1. Introduction
1.1. Mon mandat
1. Le présent rapport a été établi
suite à une proposition de résolution sur «la nécessité de prendre
des mesures juridiques internationales supplémentaires pour lutter
contre la piraterie maritime» (
Doc. 11947), présentée par M. Konstantin Kosachev (Fédération de
Russie, GDE) et d’autres membres de l’Assemblée parlementaire. Le
11 septembre 2009, la Commission des questions juridiques et des
droits de l’homme m’a nommé rapporteur.
2. Dans le cadre de ce mandat, j’ai examiné les différents moyens
juridiques de combattre la piraterie maritime au large des côtes
somaliennes, compte tenu du nombre élevé d’incidents qui se sont
produits dans cette région au cours des dernières années. Mon rapport
sera axé sur la question des poursuites judiciaires à l'égard des
personnes soupçonnées d’actes de piraterie.
3. A ce propos, je tiens néanmoins à préciser que certaines questions
seront traitées plus en détail dans un autre rapport préparé par
la commission des questions politiques, intitulé «la piraterie –
un crime qui défie les démocraties» (rapporteur: Mme Birgen
Keleş, Turquie, SOC) (
Doc.
12193).
4. Par conséquent, mon rapport se concentre sur les dispositions
juridiques en vigueur en matière de piraterie ainsi que sur les
propositions de modification de ces dernières et de renforcement
de la coopération au niveau européen pour lutter plus efficacement
contre ce phénomène. Il n’examinera pas les questions plus générales
relatives à la piraterie maritime dans cette région, comme ses origines,
la situation politique en Somalie et dans les Etats voisins ou encore
les actions anti-piraterie menées par les organisations internationales
et européennes (voir mandat de Mme Keleş).
1.2. Objet du présent
rapport
5. En 2009, l'Observatoire de
la piraterie du Bureau maritime international de la Chambre de commerce internationale
a recensé un total de 406 cas de piraterie et de vol à main armée.
L’année 2009 a également été la troisième année consécutive de hausse
du nombre d’incidents signalés (239 cas en 2006, 263 en 2007 et
293 en 2008)
.
6. D’après le Bureau maritime international, le nombre total
d’incidents attribués aux pirates somaliens en 2009 s’élevait à
217, avec 47 navires détournés et 867 membres d’équipage pris en
otage. La Somalie représentait plus de la moitié des attaques en
2009, ces dernières continuant d’être de nature opportuniste
.
7. Entre 2008 et 2009, le nombre d’incidents a quasiment doublé
(111 attaques de navires par les pirates somaliens en 2008). Cela
étant, le nombre de détournements réussis était proportionnellement
inférieur (42), ce qui peut être attribué dans une large mesure
à la présence et à la coordination accrues des marines internationales
.
On a toutefois assisté en 2009 à un changement important dans la
localisation géographique des attaques au large de la Somalie. Alors
qu’en 2008 les attaques se produisaient principalement dans le golfe
d’Aden, en 2009 un plus grand nombre de navires ont été attaqués
le long de la côte orientale de la Somalie. Depuis octobre 2009,
on observe une activité accrue dans l’Océan indien
.
8. En dépit des efforts politiques énergiques déployés par la
communauté internationale et de la présence au large des côtes somaliennes
des forces navales de plusieurs Etats, notamment européens, les
actes de piraterie et de vol à main armée dans cette région continuent
de menacer gravement les marins et les passagers et de nuire à la
sécurité de la navigation maritime, entraînant des pertes économiques
importantes pour de nombreux pays. Selon les experts, le préjudice
total causé par la piraterie s'élève à des milliards de dollars,
si l’on inclut les dépenses réalisées pour renforcer la protection
des navires, la hausse considérable des primes d’assurance pour
les bateaux et les chargements, ainsi que le transport outre-mer
des chargements par des voies maritimes plus longues. Quelque 20 000 navires
cargos empruntent chaque année les voies maritimes entre l’Europe,
l’Asie et l’Afrique, notamment le golfe d’Aden, transportant près
de 30% du pétrole et du gaz nécessaires à l’Europe.
9. En 2009, les pirates somaliens ont réussi à obtenir près de
100 millions de dollars US de rançons
. Le montant moyen des rançons versées
par les armateurs est passé de 1 à 2 millions de dollars américains
.
10. Ces rançons leur servent notamment à acheter des armes et
à renouveler leurs moyens de détournement des navires marchands.
Les experts n’excluent pas qu’une partie des rançons soit utilisée
pour soutenir le terrorisme et l’extrémisme. Les attaques pirates
représentent un danger particulier pour les navires transportant
de l’aide humanitaire internationale vers les pays d’Afrique de
l’Est, notamment vers la Somalie. Le risque élevé d’explosion lors
des attaques de pétroliers fait peser une grave menace écologique
sur la région, surtout lorsque les bateaux transportent des produits
chimiques ou radioactifs dangereux.
11. Les instruments de droit international en vigueur, tels que
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982
(ci-après
«CNUDM»), offrent une base juridique permettant de mettre en place
une coopération internationale en matière de lutte contre la piraterie
sévissant au large des côtes somaliennes. Toutefois, les Etats qui
luttent activement contre la piraterie rencontrent un certain nombre
de difficultés juridiques, administratives et techniques au moment
d’établir les responsabilités des personnes arrêtées, qui empêchent
quelquefois d’engager des poursuites pénales contre les pirates
présumés.
13. Compte tenu de l’étendue du problème, le Conseil de l’Europe,
et en particulier son Assemblée parlementaire, pourrait aussi jouer
un rôle dans ce domaine. Il est essentiel que l’Assemblée se penche
sur les moyens juridiques de lutte contre la piraterie maritime,
notamment en vue de l’exercice de poursuites effectives à l’égard
des pirates présumés. L’Assemblée devrait en premier lieu examiner
l’utilité d’établir un mécanisme spécial – international ou prévoyant
une participation internationale – permettant d’engager des poursuites
judiciaires contre les personnes soupçonnées d’actes de piraterie.
A cet égard, une attention particulière devrait être accordée à
la proposition de création d’un tribunal international spécial
.
Cette idée ne semblant pas recueillir l’adhésion générale
,
d’autres solutions doivent être envisagées.
14. L’Assemblée peut jouer un rôle important dans la promotion
de la coopération européenne et internationale en matière de lutte
contre la piraterie maritime et l’harmonisation des dispositions
de la législation nationale relatives aux poursuites judiciaires
contre les pirates.
15. Les problèmes liés au droit relatif à la piraterie peuvent
être classés en cinq grandes catégories: i) problèmes découlant
des dispositions juridiques en vigueur sur la piraterie; ii) problèmes
découlant de questions de droit pénal; iii) problèmes découlant
de questions de droit civil; iv) problèmes découlant de questions
de droit international; v) problèmes concernant la relation entre
la lutte contre la piraterie et la lutte contre d’autres infractions
en mer. Le présent rapport portera principalement sur les problèmes
juridiques découlant de questions de droit international et de droit
pénal.
16. De toute manière, il convient de souligner que toute solution
permettant d’exercer des poursuites plus effectives à l’encontre
des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie
devra également respecter leurs droits fondamentaux, et en particulier
le droit à un procès équitable et l'interdiction de la torture et
des mauvais traitements. De l’avis de plusieurs experts, les accords
sur le transfert des pirates capturés conclus entre le Kenya
, les Seychelles
et les pays de l’Union européenne
soulèvent
des interrogations sur ce plan
.
17. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, j’ai participé
le 16 novembre 2009 à l’audition menée sur le thème de «la piraterie
– un crime qui défie les démocraties» au cours de la réunion de
la Commission des questions politiques à Bruxelles. Plusieurs experts
(notamment ceux qui représentaient l’OTAN, l’Union européenne et
le Bureau maritime international) ont fourni des informations très
intéressantes sur les politiques en vigueur en matière de lutte
contre la piraterie maritime, ainsi que sur l’étendue de ce phénomène
.
2. Cadre
juridique en matière de lutte contre la piraterie maritime
2.1. Dispositions
de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM)
18. Le cadre juridique relatif
à la lutte contre la piraterie est, pour l’essentiel, resté inchangé
depuis le dix-huitième siècle. Il n’est plus véritablement adapté
aux besoins pratiques de la surveillance maritime.
19. Les dispositions relatives à la piraterie énoncées dans la
partie VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer de 1982 lient les Etats parties et sont généralement considérées
comme reflétant les règles du droit coutumier international qui
s’imposent à tous les Etats.
20. Aux termes de l’article 101 de la CNUDM, la piraterie englobe:
a. tout acte illicite de violence
ou de détention, ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers
d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées,
et dirigé:
b.
i. contre un autre navire
ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en
haute mer,
ii. contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens,
dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat;
c. tout acte de participation volontaire à l’utilisation
d’un navire ou d’un aéronef pirate;
d. tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les actes
définis aux lettres (a) ou (b) .
21. Est donc considéré comme un
«navire pirate» un navire privé
dont
les personnes qui le contrôlent effectivement entendent se servir
pour commettre un acte de piraterie, ou qui a servi à commettre
un tel acte tant qu'il demeure sous le contrôle des pirates
.
Les attaques de piraterie doivent être commises d'un navire contre
un autre; de plus, les pirates agissant
à
des fins privées ,
les actes à motivation politique ne peuvent être considérés comme
de la piraterie
.
22. Une distinction est faite entre les actes de «piraterie» et
les «vols à main armée en mer». Un acte de piraterie peut être commis
en haute mer (article 101 a)(i)) ou dans un lieu ne relevant de
la juridiction d’aucun Etat (article 101 a)(ii)). Cette dernière
possibilité reste toutefois assez théorique
.
On entend ici par «haute mer» les eaux qui sont situées au-delà
de la limite extérieure de la mer territoriale d’un Etat côtier
, mer territoriale
dont la largeur maximale est de 12 milles marins
. La notion de «haute
mer» au sens de cette disposition inclut également celle de «zone
économique exclusive»
.
Les actes commis dans la mer territoriale qui constitueraient des
actes de piraterie s’ils étaient perpétrés en haute mer sont considérés comme
des «vols à main armée en mer» et relèvent de la compétence principale
de l’Etat côtier dans les eaux duquel ils se sont produits
.
23. Par dérogation au principe fondamental selon lequel les navires
naviguant en haute mer relèvent de la compétence exclusive de l’Etat
du pavillon
,
les navires de guerre et autres navires affectés à un service public
et autorisés à cet effet
peuvent,
en haute mer, arraisonner tout navire dont ils ont des raisons sérieuses
de soupçonner qu’il se livre à la piraterie
et
peuvent saisir des navires (ou aéronefs) pirates
.
24. Aux termes de l’article 100, tous les Etats parties à la CNUDM
sont tenus de coopérer dans toute
la mesure du possible à la répression de la piraterie en haute mer.
2.2. Autres instruments
juridiques internationaux
25. Les actes assimilables à de
la piraterie peuvent également, dans certaines circonstances, constituer
une infraction en vertu d’autres instruments juridiques, tels que
la Convention de 1988 pour la répression d’actes illicites contre
la sécurité de la navigation maritime (ci-après «Convention SUA»)
et
la Convention de 1979 contre la prise d’otages
.
26. La pertinence potentielle de la Convention SUA a été rappelée
dans les résolutions successives du Conseil de sécurité des Nations
Unies concernant la piraterie au large de la Somalie
. Cela est dû au fait que cette convention
impose aux Etats parties l’obligation d’ériger en infraction pénale
le fait de s’emparer d’un navire ou d’en exercer le contrôle par
violence ou menace de violence ou toute autre forme d’intimidation, d’établir
leur compétence à l’égard de ces infractions, et d’accepter la remise
des personnes responsables ou soupçonnées de tels actes. Si la Convention
SUA, largement ratifiée, n’érige pas en infraction pénale la piraterie
proprement dite, les infractions qu’elle prévoit ont des éléments
communs avec certaines conduites pouvant relever de la piraterie.
Les activités criminelles au large de la Somalie, par exemple, consistent principalement
en des attaques violentes contre un navire par un autre navire,
actes qui constituent aussi bien des infractions en vertu de la
Convention SUA que des actes de piraterie.
27. La Convention SUA ne prévoit toutefois pas les mêmes droits
que la CNUDM en matière de répression de la piraterie – le droit
d‘arraisonner les navires suspects, par exemple. L'absence de pouvoirs
de police réduit l’utilité pratique de la Convention SUA et explique
en partie pourquoi les Etats s’appuient sur le cadre juridique de
la CNUDM
.
3. Arrestation/transfert
et exercice de poursuites à l'égard des pirates
3.1. Classification
des pirates
28. La piraterie est un crime qui
relève de la compétence universelle et les pirates sont des criminels.
Les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie
doivent être considérées comme des criminels présumés.
29. Les pirates ne sont pas à proprement parler «des individus
participant directement aux hostilités» dans un conflit armé
et
ne peuvent de ce fait faire l’objet d’un recours à la force létale.
Bien que la
Résolution 1851 du Conseil de sécurité des Nations Unies (ci-après «CSNU»)
autorisant des actions contre
les pirates en Somalie renvoie à l’obligation de ne prendre que
des mesures conformes au droit international humanitaire (ci-après
«DIH»
),
cela ne signifie pas que les pirates sont des combattants au sens
juridique de ce terme et que les actions menées contre eux relèvent
du DIH
.
30. Les pirates ne sont pas à proprement parler des terroristes
.
Ils n’en sont pas si leurs actes de piraterie sont commis sans «but»
terroriste; or, cette motivation ne semble pas exister chez les
pirates aujourd’hui. En revanche, certains actes constitutifs de
piraterie peuvent entrer dans le champ d’application de la Convention de
1988 pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de
la navigation maritime et de la Convention de 1979 contre la prise
d'otages
.
Si ces conventions peuvent s’avérer utiles pour ce qui est des options
ouvertes aux procureurs, c’est la CNUDM qui est considérée comme
le principal cadre juridique en matière de lutte contre la piraterie
.
3.2. Règles et pratiques
31. Il n’existe pas de police internationale
de la haute mer, ni juridiction ou procédure pénale internationale pour
l’exercice de poursuites contre les pirates. Le cadre légal d’exercice
des activités de police en mer est celui que chaque Etat a défini
nationalement
.
Toute action de police en mer visant à capturer des pirates (par exemple,
visite de navire, ouverture du feu sur un navire pirate, reprise
par la force d’un navire détourné, rétention à bord) fait donc partie
d’une procédure judiciaire et doit être menée sous le contrôle d’une
autorité judiciaire. Elle implique donc la mise en œuvre des règles
de droit pénal et de procédure pénale propres à chaque Etat intervenant.
Toute ingérence internationale à ce niveau risque de compromettre
la légalité d'une telle action
.
32. Aux termes de l’article 105 de la CNUDM, les Etats peuvent
exercer leur droit de répression de la piraterie et, ce faisant,
ils sont autorisés à saisir un navire, à arrêter les pirates et
à les traduire en justice. Les tribunaux de l’Etat ayant opéré la
saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger ainsi que
sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire ou les biens,
réserve faite des droits des tiers de bonne foi
.
33. En droit international, plusieurs Etats peuvent avoir compétence
pour exercer des poursuites contre les pirates: l'Etat du pavillon
du navire pirate ou du navire qui a opéré la saisie, l’Etat dont
les pirates sont ressortissants, voire l’Etat dont les victimes
des actes de piraterie sont ressortissants, selon la doctrine de
la compétence de la «personnalité passive», et enfin, si la piraterie
est considérée comme un crime relevant de la compétence universelle
, tout autre Etat devant les tribunaux
duquel les pirates sont amenés à comparaître. Le droit international
n’établit aucun ordre de priorité s’agissant des demandes (ou des obligations)
de ces Etats en matière d’exercice de poursuites. En pratique, l’Etat
qui a opéré la saisie (article 105 de la CNUDM) est autorisé à exercer
des poursuites s’il le souhaite. L’article 100 de la CNUDM laisse
aux Etats une certaine «latitude» pour coopérer à la répression
de la piraterie par d’autres moyens que les poursuites judiciaires
.
Le partage de la charge n’est donc pas une question juridique, mais
bien politique
.
34. Les dispositions de la CNUDM n’autorisent pas la saisie d’un
navire pirate et l’arrestation des pirates dans une mer territoriale
autre que celle de l’Etat du pavillon du navire ayant opéré la saisie.
Les navires pirates peuvent donc échapper à l’arrestation en fuyant
vers une mer territoriale voisine. De même, les attaques de pirates
dans les eaux territoriales échappent à l'action internationale
si l'Etat côtier n'est pas en mesure ou ne souhaite pas surveiller
ses eaux et y interdit toute action internationale.
35. Il y a un vide dans les articles 100 et 105 de la CNUDM, à
savoir qu’il n’existe aucune règle expresse concernant le transfert
de pirates présumés de l'Etat qui a opéré la saisie vers un Etat
portuaire voisin. Néanmoins, tout Etat peut accepter un tel transfert
et faire valoir sa compétence universelle sur les suspects qui lui
sont remis
. Si l’Etat qui a opéré la saisie ne peut
exercer ses pouvoirs judiciaires en territoire étranger, rien n’empêche
l’Etat «receveur» d’exercer sa propre compétence
.
36. L’exercice de poursuites comporte des contraintes pour l’Etat
poursuivant, qui doit notamment loger l’accusé, recueillir des preuves,
engager l’instruction (et peut-être constituer avocat); peut-être
devra-t-il également mettre à disposition des services de traduction,
organiser le transport, la participation et l’hébergement des témoins,
prendre en charge les condamnés pendant leur incarcération, ou rapatrier
les détenus au cours ou au terme de leur période d'incarcération.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces tâches, ni surestimer
la volonté des Etats de les accepter.
37. Dans la plupart des cas, il est souhaitable que les poursuites
soient engagées dans un Etat côtier disposant d'un système de justice
pénale efficace et conforme aux normes internationales, situé à
proximité des bases à partir desquelles les pirates présumés agissent.
a. «Efficace», car le système doit
clairement permettre de résoudre les affaires et que tout retard
a un coût, en particulier si la présence de témoins (par exemple,
les agents qui ont procédé à l’arrestation) est nécessaire. De même,
la capacité de l’accusé, des témoins et des autorités chargées des
poursuites à comprendre la langue de l’autre contribue à la bonne
administration de la justice.
b. Les normes internationales doivent être respectées, tant
pour des questions de décence élémentaire dans la formulation des
politiques que du fait que les agents qui procèdent à l'arrestation
peuvent être tenus, en vertu d’instruments juridiques nationaux
ou internationaux (tels que la Convention européenne des droits
de l'homme), de ne pas transférer des détenus vers des lieux où
ils risquent de subir des traitements inhumains.
c. La proximité des bases des pirates présumés est essentielle
car c’est là que l’on a le plus de chances de trouver des complices
et des témoins, ainsi que des preuves supplémentaires (celles-ci
pouvant être recherchées après l’arrestation mais avant le procès).
Il importe également de tenir compte du fait que les familles des
accusés et des prisonniers peuvent souhaiter leur rendre visite
et leur apporter un soutien; il convient d’éviter toute désorganisation
de la vie d’innocents qui dépendent de personnes soupçonnées d’actes
de piraterie ou condamnés.
3.3. Conséquences
pour les droits de l’homme
38. Si l’Etat qui a opéré la saisie
décide de poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’actes
de piraterie devant ses propres tribunaux
ou une
autre juridiction compétente
, il ne se
pose aucune difficulté particulière. En revanche, la capture de
personnes soupçonnées d’actes de piraterie dans le golfe d’Aden,
leur détention, leur transfert et leur jugement dans un Etat de
la région (tel que le Kenya ou les Seychelles) soulèvent des questions
de droit des droits de l’homme
.
39. Pour ce qui est du traitement de pirates présumés, les Etats
sont toujours liés par les obligations découlant des traités en
vigueur en matière de protection des droits de l'homme, tels que
la Convention des Nations Unies contre la torture (ci-après «CCT»)
,
la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951
,
le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après
«le PIDCP»)
ou
la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après «CEDH»)
.
40. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent tenir compte
des obligations découlant de la Convention européenne des droits
de l’homme et notamment des exigences de procès équitable, d’interdiction de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
et de non-application de la peine de mort. Ils ne peuvent donc transférer
les pirates qu’ils viendraient à capturer pour jugement vers un
pays qui ne respecterait pas les critères de la CEDH
.
41. Le droit des droits de l’homme restreint les pouvoirs des
agents qui procèdent aux arrestations: ils sont en effet tenus de
traiter toute personne, dans toute circonstance, conformément aux
normes juridiques minimales applicables.
42. Le transfert de pirates présumés vers des Etats de la région
soulève un certain nombre de problèmes de droits de l’homme: l’autorité
légale de retenir des pirates présumés en mer et la nécessité de
les porter rapidement devant une autorité judiciaire; le principe
du non-refoulement et leur transfert vers des Etats de la région
à des fins de poursuites, l’application du droit à un procès équitable
lors de tels transferts et, dans le contexte de la CEDH, le droit
à un recours effectif pour contester la validité d’un tel transfert
.
4. Solutions possibles
au problème de la piraterie maritime
4.1. Création d'un
tribunal international pour juger les personnes soupçonnées d’avoir
commis des actes de piraterie maritime
43. Il a été suggéré que la création
d’un tribunal international pour juger les personnes soupçonnées
de piraterie maritime au large des côtes somaliennes serait la meilleure
solution pour combattre ce phénomène
, du
fait de l’étendue de ce dernier et de l’insuffisance des systèmes
juridiques des Etats de la région, y compris les Etats côtiers.
44. Néanmoins, d’autres voix s’élèvent contre cette proposition,
affirmant qu’un tel tribunal international ne serait ni efficace,
ni pratique, et surtout coûteux à mettre en place.
45. Les tribunaux pénaux internationaux sont utiles lorsqu’il
y a de nombreuses affaires controversées et dont les faits sont
complexes, résultant d’un épisode unique ou de faits interconnectés,
et lorsque l’on craint que les poursuites engagées par les autorités
et les juridictions nationales ne soient pas suffisamment effectives
et équitables à l’égard des personnes accusées d’infractions graves,
en raison de clivages politiques importants et/ou du non-respect
du principe de la prééminence du droit au sein de l’Etat en question.
Or, cela n’est pas le cas en ce qui concerne la piraterie. Pour
l’heure, aucun Etat ne dispose d’un groupe politique puissant qui
soutiendrait les pirates et chercherait à empêcher l’exercice de
poursuites et l’application de sanctions à leur égard. En revanche,
il existe bel et bien des Etats dans lesquels le système juridique
souffre des effets conjugués d’un manque de ressources, d’une mauvaise
utilisation de ces dernières et de la corruption. La création d’un
tribunal international ne permettrait pas d’améliorer les systèmes
juridiques nationaux et ne constitue pas un moyen efficace de lutter
contre leurs déficiences.
46. Les inconvénients de la création d’un tribunal international
sont multiples:
a. Durée. La création d’un tel tribunal
nécessiterait l’organisation d’une conférence internationale, ce
qui prendrait certainement beaucoup de temps. L’adoption du statut
de la Cour pénale internationale (ci-après «CPI») a duré dix ans,
et son entrée en vigueur quatre années supplémentaires.
b. Coût. Le budget
de la CPI pour 2009 s’élève à 101 229 900 euros, tandis que le budget
biennal du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après
«TPIY») pour 2008-2009 était de 342 332 300 dollars américains.
On voit mal comment la création d’un nouveau tribunal international pourrait
être rentable.
c. Fonctionnalité. Un
tribunal international pour la piraterie aurait à organiser le voyage
et l’hébergement des accusés, des témoins et d’autres personnes.
Des services d’interprétation vers une ou plusieurs langues officielles
seraient nécessaires. Les preuves devraient être transférées au
tribunal et être présentées conformément à ses règles en matière
de preuves, règles qui pourraient être différentes de celles des
régions d’origine des accusés. Les personnes condamnées devraient
être placées en détention dans un lieu donné, conformément aux conditions
définies par le tribunal.
d. Mauvaise orientation des efforts. Le
but principal doit être de prévenir la piraterie et non de juger
les pirates présumés. Un tribunal international privilégie les procès
publics au détriment des mesures de lutte contre la criminalité
à l’échelle locale. Or, les actes de piraterie maritime ne sont
qu’un élément de la chaîne de la criminalité. En effet, les pirates
agissent à partir de bases situées sur le continent. C’est également
sur le continent que sont utilisés les produits du crime, et que
les suspects et leurs complices sont susceptibles d’être trouvés.
Même si l’on confiait les procès à un tribunal international, un renforcement
des mesures locales de lutte contre la criminalité sur le contient
resterait nécessaire.
4.2. Création de tribunaux
«hybrides»
47. Il serait possible de réduire
les inconvénients liés à l’établissement d’un tribunal international
en créant des juridictions «hybrides» ou «internationalisées», c’est-à-dire
non pas un tribunal international unique ayant son propre siège,
mais des tribunaux spécifiques au sein des systèmes juridiques nationaux
et composés de juges nationaux et internationaux appliquant un ensemble
de règles nationales et internationales
.
48. Cela étant, si les affaires font l’objet de poursuites et
d’une instruction effectives, il ne semble pas y avoir de réel avantage
à créer un système de droit pénal «à deux vitesses» qui séparerait
les affaires de piraterie des autres actes de violence et de vol
en les portant devant des tribunaux spéciaux.
49. Il y a donc lieu d’envisager d’autres solutions que la création
de tribunaux spécialisés et en particulier, d’examiner les autres
possibilités de coopération entre Etats.
4.3. Accords établissant
l’Etat chargé des poursuites
50. Etant donné la charge qui pèse
sur l’Etat poursuivant et la nécessité de procédures d’arrestation conformes
aux exigences du système juridique de cet Etat, il est fortement
souhaitable que les Etats poursuivants et ceux qui procèdent aux
arrestations concluent des accords formels définissant leurs droits
et responsabilités respectifs. Ces accords peuvent être bilatéraux
ou régionaux; en revanche, compte tenu des divergences dans les
systèmes nationaux de justice pénale, il est peu probable qu’un
accord global serait efficace en la matière. Un accord international
formel n’exclut pas nécessairement
la
conclusion d’accords
ad hoc pour
le traitement des cas particuliers.
51. De tels accords pourraient nécessiter des modifications du
droit national afin de rendre les tribunaux d’un Etat compétents
pour juger des pirates présumés appréhendés par des agents de police
étrangers sur un territoire ne relevant pas de leur juridiction.
52. Dans le cas où plusieurs Etats exprimeraient leur volonté
de poursuivre les pirates présumés, la préférence devrait être donnée
à ceux qui sont parties à un accord international en vigueur en
la matière, car il est probable qu’un tel accord définisse clairement
la procédure à suivre et que des modalités pratiques de coopération
et d’assistance entre les autorités des Etats concernés aient été
établies.
53. De même, parmi les Etats parties à de tels accords, celui
qui semble le mieux à même de supporter la charge liée à l’exercice
des poursuites (hébergement de l'accusé, recueil de preuves, engagement d’instruction
et constitution d’avocat) devrait de manière générale être l'Etat
poursuivant (voir paragraphe 36 ci-dessus).
54. L’équipement du navire qui procède à l’arrestation est une
autre question importante, qu’il sera toutefois plus facile de régler
dans des accords portant sur la détention temporaire et le transfert
des accusés et des preuves, de manière à ce qu’un navire de police
qui procède à une arrestation puisse, si nécessaire
débarquer ces personnes
et retourner à ses activités de surveillance. Voilà une autre question
qu’il convient de régler au moyen d’accords internationaux formels.
55. La conclusion d’un accord entre l’Etat qui procède à l’arrestation
et l’Etat poursuivant permet de s’assurer dans la mesure du possible
qu’il n’y aura pas de refus d'exercer des poursuites dans les affaires
qui relèvent de cet accord. Toutefois, cette possibilité ne pouvant
pas être totalement exclue, il importe que l'Etat qui procède à
l'arrestation adopte des lois qui lui permettraient, le cas échéant,
de poursuivre lui-même les auteurs présumés des infractions.
56. Si l’Etat receveur ne souhaite pas conclure un accord de transfert
juridiquement contraignant, il se peut qu’il soit disposé à conclure
un mémorandum d’accord rédigé en des termes similaires
.
4.4. Renforcement
de la coopération internationale dans l’exercice de poursuites à
l’égard des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie
maritime
57. La piraterie est indissociablement
liée à d’autres actes de violence, de vol, de fraude et d’utilisation
de biens volés. Elle peut également avoir un lien avec d’autres
activités criminelles, telles que le trafic illicite de stupéfiants
ou d’armes. L’harmonisation des procédures et le renforcement des
mécanismes existants de coopération entre la police, les procureurs
et les tribunaux offrent les meilleures perspectives d’amélioration des
résultats en matière de prévention et de poursuite des actes de
piraterie.
58. Un renforcement de la coopération entre les Etats serait bénéfique
dans plusieurs domaines. Des accords pourraient, par exemple, être
conclus sur:
a. les procédures à
suivre pour approcher, arraisonner et retenir les navires étrangers
et leurs passagers;
b. les procédures à suivre pour que les procès-verbaux des
arrestations et des perquisitions des navires puissent être utilisés
comme preuves devant les tribunaux;
c. les procédures de transfert des suspects dans un Etat
côtier adéquat en vue de leur placement en détention provisoire;
d. les procédures de transfert des suspects vers un Etat
adéquat en vue de leur jugement;
e. les procédures de transfert/rapatriement des victimes
de l’infraction, et notamment de l’équipage des navires attaqués,
et les procédures de traitement des demandes d'asile;
f. les arrangements dits «shipriders» (agents des services
de lutte contre la criminalité des Etats côtiers exerçant les pouvoirs
nationaux à partir de navires de guerre étrangers) .
59. D’importantes initiatives ont déjà été prises au niveau international
pour surmonter les difficultés liées à la lutte contre la piraterie:
elles ont donné lieu à des démarches coopératives et permis de recueillir
une vaste expérience dans ce domaine. Celles du Groupe de contact
international sur la piraterie
et du Programme anti-piraterie de
l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ci-après
«ONUDC») en sont le meilleur exemple
. Ainsi, un programme régional de
l’ONUDC sur les procès pour piraterie contribue actuellement à la
formation des procureurs, la localisation et la production de témoins
la facilitation de la coopération juridique internationale [...],
la recherche d’avocats de la défense pour les pirates et la mise
en conformité des conditions de détention avec les normes internationales
.
60. De même, l’Organisation maritime internationale a émis des
recommandations aux armateurs et exploitants de navires, aux capitaines
et aux équipages pour la prévention et la répression des actes de piraterie
et de vol armé contre les navires
;
l’industrie des transports maritimes a adopté des lignes directrices quant
aux «Bonnes pratiques de gestion»
afin d’aider les sociétés et les
navires à éviter et à dissuader les attaques de pirates dans le
golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes, ou d’y faire face
le cas échéant.
4.5. Harmonisation
de la législation nationale
4.5.1. Définition des
infractions: piraterie et vol à main armée dans la mer territoriale
somalienne
61. L’harmonisation du droit pénal
national peut également offrir des perspectives d’amélioration des résultats
en matière de prévention et de poursuite des actes de piraterie.
62. En 2008, le Conseil de sécurité des Nations Unies a noté que
l'absence de législation interne était un facteur qui avait «empêché
de mener une action internationale plus vigoureuse contre les pirates
agissant au large des côtes somaliennes et, dans certains cas, contraint
à libérer les pirates sans les avoir traduits en justice»
. En 2009,
dans sa
résolution 1897, il a noté avec préoccupation que le manque de moyens
et l’absence de législation interne «permettant de détenir et poursuivre
les personnes soupçonnés d’actes de piraterie après leur capture»
était un problème qui avait, dans certains cas, «contraint à libérer
les pirates sans les avoir traduits en justice, alors même que les
éléments à charge étaient suffisants pour justifier des poursuites»
. Dans
la même résolution, le Conseil de sécurité a souligné la nécessité
pour les Etats «d’ériger la piraterie en infraction dans leur droit
interne et d’envisager favorablement de poursuivre s’il y a lieu
les personnes soupçonnés d’actes de piraterie, dans le respect du
droit international».
63. Les problèmes qui sont apparus au large de la Somalie ont
révélé un certain nombre de lacunes dans le droit interne des Etats
relatif à la piraterie, et notamment:
a. l’absence d’infraction de piraterie;
b. la définition d’infractions de piraterie, mais avec l’exigence
d’un lien national ou des restrictions géographiques ;
c. les dispositions définissant cette infraction ne reprennent
que partiellement la définition de la CNUDM, excluant par exemple
toute responsabilité pénale pour les actions visant à inciter à
commettre des actes de piraterie ou entreprises dans l’intention
de les faciliter;
d. les infractions de piraterie contenues dans une législation
antérieure à la CNUDM. De telles dispositions peuvent être inappropriées
si les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas définis
avec suffisamment de clarté.
64. Il se pose la question de savoir si les Etats sont tenus de
prévoir une infraction de piraterie dans leur droit interne. L’article 100
ne les oblige qu'à «coopérer dans toute la mesure du possible à
la répression de la piraterie…»
.
Il peut donc être interprété comme demandant aux Etats de disposer
de lois internes adéquates permettant de poursuivre les actes de
piraterie. Cela dit, comme l’a fait remarquer le Conseil de sécurité,
les pratiques des Etats ne permettent guère d’étayer ce point de
vue. Par conséquent, à moins que le Conseil de sécurité n’oblige
les Etats à adopter une législation interne en matière de piraterie,
comme il l’a fait pour les activités terroristes, l’existence d’une
telle obligation semble peu probable
.
65. L’adoption par les Etats des mesures nécessaires pour veiller
à ce que leur droit interne contienne des dispositions sur l’exercice
de poursuites contre les actes de piraterie et toutes les infractions
concernées par la définition de l'article 101 de la CNUDM, faciliterait
la coopération internationale en offrant davantage de possibilités
en matière de poursuites. Certains Etats ont déjà modifié, ou sont
en train de modifier, leur droit pénal relatif à la piraterie
.
66. Si les Etats devaient définir l’(les) infraction(s) de piraterie
conformément à la CNUDM, qui limite la piraterie à la haute mer,
les actes de vol à main armée en mer dans les eaux territoriales
somaliennes ne seraient pas concernés. Afin de poursuivre de tels
actes, les Etats devraient, à titre exceptionnel, étendre le champ
d’application de leurs lois en matière de piraterie aux actes équivalents
commis dans les eaux territoriales somaliennes. Aucun Etat ne semble
encore avoir pris une telle initiative. Etant donné l’absence de système
de justice pénale efficace en Somalie, il n’existe aujourd’hui aucune
solution viable pour la poursuite des actes de vol à main armée
en mer dans les eaux nationales somaliennes, en dépit des pouvoirs
de police qui sont conférés aux Etats en vertu de la
Résolution 1846 du Conseil de sécurité des Nations Unies (et de la
Résolution 1897 qui lui a succédé).
67. Si le fait d’établir des infractions de piraterie donne la
possibilité d’engager des poursuites, rien n’oblige toutefois les
Etats à le faire. Ces décisions dépendent de choix politiques: à
moins que ces derniers ne changent, il subsistera dans bien des
cas une réticence à poursuivre un incident de piraterie en l’absence
de lien évident avec l’Etat en question.
4.5.2. Dispositions
législatives relatives à l’application des normes juridiques
68. Pour que les poursuites pénales
soient effectives, la collecte, le traitement et la présentation
des preuves, ainsi que l’arrestation et la détention des suspects,
doivent être conformes aux règles et procédures du système de justice
pénale qui engage les poursuites. L’harmonisation des règles de
la preuve améliorerait la coopération entre les Etats et réduirait
le risque que des preuves soient déclarées irrecevables. A défaut, les
agents qui participent à la capture des pirates en vue de les transférer
devant la justice pénale d'un autre Etat à des fins de poursuite
devraient connaître et être formés à respecter les procédures en
vigueur dans cet Etat
.
69. Les Etats qui capturent des pirates présumés en vue de les
poursuivre, que ce soit dans l’Etat ayant opéré la saisie ou dans
un autre Etat à la suite d’un transfert, doivent s’assurer que leurs
agents sont habilités à le faire en vertu de leur droit interne.
70. En outre, lorsque les suspects sont placés en détention, même
dans l’attente d’un transfert vers un autre Etat à des fins de poursuites,
le droit des droits de l’homme peut exiger un contrôle judiciaire
national de leur détention. En vue de la rétention des pirates présumés
sur leurs navires de guerre, plusieurs Etats parties à la CEDH ont
mis ou mettent en place des mécanismes de contrôle judiciaire pour
toute la durée de rétention des suspects à bord, conformément à
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire
Medvedyev c. France .
4.5.3. Interdiction
du paiement de rançons
71. Il y a lieu de veiller à ce
que la législation en matière de lutte contre la piraterie soit
applicable dans d’autres contextes nationaux. Par exemple, si les
pirates sont définis par le droit d’un Etat en tant que terroristes,
il sera probablement illicite de leur verser des rançons, la législation
contre le terrorisme interdisant de manière générale le financement
ou la contribution au financement du terrorisme. De telles dispositions s’appliqueraient
tant aux armateurs qu'aux propriétaires des marchandises et aux
banques par l'intermédiaire desquelles les transferts de fonds internationaux
auraient lieu. Cela dit, le fait de rendre illégaux les versements de
rançons aux pirates et donc de désorganiser les sources de revenus
des pirates, peut être
un moyen d'action
intéressant
. Si la législation anti-terrorisme
en vigueur ne permet pas une telle interdiction – les pirates n’agissant
pas dans un «but terroriste» –, une nouvelle législation nationale
interdisant le versement de rançons pourrait être requise.
72. Une initiative d’interdiction du versement de rançons en droit
national ne sera effective que si elle est mise en place au niveau
international. Afin d’assurer une certaine cohérence entre les lois,
il conviendrait de parvenir à un accord international sur l’étendue
et la nature précises de telles mesures.
73. A défaut d’une telle interdiction, des efforts pourraient
être déployés pour améliorer l’efficacité des actions à l’égard
des biens des pirates. Bien que les difficultés de suivre l'argent
soient considérables et que toute saisie de biens nécessite des
dispositions en droit national, la communauté internationale dispose
d’une vaste expérience en matière de traitement des produits du
crime.
4.6. Contrôle du respect
des droits de l’homme et renforcement du système judiciaire des
Etats côtiers et des autres Etats de la région
74. En ce qui concerne la nécessité
d’assurer un traitement convenable des personnes remises aux Etats poursuivants,
il n’y a pas de véritable alternative au contrôle du traitement
de ces personnes après leur transfert. Cette surveillance pourrait,
par exemple, être assurée dans la pratique par un accord formel
sur l’assistance consulaire à l’individu avant, pendant et après
le procès. Il faut absolument éviter que l’Etat qui remet une personne
arrêtée à des fins de jugement ou de détention soit déchargé de
ses responsabilités à l’égard de cette dernière au moment de la
remise. De plus, quelle que soit la position juridique établie dans
un Etat, il ne devrait pas être considéré que la simple obtention
d’assurances écrites de la part de l’Etat receveur, selon lesquelles
la personne en question sera bien traitée, dégage le premier Etat
de sa responsabilité permanente.
75. Les observations ci-dessus s’appliquent aux cas dans lesquels
les personnes sont transférées au Kenya, aux Seychelles ou vers
tout autre Etat. L’échange de lettres entre l’Union européenne et
le Kenya contient des dispositions spécifiques, aux termes desquelles
le Kenya est tenu de fournir à l’Union européenne des informations
et un dossier sur les personnes transférées en vertu de l'accord
avec le Kenya, contenant notamment des indications sur leur état
de santé. De plus, les représentants de l’Union européenne et de l'EU NAVFOR,
ainsi que des agences humanitaires nationales et internationales,
ont accès aux personnes transférées et placées en détention provisoire
. Les normes en matière de traitement,
de poursuite et de jugement des personnes transférées prévues dans
l'échange de lettres de l'Union européenne s’inspirent du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
76. L’établissement d’un système judiciaire et pénal efficace
et conforme aux normes en vigueur est de loin la manière la plus
sûre d’assurer le respect des droits de l’homme. L’ONUDC oriente
les investissements, notamment des Etats participant aux opérations
de lutte contre la piraterie, vers l’amélioration de la qualité
des poursuites, de l’état des locaux des tribunaux et des conditions
de détention dans les Etats de la région qui se déclarent disposés
à poursuivre les pirates
.
5. Recommandations
concernant l’évolution du droit international
5.1. Révision des
dispositions de la CNUDM?
77. Certains obstacles à l’action
contre les pirates résultent de la formulation des dispositions
de la CNUDM. Ainsi, les actes de piraterie sont définis de telle
sorte qu’ils doivent (i) résulter d’actes commis en haute mer
, et
non dans les eaux territoriales d’un Etat côtier (en général, d'une
largeur de 12 milles marins) et (ii) être commis à des fins privées
par des personnes embarquées à bord d’un navire, contre un autre navire
. Par conséquent, (i)
les attaques dans la mer territoriale ne constituent pas, en droit,
des actes de piraterie, (ii) le «détournement» d’un navire par des
personnes se trouvant à bord de ce dernier ne constitue pas un acte
de piraterie, et (iii) on ignore si tel serait le cas d’une attaque
d’un baleinier par un bateau contestataire.
78. Si les dispositions de la CNUDM relatives à la piraterie devaient
être rédigées aujourd’hui, leur formulation serait probablement
différente, et leur champ d’application plus large. Toutefois, il
est généralement admis qu’il n’y a aucune possibilité concrète de
révision de la CNUDM dans un avenir proche. D’une part, une modification
de l’une des dispositions risquerait de précipiter les demandes
de révision de nombreuses autres. D’autre part, pour l’instant,
l’idée d’une révision à grande échelle de la CNUDM ne suscite pas
d’enthousiasme au niveau international.
79. Les obstacles découlant des dispositions de la CNUDM sur la
piraterie peuvent être surmontés par l’un des deux moyens présentés
ci-après.
5.2. Autres moyens
de renforcer la lutte contre la piraterie maritime sur la base des
dispositions de la CNUDM
5.2.1. Déclarations
interprétatives
80. Tout d’abord, les Etats pourraient
lever les ambiguïtés et les incertitudes dans les dispositions de
la CNUDM en faisant des déclarations par lesquelles ils précisent
quelle doit être, selon eux, l’interprétation correcte de ces dispositions.
Ils pourraient, par exemple, déclarer unilatéralement ou collectivement
qu’ils traiteront les attaques sur des baleiniers par des navires
contestataires comme des actes de piraterie. Si les autres Etats
acceptent ces interprétations sans objection, elles seront considérées
comme étant l’interprétation correcte de la CNUDM. S’ils émettent
des objections, un processus de négociation par des échanges diplomatiques
permettra de trouver un compromis acceptable
.
81. Les déclarations interprétatives sont utiles pour définir
les différentes interprétations possibles des dispositions d'un
instrument juridique. L’instauration d’un droit qui dépasserait
clairement les limites d’une interprétation raisonnable des instruments
juridiques existants nécessiterait une modification de ces instruments
ou l’adoption d’un accord auxiliaire.
82. Dans le cas présent, une définition étendue des «fins privées»,
voire une définition de la piraterie qui supprimerait la nécessité
de l'implication de deux navires (attaquant et victime) pourrait
faire l’objet d’une déclaration interprétative. Une déclaration
commune de l’ensemble ou de la plupart des Etats d'une région, ainsi
que des principaux pouvoirs maritimes
,
contribuerait dans une large mesure au développement du droit.
5.2.2. Accords auxiliaires
83. Le deuxième moyen dont disposent
les Etats pour remédier aux insuffisances des dispositions de la CNUDM
est de conclure des accords auxiliaires qui les clarifient ou les
complètent
.
84. La limitation de la piraterie aux actes perpétrés en haute
mer est, cependant, étroitement liée au principe de la souveraineté
exclusive de l’Etat côtier sur sa mer territoriale. Aucun Etat ne
peut entreprendre une action de lutte contre la criminalité dans
les eaux territoriales d'un autre Etat sans le consentement de l'Etat
côtier. Compte tenu, en particulier, de la demande de la communauté
internationale à la Somalie d’autoriser les actions répressives
contre les pirates dans les eaux territoriales somaliennes (et en
particulier la poursuite des pirates dans ces eaux territoriales),
il serait pratiquement impossible de modifier cet élément de la
définition de la piraterie au moyen de déclarations interprétatives.
85. Par conséquent, il serait nécessaire, dans la pratique, de
conclure de nouveaux accords internationaux avec les Etats côtiers
afin de modifier les règles existantes du droit maritime concernant
les actes de piraterie. De tels accords devant également être conclus
pour répondre aux besoins de coopération entre les Etats qui procèdent
aux arrestations et les Etats côtiers, ils pourraient définir les
infractions maritimes contre lesquelles l’Etat côtier autorise l’Etat
qui procède aux arrestations à prendre des mesures. Les attaques
de piraterie commises dans les eaux territoriales pourraient également
être intégrées dans la liste des infractions couvertes par ces accords.
6. Conclusions
86. La lutte contre la piraterie
maritime au large des côtes somaliennes soulève de nombreuses questions juridiques,
et différents modèles d'action peuvent être envisagés pour y faire
face. Toutefois, la création d’un tribunal international chargé
de juger les actes de piraterie commis dans cette région, en plus
d’entraîner des dépenses considérables, nuirait au processus de
renforcement des systèmes judiciaires locaux. En outre, lorsqu’un
tel tribunal cesse ses activités, ce qui arrive inévitablement,
l’expérience acquise se disperse avec le retour des agents internationaux
dans leurs pays respectifs, et à nouveau, ne profiterait nullement
aux systèmes judiciaires locaux.
87. Le modèle consistant à créer une «chambre internationale»
au sein des tribunaux des Etats de la région semble être plus intéressant,
car il permettrait l’application par ces tribunaux de règles de
procédure et de preuve clairement établies. Bien que la même remarque
à propos des agents internationaux puisse être faite ici, il est
probable que leur expérience serve à la formation du personnel des
tribunaux et des avocats locaux. Cela dit, la piraterie étant souvent
liée à d’autres infractions relevant du droit pénal, il n’y aurait
aucun intérêt à créer un système à deux vitesses, qui traiterait
les actes de piraterie différemment des autres crimes et délits.
88. Ainsi, l’expérience récente en matière de lutte contre la
piraterie maritime montre que les meilleures solutions à ce problème
sont celles qui reposent sur une coopération entre les Etats.
89. La décision d’exercer des poursuites à l’égard des pirates
nécessite toujours une volonté politique. En l'absence d'accords
bilatéraux et multilatéraux, un refus de poursuivre les actes de
piraterie reste possible, le droit international ne soumettant pas
les Etats qui opèrent la saisie à une telle obligation. Les Etats
doivent donc être invités à conclure des accords formels définissant
les droits et obligations des Etats poursuivants et des Etats qui
procèdent aux arrestations.
90. Le renforcement de la coopération dans le domaine du droit
pénal, notamment en ce qui concerne les procédures pénales, est
une autre solution pour combattre la piraterie. Les arrangements
dits «shipriders» devraient également être envisagés ici.
91. Les accords de transfert conclus avec les Etats de la région,
par exemple le Kenya et les Seychelles, soulève de graves problèmes
de droits de l’homme. S’il est vrai qu’ils contiennent des garanties
quant au suivi du respect des droits de l’homme (en particulier,
en ce qui concerne les conditions de détention et les garanties procédurales),
il reste à voir si ces dernières seront véritablement respectées.
Quoi qu’il en soit, les Etats devraient toujours veiller à intégrer
de telles dispositions dans les accords de transfert qu’ils concluent,
et travailler en coopération pour en contrôler l’application (par
exemple, par l’échange d'informations sur la situation des droits
de l’homme dans les Etats concernés).
92. En outre, les Etats doivent mettre en conformité leur législation
en matière de lutte contre la piraterie avec les dispositions de
la CNUDM. Il reste notamment beaucoup à faire sur le plan de la
définition des infractions de piraterie dans la législation nationale.
L’absence de criminalisation expresse de la piraterie dans certains
Etats est flagrante. Bien que l'article 100 de la CNUDM n’implique
pas nécessairement une obligation d'intégrer la définition de la
piraterie de la CNUDM dans le droit pénal interne, il serait préférable
que tous les Etats parties à la CNUDM mettent leur législation en
conformité avec l’article 101 de cette convention. Une harmonisation
des lois nationales sur le paiement de rançons serait également
la bienvenue.
93. Le cadre juridique international doit être modifié pour répondre
de manière efficace aux besoins actuels. Cela étant, il n’y a pas
de possibilité concrète de révision de la CNUDM dans un proche avenir.
L’adoption d’un nouveau traité sur la lutte contre la criminalité
en mer, reposant sur les mécanismes agréés d’obtention d’autorisations
de la part des Etats pavillons ou côtiers, est une possibilité.
Une déclaration multilatérale ouverte à l’adhésion des Etats, qui
adopterait une vision moins restrictive de la manière dont les règles actuelles
devraient être interprétées et appliquées, en est une autre.
94. Quelles que soient les mesures qui seront prises, il faudra
impérativement tenir compte de la nécessité de coordonner les développements
du droit international et les besoins des systèmes juridiques nationaux
en matière civile et pénale, ainsi que de la nécessité de modifier
les lois et pratiques nationales. Ces questions pourraient être
examinées par un groupe d'experts nouvellement mandaté ou un mécanisme
existant, tel que le Comité des conseillers juridiques sur le droit
international public (CAHDI).