1. Introduction
1. En tant que groupe, les enfants et les adultes handicapés
sont souvent l’objet de différentes formes de discrimination. Malgré
la législation, ils ne bénéficient pas d’un soutien des pouvoirs
publics et d’un accompagnement social suffisants pour permettre
leur pleine intégration dans la société. Cela vaut en particulier
pour les systèmes éducatifs, où les professionnels et les administrateurs
ne savent pas toujours très bien comment garantir le droit des enfants
handicapés à l’éducation et/ou répondre effectivement et efficacement
à leurs besoins particuliers.
2. Environ 10% de la population mondiale vit avec une forme ou
une autre de handicap
.
Cela représente 650 millions de personnes dont un tiers d’enfants.
Selon un rapport de l’UNESCO (2006)
, sur 75 millions d’enfants non
scolarisés dans le monde et en âge d’aller à l’école primaire, un
tiers est handicapé. Par conséquent, les enfants atteints de handicaps
figurent «parmi les plus marginalisés et ceux qui ont le moins de
chances d’aller à l’école»
. La situation est pire encore pour les
filles handicapées, les enfants vivant en zone rurale, les enfants
de familles ayant un statut minoritaire ou un statut socio-économique
faible, et les enfants touchés par le VIH/sida.
3. Bien que le droit à l’éducation soit inscrit dans l’article
2 du Protocole de 1952 de la Convention européenne des droits de
l’homme, le constat est sans appel: les enfants handicapés se heurtent
toujours à de nombreux obstacles pour avoir accès à l’éducation
et terminer leur scolarité
. Dans certains pays, ils
ne peuvent pas aller à l’école soit parce que leurs familles ignorent
leur droit à l’éducation ou préfèrent investir dans leurs enfants
non handicapés, soit parce que les établissements scolaires ne sont
pas en mesure d’accueillir ces enfants à besoins particuliers. Ils
ne sont donc pas autorisés à s’inscrire ou, s’ils sont admis, abandonnent
rapidement leurs études. Certains de ces enfants peuvent aussi être
scolarisés dans d’autres types d’établissements dits «spécialisés»,
qui sont souvent éloignés de l’entourage familial et séparent les enfants
de leurs pairs.
2. Comprendre le handicap
4. Partout dans le monde, les handicapés sont confrontés
à des obstacles considérables à l’exercice de leurs droits fondamentaux.
Ils sont discrédités, en butte aux préjugés sociaux, et souffrent
de diverses formes d’exclusion sociale, notamment sur les plans
économique, culturel et politique
.
5. Notre société renforce les catégorisations binaires de type
capable/incapable, normal/anormal. Le handicap est considéré comme
un problème physique qu’il faut «guérir». Les constructions sociales
de ce point de vue, appuyées sur des arguments médicaux, aboutissent
à des représentations culturelles de «l’autre». Ces catégorisations
binaires sont applicables même aux enfants handicapés, malgré leur
jeune âge.
6. Les divers modèles conceptuels proposés pour comprendre et
expliquer le handicap peuvent contribuer à modifier les schémas
binaires ainsi que les représentations de l’«autre» dans notre société.
On peut s’en rendre compte à travers la dialectique entre «modèle
médical» et «modèle social». Le modèle médical décrit le handicap
comme «un problème de la personne, conséquence directe d’une maladie,
d’un traumatisme ou d’un autre problème de santé, qui nécessite
des soins médicaux fournis sous forme de traitement individuel par
des professionnels»
.
Dans le modèle médical, le handicap est perçu comme un problème
physique qu’il faut «guérir».
7. Dans le modèle social, par contre, le handicap «n’est pas
un attribut de la personne, mais plutôt un ensemble complexe de
situations, dont bon nombre sont créées par l’environnement social»9.
Le handicap est donc perçu comme un problème créé par la société
dont les conséquences possibles sont l’oppression, la stigmatisation
ou l’exclusion des individus concernés.
8. Les modèles indiqués suffisent-ils à expliquer le handicap
et à surmonter l’oppression, la stigmatisation ou l’exclusion? En
pensant là encore aux enfants handicapés qui ont droit à l’éducation,
est-il possible de créer un environnement «sans entraves», favorable
à l’apprentissage et accessible dans chaque école afin que ces enfants
aient la possibilité de réaliser tout leur potentiel scolaire, social,
affectif et physique?
9. La réponse à ces questions nécessite une nouvelle modélisation
reposant sur l’intégration des modèles «médical» et «social». La
«Classification internationale du fonctionnement, du handicap et
de la santé» (CIF), établie à l’initiative de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), utilise une «approche biopsychosociale», afin
de fournir une classification du fonctionnement et du handicap en
tant que processus interactif. Selon la CIF, «le handicap se caractérise
comme le résultat de la relation complexe entre le problème de santé
et les facteurs personnels d’une personne, et des facteurs externes
qui représentent les circonstances dans lesquelles vit cette personne»9.
L’OMS a en outre établi une «Version pour enfants et adolescents»
(CIF-EA)
dérivée de la Classification internationale du fonctionnement, du
handicap et de la santé. La CIF-EA met l’accent sur des aspects
clés tels que le contexte familial, le développement différé, la
nature de la cognition, du langage, du jeu, du tempérament et du
comportement chez l’enfant en développement. La CIF et la CIF-EA
décrivent la situation de chaque personne (enfants, adolescents
et adultes) «dans le contexte des facteurs environnementaux et personnels»,
au lieu de se limiter à classer chaque personne en fonction de son
état de santé ou d’états connexes de la santé10.
10. Les facteurs environnementaux et personnels sont donc importants
pour comprendre les conditions handicapantes. Nous savons tous que
chaque enfant est unique et différent et nous savons aussi que les enfants
handicapés ne constituent pas un groupe homogène. Tout comme leurs
pairs non handicapés, ils ont des besoins individuels et rencontrent
divers obstacles. L’approche biopsychosociale nous aide à voir que
ces enfants ont des capacités, des facultés d’apprentissage et des
rythmes différents en fonction des facteurs environnementaux (absence
de programmes de dépistage précoce et d’intervention, dispositifs
juridiques et législatifs discriminatoires/classes d’insertion scolaire,
appui de l’entourage familial) et de facteurs personnels (mauvaise
opinion de soi, manque de confiance en soi et de motivation). Globalement,
ce modèle intègre la perspective des droits de l’homme et se positionne
contre toute forme de discrimination.
3. Comprendre le droit à l’éducation
des enfants handicapés
11. Le droit à l’éducation est universel et s’étend à
toutes les personnes souffrant d’un handicap. Ce droit a été inscrit
dans nombre de conventions, déclarations internationales, recommandations
et programmes.
12. L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
(1948) affirme ainsi que «toute personne a droit à l’éducation.
L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement
obligatoire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire.
L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité
humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales».
13. Les articles 2 et 23 de la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l’enfant (1989), en particulier, indiquent que «les
Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés
dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant
de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de
toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents
ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou
sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur
naissance ou de toute autre situation» (article 2-1), et que «les enfants
mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine
et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent
leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de
la collectivité» (article 23-1).
14. Les Règles pour l’égalisation des chances des personnes handicapées
(ONU, 1993) affirment l’importance d’agir en faveur de l’égalisation
des chances pour les personnes handicapées. La règle 6, en particulier,
souligne «le principe selon lequel il faut offrir aux enfants, aux
jeunes et aux adultes handicapés des chances égales en matière d’enseignement
primaire, secondaire et supérieur, dans un cadre intégré». Selon
ces règles, en ce qui concerne le droit à la scolarisation, il convient
de prendre des dispositions pour que l’éducation des handicapés
puisse être assurée dans le cadre de l’enseignement général. A cet
égard, les Etats devraient avoir «une politique bien définie, qui
soit comprise et acceptée au niveau scolaire et par l’ensemble de
la collectivité».
15. La Déclaration de Salamanque (UNESCO, 1994), proclamée par
des délégués représentant 92 gouvernements et 25 organisations internationales,
consacre d’importants principes dans son paragraphe 2, à savoir:
l’éducation est un droit fondamental de chaque enfant, qui doit
avoir la possibilité d’acquérir et de conserver un niveau de connaissances
acceptable; chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts,
des aptitudes et des besoins d’apprentissage qui lui sont propres;
les systèmes éducatifs doivent être conçus et les programmes appliqués
de manière à tenir compte de cette grande diversité de caractéristiques et
de besoins; les personnes ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent
pouvoir accéder aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer
dans un système pédagogique centré sur l’enfant, capable de répondre
à ces besoins; les écoles ordinaires ayant cette orientation intégratrice
constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes
discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant
une société intégratrice et en atteignant l’objectif de l’éducation
pour tous; en outre, elles assurent efficacement l’éducation de
la majorité des enfants et accroissent le rendement et, en fin de
compte, la rentabilité du système éducatif tout entier. Sont ainsi
abordés tour à tour le droit à l’éducation et la spécificité de
chaque enfant, le fonctionnement des systèmes éducatifs, l’orientation
intégratrice en faveur des enfants handicapés, et le pourquoi d’une
scolarisation ordinaire pour tous. A l’appui de l’orientation intégratrice
en faveur des enfants handicapés, la Déclaration de Salamanque met
en avant un objectif de société plus vaste que devrait se fixer toute
société démocratique: «On observe depuis une vingtaine d’années
dans le secteur social une tendance générale à encourager l’intégration
et la participation et à combattre l’exclusion. L’intégration et
la participation sont essentielles à la dignité humaine et à la
jouissance de l’exercice des droits de l’homme.»
16. Un autre document important est la Charte sociale européenne
(1961, révisée en 1996). Selon l’article 15 de la Charte, toute
personne handicapée a droit à l’autonomie, à l’intégration sociale
et à la participation à la vie de la communauté. L’article 17 garantit
en outre le droit des enfants et adolescents de grandir dans un
milieu favorable à l’épanouissement de leur personnalité et au développement
de leurs aptitudes physiques et mentales. Il vise aussi à assurer
un enseignement primaire et secondaire gratuit, ainsi qu’à favoriser
la régularité de la fréquentation scolaire.
17. Le programme de l’Education pour tous (EPT) (Forum mondial
sur l’éducation, Dakar, 2000) défend l’idée de développer et améliorer
sous tous leurs aspects la protection et l’éducation de la petite
enfance et notamment des enfants les plus vulnérables et défavorisés,
ce qui englobe ceux souffrant de handicaps. Le forum affirme que
tous les enfants doivent pouvoir exercer leur droit à une «éducation
de base» en milieu scolaire ou dans le cadre de programmes alternatifs.
L’accord international faisant de 2015 la date butoir pour atteindre
l’objectif de l’enseignement primaire universel (EPU) vise en particulier
les enfants qui ont des besoins spéciaux, issus de minorités ethniques
défavorisées, de populations migrantes, de communautés éloignées
et isolées ou qui viennent de taudis urbains, et d’autres enfants
exclus de l’éducation.
18. En parallèle, le Conseil de l’Union européenne a décidé que
l’année 2003 est déclarée «Année européenne des personnes handicapées»,
afin de mettre en œuvre l’idée d’une Europe sans entraves pour les
personnes handicapées. L’Année européenne a été organisée par la
Commission européenne en partenariat avec le Forum européen du handicap
(FEH). Parmi les objectifs énoncés dans cette décision figurent:
la sensibilisation à la problématique du handicap et aux droits
des handicapés; la promotion de l’échange d’expériences concernant
les bonnes pratiques et les stratégies efficaces; enfin, la nécessité d’accorder
une attention particulière au droit des enfants et des jeunes handicapés
à l’égalité dans l’enseignement
.
Du reste, c’est aussi en 2003 que le Conseil de l’Europe a organisé
une deuxième Conférence des ministres responsables des politiques
d’intégration des personnes handicapées, à Malaga en Espagne, les
7 et 8 mai 2003. La Déclaration politique, adoptée par les ministres
lors de la Conférence de Malaga, comprend plusieurs références explicites
aux droits des personnes handicapées à l’éducation (paragraphes
20-22, 35 et 41).
19. La Convention relative aux droits des personnes handicapées
(2006) est un instrument important. Elle déclare en particulier
que «les enfants handicapés doivent jouir pleinement de tous les
droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, sur la
base de l’égalité avec les autres enfants, et rappelant les obligations
qu’ont contractées à cette fin les Etats parties à la Convention
relative aux droits de l’enfant…» (Préambule, r.). Aux termes de
l’article 24-2 de la convention, les Etats veillent à ce que «les
enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur
handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de
l’enseignement secondaire» et, aux termes de l’article 24-3, «facilitent
l’apprentissage du braille, de l’écriture adaptée et des modes,
moyens et formes de communication améliorée et alternative, le développement
des capacités d’orientation et de la mobilité, ainsi que le soutien
par les pairs et le mentorat; facilitent l’apprentissage de la langue
des signes et la promotion de l’identité linguistique des personnes sourdes;
veillent à ce que les personnes aveugles, sourdes ou sourdes et
aveugles – et en particulier les enfants – reçoivent un enseignement
dispensé dans la langue et par le biais des modes et moyens de communication
qui conviennent le mieux à chacun, et ce, dans des environnements
qui optimisent le progrès scolaire et la sociabilisation». L’article 30
de la convention met l’accent sur la participation à la vie culturelle
et récréative, aux loisirs et aux sports. Cet article renforce l’idée
selon laquelle il faut faire en sorte que les enfants handicapés
puissent participer, sur la base de l’égalité avec les autres enfants,
aux activités ludiques, récréatives, de loisir et sportives, y compris
en milieu scolaire.
20. L’Assemblée parlementaire a en outre produit plusieurs recommandations
et résolutions relatives aux personnes handicapées. Certaines sont
des textes spécifiques, comme la
Recommandation 1598 (2003) sur la protection des langues des signes dans les Etats
membres du Conseil de l’Europe, ou la
Recommandation 1562 (2002) «Contrôler le diagnostic et le traitement des enfants
hyperactifs en Europe»; d’autres sont plus générales et exhaustives,
en particulier les Recommandations 1185 (1992) sur les politiques
de réadaptation pour les personnes ayant un handicap, 1592 (2003)
«Vers la pleine intégration sociale des personnes handicapées» et
1854 (2009) sur l'accès aux droits des personnes handicapées, et
leur pleine et active participation de celles-ci dans la société.
21. Le Plan d’action 2006-2015
du
Conseil de l’Europe relatif aux personnes handicapées vise à promouvoir
l’égalité des chances, la participation active, un mode de vie autonome
et l’accès à l’éducation des personnes handicapées au sein d’un
cadre antidiscriminatoire et conforme aux droits de l’homme. Le
plan comporte une liste de 15 lignes d’action clés destinées à améliorer
la situation des personnes handicapées en Europe. Il définit certains
groupes de personnes handicapées qui peuvent être confrontés à de
multiples discriminations par des effets dits «transversaux», comme
les femmes et les jeunes filles handicapées (si l’on se réfère entre
autres à leur droit à l’éducation), les personnes âgées handicapées
et les personnes handicapées issues des minorités et de l’immigration.
La ligne d’action no 4 du plan, relative
à l’éducation, énumère quatre objectifs spécifiques et 13 actions
spécifiques à entreprendre. Il s’agit pour les Etats membres, notamment:
de promouvoir les législations, les politiques et les programmes
d’action visant à empêcher toute discrimination dans l’accès à toutes
les phases de l’éducation; d’encourager et de soutenir la mise en
place d’un système éducatif unifié dans un objectif de pleine intégration;
de faciliter l’évaluation précoce; de contrôler la mise en œuvre
des programmes éducatifs personnalisés sans pour autant perdre de
vue que les parents sont des partenaires actifs dans le processus
d’élaboration des programmes destinés à leurs enfants; d’encourager
une formation des personnels enseignants axée sur la sensibilisation
au handicap et sur la bonne utilisation des techniques et matériels
pédagogiques; de veiller à ce que la totalité de ces techniques
et matériels soient accessibles aux personnes handicapées dans les
systèmes éducatifs intégrateurs. Le plan d’action prévoit également
des lignes d’action directement liées à la garantie de droits –
soins de santé, sensibilisation, transports, environnement bâti
intégrant les principes de conception universelle
.
22. De multiples conventions, déclarations internationales, recommandations
et programmes ont été formulés à ce jour concernant les droits de
l’enfant et le droit à l’éducation. Les écoles ont pourtant été autorisées
à exclure les enfants handicapés, et l’ont souvent fait. Cela tient
à ce que le droit à l’éducation des enfants handicapés est réalisé
dans un cadre qui met surtout l’accent sur les écoles spéciales,
les établissements spécialisés et les enseignants en éducation spécialisée.
Si notre objectif est de garantir le droit à la scolarisation des
enfants handicapés y compris lorsque le handicap empêche l’exercice
de ce droit, de quel type de cadre avons-nous besoin pour nos écoles
en général? Il faut un cadre respectueux de la diversité des situations
personnelles, qui encourage la solidarité mutuelle et fonctionne
au sein de la collectivité. Cela n’est possible que dans le cadre
de l’éducation inclusive (ou intégratrice).
4. Garantir le droit à la scolarisation
dans le cadre de l’éducation inclusive
23. L’intégration est une «philosophie qui encourage
l’école, le quartier et la collectivité à accueillir et valoriser
toute personne, indépendamment de ses différences»
.
Cette philosophie trouve sa traduction dans des pratiques pédagogiques
où une idée de justice sociale appelle à garantir l’égalité des
chances à tous les apprenants, quelle que soit leur situation sur
les plans physique, intellectuel, psychologique, culturel ou autres»
.
24. Bien sûr, la réglementation et les dispositions légales, les
matériels, ressources et services d’appui, de même qu’une coopération
et collaboration efficaces entre les institutions, jouent un grand
rôle dans les pratiques d’intégration.
25. Les recherches menées pour comprendre les déterminants essentiels
des pratiques d’insertion scolaire
ont mis en évidence l’importance des
obstacles d’ordre général (école non accessible, absence de transport
scolaire, manque de professionnels formés, etc.) et des facilitateurs
(professionnels formés, attitudes positives envers le handicap,
etc.). Pivik
et al. (2002)
résument ces obstacles à des barrières environnementales et attitudinales
(intentionnelles/non intentionnelles). Les barrières environnementales
sont les obstacles liés à l’architecture et aux problèmes d’accessibilité
physique qui empêchent ou dissuadent les enfants handicapés d’aller
dans une école ordinaire ou de participer à la vie de l’établissement.
Comment donc garantir l’égalité d’accès à l’offre éducative ou surmonter
les barrières environnementales? Pour commencer, la solution consiste
à modifier les structures existantes et à veiller à ce que toutes
les constructions nouvelles satisfassent aux lignes directrices
fédérales, comme indiqué dans le Plan d’action pour les personnes handicapées
(2006-2015).
26. En Turquie, par exemple, de telles dispositions sont prévues
par l’article 15 de la loi sur le handicap (2005): les personnes
handicapées ne peuvent être privées de leur droit à l’éducation
pour quelque motif que ce soit; les enfants, adolescents et adultes
handicapés bénéficient de l’égalité des chances en matière d’éducation
et sont intégrés dans des classes ordinaires.
27. Tout en travaillant à la suppression des barrières environnementales
et à l’application des principes de conception universelle, nous
devons relever un défi autrement plus ardu. Il s’agit de changer
les attitudes intentionnelles et non intentionnelles envers les
enfants handicapés. A l’école, par exemple, les élèves se regroupent
généralement avec ceux avec qui ils se sentent le plus à l’aise,
sans exclure intentionnellement les handicapés. Dans les faits,
cependant, cela induit une séparation entre enfants handicapés et
non handicapés
.
28. Malheureusement, de telles attitudes empreintes de préjugés
vis-à-vis des enfants handicapés ne se limitent pas à leurs camarades
de classe. Une étude a ainsi révélé que de nombreux enseignants
de l’enseignement général ont indiqué avoir eu une première réaction
négative concernant la présence d’élèves handicapés dans leurs classes
.
29. Même lorsque toutes les dispositions réglementaires sont respectées
et que des ressources sont disponibles, les chances de succès de
l’approche intégratrice sont moindres si les acteurs de sa mise
en œuvre et les bénéficiaires ont une attitude
négative dès le départ. Dès lors, la réussite de l’éducation
inclusive est fondamentalement culturelle et dépend de l’attitude
positive des enfants, enseignants, parents et tuteurs, pouvoirs
publics et de la société dans son ensemble, qui doit prôner «non
seulement la participation active à l’école, mais encore la participation
active au sein de la société».
5. Les initiatives en matière
d’éducation inclusive au niveau international
30. Dans chaque pays, le cadre national et les avancées
internationales ont eu des incidences sur la conceptualisation et
la mise en œuvre de cette démarche. L’intégration est ancrée dans
le droit à l’éducation énoncé à l’article 26 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme (1948). Les «Principes directeurs pour l’inclusion»
de l’UNESCO (2005)
établissent
par ailleurs que les différents ministères doivent appuyer l’éducation
inclusive. Dans le rapport de l’UNESCO, l’intégration est définie
comme l’incorporation en milieu scolaire ordinaire des élèves à
besoins spéciaux nécessitant une prise en charge particulière. La
diversité des élèves impose alors, cependant, d’introduire davantage
de changements dans l’organisation des écoles, notamment au niveau
des programmes d’études et des stratégies d’enseignement et d’apprentissage.
De tels changements ne sont possibles que dans le cadre de l’éducation
inclusive. Les principes directeurs de l’UNESCO ne garantissent
pas l’uniformité des approches d’un pays à l’autre, ni même au sein
de chaque pays. Comme l’indique Mitchell
, l’éducation inclusive
reflète «les relations entre les contextes social, politique, économique,
culturel et historique présents à un moment donné dans tel ou tel
pays ou collectivité locale». Par conséquent, l’intégration exige
l’engagement de multiples acteurs (pouvoirs publics, enseignants, communauté
scolaire, apprenants, parents) et de la société tout entière pendant
une période donnée.
31. A travers quelques exemples d’initiatives en matière d’éducation
inclusive à travers le monde, nous allons brosser ci-après un bref
tableau des questions clés liées à la mise en œuvre de l’éducation
inclusive.
32. En Allemagne, d’abord, la Conférence permanente des ministres
de l’Education et des Affaires culturelles des Länder de la République
fédérale d’Allemagne (KMK) a organisé l’éducation spéciale dans chaque
Land. Elle a en particulier formulé des recommandations concernant
l’organisation de l’éducation spéciale (décision de mars 1972) et
des recommandations pour tous les types d’établissements spécialisés
(Sonderschulen). La recommandation
concernant l’éducation spéciale dans les écoles de la République fédérale
d’Allemagne (décision du 6 mai 1994) rend compte de la situation
actuelle. Elle vise principalement à créer l’égalité des chances
pour les personnes handicapées par une amélioration de la qualité
des mesures d’appui destinées à l’éducation spéciale, dans les écoles
ordinaires comme dans les établissements qui n’accueillent que des
enfants handicapés. Jusqu’en 1999, la KMK a recommandé de donner
la priorité aux dispositifs de soutien individualisé
(Förderschwerpunkte) pour certaines
conditions handicapantes telles que les déficiences auditives ou
visuelles, les déficiences intellectuelles, les handicaps physiques,
les troubles d’apprentissage et l’autisme. Tous les
Förderschwerpunkte fournissent un
diagnostic ainsi que des informations relatives aux conditions handicapantes,
à la prise en charge éducative des enfants ayant des besoins éducatifs
spéciaux et aux placements possibles. Dans chacun des 16 Länder,
les enfants handicapés sont intégrés dans des écoles ordinaires,
particulièrement au niveau du primaire
.
Cependant, dans le cadre de la signature de la Charte des Nations
Unies, le groupe de travail de la KMK a entrepris, en 2009, de définir des
concepts visant à rendre le système éducatif plus ouvert. Tous les
Länder mettent en place un système de coopération entre les écoles
ordinaires et les établissements spécialisés, qui font ensuite office
de «centre de ressources». Dans le prolongement de cette approche,
il y a même des écoles pour enfants handicapés issus de groupes
minoritaires. Dans ces écoles, ces derniers suivent le même cursus
que les groupes majoritaires (par exemple, Phalzinstitut für Hörsprachbehinderte).
33. Au Royaume-Uni, il y a un engagement fort en faveur des principes
énoncés dans la Déclaration de Salamanque de l’UNESCO et dans divers
documents d’orientation destinés aux écoles, comme l’
Index pour l’inclusion , selon lesquels l’école doit assurer
l’éducation d’un nombre croissant d’enfants handicapés, en incluant
également
tous les groupes
d’apprenants historiquement marginalisés
.
34. Aux Etats-Unis, l’origine de l’éducation spéciale remonte
au XIXe siècle. Pendant les années 1970,
les premiers problèmes juridiques relatifs à l’intégration ont été
soulevés par des parents d’enfants handicapés qui protestaient contre
la stigmatisation dont étaient victimes leurs enfants dans le cadre
de l’enseignement général. Le «No Child Left Behind Act» (NCLB)
de 2001 et la loi de 2004 visant à une meilleure prise en charge des
élèves handicapés dans l’enseignement («Individuals with Disabilities
Education Improvement Act») prévoient des mesures de responsabilisation
en lien avec l’instruction et l’évaluation des enfants handicapés
. Les principaux volets de ces
lois sont notamment l’adaptation de l’école publique au service
de tous les enfants handicapés, une procédure d’évaluation non discriminatoire,
des programmes d’enseignement individualisé, un environnement moins
restrictif, l’implication de la famille et l’usage de méthodes appropriées.
35. En Italie, à compter de 1971, le gouvernement a consacré le
droit des enfants handicapés de suivre des cours d’enseignement
général à l’école publique (loi nationale no 118).
La loi nationale no 517, promulguée en 1977,
a en outre défini des stratégies plus précises afin de parvenir
à la pleine intégration des élèves handicapés. Grâce à ces dispositions,
l’Italie a considérablement réduit le nombre des écoles spéciales
pour enfants handicapés et a ouvert les cours d’enseignement général
à la quasi-totalité des élèves, y compris ceux présentant un handicap
sévère
. Les premières initiatives visant
à généraliser les pratiques d’insertion ont rencontré une certaine
résistance de la part des parents et des enseignants. Cependant,
les travaux de recherche les plus récents et les données issues
d’observations empiriques ont montré que la grande majorité des
parents et éducateurs en Italie sont favorables à l’intégration
de tous les élèves dans l’enseignement général
.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’Italie offre désormais
un excellent exemple des modalités de mise en œuvre des pratiques
d’insertion.
36. En Turquie, le règlement des services d’éducation spéciale
promulgué par le ministre de l’Education définit l’inclusion comme
une pratique éducative spéciale qui fournit des prestations de soutien
scolaire aux apprenants ayant des besoins éducatifs spéciaux, le
principe étant que ces derniers poursuivent leur apprentissage et
leur instruction avec leurs pairs n’ayant pas de besoins spéciaux
dans des établissements publics ou privés de l’enseignement préscolaire,
primaire et secondaire ou dans le cadre de l’instruction non scolaire
(2000, section 7, point 67). L’un des principes énoncés dans la
loi nationale sur l’éducation (2000) est que l’éducation des enfants
handicapés doit se faire dans «l’environnement le moins restrictif
possible». Autrement dit, tout enfant handicapé doit pouvoir recevoir
une éducation ordinaire dans le cadre de l’enseignement général
ou, à défaut, dans l’environnement qui s’en rapproche le plus
. La loi turque relative à l’éducation
spéciale affirme ainsi le droit à l’éducation de tout enfant, quel
que soit son handicap, et encourage des pratiques d’insertion scolaire
à tous les niveaux d’enseignement. Plus récemment, la présidence
turque a lancé dans cette optique une campagne intitulée «Vers des
politiques d’éducation capacitantes», en partenariat avec une organisation
non gouvernementale.
6. Conclusion
37. Le rapporteur considère que le droit à l’éducation
est universel et doit donc s’étendre à tout enfant, adolescent et
adulte atteint d’un handicap. Ce droit est consacré dans plusieurs
conventions et déclarations internationales de grande portée dont
la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (1990), la Déclaration de
Salamanque et son cadre d’action (UNESCO, 1994), le Cadre d’action
de Dakar (2000) et la Convention relative aux droits des personnes
handicapées (ONU, 2006), ainsi que dans les instruments pertinents
du Conseil de l’Europe, tels que la Convention européenne des droits
de l’homme, la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne
révisée, et le plan d’action du Conseil de l’Europe 2006-2015 sur
le handicap.
38. Fort de sa conviction que l’éducation inclusive repose sur
les quatre piliers de l’éducation pour le XXIe siècle,
à savoir apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à être
et apprendre à vivre ensemble
,
le rapporteur estime indispensable la participation des enseignants,
des élèves, des parents et de la collectivité en général, au-delà
de la production de méthodes, programmes, manuels et matériels pédagogiques.
L’avantage d’une approche inclusive est qu’elle permet aux enfants
handicapés de mieux s’intégrer dans leur environnement local et
d’être en contact avec les autres enfants qui, à leur tour, apprennent à
vivre à leurs côtés et à les voir en premier lieu comme des enfants.
Un autre avantage est que les soins, les services et les aides mis
à la disposition des enfants handicapés peuvent être évalués selon
des critères valables pour tous les enfants.
39. Il est difficile de calculer le coût de l’éducation inclusive
pour les enfants handicapés. Cependant, le coût de la prestation
de services éducatifs spéciaux dans des structures distinctes, comme
les établissements spécialisés pour enfants handicapés, est de deux
à quatre fois supérieur au coût de l’enseignement ordinaire dispensé
aux enfants sans besoins particuliers. Sur la base de ces estimations,
l’éducation inclusive induit certes un surcoût, mais reste moins
onéreuse que l’enseignement dispensé dans des structures distinctes/spéciales.
Il est par ailleurs établi que l’éducation inclusive est non seulement
efficace mais aussi rentable, et que «l’équité est la voie de l’excellence»
.
40. Pour le bon fonctionnement de l’éducation inclusive, les prestataires
de services généraux de l’éducation, de la santé et de l’aide sociale
devraient recevoir, dans des centres d’excellence locaux, une formation
complémentaire et une assistance qui leur confèrent les compétences
requises pour travailler avec les enfants handicapés en général
et leur permettront de faire face à chaque cas particulier. Ces
services devraient comporter toute une gamme d’aides personnalisées
aux enfants handicapés, de manière qu’ils puissent aspirer à la
même existence et avoir les mêmes attentes que les autres enfants
de leur âge. Ils ont en effet le droit de mener une existence de
plus en plus indépendante et autonome, de posséder les objets qu’on
désire à leur âge et de bénéficier d’une assistance technologique,
notamment en matière de mobilité et de communication, en fonction
de leurs besoins.
41. Le rapporteur estime qu’à l’avenir, les services généraux,
notamment les centres d’accueil de jour, les structures destinées
aux jeunes enfants, les lieux de culte, les établissements scolaires
et les centres de loisirs, devraient être tenus d’accepter les enfants
handicapés et de mettre à leur disposition les moyens nécessaires à
leur insertion et à leur participation. Chaque fois que cela s’avérera
possible, leur scolarité ou leur formation professionnelle devrait
se dérouler, à tous les stades de leur éducation, dans les établissements
fréquentés par les autres enfants et ils devraient bénéficier du
soutien qui facilitera leur scolarité et leur formation effective au
sein des systèmes d’éducation classiques. Lorsque le recours à des
établissements scolaires ou à des unités spécialisées est jugé indispensable
ou utile, ceux-ci devraient être associés à ceux de l’enseignement ordinaire
et devraient être aidés à établir des passerelles et à s’ouvrir
à la communauté locale.
42. A cet égard, le rapporteur souhaite mentionner que, lors du
débat au sein de la commission, certains membres ont émis des doutes
quant au coût et à l’utilité de l’éducation inclusive par rapport
aux établissements spécialisés. De plus, il arrive bien souvent
que les fonds supplémentaires alloués aux établissements scolaires ordinaires
ne soient pas investis dans des projets destinés aux enfants qui
en ont le plus besoin. Par ailleurs, les enfants scolarisés dans
des établissements spécialisés pourraient bénéficier d’enseignants
hautement qualifiés et d’une aide adaptée. Les systèmes éducatifs
inclusifs peuvent donc avoir des conséquences aussi bien positives
que négatives, qu’il convient d’examiner attentivement afin de déterminer
la bonne approche et l’assortiment de mesures le plus approprié
pour faire face à ce problème.
43. Nous devrions plutôt nous demander ce qu’il faudra payer plus
tard pour les enfants handicapés qui sont exclus socialement, politiquement
et culturellement du fait de notre incapacité à garantir leur droit
à l’école. Quels sont les coûts pour la société de ne pas assurer
l’éducation des enfants handicapés? Le rapporteur considère que
les décisions relatives à l’éducation des enfants handicapés doivent
être fondées non pas sur le coût économique, mais sur l’estimation
des coûts sociaux, politiques et culturels de l’exclusion dans une société.
Dans une perspective holistique de la société, la survie de l’espèce
humaine et le développement d’une nation dépendent de l’éducation.
Aucune concession n’est possible et aucune mesure de réduction des coûts
ne devrait entrer en ligne de compte, s’agissant de garantir le
droit à la scolarisation des enfants handicapés.
44. Si l’objectif est de garantir le droit à la scolarisation
des enfants handicapés dans le cadre de «l’éducation inclusive pour
tous», le rapporteur estime que ce but ne pourra être atteint que
si certaines conditions sont remplies, telles qu’elles ont été énumérées
dans le projet de résolution.
45. En conclusion, le rapporteur pense qu’«une population diverse
d’enfants et d’adolescents dans les établissements produira des
écoles plus sensibles et centrées sur la personne. Cela produira
une nouvelle génération plus tolérante et respectueuse de la différence»
.
Cela est possible avec l’éducation inclusive. Et grâce à l’éducation
inclusive, il est aussi possible de garantir le droit à l’éducation
de tous les enfants, quelle que soit leur situation sur les plans
physique, intellectuel, psychologique, culturel ou autres.