeck à Bruxelles. Ce jeune homme de 17 ans a été
poignardé à mort à la gare très fréquentée de Bruxelles-Central.
Cette affaire a montré comment la police s’était servie des caméras de
vidéosurveillance pour identifier les agresseurs et reconstituer
leurs mouvements avant et après le meurtre de Van Holsbeeck.
28. Quelques chiffres tirés d’une enquête française de 1998 vont
dans ce sens: dans les agences de banque soumises à la vidéosurveillance,
50 % des voleurs sont identifiés et arrêtés dans les deux ans qui
suivent. Dans le métro parisien, 83 % des incidents sont détectés
grâce aux caméras de surveillance et le nombre des interpellations
a augmenté de 36 %. De même, dans une commune anglaise de 10000
habitants, où six caméras surveillent le centre-ville, le nombre
de délits est passé de 137 en 1991 à 37 en 1992. A Monaco, truffée
de caméras, le taux de criminalité est trois fois inférieur à celui
des Alpes-Maritimes voisines.
29. La Commission de Venise note aussi qu’en raison de l’ampleur
des progrès de la technologie, «la vidéosurveillance, à plusieurs
égards, est beaucoup plus efficace que l’observation humaine» mais
elle conclut toutefois que la vidéosurveillance pourrait être bien
plus attentatoire aux droits de l’homme que l’observation humaine
.
Cela découle notamment de la possibilité de stocker les images et
de les transmettre facilement par voie électronique, ce que ne permet
pas l’observation humaine.
30. A l’inverse, d’autres études démontrent une inefficacité de
la vidéosurveillance en matière de lutte contre la criminalité.
Ainsi la vidéosurveillance dans le métro parisien n’a été d’aucun
secours dans la lutte contre le terrorisme. La commune de Levallois-Perret
est un exemple remarquable d’inefficacité de la vidéosurveillance: ses
rues sont parmi les plus surveillées de France et on constate pourtant
une augmentation significative de la délinquance.
31. On ne peut donc rien conclure de définitif quant à l’efficacité
d’un tel système, et l’un des experts en la matière, le professeur
Jason Ditton, directeur du Scottish Centre for Criminology de Glasgow,
affirme que rien ne prouve que la vidéosurveillance ait un impact
sur le taux de criminalité. Les études conduites dans les années
1990 par le Scottish Centre for Criminology tendent en effet à relativiser
l’impact de la vidéosurveillance sur le niveau de la criminalité
et le réflexe sécuritaire des citoyens
.
33. La même technologie associant un système de vidéosurveillance
à un dispositif de reconnaissance faciale a également été expérimentée
aux Etats-Unis par la ville de Tampa en Floride, en janvier 2001,
à l’occasion du Super Bowl (finale du championnat de football américain).
Cette expérience a été critiquée par l’ACLU (American Civil Liberties
Union) qui, dans une étude
, concluait que cette
technique n’était pas assez fiable pour justifier une mise en application
représentant de nombreuses menaces pour la vie privée. Il est vrai que
ce système a permis de signaler à plusieurs reprises la présence
du terroriste Carlos dans la foule, alors que celui-ci se trouvait
en fait à ce moment-là en France où il purgeait une peine de prison.
Ce qui pose la question de la fiabilité de ce système de reconnaissance
automatique des personnes.
4. Sécurité publique ou contrôle
social?
34. Des voix se sont élevées depuis
plusieurs années pour dénoncer les dangers de l’instrumentalisation de
la sécurité. La vidéosurveillance pose dans des termes renouvelés
le problème de la nécessaire conciliation entre l’exercice des libertés
individuelles, la liberté d’aller et venir et le droit à la vie
privée, et la prévention des atteintes à l’ordre public. L’utilisation
banalisée et très répandue de la vidéosurveillance permet de contrôler une
population de plus en plus large sans que celle-ci en ait toujours
conscience. Dans son principe même, dès lors que l’on oppose sécurité
et liberté, la vidéosurveillance présente un risque d’ingérence
dans la vie quotidienne des citoyens et d’atteinte au droit au respect
de leur vie privée. En second lieu se pose le problème des conditions
de collecte, d’utilisation et de diffusion des informations et données
collectées sur les individus (sous la forme d’images et de sons)
par la vidéosurveillance. La vidéosurveillance permet d’identifier, directement
(reconnaissance du visage) ou indirectement (par son véhicule, son
habillement, etc.), les personnes. Elle permet de multiplier les
informations sur leur comportement, leurs déplacements et leurs activités.
La collecte de telles données permet un véritable traçage des personnes.
35. Selon deux avocats belges, auteurs d’un rapport sur la vidéosurveillance
en Belgique, la vidéosurveillance menace la vie privée de deux façons:
lorsqu’elle s’opère de manière secrète, elle conduit à soustraire
des informations, consistant en certains comportements ou attitudes,
que l’intéressé aurait pu ne pas souhaiter divulguer; lorsqu’elle
est connue des personnes concernées, la vidéosurveillance les incite
à adopter certains comportements ou attitudes, plus ou moins éloignés
des comportements qui seraient véritablement les leurs en l’absence
de la surveillance. Ce dernier constat est à relier avec le phénomène
de déplacement de la criminalité, depuis les rues et quartiers équipés
de caméras vers ceux qui en sont dépourvus. Cela remet dans une
certaine mesure en cause l’efficacité de la vidéosurveillance dans
la lutte contre la délinquance.
36. La Commission de Venise est parvenue à cette même conclusion:
«En principe, avant de pénétrer dans un lieu public, une personne
modifiera son apparence et sa conduite étant donné qu’elle pourra
y être observée par autrui.» Elle rappelle cependant que, même si
le degré d’intimité est nécessairement moindre dans les lieux publics,
la personne n’y est pas pour autant «privée de ses droits et libertés,
y compris ceux se rapportant à sa sphère privée et à son image»
.
37. Les caméras sont de plus en plus performantes: elles peuvent
surveiller un champ de vision sur 360 degrés; munies de zooms, elles
sont capables par exemple de lire un journal à plus de 100 mètres
de distance ou une plaque minéralogique à 300 mètres. Certaines
comportent des détecteurs qui donnent l’alerte en cas d’incident
ou de signes d’anormalité dans leur champ de vision: fumée suspecte,
mouvement brusque… On a pu dire que dans Oxford Street à Londres,
les caméras étaient capables d’identifier la pointure des chaussures des
passants.
38. Les techniques des systèmes de vidéosurveillance se rapprochent
de plus en plus d’autres technologies qui font naître de nouvelles
préoccupations relatives à la protection de la vie privée et des
données. Elles comprennent, entre autres, les enregistrements sonores,
les réseaux informatiques sans fils et à haut débit utilisés pour
le transfert des images, les systèmes de reconnaissance automatique
du visage intégrés à des bases de données informatisées qui peuvent
identifier les personnes ou suivre leur trace, et les appareils
qui permettent de «voir» derrière les vêtements et les murs, par
exemple les dispositifs de reconnaissance thermique ou infrarouge.
La transmission des images par les réseaux téléphoniques grand public
peut permettre de voir et d’écouter par-delà les frontières, à l’échelle
de la planète.
39. Les informations enregistrées peuvent être analysées de manière
précise. Il est possible de mettre en place des systèmes d’identification
entièrement automatiques, reposant sur les technologies de zoom
et d’imagerie numérique, et reliés à d’autres bases de données numériques.
C’est ainsi, par exemple, qu’à Bradford, au Royaume-Uni, la vidéosurveillance
est reliée à un système de reconnaissance automatique des plaques
numérologiques (ANPR – automatic number
plate recognition) qui permet d’alimenter automatiquement
les fichiers de police à raison de 3 000 numéros d’immatriculation
relevés par heure et par caméra. Le ministère de l’Intérieur britannique
envisage de développer l’usage de cette technologie et d’en équiper
les voitures de police.
40. L’évolution technologique dans le domaine de la vidéosurveillance
– ANPR, reconnaissance faciale automatique, etc. – renvoie à d’autres
interrogations encore. De quelle manière et par quelle procédure
est alimentée la base de suspects? Qu’est-ce qu’un suspect? Quand
un suspect quitte-t-il la base de données? Comme le souligne à juste
titre la Commission de Venise, «en général, ce n’est pas la surveillance
en tant que telle qui pose le plus de problèmes, mais l’enregistrement
des données et leur traitement (…)»
. La
protection des données à caractère personnel est en cause et la
Commission de Venise rappelle que cette question relève de la protection
de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme
.
41. L’usage des caméras de vidéosurveillance présente également
un risque de discrimination. Les études ont démontré que les agents
chargés de visionner les écrans de surveillance tendent à se focaliser
plus facilement sur certaines catégories de population. Le processus
de reconnaissance faciale automatique, basé sur l’image du visage,
renforce davantage la crainte de dérives graves liées au délit de
faciès ou encore au délit de pauvreté ou au délit de comportement
déviant.
42. La vidéosurveillance peut donner lieu à de nombreux abus qu’il
est toujours difficile de prévenir. La finalité du système de surveillance
peut facilement être détournée par l’instauration d’un contrôle
social: les caméras installées dans un commerce pour prévenir les
vols sont souvent utilisées pour surveiller le personnel; les grands
magasins s’en servent pour faire des études comportementales sur
les consommateurs. Dans un registre plus grave, la vidéosurveillance
peut permettre d’assurer un contrôle politique: les caméras installées à
Pékin, place Tian’anmen, ont servi à identifier et à arrêter des
opposants au régime en juin 1989.
Un cas particulier: les webcams
43. Enfin, il faut également s’intéresser
à l’usage qui est fait de la vidéosurveillance dans les lieux publics non
pas par des organismes publics mais par des personnes privées pour
observer des lieux publics. La prolifération des images prises en
direct par des caméras vidéo (webcam) accessibles sur internet pose
des problèmes similaires de respect de la vie privée et de conformité
avec les règles de la protection des données. Toutefois, le problème
se pose non seulement par rapport au traitement des données mais
surtout au regard de la diffusion des données et du droit à la personnalité
et à l’image.
44. Les webcams sont installées en général dans des lieux publics,
souvent sur des sites touristiques. Elles peuvent donner une image
fixe ou au contraire changer d’angle de vue, et être munies d’un
zoom. Leurs images sont accessibles dans le monde entier; elles
sont donc traitées, enregistrées, imprimées et transmises sans aucun
contrôle. Pour que ces caméras soient utilisées de manière légale,
il faudrait qu’elles soient installées et configurées de manière
à ce qu’aucune personne ne soit identifiable, ou que les personnes concernées
donnent leur consentement à être filmées. Mais est-ce bien toujours
le cas? Selon la position et la qualité technique de la caméra,
il est possible de reconnaître une personne filmée; cette personne
n’a pas conscience, ni connaissance du fait qu’elle est filmée et
que son image sera captée dans le monde entier par le biais d’internet.
45. Il n’est donc pas certain que les législations existantes
sur la protection des données et le respect de la vie privée soient,
dans ce cas précis, suffisantes à garantir les droits de la personne.
5. Prévenir les dérives en
définissant un cadre juridique efficace basé sur le respect d’un
certain nombre de principes
46. Face aux dérives potentielles
ou aux abus réels, le citoyen européen n’est pas totalement démuni.
Des instruments juridiques existent. Au niveau national d’abord,
rares sont les Etats qui ont opté pour une législation spécifique
concernant la surveillance des lieux privés ou lieux publics par
les moyens électroniques. En revanche, nombre d’Etats membres ont
des dispositions législatives et constitutionnelles qui trouvent
à s’appliquer dans ce domaine, en particulier celles qui garantissent
le respect de la vie privée, de la dignité humaine, ou celles qui
concernent la protection des données à caractère personnel. Au niveau
supranational, plusieurs instruments internationaux couvrent les
mêmes domaines, en particulier ceux du Conseil de l’Europe. On peut
cependant se demander si ces instruments sont suffisants pour assurer
une protection adéquate des citoyens «surveillés».
5.1. Les instruments du droit
européen
47. Les activités de vidéosurveillance
impliquant le traitement de données à caractère personnel entrent dans
le champ d’application de la Convention pour la protection des personnes
à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel
de 1981 du Conseil de l’Europe (STE no 108)
.
48. La convention est le premier instrument international contraignant
qui a pour objet de renforcer la protection juridique des personnes
contre l’usage abusif du traitement automatisé des données à caractère personnel
les concernant. Elle s’applique aux secteurs public et privé, et
pose un certain nombre de principes généraux concernant la collecte,
le traitement, et la communication de données à caractère personnel
par le biais de nouvelles technologies de l’information. Ces principes
portent notamment sur le caractère licite et loyal de la collecte
et du traitement automatisé des données, enregistrées pour des finalités
déterminées et légitimes et non utilisées à des fins incompatibles
avec ces finalités, ni conservées au-delà de ce qui est nécessaire.
La convention proscrit le traitement des données «sensibles» relatives
à l’origine raciale, aux opinions politiques, à la santé, à la religion,
à la vie sexuelle, aux condamnations pénales, etc., en l’absence
de garanties offertes par le droit interne. La convention garantit
également le droit des personnes concernées de connaître les informations
stockées à leur sujet et d’exiger le cas échéant des rectifications.
49. Cette convention a été complétée par un protocole additionnel
(STE no 181) concernant les autorités
de contrôle et les flux transfrontières de données, qui est entré
en vigueur le 1er juillet 2004.
50. Afin d’adapter les principes généraux énoncés dans la convention
aux exigences spécifiques des différents secteurs d’activité de
la société, plusieurs recommandations complémentaires ont été adoptées
par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. On mentionnera
la Recommandation no R (87) 15 visant
à réglementer l’utilisation de données à caractère personnel dans
le secteur de la police, la Recommandation no R
(91) 10 sur la communication à des tierces personnes de données
détenues par des organismes publics, et la Recommandation no R
(99) 5 sur la protection de la vie privée sur internet.
51. Il n’existe pas d’instrument juridique de l’Union européenne
sur la vidéosurveillance proprement dite. La vidéosurveillance des
lieux publics ne relève que partiellement de la Directive 95/46
du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques
à l’égard du traitement des données à caractère personnel et la
libre circulation de ces données, dans la mesure où elle exclut
elle-même explicitement de son champ d’application certaines activités
de vidéosurveillance, précisément celles qui nous intéressent ici
.
52. Sous cette réserve, les citoyens communautaires bénéficient
tout de même des garanties prévues par cette directive. Tous les
pays de l’Union ont transposé cette Directive 95/46/CE, sauf la
France. Elle a été complétée par les Directives 97/66/CE et 2002/58/CE
sur la vie privée et les communications électroniques. Il n’y a
encore pas eu de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes (CJCE) concernant la vidéosurveillance. Toutefois, la
CJCE reconnaît l’application d’un principe de proportionnalité et la
nécessité d’un intérêt public pour opérer une restriction à un droit
fondamental.
5.2. Législations des Etats membres
53. Peu de pays comptent dans leur
droit des législations réglementant spécifiquement l’emploi de la vidéosurveillance,
encore moins de la vidéosurveillance dans les lieux publics. Toutefois,
les systèmes juridiques des Etats membres ne sont pas entièrement
dépourvus de règles dans ce domaine, puisque les législations sur
la protection de la vie privée, sur l’enregistrement et l’utilisation
d’informations et de données à caractère personnel, sur le secret
ou la confidentialité d’informations sensibles, etc., peuvent s’appliquer
aux activités de vidéosurveillance et offrir une base de garanties
aux citoyens.
54. L’Espagne est un des rares pays à avoir adopté une législation
sur la vidéosurveillance des lieux publics. Cette loi prévoit notamment
un mécanisme d’autorisation d’implantation par les entités publiques.
Ce pays est parvenu à un niveau élevé d’intégration des systèmes
de vidéosurveillance (TVCF) avec les services d’urgence et de sécurité
nationaux.
55. En 2006 a été créé à Madrid un centre (Centro Integrado de
Seguridad y Emergencias) au sein duquel opèrent en bonne intelligence
les différents services de sécurité et d’urgence (police, secours,
pompiers, etc.). En cas d’urgence, il est possible d’y déployer
une cellule de crise en quelques minutes.
56. L’expérience espagnole a montré la grande efficacité des centres
de ce type. Le système municipal intégré de sécurité de Madrid est
reconnu comme le meilleur d’Europe.
57. En Espagne, les images des systèmes de vidéosurveillance sont
diffusées sur des écrans visibles par tous dans le métro ou les
gares par exemple. Cela permet d’associer les citoyens au processus
d’observation vidéo et leur rappelle que ces lieux sont sous surveillance.
Selon les psychologues, cette transparence, alliée à la signalisation
(au moyen de pictogrammes définis par la loi), permet de détendre
l’atmosphère et d’établir des conditions favorables à la prévention
de la criminalité dans les lieux publics placés sous vidéosurveillance.
58. En Belgique, le sénateur Stefaan Norielde a présenté en avril
2006 une proposition de loi visant à réglementer l’installation
et l’usage de caméras de vidéosurveillance.
59. En Grande-Bretagne, environ 5 millions de caméras de TVCF
seront en fonction prochainement. Chacun sait que le citoyen ordinaire
de la ville de Londres est soumis à une vidéosurveillance 300 fois
par jour. Mille soixante caméras de vidéosurveillance fonctionnent
dans le seul quartier de Westminster.
60. Afin de maximiser le potentiel du réseau national de vidéosurveillance,
un projet de stratégie nationale concernant les systèmes de télévision
en circuit fermé est en cours d’élaboration. Les experts britanniques sont
parvenus à la conclusion qu’en l’absence d’une telle stratégie,
il est probable que les systèmes installés dans les lieux publics
du Royaume-Uni resteraient non coordonnés, disparates, de qualité
douteuse, moins efficaces et mal ciblés. De plus, faute d’une telle
stratégie, il serait peu probable que le Trésor accepte de continuer
à financer de tels équipements sur les fonds publics. Il existe
donc un danger de voir l’infrastructure actuelle se détériorer et
la société perdre la possibilité de maximiser l’efficacité de systèmes
de vidéosurveillance, ainsi que d’intégrer des technologies futures
pouvant apporter une aide considérable à la police.
61. En France, la vidéosurveillance est réglementée spécifiquement.
L’installation, sur la voie publique et dans les lieux ou établissements
ouverts au public, de systèmes de vidéosurveillance est réglementée
par les dispositions de la loi du 21 janvier 1995 et du décret du
17 janvier 1996. La loi prévoit que les dispositifs ne peuvent être
mis en place dans les lieux publics que pour des finalités précises
(protection des bâtiments et installations publics, régulation du
trafic routier, constatation des infractions aux règles de la circulation
et prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens).
L’installation de tels dispositifs est subordonnée à une autorisation
préalable. Les dispositifs de vidéosurveillance ne doivent pas permettre
de visualiser les images de l’intérieur des immeubles d’habitation
ni celles de leurs entrées. La loi prévoit également un droit d’information
du public, un droit d’accès des personnes aux enregistrements les concernant,
et la destruction des enregistrements dans un délai maximal d’un
mois (sauf enquête de flagrant délit ou information judiciaire).
62. Des lois générales sur la protection des données sont envigueur
dans plusieurs Etats membres, soit à la suite de la ratification
de la convention européenne (STE no 108),
soit pour transposer la Directive 95/46/CE. C’est le cas dans les
pays suivants: l’Albanie, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie,
Chypre, la République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Finlande,
la France, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, l’Irlande, l’Italie,
la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège,
la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie,
l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni, mais aussi l’Azerbaïdjan,
la Bosnie-Herzégovine, Malte, Monaco, Saint-Marin, la Serbie-Monténégro
et «l’ex-République yougoslave de Macédoine», bien que ces derniers
Etats ne soient pas parties à la convention STE no 108.
Dans 33 Etats membres, c’est la Constitution qui pose le principe
fondamental du droit à la vie privée ou à la protection des données.
La protection des données figure en tant que droit fondamental dans
la Constitution portugaise de 1976, et son article 35 accorde des
garanties très complètes au citoyen (droit d’accès aux informations
nominatives et droit d’information et de rectification, etc.).
63. Par ailleurs, une majorité
d’Etats membres a établi une autorité indépendante de régulation
et de contrôle, afin de veiller au respect des principes qui figurent
dans leur législation
.
5.3. Jurisprudence de la Cour
européenne des Droits de l’Homme
64. La vidéosurveillance relève
du champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme (droit au respect de la vie privée – «Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance»). La Cour a défini dans sa jurisprudence
les limites de l’exercice de ce droit, et, plus particulièrement,
dans quelle mesure les autorités publiques étaient en droit d’interférer.
Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice
du droit à la vie privée que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et constitue une mesure qui, dans une société démocratique,
est nécessaire à la défense d’un certain nombre de buts légitimes.
Dans un arrêt (M.S. c. Suède du
27 août 1997), la Cour «rappelle que la protection des données à
caractère personnel (...) revêt une importance fondamentale pour
l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale garanti
par l’article 8 de la Convention».
65. Dans l’arrêt Peck c. Royaume-Uni du
28 janvier 2003, la Cour s’est trouvée saisie pour la première fois du
problème de l’atteinte à la vie privée par la vidéosurveillance.
En l’espèce, le requérant avait été filmé par une caméra de télésurveillance
communale alors qu’il tentait de se suicider, ce qui a conduit à
l’intervention de la police. Les images ont été utilisées par la
mairie pour une diffusion dans la presse et sur une chaîne de télévision
nationale, pour la promotion de la prévention de la criminalité,
sans masquer l’identité du requérant. La Cour a jugé que la divulgation
de séquences filmées par une caméra de surveillance portait atteinte
au droit du requérant à la vie privée, sans raisons pertinentes
ou suffisantes pouvant la justifier. La Cour a conclu à la violation
de l’article 8 de la CEDH.
66. Pour la Cour, «la surveillance des faits et gestes d’un individu
dans des lieux publics par le biais de matériel photographique/visuel
sans enregistrement des données visuelles ne constitue pas en soi
une ingérence dans la vie privée de l’individu concerné». Cependant
la vidéosurveillance doit respecter les critères de légalité, de
légitimité et de proportionnalité exprimés dans l’article 8, paragraphe
2, de la Convention. La Cour estime que
«la scène a été vue dans une mesure excédant largement
ce qu’un passant aurait pu voir ou ce qui aurait pu être observé
à des fins de sécurité, et au-delà de ce que l’intéressé aurait
pu prévoir alors qu’il marchait à Brentwood, le 20 août 1995». En
conséquence, la Cour conclut qu’il y a bien eu atteinte grave à
la vie privée du requérant, relevant que «la divulgation des images
saisies n’a pas été assortie de garde-fous suffisants pour empêcher
une divulgation incompatible avec les garanties relatives au respect
de la vie privée du requérant qui découlent de l’article 8».
67. Signalons qu’il ne s’agit pas de la seule affaire de vidéosurveillance
concernant le Royaume-Uni. Dans l’affaire Martin
c. Royaume-Uni (no 63608/00),
la requérante, Janette Martin, résidant à Nottingham, se plaignait
au regard des articles 8 (droit au respect de la vie familiale)
et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention de la
décision du conseil municipal de sa ville de placer son domicile
sous vidéosurveillance, à son insu, à la suite de plaintes de ses
voisins concernant son comportement et celui de ses enfants. L’affaire s’est
conclue par un règlement amiable.
5.4. Promouvoir dans le droit
national des Etats membres des garanties suffisantes
68. Face au développement croissant
des technologies de vidéosurveillance, il serait souhaitable de promouvoir
une harmonisation des législations des Etats membres dans ce domaine.
Il est nécessaire que le droit des Etats membres s’inspire clairement
des principes et garanties qui découlent des instruments du Conseil
de l’Europe, notamment en ce qui concerne le droit à la vie privée
et la protection des données.
69. Le Comité européen de coopération juridique (CDCJ) du Conseil
de l’Europe a adopté, en mai 2003, un rapport contenant des principes
directeurs pour la protection des personnes par rapport à la collecte
et au traitement de données au moyen de la vidéosurveillance (voir
l’annexe). Il est important que l’Assemblée parlementaire appelle
formellement les Etats membres du Conseil de l’Europe à faire application
de ces principes et à veiller à ce qu’ils soient respectés de manière
aussi systématique que possible.
70. Les législations nationales devraient reconnaître les garanties
minimales suivantes:
- le principe
de la légalité ou licéité: la vidéosurveillance ne peut être effectuée
que si elle est autorisée par la loi, justifiée par un intérêt public
ou privé prépondérant et bénéficie du consentement des personnes
concernées;
- le principe de la proportionnalité: la vidéosurveillance
doit être un moyen adéquat et nécessaire à la réalisation de l’objectif
poursuivi, à savoir la sécurité, notamment la protection contre
les atteintes aux biens et/ou aux personnes. Elle ne peut être retenue
que si d’autres mesures moins attentatoires à la vie privée s’avèrent
insuffisantes ou impraticables. L’installation d’une caméra doit
être effectuée de façon à ce que n’entrent dans son champ que les
images strictement nécessaires à la surveillance envisagée;
- le principe de la finalité ou de la légitimité: les données
ne peuvent être utilisées que dans le cadre de la protection contre
les atteintes aux biens et aux personnes. Elles ne peuvent donner
lieu à d’autres utilisations (notamment commerciales). La communication
de données personnelles enregistrées par une caméra est interdite
sauf dans les cas prévus ou autorisés par la loi;
- le principe de la publicité ou de l’information: l’existence
d’un système de vidéosurveillance doit être portée à la connaissance
du public; le responsable du système de vidéosurveillance doit informer
les personnes entrant dans le champ des caméras de surveillance
de l’utilisation d’un tel système par le biais d’un avis lisible;
- le principe du contrôle: les personnes directement concernées
par les informations collectées ainsi que les autorités publiques
de régulation doivent être en mesure de s’assurer que les droits
des personnes sont respectés par les utilisateurs;
- le principe du droit d’accès aux données des personnes
concernées: les personnes concernées doivent avoir connaissance
de la teneur de l’information qu’un fichier contient éventuellement
sur son compte;
- le principe du droit de rectification d’une information
erronée ou inappropriée par les personnes concernées;
- un droit de recours si l’un des éléments précédents n’est
pas respecté: toute personne concernée doit pouvoir défendre ses
droits afin de lui permettre d’exercer un contrôle sur les informations
la concernant, lorsqu’elles sont recueillies, traitées et diffusées
le cas échéant;
- la garantie de la sécurité des données: le responsable
du système de vidéosurveillance doit prendre les mesures appropriées
d’accès et de conservation afin de protéger les données personnelles
contre tout traitement non autorisé. La durée de conservation des
données et des enregistrements doit être limitée.
6. Conclusions
71. Plusieurs instruments juridiques,
au niveau national comme au niveau européen, offrent des garanties minimales
concernant la protection des droits des citoyens au regard de la
vidéosurveillance. En l’état actuel de la réflexion, une convention
européenne ou une recommandation du Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe sur la vidéosurveillance n’aurait guère de valeur ajoutée
par rapport aux instruments existants. Toutefois, les législations
nationales n’étant pas homogènes dans ce domaine, il est important
que l’Assemblée parlementaire appelle formellement les Etats membres
du Conseil de l’Europe à appliquer les principes directeurs pour
la protection des personnes par rapport à la collecte et au traitement
de données au moyen de la vidéosurveillance figurant dans le rapport
du CDCJ de 2003, et à veiller à ce que ces principes soient respectés
de manière aussi systématique que possible.
72. Il faudrait adopter dans tous les Etats membres un signe uniformisé
(pictogramme) indiquant les lieux placés sous vidéosurveillance.
73. Le signe (pictogramme) devrait être accompagné d’un texte
uniformisé rappelant la législation.
74. Les équipements informatiques et de vidéosurveillance existants
permettent l’utilisation de zooms très puissants (facteur de grossissement
jusqu’à 30x-50x) et d’une très haute résolution d’image. Les Etats membres
du Conseil de l’Europe devraient adopter une législation limitant
l’installation de ces équipements en fonction de la spécificité
des lieux concernés.
75. Les équipements informatiques et de vidéosurveillance existants
permettent de soustraire automatiquement à l’observation vidéo des
«zones privées» (les fenêtres d’appartements, par exemple). Cette pratique
permet non seulement de protéger la vie privée en général mais aussi
de préserver les employés de centres de vidéosurveillance de la
vision de scènes qui ne relèvent pas de leur compétence. Dans les
pays membres du Conseil de l’Europe, il conviendrait de définir
légalement ces «zones privées» et de faire en sorte que, grâce à
l’utilisation de logiciels adaptés, elles échappent à la vidéosurveillance.
76. Actuellement, les images des caméras de vidéosurveillance
sont stockées au format numérique et il est possible de les protéger
par chiffrement, ce qui empêche, le cas échéant, la consultation
des informations stockées par des tiers, les accès non autorisés
et d’éventuelles modifications. Le chiffrement est nécessaire pour
que la validité des informations soit reconnue dans le cadre des
enquêtes criminelles. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,
la pratique du chiffrement des données vidéo devrait être imposé
par la loi.
77. Toute personne vivant dans un espace sous vidéosurveillance
a le droit de se savoir surveillée. Les pays membres du Conseil
de l’Europe devraient donc inscrire ce droit dans leur législation.
78. La coopération entre les organismes gouvernementaux et les
structures non gouvernementales est indispensable dans le domaine
de la vidéosurveillance.
79. Pour mettre à jour et compléter les informations dans ce domaine,
il serait souhaitable que le Conseil de l’Europe organise une conférence
à laquelle pourraient être invités différents experts:
- des spécialistes de la vidéosurveillance
issus du secteur public et du secteur privé;
- des représentants de centres de recherche universitaire
ou d’organes de suivi ayant mené récemment des études sur des sujets
tels que les répercussions de la vidéosurveillance sur le taux de
criminalité ou les aspects relatifs à la vie privée;
- des représentants des comités d’experts compétents du
Conseil de l’Europe (CDCJ, Comité consultatif de la Convention pour
la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des
données à caractère personnel – T-PD);
- des représentants d’autorités nationales de réglementation
ou d’observation de la protection des données ou de la vie privée;
- des représentants de la société civile (d’associations
comme Privacy International, par exemple).