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Avis de commission | Doc. 12384 | 05 octobre 2010

Droits de l’homme et entreprises

(Ancienne) Commission des questions économiques et du développement

Rapporteur : M. Tuur ELZINGA, Pays-Bas, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11673, Renvoi 3480 du 29 septembre 2008. Commission saisie du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Voir Doc. 12361. Avis approuvé par la commission le 5 octobre 2010. 2009 - Quatrième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)

La commission des questions économiques et du développement se félicite de l’apport appréciable de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme au débat international actuel sur l’éthique d’entreprise et les responsabilités des principaux acteurs dans un monde dont les structures du pouvoir sont en pleine mutation. Les entreprises devenant des acteurs influents sur la scène nationale, européenne et mondiale, se posent un certain nombre de questions ouvertes sur leurs droits et responsabilités envers la société. Aussi la commission des questions économiques et du développement fait-elle bon accueil au rapport rédigé par M. Holger Haibach sur les droits de l’homme et les entreprises, qui cherche à préciser le rôle joué par le Conseil de l’Europe en ce domaine.

La commission des questions économiques et du développement souscrit aux propositions figurant dans le projet de résolution et le projet de recommandation présentés par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Les amendements qu’elle propose visent à compléter certaines dispositions du projet de résolution et du projet de recommandation sur le plan économique. Ils appellent notamment au renforcement des traités existants du Conseil de l’Europe et de leurs mécanismes de suivi. Ils proposent aussi d’examiner la possibilité d’élaborer un autre instrument juridique contraignant, comme une convention ou un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, afin de combler les lacunes dans la couverture des droits de l’homme décrites dans le rapport de M. Haibach.

B. Amendements proposés

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 7.2, remplacer les mots «sociétés transnationales» par les mots «entités commerciales enregistrées dans leur juridiction».

Amendement B (au projet de résolution)

Au paragraphe 7.3, après les mots «la Convention européenne des droits de l’homme» ajouter les mots «et dans la Charte sociale européenne (révisée)».

Amendement C (au projet de recommandation)

Après le paragraphe 2.1, insérer un nouvel alinéa comme suit:

«d’examiner la possibilité d’élaborer un autre instrument juridique, comme une convention ou un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme;».

Amendement D (au projet de recommandation)

Après le paragraphe 2.2, insérer un nouvel alinéa comme suit:

«de renforcer le mécanisme de contrôle de la Charte sociale européenne (révisée);».

Amendement E (au projet de recommandation)

Après le paragraphe 2.2, insérer un nouvel alinéa comme suit:

«d’accélérer la modernisation de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108);».

C. Exposé des motifs, par M. Elzinga, rapporteur pour avis

(open)

1. La défense des droits de l’homme – au cœur des activités du Conseil de l’Europe

1. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire peuvent s’enorgueillir du travail accompli ces soixante dernières années pour la défense des droits de l’homme en Europe. Par ailleurs, des progrès notables ont été effectués au-delà des frontières européennes, grâce à la mise en place d’un arsenal de traités, de cadres et de mécanismes internationaux. Le contexte international en pleine évolution révèle toutefois qu’il est nécessaire de faire le point aussi bien sur notre conception des droits de l’homme que sur l’efficacité de leur protection.
2. Le rapport de M. Haibach montre avec justesse l’importance et l’influence croissantes des entreprises commerciales à cet égard. Il décrit le concept de responsabilité sociale du monde des affaires et présente un inventaire exhaustif des instruments juridiques internationaux qui régissent actuellement les responsabilités des entreprises vis-à-vis de la société, notamment en matière de droits de l’homme. Le fait que la plupart de ces instruments ne soient pas juridiquement contraignants pour les entreprises – petites ou grandes, nationales ou multinationales – illustre l’absence de consensus global sur des cadres normatifs plus stricts.
3. M. Haibach conclut dans son analyse que, en dépit «d’une prise de conscience croissante de l’impact que les entreprises peuvent avoir sur les droits de l’homme», «les cadres actuels ne donnent pas d’indications suffisantes aux entreprises […]» et «ils n’offrent pas non plus de voies de recours adéquates aux victimes de telles violations». Il note également qu’il y a des différences dans le champ de la protection des droits de l’homme entre les entreprises et les particuliers devant la Convention européenne des droits de l’homme, que la jurisprudence est en avance sur les cadres normatifs actuels et que ni les tribunaux nationaux ni la Cour européenne des droits de l’homme ne peuvent enquêter en bonne et due forme sur les atteintes aux droits de l’homme commises par des compagnies européennes dans des pays tiers, en particulier hors des frontières de l’Europe. Voilà qui révèle dans le système judiciaire européen actuel des lacunes qu’il convient de combler si l’Europe veut donner l’exemple. A quel autre organisme revient-il d’agir si ce n’est au Conseil de l’Europe, dont les droits de l’homme sont la principale mission?

2. La nécessité de cadres juridiques européens renforcés pour les entreprises et les droits de l’homme

4. D’aucuns font valoir qu’un comportement éthique responsable de la part des milieux économiques est bon pour l’image, la réputation et la rentabilité des entreprises, ce qui les dispenserait de recourir à des normes contraignantes. Ce postulat s’inspire de la théorie traditionnelle de l’économie de marché, qui considère l’autorégulation du marché comme préférable à l’interventionnisme étatique et suffisante pour garantir une concurrence loyale entre des acteurs économiques aussi informés que possible. La survenue récente de la crise économique et financière a montré que la «main invisible» du marché et le contrôle exercé par l’Etat peuvent échouer, infligeant ainsi de graves préjudices à la société. L’expérience nous a appris que nous avions besoin d’une meilleure réglementation et d’une meilleure surveillance du comportement des entreprises aux niveaux national et supranational. Aujourd’hui, il est opportun de reformuler nos systèmes d’équilibre des pouvoirs en termes d’éthique (y compris quant aux droits de l’homme) dans le secteur économique.
5. Dès 2004, l’Assemblée, alarmée par une série de scandales financiers et par la dégradation de la confiance du public dans le système économique, a prévenu que «ces scandales reflètent une dégradation plus grave de la culture d’entreprise»; aussi «(…) il faudra non seulement introduire un changement législatif, mais aussi apporter une réponse plus large au niveau de la culture d’entreprise» 
			(1) 
			. Voir
le rapport sur l’éthique d’entreprise en Europe (Doc. 10103) rédigé
par M. Christian Brunhart (Liechtenstein, PPE/DC) au nom de la commission
des questions économiques et du développement, et la Résolution 1392 (2004).. Parmi les changements culturels souhaités s’inscrivaient des propositions relatives à l’instauration d’une culture de l’intégrité et d’une bonne gouvernance d’entreprise visant à l’harmonisation des lois et des pratiques en ce domaine. Du point de vue du Conseil de l’Europe, cela suppose nécessairement des mesures d’encouragement à la transparence, à la responsabilisation et au comportement éthique, également pour ce qui est des droits de l’homme. Des mesures ont été prises, mais trop peu et trop tard pour redresser l’équilibre menacé du système économique.
6. En outre, à l’occasion du premier débat de l’Assemblée sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe, en 2007, la commission des questions économiques et du développement 
			(2) 
			. Avis
présenté par Mme Liudmila Pirozhnikova (Fédération de Russie, GDE), Doc. 11215. a insisté sur le caractère complexe des droits de l’homme – qui recouvrent également les droits économiques et sociaux –, lesquels permettent aux citoyens de vivre dignement. C’est pourquoi l’Assemblée a plaidé en faveur du renforcement de la Charte sociale européenne (révisée) – le pendant de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans le domaine des droits économiques et sociaux – en étudiant la possibilité d’ouvrir ses procédures de recours aux particuliers, comme c’est le cas pour la CEDH. Cette demande demeure d’actualité. Elle devrait être réexaminée alors que le Conseil de l’Europe s’engage dans une profonde réforme structurelle qui pourrait conduire à une stratégie plus ambitieuse de mise en œuvre des traités en général et de la Charte sociale en particulier. Votre rapporteur souhaite rappeler une récente rencontre du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe avec le Comité européen des Droits sociaux, au cours de laquelle M. Jagland a insisté sur l’indivisibilité des droits de l’homme, sur la complémentarité de la Charte et de la CEDH, et sur les enseignements qui peuvent en être tirés dans le cadre de la Charte sociale européenne (révisée).
7. Dans ce contexte, votre rapporteur souhaite évoquer l’Agenda pour le travail décent de l’OIT 
			(3) 
			. Cet agenda développe
quatre objectifs: créer des emplois, garantir les droits au travail,
étendre la protection sociale et promouvoir le dialogue social. qui défend une stratégie équilibrée et intégrée visant à donner à tout un chacun un emploi productif et une vie décente par des moyens qui peuvent varier d’un pays à l’autre, en fonction des priorités et des capacités nationales. Par le pouvoir qu’elles ont de créer ou de détruire des emplois, les multinationales exercent une influence considérable en matière d’emploi, de salaires et de conditions de travail. Elles doivent tout mettre en œuvre pour faire appliquer des normes de travail de base sur tous leurs lieux d’implantation et résister à la tentation de peser sur les salaires ou les conditions de travail (dumping social) dans les pays tiers. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent se positionner clairement sur ce point, notamment dans leurs transactions d’Etat à Etat avec des pays non européens (par exemple, dans le cadre de programmes d’aide au développement et à l’exportation), grâce à des réglementations applicables aux entreprises multinationales enregistrées dans ces Etats mais exerçant des activités à l’étranger.
8. Il nous faut, en outre, rappeler que la présente Assemblée a invité les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe à se pencher sur la rédaction d’un protocole additionnel à la CEDH qui reconnaîtrait le droit à un environnement sain et durable 
			(4) 
			. Rapport
de M. José Mendes Bota (Portugal, PPE/DC) – Doc. 12003 – présenté au nom de
la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions
territoriales, et Recommandation
1885 (2009).. Appliqué, ce protocole préciserait les responsabilités envers la société qui incombent aux entreprises sur le plan de l’environnement et des droits de l’homme.
9. Votre rapporteur est convaincu que, pour apporter un plus au processus de renforcement des structures des droits de l’homme en Europe, l’action du Conseil de l’Europe doit être ambitieuse. L’Assemblée parlementaire, qui formule des idées et des propositions pour l’Organisation, doit présenter tout un train de mesures législatives pouvant être adoptées par le Conseil de l’Europe et ses Etats membres. Cela vaut également pour la faisabilité de la rédaction d’un instrument juridique contraignant tel qu’une convention ou un protocole additionnel à une convention/un traité déjà en vigueur.
10. A ceux qui hésitent sur les moyens de contraindre les entreprises à prendre sérieusement en compte les fondements des droits de l’homme, nous pourrions suggérer de s’intéresser au mécanisme mis en place par la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales («Convention anticorruption»). Cette convention de l’OCDE, assortie de deux recommandations y afférentes et d’un rigoureux examen collégial, exige de tous les pays membres de l’OCDE qu’ils appliquent un ensemble complet de mesures destinées à prévenir, dépister, poursuivre et sanctionner la corruption d’agents publics étrangers par des particuliers et des entreprises.
11. Le Conseil de l’Europe peut soit travailler de concert avec l’OCDE à un nouvel instrument juridique contraignant relatif au commerce et aux droits de l’homme, soit utiliser le savoir-faire et l’expérience de l’OCDE pour concevoir son propre dispositif juridique. La capacité des deux organisations à collaborer fructueusement a été prouvée par la négociation et la conclusion d’une convention conjointe, la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127), ainsi que du protocole d’amendement subséquent (STCE no 208) qui ouvre la convention à l’adhésion d’Etats non membres de ces organisations 
			(5) 
			. Voir Doc. 12161, rapport
de M. Peter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC), au nom de la commission
des questions économiques et du développement..
12. En outre, comme l’ont montré le processus d’actualisation de cette convention conjointe et le scandale SWIFT 
			(6) 
			. Le
problème SWIFT s’est posé en 2006 lorsque les médias ont révélé
que les autorités étasuniennes se procuraient les données concernant
les transferts bancaires effectués en Europe par l’intermédiaire
d’un réseau financier implanté en Belgique, sans aucune autorisation
des autorités européennes. Même si les données ainsi collectées
étaient destinées à être utilisées aux fins de la lutte contre le
terrorisme, les pays européens ont redouté qu’elles ne fassent l’objet
d’une utilisation abusive et ont estimé qu’il y avait atteinte à
la vie privée. Le litige s’est finalement conclu par un accord entre
l’Union européenne et les Etats-Unis sur le traitement et le transfert
de données de messagerie financière aux fins du programme des Etats-Unis
de surveillance du financement du terrorisme, signé le 28 juin 2010., il importe également de moderniser un autre instrument du Conseil de l’Europe: la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108). Il faut en effet garantir une meilleure protection du droit à la vie privée dans une période où la circulation transfrontalière des données par le biais d’internet augmente, où les entreprises traitent de plus en plus de données personnelles et où les technologies de surveillance se généralisent; et il convient en outre d’aller vers une plus grande transparence pour lutter contre l’évasion fiscale, les atteintes aux droits d’auteur et autres infractions.

3. Conclusion: le Conseil de l’Europe doit montrer l’exemple

13. Pour conclure, les nouvelles réalités économiques et les nouveaux problèmes qu’elles posent sur le plan législatif, découlant de la mondialisation, obligent les décideurs européens à réexaminer les formes de la protection des droits de l’homme en Europe et au-delà, dans le cadre des activités du secteur des entreprises. Les droits de l’homme et leur interaction avec les activités commerciales, avec les flux commerciaux et d’investissements des entreprises transnationales, sont de mieux en mieux compris et reconnus. Le Conseil de l’Europe doit combler les lacunes dans la couverture des droits de l’homme par une action rapide et ambitieuse, en envisageant notamment d’élaborer une combinaison d’instruments juridiques souples et contraignants. Dans un monde où l’organisation des activités commerciales est de plus en plus transnationale, le Conseil de l’Europe doit donner l’exemple et s’acquitter pleinement de son rôle en proposant des solutions pour renforcer les structures judiciaires actuelles là où elles sont insuffisantes pour protéger les droits de l’homme et guider les entreprises en la matière.