1. Introduction
1. Ces dernières années, le monopole
traditionnel de l’Etat sur le recours à la force s’est érodé, voire
a été sapé, dans un nombre croissant d’Etats membres. Ce phénomène,
qu’on observe depuis la fin de la guerre froide, s’est amplifié
après les attentats terroristes du 11 septembre contre le World
Trade Centre à New York.
2. Nombre d’anciens militaires professionnels et une grande quantité
de matériel militaire ont perdu leur raison d’être et leur fonction
après la chute du rideau de fer. C’est la raison pour laquelle les
nouvelles entreprises privées à vocation militaire ou sécuritaire
se sont rapidement développées.
3. L’érosion du monopole étatique du recours à la force se manifeste
aujourd’hui par le fait que les etats font de plus en plus appel
aux services d’organisations privées actives dans le domaine militaire
ou du maintien de l’ordre, ci-après dénommées sociétés privées à
vocation militaire ou sécuritaire (SPMS).
4. Ce phénomène ne se limite pas aux gouvernements d’Etats souverains.
D’autres acteurs, tels que de grandes organisations internationales
(les Nations Unies par exemple), des entreprises privées, des organisations
humanitaires, des médias et des organisations non gouvernementales
font appel à ce type de services à des fins de sécurité.
5. Ce transfert des obligations de sécurité publique au secteur
privé a déjà contribué à modifier l’équilibre des pouvoirs au sein
des sociétés affectées par cette tendance ainsi qu’à une déstabilisation
croissante des relations internationales.
6. Dans tous les pays où les SPMS déploient leurs activités,
on perçoit de manière croissante les changements qui affectent les
relations entre les citoyens et les institutions du pouvoir étatique
(armée et police).
7. Le recours aux services des SPMS – notamment dans les Etats
«faibles» et «fragiles» – contribue à déposséder l’Etat de ses pouvoirs,
à fragiliser la gouvernance des affaires publiques et à réduire
la capacité de résoudre les conflits par des moyens civils. Il conduit
souvent à l’érosion de l’ordre public et peut, en fin de compte,
se solder par l’effondrement de l’Etat lui-même.
8. La multiplication des activités déployées par les SPMS dans
les différentes zones de conflit, souvent sans aucun contrôle gouvernemental
ou public, vient également affaiblir et saper le rôle que joue la communauté
internationale dans le maintien de la paix internationale.
9. Une des conséquences de cette dernière tendance est le passage
des choix politiques de la prévention à la réaction rapide et de
la résolution civile des crises au règlement des conflits par le
recours à la force.
10. Le modèle démocratique européen, et sa manière de rechercher
une solution aux problèmes internes, communs, extérieurs et internationaux
conformément à ses valeurs, devient de plus en plus attrayant à l’échelon
mondial.
11. Les activités incontrôlées des sociétés européennes privées
à vocation militaire et sécuritaire, dont les pratiques vont souvent
à l’encontre des principes que défendent les Etats européens, risquent
de saper la position morale et la réputation internationale dont
jouissent ces Etats.
12. C’est pourquoi l’Europe est plus particulièrement appelée
à se pencher sur la question de la réglementation des activités
des SPMS en se fondant sur les principes communs. Le Conseil de
l’Europe, fort de son expérience en matière de définition, de promotion
et de protection des normes communes dans le domaine des droits
de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit, constitue
le cadre approprié pour cette démarche et devrait en prendre l’initiative.
13. Je tiens ici à remercier Mme Caroline
Holmqvist, Département d’étude des guerres, King’s College, Londres,
M. Daniel Klingele, Chef de section, Section des droits de l’homme
et du droit humanitaire, Direction du droit international, Département
fédéral des affaires étrangères, Suisse, et le lieutenant-colonel
Tim Spicer, Directeur, Société Aegis Defence Services Ltd, pour
les précieuses contributions qu’ils ont apportées à l’audition sur
les sociétés privées à vocation militaire et sécuritaire que la
commission des questions politiques a organisée le 10 septembre
2008.
14. Je tiens également à remercier particulièrement M. Hans Born
et Mme Anne-Marie Buzatu du Centre pour
le contrôle démocratique des forces armées (CCFA) de Genève, qui
ont également participé à l’audition et qui ont rédigé, à cette
occasion, une étude fort utile intitulée «Recommandations à l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe en vue de la réglementation efficace des
sociétés privées à vocation militaire et sécuritaire».
15. Enfin, je tiens à rendre hommage à M. Rolf Uesseler, expert
indépendant sur les sociétés de sécurité privées, pour l’aide précieuse
qu’il m’a apportée lors des travaux que j’ai menés en vue d’établir
le présent rapport.
2. Émergence de l’industrie privée à vocation
militaire et sécuritaire
16. Au début des années 90, on
a assisté à l’émergence d’un marché en expansion pour les SPMS.
Une industrie entièrement nouvelle a vu le jour, fournissant des
services dans le domaine extrêmement délicat de la sécurité intérieure
et extérieure, domaine qui, auparavant, était exclusivement de la
compétence de l’Etat.
17. Cette tendance est apparue dans les pays occidentaux industrialisés.
Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont joué un rôle majeur en faveur
de sa promotion. Entre-temps, le phénomène des SPMS s’est étendu
au monde entier et présente aujourd’hui des formes et une importance
diverses.
18. Il existe plusieurs raisons à l’essor que connaît depuis un
certain temps cette tendance, à savoir, entre autres: les changements
intervenus dans la répartition du pouvoir géopolitique; la réduction
des forces armées nationales; la révolution électronique affectant
l’industrie de l’armement; et la notion néolibérale d’ «Etat réduit» assortie
de la tendance à externaliser les fonctions gouvernementales.
19. Mais la raison principale est la nouvelle manière dont les
crises politiques éclatent sur la scène internationale depuis la
disparition des «blocs» (Etats «capitalistes» / Etats «socialistes»).
La façon dont éclatent les conflits est devenue plus complexe; leur
cause n’est plus unique et facilement identifiable; et ils ne sont
plus planifiés, provoqués ou soutenus par l’élite au pouvoir dans
les deux superpuissances, les Etats-Unis et l’URSS.
20. Au contraire, de nouvelles zones de conflit trouvent leur
origine dans un certain nombre de facteurs de déstabilisation qui
n’existaient pas auparavant. La multitude d’agents de transformation
sociale violente ont créé une nouvelle notion de vilenie impliquant
une foule d’individus et de parties, d’Etats et d’acteurs violents non
étatiques qui échappent au contrôle des entités politiques, sur
laquelle il faut se pencher.
21. Les nouvelles formes de conflit remettent en question la politique
de sécurité «classique» orientée sur les guerres entre les nations
ou sur les guerres civiles. Les forces armées traditionnelles ne
sont plus adaptées au caractère évolutif de ces conflits d’un type
nouveau. En conséquence, bon nombre d’acteur étatiques – et non
étatiques – voient dans le recours aux SPMS, une solution aux nouveaux
problèmes de sécurité.
22. La demande croissante en SPMS par les Etats occidentaux et
d’autres puissants Etats qui cherchent à préserver leurs intérêts
géostratégiques peut se résumer en quatre facteurs principaux:
- le besoin croissant en capacité
d’intervention armée à l’extérieur de la zone d’influence des Etats respectifs
(la notion «d’autodéfense étendue» avec laquelle les Etats-Unis
et leurs alliés ont légitimé leur intervention en Afghanistan et
en Irak pourrait servir d’exemple);
- la possibilité pour les gouvernements d’accroître les
moyens limités dont ils disposent en raison des budgets défense
réduits en faisant appel à des services privés de sécurité ainsi
que la possibilité d’accroître leur capacité en personnel en temps
de paix;
- la tendance générale qui se situe dans le droit fil de
la notion néolibérale de réduction de l’activité de l’Etat aux
tâches essentielles pour laisser le reste au marché, y compris en
ce qui concerne les besoins en matière de sécurité intérieure et
extérieure;
- les changements au sein des forces armées et des forces
de police, tant en terme de structure que de fonction. Les grandes
unités conçues pour la guerre entres les Etats, qui comporte des
tâches multiples et indistinctes, ont, dans maints pays, été restructurées
pour former des unités plus petites investies de tâches spécialisées,
l’accent étant mis sur les interventions outre-mer. Quant aux services
intérieurs de maintien de l’ordre et de sécurité, ils ont vu leurs
responsabilités réduites à des tâches essentielles et de surveillance.
23. Le processus de transformation des services des forces armées
et de police dans la direction souhaitée à l’échelon politique a
donné naissance à trois formes principales: l’externalisation, la
privatisation et la commercialisation:
- l’externalisation est le transfert à court ou à long terme
de tâches et de services particuliers à des prestataires de services
privés, en l’occurrence aux SPMS. Les formes d’externalisation varient
en fonction des droits de participation de l’Etat et de la délégation
de l’autorité du contrôle;
- dans le cas de la privatisation, l’Etat abandonne certaines
tâches de sécurité relevant de sa compétence pour les laisser entièrement
au secteur privé;
- dans le cas de la commercialisation dans les domaines
militaires et de police, les prestataires privés de services de
sécurité sont en concurrence avec les acteurs étatiques.
3. Conséquences
du recours croissant à des sociétés privées à vocation militaire
et sécuritaire
24. Les transformations intervenant
dans un domaine de souveraineté jusqu’à présent exclusivement réservé
à l’Etat ont créé un nouveau modèle mixte, non seulement dans les
Etats occidentaux, mais également dans le monde entier. Les acteurs
impliqués sont difficilement identifiables, notamment lors de violents
conflits menés par des moyens militaires. Cet état de choses est
principalement dû au fait que, dans les guerres, ce ne sont plus
les Etats (ou les différentes parties en cas de guerre civile) qui
s’opposent par le biais de leurs forces armées régulières. Ce sont,
au contraire, différents types d’acteurs étatiques et non étatiques
investis de différentes fonctions et de différentes responsabilités
qui peuvent être impliquées dans toutes les parties au conflits.
25. En ce qui concerne la relation entre les Etats et les SPMS,
on peut établir les distinctions suivantes:
- les Etats cocontractants sont les Etats qui passent un
contrat avec les SPMS, les chargeant d’agir sur leur ordre et d’accomplir
certaines tâches. Ces Etats continuent de jouer ce rôle lorsque
les SPMS avec lesquelles a été signé le contrat initial passent
avec d’autres SPMS des contrats de sous- traitance;
- les Etats territoriaux sont les Etats sur le territoire
desquels les SPMS opèrent;
- les Etats d’origine sont les Etats de la nationalité des
SPMS, qui peut avoir trait:
a. au
siège juridique de la SPMS;
b. au siège social de la SPMS, c’est-à-dire l’endroit où
se situe la direction et d’où sont traitées les procédures d’affaires
qui vont de l’acquisition d’équipement à l’administration;
c. au siège opérationnel, c’est-à-dire le centre d’où sont
dirigées les différentes activités sur le territoire;
d. au pays d’origine du personnel de base de la SPMS.
26. En fonction des relations qu’ils
entretiennent avec les SPMS et leurs opérations, les Etats doivent satisfaire
à certaines obligations spécifiques au titre du droit coutumier
international, du droit humanitaire international et de la législation
en matière de droits de l’homme. Dans ce contexte, je me réfère
au «Document de Montreux»
du 17 septembre 2008, qui contient
un résumé des obligations juridiques et des bonnes pratiques liées
aux opérations des PSMS.
27. Quelle que soit la manière dont elles se présentent, les SPMS
sont des entreprises commerciales privées qui fournissent des services
militaires et/ou de sécurité. Lorsqu’elles opèrent dans des Etats occidentaux
«forts» en vue d’assurer l’ordre ou la sécurité intérieure, beaucoup
de sociétés militaires privées (SMP) se présentent comme des sociétés
de «sécurité». En revanche, lorsqu’elles opèrent dans des zones de
conflit situées dans des Etats «faibles», où elles assistent ou
remplacent les forces nationales régulières, elles se décrivent
comme des sociétés militaires.
28. Toutefois, s’il faut établir une distinction entre sociétés
de sécurité privées et sociétés militaires privées, cela ne peut
se faire que sur la base des tâches que ces prestataires de services
privés accomplissent dans l’exercice de fonctions qui font normalement
partie du monopole étatique du recours à la force tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur du territoire national.
29. Au nombre des différentes tâches qui peuvent être accomplies
par les SPMS, les domaines de services suivants revêtent une pertinence
particulière en ce qui concerne le maintien de la paix internationale
et la coexistence pacifique entre les nations, comme énoncé dans
la Charte des Nations Unies:
- mettre
à la disposition de l’Etat cocontractant des unités de combat (la
plupart du temps, mais pas exclusivement, en vue de soutenir les
forces régulières du pays en question);
- fournir des unités de combat spéciales pour lutter contre
les terroristes, réprimer des rébellions ou lutter contre des insurgés
ou des milices;
- protection armée d’infrastructures, de bâtiments industriels
et d’institutions (par exemple, protection de bâtiments gouvernementaux,
escorte de convois et protection de transports maritimes et de champs pétroliers,
de compagnies de transports et d’assurances ainsi que mise à disposition
de gardes du corps armés);
- instruction et formation de personnels militaires ainsi
que de membres de la police dans des centres d’instruction et des
camps d’entraînement dirigés par les SPMS;
- conseils militaires, y compris instruction en matière
de guerre stratégique et tactique, notamment pour les hauts gradés
de forces étrangères;
- l’ensemble du secteur de la logistique, de la fourniture
et de l’entretien de matériel, y compris la construction de bases
militaires complètes, la fourniture aux troupes au combat de carburant,
de nourriture, de munitions et entretien de système d’armements
extrêmement complexes;
- activités dans le secteur des services secrets, incluant
l’emploi de spécialistes de l’interrogatoire, les activités d’espionnage,
la collecte et l’analyse d’informations secrètes ainsi que l’emploi
d’agents secrets, la conception de stratégies de désinformation,
la reconnaissance militaire et l’analyse des risques.
30. Les gouvernements ne sont pas les seuls à faire appel aux
SPMS, même s’il constituent, à l’heure actuelle, le groupe le plus
important de consommateurs de services militaires/de sécurité. Les
compagnies d’extraction minière et pétrolière ainsi que les manufactures
de biens de consommation ont souvent recours aux services des SPMS.
Les acteurs mondiaux du secteur des assurances et de la haute finance
internationale engagent également des SPMS. Les ONG et les organisations
humanitaires sont de plus en plus nombreuses à faire appel aux SPMS
pour assurer leur sécurité dans des régions ou aucun autre moyen
ou mécanisme fiable n’est disponible.
31. C’est aux prestataires de services eux-mêmes et à leur employeur
étatique ou privé qu’il appartient d’assumer la responsabilité des
activités menées – et des éventuelles infractions commises – par
les SPMS et leur personnel. Toutefois, en cas de problèmes liés
aux services fournis par les SPMS au secteur privé ou aux organisations
privées, la responsabilité doit également être assumée par les Etats
où les SPMS ont leur siège (Etats nationaux et Etats d’origine)
ainsi que par les Etats dans lesquels les SPMS opèrent sur les ordres ou
pour le compte d’entités privées (Etats territoriaux).
32. Bien que les SPMS n’opèrent pas au sein «d’un vide juridique»
et que les dispositions générales du droit international et du droit
humanitaire international soient applicables lorsqu’il n’existe
pas de législation nationale spécifique pour de tels prestataires
de services privés, les activités des SPMS soulèvent toute une série
de problèmes qui, jusqu’à présent, soit n’ont pas encore été traités
soit n’ont pas encore trouvé de solution satisfaisante.
33. Si les violations des droits de l’homme par les SPMS (y compris,
dans les cas extrêmes, les assassinats et la torture) soulèvent
de vives inquiétudes, les problèmes ne relèvent toutefois pas uniquement
du droit pénal, mais aussi, par certains aspects, du droit civil
et du droit des contrats. Ils soulèvent également des questions
politiques.
34. Les problèmes liés aux SPMS sont principalement dus au fait
que les normes applicables aux activités des SPMS – qui devraient
être comparables à celles applicables aux forces armées ou aux forces
étatiques de maintien de l’ordre – n’existent pas, ou bien n’ont
été adoptées que de manière formelle sans être appliquées dans la
pratique.
35. De plus, certains problèmes sont dus au fait qu’il n’existe
pas, entre l’Etat cocontractant, l’Etat territorial et l’Etat d’origine,
d’accords qui fixent des normes claires pour les activités des SPMS.
36. Au nombre des problèmes liés aux activités des SPMS, on compte,
entre autres:
- l’absence de
contrôle démocratique;
- le manque de transparence;
- les responsabilités mal définies;
- le manque de traçabilité quant à la responsabilité;
- l’absence de responsabilité de rendre compte à l’échelon
politique ainsi qu’au regard du droit pénal et du droit civil.
37. Voici quelques exemples pour illustrer cet état de choses.
38. Les PSMS sont souvent des organisations privées de prestation
de services qui concluent des contrats avec des employeurs dans
le cadre du droit civil et qui sont, de ce fait, protégées par le
secret contractuel. Il s’ensuit que les mécanismes habituels de
contrôle démocratique sont inapplicables et qu’il est quasiment impossible
de mener une enquête démocratique sur les clauses et la réalisation
du contrat.
- le contrôle parlementaire
est extrêmement compliqué puisque le gouvernement ne peut fournir
que des informations limitées sur le contenu des contrats;
- le judiciaire ne peut jouer un rôle actif puisque, conformément
aux principes de la prééminence du droit, la réalisation du contrat
n’entre pas dans son domaine de juridiction;
- le bureau de vérification n’est pas en mesure de mener
une enquête efficace à propos de la légalité de l’emploi des fonds
publics parce qu’il ne dispose pas d’informations suffisantes relatives
aux clauses du contrat;
- les médias et le public ne disposent pas de suffisamment
d’informations pour contrôler efficacement le gouvernement;
- en outre, le pouvoir exécutif lui-même n’est guère en
mesure d’exercer un contrôle effectif sur la manière dont sont remplis
les contrats sur le plan quantitatif et qualitatif, puisqu’il ne
dispose souvent pas du personnel adéquat et que, de plus, il n’a
qu’une capacité limitée pour contrôler les activités menées à l’étranger
par les SPMS ou pour mener des enquêtes à ce sujet.
39. Il existe un certain nombre de cas spectaculaires où les SPMS
et leurs employés ont enfreint les règles du droit pénal et/ou ont
été impliqués dans des violations des droits de l’homme (par ex.
les actes de torture commis par des employés des sociétés américaines
CACI International et Titan dans la prison d’Abu Ghraib en Irak;
la participation du personnel de DynSorp à des abus sexuels en Bosnie-Herzégovine;
l’assassinat par balles de 17 civils en 2007 par des employés de
Blackwater à Bagdad).
40. Il existe, certes, une base juridique permettant de traduire
en justice les auteurs de ces crimes et d’engager la responsabilité
des individus pour les infractions commises, mais il est difficile,
voire impossible de faire appliquer la loi. Cela est dû au flou
qui règne en matière de répartition des compétences et des responsabilités
au sein et entre les Etats impliqués, ce qui fait que les infractions
ne peuvent être imputées de manière convaincante, qu’il n’existe
pas d’obligation de rendre compte, que les auteurs des crimes ne
peuvent être jugés et que l’impunité persiste.
41. Le recours croissant aux services des SPMS présente un risque
considérable pour l’ordre démocratique au sein des nations ainsi
que pour la coexistence pacifique entre les Etats.
42. Dans certaines circonstances, il pourrait sembler plus avantageux
aux gouvernements de recourir aux services des SPMS pour être en
mesure de réagir à certains conflits de manière rapide et «non bureaucratique»,
d’éviter des situations embarrassantes ou encore de garantir officieusement
les intérêts de certains groupes nationaux et/ou intérieurs particuliers.
Le gouvernement peut ainsi éviter des débats au parlement (notamment
avec l’opposition); il peut également éviter d’affronter l’opinion
publique (notamment pour justifier la perte de vies humaines); et
il peut éviter d’avoir à répondre aux questions des organes internationaux
ou de justifier sa façon d’agir.
43. Il s’ensuit que l’exigence de l’approbation parlementaire
pour le recours à la force armée qui existe dans beaucoup d’Etats,
notamment en Europe, peut être contournée. Dans ces cas, le parlement
concerné sera non seulement incapable de prendre une décision, mais
ne sera pas même informé des mesures envisagées ou prises «au nom
de la nation».
44. De plus, l’opinion publique, qui joue un rôle essentiel pour
le fonctionnement de la démocratie, sera laissée en marge, voire
ignorée par son propre gouvernement.
45. Par ailleurs, on observe, notamment dans les cas où les SPMS
agissent à l’étranger, que les tâches militaires et policières sont
de plus en plus imbriquées. Il s’ensuit que la séparation des domaines
de compétence des forces de police et des forces armées dans les
Etats territoriaux où opèrent des SPMS étrangères a tendance à s’estomper
ce qui entraîne le mépris des règles fondamentales de la constitution.
46. Dans les cas extrêmes, les opérations incontrôlées des SPMS
– comme le montrent de nombreux exemples – engendrent une société
militarisée.
4. Résumé
et conclusions
47. La présence croissante et largement
incontrôlée des SPMS dans un nombre croissant de pays constitue un
défi pour le monopole étatique intérieur et extérieur du recours
à la force, ce qui conduit à une perte d’efficacité de ce dernier.
48. Les activités opérationnelles de ces sociétés privées, souvent
accomplies de manière violente et sans aucun contrôle étatique et
public, sont de plus en plus source de préoccupation puisque:
- elles affaiblissent le contrôle
démocratique du recours à la force par des acteurs privés;
- elles compromettent l’ordre démocratique des Etats;
- elles sapent le droit universel international et plus
particulièrement le droit humanitaire international;
- elles enfreignent, dans un nombre croissant de cas, les
principes fondamentaux des droits de l’homme et les documents internationaux
clés dans ce domaine;
- elles contribuent à renforcer l’influence des sociétés
privées et des élites politiques sur les choix gouvernementaux en
matière de politique étrangère, de sécurité, intérieure et de défense,
ce qui est contraire aux principes démocratiques;
- elles circonviennent les règles du droit civil et pénal;
- elles mettent en danger la coexistence pacifique entre
les Etats.
49. En vue d’inverser ces dangereuses tendances, il conviendrait
d’explorer les voies suivantes:
50. Tout d’abord, la demande des Etats pour les services offerts
par les SPMS doit être réduite. Dans la sphère militaire, cela pourrait
être réalisé en réorganisant les armées nationales, en créant des
synergies et en établissant la coopération internationale.
51. Deuxièmement, il conviendrait d’élaborer, en vue de contrôle
ces sociétés aux échelons national et international, un mécanisme
général qui devrait inclure les éléments suivants:
a. à l’échelon
national:
b.
- définition des domaines
d’action et de compétence des entreprises privées ainsi que de critères en
matière d’autorisation et d’intervention;
- instauration d’un système de licence et d’enregistrement
pour les SPMS;
- mise en place d’un cadre juridique et réglementaire pour
les SPMS qui veulent exporter leurs prestations de services: autorisations
relatives aux contrats et aux projets spécifiques qui définissent
les modalités de surveillance et de contrôle et qui identifient
les responsabilités;
- réglementations pour les SPMS étrangères qui opèrent sur
le territoire national;
- normes et règlements ainsi qu’un code de déontologie pour
les entreprises et organisations nationales travaillant à l’étranger
qui veulent faire appel à des SPMS à des fins de sécurité (par exemple
obligation de se faire enregistrer auprès du ministre des Affaires
étrangères);
c. à l’échelon international:
d.
- mesures appropriées
en vue de garantir, dans toute la mesure du possible, que tous les
Etats adoptent des règles et des réglementations en vue du recours
aux SPMS sur leur territoire national (comme dans le modèle national
ci-dessus);
- accords intergouvernementaux ou interétatiques multilatéraux
et bilatéraux portant sur le contrôle de telles sociétés (y compris
la mise en place de mécanismes de contrôle et d’organes de coopération);
- uniformisation des règles régissant le recours aux SPMS
par les organisations internationales (par ex. Nations Unies);
- réglementations régionales régissant les SPMS (par ex.
une Convention du Conseil de l’Europe ou une Recommandation du Comité
des Ministres);
- les Nations Unies devraient prendre des mesures en vue
de spécifier les dispositions du droit international qui s’appliquent
aux SPMS.
52. En troisième lieu, il faut
modifier les priorités politiques de gestion des crises. La tendance
à la militarisation doit être stoppée et inversée. Priorité doit
être donnée aux efforts de prévention civils et à la résolution
pacifique des conflits (même en cas de recours à la force armée)
et à la gestion à long terme des conflits (entre autres par le biais
de «missions hybrides»).
5. Recommandation
53. Il serait souhaitable que le
Conseil de l’Europe mette au point un instrument juridique contraignant (convention)
en vue de réglementer les relations de ses Etats membres avec les
SPMS.
54. Le Comité des Ministres pourrait, avant la rédaction d’une
telle convention, adopter une recommandation aux Etats membres en
vue d’atteindre un objectif commun.
55. Ces instruments devraient inclure les éléments suivants:
- définition des domaines sécuritaires
intérieurs et extérieurs qui doivent continuer de relever de la compétence
souveraine des Etats et qui sont, de par leur nature, «intrinsèquement
gouvernementaux»;
- uniformisation des principes permettant de préserver le
monopole étatique en matière de recours à la force;
- affirmation claire de la ligne de démarcation entre sécurité
intérieure et extérieure telle que définie par la loi et la Constitution;
- confirmation de la priorité accordée à la prévention des
conflits sur la réaction rapide et de la résolution civile des
crises sur le règlement des conflits par le recours à la force;
- uniformisation des principes applicables aux activités
des SPMS;
- définition des critères relatifs aux activités, aux obligations,
aux devoirs, aux responsabilités, y compris l’obligation de rendre
compte des infractions au droit humanitaire international et des
violations des droits de l’homme, ainsi qu’aux domaines d’activité
et de compétence des SPMS;
- définition des critères à appliquer pour autoriser les
SPMS à fournir des services militaires et sécuritaires;
- mise en place d’un système d’enregistrement et de licence
pour les SPMS;
- adaptation du droit pénal (notamment en ce qui concerne
les règles relatives au maintien de l’ordre ayant trait aux infractions
pénales commises par les SPMS et leur personnel;)
- mise en place de règles spécifiques aux SPMS dans le droit
civil (notamment en ce qui concerne les conditions de responsabilité);
- mise en place d’un cadre juridique et réglementaire pour
les SPMS qui veulent exporter leurs services (par exemple autorisations
relatives aux missions et aux projets, qui prévoient la surveillance,
le contrôle, la supervision, la responsabilité de rendre compte
et la détermination des responsabilités. Il serait judicieux de
combiner de telles réglementations avec les régimes d’exportation
d’armes existants);
- exigence d’une approbation parlementaire pour les missions
effectuées par les SPMS en dehors de leur territoire national.
Dispositions relatives à la coopération, à l’échange d’informations
et à l’assistance entre les Etats impliqués;
- les lois et règlements régissant le déploiement des forces
armées et les forces de police nationales à l’étranger doivent également
être applicables aux SPMS;
- mise en place de règlements et de réglementations (par
ex. code de conduite et obligation de se faire enregistrer auprès
du ministère des Affaires étrangères) pour les entreprises, les
organisations non gouvernementales et humanitaires etc. qui souhaitent
faire appel à des SPMS pour assurer leur sécurité à l’étranger;
- obligation, pour le secteur des SPMS, de mettre en place
un cadre leur permettant de s’autorèglementer, y compris un code
de conduite contraignant et mise en place d’un «médiateur des SPM»
et/ou d’une «équipe chargée d’enquêter sur les violations commises
par les SPMS»;
- réglementations incluant les éléments suivants: systèmes
de contrôle et de formation efficaces pour le personnel des SPMS;
système efficace de surveillance et d’enquête; système efficace
de mise en œuvre et de protection des droits sociaux des employés
des SPMS.
56. Dans l’intervalle, les Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient être invités à souscrire au «Document de Montreux» qui
récapitule les obligations juridiques découlant du droit international
en vigueur et des bonnes pratiques existantes.
Commission chargée du rapport: Commission des questions politiques
Renvoi en commission: renvoi n° 3370 du 1er octobre
2007
Projet de recommandation adopté le 16 décembre 2008
Membres de la commission: M. Göran Lindblad (Président),
M. David Wilshire (Vice-Président),
M. Björn Von Sydow (Vice-Président), Mme Kristina Ojuland (Vice-Présidente), Mme Fátima
Aburto Baselga, M. Françis Agius (remplaçant: M. Joseph DebonoGrech),
M. Miloš Aligrudić, M. Alexandre Babakov, M. Denis Badré, M. Ryszard Bender, M. Fabio
Berardi, M. Radu Mircea Berceanu, M. Andris Bērzinš,
M. Alexandër Biberaj, Mme Gudfinna Bjarnadottir,
M. Pedrag Boškovic, M. Luc Van den Brande,
M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Lorenzo Cesa
(remplaçant: M. Pietro Marcenaro),
Mme Anna Čurdová,
M. Rick Daems, M. Dumitru Diacov, Mme Josette
Durrieu, M. Frank Fahey, M. Joan Albert Farré Santuré, M. Pietro
Fassino (remplaçant: M. Andrea Rigoni),
M. Per-Kristian Foss, Mme Doris Frommelt,
M. Jean-Charles Gardetto, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hancock, M. Davit Harutiunyan,
M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović,
M. Michael Aastrup Jensen, Mme Birgen Keleş, M. Victor Kolesnikov, M. Konstantion
Kosachev (remplaçant: M. Sergey Markov),
M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Darja Lavtižar-Bebler,
M. René van der Linden, M. Dariusz Lipiński,
M. Juan Fernando López Aguilar (remplaçant: M. Pedro Agramunt), M. Younal Loutfi, M. Gennaro Malgieri, M. Mikhail Margelov,
M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Mircea Mereută, M. Dragoljub
Mićunović, M. Jean-Claude Mignon, Mme Nadezhda
Mikhailova, M. Aydin Mirzazada, M. Joāo Bosco Mota Amaral, Mme Miroslava Nemcova, M. Zsolt Németh, M. Fritz
Neugebauer, M. Hryhoriy Omelchenko,
M. Theodoros Pangalos, M. Aristotelis Pavlidis, M. Ivan Popescu, M. Christos Pourgourides,
M. John Prescott, M. Gabino Puche, M. Oliver Sambevski, M. Ingo Schmitt, M. Samad Seyidov, M. Leonid
Slutsky, M. Rainder Steenblock, M. Zoltán Szabó,
M. Mehmet Tekelioğlu, M. Han Ten Broeke, Lord Tomlinson (remplaçant:
M. Rudi Vis), M. Petré Tsiskarishvili, M. Mihai Tudose,
M. José Vera Jardim, Mme Biruté Vesaité,
M. Luigi Vitali, M. Wolfgang Wodarg, Mme Gisela
Wurm, M. Boris Zala.
Ex-officio: MM. Mátyás Eörsi,
Tiny Kox
N.B.: Les noms des membres qui ont pris part à la réunion
sont imprimés en caractères gras
Secrétariat de la commission: M. Perin, Mme Nachilo,
M. Chevtchenko, Mme Sirtori-Milner, Mme Alleon