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Rapport | Doc. 12265 | 19 mai 2010

Lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Pedro AGRAMUNT, Espagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11515, Renvoi 3425 du 14 avril 2008. 2010 - Quatrième partie de session

Résumé

Les dernières années, l’Europe a été témoin d’une résurgence de certaines formes d’extrémisme telles que l’intégrisme islamique, le racisme et la xénophobie, et le séparatisme. Dans la mesure où ils prônent ou du moins admettent la violence, les groupes qui s’inspirent de ces idéologies agissent en violation des valeurs européennes de la démocratie et des droits de l’homme.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent y répondre tout en se conformant strictement aux obligations découlant de leur appartenance à l’Organisation. Plus d’éthique en politique pourrait servir à réduire les tendances racistes dans la société.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 27 avril 2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire exprime son inquiétude face à la résurgence de certaines formes d’extrémisme en Europe qui, tirant avantage du cadre des droits et libertés garantis par les démocraties européennes, poursuivent des objectifs qui sont en contradiction avec les valeurs européennes de la démocratie et des droits de l’homme et qui, dans le pire des cas admettent, voire prônent le recours à la violence.
2. Parmi ces formes d’extrémisme, le racisme et la xénophobie représentent une source de préoccupation majeure, compte tenu du soutien électoral croissant recueilli par des partis qui s’inspirent d’idées racistes – comme cela a été le cas lors de différents scrutins nationaux récents et des élections au Parlement européen – et du risque non négligeable de voir des partis politiques traditionnels s’appuyer sur un discours raciste pour ne pas perdre une partie de leur électorat. Il y a également lieu de s’inquiéter des discours de plus en plus hostiles tenus par certaines personnalités publiques, qui frôlent le discours de haine, voire relèvent bel et bien de cette catégorie.
3. Par ailleurs, l’opinion publique et les gouvernements européens sont de plus en plus conscients de la menace que représente l’intégrisme islamique, une idéologie qui, bien qu’elle reste marginale en Europe, exerce un attrait croissant sur les jeunes musulmans, trouvant un terrain fertile dans les frustrations causées par le racisme, la discrimination, l’exclusion sociale et le chômage, dont ils tendent à souffrir davantage que le reste de la population. Cette forme d’extrémisme a conduit à la perpétration de plusieurs attentats terroristes meurtriers, dont certains sur le sol européen, comme ceux de Moscou en 2002 et 2010, d’Istanbul en 2003, de Beslan et de Madrid en 2004 et de Londres en 2005.
4. Les pays européens accueillent également un certain nombre de groupes extrémistes, constitués de ressortissants étrangers qui ne cherchent pas à nuire à leur pays de résidence, mais qui mènent des activités de propagande et de collecte de fonds dans le but de commettre des actes extrémistes dans leur pays d’origine, comme renverser un régime par des moyens violents, déstabiliser le pouvoir politique par des attentats terroristes ou par la guérilla, ou faire sécession. Il est urgent d’élaborer un mécanisme juridique international pour mettre un terme à toutes les formes de soutien financier aux groupes extrémistes.
5. A titre d’exemple, on peut citer les Moudjahiddines du peuple iranien et l’organisation terroriste du Parti des travailleurs du Kurdistan, présents dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, et Euskadi ta Askatasuna (ETA), qui possède des bases en France. Dans ce contexte, l’Assemblée fait part de sa profonde inquiétude face à la résurgence en Europe d’actes de violence commis par des groupes séparatistes, comme récemment en Espagne et en Turquie où plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés respectivement par les organisations terroristes ETA et PKK.
6. L’Assemblée est consciente de la complexité du problème de l’extrémisme, qui peut prendre différentes formes, et de sa nature en constante évolution. Toutefois, malgré ces différences, toutes les formes d’extrémisme qui prônent ou admettent la violence sont en contradiction avec les valeurs et les principes du Conseil de l’Europe et doivent être combattues avec détermination, tout en respectant pleinement les garanties et les sauvegardes consacrées par les Constitutions des Etats membres et les instruments de protection des droits de l’homme, notamment la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
7. A cet égard, l’Assemblée rappelle les articles 10 et 11 de la CEDH, dédiés respectivement à la liberté d’expression et à la liberté de réunion. Bien que ces libertés soient les piliers d’une démocratie pluraliste, leur exercice peut être limité, notamment lorsque cette limitation répond à une forte nécessité sociale, telle que la défense de l’ordre, la protection de la morale et la protection des droits d’autrui, et à condition qu’elle soit conforme au principe de proportionnalité et prévue par la loi. L’article 17 de la CEDH ajoute qu’aucun Etat, groupement ou individu n’est en droit de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus par la CEDH ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues par la CEDH elle-même.
8. Dans le même temps, l’Assemblée exprime ses doutes quant à la conformité des législations contre l’extrémisme adoptées par certains Etats membres du Conseil de l’Europe avec les instruments internationaux de protection des droits de l’homme – tels que la CEDH – et rappelle qu’une définition trop générale ou vague des infractions prévues par ces législations peut renforcer le risque d’une application arbitraire de ces textes.
9. D’un point de vue politique, dans leur lutte contre l’extrémisme, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont confrontés à plusieurs enjeux redoutables dont, en premier lieu, celui de s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme. Prendre des mesures fermes contre la discrimination, mettre l’accent sur l’éducation civique et le dialogue interculturel et interreligieux, associer la société civile et les organisations non gouvernementales – en particulier celles qui représentent des catégories de la société exclues, de droit ou de fait, des voies de participation ordinaires – aux processus de consultation ou de prise des décisions, constituent les principaux moyens de réduire l’attrait potentiel des groupes et des mouvements extrémistes.
10. En ce qui concerne l’extrémisme islamiste, il s’agit pour les Etats membres du Conseil de l’Europe de répondre efficacement à cette menace, tout en évitant de stigmatiser l’islam en tant que religion. Des efforts supplémentaires doivent être faits pour lutter contre l’islamophobie et la diffusion de stéréotypes négatifs sur l’islam et les musulmans dans la société, dans l’esprit de la Recommandation de politique générale no 5 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans.
11. L’organisation des groupes islamistes extrémistes en cellules indépendantes dormantes ou actives dont les liens avec d’autres groupes internationaux sont mal définis, pose des difficultés considérables aux forces de l’ordre et aux services de renseignements nationauxet à la coopération transnationale, tant sur le plan de la prévention que de la détection. L’exigence d’assurer l’efficacité d’action de ces organes ne doit cependant pas servir de prétexte pour priver les parlements de leur droit et de leur devoir de contrôle démocratique.
12. Finalement, l’Assemblée déplore que le défi consistant à instaurer plus d’éthique en politique en ce qui concerne le traitement des questions touchant à la race, à l’origine ethnique et nationale et à la religion soit encore à relever. A cet égard, elle rappelle la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, signée par son Président et le Président du Parlement européen en 2003, et la Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique, adoptée par l’ECRI en 2005. L’Assemblée exprime son appréciation pour ces textes et pour leur pertinence.
13. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme en tant que priorité dans la lutte contre ce phénomène, en prenant les mesures suivantes:
13.1.1. agir résolument contre la discrimination, dans tous les domaines;
13.1.2. mettre en place des processus de consultation, associant la société civile et les organisations non gouvernementales qui représentent des tendances très diverses de la société, y compris les catégories qui courent le plus le risque de se radicaliser, et s’assurer ainsi de la participation de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques anti-extrémismes;
13.1.3. mettre l’accent sur l’éducation à la citoyenneté démocratique;
13.1.4. concevoir des politiques d’immigration claires et durables assorties de politiques d’intégration appropriées;
13.1.5. renforcer leurs activités dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux, également en souscrivant au Livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel;
13.1.6. élaborer un mécanisme juridique international pour mettre un terme à toutes les formes de soutien financier aux groupes extrémistes ;
13.1.7. mettre en œuvre des politiques socio-économiques destinées à contribuer aux efforts visant à éradiquer le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans la société, et notamment à éliminer les manifestations d’une discrimination fondée sur les convictions religieuses en matière d’accès à l’éducation et à l’emploi et sur le lieu de travail, en matière d’accès au logement dans des zones de mixité, dans les services publics et en matière de participation démocratique par la citoyenneté;
13.2. à continuer à lutter contre le terrorisme et d’autres formes d’extrémisme violent, tout en veillant au respect le plus strict des droits de l’homme et de la prééminence du droit, en conformité avec les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme et la recommandation de politique générale no 8 de l’ECRI pour lutter contre le racisme tout en combattant le terrorisme;
13.3. à s’assurer que la législation anti-extrémisme est appliquée de manière systématique et cohérente à toutes les formes d’extrémisme et éviter tout risque d’une mise en œuvre arbitraire;
13.4. s’assurer que les mesures de limitation ou d’interdiction des activités des partis politiques extrémistes respectent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les Lignes directrices de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) de 1999 sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues, en particulier eu égard au caractère exceptionnel de la dissolution des partis et à l’obligation de rechercher d’autres sanctions avant d’appliquer une telle mesure;
13.5. infliger les sanctions pénales prévues par leur législation contre l’incitation publique à la violence, la discrimination raciale et l’intolérance, y compris l’islamophobie;
13.6. introduire dans leur législation pénale des dispositions contre l’incitation à la haine raciale ou le discours de haine, mettre en œuvre la Recommandation no (97) 20 du Comité des Ministres sur le discours de haine et souscrire aux bonnes pratiques et recommandations énoncées dans la brochure 2008 du Conseil de l’Europe sur le même sujet;
13.7. intensifier des mesures d’information appropriées afin d’encourager les victimes d’actes extrémistes à les dénoncer aux autorités compétentes;
13.8. renforcer le contrôle par les parlements nationaux des activités des services de renseignements, conformément à la Recommandation 1713 (2005) de l’Assemblée sur le contrôle démocratique du secteur de la sécurité dans les Etats membres;
13.9. améliorer l’analyse du phénomène de l’extrémisme ainsi que la collecte et la comparabilité des données s’y rapportant;
13.10. renforcer la coopération internationale afin d’empêcher la diffusion de la propagande extrémiste sur internet;
13.11. mettre en place une coopération étroite avec la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et soutenir ses activités.
14. En outre, l’Assemblée demande à ses membres, aux partis politiques qu’ils représentent et à ses groupes politiques:
14.1. de promouvoir ou adhérer à la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste;
14.2. de suivre les suggestions formulées par l’ECRI dans sa Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politiqueet dans saRecommandation de politique générale no 5 sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans;
14.3. de promouvoir la création de comités d’éthique au sein des partis politiques et des parlements, dotés du droit de sanctionner leurs membres en cas de comportements ou de discours racistes, antisémites, xénophobes ou islamophobes.
15. Enfin, l’Assemblée encourage le Commissaire aux droits de l’homme à consacrer davantage d’attention à toutes les formes d’extrémisme, notamment l’islamophobie.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 27 avril 2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution …. (2010) sur la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs, dans laquelle elle fait part de son inquiétude face à la résurgence de certaines formes d’extrémisme en Europe.
2. Combattre l’extrémisme tout en défendant la démocratie et en veillant au respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit représente un défi constant pour les Etats membres du Conseil de l’Europe.
3. L’Assemblée salue le travail important réalisé par de nombreux mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe ainsi que par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour aider les Etats membres à relever ce défi. Les conséquences possibles de la récente crise économique accentuent davantage la nécessité de leur expertise.
4. L’Assemblée rappelle également que, bien que la liberté d’expression et la liberté d’association soient les piliers d’une démocratie pluraliste, leur exercice peut être limité, notamment lorsque cette limitation répond à une forte nécessité sociale, telle que la défense de l’ordre public, la protection de la morale et la protection des droits d’autrui, et à condition que cette limitation soit compatible avec le principe de proportionnalité et prévue par la loi.
5. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres:
5.1. à inviter les mécanismes de suivi compétents de l’Organisation à évaluer dans quelle mesure les Etats membres du Conseil de l’Europe ont mis en œuvre la Recommandation no (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine» et souscrit aux modèles de bonnes pratiques et aux recommandations énoncées dans la brochure 2008 du Conseil de l’Europe sur le même sujet;
5.2. à améliorer la capacité d’action et la visibilité de ses mécanismes de suivi, tels que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, afin qu’ils jouent un plus grand rôle pour sensibiliser l’opinion publique à ces questions;
5.3. à encourager ses comités compétents et ses mécanismes de suivi indépendants, notamment l’ECRI:
5.3.1. à étudier les effets de la crise économique actuelle sur l’extrémisme, ainsi que sur le racisme et la discrimination raciale;
5.3.2. à poursuivre leurs travaux sur la question de l’islamophobie, à la lumière des développements récents;
5.4. à intensifier ses activités dans le domaine de l’éducation et du dialogue interculturel, y compris en ce qui concerne sa dimension religieuse.

C. Exposé des motifs, par M. Agramunt, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Champ d’application du rapport

1. La lutte contre l’extrémisme représente un défi constant pour les démocraties, qui se doivent de respecter l’Etat de droit et les droits fondamentaux en toutes circonstances et notamment lorsqu’elles sont confrontées à des menaces contre les valeurs démocratiques et les droits de l’homme.
2. Le présent rapport a été initié par une proposition présentée par M. Berényi et plusieurs de ses collègues dont le sujet était les mouvements et partis extrémistes racistes. Cependant, j’ai décidé d’étendre le rapport à d’autres formes d’extrémisme, telles que l’extrémisme islamiste et le séparatisme, qui sont un problème pressant pour les gouvernements européens.
3. Dans le présent rapport, il n’est pas dans mon intention de pointer du doigt certains partis ou groupes politiques et de les accuser d’extrémisme. Je ne mentionnerai certains partis ou groupes que pour montrer quelle a été l’attitude des Etats membres du Conseil de l’Europe à leur égard, évaluer sa conformité avec les normes européennes et définir les marges d’amélioration possibles.

1.2. Travaux antérieurs de l’Assemblée

4. L’Assemblée a apporté un soutien actif aux efforts déployés par les Etats membres du Conseil de l’Europe dans leur lutte contre l’extrémisme, en adoptant un certain nombre de résolutions, en particulier au cours de ces dernières années, à la suite de la résurgence de certaines formes d’extrémisme et de la prise de conscience croissante de la menace qu’elles représentent. Dans ce contexte, l’Assemblée a adopté les résolutions suivantes:
5. S’agissant de la question connexe du terrorisme – qui est une forme d’extrémisme visant à faire régner, dans un but politique, un état de terreur au sein de l’opinion publique 
			(3) 
			Selon la résolution
49/60 adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations
Unies sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international,
«les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou
calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de
personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances
et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique,
idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse
invoquer pour les justifier». – je tiens à mentionner, en raison de leur pertinence:

2. Qu’est-ce que «l’extrémisme»?

6. Historiquement, le concept «d’extrémisme politique» trouve ses racines dans le principe de la modération caractéristique de l’éthique de la Grèce antique, qui voulait qu’un juste milieu corresponde à un comportement moralement acceptable, ni exagéré, ni minimisé.
7. Scientifiquement, diverses définitions de l’extrémisme ont été données. Celle-ci me semble particulièrement adaptée: «le rejet des valeurs fondamentales et des règles du jeu d’un Etat constitutionnel et démocratique» 
			(4) 
			Backes
Uwe, Meaning and Forms of Political Extremism, 2007..
8. Quoi qu’il en soit, s’il est possible de se mettre d’accord sur des définitions scientifiques, étiqueter comme extrémistes certains groupes ou partis est sujet à controverse d’un point de vue politique. En effet, il n’est pas rare que, d’une part, des extrémistes se considèrent comme radicaux, ce qui est bien moins péjoratif, et que, d’autre part, des politiciens cherchent à priver leurs opposants politiques de légitimité démocratique en les qualifiant d’extrémistes.

3. La résurgence des mouvements extrémistes

9. Les idées ou attitudes extrémistes ne sont guère l’apanage de la droite ou de la gauche; elles peuvent exister partout, dans l’ensemble de la classe politique; en fait, certaines formes d’extrémisme qui ont émergé au cours des dernières décennies ne relèvent pas du tout de la distinction traditionnelle entre la droite et la gauche. Le fait d’affirmer que l’on assiste actuellement à une résurgence de l’extrémisme en Europe est une généralisation. En revanche, il est indéniable que certaines idées extrémistes ont perdu de leur potentiel d’attraction, tandis que d’autres en ont gagné et sont parfois devenues une source de préoccupation, même pour le grand public.
10. Cette tendance se reflète dans la composition des parlements nationaux, au sein desquels le nombre de sièges occupés par des représentants de partis extrémistes n’a pas cessé d’augmenter ces dernières années. Il en va de même du Parlement européen, où, à la suite des élections de juin 2009, plusieurs partis politiques d’extrême droite ont réussi à obtenir des sièges (le Front national français, le Front national belge, le Parti national britannique et le Mouvement pour une meilleure Hongrie). Ces partis, en coopération avec d’autres groupements peu ou non représentés au sein des parlements nationaux, ont même formé l’Alliance des mouvements nationaux européens, dans l’intention de créer un futur mouvement politique européen.

3.1. Le racisme

11. Partout en Europe, des mouvements racistes ont pris de l’importance et ont été responsables d’incitations à la haine raciale et d’agressions racistes contre des personnes et des biens, qui se sont parfois soldées par la mort de leurs victimes. Ce phénomène a acquis une virulence particulière en Europe de l’Est et en Russie à la fin de la guerre froide, mais il existe toujours et touche également les pays d’Europe occidentale. Il peut prendre différentes formes, telles que l’antisémitisme, l’antitsiganisme, la xénophobie et l’islamophobie.
12. Les idéologies racistes s’introduisent dans une sous-culture qui cible les jeunes, en recourant à la musique, aux DVD, aux livres et aux jeux vidéo, pour inciter à la haine contre des groupes ethniques ou religieux. La même sous-culture, qui est très difficile à éradiquer, s’exprime sur l’internet et dans certaines formes de hooliganisme lors de rencontres de football et d’autres manifestations sportives.
13. Du point de vue de leur organisation, les mouvements ou groupes racistes créent souvent des associations, voire des partis politiques, et cachent leur nature réelle pour ne pas tomber sous le coup des interdictions prévues par la législation de la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, il ne s’agit pas tant de déterminer, sur le plan politique et juridique, comment faire face aux groupes dont les actes et les discours sont ouvertement racistes, mais quelle est l’attitude à adopter face aux partis politiques «traditionnels» qui flirtent avec des idées racistes pour ne pas perdre une partie de l’électorat au profit de partis plus radicaux.

3.2. L’intégrisme islamique

14. L’intégrisme islamique représente une menace majeure pour la sécurité interne des Etats membres du Conseil de l’Europe, dans la mesure où des groupes islamistes ou des individus sont prêts à recourir à la violence en Europe et/ou cherchent à imposer un ordre sociopolitique incompatible avec les normes de la démocratie et des droits de l’homme.
15. L’intégrisme islamique en Europe n’est pas organisé en partis politiques ou en associations, mais agit par le biais de cellules indépendantes qui sont soit dormantes, soit actives et disséminées dans le monde entier. Cette dimension internationale, combinée à une structure avec des liens peu définis, constitue un défi majeur pour les forces de l’ordre nationales et pour la coopération internationale, tant dans le domaine de la prévention que dans celui de la détection. La prévention est encore compliquée par le fait que ce sont souvent des individus agissant en dehors de tout réseau organisé qui commettent des actes criminels inspirés par l’intégrisme islamique, comme dans les cas du meurtre de Theo van Gogh aux Pays-Bas en 2004 ou de la tentative d’assassinat de Kurt Westergaard, l’auteur des caricatures controversées de Mahomet, en janvier 2010.
16. Il ne doit pas y avoir de confusion entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie: «l’islam est la deuxième religion en Europe et une composante des sociétés européennes. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité de la population, dans d’autres, c’est la religion de la majorité des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent une proportion croissante de la population. L’intégrisme islamique, par contre, est une idéologie extrémiste qui poursuit des objectifs politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie; dans sa pire forme, l’intégrisme islamique prône l’usage de la violence pour atteindre son but» 
			(5) 
			Résolution 1605 (2008) sur les communautés
européennes musulmanes face à l’islamisme, paragraphe 2..
17. Bien qu’étant encore un phénomène marginal en Europe, l’idéologie islamiste exerce un attrait croissant sur les jeunes musulmans européens, trouvant un terrain fertile dans les frustrations causées par la discrimination, le racisme, l’inégalité des chances, l’exclusion sociale, l’échec scolaire et le chômage, dont ils semblent plus largement victimes que le reste de la population, et dans leur exclusion – de droit ou de fait – des voies ordinaires généralement ouvertes aux citoyens pour exprimer leur insatisfaction.
18. A mesure que le potentiel d’attraction du fondamentalisme islamique augmente, l’opinion publique prend aussi davantage conscience de la menace qu’il représente, notamment depuis la forte médiatisation des attentats terroristes qui ont frappé les Etats-Unis le 11 septembre 2001, Istanbul en 2003, Madrid (mars 2004), puis Londres (juillet 2005) et d’autres villes dans le monde.
19. Malheureusement, cette prise de conscience s’est aussi accompagnée d’un essor de l’islamophobie et de manifestations de racisme et de méfiance à l’égard des musulmans, dans des sociétés européennes où, du fait de l’immigration, le nombre de citoyens ou de résidents appartenant à cette confession est en augmentation constante et où de plus en plus d’entre eux manifestent leur foi musulmane par le port de symboles culturels ou religieux, tels que le foulard, le niqab, ou en se faisant pousser la barbe.
20. Dans le contexte actuel, il s’agit pour les gouvernements européens de répondre à deux questions majeures:
  • premièrement: comment combattre l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie politique sans stigmatiser l’islam en tant que religion;
  • deuxièmement – et cette question a été repoussée trop longtemps: comment engager un débat honnête et ouvert sur la manière de concilier certains aspects de la religion, de la pratique et de la culture musulmanes avec des valeurs fondamentales telles que la laïcité de l’Etat et l’égalité entre les femmes et les hommes.A mon avis, rassurer les citoyens européens sur le fait qu’aucune atteinte à ces valeurs ne sera tolérée, même au nom d’un prétendu respect de la liberté de religion, contribuerait grandement à apaiser leurs craintes et leur méfiance.

3.3. Organisations qui fomentent des activités extrémistes dans d’autres pays

21. En Europe, il existe aujourd’hui divers mouvements extrémistes constitués de ressortissants étrangers qui ne cherchent pas à nuire à leur pays d’accueil, mais qui tirent parti des libertés et des droits garantis par les démocraties européennes dans le but de commettre des actes extrémistes dans leur pays d’origine (par exemple, renverser un régime par des moyens violents, déstabiliser le pouvoir politique par des attentats terroristes ou par la guérilla, ou faire sécession). A titre d’exemple, on peut citer Euskadi ta Askatasuna (ETA), qui possède des bases en France et, probablement, aussi au Portugal, et les Moudjahiddines du peuple iranien,présents dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.
22. Ces groupes utilisent l’Etat d’accueil comme base, depuis laquelle:
  • ils peuvent créer des associations ou des organisations non gouvernementales relevant de la législation de l’Etat d’accueil, sont soumis aux obligations y afférentes et bénéficient des avantages correspondants, notamment sur le plan fiscal;
  • ils mènent des activités de propagande en faveur de leurs objectifs, organisent des manifestations, diffusent des informations, des documents, etc.;
  • ils recrutent des membres et collectent des fonds;
  • ils nouent des relations avec des organisations sœurs établies dans d’autres pays, alors que l’organisation «mère», dans le pays d’origine, peut être interdite et que ses membres peuvent être poursuivis par les autorités, voire, parfois, persécutés.
23. Certains de ces groupes sont enregistrés en tant qu’organisations terroristes par les autorités nationales ou l’Union européenne, et, de fait, interdits, comme l’ETA, l’IRA, les GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre), le Hamas, etc. Il n’est pas rare, cependant, que des organisations terroristes se reforment sous un nouveau nom et un nouveau statut après avoir été dissoutes, afin de pouvoir poursuivre leurs activités.

3.4. Le séparatisme

24. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe doivent faire face à la menace de mouvements qui appellent à la sécession d’une partie de leur territoire afin de former un Etat indépendant ou de s’unir avec un autre Etat. Certains sont prêts à recourir à la violence pour atteindre leur objectif.
25. Il n’est pas inhabituel que les mouvements séparatistes aient deux composantes: un bras armé considéré comme une organisation terroriste et qui, normalement, est interdit sur cette base (comme Euskadi Ta Askatasuna (ETA) en Espagne, leParti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, l’Armée républicaine irlandaise en Irlande du Nord), et un bras politique, qui se présente souvent comme un parti politique. La latitude, voire le droit de tels bras politiques d’agir sur la scène publique et politique et de participer à des élections ont pour condition qu’ils soient prêts à respecter les lois et à rejeter la violence. Par exemple, en Espagne, Batasuna, un parti politique qui avait des liens avec l’ETA, a été interdit en 2003 parce qu’il n’était pas prêt à condamner les violences commises par ce dernier 
			(6) 
			En
2009, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la
dissolution de Batasuna n’emportait pas violation de la Convention..

4. Lutte contre l’extrémisme: priorités pour une action plus efficace

4.1. Adopter une approche plus stratégique pour s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme

26. Bien que l’extrémisme puisse prendre différentes formes, les raisons pour lesquelles il exerce un pouvoir d’attraction sont les mêmes, à savoir: l’incapacité du système politique à garantir la participation de tous les segments de la société, l’absence d’égalité des chances, la pauvreté, la discrimination et un sentiment d’exclusion.
27. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient s’efforcer de lutter davantage contre ces causes profondes en adoptant une approche stratégique:
  • l’accent devrait être mis sur les groupes sensibles, tels que les jeunes, les immigrés et les minorités, de façon à leur donner les moyens de résister à l’appel de l’extrémisme en dispensant l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme dans les écoles, mais aussi en impliquant les ONG et la société civile représentant ces groupes dans les processus de consultation avec les autorités aux niveaux local, national et régional;
  • il conviendrait d’adopter une politique d’immigration claire et durable assortie d’une politique d’intégration claire et bénéficiant d’un soutien financier approprié;
  • les Etats devraient agir résolument contre la discrimination, dans tous les domaines;
  • ils devraient renforcer leur engagement en faveur du dialogue interculturel, y compris dans sa dimension religieuse;
  • les représentants politiques devraient s’efforcer d’expliquer clairement leurs politiques ou décisions susceptibles de susciter la controverse pour toucher l’audience la plus large possible, éviter les interprétations erronées par certains segments de la société et réduire l’impact des manipulations politiques;
  • les langues et cultures régionales ou minoritaires ne doivent pas être réprimées, elles doivent au contraire être protégées et promues.

4.2. Améliorer le suivi et la collecte des données

28. Même si l’extrémisme est un problème majeur de l’Europe contemporaine, ce phénomène ne fait pas l’objet d’études approfondies par la communauté scientifique, surtout lorsqu’il a un caractère transnational; par ailleurs, la littérature scientifique tend à se concentrer sur certains pays ou partis politiques.
29. De même, la surveillance du phénomène n’est pas systématique: certains Etats membres du Conseil de l’Europe collectent des données sur des aspects spécifiques, le plus souvent la nature raciste des délits signalés à la police (c’est le cas de l’Autriche, de l’Allemagne, de la France et de la Suède).
30. Ces données sont certainement utiles pour dégager des tendances. Ainsi, en Autriche, les plaintes pour des délits d’inspiration extrémiste de droite, xénophobe ou antisémite se sont multipliées ces deux dernières années, passant de 419 en 2006 à 752 en 2007, et à 831 en 2008 
			(7) 
			Inter
Press Service News Agency, «Racism on a Sharp Rise», 1er juillet
2009..
31. Toutefois, ces données ne reflètent qu’un seul aspect du phénomène de l’extrémisme, elles ne sont pas complètement exactes, parce que les cas ne sont pas tous signalés, et elles ne sont pas comparables à celles collectées dans d’autres pays en Europe, du fait que la définition des crimes racistes varie d’un pays à l’autre. L’agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux considère que l’absence de données statistiques fiables et comparables dans ce domaine est un réel problème. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) souligne régulièrement, dans ses rapports pays-par-pays, l’importance de mettre en place et d’exploiter un système d’enregistrement et de suivi des incidents racistes.

4.3. Mettre en place des services de renseignements et d’analyse adéquats, sous contrôle démocratique

32. Un phénomène complexe comme l’extrémisme, qui est en constante mutation, exige des structures souples mais efficaces pour le renseignement et l’analyse. Pour ne citer qu’un exemple, l’Office fédéral allemand pour la protection de la Constitution (Bundesamt fur Verfassungsschutz),qui est chargé de collecter et d’analyser les informations relatives aux tentatives d’atteinte à la liberté et à la démocratie, a été remanié en profondeur depuis les attentats du 11 septembre 2001 et des investissements importants ont été engagés pour améliorer ses compétences techniques dans le domaine de l’informatique.
33. Inutile de dire, comme l’a déjà souligné l’Assemblée, qu’il est impératif de soumettre les services de renseignements à un contrôle démocratique 
			(8) 
			Recommandation 1713 (2005) de
l’Assemblée parlementaire, «Le contrôle démocratique du secteur
de la sécurité dans les Etats membres». Voir également la Résolution 1619 (2009),
«La situation de la démocratie en Europe. Le fonctionnement des
institutions démocratiques en Europe et évolution de la procédure
de suivi de l’Assemblée».. Malheureusement, à plusieurs reprises au cours des derniers mois, les commissions parlementaires compétentes ont eu des difficultés à accéder aux dossiers ou en ont été purement et simplement empêchées, souvent au prétexte que cela pouvait nuire à la coopération entre les services de renseignements nationaux et étrangers 
			(9) 
			Voir
la Résolution de l’Assemblée 1562
(2007), «Détentions secrètes et transferts illégaux de
détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe: second
rapport», et Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme, «Le
nécessaire secret des renseignements ne doit pas servir de prétexte
pour ignorer ou occulter des violations de droits de l’homme», Point
de vue, 2009..

4.4. Mettre en place un cadre juridique approprié et en assurer une mise en œuvre cohérente

34. D’un point de vue juridique, les Etats membres ont mis en place un cadre de lutte contre l’extrémisme, fondé sur:
  • leur Constitution, qui, surtout dans les pays qui ont connu des régimes totalitaires, interdit souvent explicitement la création ou la refondation de partis totalitaires;
  • leur droit pénal;
  • une législation antiterroriste spécifique mise en place ou réaménagée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001;
  • dans de rares cas, une législation spécifique de lutte contre l’extrémisme, comme en Moldova et en Fédération de Russie.
35. Cependant, des critiques ont été formulées quant à la conformité de ces législations – en particulier des législations adoptées à la suite d’attentats terroristes – avec les Constitutions nationales et les principaux instruments internationaux de protection des droits de l’homme, notamment les instruments du Conseil de l’Europe comme la CEDH. Les critiques ont principalement porté sur le caractère trop général ou vague de la définition des infractions, le manque de garanties appropriées en ce qui concerne la collecte et l’utilisation des données à caractère personnel par les autorités, les pouvoirs accrus des représentants des forces de l’ordre en matière d’arrestation et le manque de contrôle judiciaire approprié sur de telles arrestations et détentions.
36. Le fait que ce cadre juridique ne soit pas appliqué de façon systématique et cohérente à toutes les formes d’extrémisme est aussi un sujet de préoccupation: cela amène à s’interroger sur l’existence d’une décision politique délibérée de s’en prendre à certains groupes extrémistes tout en tolérant d’autres.
37. Une question qui revêt une importance particulière, dans ce cadre, a trait aux restrictions qui peuvent être imposées aux partis politiques extrémistes. Le cadre constitutionnel et juridique de la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe insiste sur la menace que constituent les partis politiques extrémistes. Cela s’explique par la reconnaissance qu’ils accordent à l’importance particulière du pluralisme et du rôle que jouent les partis politiques dans une démocratie. L’intensité des mesures envisagées pour limiter les activités des partis extrémistes varie. Il s’agit de:
  • l’interdiction de former un parti politique et sa dissolution ultérieure;
  • l’interdiction pour un parti politique de se présenter aux élections;
  • l’interdiction de recevoir des financements publics.
38. Ainsi, la Constitution et la loi interdisent les partis racistes au Portugal; les partis fascistes sont interdits en Bulgarie, en Italie et au Portugal; la Pologne interdit les partis qui ont recours à des méthodes totalitaires; les partis promouvant la discrimination ou la haine raciale sont interdits en Azerbaïdjan, en Bulgarie, en France, en Espagne, en Ukraine et en Fédération de Russie; ceux qui appellent à la violence sont interdits en Albanie, au Danemark, en France, en Géorgie, en Lettonie, au Portugal et en Ukraine.
39. Un petit nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas de dispositions relatives à l’interdiction de partis politiques; dans d’autres, comme la Suisse, les conditions pour l’interdiction sont si difficiles à remplir qu’il est pratiquement impossible d’envisager une telle mesure en temps de paix. Dans quelques autres Etats membres du Conseil de l’Europe, comme le Danemark, la Finlande et le Liechtenstein, cette possibilité existe, mais elle n’a plus été appliquée depuis des décennies.
40. Enfin, certains pays, comme la Turquie, ont un long passé de dissolutions de partis, un point suivi de près par le Conseil de l’Europe, notamment par l’Assemblée et la Cour européenne des droits de l’homme «la Cour»), dans le cadre de leurs attributions respectives. En 2004, lors de la clôture de la procédure de suivi de la Turquie, tout en reconnaissant que les jugements pertinents de la Cour rendus entre 1991 et 1997 avaient été convenablement exécutés, l’Assemblée a souligné que la fréquence des cas de dissolution de partis politiques était une réelle source de préoccupation et a appelé à une révision complète de la Constitution et à un examen détaillé de la loi sur les partis politiques. L’Assemblée a une nouvelle fois fait part de son inquiétude face à cette situation dans sa dernière résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie, qui est essentiellement axée sur les poursuites judiciaires engagées en vue de la dissolution du Parti AK au pouvoir 
			(10) 
			Résolution 1622 (2008), «Le fonctionnement
des institutions démocratiques en Turquie: développements récents».. La dernière dissolution de parti a eu lieu en Turquie il y a seulement quelques semaines et a concerné le parti pro-kurde pour une société démocratique (DTP) 
			(11) 
			Voir
la réaction de M. de Puig, ancien Président de l’Assemblée: La pratique
de la dissolution de partis politiques en Turquie reste une source
d’inquiétude, 11 janvier 2010..

4.5. Renforcer la coopération internationale

41. Une coopération internationale est indispensable pour contrer les mouvements extrémistes qui s’appuient sur des réseaux internationaux. Un problème difficile à résoudre est la manière d’empêcher efficacement la diffusion en ligne d’idées extrémistes. Internet est le principal outil utilisé par les mouvements extrémistes pour:
  • communiquer avec d’autres membres;
  • faire de la propagande en créant des sites internet ou en diffusant des ouvrages de promotion de leurs opinions extrémistes à des destinataires qui ne les ont pas demandés;
  • recruter, par exemple en faisant de la publicité pour des formations, des vacances d’été ou d’autres activités qui leur servent de paravent pour élargir leur cercle d’adhérents;
  • collecter des fonds.
42. La majorité des sites extrémistes étant hébergés en dehors de l’Europe, cela complique fortement la tâche des services nationaux pertinents, qui ne peuvent pas fermer ces sites, même s’ils sont habilités à le faire en vertu des lois de lutte contre le terrorisme ou l’extrémisme. Actuellement, les Gouvernements britannique, tchèque, néerlandais et allemand collaborent dans le cadre d’un projet de recherche sur la question, qui vise à trouver des méthodes pour filtrer de tels sites extrémistes, même quand le domaine concerné est hébergé en dehors de l’Europe. Parallèlement, la Commission européenne a accepté, dans le cadre de ses activités de lutte contre le terrorisme, de financer un projet pour étudier les sites internet extrémistes islamistes en Europe – analyse et approche préventive («Exploring the Islamist Extremist Web of Europe – Analysis and Preventive Approaches»).

5. Les activités du Conseil de l’Europe

43. Au cours de ses soixante ans d’existence, le Conseil de l’Europe a grandement contribué à l’élaboration de normes démocratiques et des droits de l’homme, et a aidé les Etats membres à les mettre en œuvre et à lutter contre l’extrémisme. De plus, ses divers mécanismes de suivi et la jurisprudence de la Cour ont souligné les lacunes et les déficiences de la législation et de la pratique des Etats membres, et ont indiqué comment les pallier. En matière de terrorisme, il convient de rappeler les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées par le Comité des Ministres en 2002.
44. La lutte contre l’extrémisme est, par conséquent, étroitement liée au principal domaine de compétence de l’Organisation, à savoir comment les démocraties européennes peuvent contrer ce phénomène sans renoncer aux principes démocratiques et au respect des droits de l’homme.

5.1. La liberté d’association

45. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et la Cour ont défini les limites de ce que peuvent faire les Etats membres du Conseil de l’Europe pour restreindre les activités des partis politiques extrémistes, par une série très complète de lignes directrices adoptées en 1999 et par une riche jurisprudence.
46. Aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), les restrictions à la liberté d’association sont possibles uniquement si elles sont prévues par la loi et si elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui (article 11, paragraphe 2).
47. La première mise en garde qu’il convient d’avoir à l’esprit est qu’un parti qui prône un changement pacifique de l’ordre constitutionnel par des moyens légaux ne doit pas être interdit ni dissous pour ce motif. Le simple fait de remettre en cause l’ordre établi ne peut en soit être considéré comme une infraction punissable dans un Etat démocratique. Dans sa jurisprudence, la Cour a indiqué qu’un parti politique pouvait mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou de l’ordre constitutionnel d’un Etat à deux conditions: premièrement, les moyens utilisés à cette fin doivent être légaux et démocratiques, et, deuxièmement, le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux.
48. En revanche, un parti politique qui incite à recourir à la violence ou propose un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci et le mépris des droits et libertés reconnus par la Convention ne peut se prévaloir de la protection de celle-ci contre les sanctions infligées pour ces motifs 
			(12) 
			Voir Yazar et autres
c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, paragraphe 49, CEDH
2002-II, et, mutatis mutandis, les arrêts suivants: Stankov et Organisation
macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, nos 29221/95 et 29225/95, paragraphe
97, CEDH 2001-IX, et Parti socialiste et autres c. Turquie, arrêt
du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, p. 1256-1257, paragraphes 46-47.. En effet, comme le précise l’article 17 de la Convention, aucune de ses dispositions ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues par celle-ci.
49. Comme l’indique par ailleurs la Commission de Venise dans ses Lignes directrices de 1999, «l’interdiction ou la dissolution forcée de partis politiques ne peuvent se justifier que dans le cas oùles partis prônent l’utilisation de la violence ou l’utilisent comme un moyen politique pour faire renverser l’ordre constitutionnel démocratique, abolissant de ce fait les droits et libertés garantis par la Constitution» (ligne directrice 3).
50. En outre, l’interdiction ou la dissolution d’un parti politique est une mesure exceptionnelle et d’autres voies doivent être explorées avant d’y avoir recours. «L’interdiction ou la dissolution de partis politiques, comme mesure particulière à portée considérable, doivent être utilisées avec la plus grande retenue. Avant de demander à la juridiction compétente d’interdire ou de dissoudre un parti, les gouvernements ou autres organes de l’Etat doivent établir – au regard de la situation dans le pays concerné – si le parti représente réellement un danger pour l’ordre politique libre et démocratique ou pour les droits des individus, et si d’autres mesures moins radicales peuvent prévenir ledit danger»(ligne directrice 5) ; et «les mesures juridiques prises pour interdire ou faire respecter la dissolution de partis politiques doivent être la conséquence d’une décision judiciaire d’inconstitutionnalité et doivent être considérées comme exceptionnelles et réglementées par le principe de proportionnalité. Toutes ces mesures doivent s’appuyer sur des preuves suffisantes que le parti en lui-même – et pas seulement ses membres individuels – poursuit des objectifs politiques en utilisant (ou est prêt à les utiliser) des moyens inconstitutionnels» (ligne directrice 6).
51. Les lignes directrices de la Commission de Venise renvoient à une jurisprudence courante de la Cour, qui a statué plusieurs fois que la dissolution d’un parti politique est la mesure la plus drastique; une mesure si sévère ne doit être appliquée que dans les cas les plus sérieux 
			(13) 
			Voir,
pour tous, arrêt de la Cour du 25 mai 1998 dans l’affaire Parti
socialiste et autres c. Turquie, paragraphe 51..
52. Pour sa part, dans sa Résolution 1308 (2002) sur les restrictions concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée souligne que, même si les démocraties ont le droit de se défendre contre l’extrémisme, la dissolution de partis politiques ne peut être qu’une mesure d’exception, ne se justifiant que dans les cas où le parti concerné fait usage de violence ou menace la paix civile et l’ordre constitutionnel démocratique du pays 
			(14) 
			Voir également
la Résolution 1622 (2008),
«Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie: développements
récents», dans laquelle l’Assemblée note également que le respect
du principe de proportionnalité est de la plus haute importance
en matière de dissolution de partis politiques, compte tenu de leur
rôle essentiel pour garantir le pluralisme et le bon fonctionnement
de la démocratie. .

5.2. La liberté d’expression

53. De même, la liberté d’expression, inscrite à l’article 10 de la Convention, n’est pas un droit absolu: comme l’a déclaré l’Assemblée, l’exercice de ce droit «peut être limité par des intérêts publics concurrents, notamment la prévention des troubles à l’ordre public, la protection des principes moraux et celle des droits d’autrui. Ces droits et libertés peuvent ainsi être soumis à des limitations lorsqu’ils sont exercés de façon à causer, à inciter, à promouvoir, à préconiser, à encourager ou à justifier le racisme, la xénophobie ou l’intolérance» 
			(15) 
			Résolution 1345 (2003) de
l’Assemblée, «Discours raciste, xénophobe et intolérant en politique»,
paragraphe 5..
54. Le Conseil de l’Europe a adopté divers textes sur le discours de haine et la nécessité de le qualifier en infraction pénale en droit interne. D’après le Comité des Ministres, l’expression «discours de haine» couvre «toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration» 
			(16) 
			Résolution
no (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine»..
55. Le Conseil de l’Europe a publié en 2008 un manuel détaillé et complet sur le discours de haine, qui fait l’inventaire de la jurisprudence pertinente de la Cour pour clarifier les limites de la liberté d’expression, ces dernières pouvant varier selon:
  • le contexte dans lequel les déclarations concernées interviennent (politique ou religieux);
  • la fonction occupée par les auteurs de déclarations (politiciens, journalistes ou fonctionnaires);
  • les instruments (presse, télévision) et l’impact potentiel de la déclaration.
56. S’agissant de l’utilisation d’internet, il convient de rappeler le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, de 2003, qui envisage l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques.

5.3. La lutte contre le racisme et l’intolérance

5.3.1. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)

57. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) est l’instance du Conseil de l’Europe chargée de combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance en Europe sous l’angle de la protection des droits de l’homme, à la lumière de la Convention, de ses protocoles additionnels et de la jurisprudence y relative 
			(17) 
			Article 1er du Statut
de l’ECRI (Résolution Res (2002) 8 relative au statut de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance, adoptée par le Comité
des Ministres le 13 juin 2002)..
58. Les objectifs de l’ECRI sont les suivants: examiner les mesures juridiques, politiques et autres des Etats membres et leur efficacité en vue de combattre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, et l’intolérance; stimuler l’action en la matière aux niveaux local, national et européen; élaborer des recommandations de politique générale à l’intention des Etats membres et étudier les instruments juridiques internationaux applicables en la matière en vue de leur renforcement si nécessaire.
59. L’ECRI fournit aux Etats membres du Conseil des conseils sur la manière de s’attaquer au problème du racisme et de l’intolérance dans leur pays. A cette fin, elle examine dans chaque pays, sur la base d’un système de visites et de rapports périodiques, le cadre juridique de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, son application pratique, l’existence d’organes indépendants pour aider les victimes du racisme, la situation des groupes vulnérables dans des domaines de politique spécifiques (éducation, emploi, logement, etc.), ainsi que le ton du débat public et politique autour des questions d’importance pour ces groupes.
60. En plus, l’ECRI mène un travail sur des thèmes généraux et adopte des recommandations de politique générale. Parmi les plus pertinentes pour le présent rapport, on notera les Recommandations de politique générale no 5 («La lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans»), no 7 («La législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale») et no 8 («Lutter contre le racisme tout en combattant le terrorisme»).
61. Même si ses interlocuteurs privilégiés sont les gouvernements, l’ECRI a décidé de renforcer l’aspect communication de ses travaux, étant convaincue que la lutte contre le racisme ne peut être efficace que si le message antiraciste se répand dans l’ensemble de la société. Cela a conduit, entre autres, à l’organisation de tables rondes dans les Etats membres et au renforcement de la coopération avec d’autres parties concernées telles que les ONG, les médias et le secteur de la jeunesse.

5.3.2. Le Commissaire aux droits de l’homme

62. Le Commissaire aux droits de l’homme est une institution indépendante du Conseil de l’Europe dont la mission est de promouvoir la prise de conscience et les droits de l’homme dans les Etats membres de l’Organisation.Il est chargé de promouvoir le respect effectif des droits de l’homme et d’aider les Etats membres à mettre en œuvre les normes du Conseil de l’Europe en la matière; de promouvoir l’éducation et la sensibilisation aux droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe; de déceler d’éventuelles insuffisances dans le droit et la pratique en matière de droits de l’homme; de faciliter les activités des bureaux nationaux de médiateurs et d’autres structures chargées des droits de l’homme; et d’apporter conseils et informations concernant la protection des droits de l’homme dans toute la région.
63. L’éradication de la discrimination en Europe a été placée au cœur des travaux de l’actuel commissaire, M. Thomas Hammarberg.Particulièrement dans le contexte de son activité de suivi des pays, le commissaire examine l’efficacité des politiques nationales ainsi que les cadres juridique et institutionnel contre la discrimination et formule des recommandations visant à les renforcer. Il a pour interlocuteurs un large éventail d’acteurs, allant des gouvernements aux victimes mêmes de la discrimination et aux organisations non gouvernementales qui les représentent.
64. Par ailleurs, le commissaire accorde une grande attention à l’impact de la vulgarisation de ses travaux. Ses points de vue et ses articles de presse, qu’il publie dans les principaux journaux internationaux, portent souvent sur la xénophobie, l’islamophobie, l’antitsiganisme, l’antisémitisme, la discrimination contre les minorités et la nécessité de protéger les droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme.

6. Remarques conclusives

65. Au cours des dernières années, on a noté en Europe une recrudescence de certaines formes d’extrémisme qui poursuivent des objectifs contrevenant aux valeurs démocratiques et des droits de l’homme de l’Europe et qui, dans le pire des cas, sont prêtes à accepter, voire à promouvoir la violence.
66. Les Etats membres du Conseil de l’Europe sont de plus en plus avertis des menaces de l’extrémisme et ont mis en place un certain nombre d’instruments juridiques et politiques pour s’y attaquer. Cependant, la mise en œuvre des instruments existants n’est pas uniforme pour toutes les formes d’extrémisme, et des problèmes sérieux demeurent en ce qui concerne la compatibilité des législations nationales avec les conventions et lignes directrices du Conseil de l’Europe. J’ai, par conséquent, formulé quelques propositions et recommandations que j’ai jointes à ce rapport.
67. En conclusion, je tiens à évoquer certains aspects que je considère comme de futures tendances:

6.1. L’impact prévisible de la crise financière

68. L’on peut aisément prédire que la crise financière et ses conséquences sur la pauvreté et sur le chômage dans les Etats membres du Conseil de l’Europe ne manqueront pas d’aggraver la tendance actuelle au développement des mouvements extrémistes. D’une part, les mouvements extrémistes évoqués dans le présent rapport trouveront un terrain de plus en plus fertile pour recruter de nouveaux membres; d’autre part, de nouveaux mouvements radicaux de protestation pourraient devenir virulents et mieux organisés. Je pense, en particulier, au mouvement altermondialiste, dont certains membres ont été condamnés pour vandalisme en raison de leur comportement lors de manifestations, ou aux protestations et aux émeutes que la Grèce a connues pendant plusieurs semaines en 2009.
69. Le Conseil de l’Europe devrait exercer une vigilance accrue sur ces développements éventuels. Dans ce contexte, je salue les réflexions en cours de l’ECRI sur l’impact de la crise économique sur le racisme et l’intolérance.

6.2. Le danger d’une stigmatisation des immigrés

70. Les effets de la crise financière seront aussi ressentis dans les pays en développement d’Asie et d’Afrique. Cela permet de prédire une augmentation des flux migratoires vers l’Europe et des appels de plus en plus pressants pour que les politiques migratoires deviennent plus restrictives.
71. Les appels à des politiques migratoires restrictives sont une position politique légitime, mais sont inacceptables lorsqu’ils sont motivés par des arguments racistes.
72. Ces dernières années, tandis que l’Europe devenait une destination de plus en plus importante pour les émigrants et les demandeurs d’asile d’Afrique et d’Asie, l’on a également assisté à un renforcement du soutien électoral à des partis qui, même si la totalité de leur programme ne peut être qualifiée d’extrémiste, stigmatisent l’immigration en la présentant comme un problème pour la société et en l’associant à l’insécurité, à la criminalité, à la pauvreté et à d’autres problèmes sociaux.
73. Cette tendance risque non seulement de conduire à une érosion des droits de l’homme des réfugiés et des immigrés, mais aussi à intensification d’expressions plus ou moins dissimulées de racisme et de xénophobie, à la fois dans le discours politique et dans le grand public.

6.3. La nécessité impérieuse de répondre aux préoccupations des musulmans d’Europe et d’empêcher leur radicalisation

74. Le 29 novembre 2009, la majorité de l’électorat suisse a voté en faveur d’une disposition qui empêchera la construction de minarets supplémentaires en Suisse. Cette décision a été accueillie avec inquiétude et déception par l’ensemble des organisations et organismes de premier plan en matière de droits de l’homme, y compris le Conseil de l’Europe.
75. Les observateurs ont expliqué ce vote par la crainte généralisée de l’intégrisme islamique, qui a été manipulé par certaines forces politiques. Cependant, comme l’a fait remarquer le Président de l’Assemblée dans sa déclaration, la décision de ne plus construire de minarets supplémentaires en Suisse ne peut pas avoir d’incidence positive dans l’éradication des causes de l’extrémisme islamiste; en revanche, cette décision sera ressentie par les musulmans de Suisse – qui représentent 5 % de la population – comme une discrimination et une violation de leurs droits fondamentaux et viendra accentuer leur sentiment d’exclusion.
76. Cet exemple souligne les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que politiciens, à savoir: comment combattre de manière effective l’extrémisme islamiste – qui est contraire à nos valeurs – sans aliéner les musulmans européens; comment faire en sorte que les citoyens européens comprennent la différence entre l’idéologie de l’intégrisme islamique et la pratique pacifique de l’islam en tant que religion; comment prévenir la diffusion de l’islamophobie et de stéréotypes contre les musulmans et les protéger de la discrimination; comment faire en sorte que le dialogue interculturel s’enracine dans nos sociétés.

6.4. L’éthique en politique

77. En 2003, le Président de l’Assemblée et le Président du Parlement européen ont signé la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste. Ce document est une initiative de la société civile qui a reçu le soutien de l’Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), précurseur de l’Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux; la charte exhorte les partis politiques à agir de façon responsable dans le traitement des questions relatives à la race, à l’origine ethnique et nationale et à la religion.
78. Bien que la création d’un comité permanent pour superviser la mise en œuvre de la charte ait été initialement envisagée, aucune suite n’y a été donnée. A mon avis, la charte est plus que jamais une base précieuse pour introduire plus d’éthique en politique et j’encourage vivement les groupes politiques et chaque membre de l’Assemblée à la promouvoir davantage au niveau national. De même, je souscris à la Déclaration sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique,adoptée par l’ECRI en 2005, qui, à mon avis, devrait faire l’objet d’une plus large diffusion parmi les partis politiques.
79. Je me félicite en particulier de la proposition formulée par l’ECRI, selon laquelle des mesures d’autoréglementation devraient être mises en place par les partis politiques ou les parlements nationaux, afin de sanctionner les membres des partis ou les parlementaires qui encouragent le racisme et la xénophobie. La Commission de Venise défend également cette position dans son Code de bonne conduite en matière de partis politiques.