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Rapport | Doc. 11919 | 25 mai 2009

L’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de post-conflit

(Ancienne) Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteure : Mme Cecilia KEAVENEY, Irlande, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11338 et Renvoi 3400 du 21 janvier 2008. 2009 - Troisième partie de session

Résumé

L’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour promouvoir la paix et la réconciliation dans les zones de conflit et de postconflit ainsi que la tolérance et la compréhension pour aborder des phénomènes tels que migrations, immigration et évolution démographique. Une approche aux perspectives multiples, au lieu d’une interprétation unique des événements, encouragera les élèves à respecter la diversité et la différence culturelle.

L’Assemblée invite les Etats signataires de la Convention culturelle européenne à prendre des mesures relatives au contenu, à la manière et au moment d’enseigner les sujets historiques controversés et recommande au Comité des Ministres de continuer de soutenir les travaux du Conseil de l’Europe dans les zones de conflit et de postconflit sur les manuels scolaires, les manuels pour enseignants et la formation des enseignants.

A. Projet de recommandation

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1283 (1996) relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire en Europe et réaffirme que «l’histoire a aussi un rôle politique clé à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui. Elle peut favoriser la compréhension, la tolérance et la confiance entre les individus et entre les peuples d’Europe. Elle peut aussi devenir une force de division, de violence et d’intolérance.» Par conséquent, l’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour soutenir la paix et la réconciliation dans les zones de conflit et de postconflit ainsi que la tolérance et la compréhension pour faire face à des phénomènes tels que migrations, immigration et évolution démographique.
2. La résolution des conflits est un processus qui se déroule au niveau politique, et qui va de la recherche de la paix à sa consolidation, puis à son maintien. L’enseignement de l’histoire est également un processus, étant donné que les enseignants sont consultés, formés, spécialisés, soutenus, informés, encouragés et protégés dans l’adoption de nouvelles approches des questions controversées et sensibles. Il convient de tenir compte de ces deux éléments si l’on veut que le processus politique soit efficace sur le long terme pour les générations à venir. L’Assemblée salue par conséquent les travaux menés par le Conseil de l’Europe et d’autres organisations dans des pays et régions comme la Bosnie-Herzégovine, Chypre et la mer Noire, et elle apporte son soutien à ces gouvernements et à d’autres dans leur lutte pour la tolérance et la compréhension mutuelle.
3. Le contenu de l’enseignement de l’histoire, la manière dont elle est enseignée et le moment où les sujets controversés peuvent être abordés sont des questions qui dépendent du développement de nouvelles compétences et du renforcement de la confiance à la fois du corps enseignant et des élèves. Ce processus doit être soutenu par de nouvelles attitudes et mesures politiques concernant le rôle de l’histoire dans la réconciliation des différences et la promotion de la tolérance.
4. Traditionnellement, l’histoire était enseignée selon une seule et unique interprétation des événements qui incarnait «la vérité», ce qui était avantageux sur le plan politique. Il est à présent universellement accepté qu’il peut exister plusieurs visions et plusieurs interprétations de l’histoire fondées sur des faits. On reconnaît également la validité d’une approche aux perspectives multiples, qui aide et encourage les élèves à respecter la diversité et la différence culturelle, dans le contexte d’une mondialisation croissante, au lieu d’un enseignement susceptible de renforcer les aspects plus négatifs du nationalisme.
5. L’Assemblée salue l’action du Conseil de l’Europe dans des pays qui sortent d’une situation de conflit pour soutenir le changement dans la manière dont «l’autre» est présenté dans les cours d’histoire. Il intervient dans les questions relatives au contenu de l’enseignement de l’histoire et à la manière dont elle est enseignée. Il faut continuer d’investir considérablement dans le développement des compétences des enseignants, actuels et futurs, pour les aider à adopter un curriculum d’un nouveau style et de nouvelles façons d’enseigner. Ce processus étant évolutif, il a des retombées continues sur la formation initiale et continue des enseignants.
6. La révision récente des programmes dans certains pays en situation de postconflit a abouti à une réduction des contenus. Même si cette réduction optimise le développement des compétences et incite les élèves à évaluer et à explorer de façon plus approfondie les thèmes eux-mêmes, elle doit accroître, et non diminuer, l’importance accordée aux questions intercommunautaires et interrégionales dans les programmes.
7. Les enseignants, les futurs enseignants et les étudiants qui souhaitent favoriser ce processus de changement sont des ressources essentielles dans ce domaine. Les enseignants devraient jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration des contenus et la conception des matériels pédagogiques, afin qu’ils soient adaptés à l’âge des élèves et suscitent leur intérêt.
8. L’enseignement fondé sur la multiplicité des perspectives s’appuie sur des matériaux primaires et secondaires et suppose une pédagogie interactive. Les études et les travaux fondés sur des projets, les débats en classe, les visites de musées, l’utilisation accrue des sources d’information primaires et l’intervention d’invités pour éveiller l’intérêt des élèves pour l’histoire moderne, sont des pratiques qui donnent leurs meilleurs résultats dans des classes aux effectifs réduits. Les politiques éducatives doivent prendre en compte ce changement de mode d’enseignement.
9. L’amélioration de la communication entre les élèves et les enseignants issus de cultures et de milieux différents offre de nouvelles possibilités pour la mise en œuvre de projets d’histoire faisant intervenir plusieurs pays. De nouvelles perspectives s’ouvrent quand les élèves s’aident mutuellement à «résoudre» leurs problèmes, les «personnes extérieures» envisageant souvent les situations d’une autre manière que ceux qui sont touchés de plus près par le problème.
10. Des activités transfrontalières et intercommunautaires sont organisées dans certaines localités. La Recommandation 1283 (1996) de l’Assemblée demandait aux gouvernements d’assurer un financement continu et suffisant de la recherche en matière d’histoire, en particulier des travaux des commissions multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine. Il incombe aux responsables politiques de renforcer ces possibilités et d’encourager les bénéficiaires à s’associer pour avancer dans cette direction sans crainte de représailles d’où qu’elles puissent venir. Ces activités doivent concerner à la fois les enseignants et les élèves. Elles devraient pouvoir s’inscrire sur le long terme, en visant à obtenir des résultats tangibles, car la confiance s’établit avec le temps.
11. L’enseignement de l’histoire doit tenir compte de la situation internationale qui prévalait au cours de la période étudiée, et replacer les événements dans ce contexte. En effet, les événements étudiés isolément ne rendent pas pleinement compte du contexte et par conséquent n’en donnent pas toujours une représentation exacte ou complète. Toutefois, les références à l’histoire locale peuvent avoir une résonance particulière pour les jeunes et éveiller leur intérêt. De nombreux aspects de la vie locale peuvent ainsi être reliés à des circonstances ou événements plus importants.
12. L’«Education à la compréhension mutuelle» et le «Patrimoine culturel» doivent être au cœur des politiques éducatives, comme c’est le cas en Irlande du Nord. Les services de soutien à l’enseignement de l’histoire devraient aider les enseignants à coordonner les sujets interdisciplinaires lors de journées spéciales de planification. Ces services devraient mettre en place, au niveau international, un mécanisme pour la mise en commun des notions et des pratiques.
13. Le recours à un humour bienveillant pour éveiller l’intérêt des élèves à l’égard de certains aspects de l’histoire est une bonne façon de capter leur attention, aussi efficace que la projection de films ou l’utilisation d’autres technologies. Quand nous serons capables de rire aussi bien de nous-mêmes que des autres, nous aurons progressé sur le chemin de la paix et de la réconciliation.
14. L’enseignement de l’histoire fondé sur la multiplicité des perspectives permettra aux élèves d’acquérir des compétences analytiques (mais aussi des connaissances sur le sujet) qui les aideront à développer leur esprit critique. Il s’agit donc d’une discipline capable de contribuer de façon cruciale au développement de l’enfant en cette époque de dynamiques changeantes et, si elle obtient un soutien suffisant, de former des employeurs et des travailleurs potentiels pour les pays qui ont le plus besoin de relancer leur économie à la suite d’un conflit.
15. D’après la Recommandation 1283 (1996) tout individu a le droit de connaître son passé, et de l’accepter ou de le rejeter ensuite. Le droit des élèves à pouvoir examiner de manière critique à la fois ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent autour d’eux dans les divers médias, par le biais des supports pédagogiques, n’est devenu fondamental qu’avec le temps et le développement des nouvelles technologies. Comprendre la complexité des situations peut les aider à apprécier la diversité et à reconnaître de manière objective les fausses représentations induites par les stéréotypes.
16. L’Assemblée reconnaît que la révision du contenu des programmes a mis en avant la nécessité de contrebalancer les événements controversés, sensibles et tragiques par des sujets plus positifs et inclusifs qui ne soient pas exclusivement de nature politique et dont la portée dépasse les frontières nationales. Il convient d’approuver et d’encourager cette évolution qui vise à inclure dans les programmes des éléments culturels, philosophiques et économiques, et à prendre en compte le rôle joué par les femmes et les minorités.
17. L’Assemblée attire l’attention du Comité des Ministres sur de récents travaux qui soulignent la nécessité de donner la priorité aux écoles situées aux interfaces des conflits, qu’il s’agisse de mesures pour renforcer la confiance à la fois des enseignants et des élèves, pour mettre à disposition des sources d’information primaires et secondaires et des accès à internet, ou pour organiser des échanges scolaires. Sortir d’un conflit est une épreuve longue et personnelle, que doit relever chaque enseignant, chaque élève, chaque établissement scolaire et chaque communauté.
18. La diffusion de l’information s’est accélérée avec la mondialisation de diverses formes de supports qui transmettent tous de manière instantanée des informations sur l’actualité ou «l’histoire». Dans chaque Etat membre le système éducatif devrait encourager les élèves à développer des compétences analytiques pour étudier les médias de manière critique et comprennent ainsi que des messages peuvent être transmis sous une forme explicite ou subliminale.
19. Les responsables religieux peuvent avoir un rôle à jouer au sein des communautés qui se dirigent vers la paix ou sortent des conflits en créant un climat favorable ou défavorable à ce processus. Une orientation positive transconfessionnelle enverrait un signal fort à ceux qui cherchent à inclure «l’image de l’autre» pour la première fois dans l’enseignement. L’Assemblée encourage le rôle positif qu’ont joué les responsables religieux dans certains pays et invite tous les responsables religieux à adopter de nouvelles initiatives en faveur de la coexistence pacifique des citoyens d’aujourd’hui et de demain, et soutenir ainsi la prise de nouvelles initiatives à l’école.
20. L’Assemblée invite tous les Etats signataires de la Convention culturelle européenne:
20.1. à veiller à mettre en place les technologies et les moyens nécessaires pour favoriser les interactions des enseignants et des élèves au sein des Etats et entre les Etats, y compris en termes d’accès des minorités à des sources d’information et à des ressources écrites dans leur propre langue;
20.2. à financer de manière suffisante et continue les travaux de recherche sur l’histoire, en particulier ceux des commissions multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine;
20.3. à axer l’étude de l’histoire plus sur les éléments socio-économiques, culturels, artistiques et patrimoniaux et moins sur ses aspects politiques;
20.4. à mettre en œuvre un projet sur dix ans encourageant les élèves des écoles primaires à tenir un journal dans lequel ils consigneraient leurs propres réactions face à l’actualité; ces récits pourraient ensuite être examinés et échangés avec d’autres Etats membres à la fin du projet;
20.5. à veiller à ce que les programmes de formation des enseignants comportent deux éléments distincts et équilibrés: le développement de l’expertise dans le domaine de la matière enseignée («quoi enseigner?») et le renforcement des compétences pour susciter l’intérêt des élèves pour la discipline («comment enseigner?»);
20.6. à affronter là où il existerait le problème des résistances aux changements curriculaires ou pédagogiques motivées en profondeur par des raisons politiques;
20.7. à effectuer régulièrement des recherches sur ce que pensent les enseignants et les élèves des nouveaux concepts, enjeux et approches de l’histoire, qu’il s’agisse de l’étendue des programmes, de leurs contenus, de leur pertinence, de leur transmission et de la manière dont ils sont examinés;
20.8. à faciliter la tâche des enseignants en ce qui concerne le calendrier du programme pour leur permettre de diffuser de nouvelles idées en dehors de la salle de classe et les encourager à essayer de nouvelles pratiques;
20.9. à réduire, dans la mesure du possible, les effectifs des classes;
20.10. à encourager les enseignants à adhérer à des associations d’enseignants d’histoire et à participer à des manifestations telles que celles organisées par EUROCLIO (Conférence permanente européenne des associations de professeurs d’histoire) afin de développer leur confiance en eux, leur expérience et leurs compétences;
20.11. à encourager les enseignants à tirer parti des possibilités de développement personnel pour se tenir au courant des pratiques et des priorités ayant cours à l’étranger et inversement;
20.12. à envisager de mettre en place un système de récompense dans la structure de la grille des salaires afin d’encourager tous les secteurs de l’enseignement de l’histoire à participer activement au recensement continu de nouvelles méthodes pédagogiques, venant aussi bien de la hiérarchie du système éducatif que de sa base;
20.13. à donner à tous les établissements scolaires la capacité d’accéder à des sources d’informations primaires et secondaires, y compris à l’internet à large bande.
21. L’Assemblée demande la pleine mise en œuvre du Livre blanc sur le dialogue interculturel «Vivre ensemble dans l’égale dignité» (lancé en mai 2008), pour faciliter l’élaboration de directives pour les enseignants sur les questions relatives à la tolérance et au dialogue interculturel.
22. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
22.1. de continuer de soutenir les travaux du Conseil de l’Europe, en coopération avec d’autres institutions, comme l’Institut Georg Eckert de recherche internationale sur les manuels scolaires, dans les zones de conflit et de postconflit, sur la révision et la conception des manuels scolaires et des manuels pour enseignants, sur l’organisation de séminaires d’enseignants et l’identification des documents sources;
22.2. de mener des recherches sur les bonnes pratiques et les faire connaître aux pays qui ont connu des conflits dans le passé et d’aider tous ceux qui participent à un tel processus, quel que soit le stade où ils en sont eux-mêmes;
22.3. de continuer de soutenir la mise en œuvre du projet du Conseil de l’Europe: «L’image de l’autre dans l’enseignement de l’histoire».

B. Exposé des motifs, par Mme Keaveney, rapporteur

(open)

1. Introduction

L’histoire est comme un couteau: le couteau sert à couper du pain, mais il sert aussi à tuer, Marc Bloch

1. Lors de sa réunion du 1er octobre 2007, le Bureau de l’Assemblée a décidé de consulter la commission de la culture, de la science et de l’éducation sur une proposition de recommandation relative à «Une étude sur l’enseignement de l’histoire en Bosnie-Herzégovine». La commission a procédé à un échange de vues approfondi lors de sa réunion du 14 novembre et a décidé que la question de la multiplicité des perspectives dans l’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de postconflit était d’actualité et qu’elle méritait un débat de l’Assemblée. Suivant ce conseil, le Bureau a renvoyé la proposition à la commission le 21 janvier 2008. On m’a confié la tâche d’en être le rapporteur le 22 janvier 2008.
2. Pour élaborer ce rapport, j’ai participé au Séminaire de Sarajevo du Conseil de l’Europe, organisé à l’intention des enseignants, sur les nouveaux manuels scolaires (mars 2008), à la Conférence George Mitchell de Belfast sur le processus de paix irlandais (2008), à la visite de la délégation du Parlement du Royaume-Uni à Hazelwood College (Belfast) sur l’éducation intégrée (mai 2008), à la Conférence de Bristol de l’Association européenne des enseignants d’histoire (EUROCLIO) (2008), à la 8e Conférence européenne des ministres de la Jeunesse «L’avenir de la politique de jeunesse du Conseil de l’Europe: Agenda 2020» (Kiev, Ukraine, octobre 2008) et à la Conférence d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur «Mondialisation et images de l’autre: défis et nouvelles perspectives pour l’enseignement de l’histoire en Europe» (novembre-décembre 2008).
3. J’ai aussi rencontré la Commission de l’éducation de l’exécutif nord-irlandais à Stormont (mai 2008) et participé aux activités suivantes de la commission de la culture, de la science et de l’éducation: rencontre d’une délégation avec la Commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen sur le thème de ce rapport (Bruxelles, septembre 2008), visite au musée du Soulèvement de Varsovie (septembre 2008) et réunion de la sous-commisison ad hoc au Cap-Vert (octobre-novembre 2008). Lors des sessions plénières de l’Assemblée à Strasbourg, j’ai pu interroger sur cette question les présidents de la Bosnie-Herzégovine et de Chypre ainsi que le leader de la communauté chypriote turque.
4. Je souhaite remercier les experts Louisa Black et Alan McCully, les agents du Conseil de l’Europe Gabriella Battaini-Dragoni, Christopher Grayson, João Ary, Jean-Pierre Titz, Tatiana Minkina-Milko, et Emir Adzovic du Bureau du Conseil de l’Europe à Sarajevo.

2. Synthèse

5. Le monde d’aujourd’hui est un monde aux dynamiques en pleine évolution sous l’influence des phénomènes migratoires, à la fois d’émigration et d’immigration. Dans ce contexte, notre sentiment d’identité nationale se trouve profondément ébranlé. Par ailleurs, plusieurs pays sont confrontés à des différends religieux ou territoriaux qui alimentent des conflits qui perdurent. Aussi les responsables politiques, les groupes communautaires, les éducateurs et les élèves ont-ils tous un rôle essentiel à jouer pour tenter de minimiser l’impact de ces facteurs à l’avenir et d’optimiser les possibilités de paix. Il y a des enseignements à tirer et des leçons à échanger. Le message fondamental qui sous-tend cette action éducative et locale est la nécessité d’améliorer la compréhension de soi en renforçant la confiance en soi, afin de favoriser le respect de soi et de la différence.
6. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle central dans la réalisation de cet objectif en rassemblant l’expérience de divers pays. Il a ensuite cherché à diffuser les meilleures pratiques au sein des Etats membres et entre les Etats membres. Il garantit la continuité dont on a tant besoin quand on poursuit des travaux si sensibles, en plaçant tous les participants sur un pied d’égalité; il assure en outre la transparence de la coopération, met en place de grands espaces de discussion et favorise la création d’un climat de confiance, tellement important pour l’ensemble du processus. Tout cela doit être reconnu et défendu par les responsables dans leurs politiques, comme le préconisait déjà l’Assemblée en 1996. Le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe en 1997 a insisté sur l’importance de la coopération au niveau régional pour la stabilité et la sécurité de l’Europe.
7. Les pays en conflit n’en sont pas tous au même stade. Certains sont encore dans la phase de violence active, alors que d’autres sont prêts à entamer des négociations ou à conclure des accords de paix. La résolution des conflits est un processus. Chaque pays, chaque partie de la société évolue à son propre rythme. Parfois la population devance les politiques, parfois c’est l’inverse qui se produit. N’importe quel pays en conflit doit avant tout manifester sa volonté de paix. C’est en examinant divers pays en conflit et la phase dans laquelle ils se situent que nous pouvons nous assurer de la nécessité de prendre des mesures pour restaurer la paix, le respect et la compréhension mutuels. En s’intéressant au fanatisme et au sectarisme au lieu d’en faire abstraction, le risque est moindre que les générations futures rouvrent de telles hostilités. Et c’est sur l’éducation des nouvelles générations que porte le présent rapport: «Si nous voulons parvenir à une paix réelle dans le monde, il nous faut commencer par les enfants» (Mahatma Gandhi).
8. La question de savoir «ce qui peut être enseigné» s’inscrit également dans le cadre d’un processus. D’après l’expérience acquise au plan international, si l’on veut rassembler les responsables politiques, il faut commencer par renforcer la confiance qu’ils ont les uns dans les autres, et ce processus, qui doit être très «prudent» au début, évolue avec le temps. Cette approche est tout aussi valable pour les enseignants. Le système politique qui choisit l’orientation des mesures éducatives doit leur permettre de réfléchir différemment. Ils ont besoin d’un soutien au niveau politique, mais aussi de formations, de moyens et d’une protection, pour être en mesure d’assumer de nouvelles responsabilités en toute confiance.
9. Une fois le processus de paix entamé sur le plan politique, il doit se répercuter au niveau des politiques éducatives afin de toucher les enseignants et les apprenants. La politique et l’enseignement, dans leur forme actuelle, peuvent ne pas avoir l’expertise suffisante pour opérer le changement radical dont ils ont besoin pour renaître sous une forme nouvelle. Il est donc essentiel de parvenir à mettre en place une collaboration avec les organisations internationales pour bénéficier de leur expérience.
10. La première leçon à tirer consiste à accepter qu’il n’existe pas de «vérité unique», et qu’il est bon d’envisager les choses selon différentes perspectives. Cette démarche bouscule les idées préconçues que nous avons construites au sein de nos familles et de nos communautés, consciemment ou non. Les élèves peuvent apprendre à respecter la différence s’ils en ont la possibilité, c’est-à-dire si on leur présente les grands événements historiques selon plusieurs sources et plusieurs perspectives. L’apprentissage par le biais de méthodes interactives qui proposent de multiples perspectives basées sur des informations factuelles favorise le développement de l’esprit critique. Les élèves sortent du système éducatif avec un esprit libre, créatif et curieux, c’est-à-dire une valeur ajoutée importante qu’ils acquièrent en «analysant les faits». Cette capacité à analyser les questions sensibles répond à un futur besoin essentiel des employeurs dans de nombreux secteurs.
11. Selon Making Peace with the Past 
			(1) 
			Faire la paix avec
le passé, Healing Through Remembering project (La guérison par le
souvenir), octobre 2006, p. 7, disponible à l’adresse: 
			(1) 
			<a href='http://healingthroughremembering.info/images/pdf/Making%20Peace%20with%20the%20Past.%20Executive%20Summary.pdf'>http://healingthroughremembering.info/images/pdf/Making%20Peace%20with%20the%20Past.%20Executive%20Summary.pdf</a>. , «c’est précisément la capacité à faire la distinction entre la vérité et les mensonges du passé qui peut induire le rétablissement de la confiance nécessaire à un avenir politique stable». Il s’agit donc d’une situation «gagnant-gagnant», favorable tant aux hommes politiques qu’à la population, pour autant qu’elle soit adoptée.
12. Cependant, il faut délibérément prendre la décision de mettre en œuvre cette initiative, et l’impulsion doit venir à la fois des politiques et des enseignants qui le souhaitent. Se mettre à la place de l’autre ne veut pas dire «renier» ses propres convictions, réécrire l’histoire ou minimiser les traumatismes vécus par telle ou telle communauté. Certaines personnes n’ont pas pu faire ce pas au cours de l’enquête qui a été réalisée dans le cadre du présent rapport, ce qui souligne la nécessité d’expliquer la notion de perspectives multiples, mais justifie aussi la rédaction du rapport et les suites qu’il convient de lui donner.
13. Comme le disent les mots peints sur le mur du Garrick Bar à Belfast: «Un peuple qui garde un œil sur le passé est sage; un peuple qui garde les deux yeux sur le passé est aveugle.»
14. Les dirigeants politiques doivent donc reconnaître que l’histoire joue un rôle positif dans la société et favorise l’évolution des mentalités à tous les niveaux.

Travaux antérieurs de l’Assemblée sur la question

15. Dans sa Recommandation 1283 (1996) relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire en Europe, l’Assemblée déclare: «L’histoire a aussi un rôle politique clé à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui. Elle peut favoriser la compréhension, la tolérance et la confiance entre les individus et entre les peuples d’Europe. Elle peut aussi devenir une force de division, de violence et d’intolérance. L’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour soutenir la paix et la réconciliation dans les zones de conflit et de postconflit ainsi que la tolérance et la compréhension pour faire face aux phénomènes des migrations, de l’immigration et des changements démographiques.»
16. «La connaissance de l’histoire devrait être une part essentielle de l’éducation des jeunes. Son enseignement devrait permettre aux élèves d’acquérir la capacité intellectuelle d’analyser et d’interpréter l’information d’une manière critique et responsable, de saisir la complexité des sujets et d’apprécier la diversité culturelle.»
17. «Les établissements scolaires doivent reconnaître les différentes façons de traiter les mêmes sujets dans différents pays, et cela peut être développé comme une base pour des échanges scolaires.»
18. Dans son rapport d’information sur l’éducation en Bosnie-Herzégovine (voir Doc. 8385 (1999)), l’Assemblée note que «les problèmes les plus aigus sont liés au récent conflit, mais l’enseignement de l’histoire concernant les Balkans est problématique dans son ensemble. Les questions les plus difficiles concernent les versions concurrentes de la “vérité” et de la responsabilité des événements historiques, avec le danger évident que l’enseignement de l’histoire soit utilisé comme vecteur de propagande nationaliste». Elle recommande «un moratoire de cinq ans sur l’enseignement du récent conflit».
19. Un an plus tard, dans sa Recommandation 1454 (2000), l’Assemblée déplore l’absence de progrès. Tout en notant le refus des communautés concernées, elle continue de faire pression pour «l’acceptation d’un moratoire sur l’enseignement du dernier conflit pour permettre aux historiens de toutes les communautés en Bosnie-Herzégovine, avec le soutien d’experts internationaux, de développer une approche commune.»

3. L’enseignement de l’histoire

20. L’histoire est une discipline fondamentale qui, si elle dispose de ressources et de moyens suffisants, peut être l’occasion pour les apprenants de commencer à se demander «qui ils sont», et par conséquent «qui sont les autres». Le contenu de l’enseignement de l’histoire et la manière dont elle est enseignée sont deux questions distinctes mais interdépendantes. En effet, la définition de l’histoire constitue un champ d’étude à elle seule. Dans de nombreux pays, une loi interdit de révéler au grand public les dossiers du gouvernement avant une période de trente ans; il est donc impossible de disposer, avant l’échéance de ce délai, de tous les éléments d’information relatifs à certains événements, et l’on peut avancer que le passage du temps apaise les réactions à vif à certains événements. En examinant notre passé commun, par le biais de divers récits, nous pouvons voir comment ce passé a influencé ce que nous sommes devenus. Cette rétrospective peut également nous aider à apprécier notre interdépendance à l’heure de la mondialisation. En bref, cette démarche peut nous prouver que nous avons bien plus en commun que ce qui nous sépare.
21. La compréhension et le respect de la diversité sont étroitement liés à l’enseignement de l’histoire dans les pays en conflit, à la fois au niveau du contenu du programme et de la manière dont il est présenté. Les recherches menées pour le présent rapport ont montré que de nombreux pays au passé difficile ont eu tendance à éviter d’aborder à l’école certains événements historiques, et ce, encore aujourd’hui (au Cap-Vert par exemple, l’histoire n’est enseignée qu’à partir de la proclamation de la République en 1975, mais la population sait qu’elle va bientôt devoir faire face à son passé colonial). On peut avancer qu’une «solution irlandaise à un problème irlandais» n’est pas forcément saine, quel que soit le pays concerné. Dans de nombreux pays postsoviétiques et d’autres encore, les écoles ont utilisé des manuels très sectaires, qui abordent les questions sensibles mais en diabolisant «les autres». Cette diabolisation est encore plus véhémente quand les séquelles du conflit demeurent palpables. Quand une seule approche de la «vérité» historique était présentée pour des raisons politiques, les enseignants se sont entendus pour veiller à ne pas encourager les élèves à mettre en doute ce principe.
22. Faire abstraction du passé est tout aussi dangereux que de n’en connaître qu’une version partisane, comme on le voit dans les nombreuses régions en conflit partout dans le monde. C’est pourquoi la notion de perspectives multiples sur la base d’informations factuelles a acquis une certaine crédibilité dans le cadre de notre lutte pour concilier le passé que nous ne pouvons pas modifier, le présent que nous vivons et le futur que nous voulons bâtir pour nous-mêmes et les autres. Enseigner l’histoire en ayant recours à plusieurs sources d’informations vise à amener les élèves à envisager les questions sensibles d’un point de vue plus ouvert et plus curieux. Cette approche favorise l’esprit critique et la créativité.
23. Si la notion de perspectives multiples – au sens d’une utilisation de plusieurs sources d’information primaires et secondaires – correspond à la manière dont l’histoire devrait être enseignée, alors il nous reste à répondre à la question du «quoi» et du «quand». Cette question est également liée à celle de savoir à qui s’adresse l’enseignement de l’histoire. Comme l’ont montré les recherches menées pour le présent rapport, les personnes ayant le plus besoin d’aide pour réduire les clivages sont celles qui se trouvent au plus près des réalités du conflit. Tandis que pour de nombreuses classes sociales le conflit ne perturbe aucunement leur vie quotidienne, d’autres, au contraire, vivent la violence et la peur au quotidien. Ces derniers évoluent au sein de familles et de communautés qui interprètent leur situation selon leur point de vue, c’est-à-dire de manière partisane.
24. Il faut tirer des leçons du fait que la différence d’opinions entre les sexes s’inscrit dans ce par quoi ils se sentent chacun concerné. Quand on leur a demandé de citer des événements historiques marquants, des étudiants ont évoqué en premier «l’étendue de l’injustice et les pertes humaines engendrées (indépendamment de la communauté touchée)», et la nécessité d’observer un «devoir de mémoire». Les filles privilégient les thèmes «de la mémoire, de la coopération et de l’inégalité», alors que les garçons s’intéressent davantage au «conflit communautaire ou aux origines politiques et démographiques de l’Etat» 
			(2) 
			Keith
Barton, «Recent Research into Teaching History in Northern Ireland:
Informing Curriculum Change»; UNESCO, Centre University of Ulster,
Coleraine, février 2007, p. 16-17..
25. Si l’école ne tient pas compte du monde qui l’entoure, elle nie le besoin fondamental de ses élèves les plus vulnérables, à savoir inscrire dans un contexte plus large la représentation restreinte des événements qui leur est proposée dans leur communauté. S’ils ont créé des «havres de sécurité» pour les enfants le temps d’une journée scolaire, ils sont aussi coupables «d’abandonner le terrain aux exploiteurs de l’histoire» 
			(3) 
			David Harkness, professeur
d’histoire irlandaise, Queen’s University Belfast..
26. L’histoire moderne ne s’est pas déroulée en vase clos – pas plus que le reste de l’histoire, d’ailleurs. Il convient donc de la replacer dans un contexte élargi, de façon à rattacher les questions identitaires d’ici et maintenant à une réalité plus large, qui s’étend au-delà des frontières nationales. Cette approche va conduire les prochaines générations à envisager les événements selon la perspective des «autres». Ce faisant, elles commenceront à éliminer petit à petit les restes de fanatisme et de sectarisme. Avoir confiance dans sa propre identité, et dépasser le cadre de l’introspection, qui est plus confortable aussi bien pour les enseignants que pour les élèves, est un défi qui vaut la peine d’être relevé mais qui doit être soutenu par des mesures politiques.
27. D’après les études récentes, et contrairement à ce que pensent les enseignants, les élèves souhaitent vivement qu’on leur présente une vue d’ensemble des événements en classe. En prenant le cadre de vie des enfants comme point de départ du cours d’histoire, l’enseignant éveille leur imagination mais attire peut-être aussi l’attention négative de leur famille. En s’intéressant d’abord à des sujets non polémiques puis à des questions plus récentes, il peut repousser certaines limites qui doivent être bousculées. Trop souvent cependant, comme il s’agit d’événements historiques qui nous mettent mal à l’aise, nous préférons éviter de les évoquer. En agissant ainsi, nous faisons preuve d’intolérance ou de sectarisme, et c’est pourquoi nous devons nous remettre en question dans ce nouveau contexte.
28. Nous devons nous mobiliser en tant que politiques et enseignants pour appeler à un véritable changement, à une réelle tolérance et à des progrès concrets en faveur du respect de la diversité et de l’acceptation de la différence. Cette voie est la seule qui puisse mener les générations futures à la paix. En fait, au vu des statistiques sur le profil d’âge des professeurs d’histoire en Europe (60 % partiront à la retraite au cours des dix prochaines années), le moment est peut-être le bon, dans un contexte de changements politiques, pour aller à la rencontre du nouveau corps enseignant et lui proposer des méthodes d’enseignement novatrices.

4. L’exemple de l’Irlande

29. «Le conflit qui a secoué l’Irlande du Nord de 1969 au début du XXIe siècle a été de loin l’un des pires qu’ait connus l’Europe depuis la seconde guerre mondiale» (3 665 morts jusqu’en 2002) 
			(4) 
			Jonathan
Tonge..
30. «Bon nombre d’observateurs occidentaux en ont conclu que la complexité du conflit nord-irlandais et l’obsession de la religion et de l’histoire du XVIIe siècle en avaient fait une région anachronique, reculée dans le temps» 
			(5) 
			M.
Morrow. (Morrow).
31. A présent, les deux communautés d’Irlande du Nord, qui se définissent comme britannique ou irlandaise, existent, encadrées par un processus de paix souvent cité en exemple à d’autres régions en proie à des conflits.
32. «L’efficacité de l’accord tient à ce qu’il nous offre un cadre véritablement intégré qui se saisit des questions cruciales d’identité et d’appartenance. Il crée en outre un cadre institutionnel capable de gérer les principaux échanges relationnels sur ces îles, ainsi que de nouvelles institutions qui tentent de résoudre le legs historique d’aliénation par rapport à l’Etat» 
			(6) 
			M. Ahern, ancien Premier
ministre d’Irlande..
33. Leur gouvernement décentralisé est un exécutif au pouvoir partagé fondé sur le système D’Hondt. Ainsi, toutes les parties, quelles que soient leurs divergences, sont tenues de collaborer et de s’accorder sur la direction à donner à la vie politique.
34. Un regard sur les événements récents permet de comprendre à quel point la situation a évolué: au début de l’année 2008, le ministre unioniste de la Culture, Edmond Poots, a assisté à un match de football gaélique dans le Nord; le ministre Eamon O Cuiv a financé, à hauteur de 250 000 euros, la construction de salles orangistes dans les zones frontalières de la république; le ministre républicain Conor Murphy a animé une séance de questions-réponses à l’académie de Ballymena (un lycée protestant) – la première question posée était: «Je veux bien m’engager en politique, mais confirmez-vous que je doive d’abord être un terroriste?»; 200 élèves venus de six écoles de Ballymena ont effectué une visite au Parlement irlandais dans des groupes mixtes. De telles actions et réactions n’étaient même pas imaginables il y a quelques années seulement.
35. La diversité ethnique des communautés qui forment l’île a elle aussi évolué, mais contrairement au passé où la question pertinente consistait à savoir si untel était protestant ou catholique, l’on se demande avec un brin d’humour si certains de nos tout nouveaux citoyens sont «catholiques musulmans/hindis/juifs, ou «protestants musulmans/hindis/juifs». Alors que les dissensions politiques s’atténuent, nous constatons que beaucoup reste à faire pour venir à bout des anciennes et nouvelles formes de fanatisme et de sectarisme. Nombreux sont les habitants de la république qui pensent que ces comportements sont concentrés dans le Nord. Cependant, la compréhension mutuelle entre les personnes avec qui nous partageons l’île et notre place commune dans l’histoire de l’Europe et du monde n’est pas toujours aussi bonne que nous voudrions le croire. L’île d’Irlande dispose de compétences de haut niveau en matière de résolution de conflits, mais elle doit encore beaucoup apprendre avant d’éprouver un quelconque sentiment d’autosatisfaction.
36. Il n’a pas été facile d’en arriver là. Mais il est également évident que la lutte est loin d’être terminée, compte tenu de la persistance du sectarisme, du fanatisme et de la construction de «murs de la paix» (il en existe 83 à ce jour, contre 18 seulement en 1990). En réalité, comme c’est le cas pour toute fin de conflit, le processus a mis du temps et n’est pas encore arrivé à son terme. «Comment les historiens parviendront-ils à comprendre ce qui s’est passé, si nous qui avons vécu cette époque n’arrivons toujours pas à en finir?» Voilà une question pertinente et récurrente, soulignant la différence entre l’évènement au moment où il se produit et l’évènement ayant eu lieu et considéré avec le recul de l’histoire.
37. Dans l’optique «ici et tout de suite», il est facile de dire que tout récit des événements doit être fait par une personne ayant à sa disposition d’innombrables sources et ressources. Ceux qui ont vu les deux partis politiques «extrémistes» du refus réunis à la tête d’un exécutif de coalition, tandis que les deux partis d’opposition traditionnellement «favorables à la paix» sont minoritaires dans ce gouvernement autonome, soutiendront fermement le concept de «multiéclairage» comme approche de l’enseignement de l’histoire. Il permet une analyse objective des événements et augmente les aptitudes des apprenants à aborder le futur ensemble dans une société encore plus diverse.
38. Briser les barrières est un impératif politique. Dans certains cas, les interactions au niveau communautaire ont été plus fortes qu’au niveau politique. Les fonds du Programme européen pour la paix et la réconciliation (essentiellement concentré sur les pays frontaliers) ont permis de réaliser des projets transfrontaliers et intercommunautaires de grande et de petite envergure depuis le début du processus de paix. Cependant, bon nombre de communautés ne se connaissent pas et, par conséquent, ne se font pas confiance. Un leadership politique et religieux est aussi impératif dans les salles de classe qu’au sein des communautés, pour faire entendre le message de la tolérance.
39. L’idée de réunir des personnes d’origines diverses gagne progressivement les écoles et les élèves. A Omagh, un groupe d’écoles de confessions différentes s’est récemment proposé de partager le même campus. Même si cette initiative pourrait être perçue comme un nouveau rejet de l’intégration totale, nous devons reconnaître qu’elle a le double mérite d’être adaptée à la situation économique actuelle et de permettre aux enfants de se rencontrer plus facilement. La visite du ministre républicain à une école unioniste a peut-être été l’occasion pour certains élèves de rencontrer un catholique pour la première fois, peu importe qu’il soit républicain. Je suis convaincu que des initiatives de ce genre deviendront monnaie courante et mettront ainsi fin à la diabolisation de «l’autre côté». C’est en se parlant que les gens arrivent à découvrir les croyances et les valeurs des uns et des autres. En tolérant la différence, nous pourrons nous rendre compte du pourcentage plus élevé de choses que nous avons en commun. Les leçons d’histoire ont besoin de cet élément de contact préliminaire qui bouscule les limites du confortable.
40. En Irlande du Nord, l’évolution de la situation politique s’est accompagnée de profonds changements dans les programmes scolaires. Le caractère essentiellement ségrégationniste du système éducatif se reflétait même dans les matières enseignées, comme l’histoire. Le programme proposé à l’élève variait considérablement selon qu’il fréquentait un établissement catholique ou protestant. Aujourd’hui, les autorités essaient non seulement d’élargir les thèmes politiques abordés par les élèves divisés, mais également d’introduire des thèmes neutres, tels que les œuvres du poète Seamus Heaney, lauréat du prix Nobel. L’apparition dans les «autres» écoles de thèmes qui n’étaient pas traditionnellement enseignés est un signe d’évolution.
41. De simples choses comme l’importance de personnalités protestantes ayant appartenu au Mouvement indépendantiste irlandais sont souvent perdues dans le mode d’identification actuel, qui met l’accent sur la religion, définissant les nationalistes/républicains comme des catholiques et les unionistes/loyalistes comme des protestants. De même, l’insurrection de 1916 est considérée par certains comme le comportement antipatriotique d’un petit groupe d’Irlandais envers la Grande-Bretagne, alors qu’elle était engagée dans une guerre. En fait les Irlandais s’insurgeaient contre le colonialisme, à l’instar des guerres d’indépendance observées dans plusieurs autres parties du monde de 1914 à 1918. De tels exemples permettent de lier l’histoire de l’Irlande à celle de l’Europe et du monde, et récusent l’aspect ségrégationniste de notre histoire. Si la paix continue à régner, les questions d’identité et de tolérance constitueront une préoccupation majeure pour tous les habitants de l’île, en particulier les générations futures qui sont actuellement sur les bancs de l’école.
42. Tout récemment, un projet de collecte et d’exposition des souvenirs de la Guerre d’indépendance (1920-1921) au camp d’internement de Ballykinlar, dans le comté de Down, a suscité des réactions négatives. D’où la nécessité pour nos hommes politiques de faire preuve de courage pour affronter le passé. Pour «vivre et laisser vivre» et véhiculer un sentiment de tolérance, nous avons besoin non seulement d’un changement de programme scolaire et de consignes réglementaires adressées aux enseignants, mais également d’un leadership politique.
43. Des études démontrent clairement que de nombreux élèves ont renoncé à étudier l’histoire parce qu’ils la trouvaient trop axée sur les aspects politiques de notre passé, au détriment des aspects culturels, sociaux, économiques et bien d’autres. De nombreux pays luttent contre cette perte d’intérêt pour l’histoire.
44. Mon rapport relatif au cas irlandais 
			(7) 
			<a href='http://www.oireachtas.ie'>http://www.oireachtas.ie</a>. dans le cadre de la commission de l’éducation), souligne que les changements en cours sont bien accueillis par les enseignants. Les modifications apportées, ainsi que les réactions qu’elles ont suscitées, sont exposées en détail dans le rapport que je viens d’achever sur ce sujet. Il comprend des réactions aux séances de formation continue organisées et évaluées par le département de la République chargé de l’éducation et parle des efforts entrepris même au niveau des inspections départementales, en vue d’harmoniser les programmes dans toute l’île et au Royaume-Uni, qui enseignent également des modules sur l’histoire de l’Irlande.
45. Parmi les principaux changements effectués en République d’Irlande, on note la réduction du contenu des programmes d’histoire pour le deuxième cycle de l’enseignement secondaire et l’introduction d’éléments non politiques. La taille réduite des programmes permettra une exploration plus approfondie des thèmes. Ces derniers transcendent les clivages communautaires. D’autres changements sont prévus, mais les responsables du département de l’Education commencent à comprendre l’importance d’un enseignement fondé sur la multiplicité des perspectives.
46. Nul doute que tout le monde souhaite vivre en paix. L’enseignement de l’histoire en Irlande peut contribuer à terme à la réalisation de cet objectif, mais le processus politique doit continuer à faire progresser la réforme de l’éducation. Le mode de gouvernement pratiqué au Nord représente un défi majeur dans ce processus, mais recèle également un énorme potentiel.

5. Bosnie-Herzégovine

47. En dépit de son adoption en 1989, l’Acte de réforme de l’éducation introduisant l’éducation intégrée en Irlande du Nord, que j’ai mentionné plus haut, a été très peu suivi d’effet. Il n’y a pas longtemps, un certain nombre d’écoles de confessions différentes ont émis l’idée controversée de partager un même campus. Il était prévu que chaque école conserverait son identité, mais utiliserait les mêmes installations que les autres. C’est un des rares signes d’évolution dans une société qui a toujours été très marquée par la ségrégation. En revanche, la ségrégation sociale en Bosnie-Herzégovine est plus récente. En Irlande, d’aucuns pensent que la solution au conflit consisterait à mettre fin à cette ségrégation entretenue par une bonne partie du budget de l’exécutif. Il était intéressant d’écouter le président Silajdžić lorsqu’il se disait navré que certaines personnes déclarent ouvertement que l’on s’achemine vers une société ségrégationniste en Bosnie-Herzégovine. Il envisage la mise en application de l’annexe 4 de l’Accord de Dayton et reconnaît que beaucoup reste à faire pour mettre fin à ce qui s’apparente déjà à un apartheid. En réponse à une question que je lui ai posée lors de la réunion de la session de l’Assemblée en septembre 2008, il a lancé un appel à l’aide: «J’exhorte les institutions comme celle-ci, ainsi que les organes qui la composent, à nous aider à mettre fin à cette pratique; tel est probablement le souhait de la majorité des habitants de la Bosnie-Herzégovine.»
48. Un processus visant à régler la question de l’enseignement de l’histoire en Bosnie-Herzégovine a été enclenché en 1999. En 2001, l’accent a été mis sur la Recommandation Rec(2001)15 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à l’enseignement de l’histoire en Europe au XXIe siècle (2001), qui stipule que l’enseignement de l’histoire devrait «occuper une place essentielle pour la formation d’un citoyen responsable et actif et pour le développement du respect de toute sorte de différences, respect fondé sur une compréhension de l’identité nationale et des principes de tolérance», et «permettre au citoyen européen de mettre en valeur son identité individuelle et collective par une connaissance du patrimoine historique et culturel commun dans ses dimensions locale, régionale, nationale, européenne et mondiale».
49. En 2002, il a été convenu que 70 % du programme serait identique pour tous les élèves. Les cantons ont participé au «matériel d’intérêt national» pour 30 % environ, mais à l’époque cette initiative ne répondait pas vraiment à une tentative de modernisation du programme. Elle visait uniquement à le rendre plus acceptable du point de vue ethnique. Tous les pays sortant d’un conflit sont confrontés à ce décalage entre les aspirations et la réalité, que ce soit au plan politique ou éducatif. Or, tout processus a besoin d’être stimulé pour évoluer à un rythme normal. La Bosnie-Herzégovine n’est pas une exception.
50. En 2006, le processus des Lignes directrices communes, coordonné par le Conseil de l’Europe, a débouché sur la rédaction de nouveaux manuels d’histoire et de géographie. Deux manuels scolaires ont ainsi été réalisés, qui mettent en œuvre la réforme. 50 % des contributions au manuel provenaient de sources locales. Ce processus – auquel participait la mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Bosnie-Herzégovine (qui assiste et encourage les autorités locales à la mise en place d’un système éducatif véritablement intégrateur dans le cadre de son mandat de réhabilitation postconflit), l’Institut Georg Eckert pour la recherche internationale sur les manuels scolaires (Allemagne), le Gouvernement du Canada (fonds du Programme d’initiatives locales (PIL) débloqués par le bureau de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) à Sarajevo) et surtout des experts originaires de la Bosnie et de toute l’Europe – doit servir d’exemple de progrès à d’autres pays.
51. De nouveaux manuels sont en circulation depuis 2007. Ils résultent d’une nouvelle approche pour mettre en œuvre le programme scolaire. Se démarquant des tentatives habituelles d’«occultation de matériaux insultants», ils proposent de nouveaux contenus et une nouvelle méthodologie. Les séminaires régionaux (dont la première vague s’est achevée en juin 2008) sur le Manuel de l’enseignant aident désormais les enseignants à mettre à profit le potentiel des nouveaux manuels. Cinquante enseignants d’origines diverses étaient présents au séminaire auquel j’ai pris part en mars 2008. Ils se sont montrés très ouverts et engagés dans le processus d’apprentissage de l’histoire fondé sur la multiplicité des perspectives. Le séminaire en lui-même était un exemple d’enseignement interactif, car les enseignants ont découvert un nouveau concept pédagogique, totalement différent de ce à quoi ils étaient habitués (des détails complets de la réaction des enseignants à cette session de formation continue sont disponibles).
52. Enseignants et syndicats d’enseignants se font de plus en plus entendre en Bosnie-Herzégovine. Le pays est fragmenté par nature et compte au moins 11 syndicats qui, de ce fait, ne peuvent pas contribuer de manière effective à la prise de décisions. Toutefois, l’ensemble des séminaires de formation qui se sont tenus jusqu’ici a bénéficié du soutien total et unanime de tous les ministères de l’Education et institutions pédagogiques.
53. En 2007, EUROCLIO a publié, grâce à l’appui financier des Pays-Bas, un guide de ressources, en langues locales, à l’intention des enseignants. Au séminaire de Sarajevo, tous étaient unanimes pour reconnaître qu’une telle initiative aurait été vouée à l’échec il y a six ou sept ans, car les enseignants auraient ressenti la nécessité de protéger leurs «positions». Il y a très peu de temps encore, toute «nouvelle» approche aurait engendré une sorte de rébellion. En mars 2008, les trois groupes présents dans la salle de réunion ne montraient aucune réticence. Cette évolution des mentalités est également perceptible chez les élèves. Certains échanges scolaires et activités intercommunautaires n’auraient pas été possibles il y a quelques années.
54. Même si je crains qu’il soit difficile d’insuffler une vision unique pour l’avenir de l’enseignement de l’histoire en raison du nombre élevé de ministres de l’Education dans le pays, je dois admettre qu’un travail impressionnant a déjà été accompli et mérite d’être poursuivi. L’importance d’une réforme de l’éducation est soulignée dans les propos de Claude Kieffer, directeur de l’Education pour la Mission de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine:
Dans un Etat plurinational, multiconfessionnel et sortant d’un conflit, qui connaît de surcroît une transition politique, sociale et économique difficile, l’éducation est peut-être l’élément primordial pour asseoir la stabilité, la sécurité et la réconciliation. Une réforme de l’éducation est nécessaire pour que les questions idéologiques qui avaient mené à la guerre – identité, histoire, culture, langue, souveraineté, autodétermination, droits des individus et des groupes – cèdent la place à une nouvelle ère de confiance et de réconciliation dans l’après-guerre, grâce notamment à un système éducatif de plus en plus accessible, acceptable et efficace pour tous les citoyens, sans distinction d’origine ethnique ou de statut.

6. La mer Noire

55. En 1993, les chefs d’Etat européens se sont engagés à renforcer les programmes visant à combattre les préjugés dans l’enseignement de l’histoire et à encourager l’adoption d’attitudes positives réciproques face aux différences d’ordre confessionnel et culturel. Les recommandations relatives à l’enseignement de l’histoire adoptées en 2001 par le Conseil de l’Europe ont reconnu l’évolution du contexte européen et insisté sur la nécessité de préserver l’histoire de toute influence politique ou idéologique et de veiller à ce qu’elle ne soit pas manipulée par les politiciens, mais utilisée pour faire connaître l’identité nationale et découvrir le riche passé des autres cultures. La recommandation portait sur la compréhension de la différence, la valorisation de la diversité, le respect d’autrui, le développement du dialogue interculturel et l’établissement de relations sur la base de la compréhension mutuelle et de la tolérance.
56. A partir de cette recommandation, des projets ont vu le jour à divers endroits afin de mettre ces idées en pratique. Au fur et à mesure que les réalités socioculturelles sont prises en compte, les événements sont vécus au-delà des frontières nationales et des limites établies. Un projet, «Initiative de la mer Noire sur l’histoire» a commencé en 1999. Mais la Bulgarie, la Fédération de Russie, la Géorgie, Moldova, la Turquie et l’Ukraine étaient toutes parties prenantes à cette initiative visant la mise en place d’un dossier pédagogique fournissant à chaque pays son propre matériel pédagogique ainsi que celui utilisé par ses voisins, de façon à mettre en pratique la recommandation de 2001. Ce dossier a été publié en 2004.
57. L’histoire avait été confinée au contexte national des Etats, et rien ne les incitait jusque-là à dépasser ces limites. Il était pourtant évident que de nouvelles stratégies étaient nécessaires pour comprendre le passé afin de mieux aborder l’avenir, et pour valoriser l’histoire d’autres peuples et le mode de cohabitation de religions différentes. Ce nouveau projet se voulait dynamique et non pas statique. Il offrait aux enseignants concernés une courbe d’apprentissage unique, puisqu’ils étaient appelés à travailler avec très peu d’informations sur la région. Les sources étaient éparses, difficiles à localiser et écrites dans 12 langues différentes. Ce processus de recherche a permis le développement d’un outil pédagogique dont l’utilité dépassait le cadre du dossier pédagogique. A présent, des équipes interdisciplinaires composées de spécialistes travaillent plus régulièrement dans la zone, avec un matériel beaucoup plus accessible à tous les pays.
58. Un projet englobant la mer Méditerranée est également en gestation. Il espère bénéficier de l’appui du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud), mais demeure au stade embryonnaire.

7. L’enseignement de l’histoire en Europe (dix ans de coopération entre la Fédération de Russie et le Conseil de l’Europe, 1996-2006)

59. Depuis 1996, la Fédération de Russie a accueilli des délégués du Conseil de l’Europe, de l’UNESCO, de l’Institut Georg Eckert de recherche internationale sur les manuels scolaires et d’EUROCLIO, à l’occasion d’événements auxquels étaient également présents les ministres régionaux de l’Education. Dix ans de coopération avec la Fédération de Russie ont permis de se faire une idée globale de sa diversité culturelle, qui inspire le projet intergouvernemental du Conseil de l’Europe «L’image de l’autre dans l’enseignement de l’histoire», qui est en cours de réalisation et auquel participent les 49 Etats parties à la Convention culturelle européenne.
60. Andrey Fursenko, ministre de l’Education et de la Science de la Fédération de Russie, estime que les dix ans de coopération avec le Conseil de l’Europe ont favorisé «l’élaboration de normes dans le domaine de l’enseignement de l’histoire et l’évaluation des connaissances et des aptitudes acquises par les élèves dans l’apprentissage de l’histoire». Il a salué les programmes internationaux qui ont aidé les pays à se faire une idée impartiale du passé et du présent grâce à une réforme de l’enseignement de l’histoire dans les établissements scolaires. Le ministre a rendu un hommage appuyé aux enseignants, spécialistes de la méthodologie, chercheurs, auteurs de manuels, éditeurs, experts nationaux et internationaux, qui ont tous collaboré à ce projet. Il comportait un volet bilatéral et multilatéral incluant l’Initiative de la mer Noire, l’Initiative de Tbilissi, et le Programme de coopération avec le Japon.
61. L’expérience russe couvrait trois périodes et trois thématiques:
  • 1996-1999 – Quels sont les objectifs de l’enseignement de l’histoire? Quel est le rôle des normes dans ce processus? Comment des éléments régionaux, nationaux et internationaux peuvent-ils être intégrés? Quel est le rôle des manuels et de la formation continue?
  • 2000-2003 – Accent sur la formation continue au moyen d’ateliers organisés dans toutes les régions de la République en vue d’informer les enseignants (par exemple ceux de la République de Tchétchénie, y compris dans les camps de réfugiés) des nouvelles méthodes et de créer une plate-forme d’échange de vues entre les éducateurs de la Fédération de Russie et ceux du reste de l’Europe.
  • 2004-2006 – Réflexions sur le dialogue interculturel et les voies et moyens de l’intégrer dans l’élaboration des ressources et le processus de formation continue afin que la diversité soit perçue comme un facteur d’enrichissement. L’activité a été poursuivie après 2006 en se concentrant sur l’enseignement de la diversité culturelle par l’histoire, afin de renforcer la cohésion sociale et la coopération dans la société contemporaine.

8. Chypre

62. A Chypre, comme dans d’autres pays déjà mentionnés, les objectifs de la Recommandation Rec(2001)15 relative à l’enseignement de l’histoire en Europe au XXIe siècle ont été adoptés et transmis aux enseignants ainsi qu’aux formateurs d’enseignants d’histoire, grâce à la coopération du Conseil de l’Europe avec de nombreux syndicats d’enseignants et en particulier l’Association pour le dialogue et la recherche historique (ADRH).
63. En 2004, un programme initial comprenant six activités a vu le jour grâce au Conseil de l’Europe (la première grâce à la coopération de la Commission J.W. Fulbright de Chypre et de l’Association pour le dialogue et la recherche historique). Six cents personnes (formateurs d’enseignants, représentants d’ONG, spécialistes de la formation initiale et enseignants d’histoire appartenant à différentes communautés) ont pris part aux séminaires, ateliers et réunions d’experts. L’objectif général des rencontres était de créer un vaste forum d’information sur les nouvelles approches dans l’enseignement de l’histoire et de contribuer, avec l’ensemble multiculturel du corps enseignant chypriote, à instaurer la confiance. Elles ont permis d’identifier les besoins en termes de matériel didactique pouvant être utilisé au sein de toutes les communautés et le manque d’informations méthodologiques sur les nouvelles méthodes interactives. Dès le départ, toutes les activités étaient dirigées par des enseignants chypriotes et adaptées à leurs propres besoins pédagogiques. Elles étaient par conséquent pratiques et axées sur les besoins identifiés qui d’ailleurs constituaient les thèmes des séminaires.
64. Le premier résultat a été la publication, en 2004, d’un ouvrage intitulé Multiperspectivity in Teaching and Learning History en anglais, en grec et en turc 
			(8) 
			Voir <a href='http://www.coe.int/t/dg4/education/historyteaching/Source/Cooperation/Cyprus/MultiperspectivityCyprus2004_en.pdf'>www.coe.int/t/dg4/education/historyteaching/Source/Cooperation/Cyprus/MultiperspectivityCyprus2004_en.pdf</a>.. Il a été bien accueilli par les enseignants à travers toute l’île. Grâce à la coopération, il combine des approches novatrices de l’enseignement de l’histoire et les diffuse à l’échelle nationale et internationale.
65. En 2005, les enseignants chypriotes ont éprouvé le besoin de se doter de ressources similaires au dossier pédagogique de la mer Noire. Ils ont estimé qu’il était important de disposer d’un outil pédagogique complémentaire contenant le matériel source et son mode d’emploi. Les informations contenues dans les sources ne devaient pas être identiques au contenu des manuels d’histoire nationaux, mais plutôt mettre l’accent sur l’histoire culturelle, sociale et économique de Chypre. Le but était de présenter le multiculturalisme de Chypre à travers ses modes de vie ruraux et urbains, ses us et coutumes et son style d’habitat, et de dégager l’impression que le visiteur étranger se fait de l’île.
66. Tout au long de l’année 2006, des réflexions se sont poursuivies sur les moyens pratiques de promotion du dialogue interculturel. Des séminaires et ateliers de formation des enseignants ont été organisés, et des enseignants d’histoire d’Allemagne, d’Autriche, du Portugal, de la Serbie et du Royaume-Uni y ont participé afin d’échanger leurs points de vue et de partager leurs expériences.
67. Les participants ont été particulièrement satisfaits du fait que les activités étaient évaluées au fur et à mesure qu’elles se déroulaient, preuve que leur temps était utilisé de façon rationnelle, car tout ce qu’ils apprenaient leur était aussitôt utile en classe, notamment pour identifier les sources, développer les réflexes pédagogiques et planifier les leçons. Cela s’appliquait à toutes les communautés, sans distinction. En effet, la recherche de thèmes d’intérêt commun a orienté l’un des ateliers vers le partage de sources entre communautés. Ce côté pratique prouvait que la confiance recherchée était en train de s’instaurer et s’étendait aux ateliers dirigés par des équipes de formateurs appartenant à diverses communautés locales et européennes. La réussite était également visible dans les chiffres, car le séminaire de décembre 2006 avait enregistré 500 demandes d’inscriptions.
68. Des élèves représentant le «Doves Olympic Movement» ont pris part au dernier atelier. En général les commentaires à chaud des principaux acteurs de la salle de cours sont une perspective qui, bien que négligée, devrait rester au cœur de tous les débats.
69. En janvier 2009, ces travaux ont débouché sur une deuxième publication trilingue (en anglais, grec et turc) sur The Use of Sources in Teaching and Learning History 
			(9) 
			Voir <a href='http://www.coe.int/t/dg4/education/historyteaching/Cooperation/Cyprus/CyprusPublication_en.asp#TopOfPage'>www.coe.int/t/dg4/education/historyteaching/Cooperation/Cyprus/CyprusPublication_en.asp#TopOfPage</a>., que la directrice du projet, Tatiana Minkina-Milko, résume ainsi: «Cette publication présente la philosophie et la structure qui pourraient servir à l’avenir de base d’un ensemble supplémentaire de matériels pédagogiques.»
70. Il est nécessaire que les systèmes politiques reconnaissent la valeur du travail déjà accompli. Compte tenu de l’évolution positive du climat politique entre les chefs de communautés, les bases du progrès n’ont pas besoin d’être réinventées, mais plutôt étendues et soutenues. Lors de la séance plénière de septembre, MM. Christofias et Talat reconnaissaient en effet le rôle de l’enseignement de l’histoire dans la consolidation de la paix et de la réconciliation, même si le «calumet de la paix» comportait également un volet politique.
71. «D’aucuns disent que Chypre est composée de deux “peuples” – faux, il n’y a qu’un seul peuple, constitué de deux communautés. (…) Cette année le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre la réforme de l’éducation. Elle prévoit l’enseignement de la réconciliation. Nous ne resterons pas muets sur l’ingérence et l’occupation – cela est un fait. (…) Nous changerons progressivement les livres d’histoire afin d’éduquer les jeunes de façon plus objective et d’éviter tout sentiment de haine – ne pas enseigner la haine à l’égard des Chypriotes turcs. Pour être plus clairs, nous n’éprouvons aucun sentiment de haine envers le peuple turc – les populations sont toujours innocentes – les dirigeants sont les seuls coupables des nombreux crimes. Mais il est évident que nous prendrons des mesures concrètes en vue de répondre au problème que vous avez soulevé» 
			(10) 
			M. Christofias. .
72. «Nous avons passé notre enfance et notre adolescence sur un volcan prêt à entrer en éruption d’une minute à l’autre. A présent, nous sommes soucieux d’assurer un avenir paisible à nos enfants. Et à cet égard, nous considérons l’avènement d’une paix durable à Chypre comme une question humanitaire urgente. (…) Les relations entre les jeunes générations des deux côtés de l’île dépendront de la solution globale qui sera trouvée ainsi que des moyens prévus pour la rendre durable. J’ai le plaisir de vous informer que notre ministre de l’Education a révisé les manuels actuellement utilisés dans les écoles conformément aux principes et recommandations du Conseil de l’Europe. Nous espérons que la partie chypriote grecque interviendra sans tarder pour éliminer de ses manuels tout langage incitant à l’hostilité et à la haine envers les Chypriotes turcs. Nous attendons du Conseil de l’Europe qu’il encourage et amène la partie chypriote grecque à agir dans ce sens» 
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			M. Talat..
73. L’un des points soulevés par M. Talat et qui revient souvent dans la plupart des pays, c’est la nécessité d’un enseignement et de ressources pédagogiques dans la langue maternelle des apprenants: «A l’exemple de la partie chypriote turque, nous avons offert aux enfants chypriotes grecs du nord de Chypre la possibilité de recevoir dans leur langue maternelle, et sans interruption, une éducation scolaire élémentaire et secondaire dispensée par des enseignants chypriotes grecs et conforme au programme chypriote grec. Vous devriez encourager la partie chypriote grecque à honorer ses engagements oraux et écrits devant les Nations Unies, à savoir la construction d’établissements secondaires séparés pour les élèves chypriotes turcs et l’offre d’une éducation en langue maternelle à ces enfants, ce qui constitue un droit humain fondamental.»
74. Notons cependant qu’il s’agit là d’une tout autre procédure, engagée aux niveaux politique et pédagogique. Les travaux du Conseil de l’Europe ont toujours été et devraient rester un élément central de l’évolution de l’enseignement de l’histoire.

9. Autres initiatives

75. En 1997, le ministère de l’Education de la Géorgie a commencé la rédaction d’un manuel complémentaire sur «L’histoire du Caucase» avec le soutien de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Fédération de Russie; les autorités roumaines se sont jointes au projet.
76. En 1998, le projet russo-japonais a été lancé. Il vise à explorer la manière dont la Russie enseigne l’histoire du Japon et réciproquement. Un outil didactique supplémentaire intitulé «Histoire et culture du Japon: Documents et illustrations» a été publié en 2003.
77. En 2006, la «dimension européenne dans l’enseignement de l’histoire» a produit une compilation de sources historiques sur un CD-ROM contenant des archives récentes d’Europe orientale.
78. En 2007 a été lancé le projet triennal du Conseil de l’Europe «L’image de l’autre dans l’enseignement de l’histoire». Ses objectifs sont de présenter une recommandation du Comité des Ministres, de préparer un manuel pour les enseignants et d’élaborer des lignes directrices pour le développement de l’enseignement de l’histoire dans un contexte multicuturel.
79. L’enseignement de l’histoire devrait avant tout viser à renforcer le processus de réconciliation, à promouvoir les principes de respect mutuel et à ouvrir des voies supplémentaires de coopération. En outre, l’enseignement de l’histoire ne devrait pas se limiter à la politique, mais englober l’histoire culturelle, économique et sociale et celle de la vie quotidienne, afin d’offrir une vue d’ensemble à l’élève pour l’inciter à rechercher la paix et l’unité avec les autres. Les psychologues ont confirmé que le fait de mettre l’accent sur les problèmes politiques, notamment les conflits, pourrait engendrer l’hostilité et la violence chez les élèves.
80. La question des normes dans l’enseignement de l’histoire était au cœur du débat – quelle personnalité, quel événement ou quelle interprétation devrait être «retenu(e)» ou «retiré(e)» des programmes. Un phénomène récent consiste à observer les exigences pédagogiques relatives à la capacité de l’élève à «traiter l’information et à l’appliquer à un nouvel environnement social». La question des normes doit prendre en compte aussi bien ceux qui les établissent que les enseignants chargés de les appliquer – et «déterminer, avant tout, le caractère et le niveau de raisonnement, la capacité d’apprentissage par observation et le niveau de créativité des élèves, plutôt que le contenu réel des programmes d’histoire».
81. Une commission mixte Russie-Ukraine dirigée par l’académicien Alexander Chubarayan vient de s’achever (novembre 2008). Chaque pays participant a rédigé un livre sur son histoire complète, qui a été traduit dans la langue de l’autre. Cette initiative a déjà suscité certaines critiques dans les médias, preuve que certains membres de nos communautés ont encore besoin d’être sensibilisés sur la nécessité de développer un esprit de compréhension plutôt que d’hostilité permanente.

10. Conclusion

82. La résolution de conflits demeure un processus. La restauration de la confiance au niveau politique est un processus au cours duquel il est indispensable de faire preuve de patience, comme l’a si bien dit le sénateur George Mitchell après le démarrage du processus de paix en Irlande. La confiance nécessaire pour résoudre les questions sensibles, aussi bien sur le plan politique qu’éducatif, s’acquiert également au cours d’un processus. Tous ces processus sont indispensables pour faire triompher la paix, l’entente et la tolérance à tous les niveaux de notre société. Même si nous ne pouvons pas les accélérer, nous ne pouvons pas non plus permettre que ces processus demeurent statiques. Aucune forme de média (télévision, radio, journaux, livres et magazines) n’est statique. Toutes sont des canaux de transmission d’événements actuels, c’est-à-dire de l’«histoire». Les processus de paix politiques ne peuvent se soustraire à l’exigence de développer de nouvelles aptitudes et de créer de nouvelles opportunités pour les générations futures par le biais d’un système éducatif capable d’aider les élèves à avoir un regard critique sur le type d’informations transmises et de comprendre que les messages peuvent être véhiculés aussi bien de façon directe que subliminaire. La réforme de l’éducation doit être menée par la sphère politique.
83. Tandis que les hommes politiques se surveillent de près et s’informent pour connaître leurs adversaires, enseignants et élèves doivent eux aussi avoir la possibilité de se connaître en tant que personnes et individus pour ne plus être diabolisés. Il est plus difficile de haïr une personne dont on a vu le visage, qu’une personne que l’on n’a jamais rencontrée. L’enseignement de l’histoire peut constituer pour nous un moyen de rencontre. Les enseignants d’histoire suivront le programme. Il a été prouvé que plus la gamme de choix est variée, plus il est certain que chaque «côté» choisira ses thèmes favoris et évitera les plus difficiles. Maintenu à une taille raisonnable, le programme aura un impact optimal sur les élèves.
84. Son contenu doit être décidé en collaboration avec les enseignants et autres professionnels. Ceux qui écrivent l’histoire ont également une importance capitale, car la télévision nous donne de manière instantanée le reportage des événements actuels. Il est indispensable que les historiens rédigent l’histoire pour que les élèves aient le récit des événements à partir de sources primaires et secondaires telles que les romans historiques, les films, les sites internet, des échanges avec les élèves d’autres pays grâce à la technologie, la visite de sites historiques (à l’instar du musée du Soulèvement de Varsovie) et l’humour des SMS. Par exemple, j’ai récemment appris l’existence sur Chanel+ d’une série canadienne, «La petite mosquée dans la prairie», qui utilise l’humour pour abattre les vieux préjugés. On n’a pas encore pleinement exploité le rôle de l’humour, fondé sur la connaissance d’autres cultures et le respect mutuel, pour «apprendre à connaître l’autre».
85. Cela nécessite plus de ressources, une évaluation et un suivi permanents, mais nous avons déjà vu qu’avec de la volonté, nous arrivons toujours à nos fins. Nous luttons pour une cause noble, et sans sous-estimer les défis qui attendent encore ceux qui se sont engagés dans ce combat, je salue le travail impressionnant qui a été accompli jusqu’ici – des volumes sont certes en cours de rédaction, mais beaucoup d’expériences sont réellement vécues «sur le terrain». Une étude comme celle-ci n’est pas suffisante pour décrire toutes ces activités, mais donne une vue d’ensemble d’une petite partie des projets visant à surmonter les défis liés à l’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de postconflit. Laissons le mot de la fin, qui se fait l’écho de l’inscription du Garrick Bar à Belfast, à Luisa Black, qui a acquis une grande expérience en la matière: «Si on regarde le passé avec les yeux de l’avenir, on peut en tirer des conclusions erronées, sauf si on voit vraiment ce qu’on regarde.»

Commission chargée du rapport: commission de la culture, de la science et de l’éducation

Renvoi en commission: Doc. 11338 et Renvoi 3400 du 21 janvier 2008

Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 28 avril 2009

Membres de la commission: Mme Anne Brasseur (Présidente), M. Detlef Dzembritzki (1er Vice-Président), M. Mehmet Tekelioğlu (2e Vice-Président), Mme Miroslava Němcová (3e Vice-Présidente), M. Vicenç Alay Ferrer, M. Florin Serghei Anghel, Mme Aneliya Atanasova, M. Lokman Ayva, M. Walter Bartoš (remplaçante: Mme Alena Gajdůšková), Mme Deborah Bergamini, Mme Oksana Bilozir (remplaçante: Mme Olha Herasym’yuk), Mme Guðfinna S. Bjarnadóttir, Mme Rossana Boldi, M. Ivan Brajović, M. Petru Călian, M. Miklós Csapody, M. Vlad Cubreacov, Mme Lena Dąbkowska-Cichocka, M. Joseph Debono Grech, M. Ferdinand Devínsky, M. Daniel Ducarme, Mme Åse Gunhild Woie Duesund, Mme Anke Eymer, M. Gianni Farina, M. Relu Fenechiu, Mme Blanca Fernández-Capel Baños, M. Axel Fischer, M. Gvozden Srećko Flego, M. Dario Franceschini, M. José Freire Antunes (remplaçant: M. José Luis Arnaut), Mme Gisèle Gautier, M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis, M. Martin Graf, M. Oliver Heald, M. Rafael Huseynov, M. Fazail İbrahimli, M. Mogens Jensen, M. Morgan Johansson, Mme Francine John-Calame, Mme Flora Kadriu, Mme Liana Kanelli, M. Jan Kaźmierczak, Mlle Cecilia Keaveney, Mme Svetlana Khorkina (remplaçant: M. Igor Chernyshenko), M. Serhii Kivalov, M. Anatoliy Korobeynikov, Mme Elvira Kovács, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Ertuğrul Kumcuoğlu, Mme Dalia Kuodytė, M. Markku Laukkanen, M. René van der Linden, Mme Milica Marković, Mme Muriel Marland-Militello, M. Andrew McIntosh, Mme Maria Manuela de Melo, Mme Assunta Meloni (remplaçant: M. Pier Marino Mularoni), M. Paskal Milo, Mme Christine Muttonen (remplaçant: M. Albrecht Konečný), M. Tomislav Nikolić, M. Edward O’Hara, M. Kent Olsson, M. Andrey Pantev, Mme Antigoni Papadopoulos, Mme Zaruhi Postanjyan, Mme Adoración Quesada Bravo, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Andreja Rihter, M. Nicolae Robu, M. Paul Rowen, Mme Anta Rugāte, Mme Ana Sánchez Hernández, M. Leander Schädler, M. Yury Solonin, M. Christophe Steiner, Mme Doris Stump, M. Valeriy Sudarenkov, M. Petro Symonenko, M. Guiorgui Targamadzé, M. Hugo Vandenberghe, M. Klaas De Vries, M. Piotr Wach, M. Wolfgang Wodarg

N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: M. Ary, M. Dossow