1. Introduction
1. Le 25 novembre 2005, l’Assemblée
parlementaire a décidé de renvoyer à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, pour rapport, les propositions de résolution
relatives à la «Situation précaire des minorités nationales dans
la province de Vojvodine en Serbie-Monténégro» (
Doc. 10715, Renvoi no 3147) et à la
«Violation des droits de l’homme de la minorité nationale roumaine
en Serbie» (
Doc. 10726, Renvoi no 3148). A sa réunion
de janvier 2006, la commission a nommé M. Jürgen Herrmann (Allemagne, PPE/DC)
rapporteur.
2. Le 17 mai 2006 à Budapest, la sous-commission sur les droits
des minorités a tenu, sur cette question, un échange de vues auquel
plusieurs représentants de minorités nationales
ont participé, ainsi que M. Petar Ladjevic,
secrétaire du Conseil de la République de Serbie pour les minorités
nationales, Mme Anastasia Crickley, membre
du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales, M. Gobor Zoltan, adjoint au médiateur
de la province autonome de Vojvodine, et M. Stefano Valenti, représentant
spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en Serbie-Monténégro
(qui ne formait, à l’époque, qu’un seul Etat).
3. Les 27 et 28 septembre 2006, le rapporteur a effectué une
mission d’information portant tout particulièrement sur la situation
des minorités nationales en Vojvodine. A la suite de cette visite
dans la région, le rapporteur a demandé à la commission, le 6 novembre
2006, de modifier le titre du rapport afin de garantir l’approche
la plus objective possible de la question.
4. Les 26 et 27 septembre 2007, il s’est à nouveau rendu en Serbie
afin d’effectuer une visite d’information essentiellement consacrée
à la situation de la minorité ethnique roumaine.
5. Les différentes étapes suivies témoignent de la diligence
dont a fait preuve le rapporteur dans la préparation de ce rapport
dont la thématique est complexe.
1.1. Contexte
6. Il convient de remarquer qu’un
changement institutionnel majeur est intervenu dans le pays visité.
Le référendum sur l’indépendance du Monténégro, qui a eu lieu le
21 mai 2006, a été suivi de la déclaration d’indépendance adoptée
par le Parlement du Monténégro le 3 juin 2006. La République du
Monténégro a dès lors trouvé une nouvelle place au sein de la communauté
internationale et européenne en tant qu’Etat souverain et indépendant
. L’union d’état de Serbie-Monténégro
a cessé d’exister. Ce changement institutionnel a eu d’importantes
conséquences sur le cadre légal de la protection des minorités en
Serbie
.
1.2. Interprétation du mandat
7. Le rapporteur tient à souligner
que son mandat est issu de deux propositions de résolution distinctes
qui ont été jointes par le Bureau en vue de la préparation d’un
rapport par la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme. Les deux questions sont évidemment liées dans leur thématique,
puisqu’il s’agit dans les deux cas des droits de minorités nationales,
mais elles sont distinctes géographiquement et présentent des problématiques
spécifiques.
8. C’est la raison pour laquelle le rapporteur a choisi de les
traiter distinctement, tant en effectuant des visites spécifiques
que dans la présentation formelle de son rapport.
9. La scission entre la Serbie et le Monténégro n’a pas eu d’influence
sur le mandat du rapporteur puisque les deux régions concernées
sont exclusivement situées sur le territoire serbe.
10. Le rapporteur n’a pas abordé la question des droits des minorités/communautés
au Kosovo – située clairement en dehors de son mandat– mais attire
l’attention sur l’avis préparé par M. Omtzigt, rapporteur de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme
.
2. Cadre légal de la protection
des minorités nationales en Serbie
11. La République de Serbie est
partie à la Convention-cadre pour la protection des minorités du
Conseil de l’Europe (en vigueur depuis le 1er septembre 2001) (ci-après
«la convention-cadre») ainsi qu’à la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires (en vigueur depuis le 1er juin 2006)
(ci-après «la Charte européenne»).
12. Depuis 2002, la Serbie-Monténégro avait développé un cadre
normatif assez complet en matière de droits des minorités qui lui
avait valu de nombreux échos positifs de la part de la communauté
internationale.
13. En 2002, une loi-cadre fédérale relative à la protection des
droits et libertés des minorités nationales avait été adoptée. Par
ailleurs, des conseils nationaux pour les minorités nationales,
ainsi qu’un Conseil pour les minorités nationales au niveau de la
République de Serbie, ont été instaurés. Malheureusement, ces innovations
qui avaient été qualifiées de «prometteuses» par le Comité des Ministres
, sont loin d’avoir développé
tout leur potentiel en raison de l’absence de certaines dispositions
législatives (voir ci-dessous paragraphe 26 et suivants).
14. La Charte de 2003 de l’union d’état sur les droits de l’homme,
les droits des minorités et les libertés civiles («la charte») était
considérée par les organisations internationales comme un instrument
solide et adéquat. La Commission européenne pour la démocratie par
le droit («Commission de Venise») avait d’ailleurs rendu un avis
très positif sur ce texte
.
15. Force est de constater que cet instrument, qui faisait partie
intégrante de la Charte constitutionnelle de l’union d’état de Serbie-Monténégro,
a perdu sa validité du fait de la séparation de la Serbie et du
Monténégro. Au même moment, le ministère des Droits de l’homme et
des Droits des minorités a cessé d’exister. Une Agence pour les
droits de l’homme et les droits des minorités a remplacé cette entité.
16. On peut s’interroger sur l’opportunité de remplacer un ministère
par une agence. Certes, tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
n’ont pas un ministère dédié aux droits des minorités, loin s’en
faut, mais la Serbie est un pays dans lequel les minorités ont une
configuration très particulière. En tout état de cause, la représentativité
et l’autorité d’une agence n’égalent pas celle d’un ministère et
la symbolique est telle que l’on pourrait y voir une volonté de
moins mettre l’accent sur la question des droits de l’homme et des
droits des minorités. Il pourrait être opportun de réfléchir à la
possibilité de charger un ministre délégué, voire un ministre sans
portefeuille, de la mise en œuvre au niveau politique des droits
des minorités.
17. La loi-cadre fédérale de 2002 sur la protection des droits
et libertés des minorités nationales a été transposée telle quelle
dans l’ordre interne et est désormais en vigueur en Serbie
.
Cela aurait pu être une occasion pour la compléter et/ou la mettre
à jour, mais cela n’a pas été le cas. En effet, s’agissant à la
base d’une loi-cadre, de nombreuses dispositions législatives supplémentaires
sont encore nécessaires. Cette loi prévoyait nombre d’initiatives
positives, telle la mise en place d’un fonds de promotion sociale,
économique, culturelle et de développement général des minorités
nationales (article 20). Un tel fonds n’a toujours pas été institué
à ce jour.
18. Par ailleurs, alors que le comité consultatif s’était félicité
de la mise en place d’un groupe de travail en vue de la rédaction
d’une loi antidiscrimination, une telle loi n’a toujours pas été
adoptée à ce jour
.
Comme le constate la Commission européenne dans son rapport de novembre
2007, dans la pratique la discrimination est monnaie courante et
les minorités ethniques en sont une des cibles les plus fréquentes
, il est
donc particulièrement important qu’un texte de loi adéquat soit
promulgué le plus vite possible. Le rapporteur est confiant que
cela pourrait bientôt être une réalité puisqu’un projet de loi existe.
La Commission de Venise l’examine actuellement et un de ses membres,
M. Ledi Bianku, a conclu que ce projet de loi est l’un des textes législatifs
les plus complets en matière de protection contre la discrimination
. Le rapporteur invite
les autorités compétentes à amender le texte afin de prendre en
compte les remarques qui seront formulées par la Commission de Venise
dans son avis et de procéder à l’adoption de cette loi dans les
meilleurs délais.
La nouvelle Constitution de 2006
19. La nouvelle Constitution, adoptée
en séance extraordinaire par l’Assemblée nationale serbe le 29 septembre
2006 et approuvée par référendum les 29 et 30 octobre 2006, a fait
l’objet d’un avis par la Commission de Venise
.
D’emblée, la Commission de Venise constate que «beaucoup d’éléments
de cette Constitution satisfont aux normes européennes» mais également
que certaines normes «sont peu claires, voire contradictoires».
C’est manifestement le résultat d’une rédaction trop rapide, état
de fait dont s’étaient plaints plusieurs interlocuteurs auprès du
rapporteur lors de sa première visite sur place.
20. En termes de protection des minorités, la Commission de Venise
remarque que les droits linguistiques des minorités sont moins bien
protégés que dans la Constitution de 1990. De fait, le recours à
l’alphabet latin, dont l’usage est le plus courant parmi les minorités,
ne bénéficie plus d’une protection légale dans la Constitution
.
21. Les droits des minorités sont traités au titre II de la Constitution,
aux articles 75 à 81. La Commission de Venise accorde une évaluation
positive à l’article 22 (Protection des droits de l’homme, des droits
des minorités et des libertés fondamentales) et se félicite du chapitre
III de la Constitution (Droits des personnes appartenant à une minorité
nationale). Elle souhaiterait cependant que les dispositions de
l’article 76 permettant la discrimination positive à l’égard des
minorités nationales soient élargies et non pas limitées aux seules «conditions
de vie extrêmement défavorables» et que celles prévues à l’article
22 ne s’appliquent pas uniquement aux citoyens.
22. La Commission de Venise insiste sur le fait qu’il «appartient
maintenant aux autorités de veiller à ce que les droits consacrés
par la Constitution deviennent effectifs». Le rapporteur enjoint
lui aussi les autorités en ce sens afin que, contrairement à bien
des dispositions de la charte, les droits garantis dans la Constitution
ne restent pas lettre morte.
23. Le rapporteur pour sa part se félicite de l’interdiction explicite
de la discrimination directe ou indirecte inscrite à l’article 21
de la Constitution.
24. Le rapporteur se félicite également de la nomination, attendue
de longue date
, du médiateur
serbe le 29 juin 2007. Il souligne l’importance du fonctionnement
effectif d’une telle institution et partage les inquiétudes soulevées
par la Commission de Venise qui regrette que cette institution soit
«supervisée» par l’Assemblée nationale et ne soit pas protégée contre
une révocation injustifiée par cette dernière
. Par ailleurs, on pourrait envisager
que le médiateur puisse nommer des médiateurs adjoints dédiés à
des domaines spécifiques. En l’occurrence, il serait intéressant
d’envisager la nomination d’un médiateur adjoint en charge des questions relatives
aux droits des minorités (un adjoint spécifique auprès du médiateur
pour la province autonome de Vojvodine existe).
25. Le rapporteur est préoccupé de constater un certain recul
de la protection des droits des minorités dans la législation serbe
et appelle les autorités ày remédier afin de garantir une protection
législative au moins égale à celle existant avant la séparation
de la Serbie et du Monténégro.
Le Conseil national pour les
minorités nationales et les conseils nationaux des minorités nationales
26. Un point important a été souligné
au cours de la visite du rapporteur en Serbie. Il s’avère que certains textes
législatifs et règlements font défaut pour organiser convenablement
les travaux des conseils nationaux des minorités nationales. Bien
que les conseils nationaux aient une existence légale depuis 2002,
il n’y a pas de dispositions législatives régissant leur financement
ou l’élection des membres de leur conseil d’administration. Comme
leur premier mandat atteindra bientôt son terme, il est urgent que
les autorités serbes adoptent les textes législatifs manquants.
Dans son avis, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales («le comité consultatif»)
a déjà exhorté le gouvernement à traiter la question du financement
des conseils en priorité
. En septembre 2006, les autorités
avaient assuré au rapporteur qu’il existait une véritable volonté
politique d’adopter les lois et règlements nécessaires dès que possible.
27. Le rapporteur s’inquiète de constater qu’à la date d’aujourd’hui,
certains conseils nationaux des minorités nationales arrivent au
terme de leur mandat et que, en l’absence de dispositions législatives
relatives à l’élection de leurs membres, certains conseils ne peuvent
pas être renouvelés
. Cela amoindrit
clairement l’efficacité du système de représentation des minorités
nationales en Serbie. Le rapporteur exhorte les autorités à considérer
l’adoption des législations nécessaires comme une priorité et demande
aux autorités compétentes (à savoir le ministère de l’Autonomie
locale et de l’Administration) de prendre en compte les remarques
exprimées par les experts du Conseil de l’Europe sur le projet de
loi relatif à l’élection des conseils pour les minorités.
28. Le rapporteur constate par ailleurs avec regret que le Conseil
national pour les minorités nationales n’a siégé qu’à une seule
et unique reprise au courant de l’année 2006 et aucune fois en 2007
. S’il félicite le Gouvernement
serbe d’avoir mis en place une telle structure dans l’intérêt des
minorités, il est convaincu qu’en siégeant seulement une fois dans
l’année 2006 le conseil ne peut pas être en mesure de fonctionner efficacement.
Au vu de la forte demande exprimée par les représentants des conseils
nationaux pour les minorités nationales pour l’organisation de réunions
plus fréquentes et ayant été informé par les autorités que le Conseil
national pour les minorités nationales peut se réunir à la demande
de seulement un tiers de ses membres, le rapporteur s’étonne véritablement
de l’absence de réunion cette année. En effet, le Conseil national
pour les minorités nationales étant constitué de 14 membres (7 membres
issus des conseils nationaux des minorités nationales, 6 ministres
et le Premier ministre), les membres des conseils nationaux pour
les minorités nationales atteignent largement le tiers des membres
requis pour initier la convocation d’une réunion.
29. Le rapporteur est d’avis que les compétences des conseils
nationaux pour les minorités nationales devraient être accrues et
être mieux définies. D’une part, ces conseils devraient pouvoir
jouer un rôle de contrôle sur les décisions de l’exécutif en matière
de minorité, d’autre part, leurs compétences devraient être définies
précisément afin d’éviter des dérives d’ordre politique. En effet,
les conseils nationaux reçoivent des fonds et il leur revient de
les répartir à leur bon vouloir. Les fonds perçus sont évidemment
insuffisants pour tout financer et la répartition se connote en
termes d’intérêts politiques.
30. Le rapporteur souhaite citer un autre exemple de situation
qui devrait être améliorée: à la suite d’une résolution gouvernementale
du 11 mai 2006 en vue d’augmenter la participation des membres des
minorités ethniques dans les administrations publiques, les avis
de vacances doivent être publiés dans des journaux en langue minoritaire
.
Or, selon les autorités (ce qui n’est pas explicitement spécifié
dans la résolution du 11 mai 2006), il appartiendrait aux conseils
nationaux pour les différentes minorités de décider dans quel journal la
publication aura lieu et de financer la traduction des avis de vacances.
Faute de moyens, il semblerait que bon nombre d’avis de vacances
ne soient finalement pas publiés dans les journaux en question.
Il conviendrait de définir à la fois les compétences et les obligations
des conseils nationaux et surtout de leur donner les moyens adéquats
pour remplir leurs fonctions. En l’absence de moyens adéquats, le
rapporteur suggère que l’Agence des droits de l’homme et des minorités
se charge de la publication des avis de vacances dans des journaux
en langue minoritaire prévue au point 8 de ladite résolution.
3. Représentation politique
des minorités nationales
31. La loi électorale de Serbie
ne prévoit aucun seuil minimal pour siéger au parlement pour les
listes des partis politiques représentant les minorités nationales.
Il s’agit là d’une mesure particulièrement efficace et favorable
afin d’assurer que ces partis, qui par leur nature même ne peuvent
que recevoir les voix d’un groupe minoritaire, soient effectivement
représentés au sein de l’organe législatif serbe
.
32. A la suite des élections législatives de janvier 2007, et
après une campagne active, les partis politiques représentant des
minorités ont remporté huit sièges et ont formé un groupe parlementaire.
L’un d’entre eux a même été nommé vice-président du parlement
.
La Commission européenne se félicite de cette évolution positive
en termes de représentation des membres des minorités au parlement
.
33. Le rapporteur souhaite également souligner qu’il a rencontré
certains parlementaires issus de minorités nationales mais membres
des partis politiques généraux. Le rapporteur pense qu’il s’agit
là d’un élément important à prendre en compte pour avoir une image
fidèle de la représentation des membres des minorités au sein des
organes politiques de Serbie.
34. Par ailleurs, le rapporteur félicite le gouvernement qui a
initié, par le biais de son Agence pour les droits de l’homme et
des minorités, des recherches consacrées aux relations interethniques
en vue de renforcer l’intégration des minorités dans la société
serbe
. Cependant, il semblerait
que les résultats des recherches n’aient pas été rendus publics
dans le détail. Le rapporteur considère que le manque de publicité,
s’il est avéré, donné à ces résultats démontre un manque de transparence.
Le manque de transparence suscite toujours des interrogations sur
la nature des résultats capables de générer des tensions. Afin de
balayer ces doutes, le rapporteur invite l’Agence pour les droits
de l’homme et des minorités à rendre publics dans leur intégralité
les résultats de ses recherches, dans une volonté de renforcer la
confiance mutuelle entre les autorités, la société civile et les
membres des minorités.
4. Relations entre la Serbie
et les Etats-parents
35. La République de Serbie a signé
des accords avec plusieurs Etats-parents des membres des minorités nationales
présentes sur son territoire. De tels accords existent avec la Roumanie,
la Hongrie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine». Or, là
encore, la pratique ne semble pas toujours suivre les déclarations
d’intentions couchées sur le papier.
36. La minorité roumaine faisant particulièrement partie de son
mandat, le rapporteur choisit d’illustrer son propos en examinant
les relations entre la Serbie et la Roumanie.
37. Deux textes régissent principalement les relations entre la
Serbie et la Roumanie: un traité d’amitié, de coopération et de
bon voisinage entre la Roumanie et la Serbie (signé le 16 mai 1996)
ainsi qu’un accord bilatéral entre le Gouvernement de Roumanie et
le Gouvernement fédéral de la République de Yougoslavie relatif
à la coopération dans le domaine de la protection des minorités
nationales (signé le 4 novembre 2002).
38. Le rapporteur a été informé que la mise en œuvre de ces textes
n’est pas satisfaisante. Le ministre des Affaires étrangères de
Roumanie s’est rendu en Serbie et a demandé la convocation de la
Commission mixte intergouvernementale pour les minorités nationales
prévue à l’article 11 de l’accord bilatéral et dont la mission est
de promouvoir la mise en œuvre de l’accord.
39. Malgré une réponse positive de la part des autorités serbes
à cette demande, la Commission mixte intergouvernementale ne s’est
toujours pas réunie. Il semblerait que le même problème existe dans
la mise en œuvre des accords bilatéraux avec la Hongrie et «l’ex-République
yougoslave de Macédoine».
40. Le rapporteur encourage fortement les autorités serbes à se
saisir de la question et à nommer les personnes habilitées à siéger
dans les commissions mixtes intergouvernementales. La tenue de telles réunions
est nécessaire à ce que les accords bilatéraux ne restent pas lettre
morte.
41. La coopération entre l’Etat de résidence et l’Etat-parent,
à travers des accords bilatéraux, présente un réel intérêt afin
de garantir la stabilité en Europe et mérite d’être prise au sérieux.
Le rapporteur appelle les autorités serbes à intensifier leurs relations
de bon voisinage avec les Etats-parents en mettant pleinement en œuvre
les accords qu’ils ont signés.
5. Caractère multiethnique
de la Vojvodine
42. La Vojvodine constitue une
«société multiethnique», caractérisée par une grande diversité ethnique, culturelle
et linguistique. Selon le dernier recensement effectué en 2002,
la population de la région se compose d’environ 26 groupes ethniques
dont 65,05 % de Serbes, 14,28 % de Hongrois, 2,79 % de Slovaques,
2,78 % de Croates, 2,45 % de Yougoslaves, 1,75 % de Monténégrins,
1,43 % de Roms, 1,5 % de Roumains, 0,97 % de Bunjevci, 0,77 % de
Ruthènes et 0,58 % de Macédoniens
.
43. Au cours de l’histoire, la carte ethnique de la région a été
considérablement modifiée. Pendant et après la seconde guerre mondiale,
la composition de la population a changé du fait, tout d’abord,
de l’extermination de la population juive, puis de l’expulsion d’un
grand nombre d’Allemands et de Hongrois et enfin de l’arrivée de
nouveaux colons (quelque 200 000 personnes), essentiellement des
Serbes et des Monténégrins. Au lendemain des guerres balkaniques
des années 1990, la région est devenue la destination d’un très
grand nombre de réfugiés de Croatie et de Bosnie.
44. En conséquence, on a observé une baisse notable du nombre
de membres de minorités nationales entre 1991 et 2002. Selon le
recensement de 1991, la Vojvodine comptait 339 491 habitants hongrois
alors qu’ils n’étaient plus que 290 207 d’après le recensement de
2002. Il en va de même des Croates dont le nombre est tombé de 74
808 en 1991 à 56 546 en 2002.
5.1. Autonomie de la province
45. La Vojvodine jouit du statut
de province autonome au sein de la République de Serbie.
46. L’Assemblée de la province autonome de Vojvodine est l’organe
représentatif suprême de la province et se compose de 120 représentants
mais elle n’a pas de pouvoir législatif. L’organe exécutif est le
Conseil exécutif de la province autonome de Vojvodine qui est tenu
de rendre compte de ses actions devant l’Assemblée. Les droits et
obligations de ce conseil sont énoncés par la Constitution de la
République de Serbie et le statut de la province autonome qui est
son instrument juridique suprême.
47. Par le passé, entre 1974 et 1990, la province jouissait d’une
bien plus grande autonomie, ce qui engendre régulièrement des demandes
d’autonomie accrue. Dans ce contexte, ces dernières années, le conseil
exécutif a mené de nombreuses activités de grande ampleur destinées
à recouvrer les compétences de la province
. La «loi omnibus»
de
2002 a rendu à la province certaines des compétences qu’elle avait perdues
sous Milošević mais ses pouvoirs restent limités; elle n’a d’autorité
ni sur la police, ni sur la justice, par exemple.
48. Une autonomie accrue de la Vojvodine est régulièrement revendiquée
par les partis des minorités comme ce fut le cas dans le cadre de
l’adoption de la nouvelle Constitution de la République de Serbie
. Considérant que la nouvelle Constitution
n’avait pas apporté le degré d’autonomie promis, certains partis
ont préconisé le boycott du référendum constitutionnel (pour lequel
le taux de participation a été relativement faible)
. En outre,
la question des droits des minorités a fait l’objet de discussions
dans le cadre de la campagne pour les élections législatives du
21 janvier 2007
.
Désormais la question de l’autonomie est de nouveau abordée par
les partis des minorités dans le contexte des prochaines élections
présidentielles de janvier 2008, le parti des Hongrois a annoncé
en novembre 2007 qu’il ne soutiendrait qu’un candidat aux présidentielles
partisan d’une plus grande autonomie de la Vojvodine
.
49. Dans ce contexte, on remarque avec intérêt que l’article 12
de la nouvelle Constitution de la République de Serbie prévoit le
droit des citoyens à l’autonomie provinciale et locale. Cependant,
comme le souligne la Commission de Venise dans son avis, «bien qu’en
principe il s’agisse d’une règle bienvenue, il paraît regrettable
de ne pas avoir donné à ce droit de signification concrète dans
la Constitution, qui laisse presque intégralement au pouvoir législatif
le soin de définir l’étendue de tels droits»
. Par ailleurs, la Commission de Venise
considère que les garanties financières concernant l’autonomie financière
des provinces autonomes (article 184) sont «plutôt insuffisantes».
5.2. La situation en 2004
50. Fin 2003 et en 2004, plusieurs
rapports ont exprimé de vives inquiétudes concernant des incidents
à caractère ethnique survenus en Vojvodine. Les incidents signalés
étaient particulièrement alarmants mais il n’y a pas eu de morts.
Dans ce contexte, le Parlement européen a adopté, le 16 septembre
2004, une résolution sur «Le harcèlement des minorités en Vojvodine»
déclarant «qu’il a été récemment établi que des violences ont été
régulièrement commises dans plusieurs villes de la province de Vojvodine
à l’encontre des citoyens serbes d’origine ethnique hongroise, telles
que la profanation de tombes dans de nombreuses villes, la multiplication
d’inscriptions anti-hongroises, la destruction par les flammes du
drapeau national de la République de Hongrie et l’agression physique
par la police d’un maire représentant la minorité hongroise»
.
52. Bien que, au sujet des incidents interethniques, les diverses
sources présentent des données différentes (dont le ministère serbe
de l’Intérieur qui a fourni apparemment au moins deux séries de
données différentes
),
d’où la difficulté de disposer de statistiques fiables, ces incidents
sont une réalité
et
il est indispensable que la communauté internationale réagisse.
Toutefois, le rapporteur tient à souligner que ce n’est pas seulement
la minorité nationale hongroise qui est visée mais aussi les Croates,
les Slovaques, les Roms, les Albanais, etc. La communauté hongroise
est mieux organisée que les autres minorités, ce qui lui assure
une meilleure prise en compte des intérêts des Hongrois au niveau
international. En conséquence, l’attention de la communauté internationale
s’est exagérément concentrée sur la minorité hongroise, qui, pourtant,
n’apparaît pas comme étant un groupe particulièrement visé au sein
des diverses minorités nationales. La communauté internationale
devrait accorder la même attention à toutes les minorités.
53. Compte tenu des caractéristiques multiethniques de la Vojvodine
et de la Serbie dans son ensemble, ainsi que de l’histoire de la
région ponctuée de conflits à motivation ethnique sous le régime
de Milošević et des expulsions forcées de groupes de population,
la violence ethnique est une source de préoccupation particulière
qui devrait être traitée par les autorités avec beaucoup de célérité
et d’efficacité.
5.3. Mesures prises et situation
actuelle
54. Selon les informations disponibles,
face aux manifestations d’hostilité à l’égard des minorités, les autorités
n’ont pas réagi avec assez de rapidité et de vigueur, ni marqué
une réelle volonté de prendre des mesures pour faire cesser les
incidents. Il a été signalé, et c’est très regrettable, que les
autorités n’ont réagi à ces incidents que lentement et sous la pression
internationale
. Les réactions de la police
et de la justice notamment ont été jugées inappropriées.
55. C’est seulement fin 2004 que les autorités ont commencé à
manifester leur intention de traiter le problème, lorsqu’en septembre,
le Premier ministre, Vojislav Koštunica, a visité plusieurs villes
de Vojvodine et discuté à ce sujet avec des représentants de la
police, de la justice et de l’administration. Les commissions pour
la sécurité et les relations interethniques du Parlement de Serbie
ont tenu une réunion conjointe en présence des chefs de file politiques
des minorités nationales le 10 septembre 2004, à Subotica.
56. De fait, des signes tangibles d’une meilleure compréhension
du problème au niveau politique ont été enregistrés, ainsi qu’un
changement positif dans l’attitude de la police qui a fait preuve
d’une plus grande efficacité dans son action
. En conséquence, on
observe, depuis fin 2004, une diminution substantielle du nombre
d’actes hostiles aux minorités, tendance qui s’est confirmée tout
au long de 2005 et 2006
. Ces résultats montrent
qu’une réaction plus rapide et plus ferme au niveau politique aurait
probablement permis d’éviter l’escalade des tensions tout au long
de l’année 2004. A cette époque, les autorités n’ont assurément pas
réagi comme il convenait. Toutefois, la réaction au niveau du pouvoir
judiciaire et en termes de poursuites a été apparemment beaucoup
plus lente et le rapporteur a recueilli des plaintes selon lesquelles,
même si l’action de la police s’est considérablement améliorée,
les enquêtes restent encore souvent bloquées au niveau du procureur.
57. L’adjoint au médiateur de la province autonome de Vojvodine
a déclaré devant la sous-commission sur les droits des minorités
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
le 17 mai 2006, à Budapest, que «la durée des enquêtes de police
sur les auteurs de harcèlement et d’agressions, le nombre d’affaires
que la police n’a pas réussi à élucider, la façon dont ces affaires
sont présentées à la télévision nationale indiquent que la République
de Serbie contribue à perpétuer ce type d’affaires par son inaction
ou des actions dilatoires»; l’adjoint au médiateur a, néanmoins,
souligné «que, par rapport à 2004, la police avait, en 2005, fait
preuve d’une efficacité accrue s’agissant de retrouver les auteurs
de ces agressions»
.
Le rapporteur considère qu’il est encourageant de constater que
plusieurs condamnations pour attitude extrémiste et incitation à
la haine raciale ou religieuse ont été prononcées
.
58. Globalement, certains progrès concrets ont été réalisés en
matière de droits des minorités avant 2004 et ont déjà été salués
.
59. On peut qualifier de notables les changements institutionnels
et les dispositions réglementaires mis en œuvre en 2002 en matière
de décentralisation, de protection et de politiques en faveur des
minorités (loi omnibus, loi sur les minorités, instauration de conseils
nationaux pour les minorités nationales, modification des lois sur
les élections législatives en Serbie et Vojvodine, en tenant compte
du principe de discrimination positive à l’égard des minorités)
ainsi que l’institution
du médiateur de la province
. Ces mesures établies par
la République de Serbie sont extrêmement positives en matière de
protection des droits des minorités et tous les représentants des
minorités nationales que le rapporteur a rencontrés ont jugé très
positive la création de conseils nationaux des minorités nationales.
60. Le 17 septembre 2004 a été pris un arrêté sur la création
du Conseil de la République de Serbie pour les minorités nationales
qui vise à assurer une communication permanente entre les représentants
des conseils nationaux des minorités nationales.
61. Une partie substantielle de ce cadre juridique favorable existait,
certes, déjà à l’époque, ce qui n’a pas empêché l’année 2004 d’être
marquée par une escalade de la violence interethnique en Vojvodine.
Cette réalité préoccupante montre qu’il y a encore beaucoup à faire
pour améliorer la tolérance entre les communautés. Il est particulièrement
important de noter que, bien que le nombre d’incidents ait diminué,
la violence interethnique existe toujours et se déclenche essentiellement
entre les jeunes, comme l’ont signalé de nombreux interlocuteurs
du rapporteur au cours de sa visite à Novi Sad
. Des mesures éducatives s’imposent
pour favoriser une meilleure acceptation des différentes communautés.
Dans son avis, le comité consultatif a déjà souligné qu’il fallait
renforcer encore les initiatives visant à promouvoir un esprit de
tolérance et le dialogue interculturel
.
62. En septembre 2005, le secrétariat de Vojvodine pour la législation,
l’administration et les minorités nationales a lancé un projet de
promotion du multiculturalisme et de la tolérance en Vojvodine qui
vise à améliorer les relations interethniques. Cette initiative
a essentiellement pour cible les enfants scolarisés et le projet
englobe une campagne médiatique en faveur du multiculturalisme.
Le rapporteur se félicite de ce projet qui représente un pas en
avant dans la bonne direction et espère que d’autres de plus grande
envergure suivront. Le rapporteur souligne l’importance de ce genre
de projets eu égard aux tensions qui peuvent exister entre les membres
de différentes minorités. En effet, il est inquiétant de constater
notamment une certaine méfiance vis-à-vis des Roms déplacés. Le
rapporteur note par exemple certaines réactions de rejet de la part de
membres de minorités dans l’hypothèse de l’utilisation des maisons
abandonnées en Vojvodine en vue de la réadmission et de l’installation
des personnes qui seront expulsées de l’Union européenne dans les prochains
mois
. Dans ce
contexte, les autorités doivent cependant veiller à bien respecter
les dispositions de l’article 16 de la convention-cadre tout en
promouvant le respect mutuel et la tolérance entre les membres des
minorités
.
63. En outre, des efforts sont déployés pour accroître la proportion
de membres de minorités nationales dans les services de l’Etat particulièrement
sensibles comme la police, l’action publique et les tribunaux, dans lesquels
ils restent largement sous-représentés
. Ces efforts ont été accueillis
avec satisfaction par les ONG que le rapporteur a rencontrées lors
de sa visite à Novi Sad; les ONG ont également affirmé n’avoir observé, dans
ce domaine, aucune discrimination systématique à l’égard des membres
de minorités. Toutefois, il est à déplorer qu’il y ait apparemment
un manque réel de fonctionnaires parlant la langue de la minorité,
même dans les municipalités où les membres de cette minorité représentent
une très large majorité des habitants. Le rapporteur est conscient
de la constitution en Serbie du Sud d’une force de police multiethnique
et estime qu’une telle initiative pourrait aussi être une solution
appropriée pour la Vojvodine. Le rapporteur félicite par ailleurs
l’ombudsman de Vojvodine qui a publié des recommandations visant
à accroître la représentation des minorités dans l’administration
publique.
64. S’agissant de l’éducation dans la langue minoritaire, le comité
consultatif a pris acte, dans son avis, de l’adoption de plusieurs
mesures satisfaisantes, soulignant que la situation en Vojvodine
constitue un exemple positif mais concluant aussi qu’il existe des
insuffisances dans plusieurs régions en matière d’enseignement de
certaines langues minoritaires ou dispensé dans ces langues. Il
exhorte, par conséquent, les autorités à s’efforcer davantage d’évaluer
l’importance de la demande et à réexaminer la situation afin de
garantir l’application pleine et entière de la législation nationale
en matière d’enseignement des ou dans les langues minoritaires
.A
cet égard, le rapporteur a été informé qu’il y avait un manque de
professeurs ayant les qualifications requises pour enseigner les
langues minoritaires. En même temps, on lui a signalé la mise en œuvre
actuellement d’initiatives positives pour régler ce problème comme
la création d’un centre de formation des enseignants à Subotica.
65. Concernant les questions d’éducation en général, les représentants
des ONG ont déclaré au rapporteur déplorer que les jeunes membres
des minorités nationales aient apparemment une maîtrise de plus
en plus mauvaise de la langue serbe tandis que, dans la plupart
de cas, les jeunes Serbes ne parlent aucune langue minoritaire (même
s’ils résident dans une ville où vit une minorité numériquement
très importante). Ils ont suggéré de développer les écoles bilingues,
ce qui permettrait aux communautés d’apprendre à mieux se connaître
et constituerait un outil efficace pour promouvoir l’esprit de tolérance.
66. Il convient également de souligner le rôle joué par les médias.
En effet, la couverture médiatique est un important facteur d’approche
et de perception globales des problèmes. En l’occurrence, certains
médias ont, semble-t-il, joué un rôle préjudiciable à la reconnaissance
de la violence à l’égard des minorités en ignorant pratiquement,
pendant plusieurs mois, les incidents survenus et parfois même en
relayant l’information avec des accents nationalistes. Les autorités
devraient faire un réel effort pour garantir que les médias rendent compte
de l’actualité de manière objective, en respectant leur obligation
d’informer et d’avertir le public, sans contribuer à créer un climat
d’hostilité à l’égard des minorités. A cette fin, elles devraient
veiller, par tous les moyens légaux dont elles disposent et par
des poursuites judiciaires, le cas échéant, à ce que la loi contre l’incitation
à la haine soit correctement appliquée. Des inquiétudes se sont
également exprimées concernant le manque d’indépendance des responsables
des programmes de télévision en langue minoritaire dans la province
de Vojvodine
.
67. Les médias doivent assumer la responsabilité spéciale qui
est la leur en matière de promotion d’un climat de tolérance et
de respect interculturel, tel qu’énoncé dans la Recommandation no
R (97) 21 du Comité des Ministres sur les médias et la promotion
d’une culture de tolérance.
68. Dans ce contexte, le rapporteur note avec satisfaction que
l’Agence pour les droits de l’homme et des minorités a conclu un
accord avec les télévisions et les conseils nationaux pour les minorités
sur la teneur d’émissions relatives aux minorités dans le but de
promouvoir l’esprit de tolérance.
6. Minorité ethnique valaque/roumaine
69. Plusieurs questions se posent
concernant la minorité ethnique roumaine en Serbie. Le rapporteur
a pu constater des disputes quant à la définition même de la minorité
ethnique roumaine, mais aussi des inégalités régionales quant à
l’exercice effectif des droits des minorités nationales.
6.1. Définition de la minorité
ethnique roumaine en Serbie: Valaques/Roumains
70. Il est particulièrement difficile
de définir clairement les contours de la minorité ethnique roumaine.
Problématique
71. Il semble en premier lieu particulièrement
difficile de chiffrer la partie de la population serbe issue de
la minorité ethnique roumaine. En effet, les différents recensements
témoignent de différences énormes. Si, selon le recensement de 1991,
on comptait 42 331 Roumains et 17 807 Valaques en Serbie
, on en comptait respectivement
34 576 et 40 054 lors du recensement de 2002
.
Le rapporteur note que plusieurs de ses interlocuteurs ont allégué
que les recensements auraient fait l’objet de manipulations, mais
sans en apporter la preuve
.
72. La minorité ethnique roumaine est implantée dans des régions
bien distinctes sur le territoire serbe. Cette minorité est située
principalement en Vojvodine et dans l’est de la Serbie, plus précisément
dans les vallées du Timoc, de la Morava et du Danube. Les Valaques
sont presque exclusivement installés dans l’est de la Serbie.
73. Les Valaques sont un groupe ethnique présent en Serbie et
dans d’autres pays voisins, culturellement et linguistiquement apparenté
aux Roumains.
74. D’aucuns considèrent que les Valaques font directement partie
de la minorité roumaine, d’autres qu’il s’agit d’une minorité distincte.
Le fait que les Valaques se soient organisés indépendamment de la
minorité roumaine en fondant leur propre Conseil pour la minorité
nationale valaque montre qu’une partie des Valaques considère ne
pas appartenir à la minorité roumaine.
75. Le rapporteur remarque que le processus de mise en place d’un
Conseil national pour la minorité valaque a été long et difficile.
En effet, le Gouvernement serbe a longtemps refusé d’enregistrer
un tel conseil car il ne se différenciait pas du Conseil national
pour la minorité roumaine, déjà existant. Les statuts proposés pour
l’enregistrement du Conseil national pour la minorité valaque, outre
le fait qu’il portait le même nom en roumain que celui pour la minorité
roumaine, prévoyaient que la langue de la minorité valaque/de travail
du conseil soit le roumain littéraire. Le gouvernement considérait
qu’il s’agissait donc d’une seule et même minorité et la loi ne
permet pas la création de plusieurs conseils nationaux pour une
même minorité (un Conseil national pour la minorité roumaine avait
déjà été enregistré).
76. La langue est un sujet de discorde entre les différentes sensibilités
de la minorité ethnique «roumaine». D’aucuns considèrent que, la
langue vlasi n’ayant pas de forme écrite, la seule langue écrite
commune à tout la minorité ethnique roumaine est le roumain littéraire.
Cela constitue à leurs yeux une preuve que les Valaques sont des
membres de la minorité roumaine. D’autres, au contraire, lancent
des tentatives de codification de la langue vlasi afin d’affirmer
un peu plus l’indépendance et la particularité de cette minorité.
77. Finalement, peu avant la visite du rapporteur dans l’est de
la Serbie, un vote des membres du futur conseil national de la minorité
valaque a permis d’en modifier les statuts et d’inscrire que la
langue serait «le serbe et la langue “maternelle”». A la suite de
cette modification, le Conseil national pour la minorité valaque a
pu être enregistré légalement le 31 juillet 2007. Au sein de ce
conseil national, deux tendances sont représentées: l’une qui considère
que la minorité valaque est tout à fait indépendante de la minorité
roumaine, l’autre considérant au contraire qu’il s’agit de la même
minorité.
78. Le rapporteur a entendu toutes les parties et a pu remarquer
que le vote sur la modification des statuts était particulièrement
contesté parmi les membres de la minorité valaque, certains d’entre
eux revendiquant de revenir sur cette décision. D’après les informations
qui lui ont été transmises, il semblerait d’ailleurs qu’une décision
en ce sens (réaffirmant que la langue écrite de la minorité est
le roumain littéraire) ait été prise au sein du Conseil national
pour la minorité valaque. Mais les autorités ont fait savoir au
rapporteur que tout retour en arrière sur cette modification des
statuts entraînerait que le Conseil national pour la minorité valaque
soit rayé des registres.A la date d’aujourd’hui, pourtant, le rapporteur
n’a pas été informé d’une évolution en ce sens.
Position des gouvernements concernés
79. La position des autorités roumaines
à cet égard est très tranchée, le Président Basescu a d’ailleurs
fait savoir que cette division est une «erreur» et a appelé les
deux associations à s’unifier
. Il considère que la Roumanie
peut apporter sa protection à la minorité ethnique roumaine et donc
également aux Valaques. Par ailleurs, il considère que la division
nuit à la protection des intérêts de la minorité ethnique roumaine
puisqu’elle en affaiblit la représentation. Il est clair que les
autorités roumaines font tout pour inciter les membres de la minorité
valaque à s’organiser de manière unifiée avec les membres de la
minorité roumaine en Serbie mais tout en respectant la liberté de
chacun de choisir sa propre identité
.
80. Le rapporteur fait remarquer que cette position des autorités
roumaines n’est pas sans un certain intérêt puisque l’accroissement
potentiel en termes numériques de la minorité roumaine serait très
important si les Valaques s’y joignaient. Ainsi la minorité ethnique
roumaine se rapprocherait-elle numériquement de la minorité hongroise
(actuellement la plus importante en Serbie), voire la dépasserait.
81. Le Gouvernement serbe, pour sa part, se veut le plus neutre
possible sur cette question. Certains interlocuteurs du rapporteur
lui ont fait part de leur conviction que les autorités serbes ont
tout intérêt à ce que la minorité ethnique roumaine reste divisée
afin qu’elle garde des proportions moins importantes et qu’elles feraient
tout pour maintenir une division artificielle dans ses rangs. D’aucuns
sont allés jusqu’à affirmer que la passivité des autorités eu égard
à la minorité valaque équivaudrait à une assimilation silencieuse.
Des remarques du même ordre sont parvenues au rapporteur en ce qui
concerne la minorité croate et la minorité bunjevci, ou encore la
minorité ukrainienne et la minorité ruthénienne
.
82. Pourtant, le rapporteur n’a pas pu constater d’ingérence réelle
des autorités sur cette question. Les conditions pour l’enregistrement
d’un Conseil national de la minorité valaque indépendant ne lui
semblent pas abusives. A sa demande expresse lors de ses rencontres
sur place, les autorités serbes ont assuré au rapporteur qu’elles
ne s’opposeraient pas à ce que les Valaques rejoignent les Roumains
sous le chapeau du Conseil national de la minorité roumaine s’ils
décidaient de former une seule grande minorité ethnique roumaine.
Les autorités n’encouragent pas cette fusion (et ce n’est pas leur
rôle), mais ne l’empêchent pas pour autant.
83. Par ailleurs, il convient de remarquer que le recensement
de 2002 mentionnait tant la minorité roumaine, que la minorité valaque.
Le comité consultatif a considéré qu’il s’agissait là d’un élément
positif témoignant de la reconnaissance égale au sens de l’article
3 de la Convention-cadre de l’identité des deux minorités par les autorités
.
Position du rapporteur: rappel
des principes
84. Partant, le rapporteur pense
que la position des autorités serbes en la matière a été a priori
raisonnable et n’a pas entravé la liberté des membres d’une minorité
nationale de se reconnaître, ou non, comme tels, conformément à
l’article 3 de la convention-cadre, dont les dispositions doivent
rester la référence de base en la matière. Pour autant le rapporteur
appelle les autorités à prendre des mesures positives en faveur
des minorités, y compris de la minorité valaque, et à veiller à
l’abolition de toute discrimination à l’encontre de ses membres.
85. Le rapporteur a été frappé par les divergences de points de
vue au sein même des membres de la minorité valaque eu égard à la
question de leur appartenance, ou non, à la minorité ethnique roumaine.
Cette discussion fait l’objet de guerres intestines, connotées d’intérêts
politiques différents, à tel point que certains membres de la minorité
dite «valaque», qui sont même parmi les membres fondateurs du Conseil
national pour la minorité roumaine dont le siège est en Vojvodine,
sont presque considérés comme des traîtres par leurs pairs défenseurs
d’une minorité valaque distincte.
86. Il n’appartient en aucun cas au rapporteur de se positionner
en juge et de trancher sur cette question. Le rapporteur tient à
répéter le principe fondamental énoncé à l’article 3 de la convention-cadre
qui prévoit en son alinéa premier: «Toute personne appartenant à
une minorité nationale a le droit de choisir librement d’être traitée
ou ne pas être traitée comme telle et aucun désavantage ne doit
résulter de ce choix ou de l’exercice des droits qui y sont liés.»
Le rapporteur rappelle que toute tentative visant à imposer une
identité à une personne, ou à un groupe de personnes, est inadmissible
.
6.2. Question de la (non)-reconnaissance
de l’Eglise orthodoxe roumaine en tant qu’Eglise traditionnelle
87. La nouvelle loi de 2006 concernant
les Eglises et les organisations religieuses en République de Serbie
ne reconnaît
pas l’Eglise orthodoxe roumaine en tant qu’Eglise traditionnelle.
Les sept Eglises traditionnelles reconnues aux termes de cette loi
sont les suivantes: l’Eglise orthodoxe serbe, l’Eglise catholique
romaine, l’Eglise évangélique slovaque, l’Eglise chrétienne évangélique,
l’Eglise réformée, la communauté islamique et la communauté juive.
On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’Eglise orthodoxe
roumaine ne fait pas partie de cette liste
. De surcroît, l’Eglise orthodoxe
roumaine ne fait même pas partie de la liste des confessions religieuses
énumérées à l’article 17 de ladite loi.
88. Cette nouvelle loi, alors qu’elle était en projet, avait fait
l’objet d’un certain nombre de critiques par la Commission de Venise
. En substance, la Commission de
Venise a soulevé plusieurs interrogations quant à la possible application
discriminatoire des critères requis dans la procédure d’enregistrement.
Par ailleurs, elle s’est inquiétée du fait que l’enregistrement
puisse conditionner des droits élémentaires (entre autres, l’acquisition
de la personnalité morale) et a rappelé que l’application de l’article
9 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut pas
être subordonnée à un système d’enregistrement.
89. Plus particulièrement, en ce qui concerne les droits des minorités,
la Commission de Venise relève que certaines dispositions (article
33 et article 34) «pourraient provoquer des biais en faveur de l’Eglise
locale dominante et la discrimination de minorités locales».
90. Il semblerait que cette nouvelle loi, et son application par
le ministère des Cultes considérée parfois comme arbitraire
ou discriminatoire, ait détérioré
le respect de la liberté de religion en Serbie.
91. Selon des informations transmises au rapporteur par les autorités
serbes, l’Eglise orthodoxe roumaine serait reconnue selon la loi
serbe. Par ailleurs, il semblerait que, dans une assez large mesure,
les relations entre l’Eglise orthodoxe serbe et l’Eglise orthodoxe
roumaine soient réglées directement par les autorités ecclésiastiques
elles-mêmes; les relations entre l’Eglise orthodoxe serbe et son
homologue roumaine étant réglées par le droit canon. Les deux Eglises
ont conclu un accord de reconnaissance. En novembre 2006, l’Eglise
orthodoxe serbe a reconnu l’évêché Dacia Felix de confession orthodoxe
roumaine, alors que l’Eglise orthodoxe roumaine a reconnu l’évêché
orthodoxe serbe de Timișoara en Roumanie. Cet accord ne donnerait cependant
pas de juridiction à l’évêché de l’Eglise orthodoxe roumaine sur
la région du Timoc placée uniquement sous la juridiction de l’Eglise
orthodoxe serbe. Or c’est dans cette région que les membres de la minorité
ethnique roumaine se plaignent le plus de ne pas pouvoir librement
pratiquer leur culte.
92. A l’heure actuelle, l’Eglise orthodoxe roumaine est donc représentée
par un vicaire en Serbie. D’aucuns souhaiteraient qu’un évêché puisse
être créé. Le Parlement de Vojvodine a approuvé une proposition d’amendement
en vue de l’ajout de l’Eglise orthodoxe roumaine à la liste des
Eglises traditionnelles inscrite dans la loi de 2006.
93. A Negotin, dans la vallée du Timoc, le rapporteur a rencontré
un groupe d’interlocuteurs parmi lesquels se trouvait Bojan Aleksandrovic,
prêtre de confession orthodoxe roumaine. Le père Aleksandrovic s’est
plaint que des barrières administratives aient été volontairement
placées afin de l’empêcher de construire une église pour sa paroisse.
Par ailleurs, il a allégué avoir fait l’objet de menaces de mort
et avoir été empêché de porter plainte au motif qu’il n’y aurait
pas de base légale à une telle démarche. Le père Aleksandrovic considère
que l’Eglise orthodoxe serbe est en fait une Eglise d’Etat puisque
la construction d’une église d’une autre confession nécessite une
autorisation émanant des autorités de l’Eglise orthodoxe serbe (et
cela lui a été spécifié par le ministère compétent par écrit).
94. A Belgrade, le rapporteur a rencontré les responsables de
l’Eglise orthodoxe roumaine (et notamment le vicaire) qui se sont
montrés tout à fait satisfaits de la situation de l’Eglise orthodoxe
roumaine en Serbie qui dénombre 39 paroisses (en plus de certaines
plus petites entités). Contrairement aux positions relayées par
la presse, ils considèrent que l’Eglise orthodoxe roumaine est parfaitement
reconnue dans la législation serbe et ont cité le règlement sur
le contenu et la manière de tenir le registre des Eglises et des
communautés religieuses (
Gazette officielle
de la République de Serbie, 26 juillet 2006, no 43/2006)
dont l’article 2 dispose: «Avec l’accord de l’Eglise orthodoxe serbe,
l’unité organisationnelle de l’Eglise orthodoxe roumaine de Banat est
inscrite au registre» (traduction non officielle)
.
95. Il a également été fait état de l’enseignement de la religion
orthodoxe roumaine dans les écoles, les enseignants étant d’ailleurs
rémunérés par l’Etat serbe. Les représentants de l’Eglise orthodoxe
roumaine ont informé le rapporteur de l’existence de manuels en
langue roumaine (dont ils ont d’ailleurs transmis certains exemplaires
au rapporteur).
96. Par ailleurs, les représentants de l’évêché de l’Eglise orthodoxe
roumaine ont informé le rapporteur que le prêtre Aleksandrovic n’était
pas reconnu par leur Eglise (en effet, il n’aurait pas fini la formation
requise à la faculté de théologie). Dans l’est de la Serbie, la
situation est telle qu’il n’existe à ce jour pas de compétence pour
l’Eglise orthodoxe roumaine, toute paroisse de cette confession
nécessite donc l’accord des autorités de l’Eglise orthodoxe serbe.
Selon les représentants de l’Eglise orthodoxe roumaine en Serbie,
l’Eglise orthodoxe serbe est disposée à faire lire des messes en
vlasi/roumain car des prêtres d’origine valaque ont été adoubés. Mais
cela nécessiterait un accord entre les deux Eglises. Cependant,
si les choses sont si simples et nécessitent une simple entente
entre les deux Eglises, le rapporteur se demande pourquoi aucune
solution n’a été trouvée à ce jour.
97. Si le rapporteur a donc pu constater que les relations entre
le clergé de l’Eglise orthodoxe serbe et celui de l’Eglise orthodoxe
roumaine de Serbie semblent être cordiales, il s’étonne cependant
qu’une telle latitude de décision soit laissée à l’Eglise orthodoxe
serbe dont l’influence en termes de reconnaissance d’autres Eglises
ou communautés religieuses semble exacerbée. Il s’étonne également
de l’importance du statut apparemment accordé au droit canon dans
un Etat séculier. Il craint que cela témoigne d’une séparation incomplète
de l’Eglise et de l’Etat. Cet état de fait ne serait pas en soi
préoccupant si les compétences étaient clairement définies, mais
en l’occurrence un certain flou semble régner. La Commission de
Venise a d’ailleurs clairement recommandé que le statut juridique
du droit canonique et des décisions ecclésiales soit défini plus précisément.
98. En ce qui concerne la possibilité pratique d’assister à une
messe selon le culte orthodoxe roumain, et en langue vlasi/roumaine,
la situation est très inégale selon la région considérée. Les «Roumains»
vivant en Vojvodine n’ont aucune difficulté à assister à une messe
célébrée selon le culte orthodoxe roumain dans leur langue maternelle.
La situation est plus complexe pour les membres de la minorité roumaine
ou valaque habitant dans l’est de la Serbie. Il semblerait que cela
soit parfois possible dans certains villages mais pas systématiquement.
Par ailleurs, il est allégué que toute tentative nouvelle de tenir
une messe selon le culte orthodoxe roumain dans une localité dans
l’est de la Serbie soit soumise à de fortes pressions et à des réactions
d’hostilité.
99. Le rapporteur enjoint les autorités serbes, en coopération
avec les représentants des deux Eglises, à trouver une solution
pratique afin que la liberté de religion soit une réalité également
dans l’est de la Serbie. Il semble nécessaire de réfléchir à la
possibilité de reconnaître une juridiction à l’Eglise orthodoxe
roumaine, par exemple en étendant les compétences territoriales
de l’évêché Dacia Felix.
6.3. Usage de la langue vlasi/roumaine
dans l’administration, dans l’enseignement et dans les médias
100. Il a été rapporté que l’utilisation
de la langue vlasi dans les administrations locales n’est pas implantée même
dans les localités dans lesquelles les membres de cette minorité
représentent plus de 15 % de la population. Cette proportion de
15 % est prévue par la législation nationale pour l’usage d’une
langue dans l’administration. Or la langue vlasi ne fait pas partie
des langues minoritaires pour lesquelles la Serbie s’est engagée
sur la base de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
En effet, le rapporteur pense qu’il est nécessaire de rappeler que
certaines des dispositions de la charte s’appliquent à toutes les langues
minoritaires, y compris à celles qui ne sont pas mentionnées dans
l’instrument de ratification
. En vertu des principes énoncés
dans la partie II de la charte, et en particulier à son article
7, la langue vlasi doit bénéficier des mesures de protection des
langues régionales ou minoritaires
.
101. Le problème de l’enseignement dans la langue minoritaire est
double: d’une part, il n’est guère possible d’enseigner en vlasi
puisqu’il s’agit d’une langue essentiellement orale, d’autre part
on manque d’enseignants qualifiés pour enseigner en langue roumaine.
102. Les autorités serbes et les représentants des minorités devraient
joindre leurs efforts afin de trouver des solutions pratiques à
ce problème. Une politique proactive en la matière serait très souhaitable
car l’enseignement dans la langue maternelle, voire de la langue
maternelle, est indéniablement un élément qui permet à une minorité
de ne pas cesser d’exister. L’enseignement est un vecteur de viabilité
du pluralisme, car la langue est l’élément essentiel des différentes
cultures.
103. Selon les informations transmises au rapporteur, il semblerait
qu’à plusieurs reprises des membres de la minorité valaque/roumaine
aient collecté des signatures dans une pétition demandant que soit
assuré l’enseignement de leur langue, sans succès.
104. En matière de médias, force est de constater que les membres
de la minorité roumaine et/ou valaque résidant dans l’est de la
Serbie sont fortement désavantagés par rapport à ceux vivant en
Vojvodine.
105. Si les membres de la minorité roumaine de Vojvodine ont accès
à un spectre assez large de médias écrits, radiophoniques et télévisuels
en langue roumaine, une telle offre n’existe pas dans l’est de la
Serbie. Les habitants du nord-est de la Serbie n’ont pas la possibilité
de recevoir les émissions transmises par la télévision de Vojvodine.
A la suite de la demande du rapporteur, ses interlocuteurs, y compris
les autorités, ont mis en avant des contraintes techniques, les
émissions de Vojvodine n’étant accessibles que par le câble. Certaines
initiatives ont été amorcées pour introduire un journal en langue
roumaine dans l’est de la Serbie mais elles n’ont apparemment pas
été couronnées de succès.
106. Les autorités ont pour leur part signalé que l’obligation
issue de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
d’avoir des médias écrits en langues minoritaires ne s’applique
pas au vlasi qui n’a pas été inclus par la Serbie dans l’instrument
de ratification. Le rapporteur rappelle ici les éléments indiqués au
paragraphe 100 ci-dessus.
107. Ayant constaté la demande de la part des membres de la minorité
valaque/roumaine dans la vallée du Timoc, le rapporteur appelle
les autorités serbes et les acteurs concernés à réfléchir à des
moyens d’étendre l’offre de médias télévisuelle en langue roumaine
existant en Vojvodine afin que les personnes le souhaitant puisse
également en bénéficier dans l’est de la Serbie. En l’état actuel
des technologies, il ne s’agit sans doute pas d’une demande irréalisable.
108. Par ailleurs, le rapporteur a été informé de l’actuelle privatisation
des médias écrits en Serbie et il est conscient que de petites entités,
et notamment celles en langues minoritaires, ne pourront pas survivre
à une vague de privatisation. Le rapporteur invite les autorités
à prévoir des exceptions afin d’assurer la viabilité des médias
en langue minoritaire.
109. En conclusion, le rapporteur a pu constater que la minorité
valaque craint de perdre son identité, ses particularités, son mode
d’expression et se bat en ce sens pour une reconnaissance indépendante
de la minorité roumaine. Or il a également pu constater que deux
parties d’une même minorité travaillent dans le même but, mais avec
des moyens complètement différents. Ces divergences ne peuvent que
nuire à la protection des droits de cette minorité et présentent
le danger de pouvoir facilement être exploitées en vue d’une assimilation
croissante des membres de la minorité à la majorité du pays. Le
rapporteur craint fort que si les disputes internes persistent,
voire se renforcent, une perte d’identité d’une partie des membres
de cette minorité ne soit quasi inéluctable. Au contraire, si les
membres de la minorité – que l’on souhaite l’appeler roumaine ou
valaque importe peu – s’unissent, ils auront une réelle opportunité
de faire respecter les droits que leurs donnent la loi et les normes
internationales.
7. Conclusion
110. Comme le notait déjà le comité
consultatif dans son avis (précité), la région des Balkans reste
marquée par des tensions interethniques, triste héritage de la politique
antiminoritaire des années Milošević. Aujourd’hui encore, des incidents
à caractère ethnique, plus ou moins violents et avec plus ou moins
d’acuité, sont recensés en Serbie. De toute évidence, il est, aujourd’hui
encore, nécessaire de reconstruire la confiance entre les minorités
et les autorités serbes ainsi qu’entre les minorités elles-mêmes.
Les autorités doivent prendre plus de mesures positives et volontaristes
en ce sens et surtout en assurer la mise en œuvre pleine et effective.
111. La communauté internationale a accordé une grande attention
à la situation des minorités nationales en Vojvodine en 2004, ce
qui a eu pour effet d’inciter les responsables politiques à se préoccuper
davantage de la violence à l’égard des minorités. Il était urgent
de réagir car les incidents se multipliaient à un rythme alarmant.
Toutefois, il convient de souligner qu’à de nombreux égards, les
minorités nationales jouissent d’une bien meilleure protection de
leurs droits en Vojvodine que partout ailleurs en Serbie. Pourtant,
si les incidents sont moins nombreux, ils n’ont pas disparu pour
autant; la société n’est donc pas encore totalement débarrassée
de toute prétention nationaliste. Compte tenu des débats sur le
statut du Kosovo, il est de la plus haute importance que les autorités
de la République de Serbie poursuivent leurs efforts en faveur des
minorités nationales et prennent toutes les mesures nécessaires
pour éviter une nouvelle escalade de la violence interethnique.
112. Le rapporteur constate que sur de nombreux plans (éducation
dans la langue maternelle, protection de la langue maternelle, exercice
de la religion dans la langue maternelle, représentation dans les
instances politiques et dans les administrations, initiatives culturelles,
etc.) la situation de la minorité valaque dans l’est de la Serbie
est nettement moins favorable que celles des membres des minorités
nationales vivant en Vojvodine. Alors qu’un certain nombre d’initiatives
en Vojvodine ont été considérées par le comité consultatif comme
louables, il a notamment constaté que la situation de la minorité
valaque dans le nord-est de la Serbie est beaucoup moins développée.
113. En 1997, l’Assemblée parlementaire s’était déjà déclarée «préoccupée
par la situation critique de la langue et de la culture aroumaines
qui existent depuis plus de deux millénaires dans la péninsule Balkanique»
.
114. Le rapporteur ne peut que confirmer le danger qu’il a pu constater.
La culture valaque (ou «aroumaine») est effectivement menacée. Personne
ne conteste les liens très étroits entre la culture roumaine et
la culture valaque, mais – sans entrer dans la discussion de la
dénomination de ces minorités – il existe certaines spécificités.
Ce sont ces spécificités qui sont menacées de disparition.
115. Or, chaque culture régionale, ou spécifique à un certain groupe
de population, participe à l’édifice du pluralisme culturel et donc
à la richesse de nos sociétés.
116. Le rapporteur encourage fortement les membres de la minorité
valaque/roumaine de l’est de la Serbie à joindre leurs efforts et
à dépasser leurs conflits internes dans leur propre intérêt et afin
de conserver les spécificités qui constituent leur identité. Les
autorités serbes ont ici pour responsabilité de ne pas entraver
mais au contraire de soutenir les initiatives en ce sens.
117. Par ailleurs, un des problèmes constants en Serbie, et très
entravants en termes de garantie effective des droits et libertés
fondamentales, concerne les insuffisances dans le domaine législatif
et en termes de mise en œuvre des lois.
118. En effet, comme l’a déjà relevé le Comité des Ministres, «les
principaux problèmes concernant la protection des minorités nationales
en Serbie (…) ont trait à l’application concrète des normes en pratique»
. Ce
constat est toujours valable aujourd’hui. Par contre, si le comité
consultatif avait considéré dans son avis de 2004 que ces problèmes
étaient en partie dus à une mauvaise coopération entre les entités
de l’union d’état de Serbie-Monténégro, on ne peut plus y voir aujourd’hui
la raison de la non-application des normes en pratique.
119. Le rapporteur exhorte les autorités serbes à assurer la mise
en œuvre complète et effective des normes édictées en matière de
protection des minorités nationales. Il en va de la confiance entre
les différents groupes qui constituent la population de Serbie et
de la paix interethnique.
120. Enfin, et c’est un élément essentiel des conclusions du rapporteur,
les autorités serbes ont le devoir de limiter les différences régionales
en termes de protection des droits des minorités et de prendre des
initiatives en ce sens: la discrimination géographique flagrante
existante est inacceptable.
121. Plus concrètement, le rapporteur invite les autorités compétentes:
- à accorder aux allégations de
violence interethniques une attention accrue et à y réagir avec
célérité, fermeté et efficacité, notamment par des enquêtes policières
et des poursuites judiciaires efficaces;
- à envisager de réinstituer le poste de ministre des Droits
de l’homme et des Minorités;
- à veiller à la mise en œuvre effective des législations
en matière de droits des minorités et en particulier des lois adoptées
en 2002;
- à mettre en place aussi rapidement que possible le fonds
de promotion sociale, économique, culturelle et de développement
général des minorités nationales prévu à l’article 20 de la loi-cadre
de 2002 sur la protection des droits et libertés des minorités nationales;
- à adopter rapidement une loi antidiscrimination, en tenant
compte des remarques formulées par la Commission de Venise;
- à adopter en priorité les textes législatifs relatifs
au financement et aux élections des conseils nationaux pour les
minorités nationales, en prenant en compte les commentaires des
experts du Conseil de l’Europe sur le projet de loi relatif aux
élections;
- à définir plus précisément les compétences et obligations
des conseils nationaux pour les minorités nationales tout en les
dotant des fonds nécessaires à la réalisation de leurs missions;
- à introduire un mécanisme de contrôle par les conseils
nationaux pour les minorités des actes de l’exécutif en matière
de droits des minorités;
- à convoquer des réunions plus nombreuses et régulières
du Conseil national pour les minorités nationales;
- à envisager la nomination d’un médiateur adjoint en charge
des questions relatives aux droits des minorités;
- à doter les provinces autonomes de garanties financières
adéquates;
- à prendre des mesures positives en faveur des membres
des minorités, y compris la minorité valaque, et à veiller à l’éradication
de toute discrimination à l’encontre de leurs membres;
- à intensifier leurs efforts pour le développement d’initiatives
visant à promouvoir un esprit de tolérance et le dialogue interculturel;
- à accélérer les initiatives visant à former des enseignants
ayant les qualifications requises pour enseigner les langues et
en langues minoritaires;
- à continuer de développer des écoles bilingues;
- à supprimer les différences régionales existantes en termes
de garanties effectives des droits des minorités (notamment en ce
qui concerne l’usage des langues minoritaires dans l’administration, l’enseignement
en langues minoritaires, la liberté de religion, etc.) en mettant
pleinement en œuvre, et sur tout le territoire, les législations
existantes en la matière;
- à réfléchir à des solutions techniques qui permettraient
aux personnes vivant dans l’est de la Serbie de pouvoir recevoir
les émissions en langue roumaine qui sont émises en Vojvodine;
- à prévoir des exceptions aux procédures de privatisation
des médias au bénéfice des médias en langues minoritaires afin d’en
assurer la viabilité.
122. Le rapporteur appelle également la Serbie et les Etats-parents
concernés à convoquer le plus rapidement possible les commissions
mixtes intergouvernementales prévues dans les accords bilatéraux relatifs
à la coopération dans le domaine de la protection des minorités
nationales qu’ils ont conclus.
Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques
et des droits de l’homme.
Renvoi en commission: Doc. 10715 et 10726, et Renvoi no 3147 du 25
novembre 2005.
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à
l’unanimité par la commission le 22 janvier 2008.
Membres de la commission: Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente), M. Christos Pourgourides, M. Pietro Marcenaro,
Mme Nino Nakashidzé (Vice-Présidents),
M. Miguel Arias, M. José Luis Arnaut, M. Jaume Bartumeu Cassany,
Mme Meritxell Batet,
Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc,
Mme Anna Benaki, M. Luc Van den Brande,
M. Erol Aslan Cebeci, Mme Ingrīda Circene
(remplaçant: M. Boriss Cilevičs),
Mme Alma Čolo, M. Joe Costello, Mme Lydie
Err, M. Valeriy Fedorov,
M. Aniello Formisano, M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto,
M. József Gedei, M. Valery
Grebennikov, Mme Carina Hägg, M. Holger
Haibach (remplaçant: M. Jürgen Herrmann),
Mme Gultakin Hajiyeva,
Mme Karin Hakl (remplaçante: Mme Michaela Sburny), M. Andres Herkel, M. Serhiy
Holovaty (remplaçant: M. Ivan Popescu),
M. Michel Hunault, M. Rafael Huseynov
(remplaçant: M. Ali Huseynov),
Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami,
M. Željko Ivanji, Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina Jacques, M. Karol Karski, M. András
Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Nikolay Kovalev, M. Eduard Kukan, M. Oleksandr Lavrynovych, Mme Darja
Lavtižar-Bebler, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Humfrey
Malins, M. Andrija Mandić, M. Alberto Martins, M. Dick Marty, M. David Marshall, Mme Assunta
Meloni, M. Morten Messerschmidt, Mme Ilinka Mitreva, M. Philippe Monfils, M. Felix
Müri (remplaçant: M. Andreas Gross),
M. Philippe Nachbar (remplaçant: M. Michel Dreyfus-Schmidt),
M. Fritz Neugebauer, M. Tomislav Nikolić, M. Anastassios Papaligouras, M. Ángel Pérez Martínez,
Mme Maria Postoico,
Mme Marietta de
Pourbaix-Lundin, M. John Prescott, M. Jeffrey Pullicino Orlando,
M. Valeriy Pysarenko (remplaçant: M. Hryhoriy Omelchenko), Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine,
M. Francesco Saverio Romano, M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan (remplaçant: M. Raffi Hovannisian), M. Kimmo Sasi, M. Ellert Schram, M. Christoph
Strässer, M. Mihai Tudose, M. Tuğrul Türkeş,
Mme Özlem Türköne,
M. Vasile Ioan Dănuţ Ungureanu,
M. Øyvind Vaksdal, M. Egidijus Vareikis, M. Klaas de Vries, Mme Renate Wohlwend, M. Marco Zacchera, M. Krzysztof
Zaremba, M. Łukasz Zbonikowski,
M. Vladimir Zhirinovsky, M. Miomir Žužul.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués
en gras.
Ce texte sera débattu ultérieurement.